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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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17 juillet 2016 7 17 /07 /juillet /2016 13:36

 

 

Le carnage de Nice est sans doute le pont trop loin pour bien des citoyennes et des citoyens des pays européens. Pourquoi ?

 

 

Cet attentat est parmi les plus meurtriers de ceux qui ont ensanglanté la France et la Belgique depuis 2015.

 

 

Le modus operandi de cette attaque est nouveau et particulièrement atroce dans sa banalité : ce n’est plus un commando organisé nécessitant une logistique lourde. Ici, c’est un homme seul qui agit – du moins en apparence – avec un camion, véhicule banal qui n’attire pas l’attention. Ce n’est plus l’acte terroriste « classique », mais une attaque menée par un individu inconnu des services spéciaux.

 

 

 

Le carnage de Nice de ce 14 juillet 2016 est le pont trop loin !

Le carnage de Nice de ce 14 juillet 2016 est le pont trop loin !

 

 

 

Autrement dit, on affaire cette fois-ci à une personne qui ne revient pas de Syrie, donc qui est inconnue des services de renseignements, qui est plus ou moins « intégrée » même si cet individu a des ennuis judiciaires. Ainsi, cet individu est quasi indétectable et donc encore plus dangereux que le djihadiste « classique ».

 

 

Néanmoins, le tueur a bénéficié de complicités – la théorie du « loup solitaire » est absurde – puisque la police française a arrêté à ce jour sept individus soupçonnés d’être en liaison avec cette attaque. Rappelons-nous que Mohammed Merah à Toulouse a lui aussi eu des complices. Il est évidemment impossible de monter une attaque pareille sans bénéficier d’aides diverses et notamment financières.

 

 

D’ailleurs, Alain Bauer le dit tout net dans la « Libre Belgique » du 16 juillet :

 

 

« Un loup solitaire est un loup qui a été exclu de la meute et qui n’a plus aucun lien avec quoi que ce soit. Le dernier loup solitaire identifié était Anders Breivik (NdlR : auteur des attentats néonazis en Norvège en 2011). Pour tous les autres, ce n’était pas le cas. Un envoyé spécial n’est pas un journaliste solitaire. Il travaille pour sa rédaction. Je mets donc en garde contre l’utilisation débridée, désordonnée et sans contenu de ce terme de loup solitaire. »

 

 

 

Alain Bauer est un des plus grands spécialistes des questions d'ordre public et de terrorisme.

Alain Bauer est un des plus grands spécialistes des questions d'ordre public et de terrorisme.

 

 

 

Mediapart de son côté écrit :

 

 

« Un mode opératoire jusqu’ici jamais employé en France. Pourtant, le fait que la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur soit une des quatre à concentrer le plus grand nombre d’islamistes radicaux, que l’apprenti djihadiste Moussa Coulibaly avait attaqué à l’arme blanche, le 3 février 2015, trois militaires en garde statique Vigipirate dans cette même cité niçoise et surtout que le scénario choisi par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, jeudi soir, corresponde aux prescriptions d’Abou Mohammed al-Adnani qui, en septembre 2014, avait exhorté les musulmans vivant dans l’Hexagone, qui se retrouvaient face à « un infidèle français » : « Renversez-le avec votre voiture ! » Tout ceci pourrait laisser penser que le scénario était écrit d’avance. Ce que pointait, lors de son audition devant la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, René Bailly, le directeur du renseignement à la préfecture de police de Paris (DRPP) : « Les terroristes écrivent toujours à l’avance ce qu’ils vont faire. Je vous renvoie aux numéros 4 et 5 de cette revue [Dar-al-Islam, le magazine de propagande de l’État islamique à l’attention des francophones – ndlr], dans lesquels Daech nous avertissait qu’il frapperait des centres commerciaux, des policiers, des militaires, des moyens de transport – il a déjà frappé un TGV – et des salles de spectacle. Bref, il y déclinait ses objectifs. »

 

 

Le « frais gazouillis des indics » vaut bien plus que le high tech.

 

 

En tout cas – et c’est une bonne nouvelle pour nos libertés – les techniques sophistiquées de surveillance ont une fois de plus démontré leur inefficacité. Cela prouve que la surveillance générale dénoncée par Edward Snowden et des auteurs comme Marc Dugain et Christophe Labbé dans L’homme nu – la dictature invisible de la révolution numérique, Robert Laffont Plon, 2016, est inopérante en l’occurrence.

