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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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21 juillet 2013 7 21 /07 /juillet /2013 20:51

Le mot « souveraineté » sent le soufre dans notre univers pollué par la pensée unique. Il évoque les « souverainistes », les « nationalistes », les « eurosceptiques » et autres personnages ringards hostiles au progrès, à l’Europe, au libéralisme. Pour peu, on les assimilerait aux négationnistes qui nient l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration nazis.

 

 

La Commission fait fi du contrôle démocratique.

 

 

Et pourtant ! Voici une nouvelle levée de bouclier contre l’Union européenne et la Commission en particulier. En effet, elle intervient directement dans la confection du budget des Etats-membres avant que ceux-ci ne soient examinés par les Parlements nationaux. Son pouvoir s’étend jusqu’à imposer des options politiques comme la suppression de l’indexation  automatique des salaires telle qu’elle existe en Belgique, ou des économies dans la Sécurité sociale, la privatisation de services publics, etc.

 

 

Comme par hasard, sous prétexte de rétablir l’équilibre budgétaire, la Commission applique aux Etats-membres le fameux triptyque ultralibéral : déréglementation, privatisations, coupes dans les services sociaux.

 

 

Cet interventionnisme de la Commission dénoncé comme une atteinte intolérable à la souveraineté des pays concernés a pourtant été voulu, ou à tout le moins, accepté par leurs dirigeants. C’est tout simplement l’application  du fameux Pacte budgétaire, le TSCG (Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance) accompagné du « two pack » : deux règlements visant à améliorer la gouvernance économique et renforcer la surveillance budgétaire de la zone euro, entrés en vigueur jeudi 30 mai.

Le « two-pack » impose aux Etats de la zone euro un calendrier et des règles communs en matière budgétaire. Dès l'an prochain, ils devront publier leur plan budgétaire à moyen terme avant le 30 avril, et publier leur projet de budget pour l'année suivante le 15 octobre au plus tard. Quant au budget pour l'année suivante, il devra être adopté pour le 31 décembre au plus tard.

 

La Commission examinera chaque projet de budget national et formulera un avis pour le 30 novembre au plus tard. Si elle constate des manquements graves, elle pourra demander à l'Etat concerné de lui présenter un plan révisé.

 

Par ailleurs, le « two-pack » renforce le contrôle des Etats placés en procédure de déficit excessif : les Etats concernés devront communiquer régulièrement à la Commission des informations sur les mesures qu'ils auront prises pour corriger leur déficit excessif, et celle-ci pourra leur adresser des recommandations. Le dispositif devrait s'appliquer lors de la préparation des budgets 2014, puisque la législation doit entrer en vigueur avant l'été.

 

Et voici le couperet : un non-respect des requêtes de la Commission européenne pourrait accélérer la mise en place de sanctions financières contre les Etats les moins vertueux, comme il est prévu par le pacte de stabilité et de croissance.

 

C’est donc, non seulement, à un abandon quasi-total de souveraineté des Etats de la zone Euro auquel on assiste, mais aussi à l’imposition d’une politique économique ultralibérale sans aucun contrôle démocratique.

 

La construction européenne serait légitime si…

 

Ainsi, l’abandon de souveraineté revient à un déni de démocratie. Le peuple et tous les corps intermédiaires sont mis de côté par la volonté des chefs d’Etat et de gouvernements cédant à la pression du plus fort d’entre eux – l’Allemagne – et du puissant lobby bancaire.

 

La construction européenne serait légitime si, par la voie démocratique, les compétences nationales étaient transférées vers une autorité supranationale, elle-même placée sous contrôle démocratique. On est loin du compte ! En effet, on procède par Traités successifs décidés par le Conseil européen – donc l’intergouvernementalité – où chaque décision résulte d’un rapport de forces entre Etats, c’est-à-dire au profit de l’Allemagne. De plus, contrairement à l’usage diplomatique, ces Traités imposent une politique bien précise par la contrainte à tous les Etats de la zone Euro, autrement dit à tous les peuples.

 

Le camouflet Evo Morales

 

L’autre camouflet est lié à l’affaire Snowden (voir « Uranopole » : http://uranopole.over-blog.com/article-la-fin-de-la-vie-privee-vous-ne-saviez-pas-118950062.html). Le 2 juillet, les gouvernements français et portugais interdisent le survol de leur espace aérien à l’avion du Président de Bolivie, Evo Morales, en provenance de Moscou. Ils soupçonnent que cet appareil transporte clandestinement Edward Snowden, l’agent de la NSA qui a dénoncé les graves atteintes à la vie privée des citoyens européens et américains, poursuivi par les USA et se trouvant dans la zone de transit de l’aéroport de Moscou. L’avion présidentiel est bloqué pendant treize heures en Autriche. Il a finalement pu repartir le lendemain matin.

