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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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7 août 2015 5 07 /08 /août /2015 15:32

Une nouvelle rubrique sur le blog « Uranopole » en plus des articles d’analyse (parfois jugés trop longs par certains lecteurs) et des « morceaux d’humeur » qui sont des brèves sur l’actualité. Ici, discutons sur des sujets se référant au passé, au présent et à l’avenir qui posent des questions fondamentales. Discussion signifie que les commentaires sont ouverts.

 

Et nos deux premiers sujets de discussion sont la bombe d’Hiroshima et de Nagasaki et une réponse à Laurent Joffrin, le patron de « Libération » qui s’est fendu d’un « papier » sur George Orwell pendant la guerre d’Espagne.

 

Que nos lecteurs se rassurent : le prochain « papier » sera consacré à la suite des analyses sur la situation tragique de la Grèce.

 

PV

 

Première discussion :

 

Y a-t-il une leçon des 6 et 9 août 1945 ?

 

La première question : l’immense massacre d’Hiroshima et de Nagasaki – quelque 200.000 morts, sans compter les blessés et survivants irradiés – a-t-il eu une légitime utilité ?

 

Le mémorial à la mémoire des victimes de la bombe lancée sur Hiroshima

Le mémorial à la mémoire des victimes de la bombe lancée sur Hiroshima

 

La version officielle dit qu’il fallait lancer ces bombes pour faire plier l’état-major militariste japonais qui s’obstinait dans sa résistance à la victorieuse offensive américaine dans le Pacifique. Cela a épargné la vie de plusieurs dizaines de milliers de « boys » qui auraient dû mourir sur le territoire japonais.

 

Des historiens ont conclu tout autre chose : le Japon était exsangue sur le Pacifique et n’aurait tenu encore que quelques jours. Les combats auraient donc lieu sur le sol même de l’empire du Soleil levant. Des contacts diplomatiques auraient déjà été pris pour négocier une reddition – mais pas sans conditions. En effet, si les Japonais pensaient pouvoir résister à une invasion américaine sur leur propre sol, ils craignaient l’entrée en guerre de l’Union Soviétique, car ils n’auraient pas pu tenir sur deux fronts. Aussi, auraient-ils pris l’initiative d’éventuels pourparlers.

 

Donc, la véritable raison du lancement des deux bombes aurait été de montrer au monde et particulièrement à Staline la toute puissance américaine, le sort des armes étant fixé.

 

Le "champignon" de la bombe de Nagasaki qui a éclaté le 9 août 1945 à 11 h 15 locale. Un massacre quelque peu oublié...

Le "champignon" de la bombe de Nagasaki qui a éclaté le 9 août 1945 à 11 h 15 locale. Un massacre quelque peu oublié...

 

Incontestablement, quelle que soit l’hypothèse, l’utilisation des deux premières bombes atomiques a effrayé le monde entier. Personne n’avait imaginé que l’homme puisse façonner une arme d’une telle puissance destructrice et meurtrière. Et, conséquence inéluctable à ce monopole de la détention de l’arme « absolue », plusieurs savants ayant travaillé à la conception et à la fabrication de la bombe, déjà rongés par les remords, ont estimé qu’il était trop dangereux de laisser cette arme entre les mains d’une seule puissance et donnèrent leurs secrets à l’Union Soviétique qui put ainsi construire sa propre bombe et la faire exploser en 1949. La Grande Bretagne lança sa première arme nucléaire en 1952. La course aux armements était lancée.

 

Une nouvelle étape a été franchie dans les années 1960. La France procéda à son premier essai en 1960 en Algérie. La Chine fit de même sur son territoire en 1964. Durant cette période, avec la coopération de la France, Israël s’est doté également de la « bombe ». Mais cela n’a jamais été reconnu officiellement. Et c’est le cas aussi de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Il y avait donc une prolifération des armes nucléaires qui inquiéta l’opinion publique en Europe et au Japon et particulièrement en Belgique où furent organisées les grandes marches antiatomiques.

