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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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29 décembre 2020 2 29 /12 /décembre /2020 23:58

 

 

 

II La fin d’un monde

 

Si Julian Assange est extradé vers les USA, il sera soumis au régime des MAS (Mesures Administratives Spéciales). Voici ce régime tel qu’il a été décrit à l’audience du procès d’extradition à Westminster le 29 septembre 2020.

 

« Sous la conduite d’Edward Fitzgerald QC [le principal avocat d’Assange], Baird [ancienne directrice d’une prison spéciale de New York, le MCC, spécialiste des MAS] a confirmé qu’elle prévoyait qu’Assange serait soumis à des MAS avant le procès, sur la base de l’argument de la sécurité nationale et de tous les documents soumis par le procureur américain, et après le procès. Les MAS signifient être confiné dans une cellule 23-24 heures par jour sans aucune communication avec les autres prisonniers. Au MCC, la seule heure par jour passée en dehors de votre cellule était simplement passée dans une cellule vide différente mais identique, appelée "cellule de loisirs". Elle avait installé un vélo d’exercice ; à part ça, il n’y avait aucun équipement. La récréation se faisait toujours en solitaire.

 

Les prisonniers avaient droit à un appel téléphonique par mois de 30 minutes, ou 2 de 15 minutes, à des membres de leur famille désignés et contrôlés. Ces appels étaient surveillés par le FBI.

 

Fitzgerald s’interroge sur l’affirmation de Kromberg selon laquelle le courrier était "fluide". Baird a répondu que tout le courrier était filtré. Ce courrier était généralement retardé de deux à trois mois, s’il arrivait à passer.

 

Baird a déclaré que le régime des MAS était déterminé de manière centralisée et était le même dans tous les lieux. Il était décidé par le procureur général. Ni le directeur de la prison, ni le Conseil des Prisons (BOP) lui-même n’avaient le pouvoir de modérer le régime des MAS. Fitzgerald a déclaré que le gouvernement américain avait prétendu hier qu’il pouvait être modifié, et que certaines personnes sous le régime des MAS pouvaient même avoir un compagnon de cellule. Baird a répondu : "Non, ce n’est pas du tout mon expérience". »

 

 

 

Le 4 janvier 2021, Assange nous fera-t-il ses adieux ?

Le 4 janvier 2021, Assange nous fera-t-il ses adieux ?

 

 

 

« La vie sous les « MAS » n’est pas bâtie pour des humains. »

 

Sur les conséquences de ce régime exceptionnel, le témoin déclare :

 

« Les MAS ont des conséquences fortes et négatives sur la santé mentale et physique des prisonniers. Parmi ces conséquences, citons la dépression sévère, les troubles anxieux et la perte de poids. Baird a déclaré qu’elle était d’accord avec le précédent témoin Sickler sur le fait que si Assange était condamné, il pourrait très bien passer le reste de sa vie en prison sous des MAS à l’ADX de Floride. Elle a cité un ancien directeur de cette prison qui la décrit comme "n’étant pas été bâtie pour des humains". »

 

Un assassinat officiel !

 

Un autre trouble surgit pour les détenus qui sont libérés au terme de leur condamnation.

 

« Fitzgerald a interrogé Baird sur l’affirmation du Dr Leukefeld selon laquelle certains prisonniers apprécient tellement Florence ADX [une prison au régime MAS du Colorado] qu’ils ne veulent pas la quitter. Baird a déclaré que cela reflétait les troubles d’anxiété extrême qui pouvaient affecter les prisonniers. Ils avaient peur de quitter leur monde très ordonné. »

 

En clair, victimes de pathologies mentales graves consécutives aux MAS, les détenus libérés sont incapables de réintégrer une vie normale, ce qui peut les mener au suicide ! 

 

Il est donc clair qu’Assange, s’il est détenu et condamné aux Etats-Unis, ne survivra pas. Déjà affaibli et diminué par le régime carcéral de Belmarsch, le fondateur de Wikileaks est voué à une mort lente et atroce. Il sera victime d’une EOF (Escalade of force), c’est-à-dire, en langage militaire US, l’exécution d’un civil non armé !

 

Un assassinat officiel !

 

Et cet assassinat est aussi le symptôme de la fin d’un monde.

 

On a évoqué et décrit pendant des décennies l’atroce régime des camps nazis, des goulags soviétiques, des Khmers rouges et d’autres encore. On a cité en exemples celles et ceux qui avaient eu le courage de combattre ces systèmes abominables qui ont pour seuls objectifs, soit d’éliminer, soit de réduire l’être humain à l’état de zombie au seul service du pouvoir.

 

 

 

Vue aérienne du camp d'extermination d'Auschwitz. Certes, le sort réservé à Assange en prison n'est pas comparable à celui des déportés d'Auschwitz et de Birkenau, mais il est basé sur le même principe de déshumanisation.

Vue aérienne du camp d'extermination d'Auschwitz. Certes, le sort réservé à Assange en prison n'est pas comparable à celui des déportés d'Auschwitz et de Birkenau, mais il est basé sur le même principe de déshumanisation.

 

 

 

En ce qui concerne les Etats-Unis dont l’impérialisme se montre de plus en plus violent, on avait déjà été alerté par le régime imposé aux présumés djihadistes à Guantanamo Bay. Ici, avec les Mesures Administratives Spéciales, on peut se poser une question : ces horreurs vont-elles se généraliser et devenir ordinaires ?

 

La montée en puissance d’une oligarchie prédatrice

 

Dans son ouvrage « L’Etat profond américain » (éditions Demi-Lune, 2015), Peter Dale Scott (1) décrit l’évolution de la démocratie américaine gangrénée par l’impérialisme.

 

Scott observe : « La transformation de ces empires en mécanismes de guerre aveuglés par leur propre puissance s’est avérée plus dangereuse et déstabilisante. » Il prend l’exemple d’Athènes se référant à l’homme politique et historien grec Thucydide (né en – 465 et assassiné en – 400 ou – 395) auteur de la « Guerre du Péloponnèse » et qui a connu l’Athènes resplendissante de Périclès et puis son déclin sous l’occupation spartiate. Cette référence est intéressante, car elle montre comment un empire puissant militairement et à l’économie florissante peut, en quelques années, se transformer en une entité décadente et dangereuse pour l’équilibre mondial.

 

« Ce dernier décrivit comment Athènes fut mise en échec du fait de sa cupidité sans limites lors de son expédition inutile en Sicile – une folie présageant celle des Etats-Unis au Vietnam et en Irak. Thucydide attribua l’émergence de cette folie collective aux rapides changements que connut Athènes après la mort de Périclès, et en particulier à la montée en puissance d’une oligarchie prédatrice. » L’auteur ajoute, se référant à plusieurs historiens, que ce phénomène est commun à la fin de tous les empires au cours de l’histoire.

 

 

 

L'homme politique et historien athénien Thucydide a analysé le premier la nuisance de l'impérialisme décadent.

L'homme politique et historien athénien Thucydide a analysé le premier la nuisance de l'impérialisme décadent.

 

 

 

Il ajoute : « à partir de l’après-guerre, l’Histoire des Etats-Unis a été marquée par le remplacement progressif des institutions de gouvernance démocratique par un ensemble de nouvelles agences – comme la CIA et le Pentagone – qui avaient pour mission première d’assurer la domination violente et le contrôle des populations à l’étranger. (…) Cette bureaucratie est régie par une éthique manipulatrice. Elle favorise aussi la corruption de ceux qui, afin d’évoluer hiérarchiquement, érigent la culture de la suprématie belliciste en une mentalité commune. »

 

N’est-ce pas en réalité ce qu’il se passe avec la traque de Julian Assange ? Il suffit de lire les comptes-rendus des audiences rédigées par Craig Murray pour se rendre compte que l’accusation représentée par des hauts fonctionnaires étatsuniens manipule le tribunal, tente de mettre la défense en porte à faux avec la complicité évidente de la juge Baraitser dont on peut douter de l’impartialité dans cette affaire et surtout de sa supérieure, la juge Emma Arbuthnot, qui est soupçonnée de conflit d’intérêts. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

 

Deux cultures politiques

 

Scott va plus loin en cette question. Il écrit :

 

« … depuis longtemps, deux cultures politiques différentes avaient prévalu aux Etats-Unis. Celles-ci sous-tendent les divergences politiques entre les citoyens de ce pays, de même qu’entre divers secteurs de l’Etat. L’une de ces cultures est principalement égalitaire et démocratique, favorisant le renforcement juridique des Droits de l’Homme aussi bien aux Etats-Unis qu’à l’étranger. La seconde, bien moins admise mais profondément enracinée, priorise et enseigne le recours à la violence répressive. Visant à maintenir « l’ordre », elle est dirigée à la fois contre la population des Etats-Unis et contre celle du Tiers-monde. »

 

N’est-ce pas ce à quoi nous assistons et ce que dénonce Wikileaks ?

 

Enfin, Scott explique qu’il y eut après la Seconde guerre mondiale, un conflit idéologique aux Etats-Unis sur la conception de la démocratie. Il opposa la philosophe Hannah Arendt à Samuel P. Huntington – connu par après avec son fameux ouvrage « Le choc des civilisations » qui est un éloge de la guerre permanente.

 

 

 

Hannah Arendt et Samuel P. Huntington : deux conceptions radicalement opposées du pouvoir
Hannah Arendt et Samuel P. Huntington : deux conceptions radicalement opposées du pouvoir

Hannah Arendt et Samuel P. Huntington : deux conceptions radicalement opposées du pouvoir

 

 

 

« Dans une certaine mesure, on peut retrouver ces deux mentalités dans chaque société. Elles correspondent à deux exercices du pouvoir, définis par Hannah Arendt comme la « persuasion par arguments » face à la « contrainte par la force ». (…) On peut considérer que l’apologie par Hannah Arendt, du pouvoir persuasif comme fondement d’une société constitutionnelle et ouverte est aux antipodes de la défense – par le professeur de Harvard Samuel P. Huntington – d’un pouvoir de l’ombre autoritaire et coercitif comme prérequis de la cohésion sociale. »

 

Scott explique en outre que Hannah Arendt admirait la Révolution américaine « puisqu’elle avait abouti à la création d’une Constitution visant à assurer l’encadrement du pouvoir politique par l’ouverture et la persuasion. » En revanche, Samuel P. Huntington fut conseiller du Premier ministre de l’Afrique du Sud de l’apartheid Botha et lui suggéra de fonder un pouvoir sécuritaire vertical et non soumis au contrôle public.

 

Aujourd’hui, au regard de l’affaire Assange, lequel des deux – Arendt ou Huntington – l’a emporté, d’après vous ?

 

Cela signifie l’installation du pouvoir d’une oligarchie détenant tous les leviers du pouvoir, agissant dans l’ombre. C’est ce que Scott et d’autres auteurs appellent « l’Etat profond » qui est constitué d’agences comme la CIA, le Pentagone, la NSA se substituant aux institutions démocratiques et agissant dans l’ombre, mais aussi d’une oligarchie comprenant les grandes entreprises transnationales comme les fameuses GAFAM et quelques milliardaires dont Bill Gates.

 

Prenons un exemple : on évoque ces temps-ci le remplacement de la monnaie fiduciaire – le « cash » - par la monnaie numérique. Un des plus chauds promoteurs en est Bill Gates en plus de sociétés de crédit comme Visa ou Mastercard. Tout simplement pour Gates la monnaie numérique amènerait un nouveau marché et un développement considérable de la multinationale Microsoft, car il faudrait créer de tout nouveaux systèmes de logiciels.

 

 

 

Bill Gates est avec les dirigeants des GAFAM un rouage important de l'Etat profond.

Bill Gates est avec les dirigeants des GAFAM un rouage important de l'Etat profond.

 

 

 

Aussi, ce pouvoir ne peut tolérer les méthodes d’investigations de Wikileaks qui, rappelons-le, ont eu des imitateurs comme les groupements internationaux de journalistes qui se sont penchés sur la criminalité financière, tels les « Panama papers » révélant un nombre considérable de comptes offshore détenus par de riches particuliers et des entreprises transnationales et « Luxleaks » qui a mis au jour le contenu de plusieurs centaines d'accords fiscaux très avantageux conclus par des cabinets d'audit avec l'administration fiscale luxembourgeoise pour le compte de nombreux clients internationaux. Parmi ces clients figurent les sociétés multinationales Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea et Deutsche Bank. Deux lanceurs d’alerte ont été poursuivis au Luxembourg et condamnés, mais furent réhabilités à la suite de pressions du Parlement européen.

 

Le sort de Julian Assange est le nôtre.

 

On comprendra donc que le sort de Julian Assange est lié au nôtre. Le journaliste informaticien australien a eu l’immense mérite de révéler au monde les nuisances d’un pouvoir criminel qui domine le monde. Ce pouvoir a tout de suite perçu le danger représenté par les méthodes d’investigations de Wikileaks et a décidé d’écraser son fondateur.

 

Pourquoi – alors qu’il en a les moyens – ne l’a-t-il pas éliminé physiquement ? Parce qu’il fallait faire un exemple. Il fallait terroriser le monde de l’information. Nous verrons sans doute le 4 janvier 2021, dans cinq jours, quel sort est réservé à Assange. Un appel sera certainement interjeté par une des deux parties devant la Haute Cour en fonction du jugement donné. Ne présageons pas, on verra. Mais, ne nous berçons pas d’illusions. La Justice britannique a montré qu’elle n’était pas indépendante. Quelle déchéance pour cette nation qui a combattu avec un courage exceptionnel pour garder sa souveraineté, sa liberté et ses principes !

 

En attendant, ayons conscience que le sort réservé à Assange est intimement lié au nôtre, à notre liberté, à notre indépendance, à notre vie.

 

 

Pierre Verhas 

 

  1. Peter Dale Scott, né en 1929 à Montréal, est un poète, un linguiste, un ancien professeur à l’Université de Berkeley, un diplomate honoraire et l’auteur de plusieurs ouvrages géopolitiques dont « La route vers le nouveau désordre mondial » et « l’Etat profond américain ». Ces livres controversés ont donné à leur auteur une réputation de « conspirationniste ». Nous laissons à chacun le soin d’en juger. Cependant, à leur lecture, on constate que Scott confronte les différents points de vue et n’affirme rien sans références. Inquiet de l’évolution de l’empire américain, Peter Dale Scott est, par ses travaux, un lanceur d’alerte et cela est donc gênant pour l’oligarchie.

 

 

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27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 22:44

 

 

 

I La fin d’un homme

 

Depuis plusieurs mois, nous évoquons l’évolution de la situation de l’informaticien et journaliste australien Julian Assange, persécuté pour avoir publié les câbles diplomatiques secrets de Washington qui révélaient les crimes de guerre des Etatsuniens et de leurs alliés en Afghanistan et en Irak, accusé par la Suède d’un prétendu viol.

 

« Vous vous souvenez du meurtre de sang froid de civils irakiens dans Collateral Murder ? Vous vous souvenez de la torture à Guantanamo Bay ? Vous vous souvenez de la corruption politique révélée par les câbles diplomatiques ? Ce sont quelques-unes des histoires qui ont fait la une en 2010, lorsque les principaux journaux internationaux, du New York Times au Guardian en passant par Der Spiegel, se sont associés à WikiLeaks pour exposer les crimes de guerre américains et une longue liste de vérités honteuses que nos gouvernements avaient gardées secrètes. » (Ex Berliner – EXB – journal berlinois en langue anglaise, 8 septembre 2020)

 

Assange se trouvait à Londres lorsque la Justice suédoise demanda son extradition pour une accusation de viol. Sentant le piège et craignant d’être ensuite extradé de Suède vers les Etats-Unis, Assange s’est d’abord réfugié durant sept années à l’ambassade d’Equateur à Londres d’où il ne pouvait sortir et où, à son insu, ses moindres faits, gestes et paroles étaient notés par la CIA par l’intermédiaire d’une société de surveillance espagnole qui a clandestinement installé des dispositifs d’espionnage Quelques semaines après le renversement du président progressiste Rafaele Correa qui lui avait accordé l’asile et la nationalité équatorienne, exclu du pouvoir suite à des élections contestables, le nouveau président, Lénine (!) Moreno, sous la pression du gouvernement étatsunien, retire à Assange sa nouvelle nationalité et le fait expulser de sa « résidence » équatorienne. La police londonienne l’a transféré manu militari à la prison de haute sécurité de Belmarsch, où il côtoie des terroristes et de dangereux criminels. Il a d’abord été condamné par un tribunal londonien à 52 semaines de détention pour avoir échappé à la Justice anglaise en se réfugiant à l’ambassade d’Equateur. Cette période de détention a permis aux juges britanniques de préparer le procès de l’extradition d’Assange pour répondre à la demande de la puissance étatsunienne.

 

 

 

L'expulsion manu militari de Julian Assange par la police londonienne révèle son traitement futur !

L'expulsion manu militari de Julian Assange par la police londonienne révèle son traitement futur !

 

 

 

Entre temps, la Justice suédoise a abandonné les poursuites contre le fondateur de Wikileaks, faute de preuves. À y réfléchir, cette affaire de viol avait un double objectif : discréditer Assange auprès de l’opinion publique et le livrer indirectement aux Etats-Unis. Tout cela pour ce qui est en définitive une banale relation sexuelle consentie non protégée !

 

C’est d’ailleurs ce que dit Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture :

 

« Je ne sais pas si Julian Assange a commis une agression sexuelle ou non, mais ce que je sais, c’est que la Suède ne s’est jamais souciée de le savoir. Ils voulaient utiliser ces allégations pour le discréditer. Et une fois qu’ils ont activement diffusé ces allégations aux quatre coins du monde, ils se sont ensuite assurés qu’il n’y aurait jamais de procès en bonne et due forme car, comme le procureur l’a finalement admis en novembre 2019, ils n’ont jamais eu suffisamment de preuves pour même porter plainte contre Julian Assange. »

 

 

 

Nils Melzer est un éminent juriste suisse, professeur à Genève et aussi dans plusieurs pays étrangers, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et les traitements inhumains, a pris fait et cause pour Julian Assange.

Nils Melzer est un éminent juriste suisse, professeur à Genève et aussi dans plusieurs pays étrangers, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et les traitements inhumains, a pris fait et cause pour Julian Assange.

 

 

Un palais de justice qui fait partie d’un système carcéral.

 

Une première série d’audiences du procès d’extradition britannique eut lieu fin février, début mars 2020. Elles se déroulèrent à Woolwich Court attenant à la prison de Belmarsch. Craig Murray a rédigé et publié le compte-rendu de ces audiences. Il commente :

« Woolwich Crown Court est conçu pour imposer le pouvoir de l’État. Les tribunaux normaux de ce pays sont des bâtiments publics, délibérément placés par nos ancêtres en plein centre-ville, presque toujours à proximité d’une rue principale. Le but principal de leur positionnement et de leur architecture était de faciliter l’accès au public, avec la conviction qu’il est vital que la justice soit visible par le public.

 

Woolwich Crown Court, qui accueille le Belmarsh Magistrates Court, est construit sur un principe totalement opposé. Il n’a pas d’autre but que d’exclure le public. Rattaché à une prison située dans un marais balayé par les vents, loin de tout centre social normal, une île accessible uniquement en naviguant dans un labyrinthe de routes à double voie, tout l’emplacement et l’architecture du bâtiment sont pensés pour décourager l’accès au public. Il est entouré par la même barrière de palissage en acier extrêmement résistant qui ceinture la prison. C’est une chose extraordinaire, un palais de justice qui fait partie du système carcéral lui-même, un lieu où l’on est déjà considéré comme coupable et incarcéré dès son arrivée. Le Woolwich Crown Court n’est rien d’autre que la négation physique de la présomption d’innocence, l’incarnation même de l’injustice coulée dans du béton, de l’acier, et des vitres blindées. Il a précisément la même relation à la justice que Guantanamo Bay ou la Lubyanka. Il n’est en réalité que l’aile de condamnations de la prison de Belmarsh. »

 

Le tribunal est présidé par la magistrate Vanessa Baraitser qui se montre particulièrement hostile à l’égard de l’accusé et de sa défense.

 

« dans la salle d’audience elle-même, Julian Assange est confiné au fond du tribunal derrière un écran de verre pare-balles. Il a fait remarquer à plusieurs reprises au cours de la procédure qu’il lui était ainsi très difficile de voir et d’entendre les débats. La magistrate, Vanessa Baraitser, a choisi d’interpréter cela, avec une malhonnêteté étudiée, comme un problème dû au très faible bruit des manifestants à l’extérieur, par opposition à un problème causé par le fait qu’Assange est enfermé à l’écart dans une énorme boîte de verre pare-balles.

 

Or, il n’y a aucune raison pour qu’Assange se trouve dans cette boîte, conçue pour contenir des terroristes extrêmement violents physiquement. Il pourrait siéger, comme le ferait normalement un accusé à une audience, au sein du tribunal à côté de ses avocats. Mais la lâche et vicieuse Baraitser a refusé les demandes répétées et persistantes de la défense pour qu’Assange soit autorisé à s’asseoir avec ses avocats. »

 

Voilà donc comment la Justice britannique traite Julian Assange ! Public limité au strict minimum, enfermement de Julian Assange dans une cage de verre pour entraver les contacts avec ses avocats, attitude hostile de la présidente du tribunal. Le procès s’annonce très mal ! Un incident révélateur : à la seconde audience, un des avocats d’Assange, Baltasar Garzon, l’ancien juge espagnol qui a fait poursuivre le dictateur Pinochet et qui souhaitait poursuivre les crimes du franquisme, devait rejoindre Madrid. Il se leva et alla vers la cage de verre pour saluer et serrer la main d’Assange. Les gardiens assis à ses côtés l’en empêchèrent !

 

 

 

Baltasar Garzon, évincé de son mandat de juge d'instruction, pour sa tentative d'exhumation du passé franquiste de l'Espagne est un des avocats de Julian Assange.

Baltasar Garzon, évincé de son mandat de juge d'instruction, pour sa tentative d'exhumation du passé franquiste de l'Espagne est un des avocats de Julian Assange.

 

 

 

Des décisions pré-écrites

 

 

La première série d’audiences s’acheva le 8 avril 2020 pour reprendre le 7 septembre, à Westminster cette fois. Craig Murray dans son compte-rendu de la dernière audience du 30 septembre écrit :

 

« Baraitser a de nouveau suivi son cheminement habituel qui consiste à refuser chaque requête de la défense, à la suite de décisions pré-rédigées (je ne sais pas si elles sont écrites par elle ou si elle les a copiées), même lorsque l’accusation ne s’y oppose pas. Vous vous rappelez qu’au cours de la première semaine de l’audience d’extradition proprement dite, elle a insisté pour que Julian soit maintenu dans une cage de verre, bien que l’avocat du gouvernement américain n’ait émis aucune objection à ce qu’il siège dans le tribunal, et qu’elle ait refusé d’intervenir pour faire cesser ses fouilles à nu, ses menottes et la confiscation de ses documents, même si le gouvernement américain s’est joint à la défense pour contester sa déclaration selon laquelle elle n’avait pas le pouvoir de le faire (pour laquelle elle a ensuite été vivement réprimandée par l’Association internationale du barreau).

 

Hier, le gouvernement américain ne s’est pas opposé à une motion de la défense visant à reporter la reprise de l’audience d’extradition. La défense a invoqué quatre motifs :

 

1) Julian est actuellement trop malade pour préparer sa défense
2) En raison du confinement, l’accès à ses avocats est pratiquement impossible
3) Les témoins vitaux de la défense, y compris de l’étranger, ne pourraient pas être présents pour témoigner
4) Le traitement des problèmes de santé mentale de Julian a été interrompu en raison de la situation de Covid-19.

