Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
  • Contact

Recherche

6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 17:23

IIe partie : L’obstiné refus

 

Passons plusieurs années. De la fin de la guerre de 1948 jusqu’à la guerre dite des « Six jours » de juin 1967, la situation était figée. Aucun Etat arabe n’avait voulu reconnaître l’Etat d’Israël. Les voisins d’Israël, par exemple la Syrie et l’Egypte qui, sous l’impulsion de Gamal Abdel Nasser, avaient fondé en 1958 l’éphémère « République arabe unie » s’obstinaient à nier l’existence de l’Etat hébreu. Des escarmouches avaient lieu de part et d’autre. Du plateau du Golan, les Syriens tiraient des obus sur le Nord d’Israël. Des commandos israéliens traversaient la frontière pour neutraliser des unités arabes trop menaçantes.

Les réfugiés palestiniens seront la plaie d'Israël.

Les réfugiés palestiniens seront la plaie d'Israël.

Mais, le foyer de tensions est et reste la question des réfugiés palestiniens. Les Palestiniens expulsés en 1948 avaient gardé l’espoir d’un retour et les pays arabes ne les accueillaient pas à bras ouverts. Les camps de réfugiés s’implantèrent donc près de la frontière israélienne, notamment en Cisjordanie et aussi à Gaza. Régulièrement, des commandos palestiniens, appelés à l’époque les « fedayin », s’infiltraient et commettaient des attentats contre les kibboutzim dont beaucoup longeaient la frontière également et contre des villages isolés. Cela a provoqué un climat de terreur qui a empoisonné la vie des Israéliens depuis la fondation de l’Etat. Et ce sentiment de terreur a incontestablement joué dans l’opinion publique israélienne.

 

Gaza : premier Etat palestinien

 

Gaza jouissait d’un statut particulier. Lisons encore Alain Gresh : « La bande de Gaza — trois cent soixante kilomètres carrés comprenant les villes de Gaza, Khan Younès et Rafah — passe [après la défaite arabe de 1948] sous administration militaire égyptienne mais ne sera pas annexée ; elle restera le seul territoire palestinien sur lequel ne s’exerce aucune souveraineté étrangère. Aux quatre-vingt mille habitants autochtones sont venus s’ajouter plus de deux cent mille réfugiés expulsés par l’armée israélienne, qui vivent dans des conditions misérables et n’aspirent qu’au retour dans leurs foyers. Cette présence massive de réfugiés et le statut particulier du territoire vont faire de Gaza l’un des centres de la renaissance politique palestinienne. »

 

Et l’auteur décrit cette renaissance qui a eu lieu après la crise de Suez en 1956 et l’occupation du Sinaï et de Gaza par Israël qui s’en est retiré en mars 1957 : « De leur expérience à Gaza, une poignée de jeunes gens vont tirer une leçon opposée. Ils ont directement affronté Israël et mesuré combien le soutien arabe, même celui de Nasser, est conditionnel — nombre d’entre eux connaîtront d’ailleurs les prisons égyptiennes. Ils estiment que la libération de la Palestine ne peut être que l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes. Ils se retrouveront en 1959 autour de Yasser Arafat, réfugié à Gaza en 1948, pour fonder le Fatah, acronyme inversé en arabe de « Mouvement national palestinien ». Parmi les militants gazaouis de la première heure amenés à jouer un rôle central dans les années 1970-1980, on compte Salah Khalaf (Abou Iyad) ; Khalil Al-Wazir (Abou Jihad), qui deviendra le numéro deux du Fatah et sera assassiné par les Israéliens à Tunis en 1988 ; ou encore Kamal Adouan, assassiné par un commando israélien à Beyrouth en 1973. » C’est donc une force politique qui se met en place, mais, à l’époque, son influence est mineure.

Gamal Abdel Nasser appuya efficacement la résistence palestinienne.

Gamal Abdel Nasser appuya efficacement la résistence palestinienne.

Les Etats arabes, quant à eux, vont d’échecs en échecs. La République Arabe Unie éclate en 1961 et leur déchéance fut la guerre des Six Jours de juin 1967 qui vit Israël occuper au Sud, Gaza et le Sinaï bloquant le canal de Suez pour des années, annexer le Golan au Nord et Jérusalem à l’Est, tout en envahissant la Cisjordanie. Jamais les Etats arabes ne subirent une telle défaite, mais la victoire de Tsahal posa plus de questions qu’elle n’apporta de réponses. Que faire des territoires ? Certains souhaitaient les rendre en échange d’une reconnaissance et d’une rectification des frontières de 1967, d’autres, particulièrement les religieux, voulaient, au contraire, les annexer considérant qu’ils étaient partie intégrante de l’Israël biblique. Quant à Jérusalem, il y avait unanimité pour considérer qu’elle est désormais la capitale d’Israël et que les Lieux saints lui appartiennent.