 

 

Les marches anti-atomiques à Bruxelles dans les années soixante constituèrent une très forte mobilisation.

Les marches anti-atomiques à Bruxelles dans les années soixante constituèrent une très forte mobilisation.

 

Les Etats-Unis s’inquiétèrent également de cette évolution, mais surtout par crainte de ne plus pouvoir assurer leur leadership sur le monde. Ils proposèrent un traité de non prolifération des armes nucléaires destiné à limiter la possession de l’arme nucléaire aux Etats qui la possédaient officiellement avant 1967, à savoir les USA, l’URSS, la Grande Bretagne et la France. Tous ces Etats sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Le traité fut signé le 1er juillet 1968 par ces quatre Etats plus une cinquantaine d’autres. Aujourd’hui, il compte 189 Etats signataires. La Chine populaire qui est rentré au Conseil de sécurité en 1971 a signé le traité, mais ne l’a pas ratifié et trois Etats ont refusé d’adhérer au traité : l’Inde, Israël, le Pakistan. En plus, la Corée du Nord s’est retirée du traité. Tous les quatre possèdent l’arme nucléaire…

 

Un organisme a été fondé par le traité pour assurer le contrôle de son application : l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Elle a joué un rôle particulièrement important en Iran où l’arme atomique serait clandestinement en construction.

 

Les « partisans » de la dissuasion nucléaire arguent que, sans l’arme atomique, il y aurait eu un troisième conflit mondial avec affrontement ouvert entre les deux grandes puissances d’après-guerre. Cet argument ne tient pas la route. Depuis le début de la guerre froide, c’est-à-dire depuis le 8 mai 1945, s’il y eut des moments de fortes tensions, il n’y eut que deux menaces sérieuses d'utilisation de l’arme nucléaire. La première, lors de la guerre de Corée en 1950. Le général Mc Arthur avait le projet fou lancer plusieurs bombes nucléaires à la frontière séparant la Chine de la Corée du Nord. Truman l’en interdit et le limogea.

 

Douglas Mac Arthur fut un de ces militaires mégalomanes dont le prestige monta à la tête.

Douglas Mac Arthur fut un de ces militaires mégalomanes dont le prestige monta à la tête.

La seconde n'eut rien à voir avec la guerre froide. Elle fut émise par Margaret Thatcher lors de la guerre des Malouines en mai 1982 suite au torpillage du Scheffield par les Argentins au moyen d'un missile français «Exocet». La Première britannique fit avertir le dictateur argentin Videla que s'il poursuivait les torpillages de la flotte britannique, elle userait de l'arme nucléaire.

Margaret Thatcher, ici en visite auprès des troupes britanniques, menaça d'utiliser l'arme nucléaire contre l'Argentine lors de la guerre des Malouines.

Margaret Thatcher, ici en visite auprès des troupes britanniques, menaça d'utiliser l'arme nucléaire contre l'Argentine lors de la guerre des Malouines.

 

Le blocus de Berlin de 1948, la répression de la révolte des ouvriers à Berlin-Est en 1953, l’écrasement en Hongrie en 1956, la crise de Suez, la même année, l’érection du Mur de Berlin en 1961, la guerre du Vietnam de 1964 à 1975, la guerre des Six jours en 1967, l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, la guerre du Kippour en 1973, l’invasion de l’Afghanistan en 1979, Solidarnosc en Pologne en 1980, la crise des euromissiles dès 1979 ne connurent pas de sérieuses menaces nucléaires, même si, en deux ou trois cas, fut brandi « l’épouvantail » – surtout du côté américain. Même la crise de Cuba de 1962 qui a été en réalité une partie de bras de fer entre Washington et Moscou qui, à l’époque, a fait très peur, n’a pas vu agiter la menace directe d’utilisation de la bombe, même si certains membres de l’état-major US souhaitaient en faire usage. En cela, on peut remercier feu le président JF Kennedy de leur avoir cloué le bec.

 

 

John Fitzgerald Kennedy en s'opposant à la folie meurtrière de son état-major, a sauvé la paix mondiale.

