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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 15:06

Qu’y a-t-il de commun entre Julian Assange, le fondateur de Wikileaks accusé de viol par la Suède et réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres, le groupe russe  Pussy Riot, condamné à deux ans de camps d’internement, Michelle Martin,  l’ex-femme de Dutroux en instance de libération conditionnelle et les mineurs sud-africains en grève ? La manipulation de l’opinion.

 

 

 

 Pussy_Riot_cage.jpg

Les Pussy Riot en cage ! Un procès stalinien grotesque...

 

 

Les Pussy Riot, un groupe punk-rock de trois jeunes filles, se sont livrées à un happening contre le pouvoir de Poutine, dans la principale cathédrale orthodoxe de Moscou, dénonçant ainsi l’alliance d’un pouvoir fort avec l’Eglise. Cela évoque des souvenirs à celles et ceux qui ont lutté pour la laïcisation de l’Etat. Les trois filles sont arrêtées, jugées dans un procès à grand spectacle et finalement condamnée à deux ans de Goulag, après que Poutine ait demandé l’indulgence du tribunal. Indignation générale en Occident, mobilisation aux USA, en Europe occidentale, Amnesty International y va de ses protestations tonitruantes. On observe cependant qu’une large partie de l’opinion russe approuve cette sanction.

 

La liberté d’expression est sacrée

 

La liberté d’expression est sacrée. Il n’est pas question d’y toucher, en Russie, comme partout ailleurs dans le monde. C’est choquant, intolérable de voir ces filles mises dans une cage pendant les audiences pour être jugée pour « hooliganisme ». Rien que ça ! L’odieux s’allie au ridicule. Mais que représentent les Pussy Riot dans la formidable partie qui se joue bien au-dessus de ces trois jeunes femmes et – ne l’oublions pas – des peuples ? Cette condamnation s’inscrit en réalité dans le bras de fer entre la Russie et l’Occident ([1]). Poutine, incontestablement appuyé par une large part de l’opinion russe en dépit d’une élection contestable, maintient un pouvoir fort s’appuyant sur sa force politique et sur l’Eglise orthodoxe. Dès lors, il n’est pas question pour lui de montrer la moindre faiblesse !

 

Pussy_Riot.jpg

Les trois dangereuses rockeuses ont droit à une escorte pour les conduire au Goulag !

 

 

Sur le plan international, la tension est de plus en plus forte : la Russie refuse de condamner la Syrie, sinon elle renonce à sa seule base méditerranéenne, la Russie ne veut pas rompre son alliance avec l’Iran, la Russie s’oppose à toute extension de l’influence occidentale en Europe de l’Est, notamment par un renforcement de l’OTAN. Bref, la Russie refuse l’isolement que cherchent à lui imposer les puissances occidentales.

 

Aussi, ce groupe n’est qu’un pion dans cette gigantesque partie d’échec. Sans doute – et espérons-le – son sort se trouvera édulcoré par la discrétion  de la diplomatie. On verra.

 

Une pensée libertarienne

 

Mais la liberté d’expression que beaucoup – comme nous – considérent comme universelle et intangible, est, en réalité, à géométrie variable. L’autre victime en est l’Australien Julian Assange, l’ancien patron fondateur de Wikileaks, ce site qui a publié quelque 251.000 câbles diplomatiques classifiés en provenance des représentations diplomatiques Étatsuniennes.

 

 

 

 Julian_Assange-copie-1.jpg

Julian Assange, le fondateur de Wikileaks : la bête noire de l'establishment US

 

 

L’idée qui sous-tend l’action d’Assange est en réalité libertarienne. Il estime d’une part que depuis Internet, il y a un net déséquilibre entre les moyens de communications de l’Etat et ceux des citoyens. Cette asymétrie, comme il l’appelle, donne d’abord  à l’Etat les moyens de contrôler les communications des citoyens (on connaît les réseaux d’enregistrement de tous les échanges par voie électronique comme le fameux réseau « Echelon ») et ensuite, lui permet de garder secrets de larges pans de l’information. La réponse d’Assange est de donner aux citoyens les moyens, via Internet, d’avoir accès à ces informations, notamment par le décryptage et de leur donner  des moyens cryptographiques pour qu’ils protègent leurs propres données. L’objectif est de réduire le contrôle de l’Etat sur les citoyens. Remarquons que certains économistes néolibéraux tiennent un raisonnement similaire pour permettre aux entreprises de se protéger de la puissance publique.

