Et encore une ! Voilà que l’ICIJ – le consortium international de journalistes d’investigation regroupant des journalistes appartenant aux plus grands organes de presse occidentaux – vient de sortir un énième rapport sur la grande fraude fiscale, les « Pandora papers », Pandora dans le sens boîte de Pandore. Cela provoque un séisme médiatique. On peut cependant douter de l’ampleur des répliques politiques et judiciaires en l’occurrence. Et il y a fort à parier qu’une fois le peu de dégâts réparés, ce sera business as usual.
Après les Luxleaks, Panama papers et autres Paradise papers, voici les Pandora papers. En définitive, c’est la multiplication du même à cette différence près que sont impliqués nommément des Premiers ministres et des Chefs d’Etat d’Europe, de Russie, d’Afrique d’Amérique du Sud et du Proche-Orient, ainsi que de célèbres personnalités du show business. Mais posons-nous la question : pourquoi ces fuites ?
Il y a cinq ans, nous avons publié sur le blog « Uranopole » un article relatif aux #Panama papers ( https://uranopole.over-blog.com/2016/04/curieux-papiers.html ) où nous citions les commentaires de spécialistes des finances et des circuits financiers, comme l’avocate Sabrina Scarna spécialiste en droit fiscal et chargée de conférence à la Solvay Business School à l’ULB et Paul Jorion qui n’est plus à présenter. Il n’y a rien à changer à leurs propos tenus en 2016.
Une indignation savamment orchestrée
« Si on écoute une spécialiste comme Sabrina Scarna, avocate au barreau de Bruxelles et chargée de cours à Solvay Brussels School – la HEC de l’ULB – « Les gens qui fonctionnent dans des structures pareilles, je les appelle les derniers des Mohicans. » (Le « Soir » 9/10 avril 2016). Autrement dit, le système « off shore » est dépassé et a depuis longtemps été remplacé.
Cependant, tout cela n’a pas manqué de provoquer une réaction d’indignation dans le monde, mais cette réaction est-elle si spontanée ?
Que voilà, en effet, une indignation savamment orchestrée ! Une fois de plus, on invite le bon peuple à découvrir la Lune via des journaux comme le « Guardian », le « Monde », le « Soir », etc. ; en tout 109 rédactions dans 76 pays. Tous organes de presse assez proches du pouvoir.
De là à se poser des questions sur les objectifs réels de cette immense campagne de « révélations », il n’y a qu’un pas à franchir !
Paul Jorion qui n’est pas spécialement un « complotiste » se pose lui aussi des questions : « Comment se fait-il qu’on s’indigne à certains moments de choses connues depuis des années ? De gros livres existent sur les paradis fiscaux, tous les mécanismes y ont été décrits. Un des plus récents, Treasure islands : tax havens and the men who stole the world (Iles au trésor : les havres fiscaux et les personnes qui ont volé le monde) de Nicolas Shaxson, a été en 2011 un best-seller aux Etats-Unis. »
Et il ajoute : « … je ne pense pas que ces fuites surviennent par hasard. Le Monde et Süddeutche Zeitung ne sont pas des journaux révolutionnaires. En février 2010, Der Spiegel avait eu des fuites, qui révélaient que la Grèce avait trafiqué ses comptes pour entrer dans la zone euro. Quelle en était l’origine : Angela Merkel elle-même, ou Jens Weidmann, le président de la Banque centrale allemande ? Des choses sont sues dont personne ne s’indigne, puis l’indignation apparaît soudainement… »
Il s’agit d’un grand travail journalistique.
Entendons-nous bien : les journalistes d’investigation regroupés dans l’ICIJ exercent leur métier avec honnêteté, rigueur et courage. Cependant, on peut se poser des questions sur ce consortium. Son financement permet de douter de l’indépendance de cet organisme. Dans le même article, nous notions :
« Le Consortium international des journalistes d’investigation qui se présente comme une Organisation non gouvernementale. L’acronyme anglais est ICIJ. Son siège est à Washington et il est financé par :
- La fondation Ford
- La fondation Carnegie
- La fondation de la famille Rockefeller
- La Fondation W K Kellogg
- La Fondation pour une société ouverte (du milliardaire Soros)
L’ICIJ fait partie du Projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP) qui est financé par le gouvernement américain à travers l’USAID (l’agence de coopération internationale du gouvernement US).