John Fitzgerald Kennedy en s'opposant à la folie meurtrière de son état-major, a sauvé la paix mondiale.

 

D’autre part, les Soviétiques, s’ils réprimèrent sévèrement à trois reprises des pays satellites, n’ont jamais tenté de franchir la ligne de démarcation entre l’Est et l’Ouest en Europe. Ils n’ont donc jamais constitué une menace sérieuse pour l’Occident. Et il y avait longtemps qu’ils avaient renoncé à la « révolution mondiale ».

 

Un armement énorme

 

La chute de l’URSS eut relativement peu d’effet sur la course aux armements. Si on lit les statistiques publiées par « Libération » du 5 août, la Russie possède 7.260 têtes nucléaires, les Etats-Unis, 7.500, la France 300, la Chine 260, le Royaume Uni 215, le Pakistan entre 100 et 120, l’Inde entre 90 et 210, Israël 80 et la Corée du Nord, 6 à 8. L’Afrique du Sud n’est pas citée. Tout cela est énorme !

 

Une des conséquences de la fin de l’Union Soviétique fut d’endormir l’opinion publique sur la question. En effet, peu de personnes craignaient un affrontement atomique direct entre les deux grandes puissances d’avant 1991.

 

Malgré les négociations américano – russes pour la réduction du stock et de la puissance de leurs arsenaux et malgré les efforts des Nations Unies et les appels des opinions publiques pour contrôler la dissémination des armes nucléaires, peu de résultats probants ont été obtenus : il reste un stock énorme d’ogives nucléaires.

 

Depuis la chute du Mur, on assiste à deux phénomènes. En premier lieu, une certaine anarchie règne à l’Est. L’Ukraine prétend ne plus disposer d’armes nucléaires, mais est-ce exact ? La politique de la Russie en la matière n’est pas très claire. Il est d’ailleurs fort probable que l’annexion de la Crimée est liée entre autres à l’armement atomique qui se trouve à Sébastopol.

 

Deuxièmement, ce sont les tentatives de fabrication clandestine d’armes nucléaires dans des pays comme l’Iran qui sont inquiétantes. On verra ce que donne le récent accord à ce sujet entre les USA et la République islamique. L’Irak de Saddam Hussein avait en son temps lancé un programme, mais Israël l’a stoppé net en faisant bombarder les installations irakiennes. La politique d’Israël est claire à ce sujet : ne pas tolérer la possession d’armes nucléaires par des pays proches. C’est la raison de l’intransigeance et même de la volonté de guerre de Netanyahou avec l’Iran.

 

Il y a encore énormément de pain sur la planche. Nous vivons dans un monde qui n’aura probablement jamais été aussi dangereux tant il est instable et où les déséquilibres sont démesurés. Aucun effort n’est sérieusement fait pour calmer le jeu. Le risque est de voir l’arme nucléaire échapper à tout contrôle. Et là, son utilisation est dans l'ordre des choses possibles.

 

Pierre Galand, qui sait de quoi il parle, lance un appel à une mobilisation pour la fin définitive de la dissuasion nucléaire.

Pierre Galand, qui sait de quoi il parle, lance un appel à une mobilisation pour la fin définitive de la dissuasion nucléaire.

 

Il faut mettre fin à la dissuasion nucléaire qui représente une menace mortelle pour l’humanité et qui est extrêmement coûteuse. Il faut donner plus de pouvoir aux agences spécialisées afin qu’elles puissent exercer un contrôle plus efficace. Elles doivent être placées sous le contrôle direct de l’ONU, via son secrétaire général. Le Conseil de sécurité étant composé de puissances nucléaires risque de tout neutraliser ou de créer un rapport de forces au profit de la plus grande puissance du moment, les Etats-Unis.

