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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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18 janvier 2024 4 18 /01 /janvier /2024 13:57

 

 

( I) Le pogrom et le retour de la Nakba

 

L’attaque sanglante du 7 octobre 2023 par le Hamas au Sud d’Israël est un de ces événements où l’on peut affirmer que rien ne sera plus jamais comme avant. C’est en effet la première fois depuis sa fondation en 1948 qu’une partie de l’Etat d’Israël a été envahie par une force étrangère. C’est la première fois que l’invincible Tsahal a été défaite – ne fût-ce que quelques heures. Ainsi, cette nation est contrainte à se remettre en question : elle devait assurer la protection des Juifs sur son territoire. Le pogrom du Hamas à la rave party et dans des kibboutzim démontre le contraire.

 

 

Une famille israélienne fuyant l'attaque Hams, une famille palestinienne sous les bombardements de GazaUne famille israélienne fuyant l'attaque Hams, une famille palestinienne sous les bombardements de Gaza

Une famille israélienne fuyant l'attaque Hams, une famille palestinienne sous les bombardements de Gaza

 

 

Cela s’inscrit dans un bouleversement général du monde qui n’en est qu’à ses débuts. Nous sommes vraiment dans la situation que Antonio Gramsci décrivait par ce célèbre aphorisme :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » 

En effet, le monde où l’Occident dominait change profondément. Ce qu’on appelle le « Sud global » est en train de s'imposer.

 

 

Il y a d’abord les BRICS qui se structurent pour disposer de leurs propres circuits commerciaux. On voit l’Arabie Saoudite qui envisage de « dédollariser » sa production de pétrole. La France a été chassée d’Afrique. Les Occidentaux n’ont pas réussi à convaincre les pays du « Sud global » à sanctionner la Russie pour son attaque contre l’Ukraine. Enfin, c’est la première fois qu’un pays – l’Afrique du Sud – saisit la Cour pénale internationale pour juger Israël pour crime de génocide.

 

 

La cause principale de l’attaque du Hamas est avant tout géopolitique. Elle s’appelle les accords d’Abraham. Il s’agit d’une association d’Etats du Proche Orient dont Israël qui a été initiée par l’administration Trump en septembre 2020. Les accords d'Abraham prévoient la normalisation des rapports diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes unis d'une part, et Israël et le Bahreïn d'autre part. Des accords concernant la normalisation des rapports entre Israël avec le Maroc et le Soudan ont aussi été signés par la suite. Le président Biden a souhaité y associer l’Arabie Saoudite, mais celle-ci est réticente à la fois comme gardienne des lieux saints de l’Islam – L’esplanade des mosquées à Jérusalem placée sous la responsabilité du Wakf jordanien est le troisième lieu saint musulman – mais aussi parce que ce royaume cherche à s’épanouir de sa dépendance avec les Etats-Unis.

 

 

 

Les accords d'Abraham signés à la Maison Blanche sous le regard satisfait de Joe Biden

Les accords d'Abraham signés à la Maison Blanche sous le regard satisfait de Joe Biden

 

 

En second lieu, ces accords – et c’est sans doute leur but – isolent l’Iran. Et c’est là une des raisons de l’attaque du Hamas qui n’aurait pu se faire sans une aide logistique et stratégique extérieure, probablement la République islamique perse. Enfin, troisièmement, les accords d’Abraham excluent les Palestiniens qui se trouvent ainsi tout à fait dépendants de l’occupant israélien. Là aussi, c’est une cause de cette attaque.

 

 

Ce fut la sidération en Israël. L’ampleur de l’offensive du Hamas, le nombre considérable de victimes civiles, la prise de nombreux otages ébranla l’opinion israélienne. On le comprend aisément. L’angoisse pour les otages dont une partie a été libérée au terme d’âpres négociations à l’initiative du Qatar, une trêve éphémère, et puis à nouveau la guerre.

 

 

 

L'angoisse des familles d'otages israéliens a un grand impact, mais Netanyahou semble s'en moquer.

L'angoisse des familles d'otages israéliens a un grand impact, mais Netanyahou semble s'en moquer.

 

La réplique israélienne est d’une violence inégalée. Le bombardement systématique de Gaza city et de ses environs, le déplacement forcé de la population palestinienne vers le Sud qui est aussi bombardée jusqu’au poste frontière égyptien de Rafah, le blocage de l’aide humanitaire, le bombardement d’hôpitaux sont autant d’actes qui indignent l’opinion mondiale, surtout celle du Sud global. En Europe et aux Etats-Unis, l’opinion est divisée entre une partie qui dénonce l’attaque du Hamas et une autre qui s’indigne de l’offensive meurtrière d’Israël.

