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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 15:59

 

 

Voici un an et demi que la Russie de Poutine a agressé l’Ukraine. Cette guerre appelée aussi « opération militaire spéciale » s’enlise. Elle est un mauvais remake de la sinistre opération Barbarossa, nom de l’agression allemande contre l’Union Soviétique déclenchée le 22 juin 1941.

 

Le conflit russo-ukrainien n’a pas commencé le 13 février 2022. Ses prémisses datent de la « révolution » dite de Maidan en 2014. Par ce coup d’Etat, l’Occident désirait ajouter l’Ukraine à sa zone d’influence, non seulement pour contrôler son immense marché des céréales, mais aussi pour affaiblir la Russie en la coupant de son accès naturel aux mers du Sud via la Crimée et le port de Sébastopol. Ce jeu périlleux a abouti à l’actuelle guerre. Son enlisement risque de maintenir une tension majeure entre la Russie, l’Europe et les Etats-Unis et même avoir des conséquences dans le monde entier.

 

Alors ? Conflit local ou tension mondiale ? Voici l’analyse d’un expert parue en français sur le site « Le Grand soir », le général italien Fabio Mini, général de corps d’armée en retraité, ancien chef d’état-major du commandement de l’OTAN en Europe du Sud d’octobre 2002 à octobre 2003, commandant des opérations de maintien de la paix dirigées par l’OTAN au Kosovo. Depuis sa retraite en 2003, Mini intervient dans le débat public pour les questions géopolitiques par des livres et des articles dans la Presse, notamment le journal La Reppublica, Il Fatto Quotidiano. Il a été accusé de complotisme parce qu’il aurait émis l’hypothèse du chemtrails, une forme de guerre environnementale. Il a ferment démenti ces assertions. Au passage, on remarque que ceux qui ne s’alignent pas sur l’opinion conforme sont souvent traités de « complotistes » !

 

 

 

Le général italien en retraite Fabio Fini a une vision pessimiste des conséquences de la guerre Russie - Ukraine.

Le général italien en retraite Fabio Fini a une vision pessimiste des conséquences de la guerre Russie - Ukraine.

 

 

 

La dissuasion ne fonctionne plus.

 

Fabio Mini se montre assez pessimiste. Il craint un risque d’escalade nucléaire dans cette guerre. La dissuasion qui était jusqu’à présent l’utilité de l’arme nucléaire ne fonctionne plus depuis le déclanchement de la guerre Russie – Ukraine.

 

« La Russie et l’OTAN ont voulu montrer qu’elles ne sont pas du tout dissuadées, même par l’utilisation d’armes nucléaires. Les classifications de la dissuasion stratégique (armes nucléaires), tactique (nucléaire tactique) et conventionnelle sont des étapes sur une échelle brisée. La dissuasion ayant échoué, l’utilisation de n’importe quelle arme n’est pas seulement possible mais réaliste. »

 

Et il ajoute :

 

« De tous côtés, on accuse la Russie, l’Ukraine, l’Europe, les États-Unis et l’OTAN d’erreurs catastrophiques, de massacres inutiles, de gaspillage de ressources et de difficultés de compréhension entre les alliés eux-mêmes. »

 

Prenons l’exemple de la fameuse « contre-offensive » ukrainienne. Les quelques villages que l’armée de Zelenski a libérés ne sont plus que ruines et les habitants ont disparu, soit réfugiés, soit emmenés par les Russes. À quoi cela sert-il ? Aurait-on pu éviter ces massacres et ces destructions de part et d’autre ?

 

 

 

La contre-offensive ukrainienne n'est que destructions.

La contre-offensive ukrainienne n'est que destructions.

 

 

 

Pertes et profits dans cette guerre

 

Le général Mini constate : « Pour les États directement ou indirectement impliqués dans le conflit, il s’agit d’une perte nette. Le principal atout de la sécurité collective est perdu et les effets matériels, moraux et politiques de la guerre seront mesurés dans les décennies à venir. »

 

En définitive, cette guerre provoque une énorme perte nette pour toutes les parties dans ce conflit et même pour bon nombre d’Etats qui n’y sont pas directement impliqués. Et on n’en mesure pas encore les conséquences. Cependant, les marchands d’armes s’y retrouvent et largement ! Et on envisage même la reconstruction au plus grand profit des entreprises européennes.