 

Dans un appel datant du 4 août dernier à plusieurs personnalités de tous horizons empreintes d’humanisme et qui refusent de s’aligner sur la logique des puissances impériales, Pierre Galand, fondateur du CNAPD (Centre National d’Action pour la Paix et le Développement, actuellement CNCD – Centre National de Coopération du Développement), président du Forum Nord-Sud, ancien sénateur écrit :

 

« Aujourd’hui, l’accord avec l’Iran constituera-t-il un fait nouveau pour endiguer ce risque mortel ? Rappelons que l’arme atomique, dite de dissuasion, est destinée à éradiquer toute forme de vie comme ce fut le cas à Hiroshima et Nagasaki. Cette arme est d’essence inhumaine et sa production ainsi que sa prolifération doivent être condamnés comme acte de barbarie et crime contre l’Humanité.

 

A l’occasion de ce terrible 70ème anniversaire, des propositions sont élaborées en vue de mettre fin à la dissuasion nucléaire et pour qu’aucun pays au monde ne possède d’armes nucléaires. Une étape importante consiste à exercer un contrôle plus que transparent sur ces armements avec l’ONU et ses agences spécialisées. Ensuite, il y a lieu d’interdire toute nouvelle prolifération et modernisation des armes nucléaires et d’accélérer les négociations pour des engagements précis et la vérification du désarmement nucléaire complet sous contrôle international.

 

Il faut que les opinions publiques se remobilisent et je ne peux qu’appuyer les prises de positions adoptées récemment en ce sens par de nombreux responsables religieux, notamment le Conseil Œcuménique des Eglises et le Vatican.

 

Des Etats s’engagent, tel l’Autriche, pour obtenir que les armes nucléaires soit rangées au rang des armes proscrites, à bannir définitivement par la voie légale. La Belgique et l’Union Européenne joueront-elle aussi un rôle en ce sens ? »

 

Ce n’est que par le multilatéralisme que l’on y arrivera. Mais, les grands de ce monde l’accepteront-ils ? C’est pourquoi, il est indispensable de mobiliser les peuples comme cela été fait dans les années soixante et quatre-vingt.

 

Pierre Verhas

 

 

Deuxième discussion :

 

Orwell récupéré ?

 

Le plus grand écrivain du XXe siècle, l’Anglais George Orwell, connu pour son dernier roman intitulé « 1984 », est à nouveau à la mode depuis les affaires Wikileaks et Snowden. Les lecteurs du blog « Uranopole » savent combien cet auteur qui fut aussi un homme de combat et de loyauté, sert de référence.

 

George Orwell sur le front d'Aragon avec les troupes du POUM. Sur cette photographie, figure aussi sa femme Eileen et un de ses amis, Harry Milton, volontaire juif anglais.

George Orwell sur le front d'Aragon avec les troupes du POUM. Sur cette photographie, figure aussi sa femme Eileen et un de ses amis, Harry Milton, volontaire juif anglais.

 

Laurent Joffrin, le directeur du journal « Libération » s’est intéressé à lui dans une rubrique d’été qu’il consacre aux grands écrivains du siècle dernier. Cet article contient plusieurs erreurs factuelles dont certaines peuvent désorienter le lecteur. J’ai profité de cette occasion pour rappeler à un des « phares » de l’intelligentsia parisienne, les véritables enjeux de la démarche de George Orwell et de plusieurs de ses camarades dont quelques-uns payèrent de leur vie, souvent dans les pires conditions, leur combat pour la liberté et l’égalité.

Laurent Joffrin, directeur de "Libération", ferait bien d'être un peu plus rigoureux.

Laurent Joffrin, directeur de "Libération", ferait bien d'être un peu plus rigoureux.

 

On peut lire cet article sous cet URL :

 

http://www.liberation.fr/cahier-ete-2015/2015/07/31/orwell-empreint-d-espagne_1357056

 

Monsieur le Directeur,

 

A la lecture de votre article intitulé « Orwell, empreint d’Espagne » paru dans « Libération » daté du samedi 1er et du dimanche 2 août 2015, je me dois de vous signaler que j’ai découvert plusieurs erreurs factuelles.

