Dans une tribune au « Monde » du 26 février 2015, le célèbre écrivain italien Umberto Eco dénonce la menace pour le monde de l’édition que constitue le projet de fusion entre le consortium d’édition Mondadori appartenant à la famille Berlusconi et le groupe RCI – Rizzioli Corriere della Sera qui publie le journal éponyme.
Eco voit dans cet ensemble monstrueux une menace pour la liberté d’expression, l’accroissement de la puissance déjà excessive des Berlusconi qui possèdent déjà tout le secteur audiovisuel, et aussi la mise en place d’un consortium qui posséderait 40 % du marché de l’édition, ce qui serait unique en Europe.
« Le nouveau géant n’aurait plus en face que deux groupes de dimensions moyennes et une quantité de petites maisons d’édition (indispensables à la découverte de nouveaux auteurs) (…). De plus, un tel groupe (…) aurait une influence déterminante sur les librairies. »
Les menaces dénoncées par l’auteur du « pendule de Foucault » sont réelles. Ajoutons qu’elles touchent non seulement le secteur de l’édition, mais aussi tous les autres secteurs d’activité économique. Ajoutons que Berlusconi a acquis Mondadori en 1991 par la corruption. Il avait corrompu un magistrat pour avoir gain de cause devant la Justice en lui versant un pot de vin de 2,6 millions d’euros. D’après le « Monde », suite à cette affaire, le Premier ministre italien a été condamné en 2009 à une amende de près de 750 millions d’euros pour dédommager le groupe CIR de Carlo de Benedetti, amende qui a été ramenée à 560 millions par la Cour d’appel.
En attendant, il est bon qu’un intellectuel de l’envergure d’Umberto Eco dénonce ce fléau de la concentration capitaliste qui ronge l’économie de l’ensemble de l’Union européenne.
Mais, pour la suite, les bras en tombent ! Eco prône comme solution : la concurrence !
Il écrit : « Dans un marché ouvert, il est vrai que la concentration est économiquement inévitable. » C’est évident !
Ensuite, il ajoute : « … pour que le système reste sain, la concurrence doit continuer à s’exercer entre différentes entreprises. Dès lors que l’une d’elles est plus puissante que les autres réunies, rien de tel n’est possible. Selon le même principe d’une économie libre, réduire la concurrence revient à réduire la qualité. »
Ici, Umberto Eco ne se rend pas compte que c’est justement la sacro-sainte concurrence qui est la cause de la concentration capitaliste. La concurrence est une guerre entre entreprises où le vainqueur finit par absorber son concurrent parfois en utilisant les moyens les plus illicites et ensuite part renforcée à la conquête d’autres firmes plus faibles également. C’est ainsi que se construisent les monopoles au nom du dogme de l’Union européenne : « La concurrence libre et non faussée ». En d’autres termes la liberté qu’a le plus fort de dévorer le plus faible. Cela n’a rien à voir avec la concurrence – émulation prônée par Eco.
Aussi, pour garantir la qualité, la liberté d’expression en matière d’éditions, la liberté d’entreprendre n’est possible que si elle est encadrée de protections des entreprises et accessoirement de l’emploi.
Cela s’appelle l’économie dirigée. Mais, chut ! C’est un gros mot.
Pierre Verhas