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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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14 février 2022 1 14 /02 /février /2022 13:43

 

Josy Dubié nous rappelle dans son article intitulé « Les tambours de la guerre » (https://uranopole.over-blog.com/2014/09/les-tambours-de-la-guerre.html ) relatif au conflit ukrainien que ce sont les nationalismes exacerbés qui sont la cause première des graves tensions dans la région et que ces nationalismes sont à l’origine de crimes abominables comme le génocide « Holodomor » qui consista à l’époque de Staline  à affamer la population ukrainienne et d’autre part, les nationalistes ukrainiens se sont livrés à des massacres d’Ukrainiens russes en 1941 profitant de l’envahisseur nazi. L’histoire a donc pesé dans l’actuelle tension entre la Russie et l’Ukraine, tension exacerbée aussi bien par  le Russe Poutine que par l’Américain Biden.

 

 

 

Derrière le sourire de circonstance de Biden, se cache une farouche volonté d'écraser l'autre.

Derrière le sourire de circonstance de Biden, se cache une farouche volonté d'écraser l'autre.

 

 

 

En effet, l’enjeu est géopolitique. Les Occidentaux poussent l’Ukraine à se rapprocher de l’Union européenne et surtout de l’OTAN. Et là aussi, le poids de l’histoire est fondamental. En 1954, le secrétaire général du PC de l’URSS, Nikita Khrouchtchev, lui-même Ukrainien, donna la Crimée à l’Ukraine, ce qui, à l’époque, n’entraîna aucune conséquence puisque l’Ukraine faisait partie de l’URSS, même si elle était représentée à l’ONU comme « Etat indépendant ». La Crimée, c’est Sébastopol, importante base militaire russe qui contrôle la mer Noire et seul grand port commercial qui permet à l’Union Soviétique puis à la Russie d’avoir accès à la Méditerranée via le Bosphore et ainsi de pouvoir échanger des marchandises avec le reste du monde. Poutine, après un référendum controversé en Crimée, mais sans doute juste, l’annexa à la Russie et donc Sébastopol. Les Occidentaux ont fortement condamné l’incorporation de cette région qu’ils considèrent comme une occupation illégale.

 

Là aussi, nous devons remonter l’histoire, c’est-à-dire à la guerre froide qui a sévi en Europe de 1948 à 1989. Les Etatsuniens ont imposé aux Européens occidentaux le traité de l’Atlantique Nord fondateur de l’OTAN. Ce traité impose à chaque nation adhérente d’être solidaire avec tout autre qui serait agressée. C’est la porte ouverte à la guerre ! Heureusement, elle n’eut pas lieu, mais la brutale chute des démocraties populaires entamées en 1980 en Pologne avec l’aide conjointe du Vatican et des Etats-Unis, les vaines tentatives de réformes de Michail Gorbatchev ayant succédé à la gérontocratie décadente en Union Soviétique et en 1989 l’ouverture des frontières de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, donnèrent le signal des révoltes puis du renversement de la DDR « République Démocratique Allemande » et de la spectaculaire chute du Mur de Berlin. Cela sonna le glas d’un système tyrannique imposé depuis 1945 par Staline à l’ensemble des pays d’Europe centrale occupés par l’Armée Rouge.

 

 

 

Mikhail Gorbatchev a vraiment entamé un processus de démocratisation de l'URSS. Ce fut stoppé de force par les Occidentaux !

Mikhail Gorbatchev a vraiment entamé un processus de démocratisation de l'URSS. Ce fut stoppé de force par les Occidentaux !

 

 

Les Occidentaux ont tué dans l'œuf la démocratisation de l'URSS.  

 

Cependant, la fin de la domination soviétique et l’évidente volonté de réformes au sein de l’URSS n’ont en rien contribué à en finir avec la guerre froide. Les Occidentaux voulaient à tout prix imposer leur régime à l’ensemble de l’Europe occidentale et aussi neutraliser ce qu’il subsistait de l’Union Soviétique qu’ils considéraient comme la vaincue de cette confrontation.

 

Dans son ouvrage « La stratégie du choc » (Actes Sud, 2008), Naomi Klein rapporte la première grande rencontre entre Gorbatchev et les représentants occidentaux qui s’est déroulée en juillet 1991 lors d’un G7 à Lancaster house près de Londres. Au lieu d’être reçu en héros, les Occidentaux ainsi que le FMI et la Banque mondiales lui imposèrent de mener une thérapie de choc avec des mesures drastiques ultralibérales (privatisations, démantèlement de la sécurité sociale, etc.) C’est le modèle de l’école de Chicago qui fut imposé au Chili. D’ailleurs, ces mesures ne pouvaient s’imposer que par la force à tel point que le Washington Post titra en août 1991 « Le Chili de Pinochet pourrait servir de modèle pratique à l’économie soviétique. » ! Au moins, cela a le mérite d’être clair.

 

Le rêve de Gorbatchev de construire progressivement une social-démocratie à la scandinave s’effondra brusquement. On connaît la suite : Eltsine renversa Gorbatchev et appliqua la thérapie de choc économique par la force tout en mettant fin à l’URSS en la transformant en Communauté d’Etats indépendants, avec plusieurs anciennes « républiques » soviétiques qui acquirent leur indépendance, dont l’Ukraine, la Biélorussie dite Belarus, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, etc. Observons que ces nouveaux Etats disposent chacun d’importantes réserves de matières premières stratégiques. D’autre part, en encourageant sinon en fomentant les révolutions de « couleur », les Etats-Unis œuvrèrent à la réduction de l’influence russe. En définitive, la Russie s’est trouvée amputée de plus de territoires qu’au traité de Brest-Litovsk en 1917. Par après, le « règne » de Eltsine s’acheva dans le désordre et la confusion. Il fut remplacé par Poutine qui remit les choses en place, si on peut parler ainsi, en fondant la Fédération de Russie et qui imposa sa dictature depuis sa prise de pouvoir le 31 décembre 1999. Ainsi, pour mettre en place une politique ultralibérale conforme aux intérêts des grandes banques et des entreprises transnationales, il fallait couper court à la démocratisation de l’ex-URSS. De plus, depuis quelques années, Poutine s’est éloigné de l’Occident et des Etats-Unis en particulier. La guerre froide est de la sorte relancée.

 

 

 

Vladimir Poutine met en garde les Occidentaux contre toute intervention militaire ou sanctions économiques.

Vladimir Poutine met en garde les Occidentaux contre toute intervention militaire ou sanctions économiques.

 

 

Une nouvelle guerre froide 

 

Cette nouvelle guerre froide est voulue par les Etatsuniens qui verraient d’un très mauvais œil un rapprochement entre l’Europe et la Russie et peuvent par là garder leur leadership en Europe. La défense des pays membres de l’OTAN est totalement dépendante des Etats-Unis aussi bien au point de vue du commandement que de l’armement. Les Etats européens non adhérents à l’Alliance atlantique.

 

Revenons à l’Ukraine : Uranopole a publié le 2 mars 2014 un article « ‘Ukraine ou l’échec du projet européen » (https://uranopole.over-blog.com/2014/03/l-ukraine-ou-l-%C3%A9chec-du-projet-europ%C3%A9en.html )  lors de la première crise ukrainienne qui a conduit à Maidan dont l’origine est un projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne et l’Ukraine qui a été refusé par Poutine. Ensuite, il y eut l’annexion de la Crimée par la Russie.

 

« Le danger réel vient des néoconservateurs étatsuniens qui ont de puissants relais en Europe. L’un d’entre eux, Zbigniew Brzezinski [décédé en 2017], l’ancien conseiller spécial de Jimmy Carter, influent géostratège étasunien, d’origine polonaise a tracé, dans les années 1990, la stratégie étasunienne pour maîtriser l’Eurasie et installer durablement l’hégémonie de son pays, avec l’Ukraine comme maillon essentiel. Pour lui, il y avait des « Balkans mondiaux », d’un côté l’Eurasie, de l’autre le grand Moyen-Orient. Chauvier ajoute : « Cette stratégie a donné ses fruits en Ukraine avec la « révolution orange » de 2004. Elle a installé un réseau tentaculaire de fondations étasuniennes – comme Soros et la reaganienne National Endowment for Democracy (NED) - qui rémunèrent des milliers de gens pour « faire progresser la démocratie ». En 2013-2014, la stratégie est différente. C’est surtout l’Allemagne d’Angela Merkel et l’UE qui sont aux commandes, aidées par des politiciens étasuniens comme le républicain John McCain. On harangue les foules sur Maïdan et ailleurs avec une grande irresponsabilité : pour atteindre facilement leur objectif de faire basculer l’Ukraine dans le camp euro-atlantique, dont l’OTAN, ils s’appuient sur les éléments les plus antidémocratiques de la société ukrainienne. Mais cet objectif est irréalisable sans faire éclater l’Ukraine, entre l’Est et l’Ouest et avec la Crimée qui rejoindra la Russie comme sa population le souhaite. Le parlement de Crimée a déclaré : « Nous ne vivrons jamais sous un régime bandériste (fasciste) ». Et pour Svoboda et les autres fascistes, c’est la revanche de 1945 qu’ils vivent. Je crois malgré tout que la très grande majorité des Ukrainiens ne veut pas de cette nouvelle guerre civile ni de l’éclatement du pays. Mais la société est à reconstruire… »

 

 

 

Zbigniew Brzenzinski décédé en 2017 mit au point la stratégie des néo-conservateurs US.

Zbigniew Brzenzinski décédé en 2017 mit au point la stratégie des néo-conservateurs US.

 

 

 

En finir avec la stratégie suicidaire des néoconservateurs américains !

 

 

Il faut en finir avec cette stratégie suicidaire des néoconservateurs américains et de leurs amis européens « atlantistes ». Qu’a-t-elle donné jusqu’à présent ? La partition dramatique de la Yougoslavie en micro-états en proie à toutes les dérives intégristes et mafieuses. Elle risque de faire éclater l’Ukraine en deux régions hostiles dont la première victime sera le peuple ukrainien.

 

 

Est-ce là le projet européen ? L’Union européenne qui ne cesse de prétendre qu’elle a garanti la paix en Europe depuis 1945 a de lourdes responsabilités dans la guerre en Yougoslavie et entretient la tension en Ukraine risquant ainsi d’embraser tout l’Est européen. Cette conception de l’organisation du continent mènera inéluctablement à l’échec. Le projet européen tel qu’il est aujourd’hui mené par les Barroso, Merkel, Hollande, Cameron et consorts doit être profondément modifié pour construire une organisation répondant aux aspirations des peuples.

 

 

Hélène Carrère d’Encausse a signé dans le Point et le Figaro des éditoriaux recommandant de ne pas se couper de la Russie. La situation ne se résume pas, selon elle, aux aspirations démocratiques d’un pays qui est tiré par la Russie vers son rêve de reconstitution d’un empire déchu. L’UE doit comprendre que la Russie est étroitement liée à l’Ukraine et ne se laissera pas exclure. L’UE doit donc arrêter d’ignorer la Russie, ainsi l’Ukraine pourrait librement faire son choix. Elle a raison !

 

 

Rappelons-nous la « maison commune » de Gorbatchev. Pourquoi persister dans cette politique des blocs qui n’a plus de raison d’être ? La Russie est un partenaire indispensable et ne doit pas être isolée dans un glacis qui ne pourrait que rapporter sang et misère. »

 

A part les noms des protagonistes qui ne sont plus aujourd’hui aux affaires, aucune ligne n’est à retirer de cet article.

 

Et aujourd’hui ?

 

Les tensions exacerbées entretenues par les Etats-Unis n’arrangent en rien les choses. Si la Russie a mobilisé quelque 100 000 hommes à la frontière du Donbass – la région russophone de l’Est de l’Ukraine – l’OTAN place des troupes à la frontière russe dans les pays Baltes à la frontière de la Russie. Biden ne cesse de déclarer que la Russie va incessamment procéder à une offensive militaire en Ukraine. D’autre part, les pays de l’OTAN sont invités à vendre des armes au pouvoir ukrainien de Kiev. Ainsi, la Turquie a-t-elle vendu ses fameux drones à l’armée ukrainienne selon le Monde diplomatique (https://uranopole.over-blog.com/2022/01/l-apprenti-sorcier-erdogan-et-les-armes-de-destructions-letales.html ). En plus de ces bruits de bottes, ce sont surtout les sanctions économiques et financières qui constituent une menace pour la Russie. Une menace ? Voire.

 

 

 

 

Image satellite montrant un important déploiement militaire russe à la frontière orientale de l'Ukraine

Image satellite montrant un important déploiement militaire russe à la frontière orientale de l'Ukraine

 

 

 

Des sanctions inefficaces ?

 

Toujours selon le Monde diplomatique, la Russie a œuvré depuis 2014 pour assurer son indépendance économique et financière. Par exemple, la part du dollar a été réduite dans les réserves de la Banque centrale russe. Elle a d’ailleurs créé la carte de paiement « Mir » qui est diffusée auprès de 87 % de la population russe. Elle s’est également rendue moins dépendante du système US SWIFT. Ainsi, les transferts financiers entre banques et entreprises russes peuvent être effectués par une messagerie locale. Il est donc clair que la Russie se prépare à limiter considérablement l’effet des éventuelles sanctions occidentales. Les oligarques russes retirent un maximum de leurs avoirs de l’étranger. Même Poutine a fait déplacer son yacht amarré à Hambourg vers l’enclave russe de Kaliningrad !

 

Y aura-t-il ou non conflit armé ? Nul ne peut le dire en ce moment. De part et d’autre, c’est la stratégie de la tension. Qui tirera le premier ? Ou bien, y aura-t-il quelqu’un qui tirera ? Le président étatsunien Biden se montre bien imprudent en jetant de l’huile sur le feu jusqu’à affirmer que l’offensive russe est imminente, qu’elle aurait même lieu avant la fin des jeux Olympiques de Pékin ! C’est-à-dire dimanche prochain ! Brrr ! Le président russe de son côté se mure dans son silence. On est encore loin de voir un geste d’apaisement de part et d’autre.

 

Concluons par un autre document d’Uranopole qui date, en effet les événements d’aujourd’hui ne sont en définitive pas nouveaux : les commentaires sur la négociation entre le président US Clinton et Boris Eltsine. (https://uranopole.over-blog.com/2018/11/europe-quelle-adresse-courriel.html )

 

 

 

Sous les apparences amicales, Eltsine s'est fait rouler par Clinton.

Sous les apparences amicales, Eltsine s'est fait rouler par Clinton.

 

 

 

« À la fin de son mandat en 1999, Eltsine qui sait que Poutine va lui succéder, demande à Clinton que la Russie remplace les Etats-Unis pour protéger l’Europe ! Pourquoi ? Parce que la Russie est « à moitié européenne » … Aussi ahurissante que soit cette proposition, elle prouve une chose : dans l’esprit des deux chefs d’Etat, l’Europe n’existe pas. C’est une entité territoriale abstraite dont il faut s’assurer le contrôle.