 

En premier lieu, c’est un détail, mais Orwell n’a pas vendu de l’argenterie pour payer son voyage vers Barcelone – j’ignore où vous avez trouvé cela, mais cela ne figure pas dans la biographie de référence d’Orwell, celle de Bernard Crick, George Orwell, une vie, dont la traduction française est parue pour la première fois en 1982 chez Balland. Pour partir en Espagne, il fallait passer par une organisation politique qui avait des correspondants en Espagne. Eric Blair essaya d’abord via le parti communiste anglais qui recrutait pour les Brigades internationales, mais il renonça, car les propos qui lui furent tenus critiquaient plus les anarchistes que les fascistes. Il passa ensuite par un petit parti à la gauche des travaillistes, l’ILP (Independant Labour Party) qui était en relation avec le POUM. Il arriva à Barcelone en décembre et fut accueilli par John Mc Nair qui était le représentant de l’ILP auprès du POUM. Il fut incorporé à la milice de ce parti qui s’appelait « bataillon Lénine ».

 

 

Le bataillon "Lénine" du POUM. On remarque George Orwell tout à l'arrière. Il a la plus grande taille !

Le bataillon "Lénine" du POUM. On remarque George Orwell tout à l'arrière. Il a la plus grande taille !

 

Et ici, on arrive à la deuxième erreur factuelle : Orwell (qui s’était engagé sous son vrai nom, Eric Blair) ne reçut pas d’instruction militaire à Barcelone, il fut lui-même instructeur. En effet, il avait une expérience militaire en tant qu’ancien officier de police en Birmanie. Il fut d’ailleurs nommé au grade de cabo ou caporal et commandait douze hommes. Il fut effectivement conduit au front d’Aragon.

 

Son commandant était Georges Kopp qui, troisième erreur factuelle, n’a jamais été secrétaire de Trotski. Orwell, dans Hommage à la Catalogne, prétend qu’il est Belge. C’est faux également. George Kopp était issu d’une famille russe de Saint-Pétersbourg qui s’était réfugiée en Belgique suite à la révolution de 1905. Cependant, il se faisait passer comme Belge, ingénieur et ancien officier de réserve de l’armée belge. Trois mensonges : il était Russe, bien qu’ayant passé toute son enfance à Bruxelles (à l’époque, la naturalisation était quasi impossible en Belgique), il n’était pas ingénieur ; il avait fait deux ans d’études à la faculté polytechnique de l’Université Libre de Bruxelles et puis avait abandonné et enfin, il n’était pas officier de réserve, puisqu’il n’avait pas la nationalité belge ! Pour se faire engager par le POUM – il le fit, parce qu’il était poursuivi en Belgique pour escroquerie et avait fui à Perpignan – il prétendit en outre que comme « ingénieur », il avait fabriqué des munitions pour les Républicains espagnols…

 

 

Georges Kopp, commandant du bataillon Lénine sur le front d'Aragon fut un excellent officier.

Georges Kopp, commandant du bataillon Lénine sur le front d'Aragon fut un excellent officier.

 

Malgré tout, Kopp s’est révélé être un excellent commandant et il était fort apprécié aussi bien de ses hommes que de l’état-major républicain. Orwell et Kopp entretinrent d’ailleurs d’excellentes relations.

 

Ensuite, il ne s’agit pas d’une erreur factuelle à proprement parler, il s’agit de l’omission d’un épisode essentiel du parcours de George Orwell en Espagne, sans lequel il est difficile de comprendre la démarche de George Orwell..

 

Et cette histoire que vous avez passée sous silence, Monsieur le Directeur, je vous la narre ici.