 

Baraitser a rejeté catégoriquement tous ces motifs - bien que James Lewis ait déclaré que l’accusation était neutre sur la question - et a insisté pour que la date du 18 mai soit maintenue. Elle a déclaré que Julian pouvait être amené dans les cellules du tribunal de Westminster pour des consultations avec ses avocats. (Premièrement, en pratique, ce n’est pas le cas, et deuxièmement, ces cellules ont un passage constant de prisonniers, ce qui est très manifestement indésirable avec Covid19). »

 

 

L'ancien diplomate Craig Murray a fait état de toutes audiences du procès Assange.

L'ancien diplomate Craig Murray a fait état de toutes audiences du procès Assange.

 

 

 

Il y a deux constats : à chaque fois, la juge Baraitser présente des décisions écrites avant l’audience – est-ce de sa propre initiative ou lui ont-elles été dictées ? – et rejette systématiquement toute requête de la défense, même si l’accusation ne s’y oppose pas ! Se conformerait-elle à des instructions préalables, on peut raisonnablement se poser la question.

 

Enfin, nulle mesure de protection d’Assange contre le Covid 19 n’a été prise aussi bien à la salle d’audience qu’à la prison de Belmarsch. Sans doute, son éventuelle contamination aurait arrangé pas mal de monde !

 

Trois pas sur deux !

 

Voici ce que conclut Craig Murray de ces trois semaines d’audience :

 

« … dans cette salle d’audience, vous étiez en présence du mal. Avec un placage civilisé, un semblant de procès, et même des démonstrations de bonhomie, la destruction totale d’un être humain était en cours. Julian était détruit en tant que personne sous mes yeux. Pour le crime d’avoir publié la vérité. Il a dû rester assis là à écouter des jours entiers de discussions posées sur l’incroyable torture qui l’attendait dans une prison américaine de grande sécurité, privé de tout contact humain significatif pendant des années, à l’isolement dans une cellule de seulement 4,5 mètres carrés.

 

4,5 mètres carrés. Retenez bien cela. Trois pas sur deux. De toutes les terribles choses que j’ai entendues, la plus effrayante était peut-être ce qu’a dit le directeur Baird en expliquant que la seule heure par jour autorisée pour sortir de la cellule est passée seul dans une autre cellule absolument identique, appelée "cellule de loisirs". Cela et l’infâme "expert" du gouvernement, le Dr Blackwood, décrivant comment Julian pourrait être suffisamment drogué et physiquement privé des moyens de se suicider pour le maintenir en vie pendant des années. »

 

Le jugement sur l’extradition est annoncé pour le 4 janvier 2021.

 

Nils Melzer estime : « Quelle que soit la décision, je pense qu’un appel sera interjeté auprès de la Haute Cour. Probablement par Julian Assange, car je ne m’attends pas à ce que la première instance refuse l’extradition. Mais même si un miracle se produit et que le juge refuse de l’extrader, les États-Unis feront certainement appel de cette décision. »

 

Laissons la conclusion à Nils Melzer :

 

« Nous parlons des droits de l’homme et non des droits des héros ou des anges. Assange est une personne, et il a le droit de se défendre et d’être traité avec humanité. Peu importe de quoi il est accusé, Assange a droit à un procès équitable. Mais ce droit lui a été délibérément refusé - en Suède, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Équateur. Au lieu de cela, il a été laissé à pourrir pendant près de sept ans dans les limbes d’une pièce. Puis, il a été soudainement été traîné dehors et condamné en quelques heures et sans aucune préparation pour une violation de la liberté sous caution qui consistait à lui avoir accordé l’asile diplomatique d’un autre État membre des Nations unies sur la base de persécutions politiques, comme le veut le droit international et comme l’ont fait d’innombrables dissidents chinois, russes et autres dans les ambassades occidentales. Il est évident que ce à quoi nous avons affaire ici, c’est la persécution politique. En Grande-Bretagne, les violations de la liberté sous caution entraînent rarement des peines de prison - elles ne sont généralement passibles que d’amendes. En revanche, Assange a été condamné dans le cadre d’une procédure sommaire à 50 semaines dans une prison de haute sécurité - une peine clairement disproportionnée qui n’avait qu’un seul but : détenir Assange suffisamment longtemps pour que les États-Unis puissent préparer leur dossier d’espionnage contre lui.

 

Que signifie le refus des États membres de l’ONU de fournir des informations à leur propre rapporteur spécial sur la torture ?

 

Qu’il s’agit d’une affaire arrangée d’avance. Un simulacre de procès doit être utilisé pour faire un exemple de Julian Assange. Le but est d’intimider d’autres journalistes. L’intimidation, d’ailleurs, est l’un des principaux objectifs de l’utilisation de la torture dans le monde. Le message que nous devons tous recevoir est le suivant : Voici ce qui vous arrivera si vous imitez le modèle de Wikileaks. »

 

Une affaire arrangée d’avance ? Nils Melzer en est bien conscient et ne se fait guère d’illusions sur son propre sort :

 

« En tout cas, je ne me fais pas d’illusions sur le fait que ma carrière aux Nations unies est probablement terminée. Ayant ouvertement affronté deux États P5 (membres du Conseil de sécurité des Nations unies) comme je l’ai fait, il est très peu probable qu’ils m’acceptent à un autre poste de haut niveau. On m’a dit que mon engagement sans compromis dans cette affaire avait un prix politique. Mais le silence a aussi un prix. Et j’ai décidé que je préfère payer le prix pour m’exprimer que le prix pour rester silencieux. »

 

L’affaire Assange n’a jamais porté sur Julian Assange.

 

Mais pour lui, le plus important est :

« Mais l’affaire Assange n’a jamais porté sur Julian Assange. Il s’agit de l’éléphant dans la pièce que tout le monde semble ignorer : la mauvaise conduite officielle des états qu’Assange a exposé. En 2010, au moment des révélations, tout le monde était choqué par les crimes de guerre, la torture, la corruption, et le public du monde entier a commencé à en parler. Cela a rendu les États concernés très nerveux. Ce n’est donc pas un hasard si, quelques semaines plus tard, les autorités suédoises ont délibérément publié un gros titre dans la presse à sensation : Julian Assange est soupçonné de double viol. Immédiatement, le public du monde entier s’est désintéressé de la discussion des crimes des puissants, a changé d’orientation et a commencé à débattre du caractère et de la personnalité de Julian Assange : est-il un violeur, un narcissique, un hacker, un espion ? »

 

 

Ainsi, la fin d’un homme est programmée par l’Etat profond étatsunien avec comme supplétifs la Justice britannique et la Justice équatorienne.

 

La fin d’un homme, la fin d’un monde.

 

 

Pierre Verhas

 

Prochain article : II la fin d’un monde

 

 

 

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14 décembre 2020 1 14 /12 /décembre /2020 22:16

 

 

 

Oui, cela pourrait être la dernière plaidoirie, parce que la liberté d’expression est assiégée par une offensive tous azimuts et rien n’est moins sûr qu’elle puisse la repousser. Les attaques proviennent aussi bien des gouvernements inaptes ou trop faibles à juguler l’adversité et qui ne trouvent comme réplique que l’aveugle répression ; elles proviennent aussi bien des firmes transnationales et surtout de fameuses GAFAM qui imposent leur leadership sur les marchés mondiaux, c’est-à-dire sur l’ensemble de l’humanité ; elles proviennent aussi de groupes fascisants de plus en plus agressifs dont l’objectif est de diviser les êtres humains ; elles proviennent aussi bien de groupes fanatiques usant de la religion comme étendard pour assurer la toute-puissance des royaumes fondés par des tribus du désert et qui reçurent comme don  de la nature la manne d’une huile visqueuse stagnant en son sous-sol et qui s’est muée en or noir, l’or du diable, le pétrole et elles proviennent aussi de sectes obscurantistes cherchant à imposer leurs dogmes à l’humanité en réalité pour servir les intérêts les plus sordides.

 

 

 

Maître Richard Malka, un avocat sans concessions

Maître Richard Malka, un avocat sans concessions

 

 

 

Maître Richard Malka, avocat depuis toujours de « Charlie Hebdo », a conclu le 4 décembre les audiences du procès intenté à la Cour d’assises de Paris contre les auteurs présumés des attentats contre la rédaction de l’hebdo et contre l’Hypercasher de Vincennes qui se déroulèrent les 13 et 15 janvier 2015.

 

Nous avons déjà exprimé notre critique sur « Charlie » qui s’était, sans doute en dépit de ses dessinateurs et rédacteurs, aligné sur un conformisme de bon aloi sous l’impulsion d’un homme de pouvoir, Philippe Val, qui avait licencié le caricaturiste Siné qui avait « osé » se gausser du mariage du fils de Sarkozy, alors président de la République, avec une jeune fille juive issue de la haute société d’affaires. L’accusation d’antisémitisme était donc bien aisée en l’occurrence. Notre critique sur « Charlie » portait aussi sur cette insistance à toujours taper sur le clou des caricatures contre l’islamisme extrémiste, que nous estimons contreproductives et… inutilement dangereuses !

 

Les campagnes des milieux laïques contre le port du voile nous semblent sources de conflits stériles et en contradiction avec les principes fondamentaux de la laïcité de non exclusion et de tolérance. Comme le plaide Maître Malka, ce combat s'inscrit dans : celui de «Charlie Hebdo, c’est aussi un combat pour la banalisation de l’islam. C’est un combat pour qu’on regarde cette religion comme une autre. Qu’on la traite comme une autre.»  Cependant, nous maintenons que la provocation mène à l'impasse. En cela, Charlie est tombé dans le piège tendu par les fanatiques. Peut-on en effet être rassuré quand la première réaction du Président François Hollande à l'attentat fut de dire : « Pas d'amalgame ! » ?

 

Nous avons aussi estimé que ce procès n’apporterait rien, car il ne jugerait que des seconds couteaux et aurait pour effet d’attiser une tension déjà exacerbée. Ce qu’il s’y est passé bouleverse cette opinion. Il y eut les émouvants témoignages des survivantes et des survivants de ces massacres, il y eut les lâches systèmes de défense des auteurs et de leurs complices qui n’ont pas eu le courage d’assumer leurs actes commis au nom d’un monothéisme meurtrier et enfin, il y eut en conclusion la dernière plaidoirie, celle de Me Richard Malka, avocat depuis toujours de « Charlie » qui, au-delà des faits inéluctables, évoque l’essentiel :

 

Le sens de tout cela. C’est-à-dire la défense totale de la liberté d’expression qui est le levain de notre liberté derrière laquelle tout le reste doit s'effacer.

 

Notre ami, Bernard Gensane, qui est un enseignant chevronné, a publié sur son blog http://bernard-gensane.over-blog.com/ 

 

 

 

 

«Quand Coulibaly tue des juifs, il ne tue pas que des juifs, il tue l’autre. Charlie Hebdo aussi, c’est l’autre. Le sens de ces crimes, c’est l’annihilation de l’autre, de la différence. Si l’on ne répond pas à cela, on se sera arrêté en chemin.»

Le Monde a publié le verbatim de la plaidoirie de Richard Malka

Un texte remarquable qui pourrait servir de support à la réflexion sur la liberté d'expression, le droit à la caricature, l'islamisme, la justice, le droit. Vous cherchez un support à vos cours, chers collègues ? Rien de plus efficace que ce texte.

                                                                                                                                                      

 

 

En effet, le texte de cette plaidoirie, du moins dans ses passages significatifs, doit figurer dans les programmes scolaires pour éveiller la conscience de nos chères têtes de toutes les couleurs pour qu’elles apprennent ce qu’est la vie sociale où nous côtoyons toutes les origines, toutes les cultures, pour, qu’on le veuille ou non, le même avenir.

 

Enfin, pourquoi la dernière plaidoirie ?

 

Parce que si nous ne faisons pas l’effort de la comprendre, ce sera effectivement la dernière.

 

Lisons la plaidoirie de Maître Richard Malka dont en reproduisons l’intégralité publiée dans « le Monde » du 5 décembre et retenons sa magistrale leçon.

 

Pierre Verhas

 

 

 

Charlie Hebdo a reproduit à l'ouverture du procès, en page de couverture ses principales caricatures.  Ultime provocation, peut-être, mais aussi souci de combattre pour la liberté d'expression.

Charlie Hebdo a reproduit à l'ouverture du procès, en page de couverture ses principales caricatures. Ultime provocation, peut-être, mais aussi souci de combattre pour la liberté d'expression.

 

 

 

« Le temps qui passe, les contretemps, les renvois d’audience, les déficiences et les indécences de certains, tout cela ne peut rien changer à la profondeur de notre chagrin. Celui d’être privé de l’intelligence, du talent et de la bonté de ceux qui ne sont plus. Alors on cherche un sens. C’est le seul moyen de le supporter. Un sens à ce qui est arrivé. Un sens à ce procès.

 

Il a été épique, tragique, tourmenté. Il a déclenché la fureur du monde. Il a été ponctué d’attentats. Il nous a livré la parole bouleversante des victimes et nous a perdus dans les tentatives d’explication des accusés. Son sens c’est évidemment, et d’abord, de juger ces accusés. C’est de démontrer que le droit prime la force. Tout cela est déjà énorme, et dans n’importe quel procès ce serait suffisant. Mais pas là. Pas au regard des crimes commis. Les attentats de l’Hyper Cacher et de Charlie ne sont pas que des crimes. Ils ont une portée politique, philosophique, métaphysique. Ils convergent vers la même idée, ils ont le même but. Quand Coulibaly tue des juifs, il ne tue pas que des juifs, il tue l’autre. Charlie Hebdo aussi, c’est l’autre. Le sens de ces crimes, c’est l’annihilation de l’autre, de la différence. Si l’on ne répond pas à cela, on se sera arrêté en chemin.

 

Cette cour n’a pas pour objet de protéger la liberté et l’altérité. Mais de la même façon que vous avez organisé ce procès en deux temps, celui des victimes et celui des accusés, il faut accepter qu’il y ait deux procès en un. Celui des accusés et celui des idées que l’on a voulu assassiner. Ces fameuses valeurs républicaines ébranlées. Ces crimes ne sont pas des crimes comme les autres et ce procès ne peut pas être un procès comme un autre. Il doit tenir compte de sa dimension symbolique. Et mon rôle, comme avocat de la personne morale Charlie Hebdo sera de m’attacher à ce second volet.

 

Je ne plaide pas pour l’histoire. Je n’en ai rien à faire, de l’histoire. Je veux plaider pour aujourd’hui, pas pour demain. Pour les hommes d’ici et maintenant, pas pour les historiens du futur. Le futur, c’est comme le ciel, c’est virtuel. C’est à nous, et à nous seuls, qu’il revient de s’engager, de réfléchir, et parfois de prendre des risques pour rester libres d’être ce que nous voulons. C’est à nous, et à personne d’autre, de trouver les mots, de les prononcer pour recouvrir le son des couteaux sous nos gorges. A nous de rire, de dessiner, de jouir de nos libertés, face à des fanatiques qui voudront nous imposer leur monde de névroses et de frustrations. C’est à nous de nous battre pour rester libres. C’est ça qui se joue aujourd’hui.

 

« Ils détestent nos libertés »

 

Rester libre, cela implique de pouvoir dire ce que l’on veut des croyances sans être menacé de mort, abattu par des kalachnikovs ou décapité. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui dans notre pays. Pendant ce procès, un enseignant a été coupé en deux. Pendant ce procès, on a tué dans une basilique. On a atrocement blessé rue Nicolas-Appert. On a menacé dans plusieurs communiqués, dont un d’Al-Qaida.

 

 

Le message de ces terroristes est clair. Ils nous disent : vos mots, vos indignations ne servent à rien. On continuera à vous tuer. Vos juges, vos procès, sont indifférents. Vos lois sont des blagues, nous ne répondrons qu’à celles du Ciel. Ils nous disent de renoncer à la liberté parce qu’un couteau et un hachoir seront plus forts que 67 millions de Français, une armée et une police. C’est l’arme de la peur pour nous faire abandonner un mode de vie construit au fil des siècles. Et évidemment, ça ne s’arrêtera pas aux caricatures, ni même à la liberté d’expression. Ils détestent nos libertés. Ils ne s’arrêteront pas, parce que nous sommes un des rares peuples au monde à être porteur d’un universalisme qui s’oppose au leur.

 

 

Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce que cette nouvelle guerre qui oppose des dessinateurs avec leurs crayons, des enseignants avec leur tableau, à des fanatiques armés de kalachnikovs ou d’ustensiles de boucherie ? Par quel enchevêtrement d’idées, de discours et d’errements en est-on arrivé à ce que, pour la première fois dans le monde occidental depuis la fin de la guerre, un journal soit décimé, avant de devoir se retrancher dans un bunker à l’adresse secrète ? Qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être mangé ? Parce que c’est toujours la même chose : quand on est confronté à la peur, certains choisissent de pactiser.

 

 

L’histoire que je vais vous raconter est notre histoire à tous. C’est en partie, Messieurs, celle qui vous a amenés dans ces box, alors j’espère qu’elle va vous intéresser.

 

Le compte à rebours s’est déclenché à Amsterdam le 2 novembre 2004. Theo Van Gogh était un journaliste et un réalisateur pas sympathique. En 2004, il réalise Submission pour dénoncer la soumission des femmes dans l’islam. Le 2 novembre 2004, il est abattu dans une rue d’Amsterdam de huit balles dans le corps par un jeune islamiste de tendance takfiriste [une sous-branche du salafisme]. Ensuite il est égorgé, et on lui plante deux poignards dans le torse. Sur l’un de ces poignards, un petit mot de menaces de mort contre les juifs. C’est la matrice de 2015 et de ses deux obsessions : la liberté d’expression et l’antisémitisme.

 

Supercherie, mystification

 

A la suite de cet assassinat, un autre écrivain, danois cette fois, Kare Bluitgen, veut écrire un livre sur la vie de Mahomet dans un souci pédagogique à destination de la jeunesse. Il cherche un illustrateur. Tout le monde refuse. La peur a déjà gagné. Alors, le 17 septembre 2005, il écrit dans un journal pour dénoncer l’autocensure dès qu’il s’agit de l’islam. Flemming Rose, rédacteur en chef des pages culture du Jyllands-Posten, un journal de centre droit qui serait l’équivalent chez nous du Figaro, va demander au syndicat des caricaturistes danois comment il représente Mahomet. Le 30 septembre 2005, ces caricatures sont publiées. Pendant deux mois, il ne se passe pas grand-chose.

 

Cette affaire ne va prendre sa véritable ampleur qu’à raison d’une escroquerie à la religion. Elle a été commise par des imams danois de la mouvance des Frères musulmans, essentiellement des salafistes. En décembre 2005, ces imams partent faire le tour des capitales arabes. pour mobiliser les Etats musulmans contre ces méchants danois islamophobes. Et pour le prouver, ils constituent un dossier, comprenant les caricatures. Ce dossier, on l’a récupéré.

 

Le problème, c’est que dans ce dossier, ils ont ajouté trois dessins qui n’y figuraient pas. Deux d’entre eux viennent d’un site de fous furieux, des suprémacistes blancs américains. Un autre vient de France, il n’a rien à voir avec l’islam, c’est un dessin sur la Fête du cochon à Tulle en Corrèze. Et les imams disent : « Voilà comment on représente l’islam en Occident. » Et alors là évidemment, sur le fondement de cette supercherie, de cette mystification, le monde s’embrase. Et il y a des manifestations, des morts, des drapeaux brûlés. Ils ont allumé le feu et ils nous traitent d’incendiaires ? Alors oui, c’est dur d’être aimé par des cons d’intégristes mais c’est encore plus triste d’être instrumentalisé par des escrocs !

 

Puis vient le temps de la récupération politique. En janvier 2006, la très officielle Organisation de la conférence islamique, qui regroupe 57 pays, va saisir l’ONU et lui demander d’obliger tous les pays du monde à interdire la critique des religions. Voilà comment une escroquerie va tenter d’obtenir une modification du droit mondial sur la liberté d’expression !

 

Et c’est là que l’on va commencer à nourrir le crocodile. Le 3 février 2006, le cheikh Al-Qaradawi, guide spirituel des Frères musulmans, déclare un « Jour de la colère ». Le même jour, Jacques Chirac, Bill Clinton et le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, déclarent que « les journaux ayant contribué à diffuser les caricatures ont fait un usage abusif de la liberté de parole » et font appel à plus de respect envers les sentiments religieux.

 

Le monde a cédé devant l’obscurantisme 

 

On en est arrivé là : le monde a cédé devant l’obscurantisme, la vérité a été recouverte par le mensonge. Et ceux qui détestent nos libertés ont senti le sang de nos démocraties et ça leur a donné de l’appétit. L’opération d’Al-Qaradawi a parfaitement réussi.

 

Cette histoire des caricatures, il faut la connaître. Il faut la répéter, il faut l’enseigner. [Le premier ministre canadien] Justin Trudeau connaît-il cette histoire, lui qui nous donne des leçons d’accommodements raisonnables pendant ce procès ? Le président  Erdogan, qui nous fait des leçons d’antiracisme, connaît-il cette histoire ? Savent-ils que tout cela n’a pas été commis par nous ?

 

Mais la machine va se gripper. La machination politique ne va pas aller jusqu’au bout. France Soir va publier ces caricatures en France, son directeur [Jacques Lefranc] sera immédiatement limogé et Charlie Hebdo va reprendre ces caricatures et les publier par solidarité. En 2007, nous sommes poursuivis par l’UOIF [Union des organisations islamiques de France] et la mosquée de Paris, nous gagnons le procès. On croyait qu’on avait gagné. En fait, on n’avait rien gagné du tout.

 

Il faut encore savoir quelque chose. Le monde entier pense que le procès des caricatures a eu lieu en France. Le premier procès, il a eu lieu au Danemark, avec le même résultat. Mais il n’a intéressé personne. Et pourquoi ? Parce que la France a une histoire particulière. Parce que c’est le premier pays au monde à avoir banni le blasphème du code pénal. C’était en 1791. La même année que le décret sur l’égalité des juifs. Je ne sais pas pourquoi, mais ces deux questions sont toujours liées, pour le pire et pour le meilleur.

 

Renoncer à enseigner que l'homme descend du singe...

 

Alors l’histoire du blasphème en France, je vais vous la raconter.

 

En 1789, la liberté d’expression est proclamée comme un des droits les plus précieux de l’homme. Deux ans plus tard, on sort le blasphème du code pénal. En 1881, on vote la grande loi sur la liberté de la presse. Les débats font rage à l’Assemblée et c’est frappant de constater à quel point ils se focalisent sur ceux d’aujourd’hui : le dessin et la religion. C’est comme si Charlie Hebdo existait déjà ! « Dieu se défendra bien lui-même, il n’a pas besoin pour cela de la Chambre des députés ! », répond Clemenceau à l’évêque d’Angers qui invoque la blessure des catholiques outragés.

 

Alors vous voyez, on n’a pas le choix. Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire, à l’Encyclopédie, aux grandes lois de la République. Renoncer à enseigner que l’homme descend du singe et pas d’un songe. Renoncer à l’égalité pour les femmes, qui ne sont pas la moitié des hommes, à l’égalité pour les homosexuels, alors que, bizarrement, dans 72 pays au monde, les mêmes ou à peu près que ceux qui ont encore une législation contre le blasphème, l’homosexualité est encore une abomination.

 

On ne peut pas sortir une religion de l’égalité.