 

D’ailleurs, leurs discussions ont toujours porté sur le « théâtre » européen. Ainsi, en 1995, au Kremlin, Eltsine s’inquiète de l’élargissement de l’OTAN en Europe : « … si vous le faites, je n’y verrai qu’une humiliation de la Russie. Comment crois-tu que nous prenions cela alors que le Pacte de Varsovie a été aboli ? Ce serait une nouvelle forme d’encerclement si un bloc militaire, survivance de la guerre froide, s’étendait jusqu’à la frontière de la Russie. »

  

En réalité, Eltsine ne voulait pas que l’on reconstitue les blocs. Il faut reconnaître que ses craintes étaient justifiées puisque les troupes de l’OTAN manœuvrent aujourd’hui en Estonie à proximité de la frontière russe. Clinton eut beau répondre que « la Russie ne représente pas une menace pour les pays de l’OTAN », le président russe de l’époque n’est pas rassuré d’autant plus que l’Américain veut accroître la présence de l’OTAN en Europe en l’ouvrant à d’autres pays – sous-entendu les pays d’Europe centrale. Et Clinton propose un marché : l’élargissement de l’OTAN contre une place pour la Russie au G7. Eltsine supplie Clinton de retarder cette expansion invoquant les prochaines élections en Russie et aux USA. Clinton reste intraitable.

  

Malgré cela, lors d’une entrevue suivante, Eltsine demande à Clinton de s’engager à ne pas étendre l’OTAN aux anciennes républiques soviétiques comme l’Ukraine. Là aussi, le président US reste intraitable.

 

Résultats : l’Ukraine tout en n’entrant pas dans l’OTAN fut prête à signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne qui aurait eu de sérieuses conséquences économiques en Russie, notamment dans le cadre de l’exportation du gaz naturel russe. Cela déclencha le conflit que l’on sait. L’Ukraine est dirigée par un président milliardaire qu’on pourrait comparer à l’Américain Trump et les nazis y font la loi. »

 

Aujourd’hui, les choses ont évolué : il est question que l’Ukraine entre dans l’OTAN ! Et la question du gaz naturel reste entière.

 

Il y a bien longtemps, le secrétaire d’Etat US Henry Kissinger fit ce commentaire : « L’Europe ? Quel numéro de téléphone ? »

 

Manifestement, la ligne n’a toujours pas été installée.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

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7 février 2022 1 07 /02 /février /2022 10:31

 

Nous avons programmé plusieurs articles sur la question de l’Ukraine qui pourrait entraîner une guerre majeure en Europe tant les tensions sont exacerbées surtout par la politique agressive des Etats-Unis via l’OTAN.

 

Notre ami Josy Dubié, ancien grand reporter à la RTBF et Sénateur honoraire, a écrit une analyse historique de la problématique ukrainienne qui est parue sur Uranopole en septembre 2014. Ce texte n’a pas pris une ride. Aussi, nous le reproduisons ici. Il aidera le lecteur à la compréhension de cette situation particulièrement complexe.

 

Nous le reproduisons volontiers ici. Avec un grand merci à Panepinto Salvatore qui l’a rappelé sur Facebook.

 

Pierre Verhas

 

 

Manif pour la Paix en Europe. On voit Pierre Verhas, Josy Dubié (casquette) et le député président du PTB Raoul Hedebouw et last but not least, Daphné Marbaix tout à droite du cliché. (photographie Philippe Scwarzenberger-Kaisin)

Manif pour la Paix en Europe. On voit Pierre Verhas, Josy Dubié (casquette) et le député président du PTB Raoul Hedebouw et last but not least, Daphné Marbaix tout à droite du cliché. (photographie Philippe Scwarzenberger-Kaisin)

Josy Dubié, ancien grand reporter de la RTBF, sénateur honoraire, vient de signer un article d’analyse de la question ukrainienne dans lequel il détricote la complexité de ce conflit en se reportant à l’histoire. Qu’il soit remercié ici d’avoir permis à « Uranopole » de diffuser son texte.

 

Dubié fait œuvre utile en dénonçant ici le nationalisme exacerbé des deux côtés qui est le principal facteur responsable de ce conflit sanglant aux portes de l’Europe.

Josy Dubié jette un regard lucide sur les menaces pour notre régime social et de liberté conquis de haute lutte.

Josy Dubié jette un regard lucide sur les menaces pour notre régime social et de liberté conquis de haute lutte.

 

Les nationalismes fleurissent un peu partout sur le Vieux Continent à l’Est comme à l’Ouest.

 

Dans les anciennes démocraties dites populaires, cette fièvre touche la Hongrie, la Roumanie, elle a déjà détruit la Yougoslavie et menace la Tchéquie et la Slovaquie. Notons au passage qu’il s’agit des anciennes « possessions » de l’empire austro-hongrois.

 

À l’Ouest, des poussées de nationalisme menacent la cohésion des Etats-nations membres de l’ancienne Communauté économique européenne devenue par après l’Union européenne. La Grande Bretagne est confrontée aux autonomistes écossais, la Catalogne s’éloigne de plus en plus de l’Espagne, la Ligue du Nord est très puissante à Turin comme à Milan. Et n’oublions pas la Belgique où le principal parti est la NV-A (Nouvelle Alliance Flamande) et domine la coalition la plus à droite que connaîtra sans doute ce pays.

 

Observons que ces nationalismes ne gênent en aucune manière le projet néolibéral qui dénature le projet européen depuis l’Acte unique de 1992. En effet, non seulement, ils contribuent à « balkaniser » le continent, mais surtout ils affaiblissent les Etats existants. Cela facilite grandement la mise en place d’une vaste zone de libre échange sans contrôle étatique et contribue au démantèlement du système social résultant de plus d’un siècle de luttes ouvrières.

 

Pierre Verhas

Les tambours de la guerre

 

Josy Dubié Sénateur Honoraire

 

 

Celui qui ne connait pas l’histoire est condamné à la revivre.

Karl Marx

 

Cette citation du grand philosophe allemand garde toute sa pertinence, qu’il s’agisse des crimes commis par certains en son nom, ou des circonstances qui ont amené à la boucherie de 14-18, dont on commémore partout, en ce moment, le sanglant souvenir.

 

Il y a, en effet, dans l’escalade guerrière actuelle dans l’est de l’Ukraine comme une réminiscence des postures nationalistes intransigeantes mutuelles qui, par étapes, à partir d’un évènement relativement mineur, ont débouché sur l’embrasement généralisé qui a fait des millions de morts et mis le monde entier à feu et à sang.

 

Il est donc plus que temps que, dans les deux camps qui s’affrontent, là bas, aux confins de l’Europe, on tente de comprendre la position de l’autre à la lumière de l’histoire complexe de cette région du monde dans laquelle chacun des deux protagonistes trouve matière à justifier son intransigeance qui débouche, aujourd’hui, sur la violence et la mort.

 

Les “pro-russes”, puisqu’il faut bien les qualifier, même improprement ainsi, rappellent, comme vient encore de le faire récemment Vladimir Poutine que “l’Ukraine” et en particulier la ville et la région de Kiev sont le berceau historique de la “Russ” ancienne qui déboucha sur la création de l’empire russe des grands tzars, Yvan le Terrible, Catherine et Pierre le Grand, dont Poutine se considère comme l’héritier. Il en conclut donc, de manière lapidaire, qu’en réalité les Ukrainiens sont en fait des Russes !

 

Pour Vladimir Poutine, l'Ukraine c'est la Russie !

Pour Vladimir Poutine, l'Ukraine c'est la Russie !

 

De leur côté les “nationalistes ukrainiens” soulignent que “l’Ukraine” a connu, au cours des siècles, une évolution propre, tournée vers l’occident, la Pologne, la Lituanie et l’Autriche qui l’ont, tour à tour dominée, et annexée en partie, notamment l’Ouest du pays.

 

Ces approches historiques différenciées sont aggravées par des différences linguistiques, la langue ukrainienne dominant largement à l’Ouest du pays, le russe à l’est, mais aussi religieuses. Uniates, (chrétiens de rite oriental mais reconnaissant l’autorité du pape, à l’Ouest), chrétiens orthodoxes plus tournés vers le patriarcat de Moscou à l’Est.

 

L’église uniate, surtout implantée à l’ouest, fut plus particulièrement et plus violemment persécutée par Staline que l’église orthodoxe.

 

C’est sur ce terreau historique, linguistique et religieux, où existent, incontestablement, des différences entre l’Est et l’Ouest de l’Ukraine, que sont venues se greffer les blessures tragiques de l’histoire récentes, au 20ème siècle, liées à la décomposition de l’Empire tsariste à partir de 1917, à la cruelle guerre civile qui l’a suivi et aux crimes de Staline dont l’Ukraine a été l’une des principales victimes.

 

En effet, la chute du régime tsariste a entrainé le résurgence de toute une série d’affirmations nationalistes dans ce qui fut l’Empire russe, comme, notamment en Géorgie en Ukraine ou dans les pays baltes, où des entités qui s’était proclamées indépendantes, étaient soutenues militairement par les alliés vainqueurs de la guerre 14-18, alliés (français et brittaniques essentiellement) qui voulaient ainsi s’opposer à la menace que représentait, à leurs yeux, la Russie bolchevique.

 

La longue guerre civile, terrible et sanglante, entre les “rouges” et les “blancs” a finalement débouché sur la victoire des bolcheviques et l’écrasement de toutes ces tentatives nationalistes d’établissement d’états indépendants sur les ruines de la Russie tsariste. (A l’exception, jusqu’en 1939, des trois pays baltes, annexé alors par l’URSS, dans le cadre du pacte germano soviétique)

 

Joseph Djougachvili, dit “Staline”, lui même géorgien, est devenu “commissaire” (ministre) aux nationalités, de l”URSS, (Union des Républiques Socialistes Soviétiques), qui rassemblait toutes les parties disparates de l’ex empire russe, (dont l’Ukraine).

 

Joseph Staline, l'homme d'acier qui ensanglanta l'URSS et l'Ukraine en particulier.

Joseph Staline, l'homme d'acier qui ensanglanta l'URSS et l'Ukraine en particulier.

 

Sous sa poigne d’acier (Staline signifie acier en russe !) le “petit père des peuples” (sic), réprima sans pitié toutes véléités nationalistes dans son empire dont il devint le maitre absolu.

 

Cette répression “anti nationaliste” culmina avec la collectivisation, décidée par Staline, des terres agricoles de toute l’URSS, en particulier celles de la riche province ukrainienne, considérée, à juste titre, comme le grenier de l’Europe.

 

Sous prétexte de lutte contre les “koulaks” (moyens et riches propriétaires terriens) Staline imposa à l’Ukraine, entièrement bouclée et cadenassée, une famine épouvantable qui fit de 3 à 6 millions de morts, certaines sources parlant même de 10 millions de victimes !

 

Le 7 août 1932 le gouvernement soviétique promulgue, ainsi, la “loi des épis” qui puni de déportation ou même de mort, tout qui, en Ukraine, dérobe quelques épis de blé !

 

On ne peut pas comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine si on ignore l’impact que “l’Holodomor” (le génocide par la faim en ukrainien), a encore sur la mémoire collective de nombreux ukrainiens.

 

Herman Van Rompuy qui était alors Président de la Chambre des représentants de Belgique inaugura avec Josy Dubié le monument à la mémoire des vicitimes de l'Holodomor.

Herman Van Rompuy qui était alors Président de la Chambre des représentants de Belgique inaugura avec Josy Dubié le monument à la mémoire des vicitimes de l'Holodomor.

 

J’en ai été personnellement le témoin, comme sénateur, il y a quelques années, avec Herman Van Rompuy, (alors président de la chambre des représentants), à Kiev lors d’une cérémonie à l’occasion de l’inauguration d’un monument à la mémoire des victimes de cette tragédie.

 

A l’opposé, on ne peut pas comprendre la haine de certains dans le camp des “pro russes” si l’on ignore les crimes abominables commis par certains nationalistes ukrainiens dans la foulée de l’invasion nazie de l’URSS à partir de juillet 1941.

 

En effet, encore traumatisée par les répressions staliniennes des années trente, une partie importante de la population ukrainienne a accueilli les envahisseurs nazis en libérateurs.

 

Des Ukrainiens, enrôlés dans la SS, ont participé à la répression anticommuniste et leur police supplétive a collaboré activement à l’extermination de centaines de milliers de juifs massacrés impitoyablement dans ce qu’on a appellé la “shoah par balle”.

 

Le personnage emblématique et controversé de cette collaboration avec les nazis fut Stepan Bandera, fondateur de l’OUN (Organisation des Nationalistes Ukrainiens).

 

Stephan Bandera qui fut un chef SS, qui participa aux "Einzatzgruppen" qui massacraient les Juifs en Ukraine, est encore honoré par les nationalistes ukrainiens qui firnt la "révolution" de Maidan. Qu'en pense BHL ?

Stephan Bandera qui fut un chef SS, qui participa aux "Einzatzgruppen" qui massacraient les Juifs en Ukraine, est encore honoré par les nationalistes ukrainiens qui firnt la "révolution" de Maidan. Qu'en pense BHL ?

 

Assassiné par le KGB après la guerre, il fut réhabilité et déclaré “Héros de l’Ukraine”(sic) le 22 janvier 2010 par l’ex président ukrainien pro occidental, héros de la révolution orange, Viktor Yushchenko, décision condamnée par le parlement européen, et annulée par le président suivant, pro russe, Ianoukovtich.

Les dirigeants démocrates occidentaux ont la mémoire sélective en prenant la défense de l'ancien prészident ukrainien Victor Yushchenko qui n'hésita pas à réhabiliter un criminel contre l'humanité. Heureusement que le Parlement européen a sauvé l'honneur !

Les dirigeants démocrates occidentaux ont la mémoire sélective en prenant la défense de l'ancien prészident ukrainien Victor Yushchenko qui n'hésita pas à réhabiliter un criminel contre l'humanité. Heureusement que le Parlement européen a sauvé l'honneur !

 

Cet épisode explique, en partie, les accusations de “fascistes” proférées par les pro russes à l’encontre des autorités nationalistes ukrainiennes actuelles, même si les partis politiques ukrainiens ouvertement fascisants ont fait des scores insignifiants aux dernières élections ukrainiennes. Cependant des militants, violents, de ces partis ultranationalistes et fascisants comme “Svoboda” ou “Pravi sektor” constituaient le fer de lance des nombreux manifestants, pro européens, lors de l’occupation de la place Maidan. Un grand nombre de ces militants, après la chute du régime Ianoukovitch, ont rejoint des milices armées qui combattent toujours à l’est les milices “pro russes” à côté de l’armée régulière ukrainienne.

 

On en est là aujourd’hui et l’on comprend combien le conflit actuel plonge ses racines dans l’histoire ancienne et récente de cette région du monde.

 

Si l’on y ajoute que l’une des toutes premières mesures prises par le gouvernement issu du renversement par la révolution de “Maidan “ du président élu Ianoukovitch a été d’annuler les mesures protégeant les minorités non ukrainiennes et en particuliers le statut officiel de la langue russe parlée par la majorité des populations de l’est du pays, on comprend mieux le soulèvement d’une partie de ces habitants contre le pouvoir central de Kiev.

 

La confusion de Maidan

La confusion de Maidan

 

La mesure concernant la langue russe a été, depuis reportée, mais le mal a été fait.

 

Il en découle que toute solution à ce conflit qui a déja fait plus de deux mille morts, pour être efficace et surtout durable, doit tenir compte des différences exacerbées par le conflit qui opposent les deux parties de l’Ukraine, ce qui dans un pays comme la Belgique n’étonnera personne.

 

Comme dans chaque guerre civile, des violences atroces, y compris contre des civils ne partageant pas l’avis des différentes milices fanatisées, et des crimes de guerre ont eu lieu dans les deux camps.

 

La réponse à cette crise n’est pas et ne sera pas militaire, l’OTAN et la Russie armant chacune des parties, la guerre ne pourrait que s’amplifier et sans doute déraper vers un conflit d’envergure dont les conséquences sont, potentiellement, tragiques et meurtrières.