 

Fin avril 1937, Orwell obtint une permission et rejoignit Barcelone. Il trouva une ville transformée, embourgeoisée, mais il ne s’attendit pas à la tragédie qu’il vivra à la fois comme acteur et comme témoin. Le 3 mai 1937, la Guardia civil sous le commandement du gouvernement républicain de Valence attaqua le central téléphonique occupé depuis juillet 1936 par les ouvriers de la CNT, sous prétexte que des communications officielles étaient interceptées. La manœuvre de la garde civile consistait en fait à occuper les immeubles constituant des lieux stratégiques dans la ville. Cela déclencha un mouvement de masse inattendu par les dirigeants politiques et syndicaux et les attaquants : la classe ouvrière de Barcelone se soulevait pour défendre les acquis de son combat et haïssait les gardes civils qu’elle pensait avoir éliminés ! Les dirigeants de la CNT rallièrent ce mouvement avec réticence, d’autres refusèrent même de le suivre. Les chefs du POUM firent également preuve d’attentisme. Ils ne désavouèrent pas la résistance des ouvriers, mais étaient réticents à cautionner un soulèvement contre le gouvernement républicain tant que la guerre contre les fascistes n’était pas gagnée.

 

Barricades montées par les combattants ouvriers à Barcelone en mai 1937 pour stopper la Garde civile derrière laquelle se trouvait le Parti communiste stalinien.

Barricades montées par les combattants ouvriers à Barcelone en mai 1937 pour stopper la Garde civile derrière laquelle se trouvait le Parti communiste stalinien.

 

Au moment de ces événements, Orwell, quant à lui, se trouvait dans à l’hôtel Continental où logeait la petite communauté anglaise qui combattait avec le POUM. Kopp les avait rejoints. Lorsque les combats éclatèrent, il s’agissait de défendre un autre hôtel, le Falcon, où se trouvaient les locaux du POUM. Ils étaient attaqués par la garde civile. Kopp prit le commandement et chercha à éviter une effusion de sang. Il négocia avec les gardes civils dont les forces étaient à peu près égales avec celles du POUM. Il obtint un cessez-le-feu précaire. Mais Orwell fut profondément marqué par ces événements.

 

Le 7 mai, 6.000 gardes civils arrivent de Valence. Le gouvernement républicain de Caballero qui refusait de détruire les conquêtes ouvrières et de rétablir l’Etat bourgeois fut renversé par le gouvernement de Juán Negrin, socialiste manipulé par les Communistes. Les combats firent 400 morts et 1000 blessés.

 

Tout était consommé. Comme l’écrit Edouard Waintrop : « La révolution était dès lors vaincue. Ville éloignée du front, Barcelone s’était révélée être le siège de toutes les contradictions à l’œuvre dans le camp républicain. ». L’autonomie de la Catalogne fut supprimée, les milices démantelées et le POUM dissous. Plusieurs dirigeants révolutionnaires dont Andrès Nin furent arrêtés par la police secrète stalinienne qui sévissait en Espagne.

 

Andrès Nin (en catalan Andreu), dirigeant fondateur du POUM, ancien secrétaire de Trotski, militant syndicaliste international, résista jusqu'au bout aux tourments et tortures du NKVD stalinien.

Andrès Nin (en catalan Andreu), dirigeant fondateur du POUM, ancien secrétaire de Trotski, militant syndicaliste international, résista jusqu'au bout aux tourments et tortures du NKVD stalinien.

 

Cependant, il était impossible pour les Staliniens d’accuser publiquement tous ces dirigeants. Toute la machination stalinienne se serait effondrée. Aussi, tentèrent-ils de leur faire avouer leurs « crimes » comme dans les procès de Moscou. Orwell explique la méthode pernicieuse utilisée par les Staliniens pour emprisonner leurs adversaires : ils demandaient à des policiers subalternes de les arrêter et de les conduire en prison. Comme il subsistait encore un semblant de légalité, les militants étaient relâchés presqu’aussitôt, car un simple policier n’avait pas le droit de procéder à des arrestations sans mandat et sans le commandement d’un officier. À la sortie de la prison, les agents staliniens se saisissaient de ces hommes pour les conduire dans leurs prisons secrètes.