 

Ce serait renoncer à l’indomptable liberté humaine pour vivre enchaîné. Ce serait renoncer à ce droit si merveilleux d’emmerder Dieu, monsieur le président. Charlie Hebdo ne peut pas y renoncer, et nous n’y renoncerons jamais, jamais, jamais. C’est ça, Charlie Hebdo. C’est notre droit, il est reconnu par les tribunaux. Et au-delà de nos tribunaux nationaux, par la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme], qui lie des centaines de millions de personnes et ne dit pas autre chose.

 

Mais alors comment on fait pour sortir l’islam de cela ? Il faudrait le sortir du pacte républicain ? Il faudrait dire, non, il n’y a qu’une religion qui devrait avoir un traitement de faveur, qu’on ne pourrait pas caricaturer, et ce serait l’islam ? Ce n’est pas possible. Le combat de Charlie Hebdo, c’est aussi un combat pour la banalisation de l’islam. C’est un combat pour qu’on regarde cette religion comme une autre. Qu’on la traite comme une autre. En faire une exception, c’est évidemment le pire service qu’on pourrait lui rendre. On ne peut pas sortir une religion de l’égalité. Les religions doivent faire l’objet de la satire, et pour reprendre les mots de Salman Rushdie, de « notre manque de respect intrépide ».

 

 

L'écrivain indien Salman Rushdie vit sous la menace depuis 1989 d'une "fatwa" de feu l'ayatollah Khomeiny  pour avoir publié un ouvrage intitulé "Les versets sataniques"  qui se référaient à un passage controversé du Coran. L'homme est devenu célèbre et vit sous protection policière, sans doute jusqu'à la fin de ses jours.

L'écrivain indien Salman Rushdie vit sous la menace depuis 1989 d'une "fatwa" de feu l'ayatollah Khomeiny pour avoir publié un ouvrage intitulé "Les versets sataniques" qui se référaient à un passage controversé du Coran. L'homme est devenu célèbre et vit sous protection policière, sans doute jusqu'à la fin de ses jours.

 

 

 

On nous reproche des caricatures des religions. Mais en réalité, nous n’en avons jamais fait. Ce n’est pas vrai. Toutes les caricatures dont nous avons parlé ici ne sont pas des caricatures de la religion, ce sont des caricatures du fanatisme religieux, de l’irruption de la religion dans le monde politique.

 

Alors j’en viens à l’histoire de Charlie, la personne morale que je représente. En 1960, nous sommes dans la France corsetée du général de Gaulle, Cavanna rencontre Choron, ils décident de créer un journal transgressif pour bousculer les mœurs, un journal essentiellement fait de dessins, c’est Hara-Kiri. Le slogan de ce journal au départ, c’est : « Si tu ne peux pas l’acheter, vole-le. ». Cabu va les rejoindre, puis Gébé, Topor, Wolinski, Reiser. En 1970, c’est l’interdiction.

 

Le 1er novembre, y avait eu un incendie, 146 morts dans une discothèque. Le 9 novembre, le général de Gaulle meurt. Et le 16 novembre, Hara-Kiri titre « Bal tragique à Colombey, un mort ». Ça n’a pas plus du tout au ministre de l’intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, qui ne doit d’ailleurs sa postérité qu’à cela. Interdiction d’Hara-Kiri.

 

 

La "Une" d'Hara Kiri, l'ancêtre de Charlie, publiée à la mort du général de Gaulle, fit l'objet de la censure. La liberté d'expression n'est réelle que si elle peut choquer !

La "Une" d'Hara Kiri, l'ancêtre de Charlie, publiée à la mort du général de Gaulle, fit l'objet de la censure. La liberté d'expression n'est réelle que si elle peut choquer !

 

 

 

A l’époque, il existait un Charlie Mensuel, dirigé par Wolinski, il a été décidé de faire une déclinaison hebdomadaire. C’est-à-dire que le fondement de l’existence de Charlie, c’est là censure de son ancêtre. Et son premier numéro va être consacré à la censure. C’est l’ADN de ce journal.

 

Charlie Hebdo, un symbole !

 

Arrive 1981, la gauche est au pouvoir, ce n’est plus le temps de la transgression, les ventes du journal s’effondrent, Dix ans d’interruption. 1992, sous la houlette de Philippe Val, l’équipe se reforme. Cabu, Wolinski, Gébé, Cavanna et Renaud, le chanteur, décident de relancer Charlie Hebdo, c’est la formule que vous connaissez aujourd’hui. Et je me revois rédigeant les statuts de ce journal – probablement bien mal, j’avais 23 ans. Par une triste ironie de l’histoire, ses créateurs avaient décidé d’appeler la société éditrice de ce journal, la « société Kalachnikov ».

 

Sous la houlette de Philippe Val, ce journal est devenu une pépinière de talents. Mélangeant les anciens et les modernes, Siné, Joann Sfar, Jul, Riad Sattouf, Catherine Meurisse, Fourest, Corcuff, Polac, Cavanna, Gébé, tant d’autres ont passé par là. C’est devenu un journal d’une richesse incroyable. Des crises, des ruptures, des psychodrames, il y en a eu tant que je ne peux pas m’en rappeler. Mais il y a un point sur lequel tout le monde était toujours d’accord : la liberté d’expression, la libre critique des religions, pas des hommes à raison de leur religion, ça, c’est autre chose, ça, c’est du racisme ou de l’antisémitisme. Mais la libre critique des idées, des opinions, des croyances.

 

Et puis, il y a eu l’attentat. Et ce journal continue à faire vivre ce rire, et ce journal continue à vivre. Il vit dans un bunker, mais il vit. Il vit entouré de policiers, mais il vit. Il vit avec des collaborateurs qui ne peuvent plus se déplacer avec leurs époux et leurs enfants, mais il vit. Il vit sous les menaces, il vit avec les disparus et les blessés, il vit avec les milliers de difficultés, il vit grâce à ses lecteurs, il vit grâce à cette merveilleuse banalité du bien, il vit grâce à l’aide de tous ceux, anonymes, qui viennent à son secours tous les jours, il vit aussi grâce à ceux que vous avez vus à votre barre, et qui vivent plus intensément et plus profondément que nous-mêmes.

 

Ils pourraient tous nous tuer, ça ne servirait plus à rien, parce que Charlie est devenu une idée. Et Charlie pourrait disparaître aujourd’hui, cette idée vivrait encore. On ne peut pas tuer une idée, ce n’est pas la peine d’essayer. Charlie Hebdo, vous en avez fait un symbole ! Vous en avez fait une idée ! On ne la tuera plus.

 

Il y a un éveil des consciences 

 

Ce procès a été un formidable accélérateur de l’histoire. Pendant ce procès, il y a un islam républicain qui a grandi dans ce pays, avec de nouvelles voix, et je pense en particulier au recteur de la Mosquée de Paris, qui a été mon adversaire, puisqu’il était avocat en 2006 au moment du procès des caricatures de Mahomet, et qui développe aujourd’hui un discours magnifique et courageux qui lui vaut d’ailleurs à son tour d’être menacé. Il nous dit qu’il faut accepter le droit aux caricatures, et c’est important qu’il le dise.

 

Les discours politiques ne sont plus les mêmes non plus, ils ont évolué. Il y a beaucoup moins d’accusations d’islamophobie. Les choses bougent, il y a un éveil des consciences. Ce procès y aura contribué, et à ce titre-là, il aura été historique.

 

Alors ces trois mois ont été tragiques, difficiles, autant que cela serve. Autant que ce soit pour que nous ne perdions pas nos rêves, pour que nous ne perdions pas nos idéaux, pour que nous ne tournions pas le dos à notre histoire, pour que nous ne soyons pas la génération qui aurait abandonné l’histoire que je vous ai racontée, qui a abandonné ses rêves, ses idéaux, son rêve de liberté et de liberté d’expression. »

 

 

 

 

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1 décembre 2020 2 01 /12 /décembre /2020 10:23

 

 

 

Le gouvernement belge lors de la première vague de la pandémie, au mois de mars 2020 a fermé les commerces dits « non essentiels » jusqu’au mois de juin. Les commerces « essentiels » sont les grandes surfaces alimentaires, les pharmacies, les librairies-marchands de journaux et les… magasins de bricolage et les pépiniéristes. On dit que la Première ministre de l’époque, Madame Sophie Wilmès, est une grande amatrice de jardinage… Les marchés pourtant alimentaires, eux, sont considérés eux comme « non essentiels » et donc interdits !

 

L’Horeca, l’évènementiel, les théâtres et cinémas, les librairies – livres, les coiffeurs : tous fermés ! Des milliers de personnes soit ruinées, soit jetées dans la misère, sans emploi et surtout sans espoir ! Tout cela dès la première vague.

 

Les universités et les écoles fermées, ou ouvertes avec les fameux « gestes barrière », ou encore mises en vidéoconférences. Les élèves et les étudiants et aussi leurs profs s’en sont retrouvés désemparés ! On le serait à moins ! L’année académique 2019-2020 s’est achevée dans un chaos plus ou moins organisé. Bref, on ne l’avouera pas : un fameux gâchis. C’est-à-dire une génération laissée pour compte et cela continue !

 

Une catastrophe humanitaire

 

Et n’oublions pas le secteur hospitalier saturé avec un personnel débordé. Le COVID 19 a tout envahi. Des opérations dites non urgentes ont été reportées, des chimiothérapies retardées, des AVC et des troubles cardiaques plus ou moins soignés et les unités de soins intensifs croulant sous le nombre de personnes contaminées et en grande souffrance, avec un manque flagrant de personnels et d’équipements adéquats. Le résultat de trente années d’austérité dans le secteur des soins de santé. Une catastrophe humanitaire ! Le qualificatif n’est pas exagéré.

 

Et maintenant, nous sommes dans la deuxième vague encore plus dure que la première. Le gouvernement a cependant lâché un peu de lest en permettant tout récemment aux commerces dits « non essentiels » de rouvrir, à l’exception des coiffeurs et des métiers dits de contact (esthéticiennes, masseurs, tatoueurs, etc.). Cette dernière décision est incompréhensible. En quoi, ces professions sont-elles susceptibles de générer des foyers de contamination ?

 

 

 

Le Docteur Nathan Clumeck, un des plus grands spécialistes des maladies infectieuses.

Le Docteur Nathan Clumeck, un des plus grands spécialistes des maladies infectieuses.

 

 

 

Une sommité en matière de maladies infectieuses, le Docteur Nathan Clumeck qui, il y a une trentaine d’années, avait trouvé des thérapies efficaces contre le SIDA, vient de déclarer à la RTBF (Radiotélévision officielle de la partie francophone de la Belgique) au sujet du maintien de la fermeture des métiers de contact : « C'est difficilement compréhensible. Selon une étude américaine, 2 coiffeurs infectés mais portant le masque n'ont contaminé aucun de leurs 150 clients tracés. Avec les protocoles, on peut travailler. »

 

Un ministre inquisiteur

 

Cette décision émane essentiellement du ministre socialiste flamand Frank Vandenbroucke de la Santé publique du nouveau gouvernement fédéral du libéral flamand Alexander De Croo.  

 

Frank Vandenbroucke est un personnage étrange. Aussi austère qu’autoritaire, peu ouvert au dialogue, il ressemble plus à un moine inquisiteur du XVIe siècle qu’à un ministre dans un gouvernement. En tant qu’homme politique, il traîne une batterie de casseroles datant de l’époque où il était l’étoile montante des Socialistes flamands au début des années 2000. Pour se faire oublier, il laissa tomber la politique pour épouser une carrière universitaire en Grande Bretagne et en Belgique. Il prône depuis la conception de « l’Etat social actif » qui revient à prêcher une refondation de la Sécurité sociale dans le cadre d’une économie mondialisée. En clair, tenter d’adapter la Sécu à la société ultralibérale… Et maintenant, il vient de rentrer par la grande porte au gouvernement en décrochant le poste de Vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé.

 

 

 

Frank Vandenbroucke, un ministre autoritaire et sans concessions

Frank Vandenbroucke, un ministre autoritaire et sans concessions

 

 

 

Au début, Vandenbroucke apparut comme un homme de décision, contrairement à sa prédécesseresse, l’ineffable Maggie De Block. Mais très rapidement, son caractère « janséniste » suscita la méfiance. Il s’est montré coutumier des déclarations à l’emporte-pièce et d’un autoritarisme excessif, même si certaines de ses décisions étaient tout à fait adéquates.

 

Mais, patatras ! Le ministre de la Santé vient de franchir le pont trop loin dans une de ses fameuses déclarations. Le comité de concertation gouvernement-experts qui s’est réuni le 27 novembre a décidé comme nous l’avons vu de rouvrir les commerces « non essentiels » au 1er décembre. Vandenbroucke s'est expliqué sur la décision de les fermer fin octobre : « Le risque de contamination dans les magasins est faible mais il fallait prendre une décision choc, à ce moment-là : il fallait créer un électrochoc ! »

 

L’électrochoc a provoqué un court-circuit !

 

L’électrochoc a manifestement provoqué un court-circuit ! C’est un tollé qui va de l’Union des Classes Moyennes jusqu’aux partis d’opposition – du pain bénit pour eux ! – en passant par plusieurs dirigeants de la majorité gouvernementale. Interdire à des dizaines de milliers de travailleurs indépendants comme salariés d’exercer leur métier et de gagner leur vie pour provoquer un « électrochoc » semble être un argument très peu convaincant ! Il n’est en tout cas dicté par aucune conclusion scientifique. Alors, quoi ?

 

Et puis, où est la compassion dans ce genre de froide déclaration ? S’il y a une personne qui n’a pas supporté l’électrochoc, c’est bien la barbière liégeoise Alysson qui a mis fin à ses jours choquant profondément tous les travailleurs indépendants de la région et devenant ainsi le symbole des laissés pour compte du confinement.

 

La tentation totalitaire

 

Au-delà de l’indignation tout à fait légitime suscitée par ces propos, il y a autre chose. Quelque-chose de bien plus important et de beaucoup plus grave : la tentation totalitaire. La stratégie de l’électrochoc ressemble à s’y méprendre à la stratégie du choc dénoncée par la journaliste et autrice canadienne Naomi Klein en 2008. (Voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/article-26135187.html ) On crée ou on profite d’un choc pour imposer sans aucun débat une décision politique, sociale ou économique qui d’ordinaire ne serait pas acceptée. En décrétant unilatéralement la fermeture des commerces, l’objet était donc d’agir avec force. C’est ce qu’a voulu faire Frank Vandenbroucke et il y est arrivé. On n’en parlerait pas s’il s’était abstenu de sa déclaration intempestive. Il persiste et signe par ailleurs en arguant qu’il s’est basé sur des études scientifiques, par ailleurs controversées.

 

 

 

La journaliste et militante canadienne Naomi Klein a admirablement démonté le mécanisme totalitaire dans son livre devenu de référence "La stratégie du choc" (Actes Sud, 2008)

La journaliste et militante canadienne Naomi Klein a admirablement démonté le mécanisme totalitaire dans son livre devenu de référence "La stratégie du choc" (Actes Sud, 2008)

 

 

 

Mais, le ver est dans le fruit. Des personnages comme Vandenbroucke souhaitent imposer leurs décisions en se basant sur un pouvoir fort et il faut bien avouer que c’est ce qu’il se passe depuis le début de la pandémie. Les mesures ont été prises unilatéralement. Les instances dirigeantes ont pris prétexte de l’urgence sanitaire pour les imposer sans en aviser le Parlement qui perd ainsi toute capacité de contrôle de l’exécutif.

 

Nous sommes bien là dans un processus totalitaire.

 

D’ailleurs, derrière cette politique sanitaire totalitaire, il y a d’autres aspects. Ainsi, des juristes se sont penchés sur les atteintes successives aux libertés fondamentales consécutives de la politique sanitaire du gouvernement De Croo et préconisent un nouveau cadre juridique pour que l’on reste dans la légalité.

 

Les apprentis sorciers du droit

 

La « Libre Belgique » du 30 novembre 2020 relate un projet émanant de juristes du Centre de Droit Public de l’ULB – un des meilleurs de Belgique – dirigé par le célèbre avocat et constitutionnaliste Marc Uyttendaele, qui propose l’instauration d’un Etat d’urgence légal en Belgique. Leur motivation :

 

« Personne ne réfute que nous étions, en mars, dans une situation d’urgence, ce qui est moins certain huit mois plus tard. Néanmoins, les mesures instaurées dans le cadre de la gestion de l’urgence et qui limitent nos droits fondamentaux doivent respecter le principe de légalité et ne peuvent pas être disproportionnées sous prétexte que nous sommes en période de crise. La Belgique reste un État de droit », rappelle Saba Parsa, avocate. Pour éviter que des mesures problématiques en droit soient de nouveau instaurées à l’avenir, ces experts proposent que soit élaboré un régime d’exception : celui de l’état d’urgence.

 

 

 

Saba Parsa, avocate et membre du Centre de droit public de l'ULB souhaite donner un cadre légal aux mesures d'exception.

Saba Parsa, avocate et membre du Centre de droit public de l'ULB souhaite donner un cadre légal aux mesures d'exception.

 

 

 

« Ce mécanisme, qui existe dans de nombreux États démocratiques, permet de limiter ce qu’on voit aujourd’hui en Belgique, à savoir des actions politiques qui, en droit, ne sont pas toujours parfaitement balisées », poursuit Saba Parsa. Pour son confrère, Quentin Peiffer, assistant en droit constitutionnel à l’ULB : « D’autres démocraties ont instauré ce régime et cela fonctionne très bien. Le modèle allemand est à observer, et des standards internationaux existent, dont nous pourrions nous inspirer ». Sans doute vise-t-il la France qui vit dans un état d’urgence permanent depuis les attentats de 2015. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer cet état de fait qui est la porte ouverte à de graves abus comme on le vit maintenant avec les violences policières systématiques outre Quiévrain.

Certes, toutes les mesures restrictives de liberté en Belgique ont été prises sans aucun cadre légal. Et le plus surprenant est qu’elles furent imposées sans fortes protestations. La peur de la pandémie a suffi à la population pour accepter et appliquer bon gré mal gré des règles incontestablement totalitaires : restrictions de la liberté de circulation, obligation de porter un masque protecteur, couvre-feu, limitation stricte des réunions de toutes sortes, même funèbres, interdiction de travail pour certaines catégories de population, etc. Jamais, depuis l’occupation de 1940-1944, il n’y eut un tel régime. Certains ont remis en question son utilité, mais la grande majorité s’y est ralliée.

 

C’est cette absence de cadre légal qui justifie la démarche des constitutionnalistes de l’ULB. Mais, ils jouent aux apprentis sorciers en voulant légaliser l’état d’urgence.

 

« Pour Saba Parsa, le couvre-feu est un exemple parmi d’autres de limitation de nos droits fondamentaux. "C’est une restriction à nos libertés, dont la première, celle de pouvoir circuler librement dans la rue. D’autres limitations aux droits fondamentaux dictées dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 ressemblaient à s’y méprendre à de pures et simples suspensions de droits. Or, en Belgique, de telles suspensions ne sont pas autorisées par la Constitution en son article 187, sauf en temps de guerre en application de l’arrêté-loi du 11 octobre 1916. »

 

Un état d’urgence permanent

 

Ces juristes préconisent donc un cadre normatif plus clair, actuellement inexistant. "Ce régime d’exception devrait prévoir qui sera l’autorité compétente : le fédéral ou les entités fédérées, ou même un organe externe représentatif de ces entités ? Il devrait aussi dire comment faire les choses : à quel moment précis doit-on décréter l’état d’urgence ? Dans quelles conditions ? Uniquement en temps de guerre ou dans d’autres circonstances comme les épidémies ou les attaques terroristes, etc. ? Et enfin dire ce que les citoyens peuvent faire et ne pas faire", explique Patricia Minsier. "Il faut donc instaurer l’état d’urgence en Belgique dans l’intérêt de nos droits à tous." »

Cette démarche motivée par l’absence de cadre légal aux restrictions de libertés comporte un danger majeur. Elle tend à légaliser l’état d’urgence qui peut être décrété dans certaines circonstances comme une crise sanitaire, état de guerre, vague terroriste, etc. Et nos juristes vont encore plus loin : ils souhaitent adapter la Constitution qui est « une Constitution de temps de paix » - encore heureux !

 

Une période délimitée ?

 

Et Me Parsa conclut : « Un régime d’exception permettra d’instaurer des mesures exceptionnelles de manière encadrée et pour une période délimitée. Les mesures prises pour assurer la gestion d’une crise ne peuvent perdurer au-delà de l’urgence au risque de porter atteinte gravement aux droits fondamentaux. »

« Une période délimitée » ? C’est là où le bât blesse. Le régime d’exception que nous vivons sera-t-il levé à l’éventuelle fin de la crise sanitaire ? Rien n’est moins sûr, car il faudra en assumer les conséquences : faillites massives de commerces, dans bien des secteurs dont l’Horeca et l’agro-alimentaire, énorme accroissement du chômage et aussi une dette publique abyssale qui entraînera forcément un régime drastique d’austérité, insupportable pour les classes moyennes et populaires. Il sera dès lors impossible, dans ces conditions, de lever les mesures restrictives de liberté. Aussi, si on leur donne un cadre légal, on peut être convaincu qu’elles dureront, car au lieu de les encadrer, on les renforcera.

 

On ne peut toujours pas rentrer dans l’auberge, mais lorsque ce sera possible, on n’est pas près d’en sortir !

 

Pierre Verhas

 

 

 

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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 21:43

 

 

 

À quelques jours d’intervalle, paraissait sur Youtube le film « Hold Up » sensé nous dévoiler les dessous de la crise sanitaire et était annoncée l’arrivée d’un vaccin émanant de l’entreprise transnationale pharmaceutique Pfizer associée pour l’occasion au laboratoire allemand Bio NTech. Ces deux événements ne sont évidemment pas liés, mais ils sont révélateurs de la nature de la crise sanitaire mondiale provoquée par le coronavirus dit Covid 19.

 

« Hold Up » est le symptôme d’une maladie aussi virale que celle du Covid.

 

« Hold Up » n’est pas seulement un film « complotiste » comme le dénoncent les médias mainstream et les milieux officiels. Il est le symptôme d'une maladie aussi virale que celle du Covid 19 : la défiance. Le peuple n’a plus aucune confiance en ses dirigeants et encore moins envers les élites. Pour une raison très simple : la société qu’ils construisent par la destruction de l’ancienne ne lui convient pas. Nous n’arrêtons pas dans ces colonnes de dénoncer l’ultralibéralisme et ses nuisances avec notamment l’élimination de tous les mécanismes de solidarité menant ainsi à l’atomisation. Ce n’est pas le triomphe de l’individualisme, c’est l’isolement de toutes et de tous avec en corollaire la surveillance généralisée. Les lois liberticides qui se mettent en place, notamment en France, mais aussi un peu partout en Europe démontrent que le pouvoir a peur et ne répond que par la violence.

 

 

 

Le logo d'Hold Up. Un documentaire décousu, ultra complotiste, mais où certaines bonnes questions sont posées.

Le logo d'Hold Up. Un documentaire décousu, ultra complotiste, mais où certaines bonnes questions sont posées.

 

 

 

En plus, le complotisme style « Hold Up » est un des meilleurs serviteurs du pouvoir. Son mécanisme permet ainsi d’écarter toute analyse critique même étayée d’autant plus que le pouvoir impose des dogmes ne souffrant aucun doute et aucune objection. Ainsi, il ouvre la voie à ce qu’il appelle le complotisme qui, comme avec « Hold Up », est un salmigondis de faits réels, de contrevérités et d’hypothèses démentielles. Son objectif est en créant la confusion d’attiser la défiance et de permettre ainsi au pouvoir de réagir avec violence.

 

« Hold Up » ? On préférerait regarder « Capitaine Marleau » !