 

Les sanctions et les contre-sanctions économiques punissent et pénalisent autant, si pas plus, ceux qui les mettent en œuvre que ceux qui les subissent.

 

Le siège de l'OTAN à Evere (Bruxelles) : une organisation nuisible à dissoudre.

Le siège de l'OTAN à Evere (Bruxelles) : une organisation nuisible à dissoudre.

 

Il est donc urgentissime d’arrêter l’escalade et la musculation militaire, de part et d’autre, OTAN compris, d’établir un cessez le feu, et de discuter entre les parties d’une solution politique, de type fédéraliste.

 

Elle seule permettra la cohabitation la plus pacifique possible afin de guérir les profondes blessures qu’a entrainé l’affrontement absurde de ces nationalismes imbéciles.

 

Il n’est pas inutile de rappeler, ici, ce que le président français François Mitterrand disait, dans son dernier discours, prémonitoire, devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg …

 

“ le nationalisme c’est la guerre”.

 

Merci “Tonton”, sur ce point là au moins tu avais raison !

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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 11:10

 

 

Bruno Guigue est un ancien haut fonctionnaire français diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure et de la fameuse ENA. Il est aussi philosophe et surtout est l’auteur de deux ouvrages sur le conflit israélo-arabe. Il publiait aussi des tribunes sur le Proche Orient dans différents organes de presse. En 2008, Bruno Guigue est limogé par la ministre UDR Michèle Alliot-Marie pour « manquements à son devoir de réserve » à la suite de ses articles où il défend ouvertement la cause palestinienne. Il s’est reconverti depuis en professeur de philosophie au Lycée de la Réunion. Bruno Guigue écrit plusieurs articles remarqués sur les questions géopolitiques.

 

 

 

 

Bruno Guigue ne prend pas le chemin des sentiers battus.

Bruno Guigue ne prend pas le chemin des sentiers battus.

 

 

 

Il a rédigé une analyse sur les menaces de conflit en Ukraine où il dénonce la propagande et les provocations étasuniennes basées sur des mensonges comme l’affaire du Golfe du Tonkin en 1962 à l’origine de la guerre du Vietnam, le mensonge sur l’existence d’armes de destruction massive en Irak en 2003 et aujourd’hui, la prétendue invasion imminente de l’Ukraine par l’armée russe sous les ordres de Poutine.

 

 

Cette analyse qui est parue sur le site « le Grand Soir info » et sur le blog de notre ami Bernard Gensane permet de mieux comprendre ce conflit larvé et le danger qu’il représente pour la paix dans le monde.

 

 

Nous exposerons bientôt notre point de vue sur ce conflit. La contribution de Bruno Guigue est donc ici une introduction.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

Qui menace la paix en Ukraine ?

 

 

La propagande de guerre froide ne fait pas dans la nuance. Voilà des mois que les porte-parole patentés de l’Occident martèlent d’une seule voix que la Russie va envahir l’Ukraine, que la guerre est imminente et qu’il faut se préparer à l’affronter. Vieille rengaine ! Au temps de l’affrontement Est-Ouest, on prétendait en Occident que la menace soviétique était suspendue comme l’épée de Damoclès au-dessus des démocraties. On affirmait même que l’arsenal militaire de l’URSS était nettement supérieur à celui des États-Unis, et qu’elle risquait d’exploiter cette supériorité pour envahir et soumettre l’Europe.

 

 

 

Chars canadiens déployés près de la frontière ukrainienne (photo radio canada)

Chars canadiens déployés près de la frontière ukrainienne (photo radio canada)

 

 

 

Or tout était faux. Cette menace systémique était une fiction. L’arsenal soviétique fut toujours inférieur à celui de ses adversaires, et les dirigeants de l’URSS n’ont jamais envisagé d’envahir l’Europe occidentale. En fait, la course aux armements fut sciemment entretenue par Washington dès le lendemain de la victoire alliée sur l’Allemagne et le Japon. Cyniquement, le camp occidental avait deux bonnes raisons de provoquer cette compétition : la guerre avait exténué l’URSS, causant 27 millions de morts et détruisant 30% de son potentiel économique, et elle avait fantastiquement enrichi les EU, qui assuraient 50% de la production industrielle mondiale en 1945.

 

Forgée par la guerre, cette suprématie économique sans précédent favorisait une politique étrangère agressive, hypocritement revêtue des oripeaux idéologiques de la défense du « monde libre » contre le « totalitarisme soviétique ». Cette politique impérialiste, conformément à la doctrine forgée par George Kennan en 1947, avait un objectif clair : l’épuisement progressif de l’URSS – rudement éprouvée par l’invasion hitlérienne – dans une compétition militaire où le système soviétique allait dilapider les moyens qu’il aurait pu consacrer à son développement.

 

Force est de constater que cette politique a porté ses fruits. Surclassée par un capitalisme occidental qui bénéficiait de conditions nettement plus favorables au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique a fini par quitter la scène en 1991 au terme d’une compétition harassante. Pourtant rien ne semble avoir changé, et la guerre froide continue de plus belle. Trente ans après la disparition de l’URSS, l’hostilité occidentale ne faiblit pas. On continue de prêter à Moscou des intentions belliqueuses, alors même que les démonstrations de force de l’OTAN aux frontières de la Russie illustrent suffisamment la réalité de la menace occidentale.

 

« De Staline à Poutine ». Quoi de plus ridicule que ce récit où transpire la bonne conscience occidentale, attribuant toutes les tares à la Russie, incriminant une puissance maléfique dont la résilience ferait peser une menace irrésistible sur le monde prétendument civilisé ? Ce discours lancinant s’obstine à désigner dans la Russie actuelle une sorte d’ennemi systémique, l’empire du mal soviétique ayant été simplement repeint aux couleurs russes pour les besoins de la cause. Aux yeux des élites dirigeantes occidentales, il faut croire que Moscou reste Moscou, et que la menace venant de l’Est est une donnée permanente de la géopolitique eurasienne.

 

Pour les obsédés de l’ogre moscovite, la Russie a tous les torts. Elle ne se contente pas de menacer l’Ukraine en massant ses blindés à ses frontières, elle veut aussi installer à Kiev un pouvoir pro-russe. Singulière inversion accusatoire, qui attribue à Moscou la politique menée par les Occidentaux dans un pays qu’ils ont vassalisé à coup de subventions en espérant le transformer en futur joyau de l’OTAN. En y fomentant le coup d’État de février 2014, ils ont tout fait pour le détacher de son voisin afin d’isoler davantage la Russie, dans la foulée de ces « révolutions colorées » qui ont été savamment orchestrées en Europe orientale et dans le Caucase. C’est depuis cette date que l’Ukraine est en proie à une grave crise intérieure, et Moscou n’y est absolument pour rien.

 

Car le putsch de Maidan a porté au pouvoir une clique ultra-nationaliste dont la politique a humilié la population russophone des régions orientales. Cette provocation délibérée des autorités usurpatrices de Kiev, soutenues par des groupes néo-nazis, a poussé les patriotes du Donbass et de Crimée à la résistance et à la sécession. Mais il n’y a jamais eu d’invasion moscovite. Aucun char russe ne foule le territoire ukrainien, et Moscou a toujours recommandé, pour résoudre la crise interne, une solution négociée de type fédéral ménageant les intérêts des différentes composantes du peuple ukrainien. Il est ahurissant de voir l’OTAN stigmatiser la Russie pour sa politique à l’égard de ce pays, alors que la seule armée qui tue des Ukrainiens est celle de Kiev, qui bombarde quotidiennement les populations civiles des républiques sécessionnistes de Donetsk et Lougansk.

 

C’est l’agressivité irresponsable de cette armée, noyautée par les ultra-nationalistes et portée à bout de bras par les puissances occidentales, qui entretient un climat d’affrontement. C’est l’hystérie antirusse des puissances occidentales qui jette de l’huile sur le feu dans la région, et non cette menace imaginaire contre l’Ukraine que les affabulateurs de la presse atlantiste attribuent à la Russie. Dans la crise actuelle, il est clair que c’est l’Occident qui représente une menace pour la paix en défiant outrageusement la Russie à ses frontières, et non l’inverse. Que l’on sache, Moscou n’organise pas de manœuvres militaires avec le Mexique ou le Canada, et sa flotte de guerre ne croise guère au large de Manhattan.

 

Washington, en revanche, poursuit l’encerclement de la Russie en étendant systématiquement le périmètre de l’OTAN à ses frontières. Or cette politique viole l’engagement pris auprès de Mikhaïl Gorbatchev, lequel accepta la réunification de l’Allemagne en échange d’une promesse de non-extension de l’Alliance atlantique vers l’Est européen. Cette offensive géopolitique est d’autant plus menaçante qu’elle s’est accompagnée de l’installation, sur le territoire des nouveaux États-membres, d’un bouclier antimissile américain. Impensable au temps de l’URSS, ce dispositif fait peser sur Moscou la menace d’une première frappe et rend caduc tout accord de désarmement nucléaire.

 

Impossible d’oublier, enfin, la toile de fond de cette démonstration de force du camp occidental maquillée en riposte aux ambitions de l’ogre russe : colossal, le budget militaire des EU représente près de la moitié des dépenses militaires mondiales, dépassant en 2021 les 740 milliards de dollars. En augmentation constante, il équivaut à neuf fois celui de la Russie, proportion qui s’élève à seize fois pour l’ensemble des États-membres de l’OTAN. Hormis les faux naïfs, qui peut accréditer la fable d’une invasion militaire imminente de l’Ukraine par les forces russes ? Prétendre que Moscou prépare la guerre pour assouvir ses appétits territoriaux aux dépens de ses voisins mériterait un éclat de rire s’il ne s’agissait d’une crise internationale sérieuse au cours de laquelle, une fois de plus, le bellicisme de Washington tente d’enrayer le déclin irrésistible d’un Occident vassalisé.

 

Bruno Guigue

 

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https://www.legrandsoir.info/qui-menace-la-paix-en-ukraine.html

 

 

  

 

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3 février 2022 4 03 /02 /février /2022 23:03

 

 

 

Merry Hermanus, ancien haut fonctionnaire, ancien député, militant socialiste et laïque à Bruxelles, consacre ses moments libres de retraité à l’écriture. Il publia plusieurs livres sur son vécu personnel et politique, ainsi que des récits sur des sujets historiques. Il vient de faire éditer un livre passionnant sur une grande personnalité politique belge méconnue sinon oubliée, le libéral Paul Hymans (1865 – 1941) particulièrement sur l’exode de 1940 provoqué par l’offensive allemande déclenchée le 10 mai 1940 pendant laquelle le royaume de Belgique fut non seulement envahi et connut aussi un bouleversement politique fondamental qui a encore des conséquences aujourd’hui.

 

 

 

Paul Hymans, Ministre d'Etat, ancien Président de l'Université Libre de Bruxelles, du Palais des Beaux-Arts et ancien président du Parti libéral

Paul Hymans, Ministre d'Etat, ancien Président de l'Université Libre de Bruxelles, du Palais des Beaux-Arts et ancien président du Parti libéral

 

 

 

Tout livre est une aventure. L’auteur, lors d’un dimanche de confinement, eu terme de sa promenade matinale, trouve dans sa boîte aux lettres une grosse enveloppe contenant un classeur avec quatre liasses de feuilles jaunies par le temps – 93 pages en tout. Elles contiennent le récit en quatre parties de l’exode de Paul Hymans en mai 1940 durant l’offensive allemande. Après avoir consulté le centre Jean Gol – le centre d’étude du parti libéral, actuel MR, anciennement centre Paul Hymans – et les archives et la bibliothèque de  l’ULB dont Paul Hymans fut président, Merry Hermanus décida de publier de larges extraits de ce texte tout en les replaçant dans leur contexte historique. On connaît mal l’histoire de la Belgique, parce qu’on ne l’enseigne plus, et bien sûr Paul Hymans qui joua un rôle considérable aussi bien au niveau national qu’international. Le temps estompe la mémoire ! En un paragraphe, l’auteur analyse ce fait et aussi la situation particulière de la Belgique aujourd’hui détricotée en régions et communautés, durant l’histoire.

 

 

 

Merry Hermanus présente son livre vendredi 28 janvier à la Librairie Filigrane, une des plus grandes librairies de Bruxelles. A ses côtés Corentin de Salle, directeur du Centre Jean Gol, anciennement Paul Hymans.

Merry Hermanus présente son livre vendredi 28 janvier à la Librairie Filigrane, une des plus grandes librairies de Bruxelles. A ses côtés Corentin de Salle, directeur du Centre Jean Gol, anciennement Paul Hymans.

 

 

 

« Certes, la Belgique ne peut s’enorgueillir de posséder comme la France un roman national. Malgré la qualité de ses historiens, elle n’a, jusqu’ici pas trouvé « son » Jules Michelet. Elle possède néanmoins une longue et grande existence qui s’inscrit au cœur de l’histoire de l’Europe, qu’Henri Pirenne, immense historien a si bien décrite… qu’il s’agisse du De Bello gallico de César ou du traité de Rome en 1957, les « états Belgique » furent toujours présents, victimes ou acteurs des soubresauts de l’Histoire. De l’expansion économique des villes de Flandre dès le XIIIe siècle à l’industrialisation de la Wallonie au XIXe, le rôle de la Belgique et donc de ses peuples fut considérable. »

 

Après avoir critiqué l’absence d’un cours d’histoire cohérent pour les élèves des écoles, l’auteur déplore « l’assourdissant silence » sur la Résistance en Belgique. Y aurait-il une gêne à glorifier les héros qui ont sauvé l’honneur de la Belgique ? Merry Hermanus évoque aussi quelques épisodes politiques pendant et après la guerre et la « Question royale » qui s’est achevée par l’abdication de Léopold III au terme d’une période troublée au bord de la guerre civile. Il évoque le Premier ministre de l’époque, 1950, le catholique Jean Duvieusart qui présidait un gouvernement catholique homogène et qui, selon l’auteur, a non seulement évité la guerre civile mais aussi sauvé la monarchie. Il fut par après écarté aussi bien par l’entourage du Roi que par son propre parti.

 

Remarquons que Merry Hermanus, dans son ouvrage, lui qui est un militant socialiste jusqu’au bout des ongles, attache plus d’importance au rôle des hommes dans l’histoire quelles que soient leurs positions politiques et philosophiques, qu’aux clivages qui excluent une analyse rigoureuse des faits et déforment ainsi la vérité historique.

 

 

 

La calamiteuse neutralité de la Belgique

 

 

Le récit à proprement parler commence par un prologue sur la question de la neutralité de la Belgique qui lui a été imposée dès 1831 par les grandes puissances de l’époque. Cette neutralité éclate de fait dès le début de la Première guerre mondiale. Les puissances voient la Belgique résister à l’invasion allemande au prix d’un lourd tribut : 62 000 morts civils et 50 000 militaires, sans compter des destructions irréparables comme la bibliothèque de l’Université de Louvain. Aussi, la France et l’Angleterre volent à son secours. Et intervint pour la première fois Paul Hymans. Il représenta la Belgique aux négociations qui aboutirent au traité de Versailles. Le représentant belge exigea des réparations de la part de l’Allemagne, la restitution des Cantons de l’Est perdus après le Congrès de Vienne de 1815 et  l'abrogation du traité des XXIV articles qui instaurait la neutralité de la Belgique. La neutralité fut supprimée et le traité de Locarno de 1925 confirma la fin de la neutralité belge.

