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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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11 novembre 2020 3 11 /11 /novembre /2020 18:00

 

 

 

C’est curieux qu’un militant de gauche radicale, syndicaliste jusqu’au bout des ongles, FGTB et proche de la CGT, parle de cet anniversaire. C’est curieux qu’un soixante-huitard repenti évoque celui qui lui apparut en ce temps comme le mal à écraser. C’est curieux qu’un Européen « convaincu » lui rende hommage. Et pourtant ! La vie et l’expérience acquise font évoluer l’esprit.

 

Charles De Gaulle, tout d’abord, est une légende vivante. Il nous interpelle chaque jour quasi en tous les domaines. Il est la légende du combat, de l’homme isolé qui eut la force d’allumer en une France meurtrie et contrainte à la collaboration par une classe politique déliquescente, ce qu’il a appelé « la flamme de la Résistance ». Résistance face au pire ennemi de la société libre.

 

 

 

Charles De Gaulle se révéla à l'occasion de son fameux appel à la Résistance prononcé à l'antenne de la BBC à Londres le 18 juin 1940.

Charles De Gaulle se révéla à l'occasion de son fameux appel à la Résistance prononcé à l'antenne de la BBC à Londres le 18 juin 1940.

 

 

 

Il est celui qui a permis à son pays juste après la Libération d’effectuer les réformes indispensables à construire une société juste. Une ordonnance du 4 octobre 1945 relative au régime de Sécurité sociale est adoptée. L’auteur en est le ministre communiste Ambroise Croizat. Cette ordonnance émane du programme du Conseil national de la Résistance voulu par De Gaulle et dont le fondateur fut Jean Moulin.  Ensuite, après que De Gaulle ait quitté le gouvernement, c’est le même Ambroise Croizat qui peaufina le régime général de la Sécurité sociale.

 

Les paradoxes De Gaulle

 

Il y a un mystère De Gaulle. Il est issu de la bourgeoisie catholique rurale, il a été un militaire formé à la traditionnelle, héros de la Première guerre mondiale, adhérant par après au nationalisme maurassien sans s’engager politiquement, il fut un proche collaborateur du « héros » de la « Grande Guerre », Philippe Pétain. Mais il fut toute sa vie un homme de rupture. Grâce à cela, il eut l’intelligence de comprendre que les équilibres étaient rompus et que la France se déliterait en suivant la voie de ce qu’il appela à juste titre le déshonneur. Il avait en effet prévu ce qui s’est passé et préconisé une réforme stratégique donnant la priorité aux armes blindées. Il ne fut pas entendu.

 

 

 

Charles De Gaulle et Philippe Pétain : deux visions opposées de l'histoire et de l'humanité qui marquèrent l'histoire de France.

Charles De Gaulle et Philippe Pétain : deux visions opposées de l'histoire et de l'humanité qui marquèrent l'histoire de France.

 

 

 

Il y a un paradoxe De Gaulle. Au fond, ce sont ses ennemis qui l’ont ramené au pouvoir en 1958. Les Français d’Algérie ne l’aimaient pas et une grande partie d’entre eux avaient été pétainistes et le restaient. L’armée était divisée et bon nombre d’officiers généraux le détestaient. Cependant, en fin politique, il fit en sorte d’être le seul recours. Dès son investiture, le général œuvra à la fin de la guerre. En dépit des violentes contestations, il maintint la ligne qu’il s’était fixée : donner l’indépendance aux Algériens. Cela se passa dans la violence ; par après, il a failli lui-même payer de sa vie sa détermination, mais il finit par avoir gain de cause. Mais cela ne put se faire sans drames : les pieds noirs chassés et mal reçus en France et les Harkis, ces Algériens qui avaient opté pour la France et qui ont été marginalisés.

 

 

 

Le fameux "Je vous ai compris !" clamé à Alger le 4 juin 1958 cachait sa volonté de donner l'indépendance aux Algériens.

Le fameux "Je vous ai compris !" clamé à Alger le 4 juin 1958 cachait sa volonté de donner l'indépendance aux Algériens.