 

Analysons « Hold Up », ce « documentaire » de 2 h 38 min. Il faut avoir du temps et du courage pour se le farcir ! On préférerait regarder « Capitaine Marleau », c’est plus court, plus amusant et plein d’enseignements ! « Hold Up » a l’avantage – laissons-lui au moins cela – de poser des questions auxquelles le pouvoir ne répond pas. C’est la clé de son succès. Des questions entre autres sur la nature et les origines du coronavirus et sur la validité du traitement. Oui, c’est intéressant, mais alors pourquoi comparer avec la mise en place de la 5G ? Bien malin, celui qui expliquera le rapport entre les deux ! Et puis, on ne l’attendait plus celui-là. Le complot mondial intervient avec Attali, Bill Gates et même Rockefeller qui est décédé ! Attali qui se vante de « faire » les présidents de la République française et même de prédire qui sera la présidente qui succèdera à Macron. Bon, on connaît le personnage habitué à ses provocations médiatiques ! Mais, ici encore, rien à voir avec le Covid ! Bill Gates place une partie substantielle de son immense fortune dans les transnationales pharmaceutiques – ce qui est vrai ! Il suffit de lire la presse financière – afin entre autres de produire le vaccin miracle. Mais – et là cela devient délirant ! – il souhaiterait que l’on injecte dans le vaccin des nanoparticules qui auront pour effet de pouvoir espionner les millions de personnes ayant inoculé ledit vaccin ! 

 

 

 

Bill Gates investit dans l'industrie pharmaceutique pour éliminer les virus, alors qu'il ne parvient pas à les éradiquer dans son système Microsoft...

Bill Gates investit dans l'industrie pharmaceutique pour éliminer les virus, alors qu'il ne parvient pas à les éradiquer dans son système Microsoft...

 

 

 

La structure de « Hold Up » est une suite d’interviews de personnages de toutes sortes qui vont du grand scientifique en passant par un ancien ministre de la Santé Philippe Douste Blazy, de médecins, de personnels soignants, de sociologues comme Monique Pinçon Charlot à des personnages douteux poursuivis ou déjà condamnés par les tribunaux. Ce curieux mélange donne le tournis au spectateur. Il faut noter que Douste Blazy et Monique Pinçon-Charlot se sont désolidarisés de cette production, considérant avoir été piégés. Un peu tard : on se renseigne avant de participer à ce genre d’entreprise !

 

L’effet ravageur des déclarations officielles

 

Enfin, comme il est écrit dans l’hebdomadaire « Marianne » du 20 septembre : « C’est d’ailleurs la limite de cette construction délirante : elle élimine de son champs l’élément essentiel, le rôle de la Chine, parce que cela ne rentre pas dans ce scénario qui voit l’Institut Pasteur créer un virus qui pourrait aussi être parti des Etats-Unis pour tuer des millions, voire des milliards de gens. C’est oublier le calendrier implacable qui veut que la Chine camoufle l’ampleur de l’épidémie jusqu’au 15 janvier 2020. (…) Pas un mot de cela dans Hold Up. »

 

L’auteure de l’article, Natacha Polony, fait une remarque aussi pertinente que frappante : « … ce documentaire n’existe que parce que certains points n’ont toujours pas reçu de réponse satisfaisante, et surtout que les pouvoirs publics ont menti. Il s’ouvre ainsi sur des déclarations gouvernementales sur les masques : ravageur. » Notons que si l’on avait rassemblé les déclarations des ministres de la Santé successifs en Belgique, on aurait un effet tout aussi ravageur ! L’ex-ministre Maggie De Block fut championne toute catégorie en la matière.

 

 

 

Maggie De Block, la ministre fédérale de la Santé de l'ancien gouvernement Michel s'est à plusieurs reprises fourré le doigt dans le nez ......

Maggie De Block, la ministre fédérale de la Santé de l'ancien gouvernement Michel s'est à plusieurs reprises fourré le doigt dans le nez ......

 

 

 

Le citoyen est réduit à l’état de sujet.

 

Mais l’ancienne professeur de lycée fait une observation essentielle : « Si tout ce qui questionne les dogmes dominants est qualifié de complotiste, on convainc une part croissante de citoyens que la vérité est ailleurs. » Ajoutons à cela le tweet du philosophe et sociologue Edgar Morin :

 

« Toute contestation d’une affirmation officielle ou d’une croyance répandue peut être désormais considérée comme « complotiste » »

 

Ici, c’est une question de liberté d’expression et/ou de liberté de critique. C’est un point fondamental mis en évidence lors de cette crise sanitaire. Les médias mainstream effectuent un matraquage systématique en répétant en boucle les mêmes informations et les mêmes instructions. S’il est nécessaire de rappeler les gestes dits barrières, il est déplorable d’infantiliser les gens. Le citoyen est réduit à l’état de sujet.

 

 

 

Etienne Klein dans "Le goût du vrai" rappelle ce qu'est la rigueur scientifique seul remède à la folie irrationnelle  et de pensée magique qui déferle aujourd'hui.

Etienne Klein dans "Le goût du vrai" rappelle ce qu'est la rigueur scientifique seul remède à la folie irrationnelle et de pensée magique qui déferle aujourd'hui.

 

 

 

Un autre aspect a été mis en évidence par le philosophe des sciences Etienne Klein dans son « Tract » Gallimard intitulé « Le goût du vrai ». Il évoque plusieurs éléments. Tout d’abord, la question de la science que tout le monde invoque sans bien la connaître.

 

« … lorsqu’on évoque des « vérités de science », il convient d’être précis et prudent dans la façon de les énoncer. Faute de quoi, on ouvre grand la porte à ceux qui ne leur reconnaissent pas ce statut, les traitent par le dédain ou les contestent au nom de leur intuition. »

 

On observe ce type de comportement depuis longtemps et il est exacerbé par la crise sanitaire où tout le monde a un avis sur tout. Une fois de plus, cela est dû au matraquage des médias qui crée des angoisses irrationnelles chez bien des gens.

 

Il faut accepter de prendre le temps.

 

Etienne Klein dénonce un autre danger : « La pandémie du Covid-19 fut un moment particulièrement édifiant. Pendant quelques mois, nous avons vu se propager une forme très vivace de « populisme scientifique » (…). Les discours de ce type se caractérisent par la mise en avant de points de vue intuitifs ou purement subjectifs, à l’argumentation succincte et au ton péremptoire, sur toutes sortes de sujets pourtant fort complexes, en l’occurrence la pharmacologie, la virologie, l’épidémiologie ou la statistique. »

 

Autrement dit, on parle de ce que l’on ne connaît pas, entre autres de la polémique sur le fameux hydroxychloroquine sur lequel, des avis tranchés ont été émis de toutes parts. Comme dit Klein, son efficacité faisait déjà débat. « La recherche demande du temps ! » C’est profondément vrai ; cependant, il ne faut pas exclure du débat les conflits d’intérêts dans le monde médical et prendre en compte le poids du lobby pharmaceutique. À partir du moment où l’on mélange science, politique et business, il est fatal que se déclenche une polémique malsaine. Il faut bien avouer que cela a débuté par les outrances et même les âneries du Dr Raoult – même s’il proféra certaines vérités. Et comme dit Natacha Polony, « … l’unique résultat est qu’on ne saura jamais, à partir d’une étude menée correctement si l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine en début de maladie permet de limiter les effets du Covid-19. » Cependant, si on veut arriver à un résultat, il faut impérativement accepter de prendre le temps nécessaire à effectuer des études scientifiques sérieuses et indépendantes de la politique et des lobbies.

 

Le vaccin en priorité ?

 

Une polémique similaire va-t-elle se dérouler avec l’annonce soudaine d’un vaccin pour le tout début 2021 ? On peut le penser et cela va encore faire perdre du temps, alors qu’il faut prendre le temps nécessaire à la recherche et à mettre en œuvre un programme de tests et de quarantaine efficace !

 

Sur le plan de son efficacité annoncée, plusieurs hommes et femmes de science expriment leur scepticisme. Ainsi, le professeur Herman Goossens microbiologiste à l’Université d’Anvers et coordinateur de la plateforme européenne sur les pandémies prône dans une longue interview au « Soir » du 21 septembre, une politique globale d’investissement dans une plateforme de tests rapides et aussi dans le contact tracing et la quarantaine. Il avertit : « … on ne maîtrise pas une épidémie uniquement en faisant des tests. Il faut ensuite tracer puis isoler les gens. » Et cette quarantaine doit s’accompagner de compensations financières surtout pour les personnes isolées et les plus précarisées. « Tester, ce n’est que la première étape ! Si on ne prend pas de mesures pour soutenir les gens seuls, offrir des compensations financières aux gens qui ont des salaires très bas, car c’est évidemment eux qui vont souffrir le plus, ça ne marchera jamais ! »

 

 

 

Le professeur Herman Goossens, éminent microbiologiste de l'Université d'Anvers, rappelle les fondamentaux en matière de pandémie.

Le professeur Herman Goossens, éminent microbiologiste de l'Université d'Anvers, rappelle les fondamentaux en matière de pandémie.

 

 

 

Quant au vaccin : « Il reste pas mal d’inconnues autour de ce vaccin, comme la durée de son immunité, son impact sur les personnes âgées, les éventuels effets secondaires. Supposons que le vaccin soit in fine moins efficace que prévu, et qu’on n’ait pas investi dans la plateforme sous prétexte qu’il serait bientôt là… Vous viendrez alors nous dire : pourquoi n’avez-vous pas investi dans les labos ? A l’inverse, si le vaccin fonctionne très bien et que dans six mois on peut réorganiser des festivals, vous nous demanderez si on a été fous d’investir autant d’argent dans ces labos. Oui, quoi qu’on fasse, ce ne sera jamais bon. »

 

Le professeur Goossens met en évidence le désarroi des décideurs politiques, financiers, économiques et même scientifiques devant cette pandémie. Et n’oublions pas un autre aspect : la politique ultralibérale à la fois européenne et nationale de désinvestissement massif dans le domaine de la Santé publique et notamment par la fermeture de plusieurs dizaines de milliers de lits d’hôpitaux accompagnée de la suppression d’un nombre considérable d’emplois de personnels soignants et non soignants est une cause majeure de l'aggravation d’une pandémie qui, en définitive, touche relativement peu d’individus par rapport à l’ensemble de la population ! Qu’en serait-il d’une épidémie qui atteindrait une proportion importante de ladite population ?

 

Aujourd’hui que le vaccin est commandé par plusieurs gouvernements dont celui de la Belgique, que va-t-il se passer ? Le gouvernement belge a choisi celui de Pfizer-BioN’Tech. Cela implique au départ un investissement logistique considérable d’autant plus que la volonté est de vacciner plusieurs millions de personnes gratuitement. En effet, il faudra trouver des machines réfrigérantes jusqu’à -70°C, ce qui est pratiquement du jamais vu, du moins en une telle ampleur. Il faudra en plus élaborer toutes les procédures de transport de ce précieux vaccin vers les hôpitaux et les cabinets médicaux qui pourront l’inoculer aux patients qui le désireront.

 

Sans attendre la fin des essais cliniques !

 

Et il n’y a pas que le coût de la logistique, il y a aussi celui du vaccin proprement dit et là, on grimpe jusqu’aux cimes ! D’après le « Canard enchaîné » du mercredi 18 novembre, l’Union européenne a payé un acompte 2,15 milliards d’euros pour financer les contrats pour 1 milliard de doses du vaccin.  « Avec ce paquet d’oseille, les labos ont investi dans des chaînes de production sans attendre la fin des essais cliniques. » !

 

Ajoutons que ces 2,15 milliards de droits ne seront pas déduits du prix de commande. La Commission européenne « espère que cette aide à la production nous permettra d’obtenir un meilleur prix sur les vaccins. » On peut toujours rêver !

 

Les Etats-membres devront passer à la caisse. « Pour les trois ou quatre contrats déjà conclus avec Astra-Zeneca, Pfizer, Janssen et GSK-Sanofi, ils devront payer toutes les doses réservées à partir du moment où l’Agence européenne des médicaments aura attribué une autorisation de mise sur le marché. »

 

Et le Palmipède de poser la question dans son style inimitable :

 

« La Commission européenne le martèle en jouant sur les mots : en cas de « défauts », le labo devra raquer.

 

Autrement dit, si un fabricant a mis de la poudre de perlimpinpin dans son vaccin, il devra payer les dégâts. Mais le risque est faible… La secrétaire d’Etat (française) Agnès Panier-Runacher l’a reconnu, le 16 novembre sur France-Info : « Il y a un cas d’exonération, c’est quand l’état des connaissances scientifiques et technologiques n’a pas permis de déceler la difficulté ».

 

 

En clair si un labo établit qu’il ne pouvait pas prévoir l’effet secondaire avant la mise sur le marché, il n’aura pas à indemniser les éventuelles victimes : la facture reviendra aux Etats-membres… »

 

L’impératif de santé publique est donc largement supplanté par les intérêts financiers. Un tel contrat léonin entre la Commission et les labos pourrait relever de l’escroquerie pure et simple ! Au prix sans doute d’un nombre considérable de victimes.

 

Enfin, une chose est établie en cette affaire : il n’y a pas de « grand complot », mais il y a assurément du big business !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 17:36

 

 

 

La journaliste et militante Gabrielle Lefèvre, spécialiste de la question de l’énorme pouvoir des entreprises transnationales, co-autrice d’un livre « Juger les multinationales » avec Eric David (préface de Jean Ziegler et dédicace de Ken Loach, éd. Mardaga, Bruxelles, 2015), vient de publier dans l’hebdo en ligne « entre les lignes » (http://www.entreleslignes.be/ ) une analyse passionnante et très documentée sur les enjeux actuels de l’économie mondiale. Elle est intitulée : « Forcer les multinationales à « ruisseler » »

 

 

La crise sanitaire a en effet mis en évidence la nécessité vitale d’un changement radical des structures. Les Etats doivent reprendre la main dans les plans de relance prévus entre autres par l’Union européenne « restée vassale des Etats-Unis ». Il est indispensable que nos politiques économiques et sociales, entre autres notre politique de santé, ne soient pas soumises au bon vouloir des entreprises transnationales.

 

 

 

Ainsi, ouvrons une parenthèse : le vaccin anti Covid 19 qu’auraient mis au point la transnationale pharmaceutique Pfizer et le labo BioNTech pour début 2021, fait déjà l’objet de négociations pour le distribuer sur le marché. Les Etats-Unis, bien entendu, en veulent la totalité, certains pays européens sont prêts à le commander, mais devront sélectionner les catégories de patients prioritaires audit vaccin. Il est révélateur que ce genre de démarche puisse se faire avant que des organismes comme l’OMS aient pu en valider son efficacité et son innocuité. Et puis, d’autres laboratoires effectuent des recherches pour ce vaccin, mais ne seront prêtes que quelques mois plus tard. Constatons qu’en l’espèce c’est la démarche commerciale qui l’emporte sur les impératifs de santé publique. Et mon médecin traitant m’a dit récemment : « Comment peuvent-ils si vite mettre au point un vaccin alors qu’on ne connaît pas encore la nature exacte du virus ? ». Il est vrai qu’il n’est qu’un petit généraliste local qui a pourtant sauvé pas mal de vies dans sa carrière…

 

 

Parenthèse fermée. Revenons à nos moutons. Comment financer ces nouvelles politiques de relance qui ne sont pour le moment qu’à l’état de vœux pieux ? Le parlementaire européen français Pierre Larouturrou a entamé une grève de la faim pour que dans le budget européen quinquennal actuellement en débat, figure un poste de recettes TTF (Taxe sur les Transactions Financières). Cependant, il a peu de chances d’obtenir gain de cause comme l’explique Gabrielle Lefèvre. Néanmoins, il y a urgence : en vingt ans, les dividendes distribués par les entreprises du CAC 40 ont augmenté de 265 %, soit quatre fois plus vite que leur chiffre d’affaire et dix fois plus vite que leur effectif mondial et leurs avoirs se trouvent dans les paradis fiscaux. On le sait et ni l’Union européenne, ni les gouvernements ne définissent une politique réelle et efficace de lutte contre la grande fraude fiscale et la criminalité financière. Tout récemment, le juge d’instruction bruxellois Michel Claise spécialiste de la question a déclaré : « Les paragraphes consacrés à la lutte contre la fraude fiscale dans la nouvelle déclaration gouvernementale sont d’une vacuité ridicule ! » Pourtant des politiques de financement des plans de relance sont possibles dès à présent. Gabrielle Lefèvre les décrit ci-dessous.

 

 

Elle ajoute qu’il est aussi possible de « mettre au pas les multinationales ». Elle donne même l’exemple de la Suisse – paradis fiscal par essence – où semble frémir un changement fondamental de politique à l’égard des entreprises transnationales avec l’initiative « Multinationales responsables ».

 

 

 

C’est donc sur une note d’espoir que Gabrielle Lefèvre conclut son très intéressant article.

 

 

Et pourquoi pas ? A suivre donc, car il est plus que temps !

 

 

Pierre Verhas

 

 

Nous remercions Gabrielle Lefèvre de nous avoir autorisé à reproduire intégralement son article.

 

 

 

 

 

Forcer les multinationales à « ruisseler »

 

ZOOMS CURIEUX par Gabrielle Lefèvre, le 12 novembre 2020

 

 

On connaît cette légende de l’économie : aidons les entreprises riches et les bénéfices vont « ruisseler » dans la société comme de multiples vaisseaux irrigant les champs. Cela c’est la théorie libérale devenue néolibérale avec la mondialisation et la financiarisation de l’économie. Et l’on a bien vu que les entreprises sont devenues très grandes, très riches et que presque rien n’a ruisselé dans les poches des travailleurs. Au contraire, les comptes cachés des multinationales et des riches actionnaires ont fleuri un peu partout dans le monde et sont devenus obèses d‘une manière plus qu’indécente : honteuse. De plus, les entreprises du monde réel, extractives, de transformation, de production ont imposé un système de production digne de l’exploitation du 19ème siècle ou même de l’esclavage de l’antiquité. Allez demander aux enfants creuseurs dans les mines d’or ou de coltan ce qu’ils en pensent et à ceux qui cueillent les fèves de cacao qui deviendront notre chocolat de riches gourmands…

 

Deux visions du monde

 

Les détails et les explications historiques vous seront très bien donnés par Bruno Colmant, financier, fiscaliste, économiste et surtout bon professeur dans son livre « Hypercapitalisme. Le coup d’éclat permanent ». Bruno Colmant est loin d’être un gauchiste contestant le système à tout va. Pas de recette de révolution prochaine, plutôt une adaptation du capitalisme. Mais une analyse qui éclaire très bien ces questions, les nuances de la crise économique, sociale et même culturelle que nous vivons actuellement. Crise exacerbée par une pandémie qui met à plat quantité de nos certitudes.  Il nous explique comment les conceptions économiques genre « America first » ont été imposées progressivement par les Etats-Unis dès la fin de la deuxième guerre mondiale, au moment où nos Etats mettaient sur pied un système d’Etat providence, de sécurité sociale basée sur la solidarité. Deux visions du monde, deux philosophies de l’organisation de la vie en commun, du travail et du profit, deux visions économiques antagonistes se sont affrontées tout au long de la constitution d’une Union Européenne restée vassale des Etats-Unis.

 

 

 

Le banquier, professeur et académicien Bruno Colmant a une analyse très opposée au néolibéralisme des enjeux de l'économie mondiale.

Le banquier, professeur et académicien Bruno Colmant a une analyse très opposée au néolibéralisme des enjeux de l'économie mondiale.

 

Les cartes devront être redistribuées sur la table du jeu mondial.

 

Aujourd’hui, avec les plans de relance européens, avec le green new deal, avec la mobilisation européenne pour une politique de santé qui ne soit pas soumise aux intérêts des multinationales pharmaceutiques fabricant nos vaccins, les cartes devront être redistribuées sur la table du jeu mondial. Mais il faudra aussi et avant tout, explique Bruno Colmant, revoir notre politique de monnaie unique, l’euro et rééquilibrer cette politique avec celle de l’emploi et de la croissance. Il faut donc une politique économique qui, par le biais de l’endettement public, permette aux Etats de financer des infrastructures (climat, mobilité douce et partagée, énergies, etc.) Pour cela, il faut que tous acceptent une nouvelle politique monétaire et budgétaire. Pour cela, il faut que les Etats redeviennent « stratèges ».

 

Chercher l’argent caché

 

 

En attendant, comment financer nos politiques de crise actuelle ? L’eurodéputé Pierre Larrouturou, élu français (Nouvelle Donne), affilié au groupe social-démocrate des S&D, a décidé de pratiquer une méthode ancienne : la grève de la faim. De cette manière spectaculaire, il veut convaincre les décideurs qu’il y a de l’argent suffisant dans le monde pour nous permettre de créer une nouvelle économie : une « vraie taxe sur les transactions financières (TTF), qui rapporterait 57 milliards d’euros par an et permettrait de rembourser le plan de relance européen [de 750 milliards d’euros], tout en finançant la santé et le climat ».

 

 

 

Le député européen "Nouvelle Donne" Pierre Larrouturou (au centre devant les bâtiments de la Commission européenne à Bruxelles), membre du groupe social-démocrate mène une grève de la faim pour que la TTF soit inscrite au budget de l'Union européenne pour financer la Santé et la lutte contre le réchauffement climatique.

Le député européen "Nouvelle Donne" Pierre Larrouturou (au centre devant les bâtiments de la Commission européenne à Bruxelles), membre du groupe social-démocrate mène une grève de la faim pour que la TTF soit inscrite au budget de l'Union européenne pour financer la Santé et la lutte contre le réchauffement climatique.

 

 

 

L’eurodéputé est très pressé car il a entamé cette grève de la faim alors des membres de son propre groupe négociaient cette TTF. Le 10 novembre, le Conseil et le Parlement européen ont trouvé un accord sur le budget. Ils y prévoient en effet une TTF peu définie et que ne serait introduite qu’en 2026 ! Pierre Larrouturou devra sans doute entamer d’autres grèves de la faim mais pas nécessairement au Parlement européen car « La bataille du périmètre de la TTF se jouera dans les capitales européennes, car en matière fiscale, le Parlement européen ne peut malheureusement que donner son avis », rappelle Philippe Lamberts, président du groupe Les Verts au Parlement européen, qui défend lui aussi une TTF ambitieuse. (2)

 

 

 

Le député européen Philippe Lamberts, chef du groupe des Verts est un chaud partisan de la TTF.

Le député européen Philippe Lamberts, chef du groupe des Verts est un chaud partisan de la TTF.

 

 

 

Pourtant, il y a urgence. L’argent des multinationales ruisselle dans les poches des actionnaires : « En 20 ans, les #dividendes des entreprises du CAC40 ont augmenté de 265%, presque quatre fois plus vite que leur chiffre d’affaires et dix fois plus vite que leur effectif mondial. Leur effectif en France a baissé dans le même temps de 12%, et elles restent très présentes dans les paradis fiscaux. » Voilà ce qu’on peut lire dans le chapitre 6 du #vraibilanducac40 publié par l’Observatoire des multinationales en partenariat avec Attac France. Ces chiffres inédits montrent comment le CAC40, abreuvé d’aides publiques à l’occasion de la crise sanitaire, apporte de moins en moins à l’économie française.

 

 

Portons ce phénomène au niveau mondial et l’on peut imaginer le nombre de milliards qui devraient ruisseler dans les escarcelles des Etats leur permettant de financer les politiques publiques destinées à redresser les économies réelles et surtout dans les zones les plus paupérisées.

