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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 20:06

Dans L’Etrange défaite, une analyse implacable de la débâcle française de mai 1940, l’historien Marc Bloch qui a payé de sa vie ses convictions républicaines, écrivit : « Mal instruit des ressources infinies d’un peuple resté beaucoup plus sain que des leçons empoisonnées ne les avaient inclinés à le croire, incapables, par dédain comme par routine, d’en appeler à temps à ses réserves profondes, nos chefs ne se sont pas seulement laissé battre, ils ont estimé très naturel d’être battus ».

 

La banale affaire Cahuzac a sans doute déclenché un séisme qui n’est pas prêt de s’arrêter. Banale ? Bien sûr, en dépit des cris de vierges effarouchées de la « bonne » presse. Combien de politiciens et de grands responsables économiques n’ont pas menti devant leurs pairs et devant la Justice ? Combien d’entre eux ne furent-ils empêtrés dans des « affaires » de fraude fiscale, de sociétés dites off shore, de marchés truqués ? Combien encore sont-ils passés à travers les mailles du filet de la Justice souvent justement symbolisée par une dame aveugle ?

 

Alors, pourquoi cette affaire-ci soulève un  tel tollé, au point d’ébranler le pouvoir républicain actuel ? A notre avis, trois éléments sont rassemblés : le mensonge de Cahuzac, certes ; mais aussi le conflit d’intérêt et surtout le dédain des élites à l’égard du peuple qui apparaît particulièrement en ce scandale.

 

C’est vilain de mentir !

 

C’est très vilain, mentir ! dit-on aux enfants… L’homme politique, lui, vit de mensonges. Il est souvent obligé de déformer la vérité, ou bien c’est tout simplement un système de défense. L’indignation des pairs de Cahuzac après ses aveux, du Président Hollande au député de base, est risible. Hollande n’a tenu aucune de ses promesses importantes de campagne. Il a fait le contraire de ce qu’il prétendait projeter. Sur le plan politique, c’est bien plus grave que la négation de l’existence – par ailleurs évidente – d’un compte en Suisse. Sur le plan éthique, c’est le contraire. On ne peut condamner un responsable politique de ne pas tenir ses promesses, mais s’il ment sur ses actes personnels, il est aussitôt condamné par tous. Or, qu’est la personne de Cahuzac au regard des enjeux politiques majeurs auxquels le pouvoir actuel est confronté ? L’unique reproche qui lui est fait est d’avoir flétri la caste dont il est membre.

 

 

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Cahuzac n'est pas le premier à mentir !

 

 

La classe dirigeante politique, comme affairiste se drape dans la vertu et prétend agir pour l’intérêt général. Les médias qu’elle contrôle, l’aident dans cette entreprise d’ahurissement. Ainsi, on promet de limiter les cumuls des mandats. Applaudissements du bon peuple, mais résistance des caciques. L’affaire est dès lors reportée à 2017, c’est-à-dire au successeur de François Hollande. En Belgique, on pond une loi qui oblige tous les mandataires publics à faire une déclaration de patrimoine et à donner à la Cour des comptes la liste de tous leurs mandats. Chaque année, cette liste est publiée au Moniteur belge – l’équivalent du Journal officiel français – et est donc à la disposition de tout un chacun. Aucun journaliste n’exploite cette mine d’informations. La Justice qui, au départ, s’est quelque peu intéressée à ces données, les néglige depuis. Comme si, en définitive, on s’en moque.

 

Le pire : les conflits d’intérêts

 

Et puis ce fameux cumul des mandats n’est-il pas l’arbre qui cache la forêt ? En général, les citoyens ne sont pas mécontents que leur maire soit en même temps parlementaire. Ou bien, le plus souvent, ils s’en fichent. Dans un régime politique comme celui des démocraties parlementaires d’Europe occidentale, le cumul n’est en rien répréhensible, si ce n’est cette désagréable impression de profiter du système en espèces sonnantes et trébuchantes.

 

Non ! Le pire ce sont les conflits d’intérêts et ceux-là minent notre société et renforcent l’injustice sociale de l’ultralibéralisme. Et on en parle relativement peu. Les médias n’en font d’ailleurs guère état. Et pour cause ! L’exemple de Jérôme Cahuzac est éclairant.

 

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Jérôme Cahuzac est chirurgien et surtout lobbyiste.

 

 

Cahuzac, tout le monde le sait, est chirurgien de métier. Il se lance aussi dans la politique, dans la mouvance du PS, et est nommé conseiller au cabinet du Ministre de la Santé de l’époque, Claude Evin, de 1988 à 1991. Cahuzac aide efficacement son patron à combattre les abus de l’industrie pharmaceutique en faisant prendre des mesures de régulation des prix et de réduction des dépenses de santé. Mais, selon Mediapart, ce conte n’est pas si joli que cela. Evin a pu financer sa campagne électorale de 1993 grâce à un laboratoire pharmaceutique et au syndicat de l’industrie pharmaceutique. Quant à Cahuzac, il fonde cette même année 1993 un cabinet « Cahuzac conseil » de conseils aux entreprises (pharmaceutiques, cela va de soi…) et d’exploitation des brevets. En clair, il devient lobbyiste pour l’industrie pharmaceutique. Il se met au service d’un certain Daniel Vial qui coordonne le lobbying du secteur pharmaceutique. Il a pas mal d’amis, M. Vial, dont Bernard Kouchner et Roselyne Bachelot, tous deux anciens ministres de la Santé. On rassemble ainsi les « compétences » bien au dessus des clivages politiques. Qui a dit que l’argent divise ?