À voir ses sources de financement on peut légitimement – sans tomber dans un « antiaméricanisme » primaire – se poser des questions sur l’indépendance de l’ICIJ… et sur son caractère « non gouvernemental » !
Quid des Etats-Unis ?
Remarquons que comme dans les « papers » précédents, il ne figure dans les Pandora papers aucun nom de personnalité politique ou du show business étatsunienne. Les Etats-Unis auraient-ils intérêt à contribuer aux investigations sur la grande fraude fiscale dans le monde sauf chez eux ?
Le « Monde » du 6 octobre le rappelle : Le 3 juin, la Maison Blanche a publié un mémorandum établissant la lutte contre la corruption comme une priorité nationale. S’exprimant devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 21 septembre, Joe Biden avait estimé que « la corruption (…) se répand par-delà les frontières, et génère des souffrances humaines. Ce n’est rien de moins qu’une menace à la sécurité nationale au XXIe siècle ». Cependant, on « oublie » de signaler que Biden fut durant trente-six ans sénateur de l’Etat du Delaware qui est un paradis fiscal au sein de l’Union au même titre que l’Alaska, le Nevada, le New Hampshire et surtout le Dakota du Sud. Donc, aux USA on fraude entre soi !
Cela dit, ces révélations par épisodes montrent qu’il existe un système financier mondial parallèle à l’économie financière classique. Les « Pandora », « Paname », « Dubaï » papers et autres Luxleaks ne sont que l’infime partie d’une galaxie de société offshore établies dans tous les paradis fiscaux et pays où l’investigation est quasi impossible. C’est d’ailleurs ce qu’a démontré le juge Michel Claise dans une interview au journal conservateur belge La Libre Belgique que nous avons rapportée dans notre précédente livraison.
Les économistes atterrés (une association d’économistes français n’adhérant pas à l’école classique) écrivent de leur côté : « Si ce système prospère, c’est parce que certaines institutions jouent un rôle de facilitateur, qu’il s’agisse de banques, de cabinets d'avocats ou de comptables aux États-Unis comme en Europe ». Les Pandora Papers représentent l’enquête la plus importante jamais menée par le Consortium ICIJ et ses partenaires. Bravo à eux ! Durant de nombreux mois, 600 journalistes de 150 médias répartis dans 117 pays ont épluché 11,9 millions de documents issus de 14 cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore. »
L’Union européenne complice ?
Comme institution, il y a entre autres l’Union européenne. Le ‘Monde » là aussi explique :
l’ICIJ s’interroge sur l’efficacité de certaines des mesures prises jusqu’ici par l’Union européenne, comme la fin du secret bancaire, ou l’échange automatique d’informations entre Etats sur les comptes des citoyens à l’étranger. Ainsi, la très grande majorité des Etats cités dans ce scandale, comme Hongkong, Belize, les îles Vierges britanniques, ou encore Chypre, ne font pas partie des paradis fiscaux inscrits sur une liste de l’UE créée en décembre 2017 après les « Panama Papers » et « LuxLeaks », et dont les pays qui y figurent peuvent se voir privés de fonds européens. Autrement dit, les dirigeants européens si prompts à donner des leçons aux Etats-membres sur leurs déficits, ferment les yeux sur bien des choses en matière d’évasion fiscale !
Le capitalisme du mélange
Alors, que conclure ? Si on se réfère aux propos du juge Claise et de l’ancien juge français Van Ruymbeke, les dés sont pipés. La corruption se généralise. Les paradis fiscaux malgré tout « protégés » par les institutions officielles sont aussi des paradis judiciaires dans lesquels aucune juridiction nationale ou internationale ne peut intervenir. Pire, l’origine de la plupart des fonds déposés dans ces paradis fiscaux est camouflée par les milliers de sociétés offshore. Aussi, l’argent de la drogue cohabite avec les fonds de richards, de clubs de football, de banques, etc. C’est le capitalisme du mélange !
Assez paradoxalement, ce capitalisme du mélange qui arrive aisément à passer au-dessus des Justices nationales et internationales presque totalement désarmées, pourrait être à l’origine d’une crise financière sans précédent qui pourrait sonner à terme le glas du capitalisme.
Pierre Verhas