« Parodie de justice » hurle Amnesty International après l’arrêt de la Haute Cour de Justice britannique d’autoriser l’extradition de Julian Assange qui n’avait pas été accordée en première instance.
Nils Muižnieks, directeur pour l’Europe d’Amnesty International, a déclaré :
« C’est une parodie de justice. En jugeant ce recours recevable, la Haute Cour a choisi de se satisfaire des assurances diplomatiques profondément biaisées offertes par les États-Unis, selon lesquelles Julian Assange ne serait pas détenu à l’isolement dans une prison de haute sécurité. Le fait que les États-Unis se soient réservé le droit de changer d’avis à tout moment montre bien que ces assurances ne valent même pas le papier sur lequel elles sont écrites.
« En cas d’extradition aux États-Unis, Julian Assange pourrait non seulement être jugé en vertu de la Loi relative à l’espionnage, mais aussi être exposé à un risque élevé de graves violations des droits humains en raison de conditions de détention pouvant s’apparenter à de la torture et à d’autres mauvais traitements.
« Sa mise en accusation par le gouvernement américain représente une grave menace pour la liberté de la presse, à la fois aux États-Unis et dans le reste du monde. Si elle est maintenue, elle fragilisera le rôle essentiel joué par les journalistes et les responsables de publication dans la surveillance des pouvoirs publics et la dénonciation de leurs méfaits – et elle obligera les journalistes du monde entier à sans cesse se méfier. »
Jamais Amnesty n’avait été aussi dur dans un communiqué au sujet de Julian Assange. Cette association s’est préoccupée fort tard de ce dossier, alors que Nils Melzer, le commissaire spécial des Nations Unies sur la torture, avait alerté les autorités et l’opinion depuis longtemps sur l’emprisonnement et les menaces injustes qui pesaient sur le fondateur de Wikileaks. (voir Uranopole : https://uranopole.over-blog.com/2020/04/j-accuse.html et https://uranopole.over-blog.com/2021/05/julian-assange-ou-la-persecution-permanente.html )
Le drame : malgré l’indignation de plus en plus importante de l’opinion internationale, Julian Assange ne bénéficie d’aucune protection, même pas celle de ses avocats qui ont très difficile à avoir accès à leur client et à son dossier. Et surtout, son gouvernement ne bouge pas d’un pouce pour tenter d’édulcorer son sort à la prison de Belmarsh appelée le « Guantanamo britannique » où manifestement les traitements qui lui sont infligés ont pour objet de le dégrader physiquement et mentalement.
Le journaliste britannique d’investigation Kit Klarenberg écrit chez nos amis du « Grand Soir » : « The Grayzone a obtenu des documents qui révèlent que le gouvernement australien était, dès le premier jour, parfaitement au courant du traitement cruel infligé à Julian dans la prison londonienne de haute sécurité de Belmarsh, et qu’il n’a rien fait, ou presque, pour y remédier. En fait, il a fait la sourde oreille au journaliste emprisonné, bien qu’il ait entendu son témoignage sur les conditions "si mauvaises que son cerveau s’éteignait".
Non seulement Canberra ne s’est pas opposé aux gouvernements américain et britannique qui supervisent l’emprisonnement et les poursuites judiciaires d’Assange, mais, comme ces documents le montrent avec force détails, elle semble avoir été de connivence avec eux dans la violation flagrante des droits de l’homme d’un citoyen australien, tout en faisant de son mieux pour cacher au public la réalité de sa situation. »
On oublie aussi qu’il s’est passé certaines choses depuis le jugement du tribunal londonien interdisant l’extradition d’Assange.
Par exemple, le témoin-clé de l’accusation contre Julain Assange, un escroc notoire, a admis en septembre avoir menti. En bonne justice, la Haute Cour qui était déjà saisie d’une procédure d’appel du jugement aurait dû ordonner une nouvelle instruction, car toute l’accusation est désormais ébranlée.