 

Les vainqueurs de la guerre des Six jours à Jérusalem. Au centre, Moshe Dayan ne souhaitait pas garder les territoires occupés et les lieux saints de Jérusalem. A sa gauche Ithzak Rabin.

Les vainqueurs de la guerre des Six jours à Jérusalem. Au centre, Moshe Dayan ne souhaitait pas garder les territoires occupés et les lieux saints de Jérusalem. A sa gauche Ithzak Rabin.

 

Un seul ennemi

 

Aussi, il ne reste plus à Israël qu’un seul ennemi : les Palestiniens. Malgré cela, les Israéliens n’ont jamais admis le fait palestinien. À l’exception de quelques intellectuels comme l’écrivain Amos Oz, par ailleurs opposé aux actuelles opérations militaires contre Gaza, qui, après la guerre des Six jours, prônait un Etat palestinien, les Israéliens considéraient que les Arabes de Palestine devaient en s’exilant s’intégrer aisément dans d’autres Etats arabes et ainsi, il n’était pas nécessaire de reconnaître l’existence politique des Palestiniens. Cela n’a pas été le cas et les Palestiniens réussiront à imposer, parfois par la force, leur réalité politique. Désormais, tout l’effort de guerre d’Israël est consacré à la lutte contre les Palestiniens.

 

Amos Oz considéré comme le plus grand écrivain d'Israël a toujours plaidé pour la constitution d'un Etat palestinien.

Amos Oz considéré comme le plus grand écrivain d'Israël a toujours plaidé pour la constitution d'un Etat palestinien.

 

Gaza, bien qu’occupée, voit la naissance d’un mouvement de résistance sur le modèle du FLN algérien. La première attaque a lieu le 11 juin 1967, soit le lendemain de la signature du cessez-le-feu en entre Israël et les Etats arabes. Sur le plan politique, avec l’aval de Nasser, le Fatah prit les rênes de l’OLP qui avait été jusqu’alors dirigée par un démagogue du nom de Choukeiry qui vociférait des déclarations sanguinaires contre les Juifs. La nouvelle OLP était devenue une force politique et militaire avec laquelle il fallait compter. La lutte armée se prolongea jusqu’en 1971.

 

La reconnaissance des Islamistes par Israël

 

Il y a un élément important qui a été passé sous silence. Au départ, les Frères musulmans qui sont bien implantés à Gaza refusèrent de s’inscrire dans cette résistance armée. Ils privilégiaient l’action sociale auprès des Palestiniens de Gaza. L’autorité occupante israélienne voit en cette mouvance un contrepoids à l’OLP. Un centre islamique est fondé par le cheikh Ahmed Yassine. Il s’appelle le centre islamique et est légalisé par l’occupant. Alain Gresh ajoute : « Mais cet attentisme — l’heure de la résistance ne serait pas encore arrivée — suscite des remous, et une scission aboutit à la création, au début des années 1980, du Djihad islamique. »

 

Cheikh Yassine, un des dirigeants religieux les plus fanatiques, fut "'homme"  d'Israël à Gaza.

Cheikh Yassine, un des dirigeants religieux les plus fanatiques, fut "'homme" d'Israël à Gaza.

 

En décembre 1987, éclate à Gaza la première Intifada. Et comme l’écrit Gresh, elle aura une double conséquence : « D’une part, les Frères musulmans impriment un tournant majeur à leur stratégie en créant le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), qui participe à l’Intifada mais refuse le front uni avec les autres organisations. D’autre part, l’OLP utilisera cette révolte pour renforcer son crédit et pour négocier les accords d’Oslo... »

 

Ainsi, le Hamas est né de l’Intifada et est issu des Frères musulmans que les Israéliens ont favorisés dès les années 1970 pour contrer l’OLP qui avait provoqué des attentats spectaculaires comme de nombreux détournements d’avions, comme l’attaque de la délégation israélienne aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, etc. L’OLP était donc l’ennemi à abattre.

 

L’OLP n’a pas été vaincue.

 

En dépit de l’incursion israélienne au Liban en 1982 pour en chasser l’OLP et qui déstabilisa pour longtemps ce pays à peine sorti de la guerre civile, où des massacres furent perpétrés avec la complicité d’éléments israéliens à Sabra et Chatila, l’OLP ne fut guère affaiblie. Arafat se réfugia en Tunisie. Mais le problème subsistait : que faire avec les Palestiniens ?

 

Yasser Arafat fut le dirigeant inconstest de l'OLP.