 

« Pour ceux qui veulent "investir" à des fins lucratives, indépendamment des effets immédiats ou ultérieurs, la guerre offre deux grandes occasions : l’une sûre et l’autre plus risquée.

 

La première concerne la fourniture d’armes et de services aux parties en conflit, ainsi que de biens de subsistance aux populations concernées. Il s’agit d’un investissement sûr et très rentable, quel que soit le vainqueur ou le vaincu, tant que la guerre se poursuit.

 

Le second, qui repose sur la reconstruction des zones de conflit, est un pari comme un autre : il dépend de qui gagne ou de qui perd. Mais l’investisseur peut généralement jouer sur les deux tableaux. Cependant, il s’attend lui aussi à ce que le conflit dure longtemps et soit le plus destructeur possible. »

 

Pour cela, on semble bien parti !

 

L’OTAN en faillite

 

Pour Fabio Mini, c’est en 1994 que l’OTAN est tombée en faillite. Ne serait-ce pas plutôt en 1991, année de démantèlement de l’URSS ? Les promesses des occidentaux à Gorbatchev de ne pas étendre sa zone d’influence à l’Est étaient des mensonges éhontés et sont à la source d’une crise de confiance entre ce qu’on appelle l’Occident – c’est-à-dire les territoires sous contrôle des Etats-Unis et l’Est, autrement dir la Russie, la Biélorussie, la Géorgie – après une guerre de « reconquête » lancée par Moscou. Quant aux républiques du Proche-Orient, elles échappent désormais à toute influence russe, sauf la Tchétchénie qui a été maintenue dans la sphère russe au terme d’un conflit meurtrier.

 

Mini déclare : « L’OTAN d’antan est en faillite depuis 1994, date à laquelle elle a commencé à remanier le cadre de sécurité en Europe et au-delà. Des Balkans à l’Irak et à l’Afghanistan, l’organisation politico-militaire a mené une politique contraire à la sécurité des États membres et au droit international.

 

En ce sens, elle a également échoué parce qu’elle a montré qu’elle ne respectait pas le principe de l’égale dignité des Etats membres. En fait, l’un d’entre eux - les États-Unis - est plus "digne" que tous les autres réunis. Tout ce qui reste intact, c’est une organisation militaire assez efficace qui a survécu aux échecs politiques.

 

L’activisme politique des secrétaires généraux depuis les Balkans est un exercice d’opérette. Je me souviens encore des apparitions conjointes des secrétaires de l’OTAN, de l’ONU et de l’UE dans les affaires balkaniques : dramatiques et ridicules. L’activisme militaire, principalement celui des Britanniques, a été incertain, vague et contradictoire.

 

Les fractures internes de l’OTAN sont apparues non seulement dans son incapacité à gérer les diatribes de longue date entre des États membres comme la Grèce et la Turquie, qui se sont traduites à plusieurs reprises par des menaces militaires, mais aussi dans la gestion de tous les conflits : ceux des Balkans, de l’Irak et de l’Afghanistan, mais aussi de la Géorgie, de la Libye, de la Syrie et de l’Ukraine.

 

Dans ce dernier cas, l’OTAN fonctionne de facto comme un sanctuaire pour toutes les incursions armées et les plaques tournantes d’armes de ses États membres vers l’Ukraine et contre la Russie. L’OTAN a renoncé à exprimer sa propre position, collégiale et unanime, comme le stipule le traité.

 

En fait, elle soutient et interprète les positions anti-russes des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la Pologne, de la Norvège et des États baltes qui n’ont absolument aucun intérêt dans la sécurité européenne. »

 

 

 

Le siège de l'OTAN à Bruxelles bientôt en faillite ?

Le siège de l'OTAN à Bruxelles bientôt en faillite ?

 

 

L’objectif des sanctions

 

Dans la pure tradition colonialiste de la « politique de la canonnière » et des « blocus », le camp occidental a choisi de pratiquer des sanctions à l’égard de la Russie, notamment en bloquant l’achat de gaz russe en Union européenne. C’est avant tout se tirer une balle dans le pied… dans l’intérêt des seuls Etats-Unis qui peuvent ainsi vendre leur GNL en Europe à un coût bien plus élevé.