 

Pas besoin d’attendre 2026 et, enfin, une politique européenne en la matière : lisez ici Le « modèle Preston », ou comment une ville peut reprendre la main sur son économie, ses emplois et son bien-être

 

 

Une longue et passionnante illustration de ce qui pourrait se faire un peu partout en Europe, aux Etats Unis et partout dans le monde, pourquoi pas. En bref, est-il écrit, il s’agit « d’une nouvelle manière d’organiser les dépenses publiques urbaines, qui puisse protéger une ville moyenne comme Preston (141 000 habitants) de l’extraction de richesses locales par des multinationales privées, tout en imposant de nouvelles normes environnementales et sociales pour toutes les entreprises souhaitant bénéficier de contrats publics. Les marchés publics, sujet en apparence ennuyeux et technocratique, sont un enjeu éminemment politique ».

 

Voilà qui pourrait inspirer nos gestionnaires publics que sont les Régions wallonne et bruxelloise où fleurissent quantité de coopératives et d’initiatives nouvelles redynamisant notre économie locale et ouvrant la voie vers cet « autre monde possible », celui d’après qui ne doit plus du tout ressembler à celui d’avant.

 

Suisse : multinationales responsables ?

 

 

Mettre au pas les multinationales est déjà possible. Il y a eu les actions judiciaires diverses qui donnent parfois d’excellent résultats.  Ainsi, en France, la Cour de cassation a rejeté, mercredi 21 octobre, le pourvoi formé par Monsanto, filiale du groupe allemand Bayer, ce qui rend définitive sa condamnation dans le dossier l’opposant à l’agriculteur Paul François, intoxiqué après avoir inhalé des vapeurs de l’herbicide Lasso. Ce fut un long chemin de croix vécu par cette victime de Monsanto mais la mobilisation associative a été grande. Et puis, la France s’était déjà en 2017 dotée d’une loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Force est de constater qu’on ne doit pas trop compter sur leur bonne volonté éthique ! L’évaluation de l’Observatoire des Multinationales est cinglante : « Plusieurs entreprises importantes, dont Lactalis, Crédit agricole, Zara et H&M, ont tout simplement dédaigné de publier un plan de vigilance, en dépit de l’obligation légale. La plupart se sont contentées d’exposer les risques liés à l’environnement et aux droits humains pour l’entreprise elle-même - par exemple le risque réputationnel - en « oubliant » les risques pour les travailleurs, les riverains ou les milieux naturels, alors que c’était pourtant le propos explicite de la loi. Toutes se sont cantonnées à un exercice purement formel, listant les engagements, les programmes et les mesures de « responsabilité sociétale » accumulés au fil du temps, sans plus de détail. » (3)

 

Ceci est un avertissement pour les Suisses qui le 29 novembre prochain voteront

 

« L’initiative sur la « responsabilisation des multinationales » basées en Suisse et agissant aussi à l’étranger, dans les domaines des droits de l’Homme et de l’Environnement ».

 

Le texte soumis au vote demande l’ajout d’un paragraphe à la Constitution helvétique prévoyant qu’une loi d’application sur la mise en place d’un devoir de diligence raisonnable et des responsabilités juridiques des multinationales devra être votée. (4)

 

L’aventure date d’avril 2015 et elle a été lancée par une coalition formée d’ONG, des églises protestante et catholique, des partis de gauche et du centre. Ainsi a été lancée cette initiative « Multinationales responsables » qui devrait avoir pour conséquence que les entreprises n’assumant pas leurs responsabilités, puissent être interpellées devant les tribunaux suisses.

 

On avance. Lentement mais tout de même vers un peu de progrès social et sociétal : le monde de demain s’ébauche. Aux décideurs politiques d’enfin décider.

 

 

Gabrielle Lefèvre

 

1. Bruno Colmant. « Hypercapitalisme. Le coup d’éclat permanent », Renaissance du Livre, 2020.

2. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/a-bruxelles-l-etrange-greve-de-la-faim-de-pierre-larrouturou_6059400_3210.html

 

3. https://multinationales.org/Devoir-de-vigilance-les-multinationales-francaises-pas-a-la-hauteur

 

4. https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis462t.html

 

 

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11 novembre 2020 3 11 /11 /novembre /2020 18:00

 

 

 

C’est curieux qu’un militant de gauche radicale, syndicaliste jusqu’au bout des ongles, FGTB et proche de la CGT, parle de cet anniversaire. C’est curieux qu’un soixante-huitard repenti évoque celui qui lui apparut en ce temps comme le mal à écraser. C’est curieux qu’un Européen « convaincu » lui rende hommage. Et pourtant ! La vie et l’expérience acquise font évoluer l’esprit.

 

Charles De Gaulle, tout d’abord, est une légende vivante. Il nous interpelle chaque jour quasi en tous les domaines. Il est la légende du combat, de l’homme isolé qui eut la force d’allumer en une France meurtrie et contrainte à la collaboration par une classe politique déliquescente, ce qu’il a appelé « la flamme de la Résistance ». Résistance face au pire ennemi de la société libre.

 

 

 

Charles De Gaulle se révéla à l'occasion de son fameux appel à la Résistance prononcé à l'antenne de la BBC à Londres le 18 juin 1940.

Charles De Gaulle se révéla à l'occasion de son fameux appel à la Résistance prononcé à l'antenne de la BBC à Londres le 18 juin 1940.

 

 

 

Il est celui qui a permis à son pays juste après la Libération d’effectuer les réformes indispensables à construire une société juste. Une ordonnance du 4 octobre 1945 relative au régime de Sécurité sociale est adoptée. L’auteur en est le ministre communiste Ambroise Croizat. Cette ordonnance émane du programme du Conseil national de la Résistance voulu par De Gaulle et dont le fondateur fut Jean Moulin.  Ensuite, après que De Gaulle ait quitté le gouvernement, c’est le même Ambroise Croizat qui peaufina le régime général de la Sécurité sociale.

 

Les paradoxes De Gaulle

 

Il y a un mystère De Gaulle. Il est issu de la bourgeoisie catholique rurale, il a été un militaire formé à la traditionnelle, héros de la Première guerre mondiale, adhérant par après au nationalisme maurassien sans s’engager politiquement, il fut un proche collaborateur du « héros » de la « Grande Guerre », Philippe Pétain. Mais il fut toute sa vie un homme de rupture. Grâce à cela, il eut l’intelligence de comprendre que les équilibres étaient rompus et que la France se déliterait en suivant la voie de ce qu’il appela à juste titre le déshonneur. Il avait en effet prévu ce qui s’est passé et préconisé une réforme stratégique donnant la priorité aux armes blindées. Il ne fut pas entendu.

 

 

 

Charles De Gaulle et Philippe Pétain : deux visions opposées de l'histoire et de l'humanité qui marquèrent l'histoire de France.

Charles De Gaulle et Philippe Pétain : deux visions opposées de l'histoire et de l'humanité qui marquèrent l'histoire de France.

 

 

 

Il y a un paradoxe De Gaulle. Au fond, ce sont ses ennemis qui l’ont ramené au pouvoir en 1958. Les Français d’Algérie ne l’aimaient pas et une grande partie d’entre eux avaient été pétainistes et le restaient. L’armée était divisée et bon nombre d’officiers généraux le détestaient. Cependant, en fin politique, il fit en sorte d’être le seul recours. Dès son investiture, le général œuvra à la fin de la guerre. En dépit des violentes contestations, il maintint la ligne qu’il s’était fixée : donner l’indépendance aux Algériens. Cela se passa dans la violence ; par après, il a failli lui-même payer de sa vie sa détermination, mais il finit par avoir gain de cause. Mais cela ne put se faire sans drames : les pieds noirs chassés et mal reçus en France et les Harkis, ces Algériens qui avaient opté pour la France et qui ont été marginalisés.

 

 

 

Le fameux "Je vous ai compris !" clamé à Alger le 4 juin 1958 cachait sa volonté de donner l'indépendance aux Algériens.

Le fameux "Je vous ai compris !" clamé à Alger le 4 juin 1958 cachait sa volonté de donner l'indépendance aux Algériens.

 

 

Il y a une explication : De Gaulle fut le premier homme d’Etat européen à envisager la décolonisation. Le 30 janvier 1944, il prononça à Brazzaville un discours où il évoqua ce qu’il appela plus tard l’autodétermination en ces termes :

 

« Nous croyons que, pour ce qui concerne la vie du monde de demain, l'autarcie ne serait, pour personne, ni souhaitable, ni même possible. Nous croyons, en particulier, qu'au point de vue du développement des ressources et des grandes communications, le continent africain doit constituer, dans une large mesure, un tout. Mais, en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi. »

 

 

 

Personne n'a pris au sérieux la volonté de décolonisation exprimée par De Gaulle à Brazzaville en 1944.

Personne n'a pris au sérieux la volonté de décolonisation exprimée par De Gaulle à Brazzaville en 1944.

 

 

 

Le reste coule de source.

 

Sur le plan de la construction européenne que ses amis politiques avaient freiné des quatre fers avant qu’il ne revienne aux affaires ; dès qu’il eut le pouvoir en 1958, De Gaulle aurait pu sans difficulté rejeter le Traité de Rome de 1957 dont il était loin d’approuver la philosophie et les termes. Il procéda autrement sans passer par les institutions européennes : il œuvra à la réconciliation de la France et de l’Allemagne. Le général était féru d’histoire : les trois dernières grandes guerres européennes – la guerre franco-prussienne de 1870-71, la Première et la Seconde guerres mondiales – opposèrent au premier chef l’Allemagne à la France. Il fallait mettre un terme à ce cycle infernal. Le Traité franco-allemand fut la première réalisation transnationale au sein de la Communauté européenne en associant les deux plus grands pays de la Communauté européenne de l’époque. Il s’opposait à l’idée d’une Europe fédérale où l’Etat-nation transférerait une partie de sa souveraineté à une entité supranationale. De Gaulle s’opposait surtout à la Commission européenne, car elle est un organe supranational. Il souhaitait une Europe intergouvernementale. Ce fut la proposition de Comité Fouchet du nom d’un ministre du gouvernement gaulliste. Le projet du Comité fut présenté le 2 novembre 1961. Celui-ci proposait la création d'une union politique dans laquelle les chefs d’État et de gouvernement des États membres prendraient des décisions en matière de politique étrangère et de sécurité et coopéreraient dans les domaines culturel, scientifique, démocratique, des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Selon ce plan, le Conseil devait se réunir tous les quatre mois ou dès lors qu'un État membre demanderait sa réunion. Enfin, les décisions seraient prises à l'unanimité (avec l'abstention possible d'un ou deux États, mais dans ce cas, la décision ne les contraindrait pas). Un second projet fut publié le 18 janvier 1962. Ce projet incluait les aspects économiques de l'intégration européenne dans le projet d'union politique intergouvernementale. Il fut rejeté par quatre Etats membres de l’Europe des Six – les pays du Benelux et l’Italie.

 

 

Le 20 janvier 1962, les cinq partenaires de la France dévoilèrent un projet de traité qui disposait que le Conseil serait formé des représentants des États membres, que les décisions seraient adoptées à l'unanimité, que la question de l'unanimité pourrait être levée dans certains cas, que le Conseil n'empièterait pas sur les compétences des Communautés et qu'une « union d’États et des peuples européens » devaient être créées (le plan Fouchet parlait simplement d'« Union d’États »). La situation était bloquée.

 

 

 

Le chancelier de la RFA Konrad Adenauer et Charles De Gaulle se congratulent au terme de l'accord franco-allemand. Premier engagement concret pour préserver la paix en Europe.

Le chancelier de la RFA Konrad Adenauer et Charles De Gaulle se congratulent au terme de l'accord franco-allemand. Premier engagement concret pour préserver la paix en Europe.

 

En juillet 1969, le ministre français des Affaires étrangères Maurice Schumann proposa qu'une conférence des chefs d’État et gouvernement soit organisée afin de discuter de l'approfondissement et de l'élargissement des Communautés. Opposition également du Benelux.

 

Son refus sans appel de l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne fait entendre ses échos aujourd’hui avec ce colossal échec qu’on appelle le Brexit. Bien des « Européens convaincus » se sont aperçus un peu tard que le gouvernement britannique freinait des quatre fers toute évolution des institutions européennes vers une entité politique supranationale. Ils œuvrèrent au contraire pour en faire une zone de libre échange régentée par la Commission sous le contrôle du Conseil européen, c’est-à-dire des chefs d’Etats et de gouvernements des Etats-membres. Ce n’est qu’en 1972, c’est-à-dire deux ans après la mort du général, que la situation fut débloquée. Avec l’accord du successeur de De Gaulle, Georges Pompidou, l’élargissement de la CEE à la Grande Bretagne, à l’Irlande et au Danemark fut réalisé.

 

 

Il fut aussi un véritable chef d’Etat non-aligné. De Gaulle parcourut le monde pour prôner l’autodétermination et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Son discours de Phnom-Penh prononcé au stade de cette ville devant 100 000 personnes le 1er septembre 1966 en pleine guerre du Vietnam eut un immense retentissement.

 

 

Le discours de De Gaulle à Phnom Penh le 1er septembre 1966 marque son attachement à être non aligné sur les deux grandes puissances de l'époque.

Le discours de De Gaulle à Phnom Penh le 1er septembre 1966 marque son attachement à être non aligné sur les deux grandes puissances de l'époque.

 

 

 

« Mais comme ces combats n'engageaient ni son honneur, ni son indépendance, et qu'à l'époque où nous sommes, ils ne pouvaient conduire à rien, qu'à des pertes, des haines, des destructions sans cesse accrues, la France a voulu et a su s'en sortir. Sans que, bien au contraire, en aient souffert son prestige, sa puissance et sa prospérité. Eh bien, la France considère que les combats qui ravagent l'Indochine, n'apportent par eux-mêmes et eux non plus, aucune issue, suivant elle, s'il est invraisemblable que l'appareil guerrier américain puisse jamais être anéanti sur place, d'autre part, il n'y aucune chance pour que les peuples de l'Asie se soumettent à la loi d'un étranger venu de l'autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions, et quelle que soit la puissance de ses armes. Bref, si longue et dure que doive être encore l'épreuve, il est certain qu'aux yeux de la France qu'elle n'aura pas de solution militaire. Dès lors et à moins que le monde ne roule vers la catastrophe, seul un règlement politique pourrait rétablir la paix. Comme les conditions de ce règlement sont bien claires et bien connues, on peut encore espérer. »

 

En Europe, il sortit l’armée française de la structure militaire de l’OTAN tout en ne renonçant pas au Traité de l’Alliance atlantique. Encore un paradoxe :le général respectait les termes des traités qui avaient été signés avant 1958 tout en n’approuvant pas leurs objectifs.

 

Dès 1966, De Gaulle s’inquiéta du regain de tension au Proche Orient. La France entretenait des relations privilégiées avec l’Etat d’Israël depuis sa fondation en 1948. Il invita le Premier ministre David Ben Gourion et fondateur de cet Etat. Il lui enjoignit de ne pas attaquer le premier, l’Egypte de Nasser ayant chassé les troupes de l’ONU stationnées à la frontière et représentant une menace. En dépit de cet avertissement, les Israéliens dirigés par un autre Premier ministre ont lancé une offensive combinée contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie qu’ils emportèrent haut la main. Cela provoqua un déséquilibre au Proche Orient qui ne pouvait que générer d’interminables conflits. C’était ce que De Gaulle redoutait.

 

 

Peu après, le général fut accusé d’antisémitisme lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967 au cours de laquelle il fit une analyse sans concession de la situation au Proche Orient consécutive à la guerre israélo-arabe de juin 1967, guerre dite des « Six jours ». Il évoqua le peuple juif en le qualifiant de « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». Cette parole lui valut un tollé et eut pour conséquence d’affaiblir la position d’arbitre du conflit que De Gaulle ambitionnait pour la France. Pourtant, le président du Congrès juif mondial de l’époque, Nahum Goldmann, déclara que connaissant l’esprit du général, sa qualification du peuple juif était flatteuse ! Et c’est probablement vrai.

 

En outre, et cela a été révélé bien après par François Hollande, le général a refusé à Ben Gourion d'aider Israël à fabriquer de l'uranium enrichi à la centrale nucléaire israélienne de Dimona au centre du désert de Neguev.

 

 

 

Charles De Gaulle et David Ben Gourion s'admiraient mais n'étaient d'accord sur rien !

Charles De Gaulle et David Ben Gourion s'admiraient mais n'étaient d'accord sur rien !

 

 

 

Autre paradoxe : De Gaulle, le catholique traditionnel, accepta la libéralisation de la pilule contraceptive. Un de ses plus fidèles compagnons qui œuvra d’Alger à son retour au pouvoir en 1958, Lucien Neuwirth, parvint à convaincre au terme d’un long entretien, le général à accepter sa proposition de loi. Sans doute perçut-il que l’affaire était « pliée ».

 

Mai 68 fit chanceler le Général, mais il ne tomba pas.

 

Et puis éclata mai 1968.

 

Ah ! mai 1968 ! La révolution des enfants gâtés. Le gâchis d’idées généreuses par une bande de jeunes bourgeois travestis en Che Guevara de pacotille ! Cette « révolution » qui s’inspirait des révoltes dans les campus étatsuniens contre la guerre du Vietnam et aussi des soulèvements des jeunes dans les pays de l’Est européen et même des émeutes à l’Université belge de Louvain qui s’est scindée entre flamands et francophones, avait d’abord pour objectif la liberté sexuelle dans les cités universitaires parisiennes. Elle était dirigée par une bande de rejetons de la haute bourgeoisie parisienne, à l’exception d’un seul, un vrai révolutionnaire, Jacques Sauvageot (voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2017/10/mort-d-un-camarade.html ). Comme l’a écrit feu Robert Falony : « Mai 68 en France fut aussi un échec hormis dans le domaine des mœurs ». Tous les slogans anticapitalistes, les drapeaux rouges brandis à tous les coins de rue, les portraits de Mao et du Che, les interminables discours contre la société de consommation et les écrits « anticapitalistes » n’étaient que du vent. En peu d’années tous ces prétendus révolutionnaires sont passés du col Mao au Rotary comme l’a écrit Guy Hocquenghem dans un petit ouvrage retentissant en 1986. Quelques-uns sont visés et non des moindres, Daniel Cohn Bendit, Serge July, Jack Lang, BHL, André Glucksmann, Marguerite Duras, Yves Montand, Bernard Kouchner et bien d’autres. Tous très vite convertis au pur néolibéralisme, s’il en était besoin.

 

Outre la « révolte » étudiante, ce fut surtout la grève générale menée par la CGT qui paralysa la France. C'est en définitive la classe ouvrière qui fit bouger les choses. De Gaulle l'a très vite compris et bien des historiens ne l'ont toujours pas appréhendé.

 

 

 

 

Un des slogans du Mai 68 parisien : typique revendication hédoniste bourgeoise, mais qui a fait chanceler le pouvoir.

Un des slogans du Mai 68 parisien : typique revendication hédoniste bourgeoise, mais qui a fait chanceler le pouvoir.

 

 

 

Il est inutile de revenir sur les épisodes de la crise de mai 68. Une fois de plus, De Gaulle s’en est sorti à la fois affaibli et renforcé. Affaibli parce qu’il représentait un pouvoir déclinant, renforcé parce qu’il a réussi avec les astuces dont il avait le secret, à redresser la situation et mettre fin à un chaos incontrôlable aussi bien par le pouvoir que par ses opposants. On connaît la suite : élections législatives que les gaullistes emportèrent haut la main, un nouveau gouvernement composé de ses fidèles et de… Giscard d’Estaing. Le général tenta à nouveau un coup de poker – le dernier et il en était conscient – : mettre en œuvre un vaste programme de réformes qui comprenait la participation des travailleurs dans les entreprises, la régionalisation et la réforme du Sénat. Ce programme, hormis la participation pour des raisons juridiques, devait être soumis au peuple français par référendum. Il ne se faisait aucune illusion. Il savait que le peuple français ne l’approuverait pas et cela constituait pour lui la porte de sortie par le haut.

 

Le « réel le plus réel »

 

Mais comme l’a écrit François Mauriac qui fut très proche de De Gaulle :

 

« J’avais tort de comparer De Gaulle à Cassandre. Il ne prophétise pas. Ce qu’il interprète, c’est le réel le plus réel. »

 

Dans un de ses derniers discours, les vœux du Président au peuple français le 31 décembre 1968, le général analysa les raisons profondes du mouvement de mai 68.

 

« A l’origine de ces troubles, il y a le sentiment attristant et irritant qu’éprouvent les hommes d’à présent d’être saisis et entraînés par un engrenage économique et social sur lequel ils n’ont point de prise et qui fait d’eux des instruments. »

 

Arnaud Teyssier écrit dans « Le Figaro » du 9 novembre 2020, 50e anniversaire de la mort du général :

 

« … « le réel le plus réel » pour De Gaulle dans les années qui précèdent son départ du pouvoir, c’est le futur qu’il entrevoit pour nos sociétés. Il pressent des révolutions technologiques, déjà en germe, qui bouleverseront les conditions du travail et celle des travailleurs, dans un monde où l’antagonisme entre le capitalisme et le communisme est appelé à disparaître un jour, laissant le capitalisme seul face à ses contradictions. Il a compris que l’extraordinaire cohésion sociale et territoriale française, qu’il a contribué à renforcer, reste fragile. C’est tout le sens de la dernière grande révolution qu’il veut accomplir en 1969 : créer un lien direct entre l’Etat et les forces vives de la société à travers une réforme territoriale de grande ampleur ; et préparer la participation dans l’entreprise, qui n’est pas, comme on le croit trop souvent, un concept vague et creux, mais l’annonce d’une rénovation profonde des structures du capitalisme, destinée à corriger, selon sa propre expression, son « infirmité morale ». »

 

Une électrice ou un électeur de gauche, à l’époque, aurait très bien pu intégrer ce programme. La gauche française, comme à son habitude, a encore manqué une occasion en ne votant pas « oui » au référendum de 1969. Le « non » de Giscard était lui bien plus cohérent, puisque le général voulait éviter la terrible dérive néolibérale qui s’annonçait.

 

De Gaulle un criminel ?

 

Une dernière question. L’homme d’Etat De Gaulle est-il responsable de crimes ? Oui, indirectement. Le 8 mai 1945, l’armée française se livra à un massacre de civils à Sétif en Algérie. Le général qui était à la tête du gouvernement ne prononça aucune sanction. De même après le 17 octobre 1961, une manifestation du FLN à Paris dégénéra en massacre. La police du Préfet Papon – qui collabora aux rafles à Bordeaux en juillet 1942 – réprima cette démonstration avec une férocité sans égale. Résultat : entre 30 et 50 morts et un nombre considérable de blessés. Enfin, il y a l’affaire Ben Barka du nom d’un leader marocain de gauche opposé au régime d’Hassan II qui a été livré par des « barbouzes » français au général marocain Oufkir qui le fit assassiner.

 

 

 

La manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 : ici des Algériens capturés à Puteaux. Ils ont eu plus de chance que leurs compatriotes écrasés contre la grille du métro ou noyés dans la Seine.

La manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 : ici des Algériens capturés à Puteaux. Ils ont eu plus de chance que leurs compatriotes écrasés contre la grille du métro ou noyés dans la Seine.

 

 

 

Il est indéniable que ces crimes ont entaché le parcours du chef de la France libre. Cependant, il ne les a ni inspirés, ni suscités. Il a en quelque sorte « couvert » les auteurs de ces exactions. Voulut-il éviter de générer des troubles en agissant ainsi, ou les approuva-t-il secrètement ? Nul ne le saura jamais.