Yasser Arafat fut le dirigeant inconstest de l'OLP.

 

Sous l’impulsion d’Itzhak Rabin, malgré une opposition farouche de la droite israélienne et des religieux, des négociations eurent lieu avec l’appui de Clinton, alors Président des USA. Des accords dits d’Oslo furent finalement signés entre Rabin et Arafat à Washington le 13 septembre 1993. Si les Palestiniens n’avaient pas un Etat, ils obtinrent une « Autorité » sur Gaza et la Cisjordanie. Cette Autorité palestinienne s’installa d’ailleurs à Gaza le 1er juillet 1994.

 

Mais tout va être remis en question.

 

Le 4 novembre 1995, Itzhak Rabin est assassiné lors d’un rassemblement sur une place à Tel Aviv qui porte désormais son nom. L’auteur, un jeune Juif religieux, n’éprouva aucun remord de son acte. Rabin était le traître à éliminer. Les accords d’Oslo étaient « impurs ». Un terrible fanatisme gangrène la société israélienne. Il émane surtout des colonies de Cisjordanie où s’est fondé le « Goush emounim » (bloc de la foi) qui a un poids politique majeur dans l’Etat hébreu.

 

Ithzak Rabin : il a payé de sa vie sa volonté de paix.

Ithzak Rabin : il a payé de sa vie sa volonté de paix.

 

L’assassinat de Rabin eut pour effet paradoxal la montée en puissance du courant religieux. La réaction de la gauche israélienne fut d’une mollesse incroyable ! La stratégie de Shimon Pérès qui a succédé à Rabin est ahurissante. Charles Enderlin écrit dans son excellent ouvrage « Au nom du Temple » (Seuil, 2013) : « Pérès veut, en fait, mettre au profit le choc créé par l’assassinat de Rabin pour tenter d’obtenir le soutien d’une partie de la droite religieuse et conférer ainsi une vraie légitimité au processus d’Oslo. » Quel aveuglement ! Alors qu’il est manifeste, et cela sera prouvé très rapidement, que c’est l’extrême-droite religieuse qui est derrière Yigal Amir, l’assassin d’Itzhak Rabin, Pérès ouvre un boulevard à la droite qui n’a jamais accepté Oslo ! Il signe ainsi l’arrêt de mort de la gauche et du progressisme en Israël, qui, pourtant, se renforçaient grâce au mouvement Shalom Arshav (La paix maintenant). Mais l’assassinat eut raison de cette dynamique.

 

La plaie de l’intégrisme

 

Ainsi, et nous passons encore quelques épisodes sanglants, les positions se radicalisèrent dans les deux camps à la fois par la montée des intégrismes religieux et par le blocage total des négociations pudiquement appelées « processus de paix ».

 

Aux vagues d’attentats palestiniens succèdent une répression souvent aveugle de Tsahal et aussi des éléments les plus extrémistes des « colonies » de plus en plus nombreuses qui n’hésitent pas à attaquer des villages palestiniens. Un attentat suicide palestinien va même être commis dans une boîte de nuit « branchée » de Tel Aviv et fera de nombreux morts. Des bus – principal moyen de transport public – explosent sur les routes du Nord d’Israël.

 

En réponse, les Israéliens construisent un mur de séparation sur la ligne verte (l’ancienne frontière d’Israël avant la guerre des Six jours) entre Israël et la Cisjordanie, la plupart des terroristes provenant des camps de réfugiés de cette partie des territoires occupés, notamment du camp de réfugiés de Jenin. Mais ce mur dont plusieurs tronçons empiètent sur le territoire palestinien, a pour conséquence politique de figer la situation, ce qui rend encore plus malaisé le « processus de paix ». Ce mur est d’ailleurs déclaré illégal par les instances des Nations Unies.

 

Le mur de séparation longe la ligne verte et empiète aussi sur le territoire palestinien.

Le mur de séparation longe la ligne verte et empiète aussi sur le territoire palestinien.

 

Pendant ce temps-là, l’influence religieuse s’étend sur l’ensemble d’Israël, émanant des colonies et aussi de certains quartiers de Jérusalem où des pratiques discriminatoires, notamment à l’égard des femmes, se multiplient sans que le gouvernement ne réagisse.

 

Et cela continue.

 

Lors des accords de Camp David entre Menahem Begin et Anouar El Sadate , l’Etat hébreu a fini par accepter de restituer le Sinaï à l’Egypte, à l’exception de Gaza.