 

Wikileaks a été fondé, en ce sens, par Assange et d’autres informaticiens, en octobre 2006 et s’inscrivait au départ dans la mouvance des hackers qui piratent les sites officiels sur la toile. Dès 2010, Wikileaks publie près de 400.000 documents militaires américains concernant l’Irak, puis mit sur la toile un nombre considérables de câbles diplomatiques. Tout cela s’inscrivit dans le cadre de l’action d’affaiblissement de l’Etat – des Etats-Unis en particulier –  définie par Assange. Cette action a eu des effets considérables et a bouleversé les relations entre les médias, les Etats, les services de renseignements, etc. Assange a accusé certains médias, spécialement le New York Times et le Guardian d’avoir tenté de saboter Wikileaks et de compromettre la sécurité de ses collaborateurs clandestins qui risquaient d’être poursuivis aux USA pour espionnage. Ce bras de fer entre les grands médias et Wikileaks n’est toujours pas terminé. Personne n’a encore gagné.

 

La mauvaise foi

 

En 2011, Assange se voit inculpé pour viol sur deux de ses collaboratrices en Suède. Il a été arrêté, interrogé, puis relâché. La procureure estimait qu’il n’y avait pas lieu à poursuites. Mais l’avocat de ses deux « victimes » maintient sa plainte. Cet acharnement amène Assange à quitter la Suède pour la Grande Bretagne. Il est évident que ces graves accusations sont destinées à le discréditer définitivement. Il est arrêté à Londres en décembre 2010. Le cinéaste américain Michael Moore verse une caution de 20.000 dollars et le fondateur de Wikileaks est assigné à résidence et placé en liberté surveillée.

 

Dans cette affaire, il y a d’évidence une manipulation. Tout d’abord, les Suédois n’ont aucune raison légitime d’extrader Assange, puisqu’ils pouvaient très bien envoyer une commission rogatoire pour l’interroger (à nouveau !) en Grande Bretagne et l’intéressé était d’accord. C’est un refus des Suédois qui n’en donnent pas l’explication. L’accusé use alors de tous les recours envers la Justice britannique. En vain. Aussi, le 19 juin 2012, il se réfugie à l’ambassade de la république d’Equateur où il demande l’asile politique. Le gouvernement équatorien a proposé aux Suédois d’interroger Assange dans les locaux de l’ambassade. Nouveau refus non motivé des Suédois. Cela s’appelle de la mauvaise foi !

 

 

 

Julian_Assange_manif.jpg 

Julian Assange réfugié à l'ambassade d'Equateur à Londres bénéficie d'un large soutien populaire, jusqu'au prix Nobel de la Paix.

 

 

L’ancien procureur en chef de Stockholm Sven-Erik Alhem a fait part de son indignation. Selon lui, le gouvernement suédois n’avait aucune raison légitime de faire extrader Assange, car la décision du gouvernement suédois était « sans fondement et peu professionnelle, ainsi qu’injuste et disproportionnée », parce qu’il pouvait facilement être interrogé en Grande-Bretagne. Il s’agit donc manifestement d’une décision politique. Et cela est très grave, car après cela, toute personne risque d’être arrêtée n’importe où dans le monde pour peu qu’elle présente une gêne pour le gouvernement américain !

 

Pourquoi le gouvernement américain ? Assange – et les Equatoriens sont d’accord là-dessus – craint d’être victime d’une double extradition : les Suédois, après l’avoir emprisonné, l’extraderaient vers les Etats-Unis où un acte d’accusation secret d’espionnage a été lancé. Il risque là bas, au pire, la peine de mort, au « mieux », la prison à vie !

 

Le viol du droit international

 

En outre, la Grande Bretagne est prête à violer le droit international. Le gouvernement de l’ultralibéral conservateur Cameron menace de faire rentrer de force la police dans l’ambassade pour s’emparer d’Assange. Ce serait une violation de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Pour rappel, la dernière violation de cet article 22, c’est en 2011 lors du saccage de la représentation britannique à Téhéran… Curieux retour des choses !

 

Les Britanniques vont jusqu’à invoquer une loi interne de 1987 qui autorise la police à pénétrer dans les locaux d’une ambassade, lorsque la sécurité publique est menacée. Or, il ne s’agit pas de sécurité publique en l’espèce et, de toute façon, le droit international prime sur le droit interne d’une nation. Au passage, la Grande Bretagne n’était pas aussi rigoureuse lorsqu’elle a accueilli Pinochet qui faisait, à l’époque, l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par le juge Garzon.

 

 

Assange_Equateur.jpg 

 Julian Assange s'est adressé dimanche 19 août à la foule massée devant l'ambassade d'Equateur. Il a demandé la fin de la "chasse aux sorcières". Il a raison ! On vit un  nouveau maccartisme.