 

Une dernière réflexion : Charles De Gaulle n’a jamais déclenché de guerre ni ordonné d’expéditions militaires de représailles, contrairement à certains de ses successeurs. Certes, il y eut en 1961 l’affaire de Bizerte qui abritait la principale base aéronavale française en Méditerranée. À la suite d’un malentendu entre De Gaulle et Bourguiba, se déroulèrent des affrontements meurtriers entre soldats français et militaires et civils tunisiens.

 

Sa politique de défense était une politique de prévention. Il refusait la dangereuse polarisation Est-Ouest que les Etatsuniens rétablisse de nos jours, et mit au point pour la France ce qu’il appela la défense « tous azimuts ». S’il a doté la France de l’arme nucléaire, ce n’était pas pour viser un ennemi spécifique, car il pensait qu’il n’y en avait pas. Homme réaliste, il savait cependant que la détention de l’arme suprême était le seul moyen de faire respecter la France dans ses rapports avec les Puissances et ainsi de tenter de sortir du carcan de Yalta.

 

Cinquante ans après

 

Il est rare que cinquante années après sa disparition, un homme d’Etat fasse encore débat. C’est sans doute le lot des grands hommes, comme on dit, mais c’est surtout parce qu’il était un « révolutionnaire conservateur » comme George Orwell fut un « anarchiste conservateur ». Tous deux appartiennent à une espèce très rare, celle qui fait réfléchir pas mal de monde dans les chaumières des décennies après leur mort ; un peu moins sous les lambris du Pouvoir ou dans les Chancelleries. Pourtant, c’est là où la réflexion est indispensable.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Post-scriptum  

 

 

Exit Marc Metdepenningen

 

Disparu le 8 novembre 2020 à l’âge de 62 ans, assassiné par le « Crabe », Marc Metdepenningen, chroniqueur judiciaire au quotidien francophone bruxellois « Le Soir » fut un grand journaliste, un homme libre et de qualité et un joyeux compagnon.

 

 

 

Disparu trop tôt. Marc Metdepenningen a dit bien des choses et il avait encore beaucoup à dire.

Disparu trop tôt. Marc Metdepenningen a dit bien des choses et il avait encore beaucoup à dire.

 

 

 

Je ne peux que me joindre à l’hommage rendu sur les réseaux sociaux par Madame Claire Pahaut, historienne et membre du Groupe Mémoire :

 

« Marc était un homme bon, sensible, attentif, épris de justice, fidèle en amitié, si amoureux des siens et d'une érudition particulière. J'ai pu suivre, avec lui, bien des dossiers, à coloration "droits humains" évidemment. N'est-ce pas Marc. Tes enfants et toi, vous étiez un exemple des bons rouages, actionnés à l'huile de la tendresse. Tu es parti si tôt, Marc. »

 

Marc Metdepenningen était un vrai journaliste et un grand esprit critique. Il couvrit la fameuse affaire Dutroux qui a ébranlé la Belgique pendant les années 1990. Il fut un des seuls à ne pas adhérer à la thèse des réseaux de pédophiles. Il parvint à démonter la légende d’une autrice qui a écrit un livre où elle se prétendait juive et avoir parcouru avec ses enfants l’Europe entière pour échapper aux Allemands. C’était une imposture.

 

Passionné par l’histoire judiciaire, il a écrit un ouvrage intitulé « Crimes et châtiments » paru en octobre 2019. Marc Metdepenningen conte, dans ce livre, 25 histoires qui ont marqué l’histoire judiciaire belge et nourri la réflexion parlementaire et sociétale en Belgique. De l’histoire du dernier décapité de Belgique au meurtre mené par le commissaire Alexandre Courtois, en passant par les « feux de la Saint-Genois », le journaliste du Soir retrace à l’aide d’archives ces faits divers qui ont également marqué la vie politique belge.

 

Marc était profondément attaché aux droits fondamentaux qu’il savait menacés et redoutait la montée de l’extrême-droite.

 

J’ai fait sa connaissance il y a cinq ans environ et si nous nous sommes  rencontrés peu de fois, nous avons correspondu très régulièrement sur divers sujets et nous plaisantions aussi sur les réseaux sociaux.

 

Oui, comme dit Claire Pahaut, il est parti si tôt.

 

P.V.

 

Monument aux orphelins de guerre

 

Josy Dubié effectue sans doute, ces temps-ci, un tour en France avec son mobil-home. Il s’est arrêté dans un petit village de la Creuse appelé Gentioux. Il y a découvert un monument non pas aux morts au combat, qu’on a appelé « héros » bien malgré eux, mais aux orphelins de guerre. Les « autorités » de l l'époque avaient refusé d’assister à l’inauguration de ce monument « défaitiste » Il était même ordonné aux soldats qui passaient devant ce mémorial de détourner la tête !  

 

 

 

Josy Dubié devant le Monument aux orphelins de la « Grande Guerre » érigé dans le village de Gentious dans la Creuse.

Josy Dubié devant le Monument aux orphelins de la « Grande Guerre » érigé dans le village de Gentious dans la Creuse.

 

 

 

Anatole France a écrit : « Ainsi, ceux qui moururent dans cette guerre ne surent pas pourquoi ils mouraient. Il en est de même dans toutes les guerres. On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l'heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. » (Texte paru dans « l’Humanité » en juillet 1922 – cité par Jean Pestiaux).

Josy Dubié, grand reporter et correspondant de guerre qui a roulé sa bosse et transporté sa caméra pour la RTBF dans tous les coins « tranquilles » du monde, sait de quoi il parle ! Il ajoute : « C'est émouvant et révoltant de lire le nombre impressionnant de malheureux massacrés dans ce petit village. Tout près de là sur le monument, 4 fois le nom Troicon, d’après leur âge sans doute le père et trois de ses enfants. Horrible boucherie ! »

 

 

Les monuments racontent l’histoire, la vraie, celle vécue par des femmes et des hommes qui sont entraînés malgré eux dans un maelström incontrôlable. On le sait, on l’a montré, on l’a dit et cela continue !

 

 

P.V.

 

 

 

 

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3 novembre 2020 2 03 /11 /novembre /2020 21:39

 

 

 

L’ère Trump s’achève ou se relance, nous le saurons dans quelques dizaines d’heures. Les sondages donnent Trump perdant, une large part de l’opinion publique – particulièrement les Afro-américains, les classes moyennes supérieures, la haute société et sans doute une large partie des laissés pour compte dont on ne parle jamais – souhaite que leur fantasque président dégage une fois pour toutes. Mais il bénéficie encore de larges et influents appuis dans les classes populaires blanches et peut-être latinos. Wait and see.

 

Cependant, le challenger démocrate de Donald Trump, Joe Biden, ancien vice-président de Barack Obama, ne vaut guère mieux même s’il adopte un style nettement plus « civilisé ». Il traîne de sérieuses « casseroles » et surtout n’est manifestement pas l’homme apte à présider à l’indispensable changement de cap que doit prendre l’Empire américain décadent.

 

 

 

Joe Biden versus Donald Trump : Charybde ou Scylla ?

Joe Biden versus Donald Trump : Charybde ou Scylla ?

 

 

 

Cette situation ne doit cependant pas nous réjouir. Les Etats-Unis affaiblis constituent un danger majeur pour son peuple et pour le reste du monde et aussi pour la pérennité de nos principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité, c’est-à-dire de solidarité.

 

Deux grands journalistes étatsuniens expriment leur opinion et aussi leur déception. Il s’agit de Glenn Greenwald et de Chris Hedge. Le site « Le Grand Soir.info » avec lequel « Uranopole » est en correspondance, vient de publier leurs contributions.

 

Glenn Greenwald né le 6 mars 1967 a d’abord été un brillant juriste américain spécialisé en droit constitutionnel, puis est passé au journalisme. Il travaillait pour l’édition américaine du journal britannique « The Guardian ». Il est connu pour avoir publié en 2013 les révélations sur les programmes d’espionnage et de surveillance générale fournies par l’informaticien de la NSA (le service de renseignement intérieur des Etats-Unis) Edward Snowden, lors de leur première rencontre à Hong Kong où il s’était réfugié. (Voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/article-la-fin-de-la-vie-privee-vous-ne-saviez-pas-118950062.html ) Glenn Greenwald a connu quelques difficultés avec son employeur, le « Guardian ». Il a même été accusé de cybercriminalité. Aussi, décida-t-il, afin de préserver son indépendance de journaliste, de fonder en 2014 avec deux autres rédacteurs un journal en ligne, The Intercept, dans le but de préserver son indépendance journalistique. Il dut s’associer pour financer son projet avec une société First Look Media. Voulant révéler un scandale concernant le fils de Joe Biden, ses associés ont décidé de censurer son article. Aussitôt, il a démissionné de The Intercept, le 30 octobre 2020.

 

Le rôle néfaste de la presse « mainstream »

 

Greenwald s’en explique. Il dénonce le rôle néfaste de ce qu’on appelle la presse « mainstream ».

 

 

 

Glenn Greenwald explique les raisons de sa démission du journal Intercept qu'il a fondé.

Glenn Greenwald explique les raisons de sa démission du journal Intercept qu'il a fondé.

 

 

 

« Les mêmes tendances à la répression, à la censure et à l’homogénéité idéologique qui frappent la presse nationale en général, ont englouti l’organe de presse que j’ai cofondé, avec pour point culminant la censure de mes propres articles.

 

 

Aujourd’hui, j’ai fait part de mon intention de démissionner de The Intercept, le média que j’ai cofondé en 2013 avec Jeremy Scahill et Laura Poitras, ainsi que de sa société mère First Look Media.

 

 

La dernière cause, déterminante, est que les rédacteurs de The Intercept, en violation de mon droit contractuel à la liberté éditoriale, ont censuré un article que j’ai écrit cette semaine, refusant de le publier à moins que je ne supprime toutes les sections critiques à l’égard du candidat démocrate à la présidence Joe Biden, le candidat soutenu avec véhémence par tous les rédacteurs de The Intercept basés à New-York qui participent à cet effort de censure.

 

L’article censuré, basé sur des courriels et des témoignages récemment révélés, a soulevé des questions critiques sur la conduite de Biden. Non contents de simplement empêcher la publication de cet article dans le média que j’ai cofondé, ces rédacteurs d’Intercept ont également exigé que je m’abstienne d’exercer un droit contractuel distinct de publier cet article dans toute autre publication. »

 

Plus loin, Greenwald précise :

 

« Mais la censure brutale de mon article de cette semaine - sur les documents de Hunter Biden et la conduite de Joe Biden concernant l’Ukraine et la Chine, ainsi que ma critique de la tentative de suppression des révélations par les médias, dans une union profondément impie avec la Silicon Valley et la "communauté du renseignement" - a érodé la dernière justification à laquelle je pouvais m’accrocher pour rester. Cela signifie que non seulement ce média n’offre pas la liberté éditoriale aux autres journalistes, comme je l’avais si idéalement envisagé il y a sept ans, mais qu’il ne l’offre même plus à moi maintenant. À l’approche d’une élection présidentielle, je suis en quelque sorte réduit au silence pour exprimer des opinions que des rédacteurs en chef de New York, choisis au hasard, trouvent désagréables, et je dois maintenant d’une manière ou d’une autre adapter mes écrits et mes reportages pour répondre à leurs désirs partisans et à leur empressement à élire des candidats précis.

 

Dire qu’une telle censure est une ligne rouge pour moi, une situation que je n’accepterais jamais quel qu’en soit le coût, est un euphémisme. Il est étonnant pour moi, mais aussi révélateur de notre discours actuel et de notre environnement médiatique peu libéral, que j’aie été réduit au silence par mon propre média au sujet de Joe Biden. »

 

Et le grand journaliste américano-brésilien conclut citant la note d’un groupe de travail consacré à l’indépendance journalistique auquel il a participé :

 

« Les médias américains sont pris dans une guerre culturelle polarisée qui oblige le journalisme à se conformer à des récits tribaux et de pensée de groupe qui sont souvent coupés de la vérité et qui répondent à des perspectives qui ne reflètent pas le grand public mais plutôt une minorité d’élites hyper-partisanes. La nécessité de se conformer à des récits culturels et des identités partisanes artificiels et très restrictifs a créé un environnement répressif et peu libéral dans lequel de vastes pans d’informations et de reportages ne sont pas diffusés ou sont présentés à travers la lentille la plus déformée et la plus éloignée de la réalité.

 

La quasi-totalité des grandes institutions médiatiques étant capturées dans une certaine mesure par cette dynamique, il existe un besoin profond de médias libres qui franchissent les frontières de cette guerre des cultures polarisée et répondent à la demande d’un public affamé de médias qui ne joueraient pas pour un camp mais qui poursuivraient plutôt des lignes de reportage, de réflexion et d’enquête où qu’elles mènent, sans craindre de violer les piétés culturelles ou les orthodoxies de l’élite. »

 

Le triomphe de la « pensée unique »

 

Ainsi, cette affaire met en évidence deux éléments fondamentaux : le journaliste doit se conformer à une sorte de pensée unique et à un seul modèle culturel. Et pourtant, Joe Biden, s’il est élu, ne pourra échapper à ce scandale qui sera immanquablement révélé par ses adversaires au grand public, sans compter ses curieuses relations avec la Chine et l’Ukraine. Il connaîtra donc une présidence affaiblie, au même titre que son adversaire s’il l’emporte malgré tout.

 

La liberté de la presse est menacée et quel que soit le nouveau locataire de la Maison Blanche, la plus grande puissance du monde connaît un déclin inéluctable. C’est ce que démontre Chris Hedge dans une longue contribution dont nous donnons ici quelques extraits.

 

 

 

Chris Hedge grand journaliste au New York Times exprime sa profonde inquiétude.

Chris Hedge grand journaliste au New York Times exprime sa profonde inquiétude.

 

 

 

Les Etats-Unis sont l’ombre d’eux-mêmes.

 

Chris Hedge est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été pendant quinze ans correspondant à l’étranger pour le New York Times, où il a occupé les fonctions de chef du bureau du Moyen-Orient et de chef du bureau des Balkans pour le journal. Auparavant, il a travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l’animateur de l’émission On Contact de RT America, nominée pour un Emmy Award

 

« Les États-Unis sont l’ombre d’eux-mêmes. Ils dilapident leurs ressources dans un aventurisme militaire futile, symptôme de tous les empires en déclin qui tentent de restaurer par la force une hégémonie perdue. Le Vietnam. L’Afghanistan. L’Irak. Syrie. La Libye. Des dizaines de millions de vies brisées. Des États en faillite. Des fanatiques enragés. Il y a 1,8 milliard de musulmans dans le monde, soit 24 % de la population mondiale, et nous les avons pratiquement tous transformés en ennemis.

 

Nous accumulons des déficits massifs et négligeons nos infrastructures de base, notamment les réseaux électriques, les routes, les ponts et les transports publics, pour dépenser plus pour notre armée que toutes les autres grandes puissances sur Terre réunies. Nous sommes le plus grand producteur et exportateur d’armes et de munitions au monde. Les vertus que nous prétendons avoir le droit d’imposer par la force aux autres - droits de l’homme, démocratie, libre marché, État de droit et libertés individuelles - sont bafouées chez nous, où des niveaux grotesques d’inégalité sociale et des programmes d’austérité ont appauvri la plupart des citoyens, détruit les institutions démocratiques, y compris le Congrès, les tribunaux et la presse, et créé des forces militarisées d’occupation interne qui exercent une surveillance générale du public, gèrent le plus grand système carcéral du monde et abattent impunément des citoyens désarmés dans les rues. »

 

Quant au bilan social et à celui de la santé physique comme mentale, c’est la catastrophe.

 

« La danse macabre est déjà en cours. Des centaines de milliers d’Américains meurent chaque année d’abus d’opiacés, d’alcoolisme et de suicide, ce que les sociologues appellent des morts de désespoir. Ce désespoir alimente des taux élevés d’obésité morbide, environ 40 % de la population, des addictions au jeu, la « pornification » de la société avec l’omniprésence d’images de sadisme sexuel ainsi que la prolifération de milices armées de droite et des fusillades de masse nihilistes. Plus le désespoir augmente, plus ces actes d’auto-immolation se multiplient. »

 

La droite s’arme avec l’encouragement du président sortant ! La guerre civile menace. Mais, aura-t-elle vraiment lieu ? Il pourrait éventuellement se produire de sanglants affrontements incontrôlables. Et puis, il ne faut pas oublier le danger évangélique aussi redoutable que le danger islamiste en Europe.

 

« Ceux qui sont accablés par le désespoir recherchent un salut magique, qu’il s’agisse de sectes en crise, comme la droite chrétienne, ou de démagogues comme Trump, ou de milices enragées qui voient la violence comme un agent de nettoyage. Tant qu’on laissera ces sombres pathologies s’envenimer et se développer - et le Parti démocrate a clairement indiqué qu’il ne promulguera pas le genre de réformes sociales radicales qui permettront de freiner ces pathologies - les États-Unis poursuivront leur marche vers la désintégration et le bouleversement social. La défaite de Trump de n’arrêtera ni ne ralentira la chute. »

 

 

Le terrible échec de la santé publique

 

Enfin, il y a le terrible problème de la santé publique négligée depuis longtemps aux USA. L’Obamacare ayant échoué suite à l’opposition farouche de la classe des milliardaires qui soutient Donald Trump.

 

« On estime à 300 000 le nombre d’Américains qui seront morts de la pandémie en décembre, chiffre qui devrait passer à 400 000 en janvier. Le sous-emploi et le chômage chroniques, proches de 20 % lorsque ceux qui ont cessé de chercher du travail, ceux qui sont mis à pied sans perspective d’être réembauchés et ceux qui travaillent à temps partiel mais restent en dessous du seuil de pauvreté, sont inclus dans les statistiques officielles au lieu d’être magiquement effacés des listes de chômeurs. Notre système de soins de santé privatisé, qui réalise des bénéfices records pendant la pandémie, n’est pas conçu pour faire face à une urgence de santé publique. Il est conçu pour maximiser les profits de ses propriétaires. Il y a moins d’un million de lits d’hôpitaux dans le pays, résultat de la tendance à la fusion et à la fermeture d’hôpitaux qui dure depuis des décennies et qui a réduit l’accès aux soins dans les communautés à travers le pays. Des villes comme Milwaukee ont été contraintes d’ériger des hôpitaux de campagne. Dans des États comme le Mississippi, il n’y a plus de lits en soins d’urgence disponibles. Le service de santé à but lucratif n’a pas stocké les respirateurs, les masques, les tests ou les médicaments pour faire face à la COVID-19. Pourquoi devrait-il le faire ? Ce n’est pas une façon d’augmenter les recettes. Et il n’y a pas de différence substantielle entre la réponse de Trump et celle de Biden à la crise sanitaire, où 1 000 personnes meurent chaque jour.

 

Quarante-huit pour cent des travailleurs de première ligne n’ont toujours pas droit aux indemnités de maladie. Quelque 43 millions d’Américains ont perdu leur assurance maladie financée par leur employeur. Il y a dix mille faillites par jour, dont peut être deux tiers sont liées à des coûts médicaux exorbitants. Les banques alimentaires sont submergées par des dizaines de milliers de familles désespérées. Environ 10 à 14 millions de ménages locataires, soit 23 à 34 millions de personnes, étaient en retard sur leur loyer en septembre. Cela représente entre 12 et 17 milliards de dollars de loyers impayés. Et ce chiffre devrait passer à 34 milliards de dollars de loyers impayés en janvier. La levée du moratoire sur les expulsions et les saisies signifie que des millions de familles, dont beaucoup sont sans ressources, seront jetées à la rue. La faim dans les ménages américains a presque triplé entre 2019 et août de cette année, selon le Bureau du recensement et le ministère de l’agriculture. La proportion d’enfants américains qui n’ont pas assez à manger, selon l’étude, est 14 fois plus élevée que l’année dernière. Une étude de l’Université de Columbia a révélé que depuis le mois de mai, huit millions d’Américains supplémentaires peuvent être considérés comme pauvres. Entre-temps, les 50 Américains les plus riches détiennent autant de richesses que la moitié des États-Unis. Les Millenniaux, soit quelque 72 millions de personnes, détiennent 4,6 % de la richesse américaine. »

 

 

 

L'Empire State Building ou Rockfeller centre à New York non loin du Trump building : symbole de l'immense richesse de la classe supérieure US.

L'Empire State Building ou Rockfeller centre à New York non loin du Trump building : symbole de l'immense richesse de la classe supérieure US.

La Trump Tower à New York, symbole d'une nouvele richesse arrogante

La Trump Tower à New York, symbole d'une nouvele richesse arrogante

 

 

 

 

Tout cela pour un seul pouvoir : celui des grandes entreprises transnationales, celles qui font les présidents US. Ce n’est pas au sein du peuple américain qu’il faut faire les sondages , mais dans les conseils d’administration des GAFA et des consortiums énergétiques.

 

« Une seule chose compte pour l’État corporatif. Ce n’est pas la démocratie. Ce n’est pas la vérité. Ce n’est pas le consentement des gouvernés. Ce n’est pas l’inégalité des revenus. Ce n’est pas l’État de surveillance. Ce n’est pas une guerre sans fin. Ce n’est pas l’emploi. Ce n’est pas la crise climatique. C’est la primauté du pouvoir des entreprises - qui a tué notre démocratie, nous a enlevé nos libertés civiles les plus fondamentales et a laissé la plus grande partie de la classe ouvrière dans la misère - et l’augmentation et la consolidation de sa richesse et de son pouvoir. »

 

 

Trump et Biden : des personnages répugnants !

 

 

« Trump et Biden sont des personnages répugnants, qui sombrent dans la vieillesse avec des défaillances cognitives et sans noyau moral. Trump est-il plus dangereux que Biden ? Oui. Trump est-il inepte et plus malhonnête ? Oui. Trump est-il une menace pour la société ouverte ? Oui. Biden est-il la solution ? Non. »

 

Les Etats-Unis sont-ils une démocratie ? Non !

 

« En Amérique, nous n’avons le droit de voter que contre ce que nous détestons. Les médias partisans dressent un groupe contre un autre, une version grand public de ce que George Orwell a appelé dans son roman 1984 les ’Deux minutes de la haine’. Nos opinions et nos préjugés sont habilement pris en compte et renforcés, à l’aide d’une analyse numérique détaillée de nos tendances et de nos habitudes, puis nous sont revendus. Le résultat, comme l’écrit Matt Taibbi, est ’une colère emballée et faite sur mesure pour vous’. Le public est incapable de s’exprimer au-delà de la fracture fabriquée. La politique, sous cet assaut, s’est atrophiée en une vulgaire émission de téléréalité centrée sur des personnalités politiques fabriquées. Le discours civique a été empoisonné par les invectives et les mensonges. Le pouvoir, pendant ce temps, n’est pas scruté et n’est pas contesté.

 

La couverture politique est calquée, comme le souligne Taibbi, sur la couverture sportive. Les décors ressemblent à ceux du compte à rebours d’un match de foot le dimanche. Le présentateur est sur le côté. Il y a quatre commentateurs, deux pour chaque équipe. Des graphiques nous tiennent au courant du score. Les identités politiques sont réduites à des stéréotypes facilement digestibles. Les tactiques, la stratégie, l’image, les décomptes mensuels des contributions aux campagnes et les sondages sont examinés à l’infini, tandis que les véritables questions politiques sont ignorées. C’est le langage et l’imagerie de la guerre. »

 

Alors ! Biden ou Trump, que choisir ?