 

Ce n’est qu’en 2005, au terme de bien des péripéties, qu’Ariel Sharon, le reître d’Israël, l’homme du km 101 en Egypte, l’homme de l’offensive au Liban en 1982 qui s’est soldée par le massacre de Sabra et de Chatila, devenu Premier ministre, décidera d’évacuer Gaza, au risque de se faire passer pour un « traître » auprès de ses plus chauds partisans.

L’objectif n’était cependant pas d’accorder une réelle autonomie à Gaza, mais de mieux contrôler ce petit territoire de l’extérieur.

 

L’année 2005 fut cruciale à Gaza. Déjà en septembre 2004, Ariel Sharon avait émis la volonté d’un retrait unilatéral des Israéliens de Gaza. Durant toute l’année 2005, des élections municipales eurent lieu dans la « bande » et consacrèrent une nette victoire au Hamas. Les Israéliens ont évacué les dernières colonies de la bande Gaza et la police et l’armée. Après le retrait, le Hamas obtient un large succès aux élections législatives de 2006 (76 sièges sur les 132 que compte le Conseil national palestinien). Cela ne fait évidemment qu’accroître la tension avec Israël qui a fait du Hamas son principal adversaire.

 

Voici comment l’historien israélien Shlomo Sand analyse le Hamas : « Le Hamas n'est pas une armée, c'est un mouvement de résistance terroriste qui agit comme tous ceux qui l'ont précédé, Viêt-Cong ou FLN. C'est justement parce que nos dirigeants savaient cela qu'ils avaient le devoir de privilégier la diplomatie, pour ne pas commettre ce massacre de civils. Nous avons fait la preuve que nous n'avons aucune retenue morale, pas plus que la France en 1957 en Algérie qui a détruit des villages entiers. » Plus loin, il ajoute : « Le Hamas, ce mouvement bête, pas diplomate, avait proposé une « oudna », une trêve de longue durée à Gaza et en Cisjordanie. Israël a refusé parce qu'il veut continuer de tuer les militants du Hamas en Cisjordanie, soit une quinzaine en octobre-novembre après des mois de calme. Israël a donc eu sa part de responsabilité dans la reprise des tirs de roquettes. Au lieu de renforcer le courant modéré du Hamas, Israël pousse les Palestiniens au désespoir. Nous avons ghettoïsé une population entière et refusons de lui accorder sa souveraineté depuis quarante-deux ans. Comme je suis indulgent envers Israël, je dirai seulement depuis vingt ans, 1988, date à laquelle Arafat et l'Autorité palestinienne ont reconnu l'Etat d'Israël, sans rien avoir gagné en échange.

 

Qu'on comprenne bien : je n'accepte pas les positions du Hamas et surtout pas son idéologie religieuse, parce que je suis un homme laïc, démocrate, et assez modéré. Comme Israélien et comme être humain, je n'aime pas les roquettes. Mais comme Israélien et historien, je n'oublie pas que ceux qui les lancent sont les enfants et petits-enfants de ceux qui ont été chassés de Jaffa et d'Ashkelon en 1948. Ce peuple de réfugiés, moi, Shlomo Sand, je vis sur la terre qui était la sienne. Je ne dis pas que je peux leur rendre cette terre. Mais que chaque offre de paix doit partir de ce constat. Quiconque oublie cela n'arrivera jamais à offrir une paix juste aux Palestiniens. »

 

Shlomo Sand est un historien israélien qui sort des sentiers battus et qui ne met pas sa langue dans sa poche !

Shlomo Sand est un historien israélien qui sort des sentiers battus et qui ne met pas sa langue dans sa poche !

 

Le gouvernement israélien finit par décréter le blocus de Gaza en 2007. C’est une nouvelle source de tensions majeures ! Ce blocus est déclaré illégal par les Nations Unies. Peu importe, les Israéliens empêchent par la force toute tentative de le forcer.

 

Gaza est devenu une prison à ciel ouvert. Ces atteintes permanentes au droit international provoquées par les gouvernements successifs de l’Etat hébreu finirent par provoquer une vague d’indignation dans l’opinion publique mondiale. Ainsi, Stéphane Hessel cria sa colère : « opinion qui reflétait « que les pays qui devraient défendre le droit international ne font pas respecter, pour la Palestine, les droits imprescriptibles figurant dans les textes internationaux. Nous agissons au nom du droit de chaque individu de faire pression sur les instances internationales afin de mettre en œuvre les mesures pour faire appliquer la paix mais aussi les sanctions envers ceux qui ne respectent pas le droit et violent les prescriptions des Nations unies. Nous ne pouvons laisser impunis ceux qui violent ces droits. »

 

A Londres, le 20 novembre 2010, il insistait aussi sur le fait que « chacun d’entre nous utilise son énergie pour aller là où il y a de l’espoir, notamment en soutenant le BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), reconnu comme légitime au plan international et qu’aucun gouvernement ne devrait considérer comme une quelconque discrimination ». (Gabrielle Lefèvre dans « Erasme, reviens, ils sont devenus fous ! » - Mediapart – 4 août 2014).

