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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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13 janvier 2020 1 13 /01 /janvier /2020 21:14

 

 

 

La crise politique qui s’éternise en Belgique (nous l’analyserons dans un prochain article), la crise politique qui vient de trouver une solution bancale en Espagne, la crise politique latente en Italie, un pouvoir tournant au totalitarisme en France, le risque de démantèlement de l’Union européenne avec le Brexit, la Grande Bretagne elle-même en voie de démantèlement et j’en passe, sont des indices d’un changement profond de régime dans la plupart des Etats européens. Cependant, il s’agit d’un changement dont on ne connaît ni la nature ni l’issue.

 

Une des caractéristiques de ces crises est le déclin des partis traditionnels. Scrutins après scrutins, on observe leur déliquescence. C’est l’Italie qui, il y a bien longtemps, a donné le signal : le leader social-démocrate Bettino Craxi, ancien Premier ministre, ami de Silvio Berlusconi fut mouillé dans une affaire de corruption et est même contraint à s’exiler. Le parti social-démocrate italien ne survécut pas à ce scandale.

 

 

 

Le premier ministre social-démocrate italien était un grand ami de Silvio Berlusconi. La corruption s'installe dans les régimes parlementaires.

Le premier ministre social-démocrate italien était un grand ami de Silvio Berlusconi. La corruption s'installe dans les régimes parlementaires.

 

 

 

 La démocratie chrétienne qui régnait en maître depuis la fin du fascisme s’est également effondrée suite à l’assassinat de son dirigeant Aldo Moro par le groupement terroriste Brigades rouges et aussi par les liens qu’entretenaient ses principaux dirigeants dont l’inamovible Andreotti avec la mafia. Le parti communiste italien, principale force d’opposition, s’effrita petit à petit.

 

 

 

Aldo Moro assassiné par les Brigades Rouges italiennes fut le dernier grand dirigeant de la Démocratie chrétenne italienne. Il fut avec Enrico Berlinguer l'artisan du "compromis historique" qui ne plut certainement pas à l'establishment atlantiste européen.

Aldo Moro assassiné par les Brigades Rouges italiennes fut le dernier grand dirigeant de la Démocratie chrétenne italienne. Il fut avec Enrico Berlinguer l'artisan du "compromis historique" qui ne plut certainement pas à l'establishment atlantiste européen.

 

 

Malgré son leader dans les années 1970, Enrico Berlinguer, mort prématurément, qui rompit avec l’Union Soviétique et qui tenta le fameux « compromis historique » avec la démocratie chrétienne, le PCI déclina rapidement au point de disparaître.

 

 

 

Enrico Berlinguer, secrétaire général du Parti communiste italien, parvint à intégrer sa formation dans le concert politique européen en rompant avec l'URSS et en prônant le "compromis historique". L'assassinat d'Aldo Moro et sa mort prématurée mirent fin à ce rêve.

Enrico Berlinguer, secrétaire général du Parti communiste italien, parvint à intégrer sa formation dans le concert politique européen en rompant avec l'URSS et en prônant le "compromis historique". L'assassinat d'Aldo Moro et sa mort prématurée mirent fin à ce rêve.

 

 

 

Depuis l’Italie a connu la calamiteuse période de Berlusconi avec une formation à sa botte appelée Forza Italia, le calamiteux gouvernement technocratique de Monti imposé par l’Union européenne et une montée de la droite dure qui a réussi à grignoter à gauche avec le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord qui s’est muée en un parti d’extrême-droite dirigé par Salviani, aujourd’hui rejeté dans l’opposition, mais toujours menaçant. L’Autriche après que l’extrême-droite monta à plusieurs reprises au pouvoir, est depuis peu gouvernée par une coalition entre la droite dure de Kurz et les écologistes. Ce qui pose la question : les écologistes font-ils ou non partie du camp progressiste ?

 

En France, les partis « classiques », PS et Républicains ont connu des divisions internes et des « affaires » qui ont fini par les affaiblir. Macron n’a eu aucun mal à les marginaliser en imposant sa nouvelle structure, La République en Marche (LREM), véritable « parti » godillot du Président français, qui fait la pluie et le beau temps à l’Assemblée nationale française. En Allemagne, la CDU-CSU et le SPD perdent des sièges et des majorités régionales élections après élections.

 

 

 

Emmanuel Macron est le maître d'oeuvre du démantèlement de l'Etat social quitte à user de la force brutale pour arriver à ses fins.

Emmanuel Macron est le maître d'oeuvre du démantèlement de l'Etat social quitte à user de la force brutale pour arriver à ses fins.

 

 

 

Le rejet du centrisme

 

En définitive, c’est le « centrisme » qui est rejeté. Les formations traditionnelles, depuis une quarantaine d’années, ont toutes fait la même politique, c’est-à-dire la mise en place d’un régime économique et social néolibéral qui a été l’œuvre aussi bien des partis se réclamant de la gauche que ceux se revendiquant de la droite ou du « centre droit » pour ne pas effrayer l’opinion. Cette politique fut inaugurée avec la révolution thatchérienne et le néo capitalisme de Reagan dès le début de la décennie 1980-1990. Elle se poursuit dans quasi toute l’Europe et édicte des réformes de plus en plus dures destinées à démanteler l’Etat social né après la Seconde guerre mondiale.

 

Qui comble le vide laissé par ces partis ? L’extrême-droite et les écologistes et, dans une moindre mesure, la gauche radicale, mais surtout, ce qu’on appelle le populisme, c’est-à-dire une sorte de fourre-tout des contestations, des frustrations et des révoltes. Mais ces mouvements dits populistes ne restent pas longtemps au pouvoir quand ils y sont conviés. On l’a vu en Italie et en Autriche : l’extrême-droite se montre incapable de gouverner. Quant aux écologistes, ils sont divisés entre les « radicaux » et les « réalistes » et sont dès lors déstabilisés par leurs querelles intestines qui s’expriment dans un système interne de démocratie directe. Aussi, leurs passages au pouvoir les rendent impopulaires parce qu’ils prennent souvent des mesures que la population ne comprend pas. Au passage, notons que la démocratie « directe » dont ils se réclament, a aussi ses faiblesses !

 

Face à cette faiblesse des gouvernements à s’atteler aux urgences aussi bien climatique que sociale, économique, politique comme géopolitique, les peuples se soulèvent. « Peuple », ce mot est méprisé et rejeté par les clercs proches du pouvoir. L’ineffable BHL en est l’exemple caricatural. C’est très inquiétant cependant, car on ne voit guère d’intellectuels qui parviennent à donner des explications des bouleversements que nous vivons et à proposer une réponse aux défis de notre temps. Certains comme Thomas Piketty ou Paul Jorion arrivent à approfondir les questions et à avoir une vision indépendante et claire. Cependant, leur influence est limitée et les médias ne leur accordent pas suffisamment de crédit pour qu’ils puissent s’exprimer d’une voix forte. Et aussi, ils ne vont pas assez loin. Au-delà de leurs analyses critiques, ils ne proposent pas une réelle alternative. Dire qu’il faut éliminer le capitalisme est bien sûr évident, mais quel système proposent-ils à la place ?

 

 

 

L'économiste français Thomas Piekkty auteur du "Capital au XXIe siècle" et de "Capitalisme et idéologie" est considéré comme un "dangereux utopiste" par les milieux néolibéraux. Raison de plus pour le lire et l'écouter...

L'économiste français Thomas Piekkty auteur du "Capital au XXIe siècle" et de "Capitalisme et idéologie" est considéré comme un "dangereux utopiste" par les milieux néolibéraux. Raison de plus pour le lire et l'écouter...

 

 

 

La crise politique internationale génère en outre un phénomène nouveau : les vagues de protestations massives contre l’ordre établi aussi bien en France, au Chili, en Bolivie, en Equateur, au Liban, en Irak, en Algérie, à Hong Kong. C’est un véritable soulèvement international contre les politiques néolibérales et impérialistes. Et ces manifestations n’émanent pas d’organisations structurées comme des syndicats ou des partis politiques. Et on s’aperçoit que leur déclencheur est souvent dérisoire : une augmentation du prix du ticket de métro à Santiago du Chili et l’introduction d’une nouvelle taxe sur le carburant en France. À Hong Kong, c’est plus sérieux, c’est une loi sur l’extradition des opposants politiques vers la Chine qui a mis le feu aux poudres. En dépit d’une répression d’une violence inégalée depuis longtemps, les pouvoirs ont dû reculer. Cela n’a pas suffi à calmer les choses. Ces mouvements se perpétuent et échappent à tout contrôle des gouvernements.

 

Comme l’écrit Serge Halimi dans le « Monde diplomatique » du mois de janvier 2020 :

« Une défiance générale sert de ciment, ou de glaise, au mouvement  populaire. Défiance envers le libéralisme économique qui parachève une société de castes, avec ses nababs et ses parias. Mais surtout, défiance envers l’arrogance et la prévarication du système politique en place, que la classe dominante, « les élites », a transformé en garde prétorienne de ses privilèges.

 

L’impuissance, la question de l’environnement en apporte la preuve. Quatre ans après les proclamations solennelles de la COP 21, le vernis a déjà craqué. La planète des riches n’a pas réfréné ses appétits de consommation ; les risques de surchauffe se sont précisés. »

 

Ces quelques lignes résument admirablement le caractère insupportable des pouvoirs actuels : défiance envers une société de castes, rejet de l’arrogance de la classe dominante avec ses laquais des médias de plus en plus agressifs et insultants envers les opposants tout en faisant la révérence aux puissants. L’exemple de la récente interview du « grand » patron évadé et repris de justice Carlos Ghosn par la journaliste franco-libanaise Léa Salamé en est la caricature vivante !

 

 

 

L'interview de complaisance de Carlos Ghosn réfugié au Liban par Léa Salamé, le prototype même de la journaliste cireuse de bottes. Preuve que les médias sont aux mains de l'stablishment néolibéral.

L'interview de complaisance de Carlos Ghosn réfugié au Liban par Léa Salamé, le prototype même de la journaliste cireuse de bottes. Preuve que les médias sont aux mains de l'stablishment néolibéral.

 

 

 

Il y a aussi, et c’est sans doute le plus grave, l’incapacité à mettre en œuvre des solutions face aux défis de notre temps. Les incendies dramatiques en Australie en sont un tragique exemple. On voit un Premier ministre impuissant, incapable de prendre les décisions indispensables pour combattre ce phénomène qui n’est pas seulement dû au réchauffement climatique et qui n’est pas nouveau : les pompiers sont sous-équipés, pas assez nombreux, mal organisés en dépit de leur courage. D’autre part, l’aménagement du territoire laissé aux seuls spéculateurs immobiliers, l’industrie charbonnière polluante augmentent considérablement les risques de pollution et d’incendies. C’est typique des politiques néolibérales de total « laisser-faire », de désinvestissement public et de privatisations anarchiques.

 

 

 

Le Premier ministre australien est insulté par la population lors de sa visite au front des incendies.

Le Premier ministre australien est insulté par la population lors de sa visite au front des incendies.

 

 

 

Enfin, les institutions affaiblies par ces mêmes politiques néolibérales sont impuissantes face aux fléaux sociaux et environnementaux que nous vivons. Les institutions européennes ne sont plus qu’un instrument au service des grandes entreprises transnationales et de la politique folle de libre-échange. Elles imposent aux Etats membres, surtout ceux de la zone Euro, une austérité qui mène à l’échec total et à l’immobilisme. C’est l’impossibilité de changer de politique. C’est une régression sociale imposée par la force d’un pouvoir qui, paradoxalement, montre sa faiblesse. Le projet français sur les retraites en France est inspiré par la Commission européenne comme le projet belge qui, heureusement, n’a pas été adopté, les organisations syndicales étant bien plus puissantes en Belgique.

 

Ajoutons, et c’est un point essentiel qu’a dénoncé Thomas Piketty entre autres : la réforme des retraites crée une discrimination entre les plus riches et les plus pauvres et ne se base en rien sur la Justice. Or, tout projet de réforme sociale, s’il ne tient pas compte de la Justice est appelé à déclencher la révolte ou à être réformé en profondeur.

 

Or, il faut bien admettre que des réformes sont indispensables. Il est évident que l’on ne peut plus continuer avec la retraite basée sur la répartition avec une population basée sur 1,7 actifs pour 1 pensionné. Une réforme de ce genre doit être globale, concertée, basée sur l’intérêt général et la Justice et surtout non imposée par un exécutif usant de la violence et faisant des simulacres de négociations. En effet, chacun a compris que le « pactole » des retraites intéresse au plus haut point les grandes compagnies d’assurance. Notons au passage que, comme par hasard, le ministre français délégué à la réforme des retraites, Delevoye qui a dû piteusement démissionner à la suite de fausses déclarations sur ses multiples fonctions, était lié au secteur des assurances tout comme le ministre belge des pensions, Bacquelaine. Est-ce vraiment un hasard ?

 

La crise de la démocratie représentative est avant tout la défiance de la population à l’égard de la classe politique et en plus les combines qui font en sorte que les résultats des scrutins et les accords politiques qui s’en suivent ne correspondent pas à la majorité exprimée par les électeurs. Ce sont les principales raisons de la dispersion des voix dont une partie significative va vers le fameux populisme. Et ce qu’on appelle la gauche porte une terrible responsabilité.

 

Pourquoi ? A cause d’un divorce mis en évidence par le rédacteur en chef du « Monde diplomatique » dans la dernière livraison du bimestriel du « Diplo », « Manière de voir » qui est consacré au « peuple des ronds-points – « gilets jaunes » et autres soulèvements ». Divorce au sein même de la gauche, entre le social et le sociétal, entre la gauche des travailleurs et celle des bobos.

 

« En 2010, le journaliste français François Ruffin [qui est devenu député de la France insoumise depuis] évoquait l’image de deux cortèges progressistes qui, à Amiens, le même jour, s’étaient croisés sans se rejoindre. D’un côté, un défilé des ouvriers de Goodyear. De l’autre une manifestation d’altermondialistes contre une loi antiféministe en Espagne. « C’est, écrivait Ruffin, comme si deux mondes séparés seulement de six kilomètres, se tournaient le dos. Sans possibilité de jonction entre les « durs » des usines et, comme l’ironise un ouvrier, « les bourgeois du centre qui font leur promenade ». La même année, au même moment, le sociologue Rick Fantasia relevait lui aussi, à Detroit aux Etats-Unis, « l’existence de deux gauches qui s’ignorent », l’une composée de militants sans perspective politique, l’autre de réaliste sans volonté d’action. Même si les clivages d’Amiens et de Detroit ne se superposent pas tout à fait, ils renvoient au gouffre croissant entre un univers populaire qui subit des coups, essaie de les rendre et un monde de la contestation (trop ?) souvent inspiré par des intellectuels dont la radicalité de papier ne présente aucun danger pour l’ordre social. »

 

Il y a encore bien du chemin à parcourir !

 

 

Pierre Verhas

 

 

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1 janvier 2020 3 01 /01 /janvier /2020 21:31

 

 

L’évasion de l’année

 

Le charmant ex-patron de Renault – Nissan a l’art de la surprise ! Il s’est fait la belle ! Il en avait sans doute assez du charme des geishas et a préféré prendre ses distances avec l’empire nippon.

 

Nul quidam n’aurait pu se permettre pareille escapade : quitter clandestinement le Japon pour rejoindre la Turquie et puis terminer son périple au Liban ! Sans l’aide de services secrets, cette rocambolesque expédition eût été impossible ! Et voilà notre Carlos bien tranquille en son Liban natal où il est « entré légalement » … On se demande avec quel passeport puisque ses trois Sésame (le français, le brésilien et le libanais) se trouvent entre les mains de ses avocats japonais qui n’auraient jamais osé les lui rendre. Or, d’après les autorités libanaises, il serait rentré avec un passeport français et sa carte d’identité libanaise. De deux choses l’une, ou bien il s’agit du passeport français qui devait se trouver chez ses avocats japonais, ou bien il s’agit d’un faux passeport. De plus, son voyage : en avion privé vers la Turquie a dû s’effectuer en plusieurs escales. Tout cela nécessite une fameuse organisation et beaucoup d’argent… En plus des 12 millions qu’il a laissés en caution à la Justice japonaise.

 

 

 

Carlos Ghosn le terrible CEO de Renault Nissan pousruivi, emprisonné et puis libéré sous conditions par la Justice japonaise lui a filé entre les doigts !

Carlos Ghosn le terrible CEO de Renault Nissan pousruivi, emprisonné et puis libéré sous conditions par la Justice japonaise lui a filé entre les doigts !

 

 

 

En plus, dans certains milieux libanais, il est très bien accueilli : dans la crise politique que traverse actuellement le Liban, on verrait bien Carlos Ghosn comme ministre de l’Economie ! Il n’y a pas à dire, on sait bien choisir les compétences au pays du Cèdre.

 

Cela dit, cette classe ultrapuissante de la haute finance – car Ghosn est un financier avant d’être un industriel – montre qu’elle est omnipuissante, sans aucun respect des règles les plus élémentaires et manifestement appuyée par le pouvoir politique, particulièrement en France depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. En effet, curieusement, aucune désapprobation officielle n’est venue du gouvernement français au sujet du comportement de Carlos Ghosn qui est aussi citoyen français.

 

 

 

Emmanuel Macron était-il au courant du projet d'évasion de Carlos Ghosn ?

Emmanuel Macron était-il au courant du projet d'évasion de Carlos Ghosn ?

 

 

 

Y aurait-il eu connivence dans cette aventure évasive ? Il n’est pas interdit de se poser la question.

 

P.V.

 

Le jusqu’auboutisme de Macron : le bordel !

 

Il fallait s’y attendre. Dans ses vœux de fin d’année, Emmanuel Macron ne cède rien sur le projet de privatisation des retraites. Il est prêt à l’épreuve de force et/ou au pourrissement de ce qui pourra dans quelques jours être considéré comme le plus important mouvement social depuis la fin de la guerre.

 

Quand on lit le parcours de l’actuel locataire de l’Elysée, on observe qu’il n’est pas au service du peuple français, que l’intérêt général est loin d’être son premier souci et que la position de la France dans le monde ne l’intéresse guère. Il est au service de la haute finance pour laquelle il a travaillé depuis qu’il est sorti de l’ENA, cette institution qui devait au départ permettre à chaque Français d’accéder à la haute fonction publique par le principe de l’égalité des chances et qui est devenue l’instrument d’une caste qui noyaute les hauts corps de l’Etat au service des grandes banques et du grand patronat, les fameux « CAC40 ».

 

 

 

Emmanuel Macron a choisi l'affrontement ce 31 décembre 2019.

Emmanuel Macron a choisi l'affrontement ce 31 décembre 2019.

 

 

 

La réforme des retraites a pour principal objet la privatisation des caisses de retraites au plus grand bénéfice des grandes compagnies d’assurance. La fameuse retraite par point convient parfaitement à ce secteur. D’ailleurs, on observe que ce système a été proposé en Belgique – heureusement en vain – par le ministre libéral des pensions Michel Bacquelaine par ailleurs lié au secteur des assurances et son maître d’œuvre en France a été jusqu’il y a peu Jean-Paul Delevoye, un piètre député et ministre des retraites (déjà !) sous le très réactionnaire gouvernement Raffarin, ayant lui aussi des intérêts dans ce secteur.