 

« Biden a été l’un des principaux architectes des guerres au Moyen-Orient, où nous avons dilapidé plus de 7 mille milliards de dollars et détruit ou mis fin à la vie de millions de personnes. Il est responsable de bien plus de souffrances et de morts, dans son pays et à l’étranger, que Trump. Si nous avions un système judiciaire et législatif qui fonctionne, Biden, ainsi que les autres architectes de nos guerres impériales désastreuses, du pillage du pays par les entreprises et de la trahison de la classe ouvrière américaine, seraient traduits en justice, et non proposés comme solution à notre débâcle politique et économique. »

 

Sans compter les « casseroles qu’il traîne ! Quant à Trump :

 

« Trump a rempli son vide idéologique avec le fascisme chrétien. Il a élevé des membres de la droite chrétienne à des postes importants, notamment Mike Pence à la vice-présidence, Mike Pompeo au poste de secrétaire d’État, Betsy DeVos au poste de secrétaire à l’éducation, Ben Carson au poste de secrétaire au logement et au développement urbain, William Barr au poste de procureur général, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh à la Cour suprême et la télévangéliste Paula White à son initiative ’Foi et opportunités’. Plus important encore, M. Trump a donné à la droite chrétienne le droit de veto et le pouvoir de nomination sur les postes clés du gouvernement, en particulier dans les tribunaux fédéraux. Il a installé 133 juges de cour de district sur un total de 677, 50 juges de cour d’appel sur un total de 179, et deux juges de la Cour suprême des États-Unis, et avec la nomination d’Amy Coney Barrett, probablement trois, sur neuf. Cela représente dix-neuf pour cent des juges fédéraux de première instance actuellement en fonction. La quasi-totalité des extrémistes qui composent les juges nommés ont été jugés « non qualifiés » par l’American Bar Association, la plus grande coalition non partisane d’avocats du pays.»

 

Le fascisme chrétien

 

« Trump a adopté l’islamophobie des fascistes chrétiens. Il a interdit l’immigration musulmane et réduit la législation sur les droits civils. Il a fait la guerre aux droits reproductifs en limitant l’avortement et en défiscalisant le Planned Parenthood [Planning Familial]. Il a supprimé les droits des LGBTQ. Il a abattu le mur de séparation entre l’Église et l’État en révoquant l’amendement Johnson, qui interdit aux églises, qui sont exonérées d’impôts, de soutenir des candidats politiques. Les personnes qu’il a nommées, dont Pence, Pompeo et DeVos, dans l’ensemble du gouvernement, utilisent couramment des références bibliques pour justifier toute une série de décisions politiques, notamment la déréglementation environnementale, la guerre, les réductions d’impôts et le remplacement des écoles publiques par des écoles à charte, une mesure qui permet le transfert de fonds fédéraux pour l’éducation vers des écoles privées ’chrétiennes’. (…)

 

 

 

 

Donald Trump s'appuie sur les évangélques étatsuniens de plus en plus puissants et influents. Ils représentent un danger sans doute bien plus sérieux que les islamistes en Europe.

Donald Trump s'appuie sur les évangélques étatsuniens de plus en plus puissants et influents. Ils représentent un danger sans doute bien plus sérieux que les islamistes en Europe.

 

 

 

« L’héritage de Trump sera, je le crains, la montée des fascistes chrétiens. Ce sont eux qui viennent ensuite. Noam Chomsky, pour cette raison, a raison lorsqu’il avertit que Pence est plus dangereux que Trump. Depuis des décennies, les fascistes chrétiens s’organisent pour prendre le pouvoir. Ils ont construit des infrastructures et des organisations, y compris des groupes de pression, des écoles, des collèges et des facultés de droit ainsi que des plateformes médiatiques, pour se préparer. Ils ont semé leurs cadres dans des positions de pouvoir. Nous, à gauche, avons vu nos institutions et nos organisations détruites ou corrompues par le pouvoir des entreprises et avons été séduits par l’activisme de façade des politiques identitaires. FRC Action, l’organe législatif affilié au Family Research Council, donne déjà à 245 membres du Congrès un taux d’approbation de 100 % pour avoir soutenu une législation qui est soutenue par la droite chrétienne. »

 

Nous connaîtrons en principe le résultat des élections présidentielles US dans quelques dizaines d’heures. En définitive, il importe peu. La crise profonde de la société étatsunienne qui déteint aussi sur nos sociétés européennes est loin d’être résolue. Nous allons sans doute connaître ce qu’Antonio Gramsci prédisait il y a pratiquement un siècle :

 

« Le malheur a habituellement deux effets : souvent il éteint toute affection envers les malheureux, et, non moins souvent, il éteint chez les malheureux toute affection envers les autres. Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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25 octobre 2020 7 25 /10 /octobre /2020 14:11

 

 

 

La deuxième vague de coronavirus provoque à nouveau un bouleversement de la société, cette fois avec encore plus de cafouillage que la première. Cependant, on s’aperçoit enfin que ces mesures prises dans la panique manifeste des autorités ont des conséquences particulièrement néfastes sur le plan social. On n’en avait peu parlé pendant la « première vague », aujourd’hui, c’est flagrant.

 

La population la plus précaire est la plus durement frappée par la pandémie.

 

Comme l’écrit Ludovic Lamant dans le numéro de « Mediapart » du 23 octobre 2020 : « Alors que l’Europe décide dans le désordre des mesures de reconfinement plus ou moins total – couvre-feux en France, en Belgique ou en Italie, bouclages de métropoles en Espagne, déplacements limités à cinq kilomètres en Irlande, autres restrictions sur les déplacements en République tchèque… –, la deuxième vague de l’épidémie de coronavirus risque de renforcer un peu plus les fractures sociales qui traversent le continent. » En effet, la Covid 19 ne frappe pas de manière égale partout. On observe que ce sont comme par hasard les régions et les communes les plus pauvres qui sont touchées.

 

 

 

La tragédie de la Covid - 19 : les vieux et les pauvres sont les plus atteints.

La tragédie de la Covid - 19 : les vieux et les pauvres sont les plus atteints.

 

 

 

« Nos analyses révèlent un lien fort et systématique entre la mortalité causée par l’épidémie et le niveau de pauvreté des communes : les communes dont le revenu médian est inférieur au premier quartile (25 %) de la distribution nationale des revenus ont connu une surmortalité deux fois plus importante que les autres communes. (…) … si la mortalité a nettement augmenté pour tous les types de communes dans les départements fortement infectés (…), cette augmentation est bien plus marquée dans les communes les plus pauvres (…) ; par contraste, la mortalité n’a que très légèrement augmenté en avril 2020 dans les départements peu infectés (en haut) et ce, de manière uniforme entre communes riches et pauvres. (…) Plus précisément, nos analyses montrent que la mortalité a augmenté de 88 % dans les communes les plus pauvres des départements infectés, contre 50 % pour les autres communes de ces départements. L’effet de l’épidémie sur la mortalité est donc quasiment deux fois plus important dans les communes les plus pauvres. »

 

Cette analyse provient d’une étude de post doctorants de l’école d’économie de Paris datant du 5 septembre 2020. (https://legrandcontinent.eu/fr/2020/09/05/une-pandemie-de-la-pauvrete/?mc_cid=e5e846f257&mc_eid=9d9d57a1aa ) Le constat est sans appel : c’est la population la plus précaire qui est la plus durement frappée par la pandémie.

 

Un constat sur le terrain a été effectué par le journal « De Morgen » à Liège rapporté par le PTB (Parti du Travail de Belgique – gauche radicale). En effet, la Médecine pur le Peuple à Herstal est proche de ce parti. Ce reportage est intéressant et révélateur, car il démontre l’attitude du patronat à l’égard des travailleurs confrontés comme tout un chacun au Covid. D’autre part, il met en évidence l’inégalité flagrante devant la pandémie :

 

 

 

La détresse dans les hôpitaux surchargés accroît celle des plus précaires !

La détresse dans les hôpitaux surchargés accroît celle des plus précaires !

 

 

 

« Un grand nombre de personnes issues des milieux précaires obtiennent un résultat positif. »

 

« Liège est au centre de la deuxième vague : aussi les journaux font des reportages de terrain. Dont le quotidien De Morgen qui s'est rendu notamment à Médecine pour le Peuple à Herstal. Extraits :

 

"Afin de mieux comprendre les lieux où les gens sont infectés, Médecine pour le peuple, dans tous ses cabinets, lance une étude de suivi de contacts, explique le psychologue Maxime Coopmans. "Nous appelons les patients tests positifs et leur demandons systématiquement où ils ont été. Le travail ? Le café ? L'école ? Les transports publics ?"

 

Ce qui est frappant, dit Amandine Linotte, coordinatrice de la maison médicale, c'est qu'un grand nombre de personnes issues de milieux précaires obtiennent un résultat positif.  "Ce sont des gens qui vivent dans des maisons plus petites, où il n'est souvent pas possible d'aller en quarantaine."

 

Coopmans fait référence à la grève de début septembre chez AB Inbev à Jupille, où la bière Jupiler est brassée. Lorsque onze des quatre-vingts travailleurs du département logistique ont été victimes d'une infection corona, le reste du personnel a dû insister pour obtenir du matériel de protection et des tests. Après quelques pressions, la direction a cédé, à condition que les tests soient effectués par vagues afin de ne pas compromettre la production.

 

"Nous avons commencé à prélever des échantillons sur une centaine de personnes", explique l'infirmière à Médecine pour le Peuple Lise Jamagne. "L'atmosphère était plutôt intimidante : pendant l'échantillonnage, nous avons reçu des appels téléphoniques de la direction pour demander où se trouvait le personnel. Comme les travailleurs n'ont même pas obtenu leurs résultats après avoir insisté, ils ont entamé une grève de deux semaines.

 

 

Les pauvres coupables par définition !

 

 

"Ce qui me met en colère, c'est que toute la faute est rejetée sur les gens" dit Amandine Linotte. "Depuis sept mois, tout le monde fait tout son possible pour épargner les personnes âgées, occuper les enfants et télétravailler. Dans les établissements de soins, le personnel a dû exiger de travailler avec des masques, des bénévoles ont appelé des personnes qui étaient seules à la maison. Aujourd'hui, ces travailleurs sont montrés du doigt et les nouveaux foyers sont de leur faute, tandis que le gouvernement est négligent. Il n'y a personne dans le cockpit et les mesures manquent de clarté."

 

Jamagne fait un signe de tête. "Après minuit, vous ne pouvez pas sortir pour laisser sortir votre chien, mais en attendant, les bus sont bondés. Qui d'autre peut comprendre cela ? »

 

Ces constats de ces travailleurs soignants de terrain montrent bien que la cause principale de la pandémie se trouve dans les conditions de précarité des classes pauvres.

 

Pandémie et lutte des classes

 

Quelles en sont les causes ?

L’étude « une pandémie de la pauvreté » montre :

 

« Nos analyses révèlent que le surpeuplement des logements comme l’exposition au virus via le marché du travail jouent un rôle déterminant dans la diffusion de l’épidémie et ont un effet important sur la surmortalité liée au COVID-19. Une augmentation de 1 point de pourcentage (pp) de la part des logements surpeuplés est associée à une augmentation de 5,65 pp de la surmortalité liée à l’épidémie. De la même manière, une augmentation de 1 pp de la part des habitants occupant des métiers impliquant des contacts fréquents avec le public est associée à une augmentation de 2,56 pp de la surmortalité liée à l’épidémie. En revanche, l’effet de l’exposition au virus via le marché du travail est légèrement moins prononcé lorsque cette exposition est mesurée par la part des travailleurs clés, suggérant que la diffusion du virus sur le marché de travail avait déjà commencé avant la période de confinement.

 

 

 

Appel de détresse d'un SDF réfugié au Bois de la Cambre à Bruxelles affiché sur le panneau des annonces d'une grande surface : la précarité s'étend.

Appel de détresse d'un SDF réfugié au Bois de la Cambre à Bruxelles affiché sur le panneau des annonces d'une grande surface : la précarité s'étend.

 

 

 

Enfin, nos analyses montrent que la part des logements multigénérationnels est également associée à des niveaux de mortalité bien plus élevés, suggérant que l’effet des mauvaises conditions de logement et de l’exposition sur le marché du travail sur la surmortalité pourrait en partie s’expliquer par la transmission du virus aux personnes âgées (et donc plus vulnérables) par des personnes en emploi vivant sous le même toit. Plus spécifiquement, nous montrons qu’une augmentation de 1 pp de la proportion de logement multigénérationnel est associé à une augmentation de 12 pp de la surmortalité liée à l’épidémie. »

 

Il est donc clair que le logement et les conditions de travail des populations précarisées sont les causes principales de leur contamination bien plus importante que les autres catégories, autrement dit les autres classes sociales.

 

Et nous tombons dans la lutte des classes lorsqu’on analyse comment les autorités réagissent. Les auteurs de l’étude « pandémie de la pauvreté » et des acteurs de terrain réagissent en plaidant pour une nette amélioration des conditions d’hébergement de ces populations.

 

Ludovic Lamant ajoute, prenant le cas de l’Espagne : se référant à une autre étude intitulée « Impact de la pandémie Covid – 19 par revenu : frapper le plus durement les plus démunis ».

 

 

Un Covid des riches et un Covid des pauvres

 

 

« Comme ailleurs en Europe, les quartiers populaires sont les plus touchés. L’une des études les plus sérieuses sur le sujet porte sur la première vague à Barcelone : le district populaire de Nou Barris (revenu moyen annuel, par ménage, à 28 000 euros) a enregistré un taux de 75 cas pour 10 000 habitants de février à avril – contre un taux de 29 cas seulement à Sarrià-Sant Gervasi (revenu moyen au-delà de 65 000 euros).

 

La deuxième vague semble répéter, voire amplifier ce schéma. Depuis fin août, les communes du sud de Madrid – Usera, Puente de Vallecas, Villaverde – sont celles où le virus se répand le plus rapidement. Alors que la circulation du virus exploite les inégalités socio-économiques de la région de Madrid, El País oppose un « Covid de riches » à un « Covid de pauvres ».

 

El Confidencial va plus loin : « Si la première vague frappait les plus âgés, la deuxième frappe les plus démunis. Et aucune restriction d’aucune sorte ne va régler ce problème. » Comment expliquer cette situation ? « Dans les districts à revenu inférieur, les habitants ont des emplois qui, en majorité, ne peuvent être assurés à distance », explique l’universitaire María Grau, coauteure de l’étude sur Barcelone, à InfoLibre. L’impossibilité du télétravail entraîne par exemple un recours plus fréquent aux transports publics, et donc un risque plus élevé d’exposition au virus.

 

À cela s’ajoutent des conditions de travail plus difficiles, par exemple entre ouvriers des abattoirs, ou entre travailleurs précaires, souvent en milieu fermé et à plusieurs. Autres facteurs souvent avancés : la promiscuité des espaces de vie, mais aussi les contraintes du travail informel. « Il ne suffit pas de dire aux gens qu’ils doivent rester en quarantaine, encore faut-il qu’ils aient les moyens de le faire. Personne ne doit se trouver dans une situation où il faut choisir entre sa santé et son emploi », ajoute María Grau. »

 

 

 

La gouverneure de la région madrilène, la post franquiste membre du "Parti Populaire" Isabel  Ayuso Diaz préfère confiner les pauvres !

La gouverneure de la région madrilène, la post franquiste membre du "Parti Populaire" Isabel Ayuso Diaz préfère confiner les pauvres !

 

 

 

Réaction des autorités madrilènes : un confinement sélectif ! La gouverneure de Madrid, Isabel Ayuso Diaz, membre de la tendance droitière du Parti Populaire, a décrété le confinement des quartiers pauvres de la région madrilène, six districts de la capitale et sept communes de la région, soit quelque 885.000 personnes ! Outre cette mesure discriminatoire, un tel confinement dans des conditions de logements précaires et de promiscuité risque d’accroître encore la contamination !

 

La Cour suprême espagnole vient de casser cette décision considérant qu’elle était contraire à l’égalité des citoyens devant la loi. Il reste un brin de démocratie en Espagne !

 

Une nette surmortalité au sein des classes populaires

 

Ludovic Lamant explique in fine : « Des professionnels de la santé continuent de plaider pour des mesures ciblées, mais moins punitives : ils réclament des livraisons de masques pour les plus précaires, ou encore l’installation express des personnes détectées positives dans des chambres d’hôtel individuelles, pour ne pas contaminer le reste du foyer dans ces quartiers populaires. Au-delà, ce sont des chantiers de longue haleine, difficilement compatibles avec la gestion à chaud d’une épidémie, à l’instar de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs de l’informel. »

 

En Belgique, particulièrement à Bruxelles, la région la plus touchée du Royaume, c’est le flou ! Les deux communes les plus atteintes sont Anderlecht et Molenbeek. Eh oui ! Molenbeek tant stigmatisée à cause de l’islamisme. Preuve que c’est dans ce terreau de misère que fleurit la plante vénéneuse du fanatisme ! Et aussi que ses habitants sont les moins bien protégés contre la pandémie.

 

Une étude publiée le 14 octobre par un statisticien de Solidaris (la mutualité socialiste) constate, sur l’ensemble du territoire belge, une nette surmortalité au sein des classes populaires. La mortalité a augmenté de 70 % de mars à mai, en comparaison de la même période sur les cinq années précédentes, pour les personnes qui bénéficient du revenu minimum d’insertion contre 45 % pour les autres.

 

Jérôme Vrancken, l’auteur de l’étude, estime que « puisque la surmortalité varie, il faut mettre en place des réponses différenciées, selon les publics, (…). Il faut d’abord mettre au point des messages de santé publique adaptés à tous les publics, il faut ensuite penser chaque décision de la gestion de crise à travers le prisme des inégalités ».

 

Cette opinion fait écho à celle de Joël Girès cité par « Mediapart », qui co-anime par ailleurs un observatoire des inégalités en Belgique : « Jusqu’à présent, c’est une vision très épidémiologico-centrée de la crise qui s’est imposée, et perdure encore, alors que nous avons affaire, aussi, à une crise du logement, à une crise de l’emploi. » Sortir du tout-médical, pour mieux penser la réponse aux quartiers les plus populaires ? Il a fallu qu’une députée libérale au Parlement bruxellois, Alexia Bertrand, proclame qu’il faut cesser de traiter la région bruxelloise de manière homogène et qu’il faut au contraire une gestion de la crise sanitaire quartier par quartier.

 

La misère ou la vie ?

 

Très bien, mais cela doit se faire sans aucune discrimination, car on la voit venir notre Alexia Bertrand ! Les habitants des beaux quartiers pourraient en toute impunité se remplir la panse dans les restos, ceux des quartiers populaires resteraient confinés. Non ! Pas ainsi ! Aussi, des mesures obligatoires de geste barrière et d’interdiction de rassemblements que ce soit dans le secteur Horeca ou dans les secteurs culturels et sportifs sont indispensables pour toutes et tous, mais si on veut à la fois éradiquer cette pandémie et respecter les libertés, il convient qu’un effort considérable soit consenti spécialement dans les zones défavorisées.

 

Des solutions sont possibles et même indispensables, mais elles nécessitent de considérables moyens qu’on a toujours refusés aux habitants de ces quartiers, sinon leur faudra-t-il encore subir la misère pour avoir une faible probabilité de rester en vie ?

 

C’est sur la voie de la solidarité qu’il faut désormais avancer si on veut respecter chaque citoyen et le principe fondamental d’égalité. Syndicats, mutuelles, associations, militants doivent absolument s’y consacrer en priorité et faire pression sur les « politiques » pour qu’ils agissent.

 

 

Pierre Verhas

 

Prochain article sur le sujet : la liberté ou la vie !

 

Post-scriptum

 

Caricatures et laïcité

 

Après le dernier « papier » d’Uranopole qui a été consacré à l’assassinat par un fanatique islamiste du professeur Samuel Paty à Conflans Ste Honorine au Nord-Ouest de Paris, une polémique est née sur les réseaux sociaux Facebook. Je n’ai jamais été « Charlie » pour deux raisons. Cet hebdo a renoncé à son indépendance en acceptant la tutelle d’un homme de pouvoir, Philippe Val qui s’est empressé de virer Siné qui était à mon sens le journaliste et dessinateur qui représentait le mieux ce beau courant anarchiste qui avait débuté avec Hara Kiri, courant qui s’est étiolé peu à peu. La seconde raison touche aux fameuses caricatures que je trouvais choquantes, vulgaires et inutilement provocantes. Je me suis référé à l’opinion du dessinateur belge Philippe Geluck (l’auteur du « Chat ») que je partage entièrement.

 

 

 

 

 

 

 

Là, j’ai été témoin de la manifestation d’un véritable dogmatisme laïque de la part de gens qui se réclament de la liberté de pensée. Un comble ! C’est à peine si j’étais un « traître à la cause sacrée ». Réaction assez curieuse pour des adeptes du libre examen… La raison ? Je considère qu’insister lourdement sur ces caricatures au nom de la liberté d’expression est aussi idiot que contreproductif.

 

Comme le dit Geluck, représenter le Prophète Mouhammad est inconcevable pour tout musulman, même le plus modéré. Voici une histoire particulièrement symbolique : celle du Dôme du Rocher sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem – ou mont du Temple pour les Juifs – ce splendide bâtiment recouvert des mosaïques bleues et surmonté par une immense coupole dorée. Il est le premier grand monument de l’Islam et se trouve à Haram al Sharif – le noble sanctuaire – troisième lieu saint de l’Islam après La Mecque et Médine. Il fut achevé en 691 ou en 692 et son architecte était un chrétien byzantin. Il a demandé au calife de pouvoir y apposer des symboles chrétiens. Celui-ci accepta à la condition que ces symboles soient abstraits et non concrets (une croix, ou l’image de la Vierge, par exemple). L’architecte fit en sorte que le dôme soit appuyé sur douze colonnes symbolisant ainsi les douze apôtres et il y a quatre entrées aux quatre points cardinaux, chaque entrée représentant un des quatre évangiles. Ainsi, l’architecte a respecté le caractère sacré des représentations non figuratives pour les musulmans

 

 

 

La misère ou la vie ?

 

 

 

Une fameuse leçon de tolérance qui nous vient du fond des âges. On en est bien loin aujourd’hui.

 

 

Revenons-en aux caricatures : un journal satirique danois a publié en 2005 des caricatures de Mahomet et cela a déclenché des réactions d’une extrême violence dans le monde arabo-musulman jusqu’à l’incendie de l’ambassade du Danemark à Islamabad faisant six morts. Depuis lors, la tension est palpable entre les mouvements islamiques – notamment les Frères musulmans – et l’Europe occidentale, particulièrement la presse. Charlie-Hebdo publie des caricatures de leur cru en 2006. C’est à nouveau le tollé d’autant plus que cet hebdo remet ça pratiquement chaque semaine. Comme l’écrit Henri Goldman dans son blog cosmopolite : « on a trouvé judicieux de souffler sur les braises en transformant les caricatures en fétiches agités en permanence. » Les islamistes menacent la rédaction de « Charlie », on a incendié volontairement leurs locaux. La rédaction est placée sous protection policière. Cela ne suffit pas. Inutile de rappeler la tragédie du 12 janvier 2015.

 

 

Pourquoi insiste-t-on tellement là-dessus dans les milieux laïques ? Quel intérêt y a-t-il à entretenir une tension dangereuse et même meurtrière au nom de la liberté d’expression ? Ce n’est pas ici que nous allons faire une analyse approfondie, mais je voudrais faire observer à mes amis laïques que ces dessins ne heurtent pas les islamistes, mais l’ensemble des musulmans. Les islamistes utilisent la même méthode que les nazis en Allemagne avant la Seconde guerre mondiale : ils surfent sur la frustration et la misère du peuple pour asseoir leur pouvoir et commettre leurs crimes. En provoquant systématiquement les musulmans, certains laïques tombent dans le piège qui leur est tendu par les djihadistes.

