La proposition de Donald Trump de transformer Gaza en une Riviera pour milliardaires après en avoir expulsé sa population vers la Jordanie et vers l’Egypte a levé une vague d’indignation dans l’ensemble des capitales. Indignation justifiée : la déportation de populations est en infraction au Droit international et fondamentalement contraire à l’éthique. Pourtant, cette idée, aussi odieuse soit-elle, est ancienne et même récurrente.
L'idée de transformer la bande de Gaza en une "Riviera" sous le contrôle étatsunien a été exprimée lors de la visite de Netanyahu à Washington.
Même l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait envisagé d’abandonner provisoirement la terre de Palestine et de gouverner la Jordanie avant le tragique « septembre noir » de 1970-71 qui a vu les Palestiniens de l’OLP alors dirigée par Yasser Arafat chassés de Jordanie vers le Liban en 1973. Il était question alors qu’elle s’installe au pays du Cèdre, ce qui déclencha la guerre civile en 1976. Les Israéliens envahirent ce pays en 1982 et Arafat et ses troupes durent fuir vers la Tunisie en 1983. Ce sont les accords d’Oslo de 1993 qui marquèrent le retour de l’OLP à Gaza et en Cisjordanie. Le Hamas, issu des Frères musulmans, fut fondé en 1987 et bénéficia du soutien plus ou moins officieux des Israéliens qui voulaient éliminer l’OLP qu’ils considéraient comme leur pire ennemi, alors que le Hamas dans sa charte de 1988 proclamait l’élimination de ce qu’il appelle « l’entité sioniste ». Ces confusions et ces contradictions entre les parties de cet interminable conflit ne font qu’entretenir les tensions rendant toute solution impossible !
Yasser Arafat voulait absolument la constitution d'un Etat palestinien où qu'il soit pour négocier une paix avec Israël d'égal à égal.
Auparavant, en 1983, le président Ronald Reagan envisagea déjà une déportation, non seulement des Gazaouis, mais de tous les Palestiniens, en Égypte et en Jordanie. Cela ne déclencha pourtant pas un tollé comme aujourd’hui. Il est vrai qu’à l’époque l’opinion publique était plus favorable à Israël sans doute à la suite de la vague d’attentats terroristes que l’on attribuait essentiellement aux Palestiniens.
Ronald Reagan était aussi favorable à la déportation des Palestiniens des "territoires" vers l'Egypte et la Jordanie.
Néanmoins, la question est désormais posée et elle sera au centre des pourparlers indirects du Hamas et de l’État d’Israël à Washington. L’idée de transformer Gaza en Riviera du Moyen-Orient n’est pas qu’une lubie de Jared Kushner, le gendre et conseiller de Donald Trump ; elle a été avancée la première fois en 1993 par Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères. Il parlait de faire de Gaza le « Singapour du Moyen-Orient ». Israël Katz, alors ministre israélien des Affaires étrangères, avait également présenté, en janvier 2024, au Conseil européen, un projet tout aussi surprenant quoi que plus petit, de station balnéaire sur une île artificielle non loin de la côte gazaouie.
Et n’oublions pas qu’il semble qu’il y ait une immense réserve de gaz naturel au large de Gaza. Cet enjeu quelque peu passé sous silence est – on s’en doute – d’une importance capitale.
Le piège du Hamas
Trump va sans doute avoir bien plus de poids au Proche Orient que son prédécesseur Joe Biden qui a échoué sur toute la ligne. Dans une tribune parue le 9 février 2025 dans « le Monde », le professeur à Science Po, Jean-Pierre Filiu, écrit :
« Deux semaines seulement après le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, je mettais en garde dans cette chronique contre l’aveuglement d’Israël qui, en s’acharnant contre la population de Gaza, ferait immanquablement le jeu de la milice islamiste. J’appelais l’Etat hébreu et ses alliés à « ne pas tomber dans le piège du Hamas à Gaza » et à « ne pas laisser le Hamas l’emporter [là-bas], même sur un champ de ruines ». Les représailles israéliennes prenaient déjà la forme d’une vague de bombardements d’une violence inouïe. »
Et M. Filiu rappelle que ce qu’il nomme « le piège du Hamas » qui s’est progressivement refermé sur l’armée israélienne : c’est la réoccupation de la bande de Gaza. « 2024, n’ont ajouté que des ruines aux ruines, sans pour autant compromettre la prééminence du Hamas Cette réoccupation, amorcée le 27 octobre 2023, se poursuit quinze mois plus tard, en dépit des redéploiements militaires de ces dernières semaines. Et chaque escalade israélienne, avec l’offensive du 6 mai 2024 sur Rafah, puis la campagne de dépopulation du nord de Gaza, lancée le 6 octobre. »
Toute une région détruite, 47 000 morts, plusieurs centaines de milliers de Gazaouis sans abri, sans soin, au bord de la famine. Et en plus une menace de déportation !
En définitive, Tsahal a cédé à la faiblesse de sa toute-puissance, comme souvent dans des combats entre une armée « conventionnelle » et une guérilla. Le 7 octobre 2023 fut une défaite militaire pour Israël, en plus d’être un massacre de population civile. Le Hamas a réussi à occuper pendant deux à trois jours une partie du territoire israélien et, en plus, à neutraliser l’état-major de Sderot, la ville frontière avec la bande de Gaza. C’est une première depuis 1948 !
En plus, l’état-major israélien est obsédé par le chiffre. Il publia bon nombre de communiqués de victoire recensant le nombre de combattants du Hamas neutralisés, faisant ainsi croire que l’armée éradiquait la « menace terroriste » et justifiait ainsi le nombre de civils tués et d’infrastructures détruites. C’est par ce biais que l’on a assimilé la stratégie israélienne à un génocide. Bon nombre d’hôpitaux, d’écoles, de dispensaires, de quartiers résidentiels, de dépôts de vivres ont été bombardés sous prétexte qu’ils abritaient des « terroristes » du Hamas !
Le Professeur Filiu ajoute : « L’état-major israélien a en effet cédé à la fascination pour des bilans purement statiques, comme s’il suffisait de réduire le « stock » de combattants du Hamas pour éliminer la « menace terroriste ». Non seulement cette obsession des chiffres a pu justifier la mort de dizaines, voire de centaines de civils pour chaque « cible » visée, mais elle a ignoré la dynamique de recrutement du Hamas, laquelle est accentuée par le caractère plus ou moins aveugle des frappes israéliennes. »
Ainsi, on peut dire que Tsahal s’est enlisé dans cet affrontement atroce dont on ne voit pas l’issue. La crise des otages est loin d’être terminée, mais le cessez le feu semble se maintenir. Trump n’a d’ailleurs aucun intérêt à ce qu’il soit rompu. Et c’est cela le plus important, car il semble prendre le contrôle de la situation essentiellement pour des intérêts économiques et financiers colossaux. C’est cela qui intéresse au premier chef le nouveau locataire de la Maison Blanche.
Vraiment, à Gaza, rien de nouveau. Les Gazaouis risquent d’avoir le choix entre la valise et le cercueil. On a déjà entendu cela quelque part, il y a bien longtemps !
Pierre Verhas