 

Sur le site « Le Grand Soir », Jean-Pierre Page, ancien responsable de la CGT qui l’a représentée au niveau international, attire l’attention sur l’aspect européen de la question des retraites :

 

« Il est évident que le silence syndical sur les directives européennes en matière de retraite constitue une faille dans la bataille et par un autre côté un aveu embarrassant, qu’exploitent Macron et son gouvernement. La déclaration de la CES en appui flagrant à la CFDT est significative. En Belgique la mobilisation sociale et politique a fait échec à la retraite par points, on ne peut donc que s’étonner de voir les confédérations dans la plupart des pays européens n’en tirer aucune conséquence. L’Union européenne veut en fait mettre en place une tombola. Partout où ce système a été imposé, les montants des retraites ont diminué, l’âge-pivot a reculé. En Allemagne le niveau des retraites a baissé de 10% par rapport aux salaires. Le nombre d’Allemands qui vivent en dessous du seuil de pauvreté a été multiplié par deux depuis 1990, de plus en plus de pauvres fréquentent les banques alimentaires, près de trois millions des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté. En Suède souvent citée en exemple, on doit travailler jusqu’à 68,5 ans pour toucher le montant que l’on avait avant la réforme, à 65 ans.

 

Cette situation catastrophique est connue mais elle n’inquiète pas ce rouage des institutions européennes qu’est la CES, tout simplement parce qu’elle adhère sans restriction aux finalités de la construction européenne qu’elle se garde bien de critiquer, d’autant qu’elle en dépend financièrement. On n’entend pas plus les directions des confédérations syndicales en Europe, y compris la CGT, s’exprimer sur la nocivité de cette politique qui vise à l’alignement par le bas en développant une précarité à outrance et en cassant les systèmes sociaux.

 

Il est quand même incroyable que Thierry Breton à peine nommé nouveau commissaire européen interpelle fermement le gouvernement français sur l’absolue mise en œuvre d’un système de retraites à points. Silence dans les rangs syndicaux ! »

 

 

 

Jean-Pierre Page, dirigeant CGT, a une analyse très pertinente.

Jean-Pierre Page, dirigeant CGT, a une analyse très pertinente.

 

 

 

La stratégie utilisée pour faire passer cette pilule fort difficile à avaler est de diviser les générations. En effet, la réforme, si elle passe, ne sera appliquée qu’aux travailleurs nés à partir de 1975. Alors que le président de la République se doit d’être rassembleur, ce que plusieurs des prédécesseurs de Macron ont tenté de faire – à l’exception peut-être de Giscard et de Sarkozy, deux libéraux comme par hasard – lui, au contraire, veut imposer ses réformes en divisant les Français au risque de provoquer des troubles graves.

 

Une dernière réflexion sur ce sujet : la stratégie d’opposition des organisations syndicales classiques, y compris la très modérée CFDT et la décadente FO, risque de mener à rien. Une grève essentiellement des transports publics qui se prolonge sans qu’il y ait la moindre issue en vue, c’est l’aventure.

 

Il faut cependant nuancer. Les syndicalistes semblent prendre conscience de cette impasse et de nouvelles stratégies vont être mises sur pied. Jean-Pierre Page constate :

 

« Je pense qu’il y a le risque chez certains dirigeants syndicaux à prétendre jouer la locomotive d’un mouvement, à encourager les corporatismes ou à vouloir incarner seuls une action de cette ampleur en faisant preuve d’un radicalisme jusqu’au-boutiste qui ne correspond pas à l’état d’esprit réel des travailleurs. L’excès est souvent la preuve de faiblesses, il est préférable de s’en libérer.

 

L’important me semble-t-il, c’est que cette mobilisation a un besoin urgent de trouver un débouché politique. C’est là un obstacle majeur qui gêne toutes recherches d’alternatives et de perspectives. Il y a bien des années le patronat avait l’habitude de dire qu’on ne fait pas la même politique dans un pays avec une influence communiste à plus de 20% et une CGT activement présente dans les entreprises. Il est un fait que l’acceptation peu ou prou de l’ordre néolibéral, ou celui des institutions européennes considéré comme un horizon indépassable par de nombreuses organisations syndicales et politiques ne sont pas sans contribuer aux fantasmes d’une Europe qui pourrait être sociale. L’illusion aussi que des propositions pourraient à elles seules permettre de se faire mieux entendre en justifiant le choix d’un partenariat social dégagé de contradictions de classes est tout aussi dangereux. Tout cela a un effet pédagogique désastreux. »

 

En effet, le découragement et la violence risquent d’en être les résultats. De plus, comme le constate Jean-Pierre Page, les travailleurs n’ont aucun relais politique : Macron a réussi à démanteler l’opposition. Le PS n’existe plus. France Insoumise est déstructurée. Le PCF n’est plus qu’un souvenir. Les écologistes sont inexistants. À droite, les Républicains sont en pleine déliquescence. Il reste le Rassemblement National de Marine Le Pen, ex FN.

 

Cela dit, beaucoup de militants syndicaux sont conscients que la poursuite du mouvement tel quel mène à l’impasse. Ils envisagent d’autres stratégies comme des grèves reconductibles avec des assemblées générales qui maintiennent la mobilisation des travailleurs. On verra. Et on ne peut que constater une chose :

 

C’est le bordel. Et nul ne sait quelle en sera la sortie.

 

P.V.

 

L’échec du gouvernement Michel

 

L’alliance libérale nationalistes flamands qui a sévi de 2014 à 2018 en Belgique sous la direction de Charles Michel a imposé une austérité jamais vue auparavant. Ce gouvernement qui avait pris comme slogan « jobs, jobs, jobs » a vu le chômage plutôt augmenter, un nombre important de faillites et de fermetures d’entreprises.

 

 

 

Charles Michel a préféré quitter le gouvernement belge avant le terme de son mandat pour le Conseil européen. Le courage politique !

Charles Michel a préféré quitter le gouvernement belge avant le terme de son mandat pour le Conseil européen. Le courage politique !

 

 

 

Le site « éconosphère » est très sévère : « Créations de nouveaux emplois guère plus nombreuses qu’auparavant, croissance mécanique de l’emploi sous l’effet des mesures retardant l’âge de départ en retraite, substitution d’emplois temporaires aux emplois permanents, ... Les évolutions qui transparaissent des statistiques officielles mettent à mal le bilan officiel de l’actuelle législature en matière d’emploi. »

 

D’autre part, si le chômage n’a pas « statistiquement » augmenté, c’est à cause du maintien au travail des travailleurs de 55-64 ans.

 

Sur le plan des retraites, l’âge de départ est passé de 65 à 67 ans et le gouvernement a voulu imposer la pension « à points » mais n’y a pas réussi.

 

Sur le plan énergétique et des services publics, c’est le chaos. Alors qu’il était question de sortir du nucléaire pour 2025, on a au contraire prolongé les centrales qui sont très anciennes. Quelques-unes d’entre elles ont dû être fermées pendant de longs mois pour des raisons de sécurité. En ce qui concerne les chemins de fer, depuis la scission de la SNCB entre Infrabel qui s’occupe de l’infrastructure et la SNCB du transport des voyageurs et des marchandises, destiné à être libéralisé, il y a un manque total de coordination avec les conséquences que l’on connaît pour l’usager : fermetures de points d’arrêts, retards importants, problèmes de sécurité, etc. C’est aussi le chaos dans les entreprises publiques semi privatisées comme Belgacom devenue Proximus où plusieurs scandales ont éclaboussé la haute direction et où des « plans sociaux » sont appliqués avec brutalité.

 

Le déficit public qui était l’obsession de cette coalition a augmenté comme jamais, avec la dette publique qui, heureusement, ne s’est pas trop accrue avec l’effet des taux d’intérêt négatifs imposé par la BCE. La réforme fiscale appelée « tax schift » a essentiellement bénéficié aux entreprises.

 

Aussi, comme le proclame Ewald Pironet, rédacteur en chef de l’hebdomadaire flamand Knack qu’on ne peut guère accuser de gauchisme, « Le verdict sur la performance économique et financière du gouvernement Michel est impitoyable. Qu’il s’agisse de la croissance économique, de l’emploi, de la compétitivité, du pouvoir d’achat ou du budget, ces cinq dernières années, la Belgique a enregistré des performances de plus en plus mauvaises par rapport à ses voisins et aux autres pays de la zone euro. »

 

En plus, 2019 a été une année perdue parce que le gouvernement n’a plus les pleins pouvoirs depuis décembre 2018 et qu’il doit travailler avec des crédits provisoires, parce que ne disposant plus de majorité, il lui est impossible de faire voter un budget lui permettant d’assurer une politique bien définie. Et il faut ne pas oublier la Commission européenne qui s’inquiète du déficit croissant des finances publiques belges. La Banque nationale a calculé que le déficit en l’absence de gouvernement passera de 1,6 % en 2019 à 2,8 % en 2022, soit une augmentation d e14 milliards d’euros.

 

Et que fait Charles Michel ? Il part présider le Conseil européen… Quel homme d’Etat ! Quel grand Européen !

 

Aujourd’hui, on s’aperçoit que les efforts imposés avant tout au monde du travail par ce gouvernement libéral-nationaliste, adepte du néolibéralisme le plus dur, ont servi à accroître les transferts du travail vers le capital, c’est-à-dire d’appauvrir la population au plus grand bénéfice de la classe la plus nantie.

 

Vous direz sans doute : c’est partout la même chose. Maigre consolation !

 

P.V.

 

L’avis du philosophe

 

Le journal « l’Echo » du samedi 28 décembre dernier publie un entretien avec le philosophe et politologue Vincent de Coorebyter, professeur à l’ULB.

 

 

Le philosophe et politologue belge Vincent de Coorebyter est considéré comme un sage dont l'analyse est rigoureuse et sans complaisance.

Le philosophe et politologue belge Vincent de Coorebyter est considéré comme un sage dont l'analyse est rigoureuse et sans complaisance.

 

 

 

Il constate également – voir paragraphe précédent – que la crise politique n’est pas l’apanage de la seule petite Belgique : « La même montée en puissance des antagonismes s’observe au-delà du champ belge… ». Il constate que la formation d’un gouvernement belge (dit fédéral) regroupant wallons et flamands est anormalement longue. En effet, les élections ont eu lieu le 26 mai 2019 et on ne peut s’attendre à la formation d’un gouvernement dans un délai relativement bref. On peut même se poser la question : sera-t-il possible de former un gouvernement ?

 

Pour Vincent de Coorebyter, les causes profondes de ce blocage politique sont à analyser en ceci : « Nous sommes entrés depuis quelques années dans des dynamiques multiples de refus du cadre dominant tel qu’il s’est installé dans les années 80 au départ de la révolution néolibérale. On vit depuis cette époque dans un modèle libéral généralisé qui est de moins en moins accepté aux plans économique et social, au plan environnemental et au plan civilisationnel. »

 

Il observe que « les partis qui jusque là avaient accompagné ce modèle ne veulent plus en être les partenaires plus ou moins consentants. On sent une opposition croissante au principe de la mondialisation et du libre-échange, à la dérégulation du capitalisme qui a dominé la fin du 20e siècle, à l’accentuation des inégalités, à l’intégration européenne de plus en plus vécue comme un système de mise en concurrence des entreprises, des travailleurs et des régimes fiscaux. Il y a une réaction devant l’effritement des droits sociaux, une résistance au productivisme avec ses effets délétères sur le climat, l’environnement, la santé. »

 

À cela s’ajoute : « … une réaction de refus de la mise en place d’une société multiculturelle sur fond de montée de l’islamisme politique et d’inquiétude identitaire. Il y a enfin une résistance qui se manifeste au sein des partis populistes de droite devant la mise en cause des valeurs jugées intangibles qui structuraient la société occidentale : la domination masculine, l’évidence hétérosexuelle, la différence entre l’homme et la nature et les autres espèces, le productivisme, la suprématie de l’Occident… »

 

Cette analyse est tout à fait pertinente. La tragédie est qu’il n’existe plus de projet. On a cru – et on croit encore – à des billevesées comme la « fin de l’histoire » et le « TINA » (There Is No Alternative) qui veulent imposer la société néolibérale comme l’ultime étape de l’humanité. Sinistre illusion !

 

L’être humain sera toujours un résistant.

 

Pierre Verhas

 

 

 

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11 décembre 2019 3 11 /12 /décembre /2019 20:01

 

 

 

Le 4 novembre 2019 s’est ouvert à la Cour d’Assises de Bruxelles le procès du Rwandais Fabien Neretze accusé de crime de génocide, sur la base de la loi de 1993 dite de compétence universelle. Il s’agit du cinquième procès de génocidaires rwandais à Bruxelles depuis les tragiques événements de 1994.

 

 

 

Fabien Neretze répond aux questions de la Présidente de la Cour d'Assises de Bruxelles sous l'écoute attentive des avocats de la défense et des parties civiles.

Fabien Neretze répond aux questions de la Présidente de la Cour d'Assises de Bruxelles sous l'écoute attentive des avocats de la défense et des parties civiles.

 

 

 

Trois parties civiles se sont constituées contre Neretze. La première est Mme Martine Beckers, sa sœur Claire ayant été assassinée avec son mari Rwandais Tutsi Isaïe Bucyana et leur fille Katia, ainsi que la famille voisine Sissi, le premier jour du génocide, le 9 avril 1994, à Kigali.  Ce serait Fabien Neretze qui aurait averti les milices hutues de leur fuite vers le cantonnement de la MINUAR. La seconde est la fratrie de Mme Godelieve Mpendwanzi et de M. Jacques Rwigenza, respectivement 25 et 23 ans. Ils sont les cinquième et sixième enfants de Joseph Mpendwanzi. En mai 1994, à Mataba dans le Nord-Ouest du Rwanda, Joseph Mpendwanzi, un assistant médical hutu et aussi un cultivateur, était le chef local depuis 1991 du parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain), formation démocratique d’opposition au MNRD du président Habyarimana. Il a été tué par les milices Interahamwe qui auraient été dirigée par Fabien Neretze. La troisième partie civile est M. Eugène Udahemuka qui réside au Rwanda.

 

 

 

Madame Martine Beckers avec les portraits de feu son beau-frère Isaïe Bucyana, de sa nièce Katia et de sa sœur Claire tous les trois assassinés par les Interahamwe le 9 avril 1994 à Kigali.

Madame Martine Beckers avec les portraits de feu son beau-frère Isaïe Bucyana, de sa nièce Katia et de sa sœur Claire tous les trois assassinés par les Interahamwe le 9 avril 1994 à Kigali.

 

 

 

Ce procès fleuve voit défiler près de 130 témoins à charge ou à décharge. Bon nombre ont effectué le long voyage pour venir témoigner à Bruxelles. D’autres ont été interrogés à Kigali par visio-conférence. L’interprète infatigable a traduit la plupart des témoignages, bien des témoins ne parlant pas le français. Des témoins qui évoquent des faits qui se sont déroulés il y a un quart de siècle dont ils ont été marqués dans leur chair et dans leur esprit. Après cette tragédie, nul n’est sorti intact. Pour eux, plus rien n’a jamais été comme avant, il y a vingt-cinq ans. Certains sont les derniers survivants de leurs familles. D’autres furent mutilés et ne doivent leur survie que par miracle. D’autres encore ont sombré dans la délinquance. Ainsi, une jeune femme qui était enfant en 1994 a témoigné en visioconférence des atrocités qu’elle a subies. Elle était en tenue de détenue, c’est-à-dire un chemisier rose. Elle n’a pas voulu révéler la raison de son emprisonnement. Après tout, peu importe ! Voilà ce qu’est une victime de cette abomination…

 

Dans la déclaration préliminaire au jury prononcée par les avocats des parties civiles au début du procès, il est dit :

 

« Nous devons donc vous dire, au moment où ce procès commence, que ce génocide dure encore.  Il façonne malheureusement la société rwandaise d’aujourd’hui, et il le fera sans doute pendant plusieurs générations.  Lorsque l’on parcourt aujourd’hui les collines du Rwanda, pour s’imprégner de l’âme et de la vitalité de son peuple et de la silhouette de ses collines, l’on est surpris d’avoir aussi à écarter à chaque pas le grand linceul qui couvre le pays.   Des témoins viendront vous le dire, parce que ces témoins sont pour l’essentiel des rescapés, des femmes et des hommes qui parfois sont les seuls survivants de familles de cinquante ou de cent personnes.  La plupart des témoins que vous verrez défiler ici, ont vécu ce génocide.  Vivre un génocide, cela signifie des choses concrètes.  Cela signifie que l’on a vu ses enfants être sous ses yeux, humiliés, violés, abattus, découpés à la machette ; cela signifie avoir été laissés pour mort, parfois enterrés dans un charnier, y être demeuré des heures ou des jours et s’en être échappé lorsque le silence était retombé après les derniers râles des mourants et que les tueurs s’en soient allés vers d’autres exploits.  Ce silence insupportable des charniers … »

 

Vingt-cinq ans après ! Comment les témoins dont la majorité sont des victimes survivantes du génocide peuvent-ils apporter un témoignage fiable ? Le temps efface la mémoire et pourtant, plusieurs d’entre eux sont étonnamment précis, ce qui constituera une aide majeure au jury qui va devoir bientôt trancher. Pourquoi une telle précision après cette longue période ? Sans doute, ces victimes veulent éradiquer le terrible traumatisme qui les ronge en parlant et en contribuant ainsi à l’éclosion de la vérité devant un tribunal qui n’est pas de leur pays mais qu’ils reconnaissent. Cependant, qu’ils soient à charge ou à décharge, bien des témoignages sont contradictoires ou donnent des versions différentes d’un même fait.

 

Ainsi, le massacre de Claire Beckers, de son mari Isaïe Bucyana et de sa fille Katia avec des membres de la famille Sissi alors qu’ils s’apprêtaient à rejoindre les troupes de la MINUAR qui n’ont pas voulu se déplacer, alors qu’elles se trouvaient à 500 m, au lieu de susciter la compassion unanime de la Cour, fait l’objet de controverses entre la défense de Neretze et les parties civiles, la défense – et c’est son droit – relevant les contradictions entre les témoignages jusqu’au moindre détail. Un des avocats de la défense, Me Flamme, se montre particulièrement agressif, ce qui ajoute à la tension entre la Cour, les parties civiles et la défense. L’autre défenseur, Me Jean-Pierre Jacques, est plus réfléchi et n’hésite pas à manifester de l’empathie à l’égard des victimes de cette tragédie. Sont-ce deux tempéraments différents ou est-ce la stratégie du « gentil policier et du méchant policier » ? Qui sait ?

 

Pourtant, tout est tragiquement clair. Claire Beckers établie à Kigali dans le quartier de Nyamirambo depuis 17 ans avait épousé un Rwandais Tutsi, Isaïe Bucyana, un ingénieur en construction Ils eurent trois enfants : Katia, vingt ans en 1994, Laurent, dégoûté des injustices faites aux Tutsis, avait rejoint le FPR et Céline vivait à Bruxelles chez Martine. De sérieux troubles secouaient le Rwanda dès 1992, en conséquence, Isaïe Bucyana décida de laisser son métier qui nécessitait de nombreux et longs déplacements pour rester à Kigali auprès de son épouse et de ses enfants afin de les protéger. Il ouvrit une glacière nommée la « Sorbetière » qui était la seule de Kigali et qui fut connue de tous. Un de leurs voisins n’est autre que l’accusé Fabien Neretze.