 

 

D’ailleurs, à Conflans Sainte Honorine, Samuel Paty l’avait compris – et c’est sans doute cela qui lui coûta la vie – en invitant les élèves musulmans de sa classe à sortir afin qu’ils ne soient pas heurtés par la caricature qu’il allait montrer. Ce professeur savait parfaitement que la liberté d’expression ne doit pas attaquer de front ce qui est sacré pour une partie de sa classe.

 

 

Alors, autant il faut se battre pour la liberté d’expression de tout un chacun et de journalistes comme Assange et toutes celles et tous ceux qui sont enfermés en Turquie, en Iran, en Arabie Saoudite, en Egypte, en Israël et dans bien trop d’autres lieux du monde ; autant faut-il en finir avec ces provocations idiotes et même puériles qui ne servent que la stratégie de la tension de nos pires ennemis. SVP : faites des caricatures sur d’autres thèmes !  Ce qui ne manque pas, loin de là.

 

 

Autant il faut éliminer les cellules clandestines des groupes terroristes comme Al Qaïda ou Daesh, autant faut-il aussi prendre au haut niveau de sévères mesures à l’égard de ces monarques de la Péninsule arabique et de l’auto-proclamé « Sultan » dit Rech Erdogan qui met la Turquie sous le joug et sème la guerre dans le Caucase et en Méditerranée.

 

 

Mais, en dehors de déclarations matamoresques de Macron notamment, on attend toujours.

 

 

P.V.

 

 

 

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18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 22:14

 

 

 

Imaginez-vous au sortir de l’école, lorsque vous étiez comme moi un potache adolescent, qu’un de vos profs se fasse décapiter au coin de la rue après avoir donné un cours qui ne plaisait pas à certains ? Non ! Vous ne l’imaginez pas, parce que c’était impossible.

 

Imaginez-vous que des parents d’élèves viennent menaçants à l’école pour demander l’exclusion de ce prof parce qu’il a donné une leçon qui a choqué leur rejeton ? Non ! Vous ne l’imaginez pas, parce que c’était impossible.

 

Imaginez-vous un de ses parents d’élève déposer plainte et alerter les médias pour que ce prof traité de « voyou » soit poursuivi ? Non ! Vous ne l’imaginez pas, parce que c’était impossible.

 

Imaginez-vous enfin que les réseaux sociaux soient inondés de « posts » haineux, menaçants et insultants à l’égard de ce prof. Non ! Vous ne l’imaginez pas, parce que c’était impossible.

 

 

 

Samuel Paty a été tué sur le front de la liberté d'expression.

Samuel Paty a été tué sur le front de la liberté d'expression.

 

 

 

Jean-Christophe Attias ancien professeur de Collège cité par la professeure de Physique de l’Université de Tunis Madame Faouzia Charfi, écrit :

 

« Et ce n'est pas juste un hashtag. Je suis prof depuis près de quarante ans. J'ai eu ma période collège, une décennie, dans la banlieue nord de Paris. Je suis souvent rentré chez moi fatigué, découragé, excédé.

 

Je n'ai jamais cessé d'aimer ces gosses.

 

Et je n'ai jamais eu peur.

 

Jamais.

 

Même quand l'atmosphère était lourde ou tendue dans le collège ou alentour.

 

Aujourd'hui, je le sais. Je sais que si je devais reprendre lundi matin le RER, Gare du Nord, pour rejoindre ma classe, j'aurais la peur au ventre.

 

Ceux qui nous disent, triomphants et obscènes, « On vous l'avait bien dit ! On vous avait prévenus ! », n'ont rien à proposer. Pas le moindre début de solution qui nous donnerait une chance de résister au courant puissant et terrifiant qui nous emporte tous. Rien à droite. Rien à gauche. Devant nous une seule perspective : la guerre de tous contre tous. Nous avons bien un ennemi. Mais cet ennemi n'a qu'un but : nous faire devenir ce qu'il est, tel qu'il est. C'est aussi à cela qu'il nous faut résister. Et nul ne sait comment.

 

Je n'ai aucun diagnostic à poser, nul horizon à dessiner, je n'ai que des erreurs à confesser. Et des larmes à verser. Sur cette mort. Sur nous. Sur le monde où nous vivons. Sur celui qui s'annonce. Et nous en sommes tous là, tous. Il va falloir travailler pour nous sortir de là.

 

Demain. Sans faute.

 

Pour aujourd'hui, je n'ai rien de plus à dire que ceci : pendant presque quarante ans, je n'ai eu à cœur d'enseigner que la joie d'apprendre, l'art de douter, l'ambition de créer, il me reste désormais à enseigner à lutter contre la peur. »

 

 

 

Abdelhakim Sefrioui, par ailleurs "copain" de Dieudonné  a carrément fait un appel au meurtre !

Abdelhakim Sefrioui, par ailleurs "copain" de Dieudonné a carrément fait un appel au meurtre !

 

 

 

Aujourd’hui, c’est une terrible réalité. Deux mondes s’affrontent et dès aujourd’hui en un lieu qui devrait être un havre de paix : l’école. Dès le départ, l’affaire de cette simple leçon dans un collège de la banlieue parisienne a pris des proportions gigantesques dont d’ailleurs les islamistes sont coutumiers. Ainsi, Abdelhakim Sefrioui, un personnage totalement étranger à ce collège, membre du conseil des imams de France, proche de Dieudonné, bien connu des services secrets français a lui aussi traité Samuel Paty de « voyou ». Et ces quelques jours de tensions exacerbées se sont achevés par la pire agression qu’un homme peut subir.

 

Une nouvelle guerre de religions

 

Deux mondes s’affrontent, disions-nous. Ce n’est pas le « choc des civilisations » cher aux néoconservateurs américains, mais c’est un conflit majeur entre deux conceptions du monde qui transcendent les « civilisations ». Ce qu’il se passe aujourd’hui ressemble à s’y méprendre aux guerres de religions qui déchirèrent l’Europe aux XVIe et XVIIe siècles.

 

Ces guerres commencées en 1517 par les fameuses 95 thèses de Luther qui remettent en question les fondements même de l’Eglise catholique apostolique romaine, sont à la fois idéologiques et géopolitiques. Cela se traduit très vite par un affrontement entre l’Europe germanique et l’Europe latine doublé de terribles répressions contre les Réformistes ou les Contre-réformistes. La France est divisée entre Huguenots et Catholiques, les Pays-Bas affrontent l’occupant espagnol dans une guerre à la fois politique et religieuse. L’Europe du Nord se rallie au luthérianisme. L’Italie est en grande partie sous le joug espagnol. Quant à la Grande Bretagne elle est divisée entre l’Ecosse catholique et l’Angleterre anglicane qui a fait une sorte de synthèse entre les catholiques et les protestants. Et derrière tout cela veillait la plus grande puissance de l’époque : l’empire ottoman gardien de l’Islam.

 

Eh bien ! Aujourd’hui, en Europe, il y a de nombreux parallèles avec les guerres de religion de la Renaissance. Si les guerres de religions sont depuis longtemps enterrées en Europe, une autre religion s’est épanouie peu à peu après la décolonisation et par l’immigration : l’Islam. La démographie aidant, il a pris de plus en plus d’influence particulièrement sur les jeunes générations. La religion islamique s’est répandue de manière anarchique. Que ce soit en France ou en Belgique, ses prosélytes n’ont tenu aucun compte des règles en vigueur sur les relations entre la religion et la société civile. Mais qui sont ses prosélytes ?

 

Le gardien de l’Islam aujourd’hui est l’Arabie Saoudite ainsi que ses satellites, les Emirats arabes unis, Bahreïn, Dubaï et le Qatar dans une moindre mesure, car ce petit pays gazier très riche est assez proche de l’Iran. L’Arabie Saoudite est née en 1919 du renversement des Hachémites de La Mecque et de Médine par un chef de guerre qui est devenu le roi Saoud. À l’époque, les Anglais qui étaient très influents dans la région ne s’en sont pas trop préoccupés du moment qu’ils pouvaient exploiter le pétrole de la British Oil Company nécessaire à la navigation maritime vers l’Inde. En 1945, le président américain Franklin D Roosevelt signe un accord historique avec le roi Ibn Saoud garantissant la protection du royaume en échange du quasi-monopole sur l’extraction du pétrole de la péninsule arabique accompagné bien sûr de royalties pour le roi et sa famille. Roosevelt avait vu juste : la péninsule arabique est de loin le principal producteur de pétrole du monde. Mais sans s’en apercevoir, il avait ouvert la boîte de Pandore.

 

 

 

Ibn-Saoud, roi d'Arabie Saoudite et le Président US Franklin D Roosevelt négocient sur le porte-avions américain Quincy un accord qui aura de lourdes conséquences.

Ibn-Saoud, roi d'Arabie Saoudite et le Président US Franklin D Roosevelt négocient sur le porte-avions américain Quincy un accord qui aura de lourdes conséquences.

 

 

 

À l’époque, on ne prit pas au sérieux la doctrine islamique des Saoud qu’ils ont imposé sur l’ensemble de la péninsule. Les Saoud étaient adeptes du wahhabisme, une des interprétations les plus rigoristes de l’Islam sunnite avec le salafisme. En 1973, après la guerre du Kippour entre Israël, l’Egypte et la Syrie, les pays exportateurs de pétrole réunis dans une organisation internationale, l’OPEP, décrètent en représailles du soutien occidental à Israël, une forte augmentation des prix de l’Or noir qui perturbe considérablement les économies européennes et dans une moindre mesure l’économie étatsunienne. C’est le premier choc pétrolier et le meneur de jeu est l’Arabie Saoudite.

 

L’année charnière : 1979

 

Un second choc pétrolier a lieu en 1979. Il est encore plus dur que le premier et contraint les Etats européens à entamer une dure politique d’austérité économique et sociale. L’Europe occidentale qui a vécu sous les lauriers de la relance d’après-guerre est dès lors considérablement affaiblie.

 

L’année 1979 est aussi celle de la révolution islamique en Iran. Elle marque un réveil de l’Islam. Les populations musulmanes d’Europe occidentale commencent à bouger. Le port du voile islamique se répand et de nombreuses mosquées sont construites dans les villes à forte densité musulmane. La Belgique reconnaît la religion mahométane en 1981. On pense à l’époque qu’en permettant aux immigrés arabo-musulmans d’exercer leur culte en toute liberté, cela favorisera leur intégration dans la société européenne. Cela se faisait dans un esprit d’ouverture qui n’était d’ailleurs pas accepté par tous les Belges, loin de là !

 

 

L’année 1979 est aussi celle de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge soviétique. Dès 1980, la Résistance s’organise soutenue à la fois par les Etats-Unis et par l’Arabie Saoudite. Un membre d’une grande famille saoudienne, un certain Oussama Ben Laden, recrute, entraîne et arme des moudjahidines – des combattants – musulmans contre les Soviétiques avec l’appui de la trop fameuse CIA.  C’est à ce moment-là qu’a commencé le terrorisme islamique. Ces moudjahidines ont reçu les armes les plus modernes et ont formé la base du terrorisme islamique. La base en arabe se dit : Al Qaïda…

 

 

 

Oussama Ben Laden travaillait d'abord pour les services secrets US.

Oussama Ben Laden travaillait d'abord pour les services secrets US.

 

 

 

Le rôle majeur de l’Arabie Saoudite

 

À la fois pour contrer le chiisme iranien et pour avoir l’adhésion des musulmans européens, l’Arabie Saoudite sunnite et les autres monarchies pétrolières ont financé la construction de mosquées ainsi que des écoles coraniques un peu partout en Europe. Et puis, les Saoudiens y ont envoyé des imams prêcher dans ces nouvelles mosquées et aussi former d’autres imams sur place.

 

Ces imams s’adressent particulièrement aux jeunes à l’esprit malléables et leur inculquent la haine de l’Occident « mécréant », celle des homosexuels, le rejet des principes fondamentaux de la démocratie : la liberté de conscience, la mixité, l’égalité hommes-femmes, l’apprentissage de la théorie darwinienne, etc. Ces prêches durent depuis des années et ont une grande influence sur la pensée et le comportement des jeunes musulmans. Il y a en plus l’endoctrinement via les télévisions satellites comme Al Arabia et Al Jazzera. Ces penseurs moyenâgeux se servent des technologies les plus modernes pour leur conquête des esprits !

 

Le juge Michel Claise m’a un jour raconté. Il y a quelques années, alors qu’il était juge d’instruction de permanence, il a été saisi au milieu de la nuit d’une affaire d’agression collectives de la part de jeunes arabo-musulmans au Parc Royal à Bruxelles qui est connu pour être dans la soirée le lieu de rendez-vous des homosexuels. Plusieurs d’entre eux ont été sérieusement blessés et la police a réussi à arrêter la plupart des membres de cette bande qui provenaient tous d’un même quartier de la commune limitrophe de St-Gilles. Au terme des interrogatoires, le magistrat a conclu que ces individus avaient été endoctrinés par un imam prêchant contre les homosexuels dans une mosquée locale. Il a dépêché le lendemain un inspecteur de police arabo-musulman dans cette mosquée. L’imam en question s’était évaporé. Il était Saoudien. Je me souviens aussi des propos d’un musulman de mes connaissances qui est très pratiquant et qui se plaignait de ces « imams étrangers » qui prêchaient ce genre d’appel lors de la prière du vendredi.

 

Ainsi, la religion est un instrument de manipulation des esprits destiné à asseoir un pouvoir totalitaire, en l’occurrence l’influence des monarchies pétrolières sur les pays occidentaux dans leurs seuls intérêts économiques et géopolitiques.  

 

Un terrible échec

 

Voici une vingtaine d’années, un politicien de la droite libérale belge, Daniel Ducarme, aujourd’hui décédé avait affirmé dans les médias : « L’intégration est un échec ! ». Cette déclaration a provoqué une levée de boucliers de la bien-pensance. Pourtant, à la réflexion, il avait raison.

 

Malgré les efforts des groupes antiracistes, des associations de solidarité, de syndicalistes et de quelques hommes et femmes politiques, les populations arabo-musulmanes dans les villes d’Europe occidentale ont été laissées pour compte. Il n’y eut aucune action réelle des pouvoirs publics pour une politique de logement, de scolarité, de santé publique, d’intégration culturelle. La crise économique et sociale et le chômage n’ont fait qu’aggraver la discrimination entre les groupes issus de l’immigration et les autochtones. Au contraire, l’accent a été mis sur la répression. On oublie que c’est là que la délinquance se déclenche, car il n’y a pas d’espoir social. Les jeunes immigrés ne disposent que d’un enseignement médiocre dans un contexte guère propice à l’étude. Ils sont le plus souvent livrés à eux-mêmes sans espoir d’avenir. C’est le « no future » généralisé. Donc, c’est le terreau idéal pour le trafic de stupéfiants, la marginalisation et donc l’endoctrinement à des idées aussi radicales que simplistes comme l’islamisme salafiste.

 

C’est aussi le terreau idéal pour le terrorisme. De petits délinquants se sentent valorisés en commettant leurs forfaits au nom de la religion, comme le dit le criminologue français Alain Bauer.

 

Après l’Arabie Saoudite, l’Etat islamique

 

À Bethlehem, lors d’un entretien avec Edmund Shehadeh, directeur de la BASR (Bethlehem Arab Society for Rehabilitation), nous avions évoqué l’islamisme et ses fléaux et il a affirmé : « L’Etat islamique, ce sont les Américains ! »  J’avoue avoir été surpris par son affirmation. Cependant, à la réflexion, Daesh n’est pas né d’une génération spontanée. Il a disposé de moyens considérables qui ne peuvent provenir que d’un Etat puissant. Cet Etat ne peut qu’être l’Arabie Saoudite et les services secrets US sont certainement au courant. Complicité ou aveuglement ? Peu importe.

 

Alain Bauer ajoute : « Depuis que le ministre des attentats de Daech, Al-Adnani, avait appelé à frapper de cette manière, oui. Il a depuis "rejoint son créateur", celui auquel il croyait, mais il avait donné toutes ses instructions, tout est sur YouTube. Il avait enjoint les djihadistes à rejoindre les terres de combat, en Syrie, en Irak, et pour ceux qui n’en avaient pas la possibilité, à opérer près de chez eux, avec les moyens dont ils disposaient. C’était annoncé, il y a eu des instructions, elles ont été exécutées. C’est un processus qui a commencé à Saint-Quentin-Fallavier en 2015, avec la décapitation d’un chef d’entreprise par un de ses anciens employés, s’est poursuivi à Saint-Etienne-du-Rouvray en 2016 avec l’égorgement du père Hamel, et a failli se reproduire de manière dramatique il y a quelques semaines devant les anciens locaux de Charlie Hebdo.

 

 

 

Le criminologue Alain Bauer tente une analyse objective de la nébuleuse islamique.

Le criminologue Alain Bauer tente une analyse objective de la nébuleuse islamique.

 

 

 

C’est étonnant qu’il n’y en ait pas eu plus. La différence c’est que le cas terrible de ce professeur ressemble beaucoup plus à un assassinat commandité qu’à un attentat. La victime était ciblée. L’opérateur vivait à Evreux, il n’avait pas d’attache familiale à Conflans-Sainte-Honorine. L’enquête le dira, mais il y a une organisation avec lui. On n’est pas du tout dans le cas du "loup solitaire", qui n’existe pratiquement pas (…), mais d’individus isolés. » (Marianne.net 17/10/2020)

 

Alain Bauer conclut : « Ce "jihad de proximité" a été théorisé par Abou Moussab Al-Souri dans son manifeste "Appel à la résistance islamique mondiale", où il expliquait l’échec d’Al-Qaïda avec ses attentats complexes et de grande ampleur. Il a été à l’origine de ce djihad de troisième génération. »

 

Samuel Paty : victime d’une diabolique stratégie

 

Ce dimanche 18 octobre, place de la République à Paris, des milliers de personnes se sont rassemblées en hommage à Samuel Paty et pour défendre les principes fondamentaux de la République. La reporter de la chaîne RTL-TVI a interrogé un des participants, un jeune prof d’histoire dans un lycée, qui a répondu qu’il allait changer sa manière de présenter la question de la liberté d’expression pour éviter de choquer ses élèves. En réalité, ce jeune enseignant n’est pas conscient qu’il cède aux djihadistes assassins de Samuel Paty ! Et c’est justement leur stratégie.

 

Et puis, ne serait-ce pas insulter les musulmans qui, eux, vomissent ces djihadistes qui détruisent leur culture et leur pensée ?

 

Lisons ce texte écrit par un jeune universitaire musulman ayant étudié à Paris. Il nous démontre que tout être humain parvient à vaincre le fanatisme par la réflexion. Ainsi, l’immense majorité des musulmans n’est pas coupable du meurtre de Samuel Paty.

 

« J'ai lu le statut d'une personne, commentant l'assassinat du professeur en France, qui considérait que la solution contre le terrorisme, la Culture, était un vieux poncif.

 

Si je vous disais que j'ai été conservateur au point de penser que les juifs étaient naturellement nos ennemis, que les femmes qui couchaient avant le mariage finiront en enfer. Au point de penser que tous ceux qui ne se soumettaient pas aux 5 piliers étaient infréquentables. Et ce qui était assez drôle, dans tout cela, c'est que je ne comprenais rien à l'Islam.

 

Pire que ça, je ne me soumettais pas, moi-même, aux 5 piliers de l'Islam.

 

Mais bien sûr, il est plus simple de reprocher aux autres leur manque de foi, leur athéisme, leurs blasphèmes que de s'interroger sur sa propre foi et ses contradictions.

 

J'ai grandi en France et comme tout bon immigré j'ai grandi avec pour culture géopolitique les interprétations de mon père et ses amis qui traduisaient les informations d'Antenne 2 en langage victimaire. Les arabes étaient victimes de tout et tous, responsables de rien, ni de personne. En bon immigré, biberonné aux discours revanchards, je rejetais la culture du pays dans lequel je grandissais en idéalisant une culture, une religion, un pays d'origine que je ne connaissais quasiment pas.

 

Quand est arrivée la guerre du Golfe j'ai voulu mieux comprendre ce qui se passait et je me suis rendu à une autre bibliothèque que celle de ma ville qui était en mode "nos ancêtres les gaulois". C'était l'Institut du Monde Arabe. Là-bas, je découvrais l'Histoire de la Tunisie, donc du Maghreb, donc du Monde Arabe, donc du monde musulman, donc de l'Islam. Je m'amuse à dire que je suis alors passé de l'Islam zmigri qui consistait à ne pas manger de porc, ne pas boire d'alcool et changer de chaines quand il y a "Alerte à Malibu", à l'Islam du texte. Dès lors et jusque ma deuxième année à la fac, ma vie était réduite aux études, à la prière et quelques sorties en mode sandwich grec à St Michel puis monter, descendre et remonter les Champs Elysées en prenant soin de parler suffisamment fort pour déranger les gens et boiter en marchant, bien évidemment.

 

L’Institut du Monde Arabe m'offrait un accès gratuit à la Culture mais me garantissait, surtout, en même temps, un accès à une culture mondiale, à notre humanité. Là-bas, au sein de ce magnifique bâtiment dessiné par Jean Nouvel, je découvrais enfin mes origines, j'avais enfin une identité. Je n'étais plus le gars perdu, le cul entre deux chaises, coincé entre deux cultures. Surtout, je ne me sentais plus obligé de rejeter la culture du pays dans lequel je grandissais parce que je devais rester fidèle à ma culture d'origine, qui m'était pourtant inconnue.

 

Dès lors que je savais d'où je venais, que je savais qui j'étais, j'étais enfin prêt à accueillir dans mon existence ma double culture, arabe et française. Quand on sait d'où on vient, on ne craint plus de s'intégrer où on est. En y repensant, je me dis que mon rejet de la culture française était dû à ce que je faisais passer pour la défense de ma culture d'origine et qui finalement n'était qu'un ridicule maquillage de mon ignorance de la religion dont je me prétendais, du peuple dont j'étais issu, du pays d'où je venais.

 

Je suis ensuite passé de l'Institut du Monde Arabe au Centre Pompidou avec toujours l'envie d'en savoir plus sur la Tunisie, la France, le Monde. Je ne suis pas une encyclopédie vivante, loin de là, mais ce que la Culture m'a donné comme connaissance m'a permis de m'intégrer et avoir même des situations confortables et des responsabilités partout où j'ai vécu. Que ce soit en France, au Canada ou désormais de retour sur ma terre natale, en Tunisie.

 

Est-ce que la Culture est la solution miracle pour éloigner les jeunes du conservatisme, les conservateurs de l’extrémisme, les extrémistes du terrorisme, certainement pas. Parce qu'aucune culture, aucun peuple, aucune religion n'a de solution miracle. Il y a en revanche une solution, entre autres, qui permet de réduire les risques de passer du mauvais coté, celui de l'intolérance et la violence. La Culture permet de se situer dans l'Histoire, dans le monde, dans le pays où on vit et c'est peut-être cela la solution. Mieux se connaitre pour mieux comprendre les autres.

 

Je ne crois pas, ou plutôt je n'espère pas, si je n'avais pas été un jour à l'Institut du Monde Arabe que je serais passé du côté de ceux qui font couler le sang de ceux qui font couler de l'encre. En revanche peut être que si je n'avais pas eu accès à la Culture j' aurais participé au déclin humain auquel nous assistons.

 

Je laisse, pour réfléchir, à ceux qui ne croient toujours pas que la Culture peut nous prémunir de la violence des extrémistes et de l'intolérance des xénophobes un des plus beaux vers, d'un des grands poèmes de Victor Hugo, "A qui la faute"

 

Le livre en ta pensée entre, il défait en elle

Les liens que l'erreur à la vérité mêle,

Car toute conscience est un nœud gordien.

Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.

Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Prochain article : le « séparatisme » n’est pas que musulman.

 

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