 

 

On peut d’ailleurs se poser la question : le terrorisme n’est-il pas le prétexte pour rendre opérationnelles ces technologies de surveillance générale qui n’auraient pas été tolérées dans des circonstances normales ? Déplorons également la méthode qui consiste à faire passer en fin de session parlementaire des projets de lois prétendument « antiterroristes » et en réalité liberticides comme c’est le cas en Belgique actuellement.

 

 

Ensuite, on sait que s’il est possible de neutraliser un groupe de djihadistes préparant un attentat – cela s’est d’ailleurs fait régulièrement, il est par contre quasi impossible de prévenir un attentat lorsque ses auteurs sont prêts à passer à l’action. Notons que ce n’est pas par la surveillance générale que les forces de l’ordre ont pu agir, mais grâce au « frais gazouillis des indics » comme au bon vieux temps des films de Maigret et de Belmondo…

 

 

Mais une autre question se pose : pourquoi cette multiplication d’attentats de plus en plus meurtriers ?

 

 

En plus de leur caractère sanguinaire, ces attaques visent les symboles de notre société : Charlie Hebdo est le journal à abattre avec ses caricatures, le Bataclan représente un modèle culturel haï par ces fanatiques, les terrasses un mode de vie à éradiquer, les aéroports la liberté de circulation, même si celle-ci est lourdement entravée par les contrôles antiterroristes, le métro Maelbeek visait manifestement les institutions européennes, le 14 juillet n’est pas une date choisie au hasard – elle représente bien sûr la fête nationale française, mais elle symbolise une rupture qui a marqué l’histoire bien au-delà de la France –, la Promenade des Anglais à Nice est le lieu symbole des vacances et de l’hédonisme et par conséquent du tourisme qui devient un secteur vital dans nos économies en pleine déglingue.

 

 

 

L'attaque de Nice visait non seulement le symbole universel représenté par le 14 juillet mais aussi le tourisme, secteur clé de l'économie française et signe de sa déglingue.

L'attaque de Nice visait non seulement le symbole universel représenté par le 14 juillet mais aussi le tourisme, secteur clé de l'économie française et signe de sa déglingue.

 

 

 

La chimère du choc des civilisations

 

 

De là à dire qu’il s’agit du fameux « choc des civilisations », c’est un pas qu’il est trop aisé de franchir. Il y a d’autres raisons.

 

 

Tout d’abord, ce fameux choc des civilisations est une chimère. La brillante civilisation occidentale, source de progrès, source de la démocratie se trouve désarmée face à la barbarie islamique, comme hier, le monde libre se trouvait soi-disant affaibli face à la prétendue menace du communisme asiatique. Cette dualité est aussi absurde qu’insupportable. La civilisation occidentale a d’ailleurs été plusieurs fois dépassée au cours de l’histoire, notamment par la chinoise et par… la musulmane. On oublie qu’elle s’est imposée par des conquêtes sanguinaires dès le XVIe siècle qui ont conduit au colonialisme dont on subit encore les conséquences et dont le néocolonialisme est un avatar. Et, c’est encore au nom de cette civilisation et de la « démocratie » que l’on intervient au Proche Orient et en Afrique.

 

 

Depuis la guerre du Golfe de 1991, les néoconservateurs américains et leurs alliés européens tentent d’imposer un « grand Moyen Orient » composé de petites entités politiques sur la base de critères ethniques et religieux, cela dans l’intérêt aussi bien des USA que d’Israël et des monarchies pétrolières dont l’Arabie Saoudite et Qatar. Ce bouleversement est générateur de troubles majeurs dans la région. Et puis vient se greffer à cela le nouvel ennemi désigné : l’Iran.

 

 

Et là, on donne au conflit un aspect religieux. Les pays de la péninsule arabique sont sunnites, l’Iran est chiite. L’Irak compte une majorité chiite qui est au pouvoir et la Syrie est dirigée par un pouvoir chiite également, sans compter la Turquie sunnite. On observera que Daesh - organisation sunnite – s’attaque à des objectifs situés dans les agglomérations chiites en tentant de faire un maximum de victimes, comme le dernier attentat à Bagdad. C’est donc la confusion la plus totale et les Occidentaux s’enlisent dans ce chaos qu’ils ont eux-mêmes créé. Et cela a des conséquences tragiques.

