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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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7 février 2016 7 07 /02 /février /2016 20:44

 

 

L’orientation du blog « Uranopole » est résolûment laïque. Encore faut-il savoir ce qu’on entend par ce qualificatif, ce qui n’est pas chose aisée.

 

 

En premier lieu, le substantif « laïcité » est intraduisible dans la plupart des langues. Et dans l’idiome français, il prend plusieurs définitions. Or, la Constitution française de 1958 en son introduction proclame que la France est une République « laïque ». En Belgique, il n’est pas question de laïcité dans les textes légaux à l’exception des dispositions sur les cultes où la laïcité est reconnue comme un culte ! Dans les autres pays européens, le régime est soit concordataire, soit de religion d’Etat.

 

Cette difficulté à définir précisément la « laïcité » est source de conflits, surtout quand le religieux redevient une pièce essentielle du débat social.

 

En second lieu, la laïcité – et c’est en grande partie la faute des laïques eux-mêmes – se positionne comme l’antithèse de la religion, ce qu’elle n’est pas. Pourtant, il faut bien reconnaître, lorsqu’on écoute le discours de certains militants laïques, il y a fort souvent confusion entre la laïcité, l’athéisme, le rationalisme, l’anticléricalisme… tous concepts différents n’ayant aucun lien entre eux.

 

Depuis les attentats de Paris, la controverse sur la place de la religion dans la société est relancée et ce, dans les plus mauvaises conditions puisque la peur suscitée par les horreurs vécues et vues à Paris et celles bien médiatisées de Daesh ne peuvent pas donner la sérénité nécessaire à ce débat.

 

Laïque ou multiculturel ?

 

Laurette Onkelinx, la chef de l’opposition socialiste francophone en Belgique, souhaite « à titre personnel » qu’il y ait un débat sur la laïcité en Belgique avec éventuellement une inscription de celle-ci dans la Constitution. Elle déclare en sus ne pas être opposée à un débat sur le voile. Le libéral flamand Patrick Dewael, ancien ministre et ancien président de la Chambre, saisit la balle au bond favorablement.

 

 

Laurette Onkelinx, présidente de la Fédération bruxelloise du PS, souhaite-t-elle renoncer au multiculturalisme ?.

Laurette Onkelinx, présidente de la Fédération bruxelloise du PS, souhaite-t-elle renoncer au multiculturalisme ?.

 

 

Est-ce une réponse de la part de Laurette Onkelinx, aussi présidente de la Fédération bruxelloise du PS, aux accusations de laxisme dont fait l’objet ce Parti et surtout son prédécesseur Philippe Moureaux, suite aux problèmes posés par la présence de djihadistes à Molenbeek et surtout parce que le courant multiculturel auquel Onkelinx adhérait, semble battre de l’aile ? Il s’agirait de sa part d’un virage à 180°. On observe que du côté flamand, le multiculturalisme est aussi en débat chez les Socialistes flamands, leur nouveau président, John Crombez, se positionnant en faveur d’un traitement plus sévère de la problématique des réfugiés. Et, de leur côté, les libéraux francophones du MR ont déposé 24 propositions de lois cadenassant la laïcité, dont 18 sont consacrées au seul voile islamique !

 

Or, opposer la laïcité au multiculturalisme n’a non seulement pas de sens, mais est aussi erroné. Le multiculturalisme n’est pas l’Islam dominant, par définition, puisqu’il prône la cohabitation entre communautés de cultures différentes, ce que justement combat l’intégrisme islamiste.

 

Alors, comment définir la laïcité ? A mon sens, la meilleure définition en a été donnée récemment par Elina Lemaire, une juriste de l’Université de Bourgogne dans une tribune à « Libération » du 2 février 2016.

 

 

 

Elina Lemaire, Maître de conférence de droit public à l'Université de Bourgogne (à gauche sur le cliché) est ferme sur les deux piliers de la laïcité.

Elina Lemaire, Maître de conférence de droit public à l'Université de Bourgogne (à gauche sur le cliché) est ferme sur les deux piliers de la laïcité.