 

 

 

Photographies aériennes montrant Gaza avant les bombardements israéliens et après. On mesure k'ampleur des destructions.

Photographies aériennes montrant Gaza avant les bombardements israéliens et après. On mesure k'ampleur des destructions.

 

 

Il convient aussi de dénoncer les manifestations d’antisémitisme en Europe et particulièrement en Belgique. La profanation du cimetière juif de Marcinelle est intolérable. Cependant, il faut bien constater que la manifestation contre l’antisémitisme organisée par certaines associations juives, alors que d’autres ont refusé d’y participer, fut un échec. Le rassemblement de solidarité avec la Palestine qui s’est déroulé quelques jours après, a rassemblé bien plus de monde. Cela est aussi le signe d’un changement fondamental.

 

 

 

A Bruxelles, la manifestation contre l'antisémitisme a rassemblé quelque 7 000 personnes, la manifestation de solidarité avec la Palestine, plus du double. Un signe !
A Bruxelles, la manifestation contre l'antisémitisme a rassemblé quelque 7 000 personnes, la manifestation de solidarité avec la Palestine, plus du double. Un signe !

A Bruxelles, la manifestation contre l'antisémitisme a rassemblé quelque 7 000 personnes, la manifestation de solidarité avec la Palestine, plus du double. Un signe !

 

 

L’accusation de génocide

 

L’accusation de génocide lancée un peu partout et qui est à l’origine du procès lancé par l’Afrique du Sud contre Israël auprès de la CPI est aussi un signe. Y a-t-il génocide ou tentative de génocide ? La Cour le dira. En attendant, le traitement infligé aux Palestiniens par les colons juifs en Cisjordanie ressemble fort à de l’épuration ethnique, ainsi que la manière dont Tsahal traite ses prisonniers palestiniens. Le « Monde » du 18 janvier 2024 rapporte :

 

« Le témoignage anonyme d’un réserviste israélien affecté à la sécurité de l’hôpital de Sde Teinam donne du crédit à la version des prisonniers. « Les détenus sont 70 à 100 par enclos, leurs yeux étaient bandés et leurs mains attachées tout le temps, a-t-il raconté dans un podcast sur Rosa Media, média en ligne du mouvement israélo-palestinien Standing Together. La police militaire nous autorisait à les punir à notre guise. Pour les soldats, c’était divertissant, ils prenaient ainsi part à la guerre quand ils frappaient les prisonniers. » Selon l’armée, les camps sont « conçus pour mener des interrogatoires initiaux » : les suspects sont ensuite libérés ou transférés au Shin Bet, les services de renseignement intérieur. Après le fiasco sécuritaire du 7 octobre, les Israéliens « veulent tout savoir sur Gaza, tout, de n’importe quelle manière », observe M. Sourani. Le journaliste Diaa Al-Kahlout, aussi arrêté le 7 décembre, à Beit Lahya, et relâché le 9 janvier, a été questionné sur sa couverture d’une infiltration ratée de l’armée israélienne à Gaza, en 2018. A Ayman Lubbad, les soldats ont demandé s’il connaissait des gens du Hamas et s’il savait où se trouvaient les tunnels dans son quartier.

 

Combien de Gazaouis sont aujourd’hui détenus par Israël ? L’Etat hébreu refuse de répondre. Le service israélien des prisons a seulement déclaré détenir 661 « combattants illégaux » au 1er janvier. Ce statut, hors du droit international, a été créé par l’Etat hébreu en 2002 pour incarcérer des détenus qu’il ne reconnaît pas comme prisonniers de guerre. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ne peut entrer en relation avec aucun détenu palestinien dans les geôles israéliennes depuis le 7 octobre.

 

Selon l’armée, les camps sont « conçus pour mener des interrogatoires initiaux » : les suspects sont ensuite libérés ou transférés au Shin Bet, les services de renseignement intérieur. Après le fiasco sécuritaire du 7 octobre, les Israéliens « veulent tout savoir sur Gaza, tout, de n’importe quelle manière », observe M. Sourani. Le journaliste Diaa Al-Kahlout, aussi arrêté le 7 décembre, à Beit Lahya, et relâché le 9 janvier, a été questionné sur sa couverture d’une infiltration ratée de l’armée israélienne à Gaza, en 2018. A Ayman Lubbad, les soldats ont demandé s’il connaissait des gens du Hamas et s’il savait où se trouvaient les tunnels dans son quartier.