 

Mais le 17 février 1934, la mort accidentelle du roi Albert Ier bouleverse tout. Son fils Léopold III eut sa propre politique aboutissant au retour de la neutralité. Paul Hymans relate la première conversation qu’il eut avec le nouveau roi le 14 juin 1934. Le souverain souhaitait organiser un gouvernement hors des partis, un « gouvernement des capacités » comme il l’appelait. C’est la fameuse idée du gouvernement des techniciens que la droite brandit régulièrement lorsqu’il y a crise gouvernementale, ce qui arrive souvent en Belgique ! Merry Hermanus démontre l’impossibilité de constitution d’un tel gouvernement, car il lui serait impossible d’obtenir une majorité au Parlement. De plus, ce serait contraire à la Constitution. Tout au long de son livre, l’auteur dénonce la politique personnelle du roi qui tourna à la catastrophe en mai 1940 et qui est à l’origine de la crise majeure que connut la Belgique de 1940 à 1950 qu’on a appelé la Question royale. Il se réfère à l’historien Jean Stengers qui fut un de ses maîtres à l’ULB, à ce qu'il a appelé la double politique de la Belgique jusqu’en 1940, c’est-à-dire celle du monarque et celle du gouvernement.

 

 

 

 

Léopold III chef des armées en mai 1940 s'adresse au peuple belge.

Léopold III chef des armées en mai 1940 s'adresse au peuple belge.

 

 

 

Les tensions s’aggravent en Europe après le traité de Locarno. Mussolini arrive au pouvoir en 1926, Hitler en 1933. Le fascisme se développe sur tout le continent et même en Angleterre. L’Allemagne réoccupe la Rhénanie le 7 mars 1936 sans qu’il y ait de véritables réactions de la part de la France et de la Belgique. « Voilà sans doute le premier acte de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe démocratique laissait les mains libres à Hitler. » écrit Hermanus. En 1936 éclate la guerre d’Espagne. La France et la Grande Bretagne optent pour la non-intervention tandis que l’Allemagne et l’Italie soutiennent ouvertement les putschistes de Franco. La faiblesse des démocraties devant les offensives fascistes conduisit certains milieux politiques en Belgique à en revenir à la neutralité. Léopold III en profite et souhaite que les responsables politiques se rangent à cette perspective. Le socialiste Pol Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères adopta cette thèse en dépit de l’opposition de bon nombre de dirigeants socialistes.

 

La situation s’aggrave. En 1938, l’Anschluss, l’invasion hitlérienne de l’Autriche, la conférence de Munich. En 1939, le Pacte germano-soviétique et l’invasion de la Pologne. Ensuite, ce fut un événement fortuit que rappelle Merry Hermanus : le 10 janvier 1940, un avion de reconnaissance allemand égaré atterrit en catastrophe à Mechelen-sur-Meuse en Belgique. L’appareil était piloté par un officier de la Wehrmacht qui avait confondu la Meuse et le Rhin ! Arrêté par la gendarmerie, ledit officier était en possession de documents qu’il tenta de détruire, mais qui furent saisis. Ils contenaient le plan d’invasion allemande de la Belgique ! Ce plan passa par différents échelons de la hiérarchie jusqu’à aboutir au roi sans que le gouvernement en soit averti. Léopold III prend contact avec un officier supérieur anglais pour demander au Royaume Uni de protéger la neutralité de la Belgique, c’est-à-dire d'envoyer des troupes sur le territoire belge. Le gouvernement ignore tout de cette démarche qui, de ce fait, est en infraction avec la Constitution ! Les Anglais informent leurs alliés français qui prennent contact avec le gouvernement belge qui… tombe des nues ! Le souverain eut un entretien avec Spaak, alors ministre des Affaires étrangères. L’affaire en resta là ! Mais, comme l’écrit Hermanus, cette grotesque affaire démontre l’absurdité de la politique de neutralité de la Belgique. Cependant, les frontières restèrent fermées aux alliés. Ce n’est que le 10 mai 1940, le jour où commença l’invasion, que le gouvernement fit appel à eux.

 

Quant à Paul Hymans qui était ministre d’Etat (il avait été nommé ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères lors de la formation du gouvernement d’union nationale en 1914), président du Parti libéral, président de l’ULB et président des Beaux-Arts, il eut le 10 mai un entretien à la Chambre avec le ministre d’Etat catholique Carton de Wiart, écrit-il dans ses papiers. Ils convinrent que les trois ministres d’Etat – le troisième était absent ce jour-là – appartenant chacun à un des trois partis qui étaient au gouvernement, aient un contact étroit et suivi avec le Conseil des ministres. Le Premier ministre Pierlot marqua son accord. Le 13 mai, l’avance allemande devenant inquiétante, le gouvernement décida de se rendre à Ostende. Le lendemain, le 14, Paul Hymans eut confirmation du départ du gouvernement. Avec son épouse, il quitta définitivement sa maison, l’université, les Beaux-Arts. Tout ce qui était sa vie.

 

A Ostende, ce fut la confusion. Il y eut une réunion du gouvernement le 16 mai à 23 heures à la lueur de la bougie dans une chambre d’hôtel. Il fut décidé comme en 1914 de rejoindre Sainte-Adresse non loin du Havre où le gouvernement avait siégé. On croyait encore à la possibilité d’arrêter l’offensive allemande. Illusions ! Quatre membres du gouvernement rejoignirent le roi à son quartier général. Paul Hymans et sa femme partirent en voiture vers Abbeville. Au terme de moult péripéties, bombardements, interdictions de circuler de l’armée anglaise, ils parvinrent enfin à Sainte-Adresse où se trouvaient déjà quelques fonctionnaires avec leurs familles. La situation n’y était guère brillante. Il y eut aussi des bombardements. L’avance allemande semblait inéluctable. Non, on ne reproduira pas la situation de 1914 ! La fuite continua, cette fois-ci vers Poitiers.

 

 

 

La capitulation de l’armée belge ordonnée par le Roi

 

 

Le drame est la totale ignorance de la situation par ce gouvernement en exil. De plus, le gouvernement et le roi sont séparés. Arrive l’inéluctable : la capitulation des armées belges ordonnée par le roi. Quatre ministres vont rencontrer Léopold III à Wynendaele près de Bruges. L’entrevue est dramatique. Le roi veut rester au milieu de ses soldats et les ministres veulent poursuivre le combat auprès des alliés. De plus, le souverain aurait voulu qu’un ministre signe un arrêté royal en blanc pour lui permettre de former un nouveau gouvernement en Belgique. Comme un ennui ne vient jamais seul, le Premier ministre français Paul Reynaud prononça à la radio un discours accusant l’armée belge de « capitulation en rase campagne » et la Belgique d’avoir donné un « coup de poignard dans le dos » des alliés. Cela déclencha des manifestations de haine de la population française à l’égard des réfugiés belges en France. Paul Hymans voulut que les Belges relèvent la tête. Avec quatre ministres du gouvernement et les trois ministres d’Etat, une couronne fut déposée au monument des Belges à la place de la Concorde à Paris. Ce geste symbolique émut une partie de l’opinion française. Cependant les Belges étaient divisés. Certains parlementaires voulaient abroger la monarchie et instaurer une République dont Paul Hymans serait le président !

 

 

 

Paul Reynaud, le Premier ministre français, n'hésita pas à déshonorer la Belgique.

Paul Reynaud, le Premier ministre français, n'hésita pas à déshonorer la Belgique.

 

 

 

 

En revanche, en Belgique, l’opinion donnait majoritairement raison au roi. Cependant, Paul Hymans exprima dans ses papiers sa déception et sa désillusion à l’égard du roi. Il voulait en outre que le gouvernement reste uni ne fût-ce que pour protéger les Belges réfugiés en France, mais surtout pour sauver l’honneur de la Belgique. Comme l’écrit Hermanus : « On perçoit sous sa plume [celle de Paul Hymans] le malaise, l’effroi, la souffrance… parfois la colère, mais surtout une incompréhension totale. Il éprouve le plus grand mal à croire possible ce qu’il entend à propos du Roi. Il met en cause, lui aussi, l’entourage (…). Il n’en reste pas moins fidèle au gouvernement… »

 

Où la psychologie joue un rôle fondamental.

 

La « Question royale » est née en ce catastrophique 25 mai 1940. Quoiqu’on en dise, la position du Roi en Belgique est ambigüe par la Constitution. En effet, le roi règne mais ne gouverne pas. Tout acte qu’il commet doit avoir le contreseing d’un ministre. Merry Hermanus consacre un excellent petit chapitre sur cette sorte de schizophrénie où il aborde le problème psychologique posé à la personne du souverain. L’historien Jean Stengers fit la même chose au grand dam de Léopold III qui ne lui pardonnait pas de ne pas l’avoir consulté. Son élève, Merry Hermanus évoque ses rencontres avec un des fils de Léopold III – il ne cite pas son nom, sans doute Albert ? Il écrit : « J’éprouvais pour lui au-delà de la sympathie, la plus grande considération, admiratif de sa culture, de sa soif d’apprendre, et de son infinie curiosité. Nous étions pourtant à l’opposé du spectre social. Moi le fils d’une « haute lignée communiste », lui le fils d’une Maison royale ayant essaimé dans toute l’Europe. » Il ajoute que discutant de l’éducation des enfants princiers, il s’aperçut que cette éducation les coupait du monde. « Il y a « Nous et les autres ! » Deux mondes à jamais différents, mais avec lesquels il faudra bien vivre… tout l’art de l’exercice monarchique en démocratie est bien là. »

 

Parenthèse personnelle : ayant œuvré dans des cabinets ministériels pendant quatre années de ma vie professionnelle, je me suis bien rendu compte que les ministres ne percevaient le monde qu’à travers le prisme de leur entourage. Dès lors, comment prendre une juste décision dans ces conditions ?

 

Reprenons le récit. Tout était consommé. La France capitula deux semaines plus tard. Hitler avait gagné. Et beaucoup de « responsables » estimèrent qu’il était invincible. Quant aux Belges, l’attitude du roi fut très peu appréciée. Ainsi, Churchill, il déclara à son secrétaire d’Etat à la guerre, Anthony Eden : « Sans aller jusqu’à dire qu’une action de la part des Belges aurait pu changer le sombre enchaînement des événements, je n’ai pas le moindre doute que jusqu’au moment où ils ont été assaillis et envahis, ce que nous avions à porter à leur crédit pouvait se résumer à ‘merci de n’avoir rien fait’. »

 

Quant à Paul Hymans, dans ce désastre, il maintient que la Belgique doit pouvoir redémarrer sur de solides piliers dont le principal est la monarchie. La priorité absolue est le maintien de l’unité nationale. Le peuple belge dans sa majorité soutenait le roi et méprisait le gouvernement. Celui-ci était honni et isolé. Et c’est De Man, le président du POB, que le roi chargea de trouver les moyens de former un nouveau gouvernement. Il n’y parvint pas. Le gouvernement Pierlot commença à envisager de se réfugier à Londres. Il se déplaça à Bordeaux suivant le gouvernement français. Ce fut la débandade. Le gouvernement français se rendit à Perpignan suivi des Belges. Et puis retour à Bordeaux ! L’armistice de Pétain rendit la présence du gouvernement belge inopportune. Paul Hymans, désormais inutile, se sépara de Pierlot et se rendit à Arès avec son épouse où ils furent reçus par une amie dans un château où ils demeurèrent un mois. Le couple quitta Arès qui se trouvait en zone occupée pour rejoindre la zone libre. Il se rendit d’abord à Cahors où Paul Hymans régla différentes affaires concernant l’Université. Le retour en Belgique aurait été imprudent. Il conclut : « Ce serait l’exil moral sous la domination de l’ennemi. Je préférai l’exil libre sur la terre étrangère. »

 

Paul Hymans et son épouse s’installèrent définitivement à Nice. Il écrit les dernières lignes de son poignant récit : « Ici commence sur la Côte d’Azur, la vie de l’exil avec les amertumes de l’éloignement, les souvenirs du milieu naturel et coutumier où se déroula une existence de labeur, d’harmonie et de paix, avec les frissons qui secouent les nerfs dans les heures sombres, avec aussi les douceurs et les joies du soleil, les merveilleuses fééries de la lumière, avec enfin l’espoir immortel que donne la foi dans les grandes vérités humaines et divines qui finissent toujours par briser les doctrines de haine, les règnes de la violence et de persécutions et qui sont l’âme de la civilisation. »

 

Paul Hymans, recru d’épreuves et d’épuisement s’éteignit à Nice le 6 mars 1941. Issu d’une famille juive convertie, il fut enterré selon le rite protestant.

 

Merry Hermanus vient de publier une œuvre majeure de mémoire. La mémoire de Paul Hymans, homme d’Etat oublié, revit et nous aide à réfléchir.

 

 

Pierre Verhas

 

Paul Hymans, l’homme qui aurait pu être Président de la Belgique

 

HERMANUS Merry

PAUL HYMANS Carnet d’exode 1940

Un géant de la politique belge dans la tourmente

Editions Belgobelge 2022

ISBN 978-2-87462-179-6 – EAN : 9782874621796

Prix : 19,99 €

 

 

 

Post Scriptum

 

Exit Freddy Thielemans

 

 

 

Freddy Thielemans fut sans doute le plus populaire bourgmestre de Bruxelles après-guerre.

Freddy Thielemans fut sans doute le plus populaire bourgmestre de Bruxelles après-guerre.

 

 

 

Freddy Thielemans bourgmestre honoraire de Bruxelles-Ville vient de s’éteindre à l’âge de 77 ans suite à un accident domestique qui le paralysa pendant cinq années. Militant socialiste convaincu, né à Laeken lez Bruxelles, ancienne commune à laquelle il était fort attaché, il se disait « socialiste et non de gauche », il manifestait l’esprit indépendant d’un homme probe et libre. Gradué en sciences commerciales et Régent d’enseignement, il commença sa carrière comme professeur dans différentes institutions officielles de Bruxelles dont l’Athénée Adolphe Max. Il connaissait à fond six langues dont l’Italien et l’Espagnol, outre l’Anglais et le Flamand. Freddy était féru de culture, connaissant les arts et la littérature. Il était aussi un « echte Brusseleir » (un vrai Bruxellois) et il ne manquait jamais la plantation du Meyboom chaque année. Il eut le virus de la politique. Il était avant tout municipaliste, mais fut un temps parlementaire européen où il siégea à la Commission des Affaires étrangères. Il fut bourgmestre de Bruxelles durant une douzaine d’années et dut céder sa place à un successeur qui lui fut imposé par son parti. Ledit successeur dut démissionner dans le déshonneur au terme de la gestion catastrophique du SAMU social de Bruxelles.

 

 

La presse mainstream rendit hommage à Freddy Thielemans avec un petit « bémol » : il était trop « Brussseleir » et pas assez cosmopolite pour la capitale de l’Europe ! Une question : combien de cosmopolites pratiquent six langues couramment, parviennent à accueillir le Premier ministre japonais dans sa langue, accueille en mandarin une délégation chinoise et tient une conversation en russe avec Poutine pour lui démontrer que Bruxelles est au centre de l’Europe ?

 

Après Jef Baeck, encore un « Mohican » qui s’en va !

 

RIP Freddy.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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23 janvier 2022 7 23 /01 /janvier /2022 14:24

 

 

Les bruits de botte se font entendre ces derniers temps. L’Ukraine, le Yémen, Taiwan. Nous avons raison de craindre qu’une guerre majeure ne se déclenche incessamment tant les tensions entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine sont exacerbées.