 

 

Depuis la guerre d’Irak en 2003, les bombardements d’abord américains, ensuite occidentaux ont fait quelque 4.000.000 de morts. C’est énorme ! Il ne faut dès lors pas s’étonner de l’énorme capital de haine engrangé contre les Occidentaux. Ces bombardements, dans le but de la guerre « zéro morts » pour ne pas faire intervenir de troupes au sol et dans le plus grand intérêt du complexe militaro-industriel, sont en outre inefficaces et ne font en rien reculer Daesh. Seules les interventions sur le terrain donnent des résultats comme la libération de Palmyre par les Russes et les Syriens.

 

 

 

Deux chasseurs bombardiers US F15 E en mission dans le ciel syrien

Deux chasseurs bombardiers US F15 E en mission dans le ciel syrien

 

 

 

Mais l’on s’obstine ! Quelle est la réponse de Hollande à l’attentat de Nice : on va intensifier les bombardements contre Daesh ! Le Guardian écrit :

 

 

« Dans le secteur de la défense, les lobbyistes ont appris à exploiter les attentats terroristes, qui justifient selon eux de recevoir toujours plus d’argent et d’acheter des équipements toujours plus sophistiqués. Par une cruelle ironie du sort, le public niçois venait d’assister à une démonstration de force de l’aviation de chasse française. Or, au moment où une “offensive” a été lancée contre les spectateurs, les avions se sont avéré tout aussi utiles que des sarbacanes – au même titre que l’arsenal français de missiles nucléaires et de porte-avions. »

 

 

De deux choses l’une

 

 

Et l’auteur de l’article, Simon Jenkins, ajoute :

 

 

« Un chauffeur de camion à Nice ne menace aucunement la sécurité de l’Etat français, tout comme d’autres actes similaires ne mettent pas en péril la sécurité des Etats-Unis ou du Royaume-Uni. Associer l’Etat-nation à l’exécution aveugle d’innocents est une aberration politique. L’idée selon laquelle les dirigeants peuvent éviter ce genre d’attaques au moyen d’une riposte armée nous détourne complètement du travail de police et des services de renseignement, qui sont les plus à même de réduire la fréquence des attentats.

 

 

Cette approche nationalise et institutionnalise la panique collective. Elle pousse les gouvernements à un aventurisme écervelé à l’international et, au plan national, réduit les citoyens à des vies privées qu’il faut “sécuriser”. »

 

 

De deux chose l’une : ou bien les dirigeants européens sont aveugles et s’obstinent dans leur politique absurde d’offensive militaire dont l’inefficience est démontrée depuis des années, ou bien ils prennent prétexte du terrorisme pour poursuivre la stratégie aberrante imprégnée de l’idéologie néoconservatrice. Dans un cas comme dans l’autre, cela ne fera qu’accroître la menace terroriste et cette politique va à l’encontre des intérêts vitaux des Européens.

 

 

 

François Hollande à propos de l'attentat de Nice n'a une fois de plus pas la réponse adéquate.

François Hollande à propos de l'attentat de Nice n'a une fois de plus pas la réponse adéquate.

 

 

 

Un spécialiste du terrorisme, l’islamologue, professeur à l’Université de Liège et policier Alain Grignard explique dans une interview à « l’Echo » du 15 juillet :

 

 

« Au départ, l’Etat islamique n’avait peut-être pas nécessairement l’intention de mener des actions chez nous : il construisait méthodiquement une structure qui nous paraît surréaliste mais qui pour eux suit une logique implacable. À partir du moment où, en 2014, on a bombardé l’Etat islamique, les choses ont changé : il était attaqué sur son territoire. Religieusement, il pouvait se placer sur un mode de djihad défensif, ce qui facilitait la propagande. C’est d’ailleurs à partir de ce moment-là qu’on a vu de plus en plus des francophones se manifester dans les médias de l’État islamique.