 

Fabien Neretze, hutu, est ingénieur agronome. Il a d’abord été haut fonctionnaire au ministère de l’agriculture. Ensuite, il a été nommé directeur d’un organisme important l’OCIR-café, l’Office qui réglementait la production, la vente et l’exportation de café au Rwanda, une des principales ressources du pays, dont il sera viré en 1991. Il prétend qu’il a démissionné parce que les accords d’Arusha avaient introduit le multipartisme au Rwanda.  Son licenciement est en réalité dû à la corruption dont il était coutumier et après l'introduction du multipartisme, le Premier ministre qui était membre d'un autre parti que celui du Président, exigea la mise à l'écart de quatre dignitaires du régime, dont Fabien Neretze qui étaient connus pour de graves faits de corruption. Mais on offrit à Neretze une planque où il pouvait librement s'occuper de ses affaires. En effet, l’oncle de l’épouse de Neretze n’était autre que le médecin privé du président Habyarimana qui a d’ailleurs été tué en même temps que lui. Cela explique pas mal de choses…

 

Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais hutu Habyarimana, au pouvoir depuis 1973 suite à un coup d’Etat militaire, est abattu. Dès le lendemain, les massacres de Tutsis et de Hutus dits « modérés » commencent à Kigali. Dès le lendemain, ce qu’il faudra bien appeler un génocide, commence.

 

Le 7 avril, Claire Beckers fait part de son inquiétude à sa sœur Martine à Bruxelles qui lui demande comment l’aider. Ils pourraient tenter de passer la frontière pour rejoindre ensuite la Belgique, mais elle héberge deux enfants de la famille de son mari, Régine et Emmanuel qui n’ont pas de passeport. Donc, il est impossible de partir.

 

Le soir même, la maison est attaquée par des Interahamwe, les milices de jeunes à la solde du parti au pouvoir. Isaïe, qu’ils recherchent, se réfugie dans le « magasin », une pièce dans laquelle on stocke les réserves de nourriture. Leur foyer est pillé, la violence fait rage.
En partant, la soldatesque, furieuse de n’avoir trouvé Isaïe, accuse les Belges de l’assassinat du Président. La porte de la maison est cassée. La famille se réfugie chez les Sissi,

 

Le 9 avril 1994, c’est le massacre des familles Bucyana-Beckers, Sissi et Gakwaya, toutes trois d’origine tutsi. Se sentant gravement menacées – Claire Beckers avait fait part de ses craintes au téléphone à sa sœur Martine à Bruxelles – les trois familles se sont regroupées dans la parcelle de terrain de la famille Sissi afin de rejoindre le cantonnement de la MINUAR composé de soldats belges. Deux camions militaires arrivent. Le premier était chargé de soldats de l’armée rwandaise et le second d’Interahamwe.

 

Qu’est-ce que les Interahamwe ? Les parties civiles en ont donné une définition.

 

« … la milice Interahamwe, créée par le parti du Président de la République de l’époque, Monsieur Juvénal Habyarimana. Il en sera beaucoup question au cours de ce procès ; cette milice fut créée dès l’année 1992. Au départ, elle apparaissait comme la jeunesse de ce parti politique, le MRND [le parti du président] ; Puis, elle fut chargée de ses basses œuvres. Spécialement, de créer, par ses exactions, un climat de terreur dans le pays, tout au long des années 1992 et 1993, jusque 1994. Elle sera entraînée au maniement des armes dans les camps militaires ; Elle finit, pendant le génocide lui-même, par constituer le prolongement des forces armées rwandaises sur chaque colline, dans chaque quartier ; elles agiront en parfaite coordination avec l’armée ; ce sont elles qui organiseront les barrières omniprésentes sur toutes les routes et sur tous les chemins et sentiers du Rwanda, rendant toute circulation impossible pour les Tutsis, qui y étaient arrêtés, torturés, violés, puis atrocement massacrés ; ce sont elles qui poursuivront chaque fuyard dans les forêts, dans les marais ; ce sont elles qui massacreront dans les églises les Tutsis qui croiront y avoir trouvé refuge ; et qui appelleront l’armée lorsque les fugitifs opposeront une trop forte résistance. »

 

 

 

Les Interahamwe, une milice d'une violence extrême entretenue par le régime hutu extrémiste

Les Interahamwe, une milice d'une violence extrême entretenue par le régime hutu extrémiste

 

 

 

Les membres des trois familles sont roués de coups par les Interahamwe, puis sont emmenés à l’arrière de la maison Sissi. Les militaires ouvrent alors le feu. Dix personnes sont tuées dont Claire Beckers, son mari Isaïe Bucyana et leur fille Katia qui avait été violée au préalable. Une onzième personne qui a réussi à échapper au carnage, est abattue en tentant de franchir un barrage. Une jeune fille de 14 ans, blessée, survivra, ainsi que la grand-mère de la famille Sissi qui sera épargnée par les militaires. Régine et Emmanuel doivent leur vie sauve, car ils se trouvaient derrière le dos des adultes et la force des balles était insuffisante pour les atteindre. Ils passèrent ainsi plusieurs heures sous les corps avant de tenter de rejoindre un voisin du nom de Abadala. Celui-ci refusa de leur ouvrir la porte. Ils passèrent la nuit dans le WC du jardin et le lendemain matin, Régine et Emmanuel frappèrent à nouveau à la porte d'Abdala qui leur ouvrit et les hébergea. Les génocidaires les recherchaient et eux aussi frappèrent chez Abdala qui eut le courage de bluffer en leur disant qu'ils pouvaient fouiller toute la maison et qu'ils ne trouveraient rien. Les génocidaires n'insistèrent pas. Ainsi, Régine et Emmanuel furent sauvés.

 

Neretze est accusé d’être à l’origine de ce massacre, car il aurait averti les militaires et les Interahamwe locaux de la tentative de fuite des trois familles. En effet, sa maison était voisine de celle des Sissi. C’est ici qu’au cours du procès, l’on s’aperçoit que les témoignages divergent et sont parfois contradictoires.

 

Un témoin a affirmé que l’employé de maison de l’accusé était présent avec les Interahamwe au moment du crime. Un autre a déclaré avoir vu l’accusé observer les préparatifs de départ des victimes et désigner aux militaires la maison des Sissi. Un autre témoin encore a déclaré que Fabien Neretze était craint dans le quartier et qu’il dirigeait des Interahamwe. Et encore une autre personne a affirmé que, selon elle, seuls deux individus ont pu donner l’alerte aux militaires, soit Fabien Neretze, voisin direct des Sissi, soit le major Evariste Nyampame, dont la parcelle donne sur la façade arrière de la maison des Sissi.

 

L’accusé nie formellement avoir dénoncé ses voisins, affirmant que la famille Sissi et la sienne étaient très proches. Il a également précisé que sa famille elle-même avait été la cible d’attaques à Kigali, fin mars 1994.

 

Un autre crime dont est accusé Fabien Neretze est le meurtre de Joseph Mpendwanzi qui est évoqué par plusieurs témoins. Mais d’abord, comment cela s’est-il déroulé ? Joseph Mpendwanzi, hutu, est né en 1937 et est assistant médical à Mataba, avec rang de médecin, village natal de Fabien Neretze dans la préfecture de Ruhengeri . Il a été accusé en 1980 d’avoir participé à une tentative de coup d’Etat et fut emprisonné à plusieurs reprises avec interdiction d’exercer son métier, puis assigné à résidence. Comme il possédait de nombreuses terres, il parvint à subvenir aux besoins de sa famille. Il fonda même une entreprise agricole rentable. Il avait en outre fondé à Ndusu une coopérative exploitant de la chaux qui est indispensable pour engraisser les champs au Rwanda. Sa réussite provoqua la jalousie de l’élite locale. En plus, bien qu’interdit de prodiguer des soins, il aida plusieurs femmes à accoucher et soigna des malades chez eux. Aussi était-il fort apprécié à Mataba. Après l’avènement du multipartisme en 1991, suite aux accords d’Arusha, Joseph Mpendwanzi adhéra à un nouveau parti d’opposition, le Mouvement Démocratique Républicain (MDR) dont il devint le chef local. Le régime les redoutait. En effet, dès le début du génocide d’avril-juillet 1994, les membres du MDR furent les premiers à être traqués.

 

 

 

Carte de la région de Mataba au Nord-Ouest du Rwanda,  non loin du lac Kivu et de la frontière zaïroise (aujourd'hui RDC)

Carte de la région de Mataba au Nord-Ouest du Rwanda, non loin du lac Kivu et de la frontière zaïroise (aujourd'hui RDC)

 

 

 

Le 16 avril 1994, Fabien Neretze quitte Kigali avec sa famille pour rejoindre sa maison à Mataba. Plusieurs témoins affirment qu’il y aurait créé et entretenu une milice Interahamwe qui se livra à de nombreux massacres de Tutsis et de Hutus dits « modérés ». Le nombre de victimes est indéterminé, l’identité de la plupart des victimes étant inconnue, sauf deux d’entre elles : Anastase Nzamwita, un ancien employé de l’OCIR-café dont l’accusé était directeur. Il a été battu à mort par les Interahamwe et jeté dans la rivière Nyabarongo qui forme la limite méridionale de Mataba. La seconde victime est Joseph Mpendwazi.

 

Neretze était bien connu à Mataba et estimé comme un bienfaiteur. En effet, il a financé la construction en 1989 de l’école secondaire ACEDI-Mataba et celle d’un centre médical. Ses sources de financement restent encore mystérieuses. Par exemple, on l’accuse d’avoir détourné 2,5 millions de francs rwandais de l’OCIR-café. Néanmoins, Neretze était considéré comme « seigneur en ses terres », selon une enquêtrice belge. C'est ainsi qu'il avait autorité sur tout, étant le « patriarche ».

 

À la fin avril, une réunion est organisée à l’école de Mataba où la population est convoquée. Elle est présidée par le nouveau Préfet, aujourd’hui décédé, le sous-préfet Busengo condamné à la prison à perpétuité et qui a témoigné par visio-conférence au procès, le bourgmestre de Ndusu dont dépendait la municipalité de Mataba, une autre personne non identifiée et Fabien Neretze. À cette réunion, selon plusieurs témoins, il fut question de sécurité alors qu’on entendait des coups de feu à l’extérieur. Selon de nombreux témoins, les fonctionnaires et Neretze encouragent les habitants à dénoncer les « Inyenzi » (cafards) qui sont cachés et à démolir les maisons de ceux qui ont été tués aux premiers jours du génocide. D’après un autre témoin, il a été donné ensuite comme instruction d’effacer les marques sur les maisons des Tutsis qui n’avaient pas été détruites. En effet, les Interahamwe avaient semé la terreur. Ils forçaient les habitants à s’enfermer dans leurs habitations et « marquaient » les maisons des Tutsis. Par après, les militaires passaient et emmenaient tous les Tutsis vers la rivière Nyabarongo où ils étaient abattus à coups de fusil et jetés dans l’eau. L’accusé Neretze et le sous-préfet Busengo entendu en visio-conférence contestent cette version des faits et que l’objet de cette réunion était d’inciter les habitants à assurer leur propre sécurité contre les infiltrations d’éléments du FPR… Toujours le même argument de défense : les massacres sont le fait du FPR et non des milices du régime ! On peut noter une anecdote : à la fin de son audition, Busengo a demandé à la présidente de la Cour la faveur de saluer Neretze ! Celle-ci a bien sûr refusé et a garanti au témoin que Neretze était bien vivant !

 

 

 

L'école de Mataba où eut lieu la réunion entre les officiels "génocidaires" et la population locale, sans doute fin avril 1994.

L'école de Mataba où eut lieu la réunion entre les officiels "génocidaires" et la population locale, sans doute fin avril 1994.

 

 

 

Quant à l’école, elle était gardée jour et nuit par une équipe de gardiens qui fut « renforcée » par d’autres gardiens qui seraient en réalité des Interahamwe armés selon plusieurs témoins et qui étaient à l’école secondaire. Sur ces faits, il y a confusion entre les déclarations de plusieurs témoins. Cependant, quelles que soient les versions, tous les témoins mettent Fabien Neretze au centre de cette affaire.

 

On peut se poser cette question : l’école de Mataba ne servait-elle pas de base aux génocidaires ? Une école devenue la base de criminels ! Quel terrible symbole !

 

L’autre crime dont Fabien Neretze est accusé est le meurtre de Joseph Mpendwazi. Comme à l’accoutumée, l’accusé conteste toute implication dans ce crime. Il a notamment déclaré que certains des témoins qui l'accusent lui sont inconnus. Voyons les faits.

 

Godelieve Mpendwazi reçoit à Bruxelles des nouvelles de son père le 8 mai 1994. Des militaires sont arrivés au marché pour le capturer, mais il a pu fuir. Joseph Mpendwanzi s’enfuit vers la rivière Nyabarongo. Des paysans l’y ont vu mais ne l’ont pas dénoncé. Il reste caché, chez un voisin, sur la colline faisant face à la maison familiale, jusqu’au 19 juin 1994. Ce jour-là, une voisine vient prévenir Jacques qu’un homme encadré par des Interahamwe est venu sur la colline et qu’une femme a montré l’endroit où est caché son père. Paniqué et impuissant, Jacques observe la scène depuis sa maison : deux hommes grimpent la colline, entrent dans la maison où son père est caché et ressortent après 10 minutes avec son père, habillé en rouge-bordeaux.

 

« Comme ce tapis, ici, dans la salle d’audience », dira-t-il à la Cour. Neretse est présent. Ils descendent vers le pont qui surplombe la rivière et Jacques perd son père de vue.

 

La suite des événements, Godelieve et Jacques la tiennent de leur petit-frère Jean-Paul présent près du pont. Leur père est ligoté les mains derrière le dos, humilié, battu. Neretze se réjouit : « Ton jour est venu. On a capturé le Grand Inyenzi, le chef FPR local ».

 

On charge Joseph à l’arrière de la camionnette, on lui jette des sacs de pommes de terre sur le dos et il est emmené au camp militaire, d’où il ne reviendra pas.

 

L’audition de Godelieve et Jacques est aussi l’occasion de confronter la version des faits de Neretse à celle des principaux concernés. Il prétend, par exemple, avoir financé les études d’Emmanuel, le fils aîné de la famille Mpendwanzi. Jacques le conteste formellement : « Emmanuel n’a jamais été à l’école de Mataba et de toute façon, à l’époque où il a fait ses études, l’école n’existait pas encore ».

 

Godelieve et Jacques terminent leur audition en réclamant la justice pour leur père qui a sauvé beaucoup de vies au Rwanda. Ils insistent sur le fait que Fabien Neretse n’est pas n’importe qui. En raison de ses moyens, c’est un homme influent dans sa région, aujourd’hui encore.

 

Ajoutons que si Neretze n’est pas « n’importe qui », Joseph Mpendwanzi fut un homme de qualité. Un de ces hommes dont l’Afrique a un besoin vital, à la place de ces chefs de guerre qui prennent et se maintiennent au pouvoir par la violence et la corruption au plus grand profit des sociétés transnationales qui pillent sans vergogne les ressources en métaux rares en exploitant des esclaves dont bon nombre sont des enfants dans la région des Grands Lacs. Mais, c’est sans doute rêver.

 

Neretze ne nie pas avoir conduit son pick-up pour chercher et ramener Joseph Mpendwanzi. Il prétend qu’il en a été contraint par les militaires à son corps défendant…

 

Nous en resterons là. Bien des témoignages mériteraient d’être rapportés comme celui de cette infirmière du centre de santé de Mataba traquée par les Interahamwe et les militaires, qui a réussi à fuir avec son enfant, mais son mari n’a pu suivre. Il a été tué. Elle s’est d’abord réfugiée au centre de santé, que les miliciens ont fouillé peu après. Elle s’est échappée en se cachant dans une bananeraie et puis dans un caféier et enfin a réussi à traverser en pirogue la rivière Nyabarongo. Quelques jours plus tard, elle décida de revenir au centre de santé où elle pensait se trouver en sécurité. Elle retraversa la rivière sur une civière se faisant ainsi passer pour une malade et put ainsi se cacher en son lieu de travail.

 

Aujourd’hui, les derniers témoins ont été entendus. Place aux plaidoiries des parties civiles, au réquisitoire du Procureur fédéral et aux plaidoiries de la défense. Ensuite, ce sera, après les dernières répliques, au jury à prononcer son verdict.

 

Le poids de la preuve

 

Celui qui fut le premier juge d’instruction belge à enquêter au Rwanda sur le génocide, Damien Vandermeersch, a écrit un ouvrage remarquable sur le génocide rwandais : « Comment devient-on génocidaire ? » GRIP, Bruxelles, réédition 2019.

 

Il écrit : « En jugeant des auteurs de tels actes, la justice remet l’accent sur la responsabilité individuelle face au crime collectif. »

 

 

 

Le juge Damien Vandermeersch aujourd'hui avocat général près de la Cour de cassation a enquêté au Rwanda juste après le génocide.

Le juge Damien Vandermeersch aujourd'hui avocat général près de la Cour de cassation a enquêté au Rwanda juste après le génocide.

 

 

 

En effet, toute la difficulté de ce procès est : le génocide est un crime collectif décidé et organisé par avance. Or, la Justice juge des individus et non des groupes. L’accusé est-il le seul responsable du génocide ? Evidemment non, mais il est accusé d’y avoir pris une part active soit en incitant au crime, soit en y participant. Et pour Damien Vandermeersch, c’est « Une démarche essentielle dans une société où tout le monde se considère comme un simple maillon d’une machine, une société où nombre de crimes ont pour toile de fond l’anonymat et la banalisation des comportements. » C’est ce que dénonça Hannah Arendt dans son ouvrage reportage « Eichmann à Jérusalem » (Gallimard, 2002) en évoquant « la banalité du mal ». Ce qui lui fut d’ailleurs abondamment reproché !

 

Me Hirsch, avocate de Martine Beckers proclame : « En Droit, le jury n'a pas à juger de la qualfication de génocide mais d'une série de crimes commis par Fabien Neretse. » Il s'agit donc bien de juger un individu fut-il Neretse ou une quelconque autre personne. 

 

 

Mais, le jury en ce procès aura une lourde tâche : culpabilité ou acquittement de Fabien Neretse ? Nous l’avons vu : l’ensemble des témoignages est accablant pour l’accusé. Il est d’ailleurs recherché dans son pays pour crime de génocide. Il a d’ailleurs été condamné par les GACACA (prononcer « Gatchatcha ») qui sont des tribunaux locaux où toute la population participe l’ensemble de la population. En effet, après la prise de pouvoir par le FPR de Kagame, la machine judiciaire rwandaise était en décomposition. C’est ainsi que l’on a rétabli provisoirement ces tribunaux coutumiers qui ont d’ailleurs été dissous par après. Il est évident, bien entendu, que ces juridictions sont arbitraires et ne peuvent garantir une Justice digne de ce nom.

 

Mais, et c’est dramatique, il n’y a que fort peu de preuves formelles établissant la culpabilité de Fabien Neretse.

 

La charge de la preuve incombe à l’accusation, le poids de la preuve est supporté par le jury. Et il semble bien léger au regard des témoignages, certes contradictoires et imprécis dans bien des cas, mais globalement accablants pour l’accusé aussi bien à Nyamirambo qu’à Mataba.

