L’annonce d’un plan de restructuration de la chaîne de grandes surfaces AD Delhaize avec à la clé la suppression de 2.500 emplois et la fermeture de quatorze magasins a été précédée par un mouvement au sein de la haute direction de cette entreprise d’abord familiale et qui est devenue une multinationale.
L'entreprise au lion fondée en 1867 est devenue une multinationale où les décideurs sont les fonds d'investissements, les fonds de pension et autres hedge funds
Denis Knoops vient de remplacer comme CEO pour la Belgique et le Luxembourg, Dirk Van den Berghe qui avait annoncé sa démission le 29 mai. Peu avant, Pierre Olivier Beckers qui est aussi président du Comité Olympique belge, CEO et Président du groupe, considéré comme « trop émotionnel » selon de Tijd, avait été prié d’aller voir ailleurs. Franz Muller a pris sa place. Tout cela n’annonçait rien de bon.
Il faut savoir que le groupe Delhaize, au départ vieille entreprise familiale depuis 1867 a voulu, durant la décennie 1990, s’étendre en dehors de la Belgique en créant des filiales aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, le Luxembourg et la Bulgarie. Cette transformation en multinationale ne fut guère heureuse. Le groupe n’a manifestement pas réussi son implantation aux Etats-Unis.
Denis Knoops, CEO pour la Belgique, a été chargé du sale boulot par le groupe multinational Delhaize : liquider les p'tits Belges trop traditionnalistes et teigneux.
Il s'agit des activités de Sweetbay, Harveys et Reid's, des chaînes de supermarchés situées dans le sud-est des Etats-Unis, dont la cession avait été annoncée il y a un an. Delhaize avait alors précisé que 155 magasins étaient concernés.
Delhaize a également finalisé, dans une transaction séparée, la vente de son centre de distribution de Plant City, en Floride, à C&S Wholesale Grocers pour un montant de 28 millions de dollars (20,6 millions d'euros).
Delhaize, présent dans neuf pays, comptait un réseau de vente de 3.520 magasins à la fin du premier trimestre. En 2013, il a réalisé un chiffre d'affaires de 20,9 milliards d'euros et un bénéfice net de 179 millions d'euros. Les Etats-Unis constituent son premier marché devant la Belgique, à travers notamment la chaîne de distribution Food Lion.
Pierre Olivier Beckers, CEO du Groupe et président du Comité Olympique belge, considéré comme trop émotif a cédé sa place au Hollandais Frans Muller.
Si on prend les résultats : avec un chiffre d’affaires de 21 milliards d’euros, un bénéfice par action qui devrait passer de 4 à 4,35 euros cette année et un dividende qui reste en croissance, l’action Delhaize, aux alentours de 52 euros, est en bonne forme avec un rapport cours/bénéfice (P/E) de 12, l’action n’est pas très chère, surtout si on la compare à Colruyt, l’autre action du secteur cotée à Bruxelles et qui affiche un P/E de 18.
Mais ce qui fait la différence, c’est avant tout la marge bénéficiaire : 0,85 % en 2013 pour Delhaize contre 4,2 % pour Colruyt. Evidemment, on compare un groupe multinational dont l’enseigne au lion est très présente aux Etats-Unis notamment, avec une entreprise essentiellement nationale. "Le handicap de Delhaize, c’est de ne plus être leader sur aucun de ses marchés", commente un analyste. Pourtant, l’évolution du cours de bourse est loin d’être négative. Depuis le début de l’année, le titre a gagné plus de 20 % à la Bourse de Bruxelles.
Il est donc clair que la restructuration est motivée par le positionnement du groupe sur le marché et non par ses marges qui sont parfaitement acceptables. Cela, bien entendu, Denis Knoops qui a été envoyé au feu pour annoncer la suppression de 2.500 emplois et la fermeture de quatorze magasins en Belgique, ne le dira pas. Il motivera la décision du groupe par le coût excessif des charges salariales !