 

 

Il y a une explication : De Gaulle fut le premier homme d’Etat européen à envisager la décolonisation. Le 30 janvier 1944, il prononça à Brazzaville un discours où il évoqua ce qu’il appela plus tard l’autodétermination en ces termes :

 

« Nous croyons que, pour ce qui concerne la vie du monde de demain, l'autarcie ne serait, pour personne, ni souhaitable, ni même possible. Nous croyons, en particulier, qu'au point de vue du développement des ressources et des grandes communications, le continent africain doit constituer, dans une large mesure, un tout. Mais, en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi. »

 

 

 

Personne n'a pris au sérieux la volonté de décolonisation exprimée par De Gaulle à Brazzaville en 1944.

Personne n'a pris au sérieux la volonté de décolonisation exprimée par De Gaulle à Brazzaville en 1944.

 

 

 

Le reste coule de source.

 

Sur le plan de la construction européenne que ses amis politiques avaient freiné des quatre fers avant qu’il ne revienne aux affaires ; dès qu’il eut le pouvoir en 1958, De Gaulle aurait pu sans difficulté rejeter le Traité de Rome de 1957 dont il était loin d’approuver la philosophie et les termes. Il procéda autrement sans passer par les institutions européennes : il œuvra à la réconciliation de la France et de l’Allemagne. Le général était féru d’histoire : les trois dernières grandes guerres européennes – la guerre franco-prussienne de 1870-71, la Première et la Seconde guerres mondiales – opposèrent au premier chef l’Allemagne à la France. Il fallait mettre un terme à ce cycle infernal. Le Traité franco-allemand fut la première réalisation transnationale au sein de la Communauté européenne en associant les deux plus grands pays de la Communauté européenne de l’époque. Il s’opposait à l’idée d’une Europe fédérale où l’Etat-nation transférerait une partie de sa souveraineté à une entité supranationale. De Gaulle s’opposait surtout à la Commission européenne, car elle est un organe supranational. Il souhaitait une Europe intergouvernementale. Ce fut la proposition de Comité Fouchet du nom d’un ministre du gouvernement gaulliste. Le projet du Comité fut présenté le 2 novembre 1961. Celui-ci proposait la création d'une union politique dans laquelle les chefs d’État et de gouvernement des États membres prendraient des décisions en matière de politique étrangère et de sécurité et coopéreraient dans les domaines culturel, scientifique, démocratique, des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Selon ce plan, le Conseil devait se réunir tous les quatre mois ou dès lors qu'un État membre demanderait sa réunion. Enfin, les décisions seraient prises à l'unanimité (avec l'abstention possible d'un ou deux États, mais dans ce cas, la décision ne les contraindrait pas). Un second projet fut publié le 18 janvier 1962. Ce projet incluait les aspects économiques de l'intégration européenne dans le projet d'union politique intergouvernementale. Il fut rejeté par quatre Etats membres de l’Europe des Six – les pays du Benelux et l’Italie.

 

 

Le 20 janvier 1962, les cinq partenaires de la France dévoilèrent un projet de traité qui disposait que le Conseil serait formé des représentants des États membres, que les décisions seraient adoptées à l'unanimité, que la question de l'unanimité pourrait être levée dans certains cas, que le Conseil n'empièterait pas sur les compétences des Communautés et qu'une « union d’États et des peuples européens » devaient être créées (le plan Fouchet parlait simplement d'« Union d’États »). La situation était bloquée.

 

 

 

Le chancelier de la RFA Konrad Adenauer et Charles De Gaulle se congratulent au terme de l'accord franco-allemand. Premier engagement concret pour préserver la paix en Europe.

Le chancelier de la RFA Konrad Adenauer et Charles De Gaulle se congratulent au terme de l'accord franco-allemand. Premier engagement concret pour préserver la paix en Europe.

 

En juillet 1969, le ministre français des Affaires étrangères Maurice Schumann proposa qu'une conférence des chefs d’État et gouvernement soit organisée afin de discuter de l'approfondissement et de l'élargissement des Communautés. Opposition également du Benelux.

 

Son refus sans appel de l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne fait entendre ses échos aujourd’hui avec ce colossal échec qu’on appelle le Brexit. Bien des « Européens convaincus » se sont aperçus un peu tard que le gouvernement britannique freinait des quatre fers toute évolution des institutions européennes vers une entité politique supranationale. Ils œuvrèrent au contraire pour en faire une zone de libre échange régentée par la Commission sous le contrôle du Conseil européen, c’est-à-dire des chefs d’Etats et de gouvernements des Etats-membres. Ce n’est qu’en 1972, c’est-à-dire deux ans après la mort du général, que la situation fut débloquée. Avec l’accord du successeur de De Gaulle, Georges Pompidou, l’élargissement de la CEE à la Grande Bretagne, à l’Irlande et au Danemark fut réalisé.