 

 

Les Equatoriens ne se laissent pas faire. C’est le président de la République, Rafael Correa, lui-même qui a décidé d’accorder l’asile politique à Julian Assange. De plus, l’ALBA (l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques) qui regroupe Cuba, le Venezuela, le Nicaragua, la Bolivie, la République dominicaine, l’Equateur, etc. s’est réunie en sommet à Quito et a menacé la Grande Bretagne de représailles si sa police envahissait l’ambassade d’Equateur et a saisi la Cour internationale de Justice pour contraindre le Royaume uni à délivrer un sauf-conduit à Julian Assange pour qu’il puisse quitter le territoire pour se rendre en Equateur.

 

 

 

Rafaele_Correa.jpg 

 Rafael Correa, le président de la République d'Equateur est bien décidé à ne pas se laisser faire.

 

 

L’affaire prend une tournure internationale. C’est le début d’un affrontement entre le front bolivarien fondé par Hugo Chavez et qui regroupe tous les pays de « gauche » latino-américains et les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Cependant, ces derniers restent intransigeants et sont décidés à l’affrontement.

 

Quant aux grands médias, ils pratiquent la désinformation. Certes, ils détestent Assange : ils en rajoutent sur les accusations plus que suspectes de la Justice suédoise, attaquent l’Equateur comme étant une république totalitaire ne respectant pas la liberté de la presse – ce qui est faux ! en dépit des affirmations de "Reporters sans frontières" fort proche de la CIA – fustigent l’attitude d’Assange. Cela n’est plus de l’information, c’est une campagne de dénigrement systématique pour discréditer le cyber-militant. Encore une fois, on observe la connivence évidente entre le pouvoir et les médias. Cela n’est pas surprenant lorsque l’on étudie l’origine du financement des grands médias.

 

Côté droits de l’homme. Entend-on les hurlements habituels d’Amnesty International ? Pourtant, Assange a reçu un prix d’Amnesty International… Notre ami BHL se dore sans doute au Soleil dans sa Riad à Marrakech. Quid de la part des intellectuels, artistes et autres vedettes médiatiques ? Un assourdissant silence ! En effet, Assange ne correspond pas au schéma des martyrs de la cause occidentale. Assange est un ennemi. Donc, il n’a aucun droit. L’universalité des droits humains est limitée aux victimes dont l’action est conforme aux intérêts politiques et économiques occidentaux ! Son élimination politique sinon physique est au programme. C’est la grande manip ! Ajoutons que l’ancien juge Garzon va diriger l’équipe de défenseurs de Julian Assange !

 

Vers plus de répression

 

Cette grande manip ne s’effectue pas que dans des conflits diplomatiques. On la retrouve aussi dans des affaires internes à un pays. Ainsi, en Belgique, c’est la libération conditionnelle de Michelle Martin, l’ex-femme du tueur pédophile Dutroux, qui fait la « une » des médias locaux.

 

Michelle Martin a été condamnée à trente ans de prison pour avoir laissé mourir de faim et de soif les enfants enlevés par Dutroux. Cette affaire a ébranlé la Belgique pendant plusieurs années, dans la deuxième partie de la décennie nonante. L’immense émotion suscitée par ce crime et l’impéritie des services de police, particulièrement de la gendarmerie ont amené à une réforme bâclée de la Justice et de la police qui est devenue un organe encore plus répressif.

 

 

michelle_martin.png 

 La libération conditionnelle de Michelle Martin, bien que légale, soulève une indignation générale justifiée et... bien manipulée.

 

 

Martin a vu sa peine réduite de moitié en dépit de l’indignation générale. Dès lors, elle peut bénéficier de la loi Lejeune de libération conditionnelle depuis 2009. Le tribunal d’application des peines (TAP) a refusé jusqu’à cette année d’accéder à sa demande. Cette année-ci, sa libération conditionnelle est accordée. Elle remplirait les conditions requises pour en bénéficier. Une de ses conditions est son hébergement. Martin doit être accueillie dès sa libération par les sœurs Clarisse à Malone près de Namur. Tollé. Des manifestations assez musclées se déroulent devant le monastère. On y reconnaît des éléments d’extrême-droite. Le père d’une des petites victimes, Jean-Denis Lejeune, lance une campagne pour une réforme des TAP et pour des peines cumulables. Si la procédure des TAP doit être réformée – il n’y a pas de procédure d’appel – il n’est pas concevable que les victimes soient parties prenantes et puissent avoir un droit de veto. D’autre part, des peines cumulables sont tout à fait contraires aux principes de base du droit. Plusieurs avocats et magistrats le rappellent, mais leurs voix sont perdues dans la brume médiatique.