 

Pour le général Mini, « les sanctions ne visent pas à défendre l’Ukraine, mais à affaiblir la Russie, à ruiner l’Europe et à favoriser l’économie des EU. Les mesures politiques collatérales dirigées contre la Chine préfigurent un conflit dans l’Indo-Pacifique en préparation.

 

Les mêmes Étasuniens qui critiquent l’implication en Ukraine dénoncent la perte de ressources stratégiquement cruciales pour la prochaine phase de confrontation/affrontement avec la Chine. La neutralisation de la Russie vise non seulement la castration de l’Europe, mais aussi l’élimination de son rôle en tant que puissance stratégique susceptible d’être déployée en soutien à la Chine. Le conflit ukrainien était censé accélérer ce processus, en maintenant la Russie engagée tout en renforçant la manœuvre américaine à l’Est. »

 

Ajoutons que le sabotage de North Stream dont on est pratiquement certain qu’il est l’œuvre des services secrets US, visent à empêcher tout retour en arrière, car ce gazoduc sous-marin est la principale voie de livraison du gaz russe vers l’Europe.

 

 

 

Le sabotage du principal gazoduc sous-marin Russie - Europe est plus que probablement l'œuvre des services secrets US.

Le sabotage du principal gazoduc sous-marin Russie - Europe est plus que probablement l'œuvre des services secrets US.

 

 

 

Qu’incarne Poutine ?

 

Ici, les propos du général Fabio Mini font polémique. Il affirme : « La Russie a essayé d’éviter le conflit, ce qui a été confirmé par le naïf Stoltenberg lui-même. Poutine voulait et aurait pu éviter l’invasion. Son erreur a été de ne pas insister suffisamment auprès de l’Occident sur les exigences en matière de sécurité.

 

Il a probablement cédé face à la pression de ses propres nationalistes et militaires, qui lui ont fait croire que la guerre serait un jeu d’enfant, et des EU eux-mêmes, qui considéraient l’entrée de l’Ukraine (et de la Géorgie) dans l’OTAN comme acquise depuis 2008 et qui prévoyaient de soutenir l’attaque ukrainienne contre la Crimée en 2021 avec une armée reconstruite par les pays de l’OTAN après la débâcle de 2015.

 

 

 

Qu'incarne donc Poutine qui se sonne volontiers l'image d'un homme secret.

Qu'incarne donc Poutine qui se sonne volontiers l'image d'un homme secret.

 

 

 

Le 16 mars 2022, 20 jours seulement après l’invasion, Poutine a prononcé un discours devant les chefs et les gouverneurs des républiques fédérées, donnant des instructions précises sur les mesures à prendre pour minimiser les dommages causés par les sanctions, rationaliser les procédures de production et de commerce extérieur, réduire les difficultés de la population et activer l’économie pour soutenir les opérations militaires.

 

L’extension du conflit par l’OTAN, à la demande de la Grande-Bretagne et de la Pologne, est la preuve de la menace réelle. Il est devenu clair pour la Russie que même sans invasion, l’OTAN s’étendrait, les sanctions seraient renforcées et le Donbass serait perdu, avec le risque de perdre également la Crimée. »

 

Le véritable enjeu de ce conflit est donc la Crimée qui est pour la Russie la seule porte ouverte vers les mers du Sud. C’est donc vital pour Moscou. Poutine n’a pas essayé d’éviter le conflit. Le prétexte de celui-ci est le Donbass qui fait l’objet d’affrontements meurtriers depuis le coup d’Etat de Maidan en 2014. Le maître du Kremlin incarne donc à la fois un nationalisme russe exacerbé, mais aussi, il faut bien l’admettre, il s’inscrit comme le protecteur de la Russie contre un Occident arrogant incarné, lui, par l’OTAN.

 

Et après ?

 

Si l’OTAN est perdante en ce conflit avec la Russie – et c’est une hypothèse plausible – quelles seront les conséquences ? On s’aperçoit que l’Armée russe utilise la stratégie de l’usure des hommes et des forces ukrainiennes. Les Occidentaux, sous la pression des Etats-Unis inondent l’Ukraine d’armes, bien que l’on sente une certaine lassitude dans plusieurs pays occidentaux dont la Belgique qui refuse jusqu’à présent de livrer des chasseurs F16 et même aux Etats-Unis.

 

Quelle sera donc l’attitude de l’OTAN ?

