En reposant “Pensées et Souvenirs “, les mémoires -très bien écrites- de Bismarck, les images se bousculent dans ma tête. Il est fascinant de constater comment un seul homme a pu ainsi façonner, modeler la destinée de son pays voire celle de l’Europe.
La victoire de Sadowa sur les Autrichiens qui permet à la Prusse de conquérir définitivement une position de leader sur l’échiquier Centre Europe. La neutralité bienveillante de la France de l’époque avec un Napoléon III naïf qui ne comprend pas que le prochain à être “mangé tout cru”, cela risque d’être lui.
La bataille de Sadowa où l’Autriche est vaincue par la Prusse en 1866
L’Empire allemand, le IIème Reich, qui se constitue sur notre propre sol, dans la Galerie des Glaces du château de Versailles. Cet acte de puissance, cette gloire germanique qui naît sur les décombres d’une France humiliée.
La fondation du IIème Reich dans la Galerie des Glaces du château de Versailles en 1871
A un moment, les éléments jusque-là épars pour moi s’ordonnent d’eux-mêmes. Bismarck a su construire une Prusse et un Empire puissant. Avec talent, en sachant conjuguer la force industrielle à celle d’une armée bien organisée. Avec rouerie, en jouant notamment sur la faiblesse d’une Autriche incapable d’avoir une ligne diplomatique claire. Avec un certain sens du social en permettant des réformes internes protégeant le monde ouvrier et coupant l’herbe sous le pied des socialistes.
Mais que devient cette Allemagne sans Bismarck ? Une formidable machine tournant “à vide”, risquant à tout moment de s’emballer en mettant en péril les fragiles équilibres européens ? Le fait que l’Empire allemand n’ait pas réussi à trouver de successeur digne du Chancelier défunt n’est-elle pas l’une des sources de l’instabilité actuelle de notre monde occidental ?
” Bismarck reviens ! L’Europe a besoin de toi ! ” pourrait-on s’exclamer après une première analyse.
En poussant un peu plus loin la réflexion, je repense à cette appréciation portée par un jeune fonctionnaire britannique de l’Indian Office (je ne me rappelle plus bien son nom, un certain “Keynes”, je crois) qui compare Clemenceau à un “Bismarck français”. La clef pour comprendre la situation actuelle n’est-elle pas dans cette appréciation, cette comparaison stimulante mais, à mon avis, erronée ?
En effet, l’Allemagne n’est-elle pas victime d’un double handicap, dont Bismarck serait, malgré lui, responsable ?
- Construite grâce au génie d’un grand homme, le Reich souffre dès la disparition de ce dernier. Clemenceau, au contraire, doté d’un pouvoir réel beaucoup plus faible que le Chancelier (La Chambre française peut à tout moment renverser le gouvernement alors que le Chancelier ne dépendait que du souverain), n’occupe pas une place aussi indispensable. Son départ du pouvoir ne serait pas un drame équivalent. La France continuerait à avancer, à progresser.
- Clemenceau subordonne l’ensemble de son action à la réalisation d’une France qu’il souhaite “juste”. Bismarck voulait, pour sa part, la réussite de la dynastie et de l’Etat qu’il servait mais sans objectif de justice. Le “social” et la démocratie -réelle- mise en place (les parlementaires allemands sont élus au suffrage universel) n’étaient pas pour lui des buts (ou des idéaux) mais des moyens, des compromis temporaires et pragmatiques, destinés à se plier aux réalités du monde moderne, ni plus ni moins. Bismarck disparu, les “moyens” démocratiques utilisés pour construire l’Etat allemand risquent de se lézarder et ne reste que la seule volonté de puissance germanique, maniée par des apprentis sorciers comme Guillaume II et certains de ses proches conseillers.