 

Peut-on juger sans preuves ? Non, bien sûr. Pourtant, les jurés doivent exprimer leur conviction en âme et conscience. Comme l’a écrit Stefan Zweig, « Nul n’échappe à sa conscience ». Et leur verdict ne suffit pas. Ils sont tenus à le motiver.

 

Et il y a un autre aspect comme l’écrit Damien Vandermeersch :

 

« Si le verdict est « coupable », les faits sont qualifiés et imputés à l’accusé. La justice joue un rôle indispensable en identifiant des criminels de droit international humanitaire ; car reconnaître quelqu’un coupable, c’est aussi reconnaître « officiellement » les victimes. Enfin un soulagement à travers cette vérité affirmée et partagée publiquement, vérité qui contribue à replacer les repères perdus et qui constitue par ailleurs la première étape d’un processus de mémoire. »

 

La responsabilité des jurés est énorme. Celle de la Justice belge aussi, car si ce procès qui aura duré un mois et demi sans compter les longs et nombreux devoirs d’enquête préalable, aboutit à un non-lieu, ce sera terrible. Jacques Mpendwanzi, le fils de Joseph assassiné par les génocidaires, partie civile avec sa sœur Godelieve, a dit à la Cour : « Ça fait 25 ans qu’on souffre … il nous manque beaucoup … il s’est sacrifié pour nous … On demande simplement la justice ! S’il est innocent, il doit être innocenté, s’il est coupable, il doit être condamné. C’est vous qui décidez ! »

 

Oui, la Justice est interpellée ! Il n’y a plus qu’à attendre le verdict. Pourvu qu’il accorde à Jacques, Godelieve, Martine et à tant d’autres la possibilité d’entamer le processus de mémoire.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Sources :

 

Evelyne Guzy, Mélanie Moraes et Florence Evrard qui ont écrit plusieurs compte-rendus pour le Groupe de soutien aux parties civiles, reportage de Pierre Verhas, « Comment devient-on génocidaire ? » par Damien Vandermeersch.

 

 

 

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1 décembre 2019 7 01 /12 /décembre /2019 17:54

 

 

 

Ce titre fait évidemment songer à la théorie du complot et aux fameuses « fake news » dont les autorités politiques et médiatiques veulent nous préserver dans leur plus grand intérêt. Pourtant, à la lecture de la recension de l’ouvrage éponyme de Madame Liliane Held-Khawam, dont la biographie se trouve sur son blog (https://lilianeheldkhawam.com/), effectuée par notre ami Bernard Gensane sur son blog (http://bernard-gensane.over-blog.com/) on est confronté à une réalité qu'on devinait mais qui est bien plus redoutable que ce qu'on pensait.

 

Liliane Held-Khawam est née à Héliopolis (Egypte) et a vécu au Liban, en France, Suisse, aux Etats-Unis. Elle est aujourd’hui binationale (Suisse- Liban) mais avec des origines multiples (byzantine, arménienne, alépine, libanaise, grecque, éthiopienne).

 

Elle est diplômée en 1982 en économiste d’entreprise de l’Université de Neuchâtel (Suisse). Elle a fondé en 1989  une entreprise basée à Lausanne (Suisse) et active dans le conseil en stratégie d’entreprise et en management. Le slogan de l’entreprise est « Le développement de l’Humain dans le développement de l’Organisation ».

 

Elle a mis au point un système de gestion qui intègre le développement des processus,des projets et des compétences humaines. Cette méthodologie, appelée MPC,  vise une gestion d’entreprise basée sur l’Humain.

Elle est également l’auteur du livre Le Management Par le Coaching (MPC): le cadre à la recherche de ses repères, publié aux éditions Promind en 2002 et traduit en anglais. http://viaf.org/viaf/95216793/ Elle est aussi fondatrice de http://www.hr4free.com et http://www.management4free.com dont l’objectif est de ré-humaniser l’économie en mettant gratuitement à disposition de tous des outils de RH et de Management. Ces sites sont visités quotidiennement par plusieurs milliers de personnes venus de plus de 185 pays.

 

Elle s’est intéressée à l’économie politique le 6 septembre 2011 au moment où la BNS a fixé artificiellement le taux-plancher euro-franc suisse à 1.20.

Membre active de Impressum Vaud, association vaudoise des journalistes (Suisse) http://www.impressumvaud.ch

 

L’ouvrage que Lilian Held-Khawam vient de publier est essentiel pour comprendre le système de la finance mondialisée qui est en train de couvrir le monde d’une chape de plomb. Une élite financière domine la planète et l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui, et est entièrement entre ses mains.

 

C’est une tyrannie qui s’est installée et l’auteure explique comment elle a pu prendre le pouvoir depuis les années 1960.

 

 

Bernard Gensane a écrit sur son blog une recension complète du « Coup d’Etat planétaire », livre que nous devons tous lire et qui nous aidera à réfléchir sur l’avenir de ce monde et aux moyens de Résistance contre la financiarisation globale afin de retrouver notre souveraineté qui n’interdit en rien la solidarité et l’internationalisme, bien au contraire.

 

 

Un exemple récent : la banque coopérative belge New B qui vient d’être fondée dispose du capital suffisant pour pouvoir fonctionner, mais on ne sait pas comment va réagir la Banque Centrale Européenne qui préfère des banques de grande taille, les fameuses « too big to fail » qui sont responsables de la crise financière de 2007 – 2008. On se rappelle cependant qu’une des recommandations des « régulateurs financiers » après cette crise était d’en finir avec ce type de banque afin de les remplacer par des banques moyennes plus faciles à recapitaliser en cas de problème. Ils avaient aussi recommandé de revenir avec la séparation banque d’affaire – banque de dépôt. On sait ce qu’il en est aujourd’hui. Et avec Christine Lagarde à la tête de la BCE, il ne faut pas s’attendre à un revirement en la matière.

 

 

Pierre Verhas

 

 

NB. Il y a juste un élément qui est inexact dans cette recension. Dans l’Eurozone, depuis 2002, les Etats membres ne peuvent plus battre monnaie puisque c’est devenu une prérogative de la Banque Centrale Européenne. Donc, ce n’est pas « anticonstitutionnel » pour ces Etats puisqu’ils ont confié par traité cette prérogative à la BCE dès le traité de Maastricht de 1992. Par contre, pour les autres Etats, évidemment, ce droit souverain leur a été retiré par le système financier mondial.

 

 

 

Lilian Held-Khawam : une analyste rigoureuse et sans concessions

Lilian Held-Khawam : une analyste rigoureuse et sans concessions

 

 

 

Liliane Held-Khawam. Coup d’État planétaireComment une élite financière s’arroge le pouvoir absolu par la captation universelle des ressources. Éditions Réorganisation du monde. 2019.

 

 

En 2018, Liliane Held-Khawam – qui a publié une cinquantaine d'articles dans Le Grand Soir – nous avait expliqué dans Dépossession comment l’hyper puissance d’une élite financière mettait les États et les citoyens à genoux. Avec cet ouvrage magistral, très analytique et formidablement documenté, elle va plus loin en décrivant l’instauration d’une tyrannie globale qui ne fait même plus semblant de se cacher derrière les faux-nez d’une “ démocratie ” qui n’existe plus.

 

Économiste, entrepreneur, Liliane Held-Khawam a une vraie connaissance du système de l’intérieur. Pour elle, cette tyrannie s’est installée en trois moments. Un premier stade à partir 1960, avec l’essor des pétrodollars gérés par la haute finance qui a développé les paradis fiscaux jusqu’en 1986, l’année du big bang financier consécutif à la dérégulation financière imposée par l’Acte unique européen. Le deuxième stade a duré jusqu’en 2007, avec la crise du système monétaire et financier qui a culminé dans le scandale des subprimes. Cette période fut pour LH-K celle de la mondialisation proprement dite qui a vu les structures étatiques classiques se vider de leurs pouvoirs décisionnels. Le troisième stade nous amène à aujourd’hui. Non seulement les élus ont accepté d’être dépossédés de tout pouvoir par les groupes financiers transnationaux mais ils se sont efforcés de convaincre les peuples qu’ils étaient incapables de les protéger contre les effets dévastateurs de l’endettement pensé, programmé, des États.

 

 

Depuis une trentaine d’année, une petite oligarchie financière s’est appropriée la presque totalité de la création monétaire, ce qui lui a permis de coordonner les flux financiers qui régentent le marché mondial, l’industrie, le commerce, l’industrie dans son ensemble. Autrefois attribut du souverain, la création monétaire était jusqu’à il y a peu l’apanage des États. Dès lors que des instances privées peuvent battre monnaie, nous sommes en pleine forfaiture anticonstitutionnelle. Les banques centrales ont juste gardé la création monétaire numéraire. L’essentiel de la monnaie a été remis aux banques commerciales. La conséquence est que « les détenteurs de la création monétaire sont dépositaires de richesse incommensurables grâce à l’endettement généralisé des sociétés. […] En transférant la création monétaire-crédit à des privés, les États se privent d’importants bénéfices, sont lestés de dettes impossibles à rembourser, et gagent leur patrimoine commun. Ils s’asservissent à l’oligarchie monétaire. » Les Etats-Unis n’échappent pas à cette règle d’airain, leur dette étant actuellement de 22 trillons de dollars.

 

 

LH-K pose une grave question : un État peut-il encore être souverain ? Vu de la droite lucide, la réponse est « non ». Ainsi, pour Marie-France Garaud, l’élection présidentielle n’a strictement aucune importance car la souveraineté repose sur quatre pouvoirs dont les États et les politiques se sont progressivement défaits : battre monnaie, décider de la paix et de la guerre, faire les lois, rendre la justice.

 

 

L’économie est désormais organisée en monopoles. C’est le cas, par exemple et malheureusement, de l’industrie pharmaceutique qui voit l’appât du gain passer bien avant la santé des patients. Des médicaments cessent d’être fabriqués, d’autres ne sont pas vendus car leurs prix ne sont pas assez élevés selon les trusts. Ce sont ces mêmes trusts, ou leurs lobbys, qui tiennent la plume lorsqu’il s’agit de rédiger des lois créant des niches fiscales. Ces mêmes trusts qui ne reconnaissent pas les tribunaux nationaux ou qui les défient lorsque c’est nécessaire comme quand la multinationale Lone Pine a demandé au gouvernement canadien de lui accorder 250 millions de dollars de « réparations » pour le manque à gagner à cause du moratoire sur l’extraction du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent. On a vu des entreprises étrangères engager des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Égypte ou contre la limitation des émissions toxiques au PérouPlus de 450 procédures de ce type sont actuellement en cours dans le monde. Tous les Codes du travail font l’objet d’attaques frontales.

 

 

 

Nous sommes passés, explique Liliane Held-Khawam, au stade de la mondialisation par la transformation des citoyens en consommateurs. En Europe, même pas besoin de l’idéologie thatchérienne pour cela puisque la consommation figure dans les textes officiels de l’UE : « Avec 502 millions de consommateurs depuis l’élargissement de 2007, il s’agit du plus grand marché au monde. » La chute du Mur de Berlin a coïncidé avec la fin des trente glorieuses et a permis le passage de l’internationalisation à la mondialisation, que l’UNESCO définit comme « le processus d’intégration des marchés qui résulte de la libéralisation des échanges, de l’expansion de la concurrence et des retombées des technologies de l’information et de la communication à l’échelle planétaire. » Que pour l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture la culture et la concurrence soient en parfaite symbiose, cela est tout un programme, mieux une idéologie.

 

 

Afin d’être partie prenante de la globalisation, les grandes entreprises vont devenir transnationales, « en se construisant indépendamment des frontières ». Elles vont se dénationaliser, « gommer ce qui les relient à leur pays d’origine ». La filiale “ française ” d’un géant étasunien installera son siège social à La Haye et payera (en fait, ne payera guère) ses impôts au Luxembourg. Toute tentative de résistance de la part des travailleurs ou des pouvoirs publics français débouchera sur une prompte délocalisation en Pologne ou au Viet Nam. Dans le cas d’un super géant comme Amazon, l'entreprise se permettra de collecter 10 fois plus de données que l’Administration, et de les revendre.

 

 

Les maîtres de ces entreprises vont s’emparer petit à petit de la gouvernance des États (sur le concept de «gouvernance » qui est loin d’être neutre, lire absolument cet article de Bernard Cassen de 2001) en devenant les partenaires privilégiés et officiels des gouvernements (les tristement célèbres PPP, partenariat public-privé, se pratiquent désormais à l’échelle mondiale). L’autrice de ce livre connaît à fond les arcanes des lobbys bruxellois, à commencer par Business Europe, organisation qui regroupe entre autres Bayer, BMW, Google, Microsoft, Shell, Total. Un lobby capable de tenir 170 réunions en trois ans avec l’élite de la Commission. Quand il y a lobby, il y a vite pub. C’est ainsi que Coca Cola sponsorise la présidence roumaine de l’UE.

 

 

Autre caractéristique de la globalisation : les pratiques des entreprises transnationales s’imposent progressivement aux méthodes de fonctionnement des fonctions publiques. Avec l’aide, pour ce qui nous concerne, des manitous de l’UE. Au premier chef, les social-traîtres du style Moscovici pour qui « on peut très bien avoir des services publics gérés par des entreprises privées. » Quand l’État se met à genoux devant le service privé, il se retrouve sur les genoux, comme quand il accorde – de son plein gré, n’est-ce pas ? – 205 millions d’Euros à la SNCM au moment où elle a été privatisée par le fonds Butler Capital Partners et Veolia Transport.

 

 

Quoiqu’il arrive, les intérêts privés sont toujours gagnants. Les autoroutes que la classe politique gouvernante française dans son entier a privatisées représentent 15% des activités de Vinci, mais 60% de ses profits. Leurs sociétés dégagent une marge brute de 73%.

 

 

E la nave va. Pas forcément dans le mur…

Le coup d’Etat planétaire

Coup d'Etat planétaire

Éditeur : Réorganisation du monde 

EAN :   978-2-9701262-2-5

Prix : 38,05 €

 

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11 novembre 2019 1 11 /11 /novembre /2019 20:33

 

 

 

Le dernier roman de Michel Claise, magistrat et écrivain, est un cri de révolte et d’indignation. Son héroïne, Monica, se retrouve après avoir subi un drame épouvantable, dans l’univers des Sans Abris, des SDF. Cet univers que l’on refuse d’appréhender, de voir, de sentir, cet univers qui nous fait honte. Nos regards se détournent quand nous en voyons une ou un faire la manche dans nos belles avenues commerçantes.

 

 

 

Michel Claise met dans son dernier roman ses talents de magistrat, d'écrivain et d'observateur implacable au service d'une cause par trop souvent ignorée.

Michel Claise met dans son dernier roman ses talents de magistrat, d'écrivain et d'observateur implacable au service d'une cause par trop souvent ignorée.

 

 

 

Certains astronomes pensent qu’il n’y a pas qu’un seul univers et qu’il existe en plus du nôtre, des univers parallèles que nous sommes encore incapables d’observer pour peu qu’ils existent. Nous regardons en biais, car nous voulons ignorer l’univers de la rue, celui des rejetés de notre société sans issue. Si les médias nous rappellent que les SDF existent – et  sont de plus en plus nombreux – surtout lorsque les températures tombent sous zéro degré centigrade et, à l’approche des fêtes de fin d’année où il est bon de donner son obole ou – encore mieux à participer à un repas dans un resto du cœur lors d’un des deux réveillons, la vérité veut que nous nous donnons bonne conscience et qu’en réalité nous troublons notre vision le plus possible, car nous en avons peur et surtout, dans cette société atomisée, nous ne savons plus ce que signifie le mot humanité.

 

Michel Claise emmène la jolie Monica d’abord à l’ULB – évidemment ! – où elle fait de belles études de philo romane afin de devenir prof de français. Elle rencontre un autre étudiant, Philippe, un beau et brillant garçon qui termine ses études d’ingénieur polytechnicien avec « grande dis ». Elle est originaire de Couvin près de la frontière française. Ses parents appartiennent à la classe moyenne. Elle « kote » à la cité U. Lui habite chez ses riches parents dans une splendide villa à Uccle. Il est fils unique. Ils connaissent l’amour intense. Tous deux vivent un paradis. À la fin de leurs études, lui dégote un job de cadre supérieur dans une grosse boîte informatique et elle a la chance d’obtenir un poste de prof de français dans un lycée huppé de Bruxelles. Elle accouche par après d’un petit Matthieu. Ils décident de partir en vacances dans le Midi de la France. Là, c’est la catastrophe. Sur l’autoroute du Midi de la France, près de Dijon, Philippe ne put éviter l’accident. Un camion écrase la voiture. Philippe et Matthieu sont tués sur le coup. Monica est désincarcérée dans un état quasi désespéré. Cependant, les chirurgiens parviennent au bout de plusieurs semaines à la sauver et à la rafistoler après qu’elle ait été mise en coma artificiel pendant plusieurs jours. À son réveil, le choc est insupportable quand, en plus de sa souffrance, elle apprend la mort de son fils et de son mari.

 

Et c’est la descente aux enfers. De retour en Belgique, elle est prise en main par sa tante. Monica n’a plus le courage d’aller travailler. Elle s’isole dans son appartement. Elle boit de plus en plus, se replie sur elle-même et un jour, elle franchit le pas : elle remplit une valise de vêtements et de bouteilles d’alcool et elle quitte l’appartement en laissant la clé à l’intérieur de la porte. Et là, elle va pénétrer dans l’autre univers, celui des SDF. Gare du Midi, d’abord. Elle y rencontre une autre femme sans-abri, Sandrine, qui la prend rapidement sous son aile et lui enseigne les codes de vie de la rue. Et là, l’auteur se lâche. Michel Claise redevient l’enquêteur qu’il est. Il décrit en détail ce monde des SDF avec la violence des bandes de voyous et des dealers qui s’attaquent à eux, les uns gratuitement, les autres parce que les Sans Abris empiètent sur leur « territoire » de commerce, et aussi avec les bagarres entre SDF pour des broutilles. Il faut tenter de vivre en groupe pour se protéger des agressions et trouver un peu de chaleur pour essayer de dormir. Monica fait son « apprentissage ». Elle apprend ainsi comment faire un « logement » avec des cartons. 

 

Michel Claise décrit une ville où cet univers parallèle est partout. Cependant, il se trouve sous les yeux et sous le nez des quidams comme nous qui ne veulent rien voir, rien sentir. Même la police n’intervient pas toujours. Trop peu nombreuse et mal équipée, elle est contrainte de « sélectionner ». Et puis, le monde des dealers est d’une violence inouïe : les caïds, de jeunes mecs conduisant de grosses cylindrées, viennent livrer la « marchandise » aux dealers de rue et « relever » les compteurs. Tout dealer qui dévie est immédiatement sanctionné. Au mieux par un passage à tabac, au pire par la mort. L’un d’entre eux, Youssef, un jeune Marocain paumé rejoint le groupe de SDF de Monica qui dormait dans un endroit caché de la Gare centrale. Il « deale » avant de roupiller avec eux. Un soir, il revient dans un état épouvantable. Il fut certainement rossé et Youssef meurt la nuit dans ce cloaque qu’ils appelaient la « caverne ». Au petit matin, après l’avoir constaté, l’un d’eux lui fait son éloge funèbre : « Pauvre garçon, il n’était pas assez voyou pour survivre dans ce monde qui l’a avalé. »

 

L’univers SDF a aussi ses codes. Chacun doit faire la manche afin de pouvoir se payer un repas dans un bistrot qui les admet et/ou acheter des bouteilles d’alcool de mauvaise qualité parce que moins chères. Cependant, le « partage » des territoires de manche n’est pas évident. Et il fait aussi l’objet de bagarres. Chacun a son territoire et pas question qu’un autre vienne s’y installer. De plus, il faut choisir un endroit où il y a du passage. La sortie d’une grande surface ou d’une agence de banque, par exemple. Les rues commerçantes sont les plus propices à la manche. Et puis, il y a les Roms. Ces femmes avec leurs enfants en bas âge qui mendient à longueur de journée. Elles sont sous la coupe de brutes qui les amènent à des endroits décidés d’avance. Ces types veillent à ce qu’il n’y ait pas d’autres mendiants dans le coin, et ceux qui s’y trouveraient sont invités à déguerpir, sinon ils sont battus avec la pire des violences. C’est ce qui est arrivé à la veille du Nouvel an à un membre du groupe de Monica. Son état étant sérieux, un inspecteur de police fit appel aux secours et il fut emmené à l’hôpital.