 

 

Jamais, un gouvernement n’a fermé ainsi son espace aérien à l’avion du président d’un Etat souverain sans motifs sérieux, comme une atteinte à la sécurité extérieure, par exemple. De plus, il est clair que Hollande et le Premier ministre portugais se sont pliés aux injonctions des Etatsuniens qui traquent Snowden.  Comme l’écrit Glenn Greenwald : « Ainsi ces États européens sont parfaitement heureux d’autoriser un pays – quand il s’agit des États-Unis – à utiliser leur espace aérien pour kidnapper des gens de part le monde sans procès en bonne et due forme. Mais ils empêcheront physiquement un avion portant le président d’un État souverain – quand il vient d’Amérique latine – pour saboter le processus bien connu de demande d’asile contre la persécution politique (eh oui : les États-Unis persécutent les lanceurs d’alerte).

 

 

Tout cela à l’odeur du genre de parfait impérialisme et de colonialisme qui révolte la majorité de l’Amérique latine, et qui démontre encore l’hypocrisie des leçons américaines et ouest-européennes sur le sacré État de droit. Ceci est le comportement de nations-voyous. Comme l’a expliqué [ironiquement] le professeur de droit Sarah Joseph : Bravo EU states. You allowed rendition flights. But not Bolivian prez due to bogus belief the guy who revealed mass spying on you onboard. ». Et Greenwald de conclure : « Comme d’habitude, les officiels étasuniens et leurs sbires qui invoquent « le droit » pour exiger la punition sévère d’individus impuissants (Edward Snowden, Bradley Manning), exploitent du jour au lendemain ce même concept pour protéger les officiels politiques étasuniens, leurs maîtres et leurs alliés des pires crimes : la torture, les écoutes sans mandat, les renditions (1), la fraude fiscale systémique, tromper le Congrès et le peuple américain à propos de leur surveillance. Si vous passez votre temps à demander la tête d’Ed Snowden mais pas celui de James Clapper [chef de la NSA qui a menti au Congrès étasunien à propos des données collectées], ou si vous êtes obsédé par les traits de caractères de Snowden (narcissiste !) fabriqués de toute pièce [par les médias] mais que vous êtes indifférent à la surveillance envahissante et hors de contrôle de la NSA, il vaut probablement la peine de prendre quelques moments pour réfléchir à ce que révèle ce schéma de priorités. »

 

 

L’illégalité est la nouvelle norme.

 

 

Paul Craig Roberts, ancien Secrétaire d’Etat adjoint US au Trésor de l’administration Reagan a lui aussi pris conscience de la catastrophe vers laquelle nous mènent les politiques ultralibérales. Il en a écrit un livre intitulé The Failure of Laissez Faire Capitalism and Economic Dissolution of the West. Il y dénonce la politique ultralibérale qu’il a contribué à mettre en place aux Etats-Unis et surtout le libre échange. En cela, dans un article récent, L’illégalité est la nouvelle norme, il  pose la question de la souveraineté au regard de l’affaire Snowden et de l’attitude de l’Union européenne, et aussi de la problématique du libre échange qu’il considère comme un abandon de souveraineté au profit de l’économie la plus puissante, celle de Washington.

 

« Il n’y a aucun doute que cela soit vrai, mais la souveraineté des États membres de l’UE n’est que nominale. Bien que les nations individuelles gardent toujours une certaine “souveraineté” vis à vis du gouvernement de l’UE, elles sont néanmoins toutes sous la coupe de Washington, comme vient une fois de plus le démontrer la récente action illégale et hostile prise par la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Autriche par ordre de Washington, à l’encontre de l’avion transportant le président bolivien Evo Morales. »

 

Moralité, honneur, intégrité égale zéro !

 

Et, indigné, il ajoute : « Les États marionnettes européens se sont pliés à cette extraordinaire violation de la loi diplomatique et internationale, en dépit du fait que chacun de ces pays se soit irrité que Washington espionne en toute impunité leurs gouvernements, leurs diplomates et leurs citoyens. Leur façon de remercier Snowden dont les révélations leur ont permis de savoir que Washington enregistrait chacune de leur communication, fut d’aider Washington à capturer Snowden.

Ceci nous montre ce qu’il reste encore de moralité, d’honneur et d’intégrité dans la civilisation occidentale : Zéro. »

 

L’accord de libre échange transatlantique achèvera de nous ruiner.