Les curieuses révélations de Yahoo News
D’autre part, en septembre, le site Yahoo News a publié des révélations pour le moins surprenantes sur un complot de la CIA pour enlever ou tuer Assange alors réfugié à l’ambassade d’Equateur. Bien que d’après Viktor Dedaj, cet article est bourré d’inexactitudes, la première étant que Consortium News avait déjà révélé l’existence d’un complot contre Assange.
Viktor Dedaj l'infatigable animateur du "Grand Soir" et traducteur des articles relatifs à l'affaire Assange. Il est ainsi un des meilleurs informateurs du public francophone sur cette affaire. Il exprime ici son scepticisme à l'égard des "révélations" de Yahoo News.
Voici ce qu’en dit en substance Joe Lauria de Consortium News (Le Grand Soir, 2 octobre 2021) :
« L’article de Yahoo ! fournit de nouveaux détails importants sur des faits signalés il y a un an, mais contient plusieurs erreurs, notamment une histoire inventée de toutes pièces selon laquelle des agents russes voulaient exfiltrer Assange de l’ambassade d’Équateur.
L’article de Yahoo ! News auquel on attribue à tort la révélation d’un complot de la CIA visant à assassiner ou à kidnapper l’éditeur de Wikileaks Julian Assange est truffé d’erreurs capitales, tout en fournissant de nouveaux détails importants sur les délibérations internes de Washington concernant la mise en place du complot.
Consortium News, ainsi que d’autres médias, a fait état il y a un an, le 30 septembre 2020, d’un complot de la CIA pour enlever ou empoisonner Julian Assange, sur la base d’un témoignage sous serment lors de l’audience d’extradition d’Assange à Londres. Max Blumenthal de The Grayzone a été le premier à rapporter l’histoire en mai 2020.
Le témoignage de septembre 2020, présenté pour la première fois devant un tribunal de Madrid, provenait d’un ancien associé et d’un employé d’UC Global, la société de sécurité espagnole payée par la CIA pour espionner Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres, y compris les conversations privilégiées d’Assange avec ses avocats et ses médecins.
L’un des témoins a déclaré qu’en décembre 2017, "les États-Unis étaient désespérés" de faire sortir Assange de l’ambassade, et que "des mesures plus extrêmes devaient être utilisées."
Un témoin a déclaré que le PDG d’UC Global, David Morales, lui avait dit de "Laisser la porte de l’ambassade ouverte pour permettre à M. Assange d’être kidnappé et même que l’empoisonnement était envisagé". Les deux témoins ont contacté un avocat qui s’est adressé à un tribunal de Madrid, lequel a ordonné un mandat d’arrêt, une perquisition au domicile de Morales et a émis des accusations contre lui pour espionnage d’Assange.
La réaction à l’article publié dimanche par Yahoo ! News prouve l’axiome selon lequel tant qu’un événement n’apparaît pas dans les médias grand public, il ne s’est pas produit. En effet, les médias établis ont largement ignoré cette histoire il y a un an, lorsqu’elle a été révélée au tribunal. L’article de Yahoo ! a maintenant été couvert par CNN, MSNBC, The Guardian et d’autres médias institutionnels, ce qui a permis à un public plus large d’en prendre connaissance pour la première fois et de faire pression sur l’administration Biden pour qu’elle abandonne l’affaire.
Ni le New York Times ni le Washington Post n’en ont parlé jusqu’à présent et n’ont pas couvert le témoignage de l’employé d’UC Global en septembre 2020. Le Guardian est l’un des rares grands médias à avoir rapporté l’affaire lorsqu’elle est apparue au tribunal. Yahoo ! a enterré profondément dans son article le fait que le Guardian avait déjà couvert l’affaire à l’époque (ils n’étaient ni les premiers ni les seuls), donnant ainsi l’impression que Yahoo ! révélait l’histoire pour la première fois.
Si l’article de Yahoo ! fait progresser l’histoire en confirmant à Washington le témoignage des témoins de UC Global et en apportant pour la première fois des détails cruciaux provenant de sources du renseignement américain, notamment le rôle de Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, dans le complot (voir ci-dessous), il contient un certain nombre d’erreurs factuelles.