 

Dans ces ténèbres, luit cependant une lumière : la maraude. Dans l’épisode ci-dessus, elle fut alertée par la police et se rendit auprès du groupe avec des boissons chaudes, des tartines et des mots d’encouragement. Et puis, on peut remercier Michel Claise de réhabiliter le SAMU social de Bruxelles. Si il y a peu, un politicien et sa femme ont flétri cette association en se payant honteusement sur son dos, leurs maraudes composées de bénévoles passant la nuit sous le froid, le vent, la pluie et parfois la neige, prenant le risque de tomber sur des bandes redoutables, aident les SDF avec efficacité et humanité, tentant ainsi d’atténuer leur détresse. Il serait indigne de les confondre avec ces dirigeants indélicats !

 

Un jour, une infirmière aperçut Monica dans la rue et réussit à l’emmener à la Place de la Monnaie où il y avait un mobile-home sur lequel était inscrit « Washing car ». Elle lui fit prendre une douche. Elle s’aperçut qu’elle avait une méchante tache au dos et y appliqua une pommade. Elle prit ses vêtements et lui en donna d’autres propres en lui promettant que la semaine prochaine elle pourrait venir prendre une autre douche et remettre ses habits lavés et repassés. Monica ne revint pas, évidemment ! Ensuite, sa consommation d’innommables tords boyaux finit par la rendre malade. Elle éprouve des douleurs insupportables au ventre. Elle est emmenée d’urgence à l’hôpital Saint-Pierre au centre de Bruxelles où le diagnostic de l’urgentiste est très mauvais. Elle doit se faire opérer. Cependant, au bout de la nuit, Monica s’échappe et rejoint la rue qui est devenu son seul univers.

 

Si les maraudes ne changeront jamais rien à ce terrible phénomène social qu’est le sans-abrisme, elles sont indispensables, car elles apportent un minimum de réconfort à ces milliers de gens qui « dorment » dans la rue, qui n’ont ni passé, ni présent, ni avenir, où le temps ne compte plus sinon pour manger, pour boire de l’alcool, pour essayer de dormir au chaud en ignorant s’il y aura un réveil.

 

Un autre aspect, ce sont les chiens. Pour de nombreux SDF, le chien est leur seul compagnon. Il peut être aussi un protecteur. Michel Claise adresse d’ailleurs un clin d’œil au Prince Laurent, le frère du Roi, qui a monté une petite structure avec des vétérinaires dont la tâche est de soigner les chiens des Sans-abris. Beaucoup de refuges refusent les chiens, aussi leurs maîtres ou maîtresses préfèrent rester dans la rue.

 

Pour Monica, les choses commencent à tourner au vinaigre. Elle était dans un groupe de Russes sans abris comme elle. Après la manche, elle avait assez d’argent pour s’acheter des bouteilles de vodka dans une supérette dans le quartier chic de la Toison d’Or. Au passage à la caisse, elle déclenche l’alarme. Un des Russes avait à son insu caché dans ses poches trois bouteilles. Palabres. La police arrive. Elle est embarquée. Là, elle raconte son histoire. Fichage, prise d’empreintes digitales et elle est relâchée.

 

 

Quelques semaines plus tard, la police vient l’arrêter boulevard de Waterloo. Monica n’est plus qu’une épave. Elle est accusée du meurtre de sa tante qu’elle aurait tué en la frappant avec un cendrier en cristal. De plus, elle en aurait profité pour voler ses bijoux. Elle nie farouchement. Une avocate, Béatrice Dufour, est désignée d’office. Celle-ci prend pitié de cette femme qui va s’accrocher à elle. Et ici, c’est le magistrat Michel Claise qui prend le relai. Tout en poursuivant son intrigue, il décrit avec minutie le fonctionnement de la machine judiciaire : interrogatoire chez le juge d’instruction, compléments d’enquête demandé à deux inspecteurs de police, détention provisoire à la prison des femmes de Berkendael en annexe de celle de Forest dans la banlieue bruxelloise. Là, Monica doit s’adapter aux autres détenues et aux matonnes. Elle y arrive d’autant plus facilement qu’elle subit un sevrage forcé. Monica redevient petit à petit la femme qu’elle était auparavant. Cette métamorphose va être essentielle pour sa défense. De plus, ses parents ont décidé de l’aider à s’en sortir. Ils ne peuvent imaginer que leur fille soit une meurtrière.

 

 

Elle passe d’abord devant le tribunal correctionnel où il est question de la placer dans un asile. Pour Monica, tout sauf l’internement ! Heureusement, les experts psychiatres ne sont pas d’accord entre eux. Me Dufour en profite et parvient à obtenir la saisine de la Cour d’Assise. Ici, nous laissons au lecteur qui le désire le soin de connaître la suite et la fin de cette histoire.

 

Disons une seule chose : le dénouement est tout à fait inattendu. Mais il est d’une logique implacable qui explique tout.

 

Sans Destination Finale est à mon sens le meilleur roman de Michel Claise. Il est passionnant et profond. Chaque page apporte un nouvel élément dans l’intrigue. Il est drôle parfois. Il pose des questions fondamentales dans un environnement dramatique.

 

Le roman est sans doute la meilleure manière de prendre conscience de cette tragédie du sans-abrisme. Michel Claise a exprimé sa révolte lors de la présentation de son ouvrage à la librairie bruxelloise Filigrane, vendredi 8 novembre : « Un roman comme un cri ! ça suffit ! Cette société qui nous étouffe ! »

 

Oui, ça suffit ! Il est temps de se lever et en attendant de faire l’effort de regarder ce qu’il se passe autour de nous, tout près de nous et peut-être même en nous.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

Sans Destination Finale ou l’exclusion volontaire

 

 

Michel Claise

 

Sans Destination Finale

Editions Genèse, Paris, 2019

ISBN : 979-1-09646895-92

Prix : 21 €

 

 

 

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5 novembre 2019 2 05 /11 /novembre /2019 14:45

 

 

 

Les larges avenues

 

Le Chili se soulève comme bien d’autres pays à commencer par la France des gilets jaunes. L’Irak, le Liban, l’Equateur, Hong Kong, la Catalogne et j’en passe. On sent que ces mouvements populaires sont profonds et durables en dépit d’une répression de plus en plus dure. Certes, comme en France, où il y a un essoufflement des gilets jaunes, on observe que le mouvement change de nature. On dirait que s’installe une société parallèle qui échappe au contrôle du pouvoir. Ce phénomène est tout à fait nouveau et déconcerte aussi bien la tête de l’Etat que l’opposition même la plus radicale. En effet, il n’a ni programme, ni leader. Comme toujours, l’histoire réserve des surprises ! Et les pouvoirs néolibéraux commencent à avoir bien du souci !

 

Néanmoins, les dernières paroles prononcées sur les ondes par Salvador Allende le 11 septembre 1973, du palais de la Moneda où il était assiégé par les militaires chiliens putschistes de Pinochet, retrouvent aujourd’hui tout leur éclat :

 

« Continuez et sachez que le jour où vous rouvrirez les larges avenues par où passe l’homme libre pour construire une société meilleure est plus proche que lointain. »

 

Et le peuple chilien a de la mémoire, car il chante à nouveau les hymnes révolutionnaires de l’époque, ici à Santiago du Chili, avec l’aide de l’orchestre philharmonique de la ville, où le temps n’est plus aux commémorations, mais au renouveau.

 

 

 

 

 

 

Règlement de comptes à OK Has been

 

La Belgique – comme d’autres pays dits démocratiques – traverse depuis les élections du 26 mai dernier une crise politique dont on ne voit guère l’issue. Dans une interview au journal le Soir, l’équivalent du Monde ou du Guardian, Antoinette Spaak, fille de feu Paul-Henri Spaak le social-démocrate atlantiste, l’ancienne dirigeante du FDF, le parti francophone bruxellois, fustige Charles Michel, le Premier ministre libéral qui a prématurément démissionné pour se « préparer » à son poste de président du Conseil européen. Elle lui reproche ainsi sa désertion. Antoinette n’a pas tort. On se demande pourquoi il quitte un gouvernement minoritaire aux abois alors qu’il pouvait rester encore un bon mois.

 

 

 

Antoinette Spaak, ancienne leader francophone de Bruxelles, fustige à juste titre le Premier ministre sortant, Charles Michel.

Antoinette Spaak, ancienne leader francophone de Bruxelles, fustige à juste titre le Premier ministre sortant, Charles Michel.

Charles Michel le très libéral Premier mnistre étant recasé à la présidence du Conseil européen n'a rien trouvé de mieux que de quitter son poste avant terme.

Charles Michel le très libéral Premier mnistre étant recasé à la présidence du Conseil européen n'a rien trouvé de mieux que de quitter son poste avant terme.

 

 

 

Mais quelle importance ? Encore jeune, Charles Michel a déjà son bâton de maréchal européen et il terminera sans doute sa carrière dans cinq ans comme administrateur d’une multinationale ou d’une grande banque comme bien d’autres « européens », à moins qu’il ait le secret espoir qu’à l’instar de feu Paul-Henri Spaak, on le rappelle pour résoudre la crise belge. Il a d’ailleurs exprimé son mécontentement au « Soir » d’avoir été « négligé » par les « préformateurs », le socialiste Demotte et le nationaliste flamand Bourgeois.

 

Quand on a été, il est toujours permis de rêver.

 

PV

 

Costa Gavras nous rappelle la crise grecque de 2015.

 

Le grand cinéaste grec de gauche – 86 ans – vient de sortir un film sur la crise de la dette grecque de 2015 où Tsipras et Varoufakis affrontèrent seuls la Troïka et l’Eurogroupe pendant six mois. Yanis Varoufakis, alors ministre des finances du gouvernement Syriza de Tsipras, a raconté cet épisode qui ressemble à une tragédie grecque, dans un livre intitulé « Conversation entre adultes » qui révèle les coulisses des négociations européennes. (Voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2017/11/les-lecons-du-professeur-yanis.html )

 

C’est cet ouvrage qui a servi de base au scénario du film « Adults in the room » qui sort demain 6 novembre. Varoufakis a aidé le cinéaste en lui passant les chapitres de son ouvrage pendant sa rédaction, ainsi que des enregistrements qu’il avait pris lors des réunions européennes.

 

 

 

 

 

 

Il y a cependant un désaccord entre Varoufakis et le président du CADTM, Eric Toussaint qui reproche au ministre des finances grec de l’époque de ne pas avoir contesté la légitimité de la dette grecque.

 

Toussaint écrit :

 

« En contrepoint du récit de Varoufakis repris par Costa-Gavras dans son film, Eric Toussaint indique des évènements que l’ex-ministre des Finances passe sous silence. Toussaint exprime un avis différent de Varoufakis sur ce qu’il aurait fallu faire, sur l’appréciation de ce qu’il a fait et sur la stratégie adoptée par le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras.

 

A partir de la fin avril 2015, sous la pression des dirigeants européens, Tsipras met de côté Varoufakis, sans lui retirer son portefeuille de ministre des finances, pour les négociations à Bruxelles. Il le remplace par Euclide Tsakalotos et donne de plus en plus de poids à Georges Chouliarakis qui agissait objectivement dans l’intérêt des créanciers depuis février 2015. Dijsselbloem et Juncker avaient insisté auprès de Tsipras pour que Chouliarakis soit au centre des négociations car c’était le représentant grec avec lequel ils se sentaient le plus en confiance.

 

A partir de la fin avril 2015, sous la pression des dirigeants européens, Tsipras met de côté Varoufakis, sans lui retirer son portefeuille de ministre des finances, pour les négociations à Bruxelles. Il le remplace par Euclide Tsakalotos [1] et donne de plus en plus de poids à Georges Chouliarakis [2] qui agissait objectivement dans l’intérêt des créanciers depuis février 2015. Dijsselbloem et Juncker avaient insisté auprès de Tsipras pour que Chouliarakis soit au centre des négociations car c’était le représentant grec avec lequel ils se sentaient le plus en confiance.

 

Tsipras accepte de faire de nouvelles concessions à la Troïka avec laquelle il multiplie les contacts et les discussions. Selon Varoufakis, Tsipras a envoyé un courrier fin avril 2015 à la Troïka dans lequel il signifiait son acceptation de dégager un surplus budgétaire primaire de 3,5 % chaque année pour la période 2018-2028. Cette nouvelle reculade rendait impossible la fin de l’austérité car cela nécessitait des coupes supplémentaires dans les budgets sociaux et une accélération des privatisations. Cela n’a pas suffi à la Troïka qui voulait d’autres concessions et un accord n’a pas été trouvé.

 


.

 

Pendant ce temps, la Commission pour la vérité sur la dette grecque instituée par la présidente du parlement grec travaillait d’arrache-pied pour produire son rapport et ses recommandations avant la fin du deuxième mémorandum qui avait été prolongé jusqu’au 30 juin 2015. L’objectif était de présenter le rapport lors d’une séance publique au parlement les 17 et 18 juin 2015 afin de peser sur l’issue du mémorandum et des négociations. Selon le mandat reçu par la commission, il fallait identifier la proportion de la dette qui peut être définie comme illégitime, illégale, odieuse ou insoutenable.

 

 

La commission était composée de 30 personnes, 15 provenant de Grèce et 15 provenant de l’étranger dont plusieurs professeurs de droit dans différentes universités (en Grande-Bretagne, en Belgique, en Espagne et en Zambie), un ex-rapporteur des Nations unies en matière de dette et de respect des droits de l’homme, des experts en finance internationale, des auditeurs des comptes publics, des personnes ayant participé antérieurement à des audits de la dette publique, un ex-président d’une banque centrale et ex-ministre de l’économie, des spécialistes des banques ayant acquis une connaissance approfondie du secteur bancaire au cours de leur vie professionnelle. Parmi les 15 personnes provenant de Grèce, plusieurs avaient une expérience dans le monde bancaire, dans le domaine de la finance internationale, du droit, du journalisme, de la santé. »

 

Et ensuite :

 

« Malgré des demandes répétées qui lui ont été adressées, Yanis Varoufakis n’a pas aidé la commission à réaliser sa mission. Son désintérêt pour la commission est patent car il ne mentionne pas une seule fois celle-ci dans le livre qu’il consacre à son explication des évènements de 2015. Il n’a pas du tout compris que cette commission et les conclusions qu’elle allait produire pouvaient grandement aider la Grèce à se libérer des créanciers avec des arguments très forts tant par rapport à l’opinion publique en Grèce que par rapport à l’opinion internationale. Bien sûr, pour que les propositions de la Commission trouvent un débouché concret, il aurait fallu que des membres du gouvernement fassent du bruit autour des enjeux et des travaux de cette commission. Qui était la personne la mieux placée du gouvernement pour faire écho à l’audit de la dette si ce n’est le ministre des finances ?


.

En effet, cette commission avait été instituée par la présidente du Parlement grec qui se situait à la gauche de Syriza. Contrairement à ce qu’écrit Toussaint, Varoufakis y fait une courte allusion dans son ouvrage. Il ne fait aucun commentaire sur le travail de cette commission. Il dit simplement qu’il n’était pas en position pour négocier la légitimité de la dette grecque. D’ailleurs, la question se pose pour toutes les dettes : quelle est la part de légitimité et celle d’abus ? Qui va arbitrer ? Il n’existe aucun organe politique ou judiciaire à même de trancher cette question fondamentale.

 

Yanis Varoufakis a négocié avec les moyens dont il disposait… c’est-à-dire quasi rien ! La seule garantie était donc l’échec.

 

Une véritable question quand un parti de gauche prend le pouvoir : quels sont les moyens de ses fins ?

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 23:11

 

 

 

Le 21 octobre a eu lieu la première audience de Julian Assange dans le cadre de la procédure d’extradition vers les USA au tribunal de première instance à Westminster.

 

Un diplomate amoureux du droit et de la vérité

 

L’ancien ambassadeur de Grande Bretagne, Craig Murray rapporte le déroulement de cette audience qui a été traduit et publié en français sur le site du « Grand Soir ». Murray n’est pas n’importe qui. Né dans le Norfolk en 1958, il fit ses études dans un lycée du Norfolk qui était plutôt militariste. Il refusa de porter l’uniforme des cadets et ses résultats scolaires en pâtirent. Il a rejoint le parti libéral anglais dont il fut président des jeunesses d’East Anglian. Il poursuivit ses études à l’université de de Dundee où il obtint une Maîtrise des Arts en sciences humaines. Il a passé en 1984 le concours ouvert de la fonction publique. Après avoir brillamment réussi ce concours, il opta pour la diplomatie. Murray fut chargé de mission du Foreign Office et du Commonwealth Office dans plusieurs pays dont le Nigeria, en Pologne, au Ghana, puis il devint fonctionnaire responsable à Chypre. En août 1991, il travaillait au centre de surveillance de l’embargo en tant que chef de la section FCO. Ce travail impliquait de surveiller entre autres les tentatives du gouvernement irakien en matière de contrebande d'armes et de contournement des sanctions. Il envoya des rapports quotidiens à Margaret Thatcher et ensuite à John Major. C’est à partir de cette mission que Craig Murray contesta en 2002 la fameuse légende des « armes de destructions massives » en possession de l’Irak qui servirent de prétexte à la guerre d’Irak de 2003.

 

 

 

Craig Murray, ancien haut diplomate britannique devenu un ardent défenseur des droits humains dans le monde. Il soutient ouvertement Julian Assange.

Craig Murray, ancien haut diplomate britannique devenu un ardent défenseur des droits humains dans le monde. Il soutient ouvertement Julian Assange.

 

 

 

En 2002, Murray est nommé ambassadeur en Ouzbékistan. Là, il dénonce la dictature d’Islom Karimov et la torture généralisée. Tony Blair, alors Premier ministre, ne tint aucun compte de ses avertissements. Forcément, le régime Ouzbek était protégé par la CIA… Dans un discours public prononcé en octobre 2004, Craig Murray met les pieds dans le plat :

 

« L’Ouzbékistan n’est pas une démocratie qui fonctionne et ne semble pas aller dans le sens de la démocratie. Les principaux partis politiques sont interdits ; Le Parlement n'est pas soumis à des élections démocratiques et il manque des freins et des contrepoids à l'autorité de l'électorat. Il y a pire : nous pensons qu'il y a entre 7 000 et 10 000 personnes en détention que nous considérons comme des prisonniers politiques et / ou religieux. Dans de nombreux cas, ils ont été faussement déclarés coupables de crimes avec lesquels il ne semble y avoir aucune preuve crédible d'un lien quelconque. »

 

Murray est aussitôt révoqué. Il rapporta tous ces événements dans un livre publié en 2006, intitulé Murder in Samarkand dont on a tenté d’entraver la diffusion pour une sordide affaire de droits d’auteur sur la photographie de couverture de cet ouvrage. Il n’a pas été traduit en français.