 

Et cela vaut pour les négociations actuelles entre l’Union européenne et les USA pour la création d’une zone de libre échange euro-atlantique. Craig Roberts avertit : « La convoitise de l’argent de Washington aveugle l’Europe sur les véritables conséquences de ces accords de libre-échange. Ce que ces accords feront ce sera de faire tomber les économies européennes sous l’hégémonie de l’économie de Washington. L’accord est fait pour éloigner l’Europe de tout commerce avec la Russie, tout comme le traité de partenariat transpacifique est conçu pour éloigner les pays asiatiques de la Chine et les plier à des relations structurées étatsuniennes. Ces accords ont très peu à voir avec le libre-échange et tout à voir avec l’hégémonie américaine.

 

Ces accords de « libre-échange » obligeront les « partenaires » européens et asiatiques à soutenir le dollar. En effet, il est possible que le dollar supplante l’Euro et les monnaies asiatiques et deviennent l’unité monétaire des « partenaires ». De cette façon, Washington peut institutionnaliser le dollar et le protéger contre les conséquences néfastes de la planche à billets qui est utilisée pour renforcer la solvabilité des banques “too big to fail ” et pour financer les déficits sans fin du budget fédéral. »

 

Le moins-disant contre le mieux-disant

 

Ainsi, les choses sont claires. En outre, les deux Prix Nobel d’économie américains, Krugman et Stiglitz que nous avons déjà évoqués à plusieurs reprises sur ce blog, mettent eux aussi en garde contre ces négociations USA - UE, alors qu’auparavant, ils étaient de chauds partisans de l’idée de libre échange.

 

Paul Krugman a évolué. Il y a quelques temps, il affirmait que l’abaissement des coûts de transports pouvait aboutir à des délocalisations importantes, au détriment des pays du Nord et il soutenait une « préférence nationale » dans le cadre des plans de relance consécutifs à la crise.

 

 

Joseph Stiglitz prenait la même direction, soulignant la destruction de millions d’emplois dans l’industrie et la baisse des salaires du fait de la montée en puissance économique de la Chine. Pour lui, le bilan global des échanges commerciaux des Etats-Unis est négatif d’un point de vue emplois. Il notait également que la suppression des frontières favorise le capital au détriment du travail, qui est mis en concurrence à l’échelle planétaire. Il notait également que « la mondialisation circonscrit la démocratie à travers la compétition ».

 

 

Dans un papier pour le projet Syndicate, il revient sur le développement des négociations commerciales transatlantique et transpacifique. S’il semble plutôt défendre le libre-échange, il dénonce le rôle des lobbys qui profitent de ces négociations pour obtenir des avantages, comme l’a fait l’industrie pharmaceutique, il défend les exceptions, et notamment l’exception culturelle de la France, en faisant valoir que les accords tendent à promouvoir le moins-disant sur le mieux-disant, notamment d’un point de vue normatif.

 

 

Le secteur privé au dessus de la loi

 

 

Et c’est là l’essentiel. Prenons un exemple particulièrement sensible, l’arbitrage. Comme le soulignait Ludovic Lamant dans « Mediapart », le 3 juin dernier, il est prévu d’introduire un mécanisme d’arbitrage « investisseurs – Etats » comme c’est le cas au sein de l’Alena (accord de libre échange Canada, USA, Mexique), qui permet aux entreprises de porter plainte auprès d’un tribunal d’arbitrage contre un Etat, du fait de sa législation qui pourrait mettre en cause les avantages industriels.

 

 

Ainsi, la compagnie américaine Lone Pie conteste devant une cour d’arbitrage le moratoire décrété par le Québec depuis 2011 sur l’extraction du gaz de schiste. Elle exige une compensation financière pour « révocation arbitraire, capricieuse et illégale de (son) droit d'extraire du pétrole et du gaz »

 

 

La même procédure est utilisée par le secteur pharmaceutique pour contester des refus de brevet de certains médicaments. Cela représente un danger évident pour la santé publique. L’économiste et militant d’ATTAC, Maxime Combes conclut : « ce type d'accord ne peut qu'étendre les droits du secteur privé : on veut sanctuariser, au nom du libre-échange, des dispositions favorables aux investisseurs, en dépit de tout processus démocratique. »

 

 

Voilà un autre exemple d’abandon de souveraineté au profit du secteur privé. Si, après de tels faits, on ne pense pas que la démocratie est en danger et qu’il faut la défendre, c’est qu’on aime les camouflets !

 

 

 

Pierre Verhas

 


(1) Renditions signifie les enlèvements effectués par la CIA de présumés terroristes en Irak et en Afghanistan qui sont transportés par avion vers des prisons secrètes, ces avions volant dans les espaces aériens de pays « alliés », comme ceux d’Union européenne, qui ferment les yeux sur ces vols.

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