 

« L’OTAN n’a jamais accepté de défaite. Elle a toujours évité le jugement final et là où la fin n’est pas venue, comme dans les Balkans, elle a maintenu ses forces, diminuant progressivement sa présence et son efficacité. En Afghanistan, après avoir arraché l’opération d’assistance de l’ONU, elle s’est camouflée en aidant l’armée afghane avec le résultat que l’on sait.

 

Il est peut-être peu connu que le commandant étasunien de l’opération de l’OTAN a été le premier à recevoir l’ordre de l’OTAN de quitter l’Afghanistan. Le contingent dépendant du commandement étasunien (Centcom) s’est donc retrouvé à gérer le chaos bien avant l’arrivée des talibans.

 

En tout état de cause, l’OTAN dans cette situation n’a pas de voix propre, ni même le pouvoir d’accepter ou de refuser une défaite. En fait, elle est elle-même en crise. Un changement de la politique américaine pourrait même la faire disparaître de la scène des acteurs mondiaux ou régionaux. »

 

Une autre conséquence de ce conflit est l’isolement de l’Occident. Qu’entend-on par « Occident » ? Les Etats-Unis et leurs vassaux européens et du Sud-Est asiatique. Autrement dit, un bloc. Le général Fini plaide pour une conférence internationale qui fonderait un nouvel ordre basé sur la coopération et non sur la menace mutuelle qui existe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale avec la multiplication des armes nucléaires. Cela signifie la suspension des livraisons d’armes à l’Ukraine, ainsi que le refus de l’admission de nouveaux membres à l’OTAN.

 

Et il constate : « Les perspectives les plus sombres ont été dépassées, pour le pire, par la réalité. Un demi-million de soldats ukrainiens morts, 14 millions d’expatriés, un pays dévoré par la corruption, une Europe à bout de souffle, des Etats-Unis en recul par rapport au reste du monde, la perspective d’un conflit élargi qui pourrait impliquer l’Europe et le monde sont des choses pires que ce que nos bellicistes prévoyaient.

 

Et nous n’en sommes qu’au début. Il n’y a pas encore eu de bombes atomiques, mais je ne pense pas qu’il faille les avoir sur la tête pour décider de chercher une solution. »

 

Quand le Sud s’éveillera…

 

Il faut en plus tenir compte de l’évolution des pays du Tiers-monde qui ont manifesté à l’ONU où ils ont majoritairement voté contre les sanctions à l’égard de la Russie.

 

« Le Sud global évolue avec et sans les Brics. En Afrique du Sud, il a été clairement établi qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une multipolarité, c’est-à-dire d’avoir d’autres pôles auxquels les différentes parties du monde sont soumises. Au contraire, il faut davantage de coopération sous la bannière du respect mutuel, de l’égalité de dignité et de l’intérêt mutuel.

À cet égard, il est également nécessaire de comprendre les demandes émanant du monde entier et pas seulement de l’Occident. En tant qu’Occidentaux, nous n’avons pas d’avantage car nous n’avons rien à enseigner ou à exiger. Les pays du Sud s’opposent aux impérialismes de type colonial et non aux empires en tant que systèmes de pouvoir.

Ils n’en veulent pas à la Russie et à la Chine, qui sont des empires, mais dont ils n’ont pas connu la violence. Ils en veulent à l’Europe parce qu’elle est composée de tous les empires coloniaux du passé et des États-Unis, qui sont eux-mêmes devenus néocolonialistes et impérialistes.

Il est vrai que l’attention portée à l’Ukraine diminue, mais ce n’est pas parce que les choses vont mieux, qu’elles stagnent ou qu’elles sont ennuyeuses. C’est parce que les protagonistes de la propagande prennent note de l’évolution des opérations militaires et des positions politiques et n’ont pas envie de l’admettre. »

 

S’il existe une conséquence historique de la guerre Russie – Ukraine, c’est bien l’éveil des pays du Sud qui refusent de constituer un bloc hostile aux autres, mais veulent répondre par une coopération ne s’inscrivant pas dans les impérialismes actuels générateurs potentiels de guerres meurtrières et coûteuses.

 

Au moins, une perspective se dessine. On verra comment elle évoluera.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

(Prochainement : la chute de l’ordre international libéral)

 

 

 

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