 

 

Il fut aussi un véritable chef d’Etat non-aligné. De Gaulle parcourut le monde pour prôner l’autodétermination et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Son discours de Phnom-Penh prononcé au stade de cette ville devant 100 000 personnes le 1er septembre 1966 en pleine guerre du Vietnam eut un immense retentissement.

 

 

Le discours de De Gaulle à Phnom Penh le 1er septembre 1966 marque son attachement à être non aligné sur les deux grandes puissances de l'époque.

Le discours de De Gaulle à Phnom Penh le 1er septembre 1966 marque son attachement à être non aligné sur les deux grandes puissances de l'époque.

 

 

 

« Mais comme ces combats n'engageaient ni son honneur, ni son indépendance, et qu'à l'époque où nous sommes, ils ne pouvaient conduire à rien, qu'à des pertes, des haines, des destructions sans cesse accrues, la France a voulu et a su s'en sortir. Sans que, bien au contraire, en aient souffert son prestige, sa puissance et sa prospérité. Eh bien, la France considère que les combats qui ravagent l'Indochine, n'apportent par eux-mêmes et eux non plus, aucune issue, suivant elle, s'il est invraisemblable que l'appareil guerrier américain puisse jamais être anéanti sur place, d'autre part, il n'y aucune chance pour que les peuples de l'Asie se soumettent à la loi d'un étranger venu de l'autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions, et quelle que soit la puissance de ses armes. Bref, si longue et dure que doive être encore l'épreuve, il est certain qu'aux yeux de la France qu'elle n'aura pas de solution militaire. Dès lors et à moins que le monde ne roule vers la catastrophe, seul un règlement politique pourrait rétablir la paix. Comme les conditions de ce règlement sont bien claires et bien connues, on peut encore espérer. »

 

En Europe, il sortit l’armée française de la structure militaire de l’OTAN tout en ne renonçant pas au Traité de l’Alliance atlantique. Encore un paradoxe :le général respectait les termes des traités qui avaient été signés avant 1958 tout en n’approuvant pas leurs objectifs.

 

Dès 1966, De Gaulle s’inquiéta du regain de tension au Proche Orient. La France entretenait des relations privilégiées avec l’Etat d’Israël depuis sa fondation en 1948. Il invita le Premier ministre David Ben Gourion et fondateur de cet Etat. Il lui enjoignit de ne pas attaquer le premier, l’Egypte de Nasser ayant chassé les troupes de l’ONU stationnées à la frontière et représentant une menace. En dépit de cet avertissement, les Israéliens dirigés par un autre Premier ministre ont lancé une offensive combinée contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie qu’ils emportèrent haut la main. Cela provoqua un déséquilibre au Proche Orient qui ne pouvait que générer d’interminables conflits. C’était ce que De Gaulle redoutait.

 

 

Peu après, le général fut accusé d’antisémitisme lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967 au cours de laquelle il fit une analyse sans concession de la situation au Proche Orient consécutive à la guerre israélo-arabe de juin 1967, guerre dite des « Six jours ». Il évoqua le peuple juif en le qualifiant de « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». Cette parole lui valut un tollé et eut pour conséquence d’affaiblir la position d’arbitre du conflit que De Gaulle ambitionnait pour la France. Pourtant, le président du Congrès juif mondial de l’époque, Nahum Goldmann, déclara que connaissant l’esprit du général, sa qualification du peuple juif était flatteuse ! Et c’est probablement vrai.

 

En outre, et cela a été révélé bien après par François Hollande, le général a refusé à Ben Gourion d'aider Israël à fabriquer de l'uranium enrichi à la centrale nucléaire israélienne de Dimona au centre du désert de Neguev.

 

 

 

Charles De Gaulle et David Ben Gourion s'admiraient mais n'étaient d'accord sur rien !

Charles De Gaulle et David Ben Gourion s'admiraient mais n'étaient d'accord sur rien !

 

 

 

Autre paradoxe : De Gaulle, le catholique traditionnel, accepta la libéralisation de la pilule contraceptive. Un de ses plus fidèles compagnons qui œuvra d’Alger à son retour au pouvoir en 1958, Lucien Neuwirth, parvint à convaincre au terme d’un long entretien, le général à accepter sa proposition de loi. Sans doute perçut-il que l’affaire était « pliée ».