 

Stéphane Hessel a toujours mis le droit international, porteur des valeurs des Lumières, au-dessus de toute autre considération.

Stéphane Hessel a toujours mis le droit international, porteur des valeurs des Lumières, au-dessus de toute autre considération.

 

Les factions juives les plus extrémistes n’ont d’ailleurs pas hésité à traiter Stéphane Hessel d’antisémite...

 

Le refus de deux Etats

 

On peut raisonnablement penser que la dernière offensive israélienne était motivée par la décision palestinienne de former un gouvernement d’union nationale palestinien composé de toutes les fractions politiques, y compris le Hamas en réponse à l’échec des négociations « de paix ».

 

Cela a provoqué une violente réaction du gouvernement israélien qui craint, par ce biais, la constitution d’un Etat palestinien qui serait reconnu par de nombreuses nations. Et c’est cela qui est à l’origine de « Bordure protectrice ».

 

Je me refuse à m’inscrire dans la logique binaire du « bon » Palestinien et du « mauvais » Israélien – ou l’inverse – ni dans celle qui considère que le Hamas n’est qu’un ramassis de terroristes et que Tsahal n’est qu’une bande de génocidaires. Cependant, il faut se plier à la réalité : Israël est une puissance militaire. Les Palestiniens vivent enfermés à Gaza comme en Cisjordanie dans le sous-développement et la politique actuelle d’Israël ne leur donne aucune porte de sortie.

 

Israël, fait colonial ?

 

Une question essentielle se pose depuis longtemps. Dans le désormais célèbre numéro spécial des « Temps modernes » la revue de Jean-Paul Sartre, paru en juin 1967, Maxime Rodinson, le sociologue juif communiste et antisioniste critique, posait la question : Israël, fait colonial ? Il apporta à cette question une réponse basée sur la méthode marxiste. Oui, Israël tel qu’il a été fondé, est un phénomène colonial.

 

Cependant, on passe sous silence un élément essentiel évoqué par Rodinson suite aux persécutions des Juifs en Europe orientale : « Face à la situation humiliante qui leur était faite, certains Juifs choisissaient la lutte politique (…) D’autres étaient poussés à une lutte semblable, mais par l’intermédiaire d’un regroupement entre Juifs comme les Bundistes (les membres du Bund). D’autres enfin, rejetant tout lien avec le peuple, le pays et l’Etat où ils se trouvaient intégrés, plaçaient leur espoir dans une autre patrie, une patrie purement juive. La localisation de cette patrie était en elle-même assez indifférente pour beaucoup. » Pour beaucoup d’entre eux, la Palestine ne les attirait pas beaucoup. Ils songeaient plutôt à l’Amérique.

 

La tradition juive était là. Les origines du peuple juif se trouvent en Palestine. Aussi, ce n’est qu’en cette terre qu’il trouvera la rédemption. Et c’est le courant religieux traditionaliste qui l’a emporté. Et la déclaration de Balfour ne fit que l’encourager.

 

La population arabe qui se trouvait en Palestine sortait à peine du joug ottoman. Les terres appartenaient soit à des Turcs soit à des notables syriens qui avaient fui la Palestine. Aussi, seuls les paysans arabes locaux parvenaient peu ou prou à la faire fructifier. L’arrivée des Juifs a tout bouleversé, bien qu’on puisse affirmer qu’ils n’ont jamais spolié les propriétaires auxquels ils achetèrent les domaines agricoles. Mais, ceux qu’on appellera les Palestiniens étaient désormais au second rang. Tout cela s’appelle du colonialisme.

 

Israël légitime ?

 

Alors qu’après les accords de Camp David, une relative détente avait vu le jour, grâce, notamment, à la reconnaissance de l’Etat d’Israël par plusieurs Etats arabes, la pierre d’achoppement restait toujours le sort des Palestiniens. Aujourd’hui, dans l’opinion publique arabe et même celle de plusieurs pays du Tiers-monde, la question de la légitimité même d’Israël se pose.