 

Cependant, les dénonciations de Murray n’eurent aucun effet. L’Ouzbékistan servant de base arrière aux troupes occidentales en Afghanistan, il jouit d’une protection particulière des pays de l’OTAN et de la CIA. Murray reprit par après une carrière universitaire et dès 2012, soutint activement Julian Assange réfugié à l’ambassade équatorienne à Londres. Il fait toujours l’objet de tracasseries de la part des autorités et aussi des GAFAM : son compte Facebook a été censuré en 2017 et tous les messages publiés à partir de juillet 2017 ont été effacés. Murray tient un blog : https://www.craigmurray.org.uk/

 

Une audience inquiétante

 

Murray voit ainsi le déroulement de l’audience. Il s’inquiète d’abord de l’état physique et mental de Julian Assange, bien qu’il ne cache pas qu’il ait été sceptique au sujet des allégations de tortures dont le lanceur d’alerte aurait été l’objet, même de celles du délégué de l’ONU, Nils Melzer (voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2019/08/qui-est-big-brother-ii.html ).

 

 

 

Photographie de Julian Assange au début de son séjour à Belmarsch. Par après, son régime fut bien plus strict et tous les assistants à l'audience du tribunal de Westminster du 21 octobre disent qu'il est devenu l'ombre de lui-même.

Photographie de Julian Assange au début de son séjour à Belmarsch. Par après, son régime fut bien plus strict et tous les assistants à l'audience du tribunal de Westminster du 21 octobre disent qu'il est devenu l'ombre de lui-même.

 

 

 

« J’ai été très choqué par la perte de poids de mon ami, par la vitesse à laquelle a perdu des cheveux et par l’apparition d’un vieillissement prématuré et largement accéléré. Il boite comme je ne l’ai jamais vu auparavant. Depuis son arrestation, il a perdu plus de 15 kg.

Mais son apparence physique n’était pas aussi choquante que sa détérioration mentale. Lorsqu’on lui a demandé de donner son nom et sa date de naissance, il a visiblement lutté pendant plusieurs secondes pour se les rappeler. Je reviendrai sur le contenu important de sa déclaration finale, mais la difficulté qu’il a eue pour s’exprimer était très évidente ; il a eu beaucoup de mal à articuler les mots et à se concentrer sur son raisonnement. »

 

Une épave confuse et incohérente

 

Il ajoute une impression encore plus forte :

 

« J’étais encore plus sceptique à l’égard de ceux qui prétendaient, comme me l’a dit dimanche soir un membre de son équipe de défense, qu’ils craignaient que Julian ne meure avant la fin du processus d’extradition. Non seulement j’y crois, mais je suis hanté par cette pensée. Tout le monde dans cette cour a vu hier que l’un des plus grands journalistes et l’un des plus importants dissidents de notre époque est torturé à mort par l’État, sous nos yeux. C’était insupportable de voir mon ami, l’homme le plus articulé, l’esprit le plus vif que je n’ai jamais connu, réduit à cette épave confuse et incohérente. »

 

Ainsi, non seulement Assange est atteint dans son corps et dans son esprit, mais pire, il est en danger de mort.

 

Rappelons que le 12 avril 2019, sur plainte de l’ambassadeur équatorien à Londres, la police londonienne a exfiltré violemment le journaliste de la légation. Il a été presqu’aussitôt condamné à 50 semaines de prison et enfermé à la prison de Belmarsch réputée pour être une des plus dures du Royaume Uni et le gouvernement britannique a accepté la demande d’extradition des Etats-Unis. À Belmarsch, les témoins qui ont pu lui rendre visite firent état de sa dégradation physique et mentale. Le nombre de visites est réduit au minimum, même pour ses avocats qui ont dès lors difficile à assurer sa défense pour empêcher une extradition vers les Etats-Unis où il risque 175 années de prison ! Et il n’y a pas de libération conditionnelle aux USA !

 

Le « viol » est oublié !

 

Murray confirme :

 

« L’accusation portée contre Julian est très précise : conspiration avec Chelsea Manning pour publier les journaux de guerre en Irak (Iraq War logs), de la guerre en Afghanistan (Afghanistan war logs ) et les câbles du Département d’État. Les accusations n’ont rien à voir avec la Suède, rien à voir avec le sexe et rien à voir avec les élections américaines de 2016 ; une clarification simple que les médias traditionnels semblent incapables de comprendre. »

 

En effet, nous avons évoqué les grotesques accusations d’abus sexuels qu’aurait commis Assange envers deux de ses employées en Suède. Nous avons aussi rapporté qu’une des principales associations féministes anglaises, « Women against Rape » a décidé de défendre Assange :

 

« Dans cette affaire, le processus judiciaire a été corrompu dès le début et la justice a été refusée tant aux accusatrices qu’à l’accusé. D’une part, les noms des femmes ont été diffusés sur Internet ; elles ont été dénigrées, accusées d’avoir tendu un "piège de miel", leurs allégations rejetées comme "pas de vrai viol". D’autre part, M. Assange a été traité par la plupart des médias comme s’il était coupable, bien qu’il n’ait même pas été accusé. » (voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2019/09/julian-assange-une-nouvelle-piece-au-dossier.html )

 

Donc devant l’inanité de cette accusation, comme le signale Craig Murrray, cette fameuse accusation de viol qui a été au départ la raison principale de « l’exil » d’Assange à l’ambassade d’Equateur où il fut enfermé plus de sept ans. En effet, s’il avait été extradé vers la Suède, il risquait donc d’être à nouveau extradé de ce pays, cette fois vers les Etats-Unis ! Finalement, on se retrouve à la case départ. Il est donc évident que cette rocambolesque histoire de viol avait un double objectif : démonétiser Assange et favoriser son extradition. Objectif atteint ! Mais l’accusation est oubliée.

 

D’autre part, l’ancien diplomate anglais dénonce l’acharnement de la magistrate chargée de juger la validité de la demande d’extradition. En dépit de l’état lamentable où se trouve Julian Assange

 

« … les agents de l’Etat, en particulier l’impitoyable juge Vanessa Baraitser, n’étaient pas seulement préparés mais désireux de participer à ce sport sanguinaire. En fait, elle lui a dit que s’il était incapable de suivre la procédure, ses avocats pourraient lui expliquer plus tard ce qui venait de lui arriver. Elle ne s’est pas posé la question ne serait-ce qu’un millième de seconde de savoir comment un homme qui, de par les accusations portées contre lui, était reconnu comme quelqu’un de très intelligent et compétent, en avait été réduit par l’État à quelqu’un incapable de suivre le déroulement de son propre procès. »

 

L’Etat profond Etatsunien ouvertement derrière cette affaire

 

L’objet de l’audience du 21 octobre était de fixer le calendrier de la procédure d’extradition. La défense demanda une prolongation de délai afin de préparer au mieux le dossier étant donné qu’ils n’avaient que rarement accès à leur client en prison. Murray ajoute cet élément révélateur :

 

« En outre, il venait tout juste de se voir accorder un accès limité à un ordinateur, et tous ses dossiers et documents pertinents avaient été saisis à l’ambassade équatorienne par le gouvernement américain ; il n’avait pas accès à ses propres documents pour préparer sa défense. »

 

À quel titre le gouvernement américain saisit des pièces destinées à l’instruction d’un procès anglais ?

 

Et ce n’est pas tout ! Tout d’abord, comme l’écrit Craig Murray, la défense a fait état de l’espionnage de Julian Assange à l’ambassade d’Equateur et particulièrement de ses entretiens avec ses avocats, organisé par une société espagnole, UC Global, pour le compte de la CIA. Le quotidien El Pais rapporte le 9 octobre 2019 l’arrestation en Espagne du patron de cette société, un certain David Morales, suite à une plainte des avocats d’Assange.

 

« Les preuves présentées au tribunal espagnol comprenaient également un complot de la CIA visant à enlever Assange, ce qui révèle l’attitude des autorités américaines à l’égard de la légalité de cette affaire et sur le traitement qu’il pouvait attendre aux États-Unis. L’équipe de Julian a expliqué que le processus juridique espagnol était en cours et que les preuves qui en découleraient seraient extrêmement importantes, mais qu’elles ne seraient peut-être pas terminées et qu’elles ne seraient donc pas entièrement validées et disponibles à temps pour le calendrier actuel proposé pour les audiences d’extradition d’Assange»

 

On nage en plein roman de Tom Clancy ou de Frederic Forthith ! Mais le tribunal ne veut rien entendre. Le procureur Lewis, au nom de l’accusation, s’opposa à toute prolongation de délai qui aurait permis à la défense de Julian Assange de déposer de nouvelles preuves. La juge Baraitser ne voulut en aucun cas changer la date de l’audience d’extradition fixée au 25 février 2020. Elle permit une courte suspension d’audience afin que l’accusation et la défense puissent s’entendre sur les modalités.

 

Ensuite ce qu’il s’est passé est révélateur de la partialité du tribunal et surtout de sa dépendance ! Lisons Murray :

 

« Cinq représentants du gouvernement américain étaient présents (initialement trois, deux autres sont arrivés au cours de l’audience), assis derrière les procureurs au tribunal. Les procureurs se réunirent immédiatement avec les représentants américains, puis sortirent ensemble de la salle d’audience, pour décider comment réagir aux dates proposées.

 

 

Après l’ajournement, l’équipe de la défense déclara que selon son avis professionnel, elle ne pouvait pas se préparer correctement si la date de l’audience était maintenue au mois de février, mais, conformément aux instructions de Baraitser, elle a néanmoins proposé un calendrier pour la présentation de son dossier. En réponse à cela, le procureur adjoint de Lewis se précipita à l’arrière de la salle d’audience pour consulter de nouveau les Américains, tandis que Lewis disait ouvertement à la juge qu’il " recevait des instructions de ceux au fond de la salle". Il est important de noter que, comme il l’a dit, ce n’est pas le bureau du procureur général du Royaume-Uni qui était consulté, mais l’ambassade des États-Unis. Lewis a reçu ses instructions américaines et a convenu que la défense pouvait avoir deux mois pour préparer son dossier (la défense demandait un minimum de trois), mais que la date de l’audience de février ne pouvait être déplacée. Baraitser a rendu une décision approuvant tout ce que Lewis avait demandé. »

 

 

Ce procès d’extradition est donc une farce tragique !

 

 

Pire encore, la juge Baraitser rejeta une demande de la défense de tenir une audience distincte pour établir si le cas de Julian Assange s’appliquait aux dispositions du traité d’extradition entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis. Nouveau refus ! Pourtant, il est exclu d’après l’article 4 de ce traité qu’une personne accusée pour des faits politiques soit extradée. Murray produit cet article :

 

« L’extradition ne sera pas acceptée si le délit motivant cette extradition est de nature politique. » S’ensuit une liste de délits qui ne peuvent être considérés comme « politiques », comme le crime, l’enlèvement, l’escroquerie, etc. Or, d’après Murray :

 

« À première vue, ce dont Assange est accusé est la définition même d’une infraction politique - si ce n’est pas le cas, de quoi s’agit-il ? Il n’est mentionné par aucune des exceptions énumérées dans cette liste. Il y a donc toutes les raisons de se demander si cette accusation est visée ou non par le traité d’extradition, et d’y répondre avant le long et très coûteux processus d’examen au cas où le traité s’applique. Mais Baraitser a tout simplement rejeté l’argument d’emblée. »

 

Et enfin, last but not least :

 

« Lewis se leva et a suggéra que la défense ne devrait pas être autorisée à faire perdre son temps à la cour avec beaucoup d’arguments. Tous les arguments à l’audience de fond devaient être présentés à l’avance et par écrit et qu’une "guillotine" (ses mots exacts) devait être appliquée pour couper court aux arguments et aux témoins au tribunal, peut-être au bout de cinq heures pour la défense. »

 

Et puis la charmante juge Baraitser décida que « l’audience de février aura lieu, non pas au tribunal de première instance de Westminster, relativement ouvert et accessible, où nous étions, mais au Belmarsh Magistrates Court, le sombre établissement de haute sécurité utilisé pour le traitement juridique préliminaire des terroristes, et rattaché à la prison à sécurité maximale où se trouve Assange. Il n’y a que six sièges pour le public, même dans la plus grande salle de Belmarsh »

 

Autrement dit, c’est quasi le huis clos. Et comme le conclut Murray :

 

« A Belmarsh, il est maintenu en isolement 23 heures par jour. Il a le droit de faire de l’exercice pendant 45 minutes. S’il doit être déplacé, ils évacuent les couloirs avant son passage et ferment toutes les portes des cellules pour s’assurer qu’il n’a aucun contact avec un autre prisonnier en dehors de la courte période d’exercice strictement supervisé. Il n’y a aucune justification possible pour que ce régime inhumain, utilisé contre les grands terroristes, soit imposé à un éditeur en détention préventive. »

 

Les dés de Julian Assange sont jetés.

 

Malheureusement oui, Monsieur l’ambassadeur ! Nos régimes « démocratiques » gangrénés par l’ultralibéralisme deviennent de plus en plus totalitaires et l’Angleterre, la plus ancienne démocratie du monde, n’y échappe pas.

 

L’Etat profond US (1) prouve une fois de plus qu’il est le maître absolu du jeu dans une grande partie du monde, et particulièrement en Europe. Les dés de Julian Assange sont jetés et il subira le régime « Nuit et brouillard » jusqu’à la fin sans doute proche de ses jours, à moins que devenu un zombie, on le libère et puis il croupira dans une maison de repos.

 

Quoi qu’on pense de Julian Assange, nul homme, nul journaliste ne mérite un tel sort. Et si la solidarité à son égard est exprimée par quelques personnalités courageuses et quelques centaines de personnes attachées à la liberté, nul grand journaliste, nul organe de presse d’envergure, nul média, nul homme ou femme d’influence ne se sont levés pour exiger ne fût-ce qu’un sort équitable à Julian Assange.

 

C’est pratiquement le point de non-retour ! Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard pour Assange, avant qu’il ne soit trop tard pour nous tous !

 

 

Pierre Verhas

 

 

  1. L’Etat profond est un concept politique apparu en Turquie durant les années 1990, en lien avec l’affaire Susurluk. Sa définition varie mais il désigne le plus souvent la réunion d’un groupe de personnes au sein d’une entité informelle qui détient secrètement le pouvoir décisionnel de l’Etat au-delà du pouvoir légal. Il est constitué soit par le noyau de la classe dominante, soit par des représentations d’intérêts au sein d’un Etat bureaucratique. C’est la composante la plus restreinte, la plus agissante et la plus secrète de l’establishment. (in Edward Snowden, Mémoires vives, Seuil, Paris, 2019, p.140, note de bas de page 1)

 

 

 

 

 

 

 

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23 septembre 2019 1 23 /09 /septembre /2019 20:46

 

 

 

Il y a trente ans, en septembre 1989, à Creil dans la région parisienne éclatait l’affaire du voile qui, aujourd’hui, n’est toujours pas résolue. Cependant, rappelons-nous, en 1979, il y a quarante ans en Iran et en Grande Bretagne, comme le rappelle Amin Maalouf dans son dernier livre « Le naufrage des civilisations » (Paris, Grasset 2019), éclataient deux révolutions conservatrices : la prise de pouvoir par l’Ayatollah Khomeiny et la mise en place du néolibéralisme par Margareth Thatcher.

 

 

 

Le 17 septembre 1989, à Creil, l'affaire du voile débuta et enclencha un conflit qui n'est toujours pas apaisé aujourd'hui.

Le 17 septembre 1989, à Creil, l'affaire du voile débuta et enclencha un conflit qui n'est toujours pas apaisé aujourd'hui.

 

 

 

Ces deux événements sont liés. La théocratie chiite qui s’installa en Iran à la place d’une dictature monarchique atroce provoqua un réveil de l’Islam dans l’ensemble du monde musulman. Les fidèles de Mahomet virent dans le nouveau régime iranien surgir une étincelle ravivant la flamme de leur religion qui allait enfin retrouver la lumière qui fut éteinte depuis la chute du califat ottoman lors de la Première guerre mondiale. Et dans l’occident « démocratique », le néolibéralisme thatchérien imposa un modèle de société plus ouvert que le précédent et répondant à la philosophie protestante anglo-saxonne : le communautarisme permettant à chaque groupe ethnoreligieux de vivre selon ses propres règles dans un même territoire national. Historiquement, c’est ainsi que se sont construits les Etats-Unis au détriment, ne l’oublions pas, de la population locale.

 

La rivalité entre l’Eglise catholique et la République en France, ainsi qu’entre le même clergé et l’Etat en Belgique ont mené dès la deuxième moitié du XIXe siècle à deux formes de séparation entre l’Eglise et la puissance publique, ou entre le spirituel et le temporel. C’est ce qu’on appela par après la laïcité.

 

Cependant, la laïcité ne peut être relativement efficace que dans une société homogène. La France, comme la Belgique, en dépit de leurs diversités internes, étaient relativement homogènes jusqu’à la décolonisation.  Nous ne sommes plus aujourd’hui dans une société homogène, notamment à la suite de l’immigration qui a provoqué surtout dans les espaces urbains l’émergence d’une société diversifiée sur les plans culturel, social et religieux. C’est ce que certains appellent la société « multiculturelle ». Par leur culture, par leur religion, les allochtones surtout musulmans n’arrivent pas à intégrer les principes d’une société laïque. La religion est leur ciment et ils refusent que celle-ci soit subordonnée à une société sécularisée.

 

La société dite « multiculturelle »

 

En réalité, nous ne vivons pas une société « multiculturelle ». Ce qualificatif est une construction purement intellectuelle ; nous vivons dans une société composée de plusieurs groupes ethnico-religieux qui cohabitent dans nos cités, mais qui ne se rencontrent pas. Et cela est source de conflits et de racisme. En plus, le chômage dû à la crise économique et financière consécutive des chocs pétroliers a accru les tensions entre les populations autochtone et allochtones.

 

Aussi, le fléau du racisme commençait à prendre des proportions inquiétantes. Des groupes d’extrême-droite violents devenaient de plus en plus dangereux et les manifestations individuelles discriminatoires se multipliaient aussi bien chez des particuliers que dans les entreprises, voire même les services publics. Cela représentait un danger majeur pour la cohérence de la société, pour la pérennité des principes fondamentaux et aussi pour l’ordre public. Il fallait réagir. Des dispositions législatives furent prises à cet effet durant la décennie 1980-90. Elles furent indispensables et conduisirent à un relatif mais réel apaisement bien que le racisme ne fût jamais tout à fait éradiqué.

 

 

Pendant ce temps-là, les manifestations de religiosité islamique se multiplient. De plus en plus de femmes musulmanes portent le voile. Depuis toujours, les femmes âgées portaient un foulard sur la tête, mais à la suite de la révolution iranienne, en Europe et particulièrement en France et en Belgique, des jeunes femmes et même des jeunes filles se couvrent le chef d’un foulard. Et on observe aussi ce phénomène chez les jeunes élèves des écoles secondaires officielles ainsi que dans les universités.