 

Mai 68 fit chanceler le Général, mais il ne tomba pas.

 

Et puis éclata mai 1968.

 

Ah ! mai 1968 ! La révolution des enfants gâtés. Le gâchis d’idées généreuses par une bande de jeunes bourgeois travestis en Che Guevara de pacotille ! Cette « révolution » qui s’inspirait des révoltes dans les campus étatsuniens contre la guerre du Vietnam et aussi des soulèvements des jeunes dans les pays de l’Est européen et même des émeutes à l’Université belge de Louvain qui s’est scindée entre flamands et francophones, avait d’abord pour objectif la liberté sexuelle dans les cités universitaires parisiennes. Elle était dirigée par une bande de rejetons de la haute bourgeoisie parisienne, à l’exception d’un seul, un vrai révolutionnaire, Jacques Sauvageot (voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2017/10/mort-d-un-camarade.html ). Comme l’a écrit feu Robert Falony : « Mai 68 en France fut aussi un échec hormis dans le domaine des mœurs ». Tous les slogans anticapitalistes, les drapeaux rouges brandis à tous les coins de rue, les portraits de Mao et du Che, les interminables discours contre la société de consommation et les écrits « anticapitalistes » n’étaient que du vent. En peu d’années tous ces prétendus révolutionnaires sont passés du col Mao au Rotary comme l’a écrit Guy Hocquenghem dans un petit ouvrage retentissant en 1986. Quelques-uns sont visés et non des moindres, Daniel Cohn Bendit, Serge July, Jack Lang, BHL, André Glucksmann, Marguerite Duras, Yves Montand, Bernard Kouchner et bien d’autres. Tous très vite convertis au pur néolibéralisme, s’il en était besoin.

 

Outre la « révolte » étudiante, ce fut surtout la grève générale menée par la CGT qui paralysa la France. C'est en définitive la classe ouvrière qui fit bouger les choses. De Gaulle l'a très vite compris et bien des historiens ne l'ont toujours pas appréhendé.

 

 

 

 

Un des slogans du Mai 68 parisien : typique revendication hédoniste bourgeoise, mais qui a fait chanceler le pouvoir.

Un des slogans du Mai 68 parisien : typique revendication hédoniste bourgeoise, mais qui a fait chanceler le pouvoir.

 

 

 

Il est inutile de revenir sur les épisodes de la crise de mai 68. Une fois de plus, De Gaulle s’en est sorti à la fois affaibli et renforcé. Affaibli parce qu’il représentait un pouvoir déclinant, renforcé parce qu’il a réussi avec les astuces dont il avait le secret, à redresser la situation et mettre fin à un chaos incontrôlable aussi bien par le pouvoir que par ses opposants. On connaît la suite : élections législatives que les gaullistes emportèrent haut la main, un nouveau gouvernement composé de ses fidèles et de… Giscard d’Estaing. Le général tenta à nouveau un coup de poker – le dernier et il en était conscient – : mettre en œuvre un vaste programme de réformes qui comprenait la participation des travailleurs dans les entreprises, la régionalisation et la réforme du Sénat. Ce programme, hormis la participation pour des raisons juridiques, devait être soumis au peuple français par référendum. Il ne se faisait aucune illusion. Il savait que le peuple français ne l’approuverait pas et cela constituait pour lui la porte de sortie par le haut.

 

Le « réel le plus réel »

 

Mais comme l’a écrit François Mauriac qui fut très proche de De Gaulle :

 

« J’avais tort de comparer De Gaulle à Cassandre. Il ne prophétise pas. Ce qu’il interprète, c’est le réel le plus réel. »

 

Dans un de ses derniers discours, les vœux du Président au peuple français le 31 décembre 1968, le général analysa les raisons profondes du mouvement de mai 68.