 

Voici le raisonnement de Sharmine Narwani, universitaire arabe et blogueuse « Huffington Post » détestée de la droite israélienne : « Il n’y a pas de « conflit israélo-palestinien » - qui laisserait entendre une sorte d’égalité dans la puissance, la souffrance et les éléments concrets négociables. Mais il n’y a pas la moindre symétrie dans cette équation. Israël est l’occupant et l’oppresseur. Les Palestiniens sont occupés et opprimés. Qu’y a-t-il à négocier ? Israël détient toutes les cartes. Ils peuvent rendre des terres, des biens, des droits, mais même cela est une absurdité – car qu’en est-il du reste ? Pourquoi ne pas rendre toutes les terres, tous les biens et tous les droits ? Pourquoi auraient-ils le droit de garder quoi que ce soit – en quoi l’appropriation des terres et des biens avant 1948 est-elle fondamentalement différente de l’appropriation des terres et des biens après cette date arbitraire de 1967 ?

 

En quoi les colonialistes d’avant 1948 sont-ils différents de ceux qui ont colonisé et se sont installés après 1967 ? »

 

Shamine Narwani n'est pas à proprement parler une "amie" d'Israël !

Shamine Narwani n'est pas à proprement parler une "amie" d'Israël !

Que dire ? En effet, il n’y a pas égalité dans ce conflit entre Israël et les Palestiniens. En effet, les Palestiniens sont occupés et opprimés. Ce qui fait dire à Michèle Sibony, professeur de lettres à Paris, originaire d’une famille juive marocaine et membre de l’UFJP (Union des Français Juifs pour la Paix) que « Bordure Protectrice » est une opération coloniale.

Michèle Sibony, vice-présidente de l'Union Française des Juifs pour la Paix milite inlassablement pour la justice.

Michèle Sibony, vice-présidente de l'Union Française des Juifs pour la Paix milite inlassablement pour la justice.

 

Néanmoins, il convient de faire preuve de réalisme. Israël est un Etat reconnu par les Nations Unies depuis 1948. Certes, il bafoue le droit international. Certes, il ne tient nul compte des enjeux internationaux. Certes, il se trouve isolé dans le Proche Orient. Mais peut-on envisager sa dissolution pour faire place à une sorte d’entité judéo-arabe, comme le souhaitent quelques-uns ? C’est absurde. Israël est une réalité politique forte. D’ailleurs, la propagande israélienne de l’Etat menacé dans son existence est aussi absurde : Israël dispose de l’armée la plus puissante du Proche Orient et nul n’est à même de lui porter sérieusement atteinte. Israël ne vivra en paix que s’il accepte de traiter d’égal à égal avec les Palestiniens.

 

Israël dans la stratégie des néoconservateurs : l’étrange alliance

 

L’Etat d’Israël est considéré par le puissant courant néoconservateur occidental comme la « pointe avancée de l’occident dans le monde arabo-musulman » et surtout comme un élément clé dans la stratégie de construction du « grand » Moyen Orient qui consiste à « balkaniser » l’ensemble du monde musulman pour avoir le contrôle des ressources pétrolières et gazières.

 

Ainsi, on se trouve devant le paradoxe d’un « occident » soutenant Israël, mais aussi l’Arabie saoudite et les Emirats pétroliers qui, eux, appuient les guérillas islamistes sunnites en Syrie et en Irak. Par contre, l’ennemi est l’Islam chiite de Syrie et d’Iran, lui, appuyé par la Russie. Netanyahou s’était déclaré prêt à attaquer l’Iran soupçonné de fabriquer l’arme nucléaire.

 

On le voit, cette étrange alliance ne fait qu’entretenir une guerre permanente au Moyen Orient où il n’y aura sans doute ni vainqueurs, ni vaincus.

 

Et maintenant ?

 

Officiellement, le gouvernement israélien prétend avoir atteint ses objectifs : neutraliser les tunnels du Hamas vers Israël. La veille, Netanyahou annonçait que l’offensive durerait longtemps… Alors, que penser ?

 

La pression internationale a sans doute – pour combien de temps – calmé le gouvernement de Netanyahou. Un cessez le feu a été décrété au terme de brèves négociations au Caire et les troupes terrestres israéliennes se sont retirées de la zone de Gaza.

 

Le retrait unilatéral des troupes israéliennes a fait l'objet d'une propagande bien orchestrée.

Le retrait unilatéral des troupes israéliennes a fait l'objet d'une propagande bien orchestrée.

 

Et maintenant ? Si le cessez-le-feu persiste, que deviendra Gaza dont une grande partie est détruite ? Quelles leçons à tirer de cette catastrophe ?