 

 

On sait qu’en France, une polémique est née suite à la querelle entre le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, ancien ministre et proche collaborateur de François Mitterrand et l’actuel Premier ministre, Manuel Valls.

 

Tout a commencé le 6 janvier par une interview de la philosophe Elisabeth Badinter à France Inter où elle déclara : « Il faut s’accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, qui a été pendant pas mal d’années le stop absolu, l’interdiction de parler et presque la suspicion sur la laïcité. A partir du moment où les gens auront compris que c’est une arme contre la laïcité, peut-être qu’ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses. »

 

L’épouse de l’ancien Garde des Sceaux estime donc que la critique de l’Islam est donc interdite de peur de se faire accuser d’islamophobie et que c’est la laïcité qui est stigmatisée. Elle ajoute, en réponse à un auditeur : « il se trouve que nous avons dans notre histoire, depuis plus d’un siècle, l’idée que dans des lieux publics et en particulier dans des écoles, nous devons observer de la neutralité politique, idéologique, religieuse. Dès lors qu’on essaye de mettre de côté cet absolu de la laïcité, eh bien on contrevient à la laïcité, et je ne suis pas d’accord avec cet auditeur qui pense que mettre un voile ou pas un voile, ça n’intéresse personne. Ça dépend de l’endroit. Dans la rue, on peut faire ce qu’on veut

 

 

Elisabeth Badinter, chaude partisane d'une laïcité stricte, a mis le feu aux poudres.

Elisabeth Badinter, chaude partisane d'une laïcité stricte, a mis le feu aux poudres.

 

 

Donc, pour Elisabeth Badinter et ses partisans, la laïcité se résume à la neutralité politique, idéologique et religieuse dans les lieux publics. Elle prône ainsi une définition restrictive de la laïcité considérée comme étant uniquement la stricte observation de la neutralité.

 

Cette manière de voir les choses est loin de faire l’unanimité dans les milieux laïques. Nicolas Cadène, le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, organisme qui dépend de Matignon et qui est présidé par Jean-Louis Bianco, a réagi vivement aux propos d’Elisabeth Badinter. Tollé ! Une pétition circule demandant la démission de Bianco. Manuel Valls se fâche tout rouge. Les tweets et les cartes blanches fleurissent. C’est la typique tempête intello-médiatique (dans un verre d’eau) parisienne.

 

 

Jean-Louis Bianco, président de la Observatoire français de la laïcité et partisan d'une laïcité ouverte au multiculturalisme, fait l'objet d'une fatwa de la part des laïques rigoristes.

Jean-Louis Bianco, président de la Observatoire français de la laïcité et partisan d'une laïcité ouverte au multiculturalisme, fait l'objet d'une fatwa de la part des laïques rigoristes.

 

 

Selon « Libération » : « Au fond, dans ces débats, toute la difficulté est de répondre à cette question. Or, elle remonte à loin. «Il y a toujours eu dans la société des oppositions au sein même du camp républicain, entre différentes conceptions», rappelle ainsi Philippe Portier, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (Paris-Sorbonne), où il occupe la chaire «Histoire et sociologie des laïcités», et directeur du «Groupe sociétés, religions, laïcités» (GSRL), un laboratoire cofinancé par le CNRS et l’Ecole pratique des hautes études. «Cette division date en fait de 1905» et l'adoption de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, rappelle pour sa part Jean Baubérot, son prédécesseur. «Une partie de la gauche a suivi à reculons Aristide Briand», rapporteur de la loi, tandis que «certains ont dit qu'ils considéraient la loi comme une première étape vers la laïcisation intégrale. Aujourd’hui, leurs héritiers invoquent la loi de 1905, mais leur perspective, ce sont les amendements refusés à l'époque ».

 

Deux piliers

 

Elina Lemaire répond à cette question. « Ce principe (…) repose sur deux piliers : d’une part la neutralité de l’Etat (et plus largement de toutes les personnes publiques) ; d’autre part, la liberté de conscience et ses multiples facettes (dont la liberté religieuse et la liberté d’expression religieuse). »

 

Elle ajoute : « Le principe de neutralité est proclamé à l’alinéa 1er de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 (…) aux termes duquel « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ».

