Cette seconde partie de la recension de Bernard Gensane de l’ouvrage de George Monbiot et Peter Hutchinson est plus spécifiquement consacrée à la question des libertés fondamentales menacées par le néolibéralisme. Madame Castelli, ancienne présidente du syndicat belge de la magistrature a un jour déclaré : « Le néolibéralisme est un fascisme ! » Cela a profondément choqué. Pourtant, force est de constater qu’elle n’était pas loin de la réalité !
On observe que les libertés s’étiolent, que la Justice n’est plus respectée, que les dirigeants politiques et économiques enfreignent impunément les règles les plus élémentaires. Ce n’est pas le « fascisme » que l’on brandit à tout bout de champ comme une menace majeure, c’est au contraire l’entreprise libertarienne qui œuvre à abolir les bases de la démocratie dite libérale.
En outre, l’intérêt général que sont sensés défendre les dirigeants politiques est remplacé par la défense d’une seule classe minoritaire mais ultrapuissante : celle des hypers riches qui dirigent aujourd’hui le monde occidental. Tout le monde aujourd’hui s’effraye des actes et du comportement de Donald Trump. Pourtant, on le savait depuis longtemps. Il avait déjà montré de quoi il est capable lors de son premier mandat. À une plus petite échelle, si on ose dire, le milliardaire français Bernard Arnault a lui aussi un comportement au-dessus des lois et surtout au mépris de toutes les autorités instituées sans que celles-ci ne réagissent.
On l’observe aussi en Grande Bretagne comme le montrent les auteurs de la « doctrine invisible » en expliquant le comportement de la Première ministre Lizz Truss qui a succédé à Boris Johnson, lui aussi peu soucieux de respecter les règles de base de la démocratie. Le drame est que l’opinion publique n’a pas l’air de désapprouver et encore moins de s’insurger tant l’idéologie sécuritaire s’est inscrite dans les esprits.
Lorsque Lizz Truss a été nommée Première ministre elle a mis en œuvre son programme réactionnaire. Ses propositions visaient à réduire les taxes pour les riches, à supprimer les mesures anti-obésité, le plafonnement des bonus des banquiers, les contrôles d'urbanisme qui empêchaient l'étalement urbain. Elle supprima ainsi 570 lois environnementales et elle décida de créer des zones d'investissement appelées “ ports francs ”. Elle a fait passer le projet de loi sur l'ordre public au Parlement dont le but était d'écraser toute protestation. Il s’agissait de la législation la plus répressive introduite au Royaume-Uni à l'ère moderne. Tout ceci donna du crédit à l'observation récurrente salon laquelle plus une société devient inégalitaire plus ses lois doivent être oppressives.
Truss, dont les parents étaient des travaillistes de gauche, a néanmoins échoué. Son édifice s'est écroulé en moins d'une journée car le secteur financier a reculé devant tant d’audace. La livre sterling s'est effondrée, forçant la Banque d'Angleterre à intervenir. Les coupes budgétaires de Truss combinées au taux d'intérêt et aux coûts d'emprunt plus élevés résultant de son budget kamikaze ont coûté près de 30 milliards de livres sterling au pays un mois après la présentation du budget. 44 jours après son entrée en fonction, Truss n'eut d'autre choix que de démissionner
Un peu partout on a vu des hommes politiques de la droite dure prendre le pouvoir. Trump aux États-Unis, Boris Johnson au Royaume-Uni, Bolsonaro au Brésil, Scott Morrison en Australie, Modi en Inde, Netanyahou en Israël, Duterte aux Philippines, Erdoğan en Turquie, Orban en Hongrie, Milei en Argentine, Wilders aux Pays-Bas.
Sans oublier Bart De Wever en Belgique et Giorgia Meloni en Italie. L’autoritarisme se répand comme une traînée de poudre, sans qu’aujourd’hui il se heurte à une réelle opposition. Et là est le danger : les démocrates traditionnels, les « centristes », n’ont pas de réponse efficace. La gauche divisée s’enfermant soit dans le radicalisme dit wokiste, soit dans le « libéralisme social » n’est plus crédible et ses électeurs traditionnels se tournent vers l’extrême-droite. Pire : l’opinion ne donne plus comme priorité la défense des libertés fondamentales et ne dédaigne pas un régime autoritaire.