- Yahoo ! rapporte sans critique une histoire inventée de toutes pièces selon laquelle la Russie aurait tenté d’extraire Assange de l’ambassade d’Équateur.
- Yahoo ! rapporte faussement que l’administration Obama n’a pris aucune mesure contre Assange jusqu’à ce que Wikileaks aide le lanceur d’alerte Edward Snowden à s’échapper de Hong Kong en 2013, alors que le FBI d’Obama a en fait mené une opération d’infiltration contre Assange en Islande en 2011, et a constitué un grand jury la même année, des faits qui ne sont pas mentionnés dans L’article de Yahoo !
- Yahoo ! considère comme un fait que la Russie a piraté les Démocrates et a donné ses courriels à Assange, bien qu’il ne s’agisse que d’allégations dans un acte d’accusation américain, et ignore le témoignage au Congrès du PDG de Crowd Strike selon lequel il n’y avait aucune preuve concrète d’un piratage ayant entraîné le vol de données.
L’idée maîtresse de l’article de Yahoo ! est que l’administration Obama a été bonne envers Assange, tandis que des éléments de l’administration Trump ont comploté l’assassinat ou l’enlèvement avant de choisir la voie acceptable d’une action en justice contre Assange. Mais l’affaire juridique est également troublante. »
Il faut bien admettre que c’est un peu gros ! On sent là une réelle tentative de désinformation sans doute pour couvrir certains agents des services secrets étatsuniens. Cependant, l’existence de ce complot prouvée depuis plus d’un an par un site libre, Consortium News, l’est aussi par un organe « mainstream », Yahoo News ! Là aussi, une nouvelle instruction devrait être ordonnée. Et on devrait cesser de traiter les partisans de Julian Assange de complotistes, car, ici, le complot est vraiment du côté de ses ennemis.
Le rôle majeur de l’Etat profond
Il est surtout dans l’Etat profond qui devient de plus en plus dominant dans le monde occidental. Certes, les médias « mainstream » disent que l’Etat profond n’existe pas et que c’est un fantasme des « complotistes ». Un peu court !
D’abord, qu’est-ce que l’Etat profond ? Samuel P Huntington, l’auteur du fameux Choc des civilisations, a écrit dans un autre ouvrage : « Le pouvoir ne peut rester fort que lorsqu’il est maintenu dans l’ombre ; lorsqu’il est exposé à la lumière du jour, il commence à s’évaporer. » (Samuel P. Huntington, Politics, The Promise of Disharmony, Belknap Press, Cambridge, 1981, cité par Peter Dale Scott, L’Etat profond américain, ed. Demi-Lune, Paris, 2015). Le même Peter Dale Scott définit ainsi l’Etat profond : « Il s’agit d’un pouvoir qui ne provient pas de la Constitution, mais de sources extérieures à celle-ci, et qui est plus puissant que l’Etat public. »
Le « New York Times » lui-même a repris la notion d’Etat profond après le déclenchement de l’affaire Edward Snowden qu’il définit comme « un niveau de gouvernement ou de super-contrôle difficilement perceptible qui se maintient quel que soit le résultat des élections et qui est susceptible de contrecarrer les mouvements sociaux ou les changements radicaux. »
Concrètement, l’Etat profond réunit les services secrets, certains services de police, des éléments du pouvoir judiciaire et surtout des grandes entreprises privées comme Google que Julian Assange avait dénoncé dans un ouvrage fameux : « Google contre Wikileaks », éditions Ring, 2018.
C’est donc cet Etat profond qui est l’instrument efficace de la droite néoconservatrice anglo-saxonne et des grandes entreprises transnationales comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Il a décidé d’avoir la peau de Julian Assange qui, par son génie informatique, a réussi à démonter leurs procédures et surtout qui, grâce à sa collaboration avec Chelsea Manning, a révélé les crimes de guerre US en Irak et en Afghanistan. Parce qu’il a réussi à pénétrer au cœur de leur système, Assange représente donc un danger majeur et le sort qu’on lui réserve doit avant tout servir d’exemple pour ceux qui souhaiteraient poursuivre son œuvre.