 

Combien de Gazaouis sont aujourd’hui détenus par Israël ? L’Etat hébreu refuse de répondre. Le service israélien des prisons a seulement déclaré détenir 661 « combattants illégaux » au 1er janvier. Ce statut, hors du droit international, a été créé par l’Etat hébreu en 2002 pour incarcérer des détenus qu’il ne reconnaît pas comme prisonniers de guerre. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ne peut entrer en relation avec aucun détenu palestinien dans les geôles israéliennes depuis le 7 octobre. »

 

 

 

Et voici un exemple parmi d’autres :

 

« Après une semaine de détention, Ayman Lubbad a été relâché au point de passage de Kerem Shalom, entre Gaza et Israël. L’armée affirme assurer la sécurité des prisonniers lors de leur retour. Les intéressés décrivent, eux, un parcours périlleux. Ayman a marché plusieurs kilomètres à découvert pour atteindre Rafah. Il ne peut rejoindre sa famille restée dans le nord de Gaza, le territoire étant scindé en zones hermétiques par l’armée. Il n’a pu être aux côtés de ses proches quand son petit frère, brièvement détenu avec lui, a été tué, une heure après sa libération, dans un bombardement israélien qui a touché l’appartement des voisins. Pour éviter tout risque, le corps a été enterré dans la maison familiale.

 

Quand il a été libéré après sa détention de vingt-quatre heures, le journaliste Saïd Kilani a été sommé de fuir vers le Sud. Il a préféré se rendre dans le camp de Jabaliya, pour continuer à couvrir cette zone. « Je marchais avec un petit groupe, un sniper nous a tiré dessus. Deux personnes ont été tuées, trois autres blessées », raconte-t-il. Sa voix se brise soudain : peu après avoir retrouvé sa femme et ses enfants, le 19 décembre, un sniper a tué son fils Sajid, « de trois coups de feu dans le cou ». L’adolescent avait lui aussi été arrêté, puis relâché. Il avait 17 ans. »

 

La question du génocide se pose, c’est-à-dire de l’intention éventuelle d’Israël d’éradiquer le peuple palestinien, d’éliminer les Palestiniens pour ce qu’ils sont. Voici ce qu’en pensent un groupe de juristes belges (voir « La Libre Belgique » du 17 janvier 2024 :

 

« En tant que juristes experts ou expertes en droit international, nous croyons que cet engagement devrait se traduire aujourd’hui par une intervention devant la Cour internationale de justice pour déterminer l’interprétation correcte de la Convention sur le génocide et des obligations pesant sur les Etats parties, y compris Israël. Le risque de génocide a été signalé dès le 19 octobre et à nouveau le 16 novembre par de nombreux rapporteurs spéciaux des Nations Unies. Il est essentiel de distinguer ce crime des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (sur lesquels la Cour internationale de justice ne peut pas se prononcer). Ce qui rend le crime de génocide unique, c’est l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, religieux ou racial “commetel” (ce qu’on appelle le dolus specialis ou l’intention génocidaire). C’est en raison de cette intention spécifique que le génocide se distingue des autres violations du droit international.

 

Une telle intention est évidemment toujours extrêmement difficile à prouver. Comme l’affirme très justement l’Afrique du Sud, “les génocides ne sont jamais déclarés à l’avance”. C’est pourquoi le dolus specialis est généralement déduit d’une “ligne de conduite”. Cependant, dans le cas présent, un élément particulier et peu courant est frappant : ce dolus specialis pourrait être déduit des nombreuses déclarations des dirigeants politiques d’Israël. En effet, le Premier ministre et le Président d’Israël, certains ministres et de nombreux députés ont exprimé l’intention de “tout éliminer” et de réaliser une “nouvelle Nakba” (l’expulsion massive et violente des Palestiniens) qui éclipserait celle de 1948. Netanyahu lui-même a invoqué une référence biblique, Amalek, dans laquelle on peut lire : “N’épargnez personne, mais tuez aussi bien les hommes que les femmes, les enfants en bas âge et les nourrissons, les bœufs et les moutons, les chameaux et les ânes”. Cette référence n’est pas anecdotique car elle a été reprise et chantée par les soldats israéliens qui, à cette occasion, ont également souligné qu’il n’y avait pas de civils palestiniens à Gaza qui n’étaient pas impliqués (un extrait vidéo a été montré et expliqué lors de l’audience à La Haye). À la lumière des images que l’on a pu voir ces derniers mois, ce langage montre l’existence d’un risque d’une violence génocidaire ainsi que de possibles incitations au génocide, lesquelles sont également interdites par la Convention sur le génocide. C’est un point extrêmement important qu’il nous faut souligner : Israël est accusé non seulement de commettre un génocide, mais aussi de ne pas avoir empêché un génocide, d’inciter au génocide et de laisser impuni un langage génocidaire. Ces autres violations potentielles de la Convention sur le génocide sont distinctes de la question de savoir si les crimes commis à Gaza peuvent être qualifiés de génocide. Mais ces autres violations sont tout aussi fondamentales et méritent la plus grande attention. »