 

Comme le rappelle le géostratège Michel Goya dans « Le Monde » du 6 août : « La nouveauté de cette opération est le niveau de pertes de Tsahal qui, avec 64 soldats tués, représente quatre fois le total des trois opérations précédentes. (…) Le rapport des pertes avait été de 60-70 combattants du Hamas tués pour un soldat israélien. Il est actuellement environ dix fois inférieur. » Selon l’auteur, le Hamas s’est adapté face à un adversaire ne variant pas ses modes d’action, « a su contourner la barrière de sécurité par un réseau de tunnels d’attaque et par l’emploi de missiles antichars ou de fusils de tireurs d’élite capables d’envoyer des projectiles directs précis jusqu’à plusieurs kilomètres. » Et l’auteur de conclure : « A long terme, il reste à savoir combien de temps cette guerre sisyphéenne sera tenable. En 2002, une étude avait conclu que 30 % des Palestiniens entre 6 et 11 ans ne rêvaient pas de devenir médecin ou ingénieur mais de tuer des Israéliens en étant kamikaze. Douze ans plus tard, ces dizaines de milliers d’enfants sont adultes et rien n’a été fait pour les faire changer d’avis. »

 

C’est une terrible menace et si les dirigeants israéliens n’ont pas l’intelligence de procéder à un changement fondamental, le sang coulera à nouveau.

 

En outre, si après « Bordure protectrice » (pour autant que ce soit fini !), c’est le statu quo, si le blocus est maintenu, la reconstruction de Gaza sera impossible. Ce sera à nouveau un terrible foyer de tensions.

 

Sur le terrain, le Hamas est malgré tout affaibli. Mais les autres factions palestiniennes ont participé aux négociations et profitent de la faiblesse du Hamas. Selon Omar Shaban, le directeur du centre d’études « Palthink », un think-tank palestinien, cité par « Libération » du 6 août : le retrait unilatéral de Tsahal sans négociations « serait la catastrophe absolue. Gaza est à terre. Des dizaines de milliers de familles n’ont plus de maison. Si la guerre s’arrête sans que le siège ne soit levé, cela va dégénérer, il y aura des affrontements. Il y en a déjà entre habitants et officiels à propos de l’approvisionnement en eau. Un retrait sans négociations serait dangereux pour le Hamas mais ce serait aussi dramatique pour Gaza. »

Le Hamas devra, s'il veut survivre, s'atteler sérieusement à la reconstruction de Gaza. Une chance pour Mahmmoud Abbas et le Fatah ? Si Israël ne sabote pas tout cela...

Le Hamas devra, s'il veut survivre, s'atteler sérieusement à la reconstruction de Gaza. Une chance pour Mahmmoud Abbas et le Fatah ? Si Israël ne sabote pas tout cela...

Déjà, les « faucons » israéliens sont réticents à entamer des négociations, même avec Habbas, le président de l’Autorité palestinienne qui se montre être l’interlocuteur le plus adéquat. Les plus modérés les acceptent, mais sans le Hamas.

 

Pourtant, la seule solution serait de lever le blocus de Gaza, de permettre la libre circulation des personnes et des marchandises, notamment des denrées alimentaires, des médicaments et des matériaux de construction ; de permettre une zone de pêche de 15 km et de garantir un accès à la Cisjordanie.

 

La droite israélienne fossoyeuse d’Israël

 

Rien n’est moins sûr évidemment. La droite israélienne au pouvoir depuis une dizaine d’années a profondément transformé Israël. L’écrivain israélien David Grossman fait un constat amer : « Pour Israël, habitué aux déceptions, désormais, l’espoir (si tant est que quiconque évoque ce mot) est toujours hésitant, un rien honteux, s’excusant par avance. Le découragement, en revanche, est résolu, péremptoire, comme s’il s’exprimait au nom d’une loi naturelle, ou un postulat affirmant qu’entre ces deux peuples la paix ne s’établira jamais et que la guerre entre eux procède d’un décret divin. Aux yeux du découragement, quiconque espère encore, qui croit encore en la possibilité de la paix, est – au mieux – un naïf ou un esprit chimérique prisonnier de ses fantasmes et, au pire, un traître qui sape la capacité de résistance d’Israël en ce sens qu’il l’incite à se laisser séduire par ses rêveries.

 

En ce sens, la droite israélienne a gagné. La droite, dont c’est la vision du monde – et certainement au cours des dernières décennies -, a réussi à l’inculquer à la majorité des Israéliens. En outre, la droite n’a pas seulement vaincu la gauche. Elle a vaincu Israël. Et pas seulement parce que cette vision du monde pessimiste conduit l’Etat d’Israël à la paralysie dans le domaine le plus vital pour lui, domaine où sont exigées audace, souplesse et créativité, la droite a vaincu Israël en cela qu’elle a défait ce que, jadis, on pouvait encore appeler l’«esprit israélien» : cette étincelle, qui était capable de nous engendrer de nouveau, cet esprit du «malgré tout», le courage. Et l’espoir.

L'écrivain-poète israélien David Grossman exprime son dépit et son espoir.

L'écrivain-poète israélien David Grossman exprime son dépit et son espoir.