 

 

 

Au Collège de Creil, le 17 septembre 1989,le proviseur signifie à deux  élève portant le voile traditionnel leur exclusion temporaire.

Au Collège de Creil, le 17 septembre 1989,le proviseur signifie à deux élève portant le voile traditionnel leur exclusion temporaire.

 

 

 

C’est à l’école que le conflit entre musulmans pratiquants et laïques a éclaté. Le 17 septembre 1989, il y a tout juste trente ans, à Creil, dans la banlieue parisienne, le proviseur du Collège Gabriel-Havez exclut temporairement deux élèves qui avaient refusé d’ôter leur voile au sein de l’établissement. Cela déclencha un tollé épouvantable au point que le gouvernement français de Michel Rocard en fut ébranlé. Le quotidien « Le Figaro » sous la plume d’Eugénie Bastié a publié dans son numéro du week-end des 21 et 22 septembre 2019 une très intéressante et complète rétrospective de cette affaire.

 

La gauche se divisa. Une partie d’entre elle et non la moindre condamna vigoureusement la décision du proviseur de Creil. Il y avait la Ligue des Droits de l’Homme, SOS Racisme, le Mrap. De leur côté les syndicats d’enseignants comme le Sgen-CFDT et la FEN (Fédération de l’Education Nationale regroupant des socialistes et des communistes) appuient la décision des responsables du Collège Gabriel-Havez et lancent même un mouvement de grève sous le mot d’ordre « Bas les foulards ! » Le Nouvel Observateur du 2 novembre 1989 publia une tribune retentissante : « Profs, ne capitulons pas ! » Elle est signée par Elisabeth Badinter, Elisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler, Régis Debray, Alain Finkielkraut. Cinq ténors de la gauche intellectuelle. En conséquence, Lionel Jospin qui était ministre de l’Education nationale ne savait plus à quel saint se vouer. Il tergiversa et renvoya la patate chaude au Conseil d’Etat qui lui répondit le 27 novembre 1989 que « le voile ne peut pas en soi constituer un motif d’exclusion, invoquant la « liberté de conscience » de l’élève. » (Le Figaro). C’est donc aux chefs d’établissements scolaires à décider ou non l’interdiction du voile dans leurs collèges et lycées. En 2004, Chirac, alors à la présidence, imposa une loi d’interdiction du port du voile dans les écoles secondaires. Cette loi, comme toutes les autres, fut plus ou moins bien appliquées.

 

 

 

Jacques Chirac, alors président en 2004, annonce une loi d'interdiction du port de signes "ostensibles" religieux à l'école, au nom de la laïcité. Etait-ce une bonne idée ?

Jacques Chirac, alors président en 2004, annonce une loi d'interdiction du port de signes "ostensibles" religieux à l'école, au nom de la laïcité. Etait-ce une bonne idée ?

 

 

 

De la gauche sociale à la gauche sociétale

 

Il y a une explication à l’hésitation de Jospin. Selon le politologue Laurent Bouvet, « La réaction de Jospin n’est pas idéologique, elle est due à la pente sociétale prise par la gauche pour compenser le réalisme économique adopté en 1981. » Et il avertit : « C’est aussi de l’ignorance. Beaucoup de gens ne comprendront que bien plus tard les enjeux. »

 

En effet, par le tournant libéral – qu’on a appelé de la rigueur – pris par Mitterrand en 1982, la gauche socialiste pour se démarquer de la droite mit en avant les questions de société comme la discrimination, le racisme, les droits humains, laissant ainsi de côté la question sociale, alors que toutes ces problématiques sont intimement liées. Une autre conséquence fut l’isolement de la laïcité, voire de sa marginalisation. Elle fut même assimilée à l’extrême-droite en France.

 

En effet, la mouvance laïque se divisa. Une dissidence est apparue sous le nom de « Riposte laïque » qui fut fondée par un ancien militant de la CGT proche des mouvements de libre pensée. Très vite, ce groupe se mobilisa essentiellement contre les musulmans et adopta les thèses discriminatoires de l’extrême-droite.

 

Tout cela ne fit qu’accroître les tensions. Des manifestations pour le voile furent organisées par des groupes islamiques. Les responsables politiques aussi bien de gauche que de droite se détournèrent de cette question, laissant ainsi le terrain à l’extrême-droite et à l’islamisme qui commençait à se développer en France et aussi en Belgique.

 

Vers le communautarisme

 

En Belgique, les différents ministres de l’éducation laissèrent aux chefs d’établissements de l’enseignement officiel la latitude de résoudre la question du voile dans leurs écoles. La plupart optèrent pour l’interdiction. Cela se passa sans heurts majeurs, mais de nombreux élèves musulmans se tournèrent vers l’enseignement catholique dit libre et l’on vit se fonder des écoles islamiques cependant peu nombreuses.

 

Cependant, que ce soit en France ou en Belgique, on vit s’accroître l’influence de l’Islam auprès des jeunes issus de l’immigration. Le Figaro dans l’article précité évoque une récente enquête effectuée par l’Ifop (Institut français de l’opinion publique – le principal institut de sondage outre Quiévrain), l’hebdomadaire Le Point et la Fondation Jean Jaurès. Cette étude montre que les jeunes musulmans ne se sont pas laissé tenter par la société de consommation et se rallient de plus en plus à l’orthodoxie islamique. « En 1989, seuls 7 % des 18-24 ans déclaraient fréquenter les mosquées, ils sont aujourd’hui plus de 40 %. » Ce n’est plus tellement la question du voile qui mobilise les jeunes musulmans, mais celle du halal ! Remarquons au passage que les jeunes issus des milieux laïques ne se mobilisent guère et se moquent éperdument de ces questions. Eux ont totalement intégré la société de consommation et se soucient avant tout de leur emploi futur – ce qui est compréhensible. Mais, question subsidiaire : dans ces deux catégories de jeunes, quelle est la plus forte ?

 

La propagande islamique – c’est volontairement que j’évite le qualificatif « islamiste » - diffusée notamment par Tariq Ramadan a porté ses fruits. D’autre part, la partie sociétale de la gauche a réussi à imposer certains de ses principes fondamentaux comme le « droit à la différence ». Même si plusieurs intellectuels ont tiré la sonnette d’alarme en avertissant : « Le droit à la différence, c’est la différence de droits ! ». Autrement dit, l’édifice juridique universel basé sur le triptyque liberté – égalité – fraternité s’effondre devant l’application d’un tel concept. C’est tout le sens de cette querelle sur le voile ou sur les « accommodements » dits « raisonnables » qui souhaitent la dérogation à ces principes de base pour assurer une cohabitation harmonieuse entre les communautés, comme, par exemple, des restrictions à la mixité, la dispense de certains cours comme celui de biologie dans les écoles secondaires, l’interdiction du voile, le service de la nourriture halal dans les cantines scolaires, etc.

 

 

 

Tariq Ramadan lors de sa superbe distilla une propagande islamique insidieuse mais très efficace auprès des musulmans en Europe francophone et en Grande Bretagne.

Tariq Ramadan lors de sa superbe distilla une propagande islamique insidieuse mais très efficace auprès des musulmans en Europe francophone et en Grande Bretagne.

 

 

 

C’est ainsi que s’installe petit à petit le communautarisme. Sur le terrain, des élus locaux, bon gré mal gré, sont contraints de procéder à ces fameux « accommodements » pour éviter des troubles dans leurs communes et municipalités. Au niveau de l’enseignement, on ferme depuis longtemps les yeux sur le voile et s’est même posé la question de congés religieux et du respect des contraintes exigées lors de la période du Ramadan.

 

Un constat d’échec

 

Dans un ouvrage intitulé « La crise de l’égalité » (édition Espace de Libertés, Bruxelles, 2012), Jean-Philippe Schreiber, professeur d’histoire des religions à l’Université Libre de Bruxelles, connu pour son attachement aux fondements des Lumières, écrit :

 

« Un ami, récemment, (…) posait la question : notre époque éteint-elle les Lumières ? Il partageait là une véritable inquiétude : inquiétude, d’une part, face au combat réactionnaire mené contre les principes de Lumières, dans le chef surtout des Eglises, mais aussi de ceux qui voient dans les Lumières l’origine des supposés dévoiements de notre modernité ; inquiétude, d’autre part, face à la mise en cause, souvent plus subtile mais non moins pernicieuse, de principes fondateurs de notre modernité démocratique, en particulier du projet égalitaire des Lumières. Une mise en cause qui se manifeste surtout dans la vision culturaliste de la société qui se développe de plus en plus. Celle-ci voit dans l’universalisme un paternalisme éculé qui aurait eu la prétention d’émanciper par la coercition, au nom de valeurs ethnocentrées, et elle lui oppose des politiques différenciées, multiculturalistes ou interculturalistes, dans le but de prétendument mieux gérer notre diversité sociale – sans trop de souci de rompre ainsi avec le principe d’égalité des citoyens. »

 

Analyse profondément juste, mais aussi constat d’échec !

 

 

 

Le professeur Jean-Philippe Schreiber défend une laïcité issue des Lumières.

Le professeur Jean-Philippe Schreiber défend une laïcité issue des Lumières.

 

 

 

Il est malheureusement vrai que la laïcité apparaît comme une idée et une institution paternaliste et dépassée. Elle a depuis longtemps le complexe minoritaire. Et elle l’est, dans notre société, alors que, paradoxalement, les lois fondamentales sont basées sur les principes des Lumières et, en Belgique, le mouvement laïque a obtenu de grandes victoires comme, par exemple, la loi de dépénalisation partielle de l’avortement et la loi sur l’euthanasie, sans compter les combats pour l’égalité hommes-femmes.

 

Seulement, pour paraphraser la fameuse parole de Staline : « La laïcité, combien de divisions ? » Combien de jeunes sont-ils prêts à se consacrer à la cause de la laïcité ? Et, surtout, pourquoi en est-il ainsi, alors que de nombreux défis apparaissent ?

 

Répondre à cette question est malaisé et surtout incomplet. Un premier constat : dans l’affaire du voile, il y eut une énorme erreur stratégique. On s’est attaqué à un symbole. Et cela ne pouvait que provoquer un conflit majeur manifestement remporté par les religieux islamiques pour diverses raisons aussi bien internes qu’internationales. Ce conflit s’est élargi à d’autres aspects de la vie en société comme la mixité et la domination du religieux sur le temporel avec la collaboration implicite des autres cultes. Ce sont donc les Lumières qui sont menacées, comme l’écrit Jean-Philippe Schreiber.

 

La laïcité a une faiblesse fondamentale – Jean-Philippe Schreiber l’admet implicitement – elle n’est efficace que dans une société homogène. L’erreur de la laïcité fut de s’assimiler à l’Occident, tout comme les Droits de l’homme se prétendant universels furent en réalité une construction occidentale qui n’est pas admise par les sociétés patriarcales et religieuses dans le Tiers-monde et aussi en Occident – on l’oublie trop souvent – par des mouvements réactionnaires de plus en plus puissants et donc dangereux comme les sectes évangéliques qui sont représentés jusqu’à la Maison Blanche.

 

Elle est aussi divisée. Certains souhaitent une « laïcité inclusive » qui ferait des concessions aux culturalisme tout en conservant ses principes universels. Ainsi, on s’aperçoit qu’il est de plus en plus malaisé de défendre le principe de l’universalité des Lumières.

 

En plus, en Occident, la laïcité à la française ou à la belge se heurte au modèle interculturel ou communautariste anglo-saxon. On ne peut pas dire que les Etats-Unis, la Grande Bretagne qui ont adopté la solution communautariste et dans une moindre mesure le Canada, la Nouvelle Zélande et l’Australie ne sont pas des Etats démocratiques. Aussi, opposer communautarisme et démocratie ne tient pas la route. Certes, en Angleterre, des tribunaux appliquent la fameuse charia sur le plan du droit des personnes. Et des violents conflits inter communautés existent aussi dans le monde anglo-saxon.

 

Cela amène à penser que le modèle anglo-saxon ou celui français des Lumières conduisent tous deux à l’échec. Et nous n’avons pas réussi à mettre en place une alternative au modèle communautariste anglo-saxon, sinon par la contrainte et l’interdiction. Et la laïcité s’accommode mal d’interdits !

 

Jean-Philippe Schreiber n’est guère optimiste. Il a écrit récemment sur le réseau social Facebook :

 

« Le projet égalitaire de la triade républicaine liberté/égalité/fraternité, célébré de manière incantatoire lors du bicentenaire de 1989, le sera tout autant, pour n’avoir pas réussi à construire une véritable égalité, ni mener à sa véritable expression le projet fraternel issu de la Révolution. Dans un contexte de plus en plus relativiste, l’esprit des Lumières se verra mis à mal pour avoir, clame-t-on, porté dans ses germes le racisme, la domination et les catastrophes idéologiques du XXe siècle. Progressivement, la laïcité va être réappropriée à droite, puis même à l’extrême droite, détournée de son propos et de son ancrage progressiste et instrumentalisée à des fins identitaires. Quel triste constat aujourd’hui : l’universalisme, l’esprit républicain, la laïcité et l’égalité sont mis à mal, plus que jamais, parce que ceux qui ne sont animés que par le ressentiment pensent que pour réparer les injustices sociales et culturelles, il faut faire droit aux minorités réelles et symboliques. En lieu et place d’une société des égaux, nous avons aujourd’hui une société des victimes. »

 

La laïcité est sans doute la plus grande idée de la fin du XIXe siècle lancée en France et en Belgique dans la foulée des Lumières et de l’Instruction obligatoire. Elle s’est traduite en France par l’adoption de la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat qui est sans doute l’édifice juridique le plus équilibré qu’une démocratie ait produite. Cette loi ne fut jamais contestée, même sous le régime pétainiste pendant l’occupation, jusqu’à 2007 lorsque le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, la contesta ouvertement lors de sa visite à Rome où, à Latran, il prononça un discours affirmant la supériorité du curé sur l’instituteur. Aujourd’hui, sous la présidence d’Emmanuel Macron, la même loi est en danger par la volonté du chef de l’Etat d’imposer le modèle anglo-saxon à la société française et de réduire le rôle de l’Etat à sa plus simple expression avec un enseignement dépendant quasi totalement du secteur privé.

 

En Belgique et en France, nous l’avons vu, le communautarisme s’impose petit à petit. L’importance de la population musulmane a considérablement accru son poids politique. Le choc de la migration provoqué par les guerres menées par les occidentaux en Afrique du Nord et au Moyen Orient n’a réussi qu’à accentuer les tensions sans que l’on réussisse à trouver une solution à la plus importante crise humanitaire en Europe depuis la Seconde guerre mondiale. Et cela répond à l’exigence démocratique, mais cela a pour conséquence d’affaiblir les principes laïques.

 

Alors, que faire ? Voilà la question.

 

Elément de réponse : avant tout, nous remettre en question si nous voulons assurer la pérennité de nos fondamentaux !

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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11 septembre 2019 3 11 /09 /septembre /2019 21:23

 

 

 

L’organisation britannique « Women Against Rape » fondée en 1976 a publié le 29 juillet dernier un communiqué au sujet des accusations de viols qui pèsent sur Julian Assange. Ses auteurs démontrent que l’acharnement des Justices britannique et suédoise contre Assange est tout à fait inhabituel en la matière. Ce communiqué a été traduit et diffusé par le site « Le Grand Soir ».

 

Elle dénonce : « Dans cette affaire, le processus judiciaire a été corrompu dès le début et la justice a été refusée tant aux accusatrices qu’à l’accusé. D’une part, les noms des femmes ont été diffusés sur Internet ; elles ont été dénigrées, accusées d’avoir tendu un "piège de miel", leurs allégations rejetées comme "pas de vrai viol". D’autre part, M. Assange a été traité par la plupart des médias comme s’il était coupable, bien qu’il n’ait même pas été accusé. »

 

 

 

Julian Assange condamné à 50 semaines de prison attend son procès d'extradition.

Julian Assange condamné à 50 semaines de prison attend son procès d'extradition.

 

 

 

Comme les sorcières sur les bûchers

 

Elle se réfère au rapport de Nils Melzer, le rapporteur de l’ONU sur la torture, n’hésite pas à affirmer :

 

« ...Assange avait été systématiquement calomnié pour détourner l’attention des crimes qu’il dénonçait. Une fois déshumanisé par l’isolement, le ridicule et la honte, comme les sorcières que nous brûlions autrefois sur les bûchers, il était facile de le priver de ses droits les plus fondamentaux sans provoquer l’indignation publique dans le monde entier. Et c’est ainsi que l’on crée un précédent juridique... »

 

Dans notre précédent article, nous avons affirmé que ces accusations de viols pesant sur Julian Assange et fondées sur des allégations contradictoires des « victimes » qui ont été démenties puis reprises suite à des pressions de la Justice suédoise, servaient à discréditer le patron de Wikileaks auprès de l’opinion publique tout en étant un prétexte à le maintenir en prison pour l’extrader vers les Etats-Unis où il risque jusqu’à la peine de mort.

 

Journalistes, réveillez-vous !

 

Il est heureux qu’une des plus anciennes associations féministes contre le viol défende Julian Assange accusé d’un crime abominable sans aucune preuve sérieuse, sans respect de la présomption d’innocence. C’est fondamental pour la défense du fondateur de Wikileaks.

 

Cette affaire est sans doute la plus grave atteinte aux droits d’un journaliste depuis la Seconde guerre mondiale. Si Assange est extradé, condamné à une peine de prison à vie ou même à la peine de mort, c’est la liberté de la presse qui est condamnée. Tous les journalistes seraient désormais en danger. Journalistes, quelle que soit votre tendance, vos opinions, vos engagements, réveillez-vous !

 

Pierre Verhas

 

 

 

Assange : Le Rapporteur de l’ONU sur la torture a raison d’être alarmé par la manipulation des allégations de viols

 

Women Against Rape

 

Depuis plus de quarante ans, nous faisons campagne pour faire condamner les violeurs. Mais la poursuite de Julian Assange n'est pas motivée par des préoccupations au sujet du viol, mais par les pressions exercées par le gouvernement des États-Unis pour le punir pour ses dénonciations de crimes de guerre par Wikileaks. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et les traitements cruels et dégradants, a raison d'être alarmé.

 

Au moment des allégations initiales contre Julian Assange, nous avons souligné le zèle inhabituel avec lequel il était poursuivi. (Le Guardian le 19 décembre 2010 et le 23 août 2012). Il ne ressemble à aucune autre enquête sur un viol que nous ayons vue ailleurs.

 

Le faible taux d’inculpation des hommes pour viols signalés au Royaume-Uni (les chiffres qui viennent d’être publiés montrent qu’il a encore baissé, passant de 14% à 2,5% en quatre ans) – résultant en grande partie d’enquêtes et de poursuites négligentes et biaisées, en dit long sur la façon dont le viol est généralement traité. Seulement un rapport sur 65 donne lieu à une sommation ou à une accusation. L’excuse de la police est qu’ils sont débordés et en sous-effectif.

 

Mais toutes les ressources ont été consacrées à l’affaire Assange, ce qui a coûté très cher au contribuable, ce dont on lui a ensuite fait le reproche.