 

C’est ce qu’on appelle la dimension négative de la laïcité « dans le sens où il impose à l’Etat et aux personnes publiques une stricte abstention en matière religieuse. » Elena Lemaire ajoute que ce principe est source d’obligations uniquement pour la République.

 

Et une de ces obligations est de garantir l’effectivité de la liberté de conscience des individus. Madame Lemaire cite alors des extraits des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi de 1905. Ainsi, le député Jean-Baptiste Bienvenue-Martin déclarait : « (…) En employant cette expression [l’Etat ne reconnaît aucun culte], nous avons voulu, non pas affirmer une doctrine philosophique, mais simplement appliquer le principe de la liberté de conscience et proclamer la neutralité de l’Etat en matière confessionnelle. »

 

Il y a donc un lien entre la neutralité de l’Etat et la liberté individuelle de conscience. Elena Lemaire en vient à une définition complète de la laïcité : « … le principe de neutralité, première composante du principe de laïcité est au service de la liberté de conscience. »

 

Or, aujourd’hui, ce sont ces deux piliers de la laïcité qui se heurtent. Le camp des « durs » insiste sur la neutralité et celui de « l’ouverture » sur la liberté de conscience. Pourquoi en est-on arrivé là ? Il faut remonter l’histoire.

 

La laïcité est née à la fin du XIXe siècle dans un Etat dominé par la bourgeoisie qui était divisée en deux camps. Le camp traditionnel catholique, royaliste, antisémite et le camp libéral, républicain, imprégné des idées des Lumières. En Belgique, le clivage se faisait également entre cléricaux traditionalistes et libéraux anticléricaux et le compromis fut trouvé dès l’indépendance en 1830 par un compromis entre la laïcité est un système concordataire.

 

La loi de 1905 est le résultat d’un accord entre les deux bourgeoisies. L’Eglise restait libre et l’Etat ne se mêlait pas de ses affaires en échange de la neutralité de la puissance publique dont les choix ne pouvaient en aucun cas être imposés par le clergé. Ce compromis a sans conteste installé un équilibre relativement stable dans la société française. D’ailleurs, peu de lois n’ont tenu plus d’un siècle quasi sans mises à jour ou abrogations.

 

Cependant, cette œuvre politique a été engendrée à l’époque de la colonisation. Il n’y avait quasi pas de population allochtone en Europe. Les colonisés restaient chez eux sous le contrôle des colons et des armées des puissances coloniales. Sur le plan philosophique, le clivage se faisait en France et en Belgique entre l’Etat et les milieux laïques d’une part, et l’Eglise catholique, les autres confessions étant insignifiantes.

 

Un troisième larron

 

Tout a changé avec l’immigration. L’arrivée par vagues successives de populations originaires des anciennes colonies françaises du Maghreb a profondément changé le paysage sociologique, surtout dans les grandes villes. Et dans le paysage spirituel, un troisième larron s’est donc progressivement installé : l’Islam.

 

Finie donc la coexistence plus ou moins pacifique entre l’Eglise catholique apostolique romaine et l’Etat neutre. Avec l’influence croissante de la religion musulmane, la donne a changé : « on » n’est plus entre nous ! Et cela, il n’y en a pas beaucoup qui ne l’ont pas compris.

 

Tout d’abord, en dépit des efforts louables mais un peu vains d’associations catholiques et laïques, il faut bien constater qu’elles n’ont pu concilier Islam et les principes de vie commune occidentaux. Ensuite, il y a la montée du racisme, il y a les crises pétrolières qui contribuent à fragiliser notre économie et donc notre tissu social, il y a les guerres interminables, injustes et meurtrières au Moyen-Orient et, par notre aveuglement coupable, on a laissé faire les pétromonarchies de la Péninsule arabique qui ont favorisé la montée de l’islamisme salafiste le plus violent. Les populations allochtones de confession musulmanes se trouvent ainsi de plus en plus marginalisées offrant un terreau au fanatisme et au terrorisme.