 

Cependant, il y a aussi des guerres « oubliées » ou volontairement passées sous silence qui utilisent des armes jusqu’ici « méconnues » et  d’une efficacité inégalée. Ces guerres se déroulent au Proche Orient et en Afrique. Elles ont un point commun. Il y a un pays, ou plutôt le régime quasi totalitaire de ce pays qui est au centre de tous ces conflits : la Turquie de Recip Tayyip Erdogan.

 

En 2020, les Turcs ont utilisé en Libye des drones de leur fabrication. On les appelle des drones tueurs ou des drones kamikazes. L'armée turque a en effet utilisé en 2020 des essaims de drones kamikazes autonomes en Libye pour cibler des combattants de l'armée de la HAF (l'armée anti-gouvernementale du général Haftar), selon un rapport de l'ONU au Conseil de Sécurité daté du 8 mars 2021  rendu public par la revue en ligne New Scientist. Il traite de l’ensemble du conflit libyen, mais révèle un élément inconnu jusqu’alors : ces drones peuvent attaquer et frapper sans intervention humaine. On les appelle « kamikaze » parce qu’ils se « sacrifient » en tombant sur leur cible.

 

 

 

 

Le drone tueur ou kamikaze fabriqué en Turquie est sans doute l'arme contemporaine la plus redoutable.

Le drone tueur ou kamikaze fabriqué en Turquie est sans doute l'arme contemporaine la plus redoutable.

 

 

 

Ces « robots rôdeurs » rappellent furieusement leurs ancêtres nazis : les bombes volantes V1 et V2 qui semèrent la terreur entre autres à Londres, Anvers et Liège et parmi les troupes alliées. Mais elles étaient loin d’avoir la précision et l’efficacité des drones kamikazes d’aujourd’hui.

 

Le drone kamikaze, arme imparable

 

Ces drones sont des engins automatiques légers – 7 kilos – portant une charge explosive destinée à éliminer des combattants et des unités ennemies. Ils sont dotés d’une caméra avec reconnaissance visuelle autoguidés grâce à un programme d’intelligence artificielle. Ils volent en essaim et agissent sans intervention humaine. Le rapport de l’ONU (556 pages !) dévoile, photos à l’appui prises sur le terrain, que c’est l’entreprise turque STM (Savunma Teknolojileri Mühendislik) qui développe ce type d’engin. STM ne s’en cache d’ailleurs pas et fait de la publicité pour son « produit » appelé Kargu-2. Ainsi, des vidéos Youtube font la démonstration de l’efficacité de ces drones dotés de l’intelligence artificielle. Elles sont spectaculaires et interpellent !

 

 

 

Sur cette vidéo, la redoutable efficacité du drone kamikaze Kargu de STM

 

 

 

Selon le rapport du GRIP (L’ONG belge Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité) 2021/6, p. 20, lors du Forum diplomatique à Antalya en 2021, le PDG de STM a déclaré : « Il n’est pas possible pour la Kargu-2 de choisir sa cible et d’attaquer à moins que l’opérateur n’appuie sur le bouton. L’opérateur doit identifier la cible avec la caméra pour confirmer la cible en personne. Cependant, après que l’opérateur a identifié sa cible et donné l’ordre d’attaquer, la Kargu peut attaquer. L’opérateur a la possibilité d’annuler l’attaque à tout moment jusqu’à ce que le drone atteigne sa cible. »

 

En dépit de cette dénégation peu crédible, il est clairement établi que la Kargu-2 peut attaquer en essaim sans intervention humaine. Le rapport de l’ONU est clair à ce sujet. Il indique que des combattants en Libye ont été « traqués et engagés à distance par des drones de combat ou des systèmes d'armes autonomes létaux tels que le STM Kargu-2 et d'autres munitions rôdeuses ».

 

Interrogé à l'occasion de la publication du rapport de l'ONU, Bruno Martins, spécialiste des technologies militaires émergentes au Peace Research Institute d'Oslo, expliquait à France 24 que ce type de drone est capable de « voler en escadrille sans être dirigé à distance », puis d'identifier une cible « en fonction de sa signature électronique ou thermique ».

 

Ce n’est pas la première fois qu’une arme de ce type est utilisée dans un conflit armé, mais il y a toujours eu une intervention humaine. Des drones bourrés d’algorithmes et d’intelligence artificielle capables de tuer sur commande ne sont, en effet, pas une nouveauté. « C’est ce que l’on appelle des drones kamikazes et ils sont utilisés sur le champ de bataille depuis un certain temps », explique Ulrike Franke, spécialiste des drones et des technologies militaires au Conseil européen des relations internationales, à France 24.

 

 

Les drones sont d’usage courant dans les conflits armés actuels.

 

 

Les Israéliens ont été les premiers à en fabriquer dans les années 1980 et « leur utilisation s’est étendue lors du conflit dans le Haut-Karabakh en 2016 », rappelle cette experte. Les affrontements qui ont éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en juillet 2020 « ont même été surnommés la guerre des drones à cause du recours à ces engins kamikazes », souligne le site de l’ONG Drone Wars UK. Des drones en essaim ont été lancés par l’armée israélienne sur Gaza, lors des heurts avec le Hamas en janvier 2021.

 

 

Mais même ces engins sont déjà trop autonomes au goût de certains. « Ils sont capables de voler en escadrille sans être dirigés à distance, et peuvent traquer leur cible dans un périmètre donné et l’identifier en fonction de sa signature électronique ou thermique. » explique Bruno Martins. En d’autres termes, ils peuvent trouver tout seul un signal radar, un camion de munitions ou des troupes au sol selon les indications qui ont été inscrites dans leur programme. Une fois que le drone kamikaze a acquis sa cible, il attend généralement que l’opérateur humain lui donne le feu vert pour s’abattre sur lui comme un missile. C’est ce qui se passait avant l’opération turque contre l’armée de la HAF en Libye. Depuis, l’opérateur humain est inutile !

 

À l’inverse, si le drone devait agir « sans intervention humaine, cela impliquerait des questions éthiques d’un autre ordre comme de savoir si une intelligence artificielle peut déterminer ce qui représente une cible légitime », souligne David Dunn, de l’université de Birmingham. C’est le cas en Libye !  C’est la première fois que l’on a la preuve de l’existence et de l’utilisation de cette arme.

 

La guerre sans hommes

 

 

Comment cela fonctionne-t-il ?

 

 Le système s’appelle « Fire and forget », « Tirer et oublier » qui « désigne un engin dont le guidage après lancement ne requiert plus l'intervention de la part de la plateforme de tir. Ce sont donc des missiles ou drones à vol autonome. Généralement, les informations relatives à la cible sont programmées avant le lancement : il peut s'agir de coordonnées ou de mesures radar (vitesse comprise) ou infra-rouge de la cible. Dans le cas d'essaims de drones à reconnaissance visuelle comme dans le cas de Kargu-2, les uniformes, visages, vêtements, types d'armes peuvent être programmés pour devenir des cibles sans qu'aucune intervention humaine en soit requise ensuite. D’où le terme "oublier", puisque les lanceurs de drones oublient les drones après leur tir et les laissent agir seuls et enfin "trouver", puisque les drones trouvent leurs cibles seuls. » (TV5 Monde, Pascal Hérard, 2 juin 2021)

 

Donc, le Kargu-2 est un drone qui utilise la classification d'objets basée sur l'apprentissage automatique pour sélectionner et engager des cibles, avec des capacités d'essaimage en cours de développement permettant à 20 drones de travailler ensemble. Le rapport de l'ONU qualifie le Kargu-2 d'arme autonome létale.

 

La seule riposte possible est un système de brouillage électronique qui disperse les essaims, mais qui, en tombant, peuvent provoquer des dégâts considérables. Et toutes les armées n’en sont pas équipées. Cependant, comme l’explique Éric Martel, chercheur au CNAM en France : « Un essaim fonctionne selon la théorie des systèmes, ce sont des acteurs qui sont unitairement bêtes mais intelligents en groupe et ont comme logique, justement, de faire émerger une stratégie qui leur est propre. En interaction avec d’autres essaims, ils deviennent quasiment incontrôlables. Ils constituent d'ailleurs l'un des problèmes les plus aigus des systèmes d'armes autonomes. » Il n’existe donc à ce jour aucune parade contre ces armes abominables. Cependant, STM a mis au point une technologie pour des outils de navigation basés sur l’étude des images en vol et en temps réel afin de proposer des vols autonomes en l’absence de couverture GPS ou en cas de brouillage.

 

 

 

 

Les drones Kargu en essaim et en pilotage autonome.

 

 

 

Erdogan attaque tous azimuts !

 

Le pouvoir de destruction des drones kamikazes est redoutable. Ces essaims de drones sont capables d’éliminer en deux ou trois attaques des unités entières de chars d’assaut, des centaines d’hommes de troupes, et toutes sortes d’engins terrestres. Cette arme est donc stratégique : elle permet à son utilisateur d’avoir ainsi la maîtrise des airs, ce qui est un atout fondamental dans une guerre. Les drones kamikazes peuvent également s’attaquer à des objectifs civils et provoquer un nombre important de victimes et des dégâts considérables. C’est ce qu’il s’est passé en Arménie où les attaques de drones ont provoqué des dégâts considérables. En Ethiopie, également, les drones turcs ont arrêté et fait reculer les rebelles qui allaient s’emparer de la capitale, Addis-Abeba. En Syrie et dans le Kurdistan irakien, la Turquie cherche à éliminer avec ses drones les partisans du Partis des travailleurs kurdes, le PKK considéré comme terroriste, et ce, depuis 2018. Le journal « The Intercept » - journal en ligne fondé par Glenn Greenwald après l’affaire Snowden qui diffuse des informations non publiées dans la presse mainstream – révèle : « Selon des sources officielles, entre janvier et avril 2018, les TB2 équipés de bombes téléguidées de fabrication turque ont causé la mort de 449 personnes dans le nord-ouest de la Syrie. En Turquie, dans le Sud-Est, à majorité kurde, au moins 400 personnes auraient été tuées dans des attaques de drones depuis 2016. » 

 

 

 

 

Erdogan signe un de ses drones tueurs.

Erdogan signe un de ses drones tueurs.

 

 

 

En février 2020, les Turcs ont lancé une contre-offensive contre l’armée syrienne de Bachar El Assad qui voulaient reconquérir avec l’aide des Russes, la province d’Idleb située au Nord-Ouest de la Syrie, afin de protéger les opposants islamistes qui y étaient réfugiés. C’est la première fois que l’armée turque a utilisé les drones kamikazes pour faire reculer les Syriens. Et le résultat est sans appel : la puissante offensive russo-syrienne a été clouée sur place par les drones !

 

C’est ainsi qu’Erdogan a réussi à asseoir sa puissance. On observe que ses offensives de drones se déroulent dans les régions où le régime actuel de la Turquie veut s’imposer. Il y a là une manifeste ambition expansionniste qui peut s’avérer dangereuse par la suite. Le président turc se trouve affaibli à l’intérieur de son pays : son régime est menacé d’effondrement aux prochaines élections. Dès lors, il joue la carte nationaliste pour être incontournable et l’on peut s’attendre à d’autres attaques de drones kamikazes dans la région. Par cette arme nouvelle, la Turquie du « Reis » peut se transformer en une grande puissance au Moyen-Orient et à la porte de l’Europe. Ce serait un bouleversement géopolitique majeur et les Etats-Unis se trouvent dès lors dans une position délicate : la Turquie reste un membre important de l’OTAN et ils comptent bien sur elle pour être un contrepoids à la Russie dans la région. Voilà le résultat de l’unilatéralisme US ! Et les Européens suivent jusqu’à se faire humilier publiquement par le « Reis » en personne !

 

 

Cette carte montre où les drones turcs ont frappé dans les zones périphériques de la Turquie visant les Arméniens et les Kurdes.

Cette carte montre où les drones turcs ont frappé dans les zones périphériques de la Turquie visant les Arméniens et les Kurdes.

 

 

 

Le drone kamikaze, arme illégale ?

 

Enfin, sur les plans du droit international et du droit de la guerre, il n’existe aucune réglementation. Il y a une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU (1970/2011) qui en son point 9 décrète un embargo sur la livraison d’armes en Libye. Donc, la Turquie est en infraction, mais il s’agit ici d’une règle concernant tous les types d’armes importées dans un conflit spécifique et qui, il faut l’admettre, n’a pas été appliquée sur le terrain ! Autrement dit, les Etats-membres de l’ONU - 125 pays, dont la Belgique, en ont débattu du sujet entre le 13 et le 17 décembre derniers, à Genève – et des ONG comme Amnesty International ou Human Right Watch ont très peu de chance d’obtenir gain de cause d’autant plus que ces armes commencent à proliférer dans plusieurs pays.

 

L’inquiétante prolifération des drones

 

Et cela est particulièrement inquiétant : le Maroc vient de commander des drones kamikazes à la Turquie. Selon le média en ligne, Africa Intelligence, « les Forces armées royales marocaines ont récemment passé une commande de drones armés turcs. Une commande, qui intervient alors que certains faits d'actualité laissent penser à une hausse des tensions dans la région du Sahara occidental. Mais le Maroc veut aussi répondre à des obligations opérationnelles, notamment liées à l'accroissement de sa coopération avec les puissances occidentales. » La belle affaire lorsque l’on observe que les tensions entre le royaume chérifien et l’Algérie sont exacerbées !  En même temps, le Maroc a acheté aux Israéliens pour 22,5 millions de dollars un système anti-drones appelé « Dôme de fer » et des drones fabriqués en Israël ! Rappelons qu’un avion de combat style Rafale, F16 ou F 35 coûte quelques milliards de dollars. La différence est frappante.

 

 

 

 

Le modèle de drone qu'a adopté le Maroc.

Le modèle de drone qu'a adopté le Maroc.

 

 

 

Une arme bon marché

 

Jamais une arme aussi efficace, à même de changer le cours d’un conflit n’a été aussi bon marché. C’est une autre caractéristique des drones kamikazes. Et cela pose d’autres questions :  en plus d’armées de pays pauvres, ce système pourrait être acheté par des organisations terroristes ou des cartels de la drogue !

 

Il est inutile d’imaginer les conséquences.

 

 

L’incendie est près de s’allumer partout. Erdogan se dit au service de l’Islam, voulant rétablir le califat, mais il n’est nullement au service de l’humanité. D’autres nations vont suivre. On en devine les conséquences.

 

 Quant aux Occidentaux, Etats-Uniens comme Européens, ils payeront très cher leur aveuglement. En attendant, les drones kamikazes ont un bel avenir meurtrier devant eux.

 

 

Pierre Verhas avec Josy Dubié

 

 

 

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17 janvier 2022 1 17 /01 /janvier /2022 17:50

 

 

La droitisation en marche

 

 

Le ministre libéral du budget et des finances du gouvernement wallon Jean-Luc Crucke  a été poussé à la démission par son propre président de parti, l’ineffable Georges-Louis Bouchez dit GLOUB à cause d’un projet de décret pour « un impôt plus juste » qui ne plaît pas aux ultralibéraux du MR.

 

 

 

Georges Louis Bouchez dut GLOUB aux côtés de Jean)Luc Crucke qui devant la presse annonce qu'il claque la porte.

Georges Louis Bouchez dut GLOUB aux côtés de Jean)Luc Crucke qui devant la presse annonce qu'il claque la porte.