Bart De Wever en compagnie de Giorgia Meloni et de Marion Maréchal (nous voilà!) avec le groupe ECR du Parlement européen qui apporte son soutien au candidat controversé au poste de Premier ministre de Roumanie. Quelle belle compagnie !
Il faut avouer que la gauche, traditionnelle jadis combattante pour les libertés fondamentales, s’est enlisée dans ses contradictions : par exemple, au nom du droit à la différence, elle a renoncé à la laïcité, en même temps qu’elle prend ses distances avec les luttes sociales. Alors, c’est quoi la gauche ?
« La liberté et la démocratie ne sont plus compatibles ! »
Pourquoi les ultras riches qui utilisaient auparavant leur argent et les médias pour promouvoir des politiciens ternes et de confiance financent-ils à présent des caricatures d’hommes politiques hystériques ? Il s'agit en fait de déconstruire l'État administratif. Le chaos apparaît comme un multiplicateur de profits pour le capitalisme du désastre. Selon l'expression de Naomi Klein, chaque choc est utilisé pour s'emparer d'encore plus d'actifs dont dépendent nos vies à tous. Le cofondateur de Paypal, l’Américano-zélandais d’origine allemande Peter Thiel a un jour avoué : « je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles. »
Ces politiciens nous hypnotisent, puis ils redirigent la colère qui devrait être réservé à la corruption politique en direction des immigrés, des femmes, des Juifs, des Musulmans, des Noirs ou des métisses.
Un sondage en Grande-Bretagne a révélé que 54% des personnes sont désormais d'accord avec l'affirmation selon laquelle la Grande-Bretagne a besoin d'un dirigeant fort prêt à enfreindre les règles tandis que 23% seulement sont de l’avis contraire. Un sondage similaire réalisé aux États-Unis a révélé qu'environ 40% des Étasuniens ont tendance à privilégier l'autorité, l'obéissance et l'uniformité par rapport à la liberté, l'indépendance et la diversité.
Le capitalisme se caractérise par une agression frénétique contre le vivant. On le voit très clairement avec l'exploitation des ressources naturelles. Les plus riches et les plus accessibles sont saisies en premier. La flotte de pêche mondiale par exemple capture d'abord les grands prédateurs, comme le thon rouge, puis, quand ces stocks de poissons sont épuisés, elles ciblent des espèces de plus en plus petites jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'à attraper les poissons appâts. le capital doit à présent faire travailler toujours plus dur les habitants et exploiter de manière toujours plus systématique les ressources de la planète pour en extraire des rendements décroissants.
Pour les néolibéraux, la consommation du monde vivant est quelque chose qui se rapproche d'un devoir sacré. Hayek l'a écrit dans La Constitution de la liberté : « les défenseurs de l'environnement croient que la fertilité naturelle du sol doit être préservée en toute circonstance et que ce qu'on appelle l'exploitation des sols doit être évitée en toutes circonstances. Il est facile de démontrer que, d'une manière générale, cette affirmation est discutable. En fait, l'exploitation des sols peut, dans certaines circonstances, être autant dans l'intérêt à long terme de la communauté que l'épuisement de toute ressource non renouvelable dans ces circonstances. Il sera souhaitable de laisser la fertilité décliner jusqu'à un niveau où les investissements seront encore rentables. Dans de tels cas, utiliser un don gratuit de la nature une fois pour toutes n'est pas plus répréhensible ou de l'ordre du gaspillage qu'une exploitation similaire de ressources non renouvelables. »
Il faut se méfier des micro-solutions. Des études menées auprès de consommateurs écolos et non écolos montrent que le moteur principal de l'impact environnemental d'une personne n'est pas son attitude. Ce n'est pas non plus son mode de consommation ni les choix particuliers qu'elle fait. C'est son argent. Si les gens ont de l'argent en trop, ils le dépensent. Quand vous tentez de vous persuader que vous êtes un méga consommateur écolo, en réalité vous êtes juste un méga consommateur. C'est pour cette raison que l'impact environnemental des très riches, aussi respectueux de l'environnement puissent-ils paraître est massivement plus grand que celui de tous les autres. Pour éviter un réchauffement supérieur à 1 degré 5, nos émissions moyennes ne devraient pas excéder 2 tonnes de dioxyde de carbone par personne et par an mais les 1% les plus riches de la population mondiale en produisent en moyenne plus de 70 tonnes annuellement. Ensemble ils libèrent 15% des émissions mondiales de carbone, 2 fois l'impact combiné de la moitié la plus pauvre de la population mondiale. D'après une estimation, Bill Gates émet près de 7500 tonnes de CO2 par an, essentiellement en voyageant dans ses jets privés et ses hélicoptères.
