La monarchie belge se voit à nouveau secouée par un livre de « révélations », œuvre d’un journaliste de la chaîne publique francophone belge (RTBF), Frédéric Deborsu.
Cet ouvrage est une compilation d’articles de presse et de rumeurs que le journaliste a recoupés par des interviews de témoins dont la plupart ont souhaité, pour des raisons évidentes, garder l’anonymat.
Frédéric Deborsu présentant son livre "Question(s) royale" : un fameux coup médiatique qui pourrait lui coûter cher. Drôle de conception de la liberté d'expression en Belgique...
Cet honnête – sans plus – travail journalistique n’apporte donc aucun élément vraiment neuf, mais il impressionne par la somme de faits qui donnent, c’est le moins qu’on puisse dire, une image écornée de la monarchie belge et surtout du roi Albert II et de son fils aîné prince héritier.
Comme il fallait s’y attendre, le livre de Deborsu a provoqué une levée de boucliers. L’intéressé a été mis à l’écart par son courageux employeur, la RTBF, un ancien collaborateur du roi et ancien médiateur fédéral, l’ineffable Pierre Yves Monette, a été jusqu’à clamer que ce livre était une atteinte aux Droits de l’Homme ! Fichtre ! Il est assez piquant de parler de Droits de l’Homme au sujet d’une famille royale qui a entretenu d’excellentes relations avec le Caudillo Franco et avec le général Pinochet… En définitive, le principal reproche fait à Deborsu est une atteinte à la vie privée de la famille royale.
Pierre-Yves Monette : une drôle de conception des Droits de l'Homme et de la liberté d'expression.
Il est vrai que parler de l’éventuelle homosexualité du prince Philippe, des frasques du prince Laurent et de leurs parents, l’actuel souverain Albert II et sa femme Paola, peut être considéré comme attentatoire à la vie privée. Cependant – et personne ne le fait remarquer – quand ces gens vivent un moment familial heureux, ils n’hésitent pas à inviter les médias à en faire étalage et ainsi à entretenir leur image de marque. Alors, deux poids deux mesures ? Le roi Albert II, tout comme feu son frère Baudouin Ier, prononcent à chaque fête nationale et à chaque Noël ([1]), un discours – sermon où ils prônent des principes moraux aussi rigoureux que dépassés. Il y a loin de la coupe aux lèvres en l’espèce !
Albert II prononçant son discours - sermon (ici le 21 juillet 2011) : une morale d'un autre âge.
En réalité, la monarchie belge est en plein déclin. La conduite peu digne de leur « rang » de certains membres de la famille royale, la faiblesse du roi et de son fils aîné, l’anachronisme évident de cette institution royale ternissent son prestige et affaiblissent son autorité et surtout sa crédibilité.
C’est en avril 1990 que le système monarchique belge fut sans doute définitivement ébranlé. En refusant, pour une question de conscience, de promulguer la loi sur la dépénalisation de l’avortement, le roi Baudouin porta un coup fatal à la monarchie constitutionnelle belge. En effet, alors qu’en apparence, le roi se situait au-dessus de la mêlée, il se jeta cette fois dans l’arène sur un sujet plus que délicat sur les plans politique, éthique et sociologique. Le masque de neutralité du monarque était tombé. Depuis lors, l’institution royale est en crise.
Baudouin Ier en entrant dans l'arène en 1990 a porté un coup fatal à la monarchie belge.
En plus, l’attachement du roi, sinon sa dévotion à l’égard de l’Eglise catholique est tel qu’il constitue plus un facteur de division que d’unité. On a coutume de dire que la monarchie est le ciment de la Belgique. La réalité est tout autre. À plusieurs reprises, le roi dans l’histoire du royaume a agi plus conformément aux prescrits ecclésiaux qu’en accord avec le pouvoir politique. D’autre part, alors que le roi ne peut, de par la Constitution, intervenir directement ou indirectement dans les affaires politiques, il le fit à plusieurs reprises, notamment au Congo et plus tard au Rwanda. On en connaît les terribles conséquences. Si le roi Baudouin ne peut évidemment être tenu pour responsable de la tragédie rwandaise, son évident soutien au parti des Hutus appuyés aussi par l’Eglise catholique, n’a pas contribué à apaiser les tensions.
Philippe de Belgique n'a ni l'envergure, ni l'autorité pour régner.
Son successeur, l’actuel roi Albert II, n’a pas l’autorité de feu son frère. Il faut lui reconnaître de grands efforts en la matière, mais il n’est pas à même de remplir le rôle d’arbitre entre les différentes composantes politiques, communautaires et philosophiques belges. Aussi, la vraie question est : à quoi sert la monarchie en Belgique ? Mais, tabou ! Il ne peut être question d’un débat à ce sujet.
Il est vrai que la solution est impossible. Une république ? En Belgique, c’est impossible. Une république flamande ? C’est le rêve des nationalistes flamands. Une république wallonne ? Quelques intellectuels marginalisés la souhaitent. Bref, cela relève chez certains plus du wishfull thinking que de la prospective politique.
Les monarchies européennes sont en plein déclin. Il suffit de voir la déglingue de la plus importante d’entre elles, la Britannique. Le roi d’Espagne est démonétisé. La reine de Hollande n’a pas de successeur digne de ce nom, tout comme le roi des Belges. Les monarchies scandinaves sont purement protocolaires.
Juan Carlos de Bourbon, roi d'Espagne, est complètement démonétisé.
Alors, que conclure ? Le déclin des monarchies européennes reflète tout simplement celui des Etats-nations au moment où le processus de décision devient de plus en plus supranational. Ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose, bien au contraire.
Pierre Verhas
[1]Remarquez que le discours royal de vœux de fin d’année est prononcé à la veille de Noël et non à la nouvelle année. C’est donc le roi catholique qui parle au peuple et non le souverain.