 

« A l’origine de ces troubles, il y a le sentiment attristant et irritant qu’éprouvent les hommes d’à présent d’être saisis et entraînés par un engrenage économique et social sur lequel ils n’ont point de prise et qui fait d’eux des instruments. »

 

Arnaud Teyssier écrit dans « Le Figaro » du 9 novembre 2020, 50e anniversaire de la mort du général :

 

« … « le réel le plus réel » pour De Gaulle dans les années qui précèdent son départ du pouvoir, c’est le futur qu’il entrevoit pour nos sociétés. Il pressent des révolutions technologiques, déjà en germe, qui bouleverseront les conditions du travail et celle des travailleurs, dans un monde où l’antagonisme entre le capitalisme et le communisme est appelé à disparaître un jour, laissant le capitalisme seul face à ses contradictions. Il a compris que l’extraordinaire cohésion sociale et territoriale française, qu’il a contribué à renforcer, reste fragile. C’est tout le sens de la dernière grande révolution qu’il veut accomplir en 1969 : créer un lien direct entre l’Etat et les forces vives de la société à travers une réforme territoriale de grande ampleur ; et préparer la participation dans l’entreprise, qui n’est pas, comme on le croit trop souvent, un concept vague et creux, mais l’annonce d’une rénovation profonde des structures du capitalisme, destinée à corriger, selon sa propre expression, son « infirmité morale ». »

 

Une électrice ou un électeur de gauche, à l’époque, aurait très bien pu intégrer ce programme. La gauche française, comme à son habitude, a encore manqué une occasion en ne votant pas « oui » au référendum de 1969. Le « non » de Giscard était lui bien plus cohérent, puisque le général voulait éviter la terrible dérive néolibérale qui s’annonçait.

 

De Gaulle un criminel ?

 

Une dernière question. L’homme d’Etat De Gaulle est-il responsable de crimes ? Oui, indirectement. Le 8 mai 1945, l’armée française se livra à un massacre de civils à Sétif en Algérie. Le général qui était à la tête du gouvernement ne prononça aucune sanction. De même après le 17 octobre 1961, une manifestation du FLN à Paris dégénéra en massacre. La police du Préfet Papon – qui collabora aux rafles à Bordeaux en juillet 1942 – réprima cette démonstration avec une férocité sans égale. Résultat : entre 30 et 50 morts et un nombre considérable de blessés. Enfin, il y a l’affaire Ben Barka du nom d’un leader marocain de gauche opposé au régime d’Hassan II qui a été livré par des « barbouzes » français au général marocain Oufkir qui le fit assassiner.

 

 

 

La manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 : ici des Algériens capturés à Puteaux. Ils ont eu plus de chance que leurs compatriotes écrasés contre la grille du métro ou noyés dans la Seine.

La manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 : ici des Algériens capturés à Puteaux. Ils ont eu plus de chance que leurs compatriotes écrasés contre la grille du métro ou noyés dans la Seine.

 

 

 

Il est indéniable que ces crimes ont entaché le parcours du chef de la France libre. Cependant, il ne les a ni inspirés, ni suscités. Il a en quelque sorte « couvert » les auteurs de ces exactions. Voulut-il éviter de générer des troubles en agissant ainsi, ou les approuva-t-il secrètement ? Nul ne le saura jamais.

 

Une dernière réflexion : Charles De Gaulle n’a jamais déclenché de guerre ni ordonné d’expéditions militaires de représailles, contrairement à certains de ses successeurs. Certes, il y eut en 1961 l’affaire de Bizerte qui abritait la principale base aéronavale française en Méditerranée. À la suite d’un malentendu entre De Gaulle et Bourguiba, se déroulèrent des affrontements meurtriers entre soldats français et militaires et civils tunisiens.

 

Sa politique de défense était une politique de prévention. Il refusait la dangereuse polarisation Est-Ouest que les Etatsuniens rétablisse de nos jours, et mit au point pour la France ce qu’il appela la défense « tous azimuts ». S’il a doté la France de l’arme nucléaire, ce n’était pas pour viser un ennemi spécifique, car il pensait qu’il n’y en avait pas. Homme réaliste, il savait cependant que la détention de l’arme suprême était le seul moyen de faire respecter la France dans ses rapports avec les Puissances et ainsi de tenter de sortir du carcan de Yalta.

 

Cinquante ans après

 

Il est rare que cinquante années après sa disparition, un homme d’Etat fasse encore débat. C’est sans doute le lot des grands hommes, comme on dit, mais c’est surtout parce qu’il était un « révolutionnaire conservateur » comme George Orwell fut un « anarchiste conservateur ». Tous deux appartiennent à une espèce très rare, celle qui fait réfléchir pas mal de monde dans les chaumières des décennies après leur mort ; un peu moins sous les lambris du Pouvoir ou dans les Chancelleries. Pourtant, c’est là où la réflexion est indispensable.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Post-scriptum  

 

 

Exit Marc Metdepenningen

 

Disparu le 8 novembre 2020 à l’âge de 62 ans, assassiné par le « Crabe », Marc Metdepenningen, chroniqueur judiciaire au quotidien francophone bruxellois « Le Soir » fut un grand journaliste, un homme libre et de qualité et un joyeux compagnon.