 

Ce n’est pas à nous de décider si une allégation faite contre M. Assange est vraie ou non et si ce qui s’est passé équivaut à un viol ou à une violence sexuelle – nous n’avons pas tous les faits et ce qui a été dit n’a pas été vérifié. Mais nous savons que le droit des victimes de viol à l’anonymat et le droit des accusés d’être présumés innocents jusqu’à preuve du contraire sont tous deux essentiels à un processus judiciaire juste.

 

Dans cette affaire, le processus judiciaire a été corrompu dès le début et la justice a été refusée tant aux accusatrices qu’à l’accusé. D’une part, les noms des femmes ont été diffusés sur Internet ; elles ont été dénigrées, accusées d’avoir tendu un "piège de miel", leurs allégations rejetées comme "pas de vrai viol". D’autre part, M. Assange a été traité par la plupart des médias comme s’il était coupable, bien qu’il n’ait même pas été accusé.

 

Les procureurs suédois et britannique sont responsables de la manière dont les allégations des femmes ont été traitées. Comme dans toute poursuite pour viol, ce ne sont pas les femmes qui s’occupent de l’affaire, mais l’État.

 

Julian Assange a toujours dit clairement qu’il était disponible pour toute enquête sur les allégations, et il était en Suède lors de la première enquête qui l’a blanchi. Il a également précisé que sa seule préoccupation était de ne pas être extradé de Suède vers les États-Unis s’il y retournait, et c’est pourquoi il a demandé l’asile à l’ambassade équatorienne. La Suède a refusé de donner des garanties au motif qu’aucune demande de ce type n’avait été présentée par les États-Unis.

 

Mais dès que Julian Assange a été emmené hors de l’ambassade équatorienne après un changement de gouvernement, les États-Unis ont entamé une procédure d’extradition et porté 17 accusations, notamment d’"espionnage".

 

Nils Melzer met en garde contre les implications de la chasse aux sorcières contre M. Assange alors qu’il documentait les effets de son enfermement forcé, aujourd’hui de son incarcération. M. Melzer a écrit dans son éditorial :

 

« ...Assange avait été systématiquement calomnié pour détourner l’attention des crimes qu’il dénonçait. Une fois déshumanisé par l’isolement, le ridicule et la honte, comme les sorcières que nous brûlions autrefois sur les bûchers, il était facile de le priver de ses droits les plus fondamentaux sans provoquer l’indignation publique dans le monde entier. Et c’est ainsi que l’on crée un précédent juridique... »

 

Nous sommes heureuses que M. Melzer ait révisé certains de ses commentaires sur les allégations des femmes, mais globalement sa position demeure. M. Assange est publiquement vilipendé afin de détourner l’attention de la vengeance et du silence de l’Etat. Nous sommes alarmées par le précédent que cela crée pour les journalistes et les dénonciateurs partout dans le monde. Nous nous opposons à la torture et à la peine de mort. Nous ne pouvons tolérer la façon dont les allégations de viol contre une personne continuent d’être utilisées pour poursuivre un programme politique visant à cacher le viol, la torture et le meurtre commis par l’État.

 

Après avoir travaillé avec des milliers de victimes de viols qui demandent l’asile contre le viol et d’autres formes de torture, nous n’avons rencontré que l’obstruction des différents gouvernements britanniques. À maintes reprises, ils ont accusé des femmes de mentir et les ont expulsées sans se soucier de leur sécurité. Ne nous dites pas qu’ils s’inquiètent des victimes de viol.

 

Où est la campagne demandant justice pour les viols et les meurtres que Wikileaks a révélés ? Qui prendra la parole au nom de ces victimes si les dénonciateurs sont réduits au silence ?

 

En 2004, en collaboration avec le Black Women’s Rape Action Project, nous avons écrit à des femmes parlementaires au sujet des crimes de guerre et des actes de torture, y compris les viols, commis sous occupation étasunienne et britannique en Irak et en Afghanistan. Nous n’avons reçu aucune réponse.

 

Chelsea Manning (actuellement réincarcérée malgré la commutation de sa peine par le président Obama) a pu utiliser Wikileaks pour dénoncer le vaste camouflage de viols, d’autres violences sexuelles et de meurtres, y compris de femmes et d’enfants, par les militaires étasuniens en Afghanistan, en Bosnie et en Irak. Ces victimes ne comptent-elles pas ?

 

Julian Assange et Chelsea Manning ont déjà subi des années d’isolement, de détention, d’emprisonnement, de diffamation et d’humiliation publiques, plus longues et plus honteuses que de nombreux hommes condamnés pour viol.

 

Une fois de plus, la fureur et la frustration des femmes face aux injustices auxquelles nous sommes confrontées sont manipulées par les gouvernements à leurs propres fins. Envoyer quelqu’un à la mort ou en prison à perpétuité et torturer quelqu’un aux Etats-Unis pour "espionnage" ce n’est pas rendre la justice pour des affaires de viol.

 

Publié le 28 juillet 2019 par Women Against Rape

 

Traduction : Romane

 

http://againstrape.net/assange-un-rapporteur-on-torture-is-right-to-be...

 

URL de cet article 35217

 


https://www.legrandsoir.info/assange-le-rapporteur-de-l-onu-sur-la-torture-a-raison-d-etre-alarme-par-la-manipulation-des-allegations-de-viols.html

 

 

 

 

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1 septembre 2019 7 01 /09 /septembre /2019 21:53

 

 

 

S’il y a dans la sphère cathodique, un sinistre personnage, c’est bien Yann Moix qui, ces derniers temps, fait parler de lui d’une manière vraiment nauséabonde. Nauséabonde, ce qualificatif dont BHL affuble tous ceux qu’il veut perdre.

 

 

 

Yann Moix  se trouve dans une tempête qui semble bien organisée...

Yann Moix se trouve dans une tempête qui semble bien organisée...

 

 

 

Nous avons déjà eu l’occasion à plusieurs reprises d’évoquer une personnalité aussi admirable que méconnue, Michel Warschawski. Né à Strasbourg en 1949, fils du Grand Rabbin d’Alsace, le jeune Michel émigra avec ses parents en Israël – il fit son « alya », comme on dit – et y reçut une éducation talmudique. Lorsqu’éclata la guerre des Six jours, en se rendant à l’âge de 17 ans comme « touriste » avec ses parents dans les territoires occupés. A Hébron, sur un marché, il voulut acheter une babiole et se rendit compte de la terreur du marchand à son égard. Là, il prit conscience de l’horreur de l’occupation. Ses parents l’avaient subie – et dans quelles conditions ! – pendant la Seconde guerre mondiale et il s’aperçut que les Israéliens dont bon nombre furent victimes des horreurs nazies procédaient de même avec les Palestiniens ! Depuis, il milita pour la solidarité entre Juifs et Palestiniens.

 

 

 

Michel Warschawski expliquant à feu notre camarade Jef Baeck et à son épouse Christine le système de colonisation des territoires occupés.

Michel Warschawski expliquant à feu notre camarade Jef Baeck et à son épouse Christine le système de colonisation des territoires occupés.

 

 

 

Lors d’une rencontre à Jérusalem, Michel Warschawski nous raconta son parcours. Un épisode m’a frappé. En 1989, il est accusé de complicité avec le Front Populaire de Libération de la Palestine, organisation cataloguée comme terroriste par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne. Une loi avait été votée à la Knesset interdisant à tout Israélien d’entretenir des relations avec des Palestiniens. Après son arrestation, un agent du Shin Beth – le service secret intérieur d’Israël – lui rendit visite dans sa cellule. Il lui proposa de choisir entre le « Blanc et le Noir », c’est-à-dire entre sa citoyenneté israélienne et sa solidarité avec les Palestiniens. S’il optait pour le « Blanc », il serait aussitôt libéré. Warschawski lui répondit : « Entre le Blanc et le Noir, il y a le Gris ! ». L’agent lui laissa trois jours de réflexion. Lorsqu’il revint, la réponse fusa : « Je suis toujours dans le Gris ! » et il fit vingt mois de prison.

 

Le « philosémitisme » face cachée de l’antisémitisme

 

Il nous a dit aussi autre chose : « L’antisémitisme sévit partout, nous le savons tous. Mais méfiez-vous encore plus du philosémitisme ! » En effet, ce sentiment est souvent hypocrite et justifie les pires exactions commises par les extrémistes israéliens et leurs « amis ».

 

Eh bien, l’affaire Yann Moix en est la frappante illustration. Ce personnage, ex-idole des médias français et du parisianisme le plus abject, grand ami de BHL, a été adulé pendant des années pour ses odieuses prestations à la fameuse émission « On n’est pas couché » (ONPC) du samedi soir sur la chaîne France 2. Son rôle – et il avait du talent pour cela – consistait à éructer, et répandre sa haine à l’égard d’un invité qui ne répondait pas aux « normes » BHeliennes ! Il n’a cependant pas toujours réussi. Il a tenté entre autres cet exercice avec Michel Onfray, mais là, le philosophe normand sortit vainqueur de ce sinistre duel.

 

 

 

Yann Moix n'a pas réussi à désarçonner Michel Onfray à ONPC. Cela n'empêche pas ce dernier de le défendre...

Yann Moix n'a pas réussi à désarçonner Michel Onfray à ONPC. Cela n'empêche pas ce dernier de le défendre...

 

 

 

Alors, qui est Yann Moix ?

 

Né dans une famille modeste dans la Nièvre, Yann Moix fit de brillantes études qu’il termina à la prestigieuse école « Science Po » à Paris. Incontestablement, il est doté d’un talent littéraire qui fut confirmé par le Prix Goncourt du premier roman en 1996. Il a été « découvert » par Bernard Henri Lévy en 1994. Il collabora aussi à la page culturelle de l’hebdomadaire « Marianne ». Bref, il a réussi à s’introduire dans le microcosme parisien.

 

En même temps, Yann Moix fréquente l’écrivain antisémite Marc-Edouard Nabe. Il copina aussi jusqu’en 2013 avec le négationniste Paul-Eric Blanrue qui a travaillé, puis s’est disputé avec Robert Faurisson. Du joli monde, quoi !

 

Le site de gauche « Le Média » rapporte le point de vue de Blanrue sur Yann Moix. C’est édifiant !

 

 

 

 

Paul-Eric Blanrue avec Yann Moix et une jeune femme.  Ils ont manifestement l'air de bien se connaître.

Paul-Eric Blanrue avec Yann Moix et une jeune femme. Ils ont manifestement l'air de bien se connaître.

 

 

 

« Yann Moix et moi avons été les meilleurs amis du monde pendant plus de dix ans. On se voyait pratiquement tous les jours au début et un peu moins sur la fin. Après qu’il se soit cassé la gueule au cinéma avec « Cinéman », je le voyais moins. J’ai souvent aidé Yann dans ses démarches littéraires et j’ai toujours été remercié à la fin de ses livres. Néanmoins, il m’a un jour chapardé de nombreuses pages qu’il a insérées dans son roman « Naissance » avec lequel il a reçu le prix Renaudot 2013. Ce sont des pages que j’avais écrites pour un projet de série pour Canal Plus. C’est du plagiat ! Ce ladre ne m’a même pas remercié ni crédité. Voilà le genre du personnage. »

 

 

Blanrue ajoute :

 

« Vous savez, Yann Moix est un grand menteur, un mythomane. Il a affirmé par exemple ne plus me voir depuis 2010 alors que j’ai les preuves, sms et e-mails à l’appui, qu’on s’est vu jusqu’au printemps 2013 à Paris. Durant l’été précédent, il m’avait envoyé des centaines d’e-mails dont parfois 25 dans la même journée. C’est un fou furieux, un caractériel. Quand il est énervé, il casse tout chez lui. »

 

Une curieuse ignorance

 

Et où cela devient scabreux :

 

 

« A vingt-deux ans, Yann a sorti des opuscules illustrés et écrits à la main où il se moquait de la Shoah. Il vendait ses livrets, sous forme de photocopies, à dix francs l’exemplaire, après le BAC, en école de commerce à Reims. Il y a eu trois numéros de cet opuscule d’ « Ushoaïa ». C’était très critique envers BHL. Ensuite, il avait une peur bleue que ça se sache. »

 

 Et c’était connu ! Mais bien avant que l’Express ne révèle le pot aux roses en août 2019. Blanrue lui-même raconte dans son dernier ouvrage « Sécession – l’art de désobéir » :

 

« Après la publication d’une première liste de signataires (ndrl : Blanrue évoque là une pétition qu’il a lancée en 2010 pour l'abrogation de la loi Gayssot et la libération de Vincent Reynouard), nous eûmes à faire face à deux défections. Mgr Gaillot nous demanda d’ôter son nom. Le prélat gauchiste ne chercha pas à nier avoir subi des pressions de groupes opaques et s’en excusa platement auprès de nous. Moins correcte fut l’attitude de Yann Moix, qui était un ami (très) intime depuis le début des années deux mille. Après avoir signé crânement le texte en connaissance de cause, il fut pris d’une subite crise de panique et se désista sans m’en avertir, m’accusant, qui plus est, de l’avoir fait tomber dans un piège ! Misérable petit sacripant !

 

Sur le site de La Règle du Jeu, la revue de son mentor BHL, ce ladre déclara qu’il ignorait que le nom de Faurisson apparût sur la pétition et qu’en conséquence il ne pouvait moralement y figurer. Je réagis sur le blog du Clan des Vénitiens en prouvant qu’il mentait comme une brassière. Deux journalistes du Monde.fr, spécialisés dans la traque des extrémistes de droite, réels ou supposés, menèrent une enquête et parvinrent au même résultat que moi en utilisant Google-cache, la mémoire du moteur de recherche. Moix venait d’être pris la main dans le pot à confiture cyanurée !

 

 

Le pire c’est que Moix connaissait Faurisson depuis longtemps. Depuis son enfance orléanaise, de fait. C’est une information classée « secret défense » qu’il a soigneusement cachée à tout le monde. Son médecin de famille était en effet l’époux d’une sœur de Faurisson, qui venait régulièrement déjeuner le dimanche chez ses parents, lorsqu’il était gamin. Par la suite, lorsqu’il fit ses études supérieures, Moix crut original de rédiger à la main, avec maintes caricatures qui ne plairaient point au CRIF, une revue intitulée Ushoahïa, le magazine de l’extrême, qui s’inspirait de l’émission de Nicolas Hulot mais surtout de l’album de bandes dessinées Hitler = SS de Jean-Marie Gouriot et Philippe Vuillemin, et des thèses faurissoniennes. C’eût été catastrophique pour sa réputation et sa carrière si cette anecdote était éventée ! Il fut tellement épouvanté qu’on découvrît l’existence de sa farce estudiantine de mauvais goût qu’il courut à plat ventre l’avouer par prévention à son éditeur Jean-Paul Enthoven et à BHL. On imagine leurs bobines à cette occasion – et on se doute de l’estime qu’ils portent désormais à leur poulain en leur for intérieur. On sait aussi par la peau de quelle partie de son anatomie ils le tiennent ! »

 

 

Alors que tout le monde connaissait les « anciennes » et sulfureuses fréquentations de Yann Moix, BHL en a fait son mentor avec pour mission d’être le gardien du temple BHelien à ONPC, mission qu’il remplit avec zèle ! Là est la vraie question !

 

 

 

BHL et Yann Moix : une erreur de casting ?

BHL et Yann Moix : une erreur de casting ?

 

 

Le petit Céline

 

 

Dans le « Figaro » du samedi 31 août, Jean-Paul Enthoven fait part de ses doutes sur le poulain des éditions Grasset et ses manifestations philosémites. « Yann Moix a fait des études talmudiques, a appris l’hébreu avec une ferveur que j’ai toujours trouvée suspecte. »

Et Enthoven lance l’estocade.

 

 

« Pour moi, il a toujours été un fasciste pas dans le sens politique mais dans son comportement, sa façon de ne pas venir aux rendez-vous, de traiter les femmes. Qu’il ait une idiosyncrasie fasciste, c’est sûr. Il ne croit pas à la politesse, c’est une brute, c’est même physique. Il a quelque-chose de commun avec Boris Johnson. Sa seule impatience, c’est de disqualifier la personne en face. C’est notre petit Céline. »

 

 

Moix est passé sous les « fourches caudines » d’ONPC ce samedi 31 août. RAS ! Il fut gentiment interrogé par le confesseur Franz-Olivier Giesbert, par ailleurs directeur du « Point » dont le principal chroniqueur est BHL. Tout se passa entre gens de bonne compagnie. Moix en ce confessionnal cathodique se battit la coulpe, fit part de sa honte, du dégoût de lui-même. Bref de son repentir !

 

 

Et cela suffit pour Son Eminence le cardinal BHL qui lui a aussitôt accordé l’absolution.

 

 

« … j'ai eu des explications musclées avec l'intéressé qui me confirma la réalité de cette part d'ombre ; qui trouva des mots qui me parurent sincères pour dire la honte que, désormais, ces insanités lui inspiraient ; et que je vis, d'abord avec circonspection, puis, petit à petit, avec respect, s'engager dans une âpre, rude et longue aventure intérieure dont l'enjeu devait être de traiter le mal par le bien et de l'arracher, une bonne fois, à ses anciens penchants criminels.

 

Car ce n'est pas une mince affaire que de tordre le cou, même quand on est très jeune, au vieil homme antisémite en soi.

 

Il ne suffit pas de dire « j'ai changé ».

 

Ni de s'autoproclamer « meilleur ami des Juifs ».

 

Et l'histoire – à commencer par celle des Juifs – ne connaît que trop ces retournements trop commodes dont le paradigme reste celui de Baalam, le mauvais sorcier, requis par le roi de Moab pour maudire le peuple d'Israël et à qui l'Éternel dit, au moment où il s'apprête à retourner ses malédictions en bénédictions : « Pas besoin de ta bénédiction, ils sont déjà bénis ! »

 

Non.

 

Il y faut du caractère, une force d'âme, ainsi que des boussoles intérieures dont le futur auteur de Mort et vie d'Edith Stein était visiblement démuni et dont il eut à s'équiper. (…)

 

Et puis il y faut un changement profond de l'âme, une conversion intellectuelle – et ce mouvement-là, ce creusement, cette plongée silencieuse dans les ténèbres de soi ainsi que dans la lumière des textes qu'il avait haïs de manière si vile, je suis mieux placé que beaucoup pour savoir, en revanche, avec quelle opiniâtreté il s'y est engagé. (…)

Je crois au repentir.

 

Je crois à la réparation.

 

Et quand un homme, tout homme et donc, aussi, un écrivain donne les preuves de sa volonté de rédemption, quand il s'engage, avec probité, dans le corps à corps avec ses démons, je pense qu'il est juste de lui en donner acte, de lui tendre loyalement la main et, si on le peut, de l'accompagner. »

 

 

On pleure déjà dans les chaumières !

 

 

Il reste cependant une question sans réponse. BHL, l’Union des étudiants juifs de France, la LICRA et d’autres cénacles si prompts à dénoncer toute manifestation d’antisémitisme et surtout toute critique à l’égard de la politique israélienne défendent bec et ongle un personnage dont son éditeur lui-même prétend qu’il est un fasciste. Moix manifestant un philosémitisme touchant à un intégrisme presque religieux garde toujours grâce à leurs yeux. Pourquoi ?

 

 

Sans doute fallait-il sauver le soldat Yann Moix pour préserver l’aura du cardinal BHL qui a manifestement fait une erreur de casting. A moins que ?

 

 

Non, décidément, je préfère de loin le « Gris » de Michel Warschawski à cette sinistre mascarade germanopratine.

 

 

 

Pierre Verhas

 

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