Chaque fois que le libre marché a trébuché, le gouvernement est intervenu sans hésitation en dépensant tout ce qu'il pouvait pour sauver le néolibéralisme de ses propres désastres. Parmi les exemples, citons le sauvetage de Chrysler en 1980, celui de l'industrie aérienne en 2001, la crise des caisses d'épargne et de crédit en 1989, la crise financière de 2008, durant la pandémie de COVID-19. L'argent que les États avaient pourtant juré ne pas avoir s’est soudains matérialisé comme par magie. Les gouvernements ont découvert qu'ils pouvaient gouverner, bien qu'avec des degrés de compétence variés. Les caractéristiques extraordinaires de la démocratie participative et délibérative c'est qu'elle a tendance à mieux fonctionner en pratique qu’en théorie. Un exemple classique est la pratique du budget participatif à Porto Alegre dans le sud du Brésil pendant ses années de pointe 1989-2004. Avant que le système ne soit restreint par un gouvernement local plus hostile, il a transformé la vie de la ville durant ces années. Les citoyens ont pu décider de la manière dont l'ensemble du budget d'investissement de la ville devait être dépensé. Le processus a été conçu par le gouvernement de la ville et ses habitants main dans la main. Il a pu évoluer au fur et à mesure que les citoyens proposaient des améliorations. Les discussions sur le budget étaient ouvertes à tous et un nombre remarquable de personnes a participé (50 000 par an).
PS : En tant que journaliste d'investigation, le Britannique George Monbiot a voyagé en Indonésie, au Brésil et en Afrique de l'Est. Ses activités lui ont valu d'être déclaré indésirable dans sept pays et d'être condamné à la prison à perpétuité par contumace en Indonésie. Dans ces endroits, il a également essuyé des coups de feu, des passages à tabac par la police militaire, des naufrages et des piqûres de frelons qui l'ont plongé dans un coma empoisonné. Il est revenu travailler en Grande-Bretagne, pour le Guardian en particulier, après avoir été déclaré cliniquement mort à l'hôpital général de Lodwar, dans le nord-ouest du Kenya, à cause d'une forme cérébrale du paludisme.
Collaborateur du New York Times, Peter Hutchison est un écrivain, cinéaste, éducateur et militant étasunien. Il est titulaire d'un mastère spécialisé en psychologie du conseil et de l'orientation, ainsi qu'en dynamique des systèmes. Parmi les films qu'il a réalisés, le plus connu est Requiem for the American Dream : Featuring Noam Chomsky. Également remarqués Healing From Hate, un film sur les militants machistes mus par la haine, et Devil Put the Coal in the Ground, sur les ravages de l'extraction du charbon. Sur l'identité masculine, il a réalisé les films You Throw Like a Girl : the Blind Spot of Masculinity, The Man Card : White Male Identity Politics from Nixon to Trump. Il a par ailleurs produit les documentaires suivants : What Would Jesus Buy ?, Awake Zion, Egypt, A Love Song, SPLIT: A Divided America, SPLIT: A Deeper Divide, et The Town That Shot the Sheriff.
Mathilde Ramadier, qui a traduit ce livre, est essayiste, autrice de bandes dessinées, scénariste.
Bernard Gensane
(Commentaires en italique gras : Pierre Verhas)