Et demain ?
L’objectif de cette interminable procédure d’extradition, à mon sens, est justement de ne pas y procéder. Enfermé dans des conditions abominables dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, Julian Assange se dégrade dangereusement aussi bien sur le plan physique que mental. Il n’est plus que l’ombre de lui-même et il tombera sans doute gravement malade, dernière étape avant une issue fatale. Stella Morris, son épouse et mère de ses deux enfants, a récemment révélé qu’il a fait un petit AVC. (Voir ci-dessous « Déclaration de Doctors for Assange »)
Si un nouveau recours est possible contre la décision de la Haute Cour de Justice et si elle est lancée, Assange croupira encore des mois dans le « Guantanamo britannique », et se dégradera de plus en plus, la Justice britannique en cette affaire étant d’une lenteur toute particulière.
De toute façon quelle que soit l’issue donnée, extradition ou non, l’Etat profond aura réussi à détruire un homme à petit feu, en cherchant à éteindre la flamme de la liberté de la presse.
Mais, là, il lui reste encore beaucoup de boulot et à nous aussi.
Pierre Verhas
Déclaration de Doctors for Assange (1)
La fiancée de Julian Assange, Stella Moris, a annoncé hier que M. Assange a eu un "mini-AVC" le 27 octobre, le premier jour de sa dernière audience d’extradition, selon le Daily Mail. Il aurait été "laissé avec une paupière droite tombante, des problèmes de mémoire et des signes de dommages neurologiques".
Cette dangereuse détérioration de la santé de M. Assange souligne les préoccupations urgentes soulevées par Doctors for Assange au cours des deux dernières années. Par conséquent, une fois de plus, Doctors for Assange demande que M. Assange soit libéré de prison afin qu’il puisse avoir accès à des soins médicaux cohérents, de qualité et indépendants - ce qu’il lui est impossible d’obtenir dans la prison de Belmarsh. Nous réaffirmons que M. Assange n’est pas en état de subir un procès d’extradition. En outre, il est hors de question de l’extrader vers les conditions difficiles du système pénitentiaire américain, qui est inhumain. Il devrait donc être libéré immédiatement et définitivement de prison.
Cette dernière urgence médicale vient s’ajouter à l’état de santé déjà catastrophique de M. Assange, dû à sa torture psychologique prolongée. Il s’agit notamment de onze années de détention arbitraire, de négligence médicale, d’isolement cellulaire, d’obstruction à l’accès à ses avocats et de poursuites judiciaires orwelliennes qui ont violé l’État de droit et les procédures régulières :
- les principales accusations contenues dans l’acte d’accusation américain contre M. Assange sont entachées de mensonges purs et simples et de maigres faits ;
- M. Assange et son équipe juridique ont été surveillés par la CIA ; et
- M. Assange a été pris pour cible par l’agence dans le cadre d’un plan visant à l’enlever et à l’assassiner.
Pendant tout ce temps, M. Assange a fait l’objet d’une campagne de propagande concertée dans les grands médias du monde entier.
L’assurance que M. Assange ne sera pas soumis à des conditions de détention difficiles par l’agence même qui a comploté pour le kidnapper et l’assassiner est grotesque. Le fait que la Haute Cour accepte une proposition aussi ridicule, décrivant les assurances comme des "engagements solennels offerts par un gouvernement à un autre", remet sérieusement en question l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire britannique.
La santé de M. Assange et la santé de notre démocratie, qui dépend d’une presse libre et de l’intégrité judiciaire, sont toutes deux gravement menacées. Cette affaire honteuse et profondément préjudiciable doit être abandonnée immédiatement, et Julian Assange doit retrouver la liberté qu’il mérite depuis longtemps.
12 déc. 2021
Traduction par Viktor Dedaj
»» https://doctorsforassange.org/d4a-statement-12-12-2021/
URL de cet article 37603
https://www.legrandsoir.info/declaration-de-doctors-for-assange.html
- Déclaration diffusée par « le Grand Soir » du 12 décembre 2021