 

 

 

Disparu trop tôt. Marc Metdepenningen a dit bien des choses et il avait encore beaucoup à dire.

Disparu trop tôt. Marc Metdepenningen a dit bien des choses et il avait encore beaucoup à dire.

 

 

 

Je ne peux que me joindre à l’hommage rendu sur les réseaux sociaux par Madame Claire Pahaut, historienne et membre du Groupe Mémoire :

 

« Marc était un homme bon, sensible, attentif, épris de justice, fidèle en amitié, si amoureux des siens et d'une érudition particulière. J'ai pu suivre, avec lui, bien des dossiers, à coloration "droits humains" évidemment. N'est-ce pas Marc. Tes enfants et toi, vous étiez un exemple des bons rouages, actionnés à l'huile de la tendresse. Tu es parti si tôt, Marc. »

 

Marc Metdepenningen était un vrai journaliste et un grand esprit critique. Il couvrit la fameuse affaire Dutroux qui a ébranlé la Belgique pendant les années 1990. Il fut un des seuls à ne pas adhérer à la thèse des réseaux de pédophiles. Il parvint à démonter la légende d’une autrice qui a écrit un livre où elle se prétendait juive et avoir parcouru avec ses enfants l’Europe entière pour échapper aux Allemands. C’était une imposture.

 

Passionné par l’histoire judiciaire, il a écrit un ouvrage intitulé « Crimes et châtiments » paru en octobre 2019. Marc Metdepenningen conte, dans ce livre, 25 histoires qui ont marqué l’histoire judiciaire belge et nourri la réflexion parlementaire et sociétale en Belgique. De l’histoire du dernier décapité de Belgique au meurtre mené par le commissaire Alexandre Courtois, en passant par les « feux de la Saint-Genois », le journaliste du Soir retrace à l’aide d’archives ces faits divers qui ont également marqué la vie politique belge.

 

Marc était profondément attaché aux droits fondamentaux qu’il savait menacés et redoutait la montée de l’extrême-droite.

 

J’ai fait sa connaissance il y a cinq ans environ et si nous nous sommes  rencontrés peu de fois, nous avons correspondu très régulièrement sur divers sujets et nous plaisantions aussi sur les réseaux sociaux.

 

Oui, comme dit Claire Pahaut, il est parti si tôt.

 

P.V.

 

Monument aux orphelins de guerre

 

Josy Dubié effectue sans doute, ces temps-ci, un tour en France avec son mobil-home. Il s’est arrêté dans un petit village de la Creuse appelé Gentioux. Il y a découvert un monument non pas aux morts au combat, qu’on a appelé « héros » bien malgré eux, mais aux orphelins de guerre. Les « autorités » de l l'époque avaient refusé d’assister à l’inauguration de ce monument « défaitiste » Il était même ordonné aux soldats qui passaient devant ce mémorial de détourner la tête !  

 

 

 

Josy Dubié devant le Monument aux orphelins de la « Grande Guerre » érigé dans le village de Gentious dans la Creuse.

Josy Dubié devant le Monument aux orphelins de la « Grande Guerre » érigé dans le village de Gentious dans la Creuse.

 

 

 

Anatole France a écrit : « Ainsi, ceux qui moururent dans cette guerre ne surent pas pourquoi ils mouraient. Il en est de même dans toutes les guerres. On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l'heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. » (Texte paru dans « l’Humanité » en juillet 1922 – cité par Jean Pestiaux).

Josy Dubié, grand reporter et correspondant de guerre qui a roulé sa bosse et transporté sa caméra pour la RTBF dans tous les coins « tranquilles » du monde, sait de quoi il parle ! Il ajoute : « C'est émouvant et révoltant de lire le nombre impressionnant de malheureux massacrés dans ce petit village. Tout près de là sur le monument, 4 fois le nom Troicon, d’après leur âge sans doute le père et trois de ses enfants. Horrible boucherie ! »

 

 

Les monuments racontent l’histoire, la vraie, celle vécue par des femmes et des hommes qui sont entraînés malgré eux dans un maelström incontrôlable. On le sait, on l’a montré, on l’a dit et cela continue !

 

 

P.V.

 

 

 

 

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