 

 

 

Crucke a déclaré qu’il n’était plus en adéquation avec la ligne de son parti, le Mouvement Réformateur (MR) et par après, il a dit « Je suis libéral, pas conservateur ! ». Autrement dit, il dénonce la droitisation de son parti qui est au pouvoir au gouvernement fédéral, à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. En effet, GLOUB multiplie les déclarations les plus réactionnaires, comme des propos flatteurs sur Zemmour, la fermeté à l’égard des migrants ; la tolérance zéro en matière judiciaire, etc. Il a même été visité les jeunesses nationalistes flamandes qui sont le vivier du néo-nazi Vlaams Belang et de la très droitière NV-A. GLOUB va tellement loin que certains de ses partenaires au gouvernement menacent de se passer de son parti et parmi eux, les libéraux flamands ! Le ministre de la Justice, le libéral flamand Van Quikenborne, a parlé du MR comme « Mouvement Réactionnaire » ! Ambiance !

 

 

En France, inquiétude au LR, le parti fondé par Sarkozy, « Les Républicains » avec comme candidate à l’élection présidentielle Valérie Pécresse. Les pontes du parti observent que bon nombre de maires LR parrainent Zemmour ! Pécresse s’est allié avec le député très droitier Niçois Éric Ciotti. Donc, pour beaucoup de membres de ce parti, malgré un net virage à droite, le programme de Pécresse n’est pas suffisamment droitier ! Ils préfèrent Zemmour !

 

 

 

Eric Ciotti et Valérie Pécresse s'aiment d'un amour tendre...

Eric Ciotti et Valérie Pécresse s'aiment d'un amour tendre...

 

 

 

Il est aussi vrai qu’avec une gauche en pleine déliquescence – et ce n’est pas Christine Taubira qui va la sauver – la droite dure et l’extrême-droite ont un boulevard devant elles.

 

 

On peut remercier le président sortant Macron dit par notre ami Bernard Gensane, le banquier éborgneur – emmerdeur, qui a tout fait pour éliminer la droite républicaine et le PS qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Je conseille aux lecteurs d’Uranopole la livraison de janvier 2022 du « Monde diplomatique » qui contient une analyse approfondie du déclin de la gauche.

 

 

Macron cherche à affronter Le Pen ou Zemmour au second tour comme il l’a fait en 2017 en éliminant ses concurrents républicains et socialistes. C’est un jeu d’apprenti-sorcier. N’oublions pas qu’en 2017, Macron l’a emporté malgré plus de 60 % d’abstentions ! L’abstention risque d’être encore plus importante en mai 2022 et il n’est pas établi qu’il puisse former une majorité à l’Assemblée nationale.

 

 

À force de traficoter les institutions démocratiques classiques, on risque de les voir disparaître au profit de l’aventure !

 

 

P.V.

 

 

 

La femme forte

 

 

Cette photo qui circule sur les réseaux sociaux a été prise en Irlande en 1972, en pleine guerre entre l’IRA et l’armée britannique en Ulster, et montre une jeune fille qui tire avec l’arme de son fiancé, blessé dans une bataille contre l’armée britannique. L’homme a survécu, transporté dans un lieu sûr, grâce au sacrifice de sa petite amie qui affronta les soldats anglais jusqu’à ce qu’elle soit tuée. Quand le commandant du bataillon anglais a découvert qu’il avait combattu une femme, il a ordonné à ses soldats de ne pas toucher à son corps et a permis aux Irlandais de l’enterrer. On dit qu’ils ont entendu le commandant anglais s’exclamer : « La reine ne se préoccupe pas de nous comme cette femme s’est inquiétée pour son homme et sa terre ».

 

 

 

 

Cette jeune femme s'est saisie de l'arme de son compagnon abattu par les "Brits" pour continuer le combat.

Cette jeune femme s'est saisie de l'arme de son compagnon abattu par les "Brits" pour continuer le combat.

 

 

 

La photo a été choisie comme symbole pour la fête de la femme en Irlande, à côté de la phrase :

 

 

« N’ayez pas peur de vous attacher à une femme forte. Peut-être qu’un jour elle sera votre seule armée » ...

 

 

Coupe du monde de foot au Qatar :le fric ; le fric et encore le fric !

 

 

 

Erik Cantonna, un des plus grands footballeurs de notre époque ne mache pas ses mots sur la Coupe du monde au Qatar qui se déroulera en novembre prochain. Pas en juillet, il y fait beaucoup trop chaud. Cela bouleverse la saison de football dans le monde entier. Evidemment, la Belgique avec ses « Diables rouges » y participera. On n’a pas entendu beaucoup de politiciens s’opposer à cette mascarade mercantile. Car, comme le dit Cantonna, ce n’est que du fric ! Il est vrai qu’il a de qui tenir, d’origine Sarde et Catalane, son père était un militant antifranquiste et lui n’a jamais caché son attachement aux valeurs de la gauche.

 

 

Erik Cantonna grand champion et homme de principes

Erik Cantonna grand champion et homme de principes

 

 

 

« Pour moi, ce ne sera pas une vraie Coupe du monde et je ne la regarderai pas. Je ne suis pas contre l'idée d'accueillir une Coupe du monde dans un pays où il y a la possibilité de développer et de promouvoir le football, comme l'Afrique du Sud ou les États-Unis. Au Qatar, cependant, la vérité est qu'il n'y a pas un tel potentiel, il n'y a rien. Tout est en fonction de l'argent. La façon dont ils ont traité les travailleurs qui ont construit les stades est horrible. Des milliers de personnes sont mortes, pourtant nous allons célébrer cette Coupe du monde. Je comprends que c'est un business, mais j'ai toujours pensé que le football était le seul endroit où tout le monde pouvait avoir une chance. »

 

 

On n’a pas entendu beaucoup d’autres voix autorisées pour avoir une telle analyse…

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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10 janvier 2022 1 10 /01 /janvier /2022 10:23

 

 

 

L’actrice britannique Emma Watson a déclenché une tempête mondiale avec un post sur son compte Instagram sur la solidarité avec un panneau marqué : « Solidarity is a verb » sur fond d’une photographie d’une manifestation de solidarité avec la Palestine. Elle fut actrice dans tous les épisodes de Harry Potter puis changea de registre. Emma Watson est une militante féministe active. Elle prononça à ce sujet un discours à l’ONU et fut nommée ambassadrice « de bonne volonté » pour les femmes en 2014.

 

 

 

L'actrice britannique Emma Watson est accusée d'antisémitisme pour ça

L'actrice britannique Emma Watson est accusée d'antisémitisme pour ça

La "solidarité est un verbe"... Il paraît que c'est antisémite s'il y a le drapeau palestinien en arrière-plan !

La "solidarité est un verbe"... Il paraît que c'est antisémite s'il y a le drapeau palestinien en arrière-plan !

 

 

Son message provoqua un tollé dans les milieux sionistes de droite ! L’ancien ambassadeur israélien auprès de Nations Unies, Danny Danon, et actuel représentant du Likoud, le parti de l’ancien Premier ministre israélien Netanyahu, a réagi en traitant Emma Watson d’antisémite.

 

En l’occurrence, qualifier le message de Madame Watson d’antisémite est insensé. Le mot « Juif » n’y apparaît pas une seule fois, à moins de considérer le simple fait d’exprimer sa solidarité envers les Palestiniens comme une manifestation d’antisémitisme. C’est incontestablement un précédent.

 

Ce précédent est dicté par la fameuse loi Etat-nation adoptée en 2018 par la Knesset qui dispose que l’Etat d’Israël est l’Etat des Juifs. Autrement dit, les habitants non juifs d’Israël, essentiellement les Arabes, mais aussi les Druzes deviennent des citoyens de seconde zone. Dès lors, la critique politique d’Israël est par définition de nature antisémite.

 

C’est tout à fait contraire à la démarche de la plupart des personnes et des associations qui s’inscrivent dans la cause palestinienne. Certes, des antisémites notoires se servent des exactions des colons juifs et de l’armée israélienne pour tenter de justifier leurs propos antisémites, mais ils sont une minorité. D’ailleurs, ces mêmes antisémites sont aussi adeptes de la théorie du « Grand remplacement ». Il y a là une notoire contradiction !

 

Adhérer à la cause palestinienne ne signifie pas approuver tout ce que font les Palestiniens. Par exemple, l’absence de démocratie aussi bien de la part de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie que du Hamas à Gaza est non seulement inacceptable, mais surtout nuit à la Palestine et aux Palestiniens.

 

Adhérer à la cause palestinienne ne signifie pas rejeter tout acte politique israélien. Par exemple, Israël est incontestablement à la pointe du combat contre la pandémie, combat qui profite aussi aux Palestiniens.

 

Cependant, l’occupation plus que cinquantenaire de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, ainsi que le blocus de Gaza sont illégaux et génèrent des crimes passibles d’une Cour pénale internationale. Il semble difficile d’assimiler cette critique radicale de la politique israélienne à de l’antisémitisme.

 

Antisémitisme, kesako ?

 

Dans « Le Soir » du 7 janvier 2022, se référant à l’affaire Emma Watson, la journaliste Pauline Hofmann se penche sur la perception de l’antisémitisme. Elle interroge le professeur Jean-Philippe Schreiber de l’ULB qui répond qu’il n’y a pas de définition normative de l’antisémitisme. « Celles [les formes d’antisémitisme] qui existent peuvent varier légèrement. Mais on s’entend généralement sur le fait que l’antisémitisme est une forme caractéristique du racisme qui vise spécifiquement les Juifs à titre individuel ou collectif, mais aussi les institutions juives. »

 

Il y a aussi l’idée du Juif qui domine le monde. En fait, le Juif est détesté parce qu’il aurait des pouvoirs supérieurs, alors que le racisme « ordinaire » porte sur des gens que l’on considère inférieurs.

 

Cela n’a rien à voir avec la critique d’Israël et de sa politique. Comme l’écrit Henri Goldman sur son blog « Cosmopolite » ( https://leblogcosmopolite.mystrikingly.com/ )

 

 

 

 

Henri Goldman n'élude rien dans ses analyses.

Henri Goldman n'élude rien dans ses analyses.

 

 

 

« Ceux et celles qui se sentent interpellé·es par la résurgence de l’antisémitisme – qui a connu une nouvelle poussée à l’occasion de la pandémie de Covid – ne peuvent ignorer à quel point celui-ci est instrumentalisé par la diplomatie de l’État d’Israël. Cet État cherche obstinément à faire passer pour de l’antisémitisme l’hostilité que suscite sa politique dans les opinions publiques et l’attitude critique qui la prolonge. Ce tour de passe-passe se manifeste à l’occasion de la campagne internationale menée en faveur de la nouvelle définition de l’antisémitisme proposée par l’International Holocaust Remembrance Association (IHRA) qui a pour véritable objectif de criminaliser cette critique. »

 

Une définition excessivement large

 

L’IHRA est en fait une organisation gouvernementale qui comporte plusieurs Etats membres dont la Belgique avec une présidence tournante. Elle fut présidée en 2021 par l’Allemagne. Voici sa définition de l’antisémitisme :

 

« La définition opérationnelle de l’antisémitisme, non contraignante, a été adoptée par les 31 États membres de l’IHRA le 26 mai 2016 :

 

« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »

 
Les exemples suivants, destinés à guider le travail de l’IHRA, illustrent cette définition :
 
L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. L’antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l’humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de « tous les problèmes du monde ». Il s’exprime à l’oral, à l’écrit, de façon graphique ou par des actions, et fait appel à des stéréotypes inquiétants et à des traits de caractère péjoratifs. »

 

C’est sur la base de cette définition que l’actrice Emma Watson est accusée d’antisémitisme. Cette définition excessivement large est la porte ouverte à tous les excès. Si une Cour ou un Tribunal base ses conclusions sur cette définition, toute critique de la politique israélienne pourrait être condamnée. Cela est évidemment inacceptable !

 

Une forme de négationnisme

 

Cependant, depuis quelques temps, il se développe une forme d’antisémitisme particulièrement malsaine. L’agrégé de philosophie français René Chiche décrit ce « nouvel » antisémitisme :

 

« L’exemple le plus marquant est un candidat à la présidentielle – se présentant comme le dernier représentant authentique du gaullisme – qui fait de Pétain un sauveur des Juifs français (Le Suicide français – 2014) ou encore que l’anathème « antisémite » permette de désigner aujourd’hui tout et son contraire, le mouvement légitime de soutien à la résistance palestinienne comme le négationnisme contemporain.

 

 

De plus, comparer la vaccination obligatoire aux expériences du Docteur Mengele ou le pass sanitaire à une étoile jaune, revient – au-delà de l’outrance – à présenter la politique antisémite des nazis et de leurs alliés comme une simple question de libertés individuelles. Car oui, l’antisémitisme nazi était bien une politique raciale et non pas une simple « privation » de libertés individuelles. Les lois de Nuremberg en 1935 par exemple mettaient juridiquement les juifs d’Allemagne au ban de la société. Le port de l’étoile jaune s’inscrivait dans une politique plus large, d’abord d’exclusion sociale et politique puis d’extermination. Là, pas d’exclusion juridique de quiconque au nom d’une assignation raciale. Rien à voir, donc, avec le simple fait de pouvoir manger au restaurant ou d’aller à un concert puisqu’il suffit d’aller se faire vacciner. »

 

 

 

Le port de l'étoile jaune par ces manifestants anti-pass sanitaire en France est une insulte aux victimes de la Shoah !

Le port de l'étoile jaune par ces manifestants anti-pass sanitaire en France est une insulte aux victimes de la Shoah !

 

 

Enfin, l’usage de l’étoile jaune dans les manifestations « antivax » ou « anti-pass » dénote la mentalité de ceux qui les organisent et de ceux qui y participent. L’étoile jaune n’est pas seulement un signe d’exclusion. Elle est l’équivalent du marquage du bétail mené à l’abattoir ! Ce terrible symbole doit rester ce qu’il est et ne pas être utilisé à des fins politiques ou contestataires qui n’ont rien à voir. Cela aussi, c’est une forme de négationnisme.

 

 

En ce domaine aussi, il est temps de retrouver la Raison.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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1 janvier 2022 6 01 /01 /janvier /2022 00:06

 

 

 

Il est de tradition en cette fin d’année 2021 et au début de l’année 2022 de notre ère de dresser un bilan et d’ébaucher des perspectives. Procédons autrement, le passage d’une année à l’autre n’est qu’en définitive une convention, car la Terre continue inexorablement sa révolution autour du Soleil. Mais, cette convention permet de situer les choses dans le temps que le cerveau humain découpe en ères, millénaires, siècles, années, mois, semaines, jours, heures. Et essayons une analyse sur les différents événements qui ont marqué les esprits en 2021 et qui se poursuivront sans aucun doute en 2022.

 

 

2021 – 2022 Le combat de la Raison

 

 

 

Le premier événement littéraire en France aura lieu le septième jour du premier mois de la vingt-deuxième année du deuxième millénaire de notre ère. Ce sera la parution du roman fleuve du chouchou du Tout Paris, Michel Houellebecq. « Anéantir » - tout un programme ! D’après les critiques dithyrambiques de la presse « mainstream », ces 734 pages narcissiques décrivent des personnages désespérés, décadents, errant dans une société en pleine déliquescence. On a l’air de dire que c’est un ouvrage de « lanceur d’alerte » qui décrit cette société sans la dénoncer et sans esquisser la moindre solution pour en sortir. Tout un programme, vous disais-je.

 

Non, Houellebecq n’a pas écrit une dystopie. Il décrit les angoisses de cette société « boboisée » qui regarde son nombril. Non, ce n’est pas une dystopie comme celles d’Aldous Huxley et de George Orwell qui étaient ce qu’on appelle aujourd’hui des lanceurs d’alerte. Ils nous expliquaient leur crainte de voir l’exploitation de la technologie générer une société totalitaire qui contrôlera les cœurs et les reins de chaque être humain.