L'image de marque de Delhaize en a pris un coup. Cela ne peut être que la faute des travailleurs pour un patronat agressif et sans scrupules.
Autrement dit, c’est la faute aux travailleurs !
Et on voit les réactions sur les réseaux sociaux. Les grèves « émotionnelles » qui se déroulent dans plusieurs magasins sont considérées comme irresponsables, ce qui se passe, c’est à cause des syndicats ringards et des « droitzacquis ». Bref, toujours la même rengaine populiste !
Personne ne se posera la question de la politique des actionnaires, c’est-à-dire ces Fonds de pension et ces hedge funds qui mettent la main sur les entreprises et qui exigent des rentabilités intenables.
C’est là où se trouve le problème. Delhaize, vieille entreprise familiale assez paternaliste, s’est transformé en une multinationale. D’ailleurs, le groupe a réalisé un bénéfice net de 179 millions d'euros en 2013 sur un revenu total de 20,9 milliards dont 24% en Belgique. Cela signifie que les trois quarts des activités du groupe se situent hors de Belgique.
Les travailleurs ont débrayé dans plusieurs magasins suite à la brusque annonce de ce plan de restructuration supprimant 2.500 emplois.
Cela dit, le groupe Delhaize a manifestement des faiblesses en Belgique. Mais ces carences ne sont pas dues aux travailleurs. Bien au contraire, connus dans le monde syndical, pour avoir une très aigüe conscience professionnelle, les « Delhaize » ont, à plusieurs reprises, attiré l’attention de la direction sur de sérieuses lacunes dans l’organisation des rayons, la répartition du travail, l’assortiment des marchandises, etc.
C’est un prétexte pour Muller. Il faut dégager 450 millions de cash en Belgique pour la période 2015-2017. Aussi, a-t-il programmé la fermeture de quatorze magasins, ce qui représente la suppression de 2.500 postes. Il s’agit des magasins considérés comme non rentables :
- d'Eupen,
- de Dinant,
- d'Herstal,
- de La Louvière,
- de Tubize,
- de Schaerbeek (Verhaeren),
- d'Aarschot,
- de Diest,
- de Berlaar,
- de Genk (Stadsplein),
- de Courtrai (Ring),
- de Lommel,
- de Termonde,
- de Turnhout.
On observe que la plupart de ces magasins se situent dans des zones populaires, voire précarisées.
Les organisations syndicales qui ont été mises devant le fait accompli mercredi 11 juin ont décidé de soutenir tout mouvement de protestation spontané dans l’un ou l’autre magasin du groupe, mais n’a pas lancé un mot d’ordre de grève générale afin de préserver les forces lors de l’ultime négociation. En outre, les syndicats évitent de précipiter les choses et font en sorte que les négociations aient lieu à la rentrée afin de prévenir des actions de la direction pendant les vacances d’été.
Les politiques sont restés silencieux. On n’a pas entendu, notamment les dirigeants du PS qui avaient proclamé qu’avec eux on éviterait le « bain de sang social ». Eh bien ! C’est loupé. Est-ce pour cela qu’ils se murent dans un silence gêné ? Le député européen écolo, Lamberts, a quant à lui, invité les actionnaires à prendre leurs responsabilités.
Malgré cela, on ne peut pas dire que les Delhaize bénéficient jusqu’à présent d’un grand mouvement de solidarité. Sans doute va-t-il venir, ou est-ce que le discours patronal visant à faire porter la faute aux travailleurs et complaisamment relayé par les médias, commence à distiller son poison dans une opinion mise en léthargie par le mondial de foot ?
Ce conflit est sans doute le premier en Belgique d’une longue série. En effet, à la veille de la formation d’un gouvernement de droite, on propose, via la Banque nationale, de raboter les pensions et pourquoi pas les salaires dans la foulée ?
Solidarité et vigilance sont les mots d’ordre indispensables en ces jours.
Pierre Verhas