 

 

On a attaqué pour suivre les États-Unis. Et ce qui a déclenché les bombardements ça a été au départ les persécutions des chrétiens et des yézidis. C’était un timing assez maladroit : quand c’est les musulmans on ne fait rien, mais quand ce sont les chrétiens, là on intervient. C’est facile à exploiter par la propagande de l’État islamique. On aurait pu intervenir quand l’Etat islamique prenait des barrages hydrauliques stratégiques et justifier l’intervention en disant que l’Etat islamique allait priver d’eau une grande partie des musulmans qui vivent là-bas. »

 

 

 

Alain Grignard s'avère être un des meilleurs connaisseurs de la problématique du terrorisme. On ne l'écoute pas. Ce n'est pas étonnant : il ne va pas dans le sens de la pensée unique.

Alain Grignard s'avère être un des meilleurs connaisseurs de la problématique du terrorisme. On ne l'écoute pas. Ce n'est pas étonnant : il ne va pas dans le sens de la pensée unique.

 

 

 

La religion a un rôle secondaire.

 

 

Quant à la religion qui est mise en avant par le discours officiel et la propagande des médias, elle joue en définitive un rôle secondaire.

 

 

Alain Grignard ajoute :

 

 

« Dans des sociétés qui sont en déshérence pour des raisons socio-économiques, politiques, etc. – comme certains quartiers de Chicago dans les années 1930 – on voit la formation de sous-cultures, qui forment des gangs. Et ces gangs sont en guerre contre une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas ou plus. Ce sont les mêmes mécaniques auxquelles on assiste : des gens qui détestent la société dans laquelle ils vivent. Et par une espèce de grimace de l’Histoire, ils rencontrent une espèce de comburant identitaire, avec un mélange de religion, une cause à laquelle ils peuvent s’identifier, qui peut rendre leurs méfaits non seulement légitimes mais rédempteurs. »

 

 

Il n’y a pas, à ma connaissance, meilleure analyse. D’ailleurs, il suffit d’examiner la personnalité des terroristes connus comme Abaaoud, les frères Abdeslam, Mohammed Merah et le dernier en date, Mohammed Lahouaiej Bouhlel : de petits délinquants violents et pas du tout marqués par la religion. Si Abaaoud a été en Syrie, c’était plus par esprit d’aventure et par un besoin de violence que par dévotion à l’Islam intégriste. La religion ne fait donc que lui donner une légitimité à son engagement et une justification à ses crimes.

 

 

 

Feu Mohammed Merah correspondait bien au profil du djihadiste classique.

Feu Mohammed Merah correspondait bien au profil du djihadiste classique.

 

 

 

La réponse à ce fléau est donc sociale. Lutter contre la pauvreté et donner aux banlieues françaises et aux quartiers belges, les moyens de se redresser par un encadrement de ces jeunes paumés à la merci des fanatiques et une réelle politique d’intégration à la société non pas par une laïcité imposée, mais par l’enseignement et l’emploi. De nouveaux gisements d’emplois peuvent et doivent ainsi être créés.

 

 

Mais, on se rend compte que tout cela nécessite une réelle volonté politique et la fin des politiques d’austérité afin de donner les moyens aussi importants qu’indispensables aux pouvoirs publics. On en est très loin aujourd’hui !

 

 

Nos « élites » sont responsables de cette vague de carnages. Elles le savent, tout en étant dans le déni. Et elles continuent à danser aux rythmes de l’orchestre du Titanic en espérant qu’il sombre le plus tard possible.

 

 

Cependant, il ne reste plus beaucoup de temps.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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commentaires

C
Lisez "Les Identités Meurtrières" d'Amin Maalouf, vous serez mieux informés.<br /> Culpabiliser seulement l'Occident est peu facile.
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P
J'ai lu et relu les "identités meurtrières". Les faits sont plus importants qu'un Lord Maire, Monsieur "Canon"
P
Ce raisonnement de culpabilisation est pervers. J'ai lu les identités meurtrières de Maalouf. Je le suis en partie. <br /> <br /> Cependant, la responsabilité première de cette situation revient à l'Occident. La politique du "grand Moyen Orient" en est l'exemple. Le jour où le soi-disant supérieur Occident comprendra qu'il faut traiter avec les autres peuples d'égal à égal, nous pourrons sans doute nous en sortir.