 

 

 

Michel Houellebecq l'écrivain maudit et adoré des bobos

Michel Houellebecq l'écrivain maudit et adoré des bobos

 

 

 

Les lanceurs d’alerte ? Notre société ne les aime pas. Le calvaire de Julian Assange en est la preuve éclatante. Le journaliste fondateur de Wikileaks est l’objet d’une vindicte jamais vue dans les pays « démocratiques ». Cela montre qu’on ne peut dépasser une certaine limite qui n’a rien à voir avec la légalité. D’autres règles non écrites sont édictées et malheur à qui les enfreindra !

 

 

 

Julian Assange le journaliste d'investigation haï par les bobos

Julian Assange le journaliste d'investigation haï par les bobos

 

 

 

Le recul de la Raison

 

La Liégeoise Véronique De Keyzer, ancienne députée européenne, présidente du Centre d’Action Laïque à Bruxelles écrit dans une belle tribune dans Le Soir intitulée « La liberté d’être libre » reprenant le titre d’un ouvrage de Hannah Arendt :  « … on lui doit [à Jean-François Kahn] une superbe chronique dans Le Soir du 21 décembre, qui pourfend Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies. Leur ouvrage caracole en tête des meilleures ventes, et traite de quoi ? Des preuves incontestables de l’existence de Dieu. Et oui, on en est là ! Aux anti-vaccins, au rejet du progrès, à la platitude de la Terre, à la candidature d’Eric Zemmour, à la progression de l’extrême droite et au retour des néofascistes… et à la preuve de l’existence de Dieu. Et Kahn de conclure sa chronique par « Peut-être se souviendra-t-on de cette époque, la nôtre, le début des années 20, comme celle de la grande régression ». Et d’un recul de la Raison. »

 

 

 

Véronique De Keyzer combat pour la valeur révolutionnaire essentielle : la Raison.

Véronique De Keyzer combat pour la valeur révolutionnaire essentielle : la Raison.

 

 

 

En effet, le recul de la Raison. Pour prendre un exemple bien actuel : la pandémie a montré la puissance de la pensée magique. Du complotiste qui détecte des nano particules dans les vaccins aux « antivax » qui prétendent qu’on nous empoisonne, en passant par les charlatans de tout acabit qui affirment haut et fort disposer du remède miracle, on ne remarque nulle analyse et encore moins d’esprit critique, alors que de nombreux scientifiques s’évertuent à nous donner des conseils simples, un peu contraignants, certes, mais qui évitent de nous retrouver dans une USI débordée dans un hôpital dénué de moyens en personnel et en argent après les énormes coupes financières, armes absolues des criminelles politiques néolibérales.

 

Le recul de la Raison quand on refuse de comprendre la démarche des chercheurs qui remettent en permanence l’ouvrage sur le feu, parce que la Science ne souffre pas les certitudes définitives.

 

Le recul de la Raison quand des gens incompétents nient le changement climatique, mais aussi quand d’autres se drapant de leur savoir, annoncent systématiquement l’apocalypse pour demain. Un exemple proche de nous : les inondations dans la Province de Liège l’été dernier sont évidemment dues à un taux exceptionnellement élevé de précipitations, mais leurs conséquences ont été aggravées par un aménagement du territoire tout à fait inadéquat, par une mauvaise gestion des barrages environnants et par de graves carences des autorités.

 

Le recul de la Raison avec cette pensée « woke » inspirée du puritanisme anglo-saxon, tente au nom de l’antiracisme, de la pensée « décoloniale » et de la « convergence des luttes » des minorités raciales et sexuelles de bouleverser nos modes de vie, d’éliminer notre culture, de détruire les symboles de notre histoire qui est loin d’être parfaite, mais qui a le tort d’exister. Ici, la démarche de la Raison est d’en tirer les leçons et non de l’effacer purement et simplement.

 

La Raison est notre combat.

 

Face à la crise de l’autorité, face à la pensée magique, face au rejet de la démarche scientifique, face à l’irrationalisme de certaines pensées politiques, face aux atteintes aux libertés fondamentales, face à la traque de ceux qui luttent avec courage pour ces libertés, face à la tentation totalitaire des pouvoirs comme des extrémismes politiques et religieux, il n’y a qu’un combat : c’est celui de la Raison.

 

Bonne année à toutes et à tous !

 

Pierre Verhas

 

 

 

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27 décembre 2021 1 27 /12 /décembre /2021 22:08

 

 

 

Le hasard des rencontres m’a amené lors de la fête de Noël passée auprès de la branche de ma famille qui vit au Grand-Duché du Luxembourg, à faire la connaissance d’un réfugié syrien qui a bien voulu me raconter la terrible histoire de sa migration avec sa famille pour fuir la guerre dans son pays. Il n’a pas voulu, pour des raisons évidentes, que son nom soit publié. Aussi, avec son accord, appelons-le Abou Fadi, ce qui signifie en Arabe « père de Fadi », le prénom de son jeune fils. Il a deux filles un peu plus âgées. Son épouse, ses trois enfants et lui se sont résolus après hésitations à prendre le dangereux chemin de l’exil pour aboutir au Grand-Duché du Luxembourg. J’ajoute qu’il m’a dit certaines choses qui peuvent paraître déplaisantes à certains, mais j’ai transcrit le plus fidèlement son récit sans en déformer ou en retirer un propos.

 

Abou Fadi était bijoutier et vivait à Latakieh, ville portuaire sur la côte méditerranéenne de la Syrie non loin du Liban. Lorsque la guerre a éclaté en 2011. Son épouse a aussitôt demandé que l’on parte à l’étranger. Abou Fadi a refusé. Il se sentait comme un poisson dans l’eau en son pays et redoutait qu’allant ailleurs, il étoufferait. Et puis, pensait-il, la guerre ne durera que quelques mois et puis tout rentrera dans l’ordre.

 

Dès 2012, la guerre fut de plus en plus dangereuse et on sentait qu’on n’en verrait pas la fin avant longtemps. Abou Fadi raconte : « Des roquettes tombaient sur la ville. On ignorait qui les tirait : l’armée syrienne, les djihadistes, les Américains, les Israéliens, les Russes ? Allez savoir ! Et puis, peu importe. Un de mes amis, un avocat, a reçu au thorax plusieurs éclats d’une roquette. Hospitalisé, il a subi plusieurs opérations. On ne pouvait même plus le toucher, car on risquait de rouvrir ses blessures. Et, malheureusement, il est quand-même décédé. »

 

 

 

Une des rares images des bombardements à Latakieh en 2012

Une des rares images des bombardements à Latakieh en 2012

 

 

 

En plus de ces attaques, de redoutables bandes armées sévissaient dans la ville, rançonnaient et tuaient. En 2013, elles sévissaient de plus en plus. Elles se livraient à des rapts pour des rançons exorbitantes. « On ignorait l’origine de ces bandes. À mon avis, c’étaient des gens qui profitaient de la situation pour se livrer à ces crimes. Et puis, étant donné mon travail comme bijoutier qui me procurait pas mal d’argent, je me trouvais parmi les personnes les plus ciblées par ces bandits

 

D’ailleurs, deux autres amis qui travaillaient comme grossistes en or et qui négociaient de l’or dans les villages environnant Latakieh ont un jour emmené dans leur voiture deux individus qui prétendaient appartenir à l’armée et les escorter. Ils étaient en effet en uniforme. Ils étaient assis à l’arrière du véhicule. Après un trajet de quinze minutes, ils ont contraint mes amis à se garer au bord de la route. Ils ont tué le chauffeur. Un de mes amis les a suppliés de ne pas le tuer. Ils lui ont tiré dessus. Il était encore vivant. Les deux individus ont pris tout l’or et ont abandonné la voiture. Il a été emmené à l’hôpital, mais y est décédé à son arrivée. »

 

Le chemin de l’exil

 

Maintenant, cela devenait trop dangereux. Abou Fadi et sa famille se sentaient directement menacés. Et cette menace était trop forte. Il n’y avait plus qu’une solution : partir vers l’Europe en passant par la Turquie.

 

« Voyant tout cela, les roquettes, ces tueries, ces kidnappings, mon épouse et moi avons décidé d’émigrer avec nos trois enfants. Nous avons évalué les énormes risques. Nous cherchions à atteindre un des pays européens. Tous étaient prévenus. En dépit des dangers, la décision fut prise.

 

On a réservé des billets d’avion de Beyrouth pour la Turquie. Pour un Syrien, il n’y avait aucune possibilité d’entrer directement en Europe par avion ou par tout autre moyen. Nous avons préparé le nécessaire. Le 17 juin 2015, nous avons pris un taxi de Latakieh à Beyrouth. Le lendemain, nous prîmes un avion à destination d’Adana en Turquie, ville située à 30 km de la côte méditerranéenne. Notre groupe était composé de ma famille – 5 personnes – et de 4 amis sans leur famille. »

 

Commence alors le périple périlleux.

 

« Quand on est arrivé, on a pris un minibus jusque Mersin, une ville côtière. Nous y sommes restés cinq jours. On a pris un bus de Mersin vers Bodrum, 18 heures de trajet. J’avais plusieurs connaissances dans cette région.

 

J’y ai contacté un passeur dont j’ai eu les coordonnées à Latakieh. Il nous a appelé deux taxis pour nous rendre à l’hôtel. Nous avions une chambre indépendante pour ma famille et deux autres pour mes amis. C’était le mois du Ramadan. Le passeur a promis de nous rencontrer la nuit tombante après le jeûne. Il est arrivé au rendez-vous. On a discuté des moyens de transport pour une des îles grecques.

 

Il nous a expliqué qu’il existe plusieurs moyens pour nous faire passer. Cela va du zodiaque jusqu’au bateau en bois en passant par le jet-ski ! Les prix différaient selon le mode de transport de 800 Euros à 2 000 Euros par personne pour 20 minutes de trajet. Nous avons choisi le moyen le plus sûr, le bateau en bois. Le passeur a pris 10 000 Euros pour ma famille et moi. Nous avons été transférés vers un autre hôtel où se trouvaient un nombre considérable de migrants. Les passeurs avaient procédé à un rassemblement de personnes pour partir le plus vite possible avec les différents moyens pour naviguer. »

 

 

 

Un bateau de migrants allant de la côte turque à l'île grecque de Kos

Un bateau de migrants allant de la côte turque à l'île grecque de Kos

 

 

 

Tous étaient dès lors tout à fait dépendants des passeurs.

 

« Après une heure d’attente, le passeur nous a demandé de partir. Trois minibus attendaient devant l’hôtel. Il nous conduisit à l’un d’entre eux. On était plus que trente dans ce véhicule. Toutes les fenêtres étaient calfeutrées par d’épais rideaux. C’est à partir de ce moment que la situation devint difficile.

 

Sur la route, nous avons dû nous incliner dans nos sièges pour ne pas être repérés. C’était en pleine nuit, tout était fermé, il n’y avait pas d’air, il faisait une chaleur suffocante. Il a fallu trois heures de route pour que le bus finisse par s’arrêter dans un endroit très sombre. On était perdus, nous ignorions ou nous nous trouvions !

 

Les passeurs ont ordonné de nous disperser dans la forêt. C’était au sommet d’une montagne. Il fallait s’accroupir pour ne pas être vus. Mes enfants m’ont dit avoir l’impression d’être dans un film ! »

 

Mais qui étaient ces passeurs ?

 

Les passeurs sont pour la plupart des Syriens et des Turcs. Même des scheiks et des curés travaillent comme passeurs. Les religieux recueillent l’argent des migrants et le redistribuent aux passeurs après avoir au préalable pris leur commission. Ce sont des clans très solidaires entre eux, ne supportant aucune trahison. On peut les qualifier de mafias, car ils en ont toutes les caractéristiques et les critères.

 

 

La peur

 

Tout s’était relativement bien passé jusqu’ici. Mais en ce lieu hostile et inconnu, la peur régnait.

 

« À partir de là, la peur nous envahit. Nous étions 83 personnes. On a commencé à marcher pour descendre a montagne sans lumière évidemment. Il a fallu quatre heures de marche pour descendre sur un sol caillouteux en trébuchant, se relevant, trébuchant à nouveau…

 

Quand nous sommes enfin arrivés, les passeurs nous ont demandé de nous asseoir. Personnellement, j’étais assis sur un taillis !  Peu après, un groupe d’individus marchant pieds nus nous ordonnèrent d’avancer. Ils devaient sûrement appartenir au clan des passeurs.

 

Arrivés à ce qui devait être la côte, nous nous sommes assis sur la plage. On a entrevu un bateau arriver vers nous. Les passeurs nous ont dit que c’était le bateau en bois. Ils nous ont dit de monter un à un sans dire un mot, sans faire de bruit. »

 

Il s’agissait en effet d’un bateau en bois. Disons pour être plus réaliste, d’un rafiot.

 

Abou Fadi raconte la suite :

 

« On est monté. Le bateau a pris en principe la direction vers les eaux territoriales grecques. Le « capitaine » était un migrant qui n’avait aucune notion de la navigation maritime ! Il s’était porté volontaire pour ne pas payer le passage. Le passeur a indiqué la direction à prendre. Quelques migrants avaient un GPS et donnaient des indications. Après deux heures de navigation, nous n’étions toujours pas arrivés. Entre temps, une vedette rapide a remis le bateau sur ses « rails ». Il a continué à naviguer. Le « capitaine » a dit de prier pour qu’on arrive à bon port, accroissant ainsi la panique qui commençait à s’installer parmi les passagers.

 

La vedette rapide est revenue, un des passeurs est monté. Il a insulté le « capitaine » et a enfin orienté le bateau dans la bonne direction.

 

Après une heure de navigation, on a vu des lumières clignotant derrière notre bateau, nous invitant à arrêter. Le « capitaine » a lâché la barre. Il craignait de se faire arrêter par la police grecque. Conduisant le bateau, il risquait en effet 15 ans de prison pour trafic d’êtres humains. Il a coupé le moteur et est descendu changer de vêtements et s’est caché parmi les autres migrants.

 

Un autre migrant a redémarré le bateau. Il était jeune et accompagné de sa mère qui a demandé qu’on l’entoure pour le cacher aux garde-côtes.

 

Cependant au lieu d’aller en avant, il fit une fausse manœuvre et le bateau fit marche arrière tout en déclenchant l’alarme ! Les garde-côtes étaient tout proches à l’arrière et réitéraient leurs ordres de stopper. Le jeune migrant ayant rétabli la marche avant, a décidé de continuer en disant que si c’étaient des Turcs, ils nous refouleraient et que si c’étaient des Grecs, ils nous arrêteraient ! »

 

Enfin à bon « port »

 

Abou Fadi expose ensuite :

 

« On est enfin arrivé à la côte ! Le bateau s’est échoué dans le sable de la plage. Il y eut une bousculade lors de l’évacuation. J’ai commencé par accompagner mes deux filles de 20 et 23 ans. Mon fils de 15 ans est descendu avec sa mère ainsi que mes deux amis. Je suis ensuite descendu le dernier après m’être assuré que toute ma famille était sortie. J’avais auparavant jeté les bagages par-dessus bord.

 

Ensuite, nous avons grimpé une colline au sommet de laquelle deux voitures de la police grecque nous attendaient. Nous étions sur l’île de Kos. »

 

L’île de Kos se trouvait à 4 km à peine de Bodrum d’où les migrants du groupe d’Abou Fadi sont partis !