 

Quant à Andrès Nin, il disparut juste après son arrestation. Plusieurs semaines après, le gouvernement républicain désigna un juge d’instruction pour enquêter sur cette inquiétante absence de nouvelles – on soupçonnait la police de l’avoir exécuté. Le chef de la Sûreté, le communiste Antonio Ortega, fut révoqué, mais Nin n’était toujours pas retrouvé. Cette affaire eut un retentissement dans le monde entier : Andrès Nin était une figure du mouvement ouvrier international en tant qu’ancien secrétaire de Trotski en 1920 avant de rompre avec lui, de la CNT et de l’Internationale syndicale rouge.

 

Des intellectuels se mobilisèrent sous l’impulsion de Victor Serge dès juin 1937. Willy Brandt, futur chancelier de l’Allemagne fédérale, alors membre du SAP (Socialistische Arbeiterpartei), parti frère de l’ILP, s’engagea également. Trois délégations internationales se rendirent en Espagne pour enquêter sur la disparition d’Andrès Nin et les accusations portées contre le POUM. Le Premier ministre Negrin refusa de les recevoir, mais les ministres de la Justice et de la Défense acceptèrent de les rencontrer. Ils ne purent que leur avouer leur impuissance. La police était devenue « indépendante » - c’est-à-dire aux ordres du Parti communiste et du NKVD – et avouent : « Nous avons reçu l’aide de la Russie et nous avons dû permettre certains actes qui ne nous plaisent pas. » Les délégations souhaitèrent aussi visiter les prisons de Barcelone. On ne leur montra que la grande prison appelée cyniquement Càrcel modelo où ils virent, dans la cour, quelque 500 prisonniers en rang chantant l’Internationale ! Ils n’eurent évidemment pas accès aux prisons clandestines du NKVD.

 

Le sort d’Andrès Nin fut connu bien plus tard. Il fut encore plus tragique que l’on imaginait. Un ancien dirigeant communiste, Jesus Hernandez ancien ministre du gouvernement de Front populaire de Caballero et puis de Juan Negrin révéla ce qu’il s’était passé. Hernandez se réfugia en URSS en 1939 et fut envoyé en 1942 au Mexique pour réorganiser le parti communiste espagnol en exil. Il ne put se taire et révéla les conditions effroyables dans lesquelles vivaient ses compatriotes en exil en URSS. Il fut exclu du parti communiste soviétique, et sa mère et sa sœur furent gardées en otage et puis déportées dans un camp de concentration. En 1953, Hernandez publia un ouvrage dont le titre français est La Grande Trahison, où il décrivit le rôle du NKVD en Espagne. On y lit que Nin fut livré par la police communiste au chef du NKVD en Espagne, Alexandre Orlov, dit Nikolski. Le dirigeant du POUM fut détenu dans une prison privée à Alcala dans la banlieue madrilène où il fut torturé pour qu’on obtienne des « aveux » analogues à ceux qui ont été extirpés des accusés des procès de Moscou. Ces « aveux » devaient servir à confirmer la thèse stalinienne de collusion entre les fascistes et les « trotskistes ».

 

Mais, c’était sans compter le courage et la force d’Andrès Nin. Il fut torturé au point d’avoir le corps complètement déchiqueté. Nin n’avoua pas. Orlov s’affola, car il était impossible de faire le « procès public » aussi déterminé et dans l’état où il l’avait fait mettre. Il décida aussitôt de la liquidation pure et simple du chef du POUM.

 

Louis Gill dans George Orwell, de la guerre civile espagnole à « 1984 », écrit : « Ayant résisté à la torture et refusé d’« avouer », Nin devenait un redoutable accusateur s’il devait survivre. Comme il était impossible par ailleurs de reconnaître qu’on l’avait assassiné, on inventa la thèse loufoque de son évasion grâce à l’intervention de membres de la Gestapo 39 déguisés en combattants des brigades internationales qui auraient réussi, sans un seul coup de feu, à franchir la « forteresse inexpugnable » de la prison privée où se trouvait Nin pour se rendre jusqu’à lui, et à la franchir de nouveau pour s’enfuir avec lui. C’est le commissaire politique Vittorio Vidali, alias Carlos Contreras, « le plus démoniaque des collaborateurs d’Orlov » comme le décrit Hernández, qui a « achevé » Nin. »