 

Et le grand historien Zeev Sternhell ajoute : « La droite israélienne est porteuse d'un désastre sans nom qui est en train de s'abattre sur nous, mais elle n'est pas bête. Elle sait aujourd'hui exactement ce qu'elle veut. Elle veut conquérir la Cisjordanie, elle veut l'annexer sans le dire tout en l'annexant. Elle veut que les Palestiniens acceptent de leur propre chef leur infériorité face à la puissance israélienne.

 

La droite israélienne procède aujourd'hui de deux manières. À l'intérieur d'Israël, elle prépare une série de lois, notamment celle qui définit Israël comme un Etat juif. C'est-à-dire qu'on dit aux Palestiniens, aux Arabes israéliens, citoyens israéliens qui ont la même carte d'identité que moi, qui sont 20% de la population, qu'Israël est un État juif, c'est-à-dire qu'il n'est pas le leur. Ils vivent à l'intérieur de l'État juif, mais ils doivent accepter le fait que cet État est à nous, et pas à eux. C'est ce qui se fait à l'ouest de la ligne verte.

 

Dans les territoires occupés, il y a deux populations, dont 350.000 juifs. Ça crée une situation que certains aujourd'hui considèrent déjà comme irréversible. Moi, j'essaie de croire qu'elle est encore réversible. Mais, au fond de moi, je sais que la situation est désespérante et désespérée.

 

Moi qui ai participé en tant que soldat à de nombreuses campagnes militaires de 1956 à 1983, de la guerre des Six Jours à celle du Kippour puis celle du Liban, puis ai été l'un des fondateurs du mouvement «la Paix Maintenant», que les rêves sionistes de ma jeunesse me semblent aujourd'hui abîmés ! Même si je reste attaché à l'idée qu'on peut changer le monde par la raison. C'est l'idée mère des Lumières françaises. »

 

 

Zeev Sternhell, un des grands historiens contemporains

Zeev Sternhell, un des grands historiens contemporains

 

Ces deux constats augurent d’un avenir sombre. Mais, si on baisse les bras, si on refuse de croire en la raison et au droit, autant se cacher !

 

La leçon de Jean Jaurès

 

Les dirigeants de Jérusalem n’arrivent pas à tirer les leçons de l’histoire. Les plaies laissées par « Plomb endurci » et « Bordure protectrice » auprès d’une population de près d’un million et demi d’habitants, ne se cicatriseront pas. Une nouvelle résistance verra le jour. Elle sera bien plus redoutable que la précédente et, comme l’écrit l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin dans le Figaro du 1er août : « L'État israélien se condamne à des opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante parce qu'elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à la souffrance, terrifiante parce qu'elle condamne Israël peu à peu à devenir un État ségrégationniste, militariste et autoritaire. »

 

Dominique de Villepin s'inscrit dans la ligne gaullienne.

Dominique de Villepin s'inscrit dans la ligne gaullienne.

 

Etait-ce la volonté des fondateurs de l’Etat d’Israël ? Non, le projet sioniste, libérateur au départ, ne peut avoir engendré un tel monstre. Quelques intellectuels, quelques dirigeants civils comme militaires et même des chefs d’entreprises en sont conscients. Et même plusieurs religieux le pensent aussi. Eux seuls peuvent infléchir les choses. Notre devoir est de les aider.

Jean Jaurès avait vu juste dès 1908. La pensée des Lumières permet de voir clair...

Jean Jaurès avait vu juste dès 1908. La pensée des Lumières permet de voir clair...

 

En 1908, Jean Jaurès prononçait un discours sur la question de l’Islam : « Vous savez bien que ce monde musulman prend conscience de son unité et de sa dignité. Deux mouvements, deux tendances inverses se le disputent : il y a les fanatiques qui veulent en finir par la crainte, le fer et le feu avec la civilisation européenne et chrétienne, et il y a les hommes modernes, les hommes nouveaux… Il y a toute une élite qui dit : l’Islam ne se sauvera qu’en se renouvelant qu’en interprétant son vieux livre religieux selon un esprit nouveau de liberté, de fraternité, de paix. C’est l’heure où ce mouvement se dessine que vous offrez aux fanatiques de l’Islam le prétexte, l’occasion de dire : « Comment se réconcilier avec cette Europe brutale ? Voilà la France, la France de justice et de liberté qui n’a contre le Maroc d’autre geste que les obus, les canons, les fusils. »

 

Remplacez dans ce discours « France » par « Israël » et « le Maroc » par « Gaza ».

 

Pierre Verhas

Partager cet article
Repost0

commentaires

C
Gaza c'est Varsovie...
Répondre