 

 

 

lejeune.jpg 

 Jean-Denis Lejeune propose une réforme de la Justice : du statut de victime, il passe à celui de référence. Il n'a pas toujours été exemplaire, pourtant...

 

 

L’exploitation de l’émotion

 

On retrouve une ambiance similaire à celle d’octobre 1996, lors de la fameuse marche blanche. C’est l’émotion qui l’emporte. Cela veut dire que l’esprit critique s’efface. Ce genre de période est évidemment propice à l’accroissement de l’appareil répressif. La ministre de la Justice, la libérale flamande très à droite, Annemie Turtelboom, se déclare partisan des peines incompressibles. Mais elle est confrontée à la question brûlante de la surpopulation carcérale.

 

Annemie.jpg

 Annemie Turtelboom, une ministre de la Justice très libérale : répression et privatisation.

 

 

Cette surpopulation est due au climat répressif actuel. La plupart des détenus sont en préventive, c’est-à-dire en attente de leur jugement. Or, la loi est claire à ce sujet : la détention préventive doit être une exception et ne se faire que si les faits reprochés sont particulièrement graves, ou si l’intéressé présente un danger pour lui-même, pour l’enquête, ou pour la société. Cependant, dans le climat de peur entretenu par les médias, l’exception est devenu la règle.

 

Il y a également la question des avocats pro deo qui ne reçoivent plus, pour des raisons budgétaires – austérité oblige – les indemnités auxquelles ils ont droit. Au bout de plusieurs semaines de conflit, un accord est intervenu, mais on verra comment il sera appliqué. En attendant, une fois de plus, l’austérité frappe les plus démunis. En marginalisant le pro deo, on accentue la Justice à deux vitesses, la Justice de classe et sans doute privatisée.

 

Enfin, cette affaire des enfants assassinés par Dutroux et consorts n’en finit pas ! On a en quelque sorte porté les victimes aux nues. Ils sont passés du statut peu enviable de victimes à celui de référence ! Mais, en définitive, tout cela résulte d’une manipulation, cette fois-ci de l’émotion.

 

Certes, le sentiment d’insécurité correspond à une réalité. Certes, le sentiment d’injustice est légitime face au cas Martin – on peut d’ailleurs se poser la question du rôle de l’Eglise en cette affaire – mais doit-on, dans la précipitation, exiger de changer la loi ? Ne se rend-on pas compte que ces changements entraîneraient un système encore plus répressif ? Et, en définitive, n’est-ce pas là l’objectif ?

 

L’indifférence

 

Les médias peuvent aussi rester quasi silencieux. Ils jouent alors l’indifférence. C’est le cas de cette dramatique grève des mineurs de Marikana en Afrique du Sud où la police a chargé faisant 34 tués et 258 blessés.

 

 

mineurs_Afrique_du_Sud.jpg 

 La grève des mineurs de Marikana réprimée dans le sang et dans... l'indifférence 

 

 

Ici, c’est l’indifférence générale. Quelques images à la TV et on passe à autre chose. Evidemment, cela sort des schémas classiques. Cette charge meurtrière de la police sud-africaine rappelle les pires années de l’apartheid. L’Afrique du Sud qui s’érigeait en exemple, devient un Etat africain comme les autres, réprimant dans le sang toute contestation. L’oubli est aussi une forme de manipulation.

 

Qu’il s’agisse d’Assange, des Pussy Riot, de Michelle Martin, des mineurs sud-africains, ils ont tous un point commun : être les objets de la grande manipulation médiatique.

 

Mais comme toute manipulation, elle finit toujours par tomber sur plus fort qu’elle. Cela s’appelle sans doute l’esprit critique, aliment vital de la liberté.

 

Pierre Verhas

 


[1]« Occident » : cette notion géographique s’est muée depuis longtemps en notion politique. L’Occident reprend en gros la conception politique, géopolitique, économique du monde atlantique, à savoir l’ultralibéralisme et l’impérialisme.

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commentaires

B
Parfaitement d'accord avec le commentaire 2. Merci cher Pierre.
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I
J'ajouterais ceci : sauf rares exceptions,la grande presse ne pratique plus vraiment un journalisme critique. Les blogs sont désormais le lieu où le vrai journalisme s'exerce, avec analyses<br /> fouillées, articles de fonds et enquêtes. Les journalistes dits "amateurs" font là un travail plus pointu que celui de la plupart des professionnels.
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P
Merci.
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