 

À l’occasion d’un hommage international rendu à Nin en 1954, Albert Camus commenta ainsi cette fin tragique dans une lettre adressée à l’ancien dirigeant du POUM, Wilebaldo Solano : « La mort d’Andrés Nin marque un virage dans la tragédie du XXe siècle, qui est le siècle de la révolution trahie. »

 

Orwell rejoignit le front d’Aragon où, comme vous l’écrivez, il fut blessé à la gorge. Plus ou moins bien soigné, il revint à Barcelone où il apprit que Georges Kopp avait été arrêté. Le POUM avait été déclaré illégal. Eileen, l’épouse de George Orwell, l’avertit. Orwell n’en crut rien et ne se considérait pas comme un criminel, bien que sa chambre d’hôtel ait été perquisitionnée et que la police avait emporté tous ses documents, à l’exception des passeports et du carnet de chèques. Eileen dut lui expliquer que ce n’était pas des criminels qu’on arrêtait, mais qu’on installait un régime de terreur !

 

En dépit des risques, George Orwell parvint à voir Kopp en prison qui lui remit une lettre pour l’état-major de l’armée républicaine. Il s’agissait de retrouver les instructions qu’il avait apportées de Valence et qui avait été saisies par la police. Finalement, avec l’aide d’un officier de l’armée, il parvint à récupérer ces documents. Malheureusement, cela ne changea rien au sort de Kopp. Après son retour en Angleterre, Orwell fit pression auprès du monde intellectuel et de la presse pour faire libérer Kopp qui a lui aussi subi les tortures de la GPU.

 

Eileen Blair et George Orwell finirent par fuir. Ils rejoignirent l’Angleterre quelques semaines plus tard après être passé par la France. En conclusion de son merveilleux récit « Hommage à la Catalogne » qu’Orwell eut très difficile à faire éditer, tant les communistes étaient influents dans le monde de l’édition, l’ancien volontaire du bataillon Lénine écrivit : « … Londres, les berges du fleuve boueux, les affiches parlant des matches de cricket et de noces royales, les hommes en chapeau melon, les pigeons de Trafalgar Square – tout cela plongé dans le profond, profond sommeil d’Angleterre, dont parfois j’ai peur que nous nous réveillions qu’arrachés à lui par le rugissement des bombes. » Ce fut rédigé en 1937…

 

Ainsi, voulant compléter, sans doute trop longuement, mais en détail, votre récit, Monsieur le Directeur, j’espère modestement en cette affaire démentir les propos de l’auteur de « 1984 » cités dans votre article : « Tôt dans ma vie, j’ai remarqué qu’aucun événement n’avait jamais été relaté avec exactitude dans les journaux ; mais en Espagne, pour la première fois, j’ai lu des articles de journaux qui n’avaient aucun rapport avec les faits, ni même l’allure d’un mensonge ordinaire. J’ai vu l’histoire rédigée non pas conformément à ce qui s’était réellement passé, mais à ce qui était censé s’être passé selon les diverses « lignes de parti ». Ce genre de chose me terrifie, parce qu’il me donne l’impression que la notion même de vérité objective est en train de disparaître de ce monde. »

 

Propos malheureusement toujours en vigueur au regard de la relation des graves événements que nous vivons.

 

Bien cordialement,

 

Pierre Verhas

1180 Bruxelles (Belgique)

 

Bibliographie :

 

Bernard Crick, George Orwell, une vie

 

Louis Gill : De la guerre civile espagnole à 1984

 

George Orwell : Hommage à la Catalogne

 

Edouard Waintrop, Les Anarchistes espagnols (1868 – 1981)

 

Jesus Hernandez, La Grande Trahison

 

Marc Wildemeersch, De man die Belg wilde worden. Georges Kopp, commandant van George Orwell (L’homme qui voulait devenir Belge. Georges Kopp, le commandant de George Orwell

Pierre Verhas, L’imposture de Barcelone (in Révolution prolétarienne, 2013)

 

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