 

Voici l’analyse du centre de droit international de l’Université Libre de Bruxelles en vidéo :

 

 

 

 

 

L’attaque meurtrière du Hamas dans la nuit du 7 octobre 2023, jour de sabbat a profondément modifié le rapport de force entre les deux peuples. Au-delà de l’horreur de ce que l’on peut appeler un pogrom et de la réplique meurtrière de Tsahal et des colons israéliens, comme nous l’avons dit, les choses ne seront plus jamais comme avant.

 

Quid de l’opposition israélienne partisane d’un accord avec les Palestiniens ?

 

Extraits du journal en ligne « Mediapart » : Michel Warschawski, figure historique de la gauche israélienne, est sur une longueur d’onde similaire : « Le Hamas n’a jamais été la tasse de thé des progressistes, qu’ils soient radicaux ou non. Mais il n’empêche que c’est une organisation de la résistance palestinienne, même si nous ne partageons aucune de ses valeurs. Il n’est pas surprenant que Gaza ait fini par exploser, au vu des conditions dans lesquelles ses habitants étaient contraints de survivre. Il est regrettable que ce soit le Hamas qui ait déclenché l’explosion. »

 

 

 

Michel Warshawski explique à feu Jef Baeck, son épouse et une autre personne le problème des colonies israéliennes en Palestine.

Michel Warshawski explique à feu Jef Baeck, son épouse et une autre personne le problème des colonies israéliennes en Palestine.

 

 

« L’objectif de démanteler le Hamas ne doit pas conduire à sombrer dans notre propre barbarie. Or il existe, selon moi, une symétrie entre la barbarie du Hamas et la nôtre, puisqu’on assassine aussi des enfants, des femmes et des civils par centaines. »

 

Le parallèle est-il possible, en dépit de la cruauté particulière des massacres du Hamas, avec des corps démembrés, des bébés décapités, des adolescentes brûlées vives ? « Oui, assume-t-il. Nous sommes un pays riche et nous possédons une armée puissante. Cela nous permet de prétendre que nous restons civilisés parce que nous agirions de façon prétendument “chirurgicale”. Mais cela ne correspond pas à la réalité de ce qui se passe à Gaza aujourd’hui. »

Pour les militants et militantes anti-occupation, l’aveuglement sur le Hamas, à la fois en termes de sous-estimation de ses capacités logistiques et de croyance en une forme de « normalisation » politique, n’est donc pas à mettre sur leur dos, mais bien sur celui du gouvernement.  

 

« Benyamin Nétanyahou ou Bezalel Smotrich ont explicitement formulé que le Hamas à Gaza permettait de diviser le leadership palestinien et de mettre aux oubliettes la perspective d’un État palestinien en ajoutant la division politique à la séparation géographique entre Gaza et la Cisjordanie, complète Avner Gvaryahou. Ils ont laissé le Qatar déverser de l’argent sur Gaza et le Hamas gérer le territoire en négligeant la réalité de cette organisation et en pensant que la situation servait, in fine, leurs intérêts. C’est aussi pour cela qu’ils sont incapables de prendre leurs responsabilités dans ce qui s’est passé le 7 octobre. »

 

 

Et c’est bien le cas. Pour comprendre cette tragédie, il faut remonter aux origines.

 

 

Pierre Verhas

 

Prochain article : (II)  Du congrès sioniste de Bâle de 1887 à la Nakba depuis 1948

 

 

 

 

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