 

La police a interrogé les migrants pour connaître leur destination. Ce fut assez surprenant :

 

« La plupart des migrants qui étaient des musulmans voulaient aller en Belgique. »

 

Ils pensaient que la Belgique est le pays européen qui accueille le mieux les musulmans et ils pourraient y trouver des familles d’accueil ! Abou Fadi était quant à lui chrétien et avait étudié au préalable le pays où il aurait le plus de chances de se réfugier avec sa famille.

 

Mais il reste encore un long chemin à parcourir !

 

« La police nous a obligés à marcher presque trois heures sur la crête. Le jour commençait à poindre. Arrivés à un rond-point, la police nous a indiqué un camp de réfugiés tout proche.

 

Marchant vers ce camp, des personnes rencontrées nous ont dit de ne pas continuer, car il y avait des réfugiés afghans qui posaient de sérieux problèmes aux migrants arabes. Sur le chemin, il y avait une agence de voyage dont l’employé était originaire de Damas. Il nous a indiqué un hôtel proche, le Dorado beach. Nous y avons logé treize jours. On se rendait quotidiennement à la police pour avoir un sauf-conduit pour nous rendre à Athènes. Après quelques jours, la police a regroupé tous les gens du bateau sur une place et a compté 83 personnes. Ils ont pris à tout le monde les empreintes digitales des dix doigts. Nous sommes restés quatre heures à la police. Ils nous ont donné à manger. Mon épouse était furieuse et a pleuré en disant que nous n’étions pas des mendiants ! Et nous avons enfin reçus nos sauf-conduits pour nous rendre à Athènes. »

 

 

 

Vers Athènes, Paris et le Luxembourg grâce à de faux papiers !

 

« Le même jour, nous sommes passés à l’agence pour nous rendre à Athènes. Nous sommes allés à l’hôtel pour reprendre nos bagages. Nous avions 5 heures d’attente et le directeur nous a laissé les clés des chambres pour nous permettre d’aller aux toilettes.

 

On a pris le ferry. Après douze heures de trajet, on est arrivé à une ville nommée Perea non loin de la capitale grecque. Mon frère habite Athènes et nous a accueillis avec sa femme et ses enfants. Je lui ai demandé de louer un appartement.

 

On y est resté trois mois. Nous avions contact avec des personnes sur place. Nous avons fait plusieurs tentatives. On a été arrêtés plusieurs fois à l’aéroport et refoulés. On a trouvé un passeur qui avait un contact avec la sûreté de l’aéroport. Il nous a fourni de fausses cartes d’identité françaises. Arrivés à Paris, un ami avait réservé le TGV pour Luxembourg. 2 heures 10 de chemin de fer ! Nous avions au préalable brûlé nos faux papiers. Je suis resté deux jours à Luxembourg chez un ami. On est allé au ministère de l’immigration. On nous a logés avec toute la famille au Foyer Don Bosco. Après vingt jours, nous avons été transportés dans un hôtel à Beaufort. Après sept mois, nous avons reçu le permis de résident pour cinq ans au Luxembourg. Nous avons suivi des cours de français, de luxembourgeois et de vivre ensemble que nous avons tous réussis. Ainsi, nous avons reçu la nationalité luxembourgeoise. »

 

Que conclure ?

 

Que conclure de cette aventure ? Abou Fadi et sa famille eurent beaucoup de chances. De plus, comme bijoutier gérant une affaire prospère à Latakieh, il pouvait se permettre des trajets en avion et en TGV là où c’était possible. Il disposait aussi de réseaux aussi bien au Proche Orient qu’en Europe, ce qui lui facilita son parcours avec les siens.

 

Ce ne fut guère le cas de la plupart des migrants qui ont dû parcourir des centaines de kilomètres à pied en affrontant les pires périls aussi bien en Syrie qu’en Turquie et qu’en Europe. Beaucoup gisent sur le chemin. Nous avons assisté récemment au drame de migrants qui se rendant de Calais à la côte anglaise sur une frêle embarcation qui sombra corps et biens. Ces migrants sont à la fois à la merci des passeurs sans scrupule et des autorités locales qui ne peuvent prendre les décisions adéquates à leur égard, aggravant ainsi la tragédie qu’ils vivent et surtout aggravant une situation déjà bien tendue.

 

Abou Fadi dans la conclusion de l’interview a voulu absolument remercier les autorités luxembourgeoises pour leur accueil. Aujourd’hui, sa famille et lui sont des Luxembourgeois à part entière. Aussi, il faut bien admettre que les autorités grand-ducales conçoivent l’accueil des étrangers de manière bien plus positive et ouverte que l’Office belge des étrangers tout en demeurant très strictes.

 

Son récit devait être rapporté, parce qu’il est nécessaire à une vision juste des choses qui est indispensable.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

 

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21 décembre 2021 2 21 /12 /décembre /2021 11:24

 

 

 

Le monde progressiste n’a plus souvent l’occasion de se réjouir. La nette victoire du candidat de la gauche chilienne face à celui de l’extrême-droite est un événement majeur ! Il a force de symbole dans un pays qui a connu l’Unité populaire dirigée par cet homme exceptionnel que fut Salvador Allende qui fut renversé le 11 septembre 1973 par un putsch militaire d’une violence inouïe téléguidé par la CIA. S’en suivit près de vingt ans de dictature et d’instauration par la force d’une société néolibérale avec l’aide de Friedrich Hayek et de Milton Friedman de l’école de Chicago. La victoire de Gabriel Boric effacera-t-elle cette abomination de l’histoire ?

 

 

 

Gabriel Boric peut savourer sa victoire !

Gabriel Boric peut savourer sa victoire !

 

 

 

On dit que l’histoire ne repasse jamais le même plat. Cependant, restons vigilants. Si Boric l’a nettement emporté avec plus de 55 %, son adversaire Jose Antonio Kast a recueilli plus de 44 % des suffrages. Ce n’est pas rien ! N’oublions pas non plus que Kast devançait son adversaire de gauche de deux points au premier tour. C’est grâce à une forte mobilisation de l’électorat que le candidat de gauche l’a emporté. Cependant, Kast pourra éventuellement compter sur de puissants appuis extérieurs pour se redresser. Gabriel Boric en est sans doute conscient, car dans son discours de victoire, il a tendu la main à son adversaire, tout en promettant un système de sécurité sociale digne de ce nom, de nouveaux droits sociaux, une fiscalité moins favorable aux riches, une défense de l’environnement et la satisfaction des revendications féministes. Et puis, il devra mettre sur pied une nouvelle Constitution afin de garantir la pérennité d’un système et d’institutions démocratiques. C’est beaucoup ! Le danger est que Boric finisse par décevoir, car il va se heurter à de nombreux obstacles qui risquent de ralentir sa marche. Le premier d’entre eux, il ne dispose pas d’une majorité claire au Parlement. Bref, Gabriel Boric a pas mal d’atouts pour réussir, dont sa jeunesse, mais il devra surtout convaincre lorsqu’il gouvernera.

 

 

Salvador Allende aurait pu saluer la victoire de son lointain successeur.

Salvador Allende aurait pu saluer la victoire de son lointain successeur.

 

 

 

Boric sera-t-il l’électrochoc ?

 

Cette victoire réveillera-t-elle la gauche en Amérique latine et en Europe ? Pourra-t-elle être l’électrochoc indispensable à son redressement ? Espérons-le, mais le malade n’est pas loin des soins intensifs. On peut en douter.

 

Commençons par la France. Dans cette pré-campagne présidentielle, la gauche présente une image catastrophique. Les partis de gauche ne sont plus en état de faire partie d’un gouvernement. Le PS n’est plus que l’ombre de lui-même. Anne Hidalgo mène un début de campagne catastrophique, le PCF a perdu sa base ouvrière et son candidat est un parfait inconnu, la France Insoumise est une sorte de conglomérat d’individualités diverses, même si elle peut compter en son sein l’une ou l’autre personnalité à même d’apporter un renouveau comme François Truffin ou Adrien Quatrennens. Quant à Jean-Luc Mélenchon, son ego et sa fébrilité l’ont définitivement compromis. Quand on ne parvient pas à maîtriser ses nerfs, on ne prétend pas à la magistrature suprême ! Quant aux écologistes, ils cachent mal leurs divisions internes et leur candidat, Yannick Jadot, navigue à vue.

 

La sempiternelle « union de la gauche » tant souhaitée par les différentes formations se réclamant du progressisme n’est qu’une chimère. Anne Hidalgo a souhaité des primaires à gauche pour qu’on en finisse avec cette pléthore de candidats et sans doute pour qu’elle amorce une retraite honorable au terme d’une pré-campagne catastrophique. Pour seule réponse, se pointe la pré-candidature de Christine Taubira qui souhaite aussi des primaires à gauche espérant bien l’emporter. L’ancienne Garde des Sceaux symbolise la gauche « morale », mais elle entre dans l’arène sans programme ni base.

 

De toute façon, cette mosaïque des gauches françaises est – primaires ou non – dans la totale incapacité de répondre à l’offensive néolibérale d’un Macron qui durant son quinquennat, n’a reculé que sur un point, la réforme des retraites. Cela est dû à la pression efficace des organisations syndicales et particulièrement de la CGT tant décriée. Il ne faut pas oublier aussi le mécontentement populaire que la gauche n’a pas réussi à exploiter qui s’est concrétisé par les gilets jaunes durement réprimés par la police de Macron. Ce mécontentement est toujours là, même si les gilets jaunes semblent être neutralisés et risque de profiter à l’extrême-droite.

 

Résultats : les élections présidentielles françaises se jouent entre Macron, la droite « républicaine » bourgeoise représentée par Valérie Pécresse et les extrêmes-droites du RN et de Zemmour. L’enjeu est de savoir qui de Pécresse ou de l’extrême-droite se retrouvera au deuxième tour face à un Macron qui compte les points : il n’a pas encore fait acte de candidature.

 

 

 

Que va faire Emmanuel Macron ? Il est le maître du jeu.

Que va faire Emmanuel Macron ? Il est le maître du jeu.

 

 

 

La gauche en Belgique ne se porte pas beaucoup mieux. En Wallonie, certes, le PS se défend. Il contrôle le gouvernement wallon, mais fait preuve d’un immobilisme devenu coutumier et on ignore s’il arrivera à surmonter les écueils qui sont à l’horizon comme un énorme déficit budgétaire et un plan de relance qu’il n’arrive pas à peaufiner tant il est gangréné par le sous-régionalisme et le localisme. Des scandales l’ont affaibli comme l’affaire Nethys. A Bruxelles, la Fédération socialiste comme le parti Ecolo sont emberlificotés par le communautarisme. Au gouvernement fédéral, le PS est manifestement sur la défensive tant sur les dossiers socio-économiques que sur la crise sanitaire. Bref, le Parti socialiste n’est plus une force proposition. Il n’a plus de projet progressiste. Et ses engagements aussi bien sociaux que sociétaux sont flous. Quant à Ecolo, il passe de l’écologie punitive par des interdictions de toutes sortes à des projets politiques confus. Bref, le peuple (quel vilain mot !) ne se reconnaît plus en la gauche socialiste comme écologiste.

 

 

Paul Magnette, le Président du PS, ne sait plus à quel saint se vouer.

Paul Magnette, le Président du PS, ne sait plus à quel saint se vouer.

 

 

 

Aussi, il est clair qu’un électrochoc ne suffira pas. Ce sont les fondements de la gauche qui doivent être repensés. Que s’est-il donc passé ?

 

 

Le tournant libéral

 

Tout a commencé dans les années 1980-90. Ce fut ce qu’on a appelé le tournant libéral pris par plusieurs partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe sous l’impulsion du tandem Reagan-Thatcher. Mitterrand en 1983, les socialistes belges à peu près au même moment. Cela a contribué à renforcer la droite et a divisé la gauche en une aile « libérale sociale » et un courant radical essentiellement représenté par les syndicats.

 

 

 

François Mitterrand fut le plus ambigu Président de la République française. Était-il de gauche ou de droite ?

François Mitterrand fut le plus ambigu Président de la République française. Était-il de gauche ou de droite ?

 

 

 

Pour exister, la gauche est passée du social au sociétal. Si certains combats « sociétaux » étaient indispensables comme l’égalité hommes-femmes, la dépénalisation de l’avortement puis de l’euthanasie en Belgique, le statut des minorités sexuelles, celui des immigrés et leur représentation politique, la lutte contre le racisme ; le sociétal a abouti à plusieurs dérives qui portent un sévère préjudice au monde progressiste.

 

Par exemple, la gauche a renoncé à la laïcité au nom de la tolérance à l’égard de la religion, particulièrement la religion musulmane, au point d’en accepter certaines pratiques comme l’égorgement des animaux destinés à l’abattoir, ou la non-mixité à l’école, des réactions molles aux crimes des islamistes, etc. Résultat : c’est l’extrême-droite qui récupère la laïcité, ce qui est un comble, car elle se sert de la laïcité pour justifier ses thèses racistes ! Il y a là un manque évident de réflexion sur la vie en société de la part de la gauche.

 

Un autre aspect, la gauche n’est plus internationaliste. Elle s’est adaptée à la mondialisation ultralibérale. Un exemple fameux a été donné au début de la décennie 1990-2000 par Jacques Delors qui a œuvré pour le marché unique européen ayant eu l’illusion qu’en échange, on créerait l’Europe sociale !

 

La raison ne tonne plus en son cratère…

 

Stéphane Foucart dans « le Monde » du 9 décembre écrit fort justement : « La raison, la rationalité, la science, les Lumières d’un côté ; l’obscurantisme, l’irrationalité, les extrémismes et la déraison de l’autre. Inutile d’être un exégète très attentif de la conversation publique pour comprendre qu’il se joue là l’un des enjeux de la campagne présidentielle en cours. (…) La gauche se voit ainsi un peu plus dépouillée de son héritage. Comme la défense de la laïcité a quitté son giron pour être revendiquée par la droite – y compris extrême –, celle de la raison ne fait plus partie de ses prérogatives. C’est aujourd’hui la droite libérale, bien plus que la gauche, qui s’en prétend la gardienne et qui cherche à apparaître dans l’espace public comme dépositaire du rationalisme et de ses valeurs. »

 

Et il pose plus loin une question fondamentale : « Doit-on considérer la mondialisation et la financiarisation de l’économie comme une donnée intangible et ne recourir à la raison que pour en rationaliser le fonctionnement et en minimiser, par le marché et l’innovation technique, les dégâts sanitaires et environnementaux ? La raison doit-elle, plutôt, être prioritairement l’instrument d’une remise en cause du capitalisme et/ou de ses excès ? »

 

Et Foucart constate : « Si ces deux usages de la raison ne sont en théorie pas exclusifs l’un de l’autre, la montée en puissance de la question environnementale a conduit, ces dernières années, à les opposer. Après avoir conduit à des tiraillements dans le camp historique de la raison, cette polysémie a lentement fracturé la gauche, offrant à la droite libérale d’opérer une sorte de hold-up, et de récupérer à son profit le prestige et l’autorité du rationalisme. »

 

On a l’impression que la gauche d’aujourd’hui combat tout ce que la gauche d’hier adorait. Aussi, se trouve-t-elle en porte-à-faux et risque de perdre son rôle d’alternative à l’ultralibéralisme et de perdre définitivement sa crédibilité.

 

Ce n’est heureusement pas la gauche de Gabriel Boric qui a réussi à mener avec habileté la gauche au pouvoir au Chili. C’est sans doute du Sud que le monde du progrès se retrouvera.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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