 

 

Ne portons-nous pas une large part de responsabilités dans ce sanglant gâchis ?

Ne portons-nous pas une large part de responsabilités dans ce sanglant gâchis ?

 

 

Il y a une évidente irresponsabilité de la part des autorités publiques en cette occurrence. L’Etat a fermé les yeux sur la misère sociale qui ne faisait que croître et les courants philosophiques et religieux ont entretenu sinon provoqué une situation conflictuelle par des attitudes discriminatoires et de rejet. Mais l’Etat n’a trouvé comme réponse que la répression.

 

Interdire n’est jamais convaincre.

 

La réaction la plus stupide d’une partie du monde laïque fut sa campagne contre le port du voile islamique. Depuis 1989, sous l’impulsion de la même Elisabeth Badinter, une large part du courant laïque en France et en Belgique s’est mobilisée pour l’interdiction du port du voile dans les écoles et les administrations publiques. Une loi a été votée en France sous la présidence de Jacques Chirac et la Belgique a tergiversé, mais l’interdiction du port du voile est de fait dans les écoles de l’enseignement officiel. Conséquences : sur le terrain, cela n’a fait qu’isoler les Musulmans. Tout comme Elisabeth Badinter ne craint pas de se faire accuser d’islamophobie, certaines réactions violentes contre le port du voile peuvent être assimilées à du racisme. En plus, on n’a pas compris un élément essentiel : interdire n’est jamais convaincre.

 

Malgré ces interdictions, la polémique n’a cessé de s’amplifier. Et les attentats de Paris l’ont alimentée. Vingt-cinq ans après, la question n’est toujours pas tranchée !

 

C’est une catastrophe pour la laïcité. Autant est-elle apparue comme une force progrès en étant le moteur des lois dépénalisant l’IVG, l’euthanasie, autorisant le mariage et l’adoption pour les homosexuels ; autant aujourd’hui donne-t-elle l’image d’un courant philosophique répressif et même régressif. La laïcité s’accommode mal d’interdits !

 

Et cela pourrait provoquer à terme sa disparition.

 

En outre, elle s’est divisée entre un courant ouvert à une société multiculturelle et une tendance rigoriste limitant la laïcité à la seule neutralité. Résultats : pour la jeunesse, la laïcité a une image exécrable ; la droite et même l’extrême-droite en ont profité pour se montrer plus laïques que la gauche traditionnellement porteuse des messages de la laïcité, mais qui – elle aussi – est divisée à ce sujet.

 

Revenons-en à ce qu’écrit Elina Lemaire : « La confusion de la laïcité avec la neutralité aujourd’hui largement répandue, a pour conséquence d’amputer ce principe de sa dimension libérale. ». Elle précise et avertit : « Au même titre que la neutralité, la liberté de conscience et ses multiples ramifications sont donc consubstantielles au principe de laïcité, qui ne peut exister sans elles. C’est pourquoi, contrairement à ce que le discours dominant pourrait laisser entendre, le principe de laïcité ne peut servir de fondement juridique adéquat à la liberté religieuse et le principe de neutralité ne peut devenir source de contraintes pour les individus. Sauf à corrompre profondément leur signification et leur portée libérale. »

 

Ce n’est que dans cet esprit là que la laïcité se réveillera et pourra, si elle agit enfin intelligemment, rappeler les principes fondamentaux qui doivent rester siennes, telles, par exemple et entre autres, l’égalité hommes-femmes et la liberté et la neutralité de l’enseignement qui ne peut en aucun cas dans son programme être influencé par la religion. Principes sur lesquels nul ne peut transiger, cela dans le respect des convictions de chacun.

 

Faute de quoi, RIP laïcité !

 

 

Pierre Verhas

 

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commentaires

L
Pourquoi tout simplement ne pas opter pour une tolérance mutuelle ?<br /> Bonne soirée à mon vieil ami Pierre.
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