 

 

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Claude Evin, ministre de la Santé sous Mitterrand a été le mentor de Cahuzac... surtout dans le lobbying.

 

 

Et les affaires tournent bien pour le beau Jérôme : en 1995, le chiffre d’affaires monte à l’équivalent de 318.000 Euros, puis cela baisse petit à petit jusqu’à son élection à la députation en 1997. Et là, afin d’éviter un trop flagrant conflit d’intérêts, Cahuzac ramène à zéro le chiffre d’affaires de sa boîte de conseils.

 

Mais – et c’est ici que le dérapage commence – en réalité, Cahuzac, bien que député, travaille toujours comme « consultant ». Il aide les laboratoires pharmaceutiques à obtenir la meilleure évaluation possible pour un médicament, grâce à sa connaissance des arcanes administratifs. En outre, il favorise tout spécialement un laboratoire du nom d’Innothera. Mediapart  rapporte cette histoire à la fois rocambolesque et significative : « … le Tot’hema, un vieil élixir d’Innothera à base de fer, censé traiter l’anémie, que le laboratoire vendait surtout en Afrique dans les années 1980, comme remède à la fatigue sexuelle (avec un taureau sur la boîte d’emballage).

 

En 1991, cependant, une décision du ministre Claude Évin lui a soudain redonné sa chance en France. Le 28 février, le ministère décide en effet de stopper le remboursement des « antiasthéniques », 141 médicaments peu efficaces censés lutter contre la fatigue (essentiellement des vitamines). Pour le Tot’hema, qui n’appartient pas tout à fait à la même classe, une annexe de cet arrêté prévoit un sort plus favorable : elle maintient son remboursement à 70 % pendant une année supplémentaire. C’est l’effet d’aubaine : les patients se reportent illico sur le Tot’hema, dont les ventes hexagonales explosent pour atteindre 70 à 80 millions de francs de chiffres d’affaires annuel (14,5 à 16,5 millions d’euros).

 

Bizarrement, en 1992, alors que le remboursement du Tot’hema doit s’arrêter à son tour, un arrêté signé en juin prolonge son remboursement de six mois. Puis en septembre 1992, rebelote : un nouvel arrêté reporte le déremboursement à mars 1993. Et là, pile entre les deux tours des élections législatives (ingagnables pour la gauche), miracle : le Tot’hema est de nouveau sauvé (par un arrêté signé des ministres Kouchner et Teulade). Il faudra attendre juillet 1994, soit deux ans et demi après la date initialement prévue, pour que ce médicament inefficace soit enfin radié de la liste des produits remboursables par la Sécu. L’arrêté final indique « que la spécialité Tot’hema a fait l’objet à partir de 1991… d’une hausse de consommation considérable des quantités auparavant commercialisées… entraînant des dépenses injustifiées pour les systèmes de protection sociale ». » Voilà donc comment des intérêts sordides font courir de graves dangers à la santé publique, se servant de politiciens peu scrupuleux qui leur permettent de diffuser ainsi sur le marché, au mieux des « placebos », au pire du poison !

 

Un curieux copinage

 

Et la cerise sur le gâteau est le personnage qui a ouvert le fameux compte de Cahuzac à UBS. C’est un membre du Front national, ami de Marine Le Pen ! La boucle est bouclée. Tout est bafoué.

 

Cet exemple est révélateur du type de conflits d’intérêts qui deviennent de plus en plus courants parmi les hauts responsables politiques. La frontière entre l’intérêt général censé être défendu par les politiques et les intérêts particuliers des entreprises et des multinationales est de plus en plus poreuse. On peut d’ailleurs poser la question : étant donné le coût exorbitant des campagnes électorales, les politiciens n’ont-ils pas une dette à l’égard de leurs « mécènes » et défendront ainsi leurs intérêts dans les assemblées où ils sont élus, ou dans les postes exécutifs où ils ont été nommés ? Il existe aussi une autre catégorie – et c’est sans doute celle à laquelle Cahuzac appartient – des personnages déjà fortunés ne se font-ils élire pour défendre leurs propres intérêts et ceux de leurs « amis » ?

 

 

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François Hollande, Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac : les trois premiers concernés par l'affaire.

 

 

Dans les deux cas, le rôle du politique est détourné et les institutions ne sont plus que le champ clos où manœuvrent les  différents lobbies avec comme relais les « responsables » politiques. Dans ces conditions, plus aucune règle ne peut être respectée. C’est la loi de la jungle. L’économie sans contrôle devient mafieuse, tout simplement.

 

Et – est-ce un hasard ? – est révélé juste à ce moment un  énorme scandale de fraude fiscale qui touche des milliers de personnes et d’entreprises à travers le monde. Jamais, une telle forfaiture ne fut portée à la connaissance de tous. Et les journalistes qui ont pu révéler cette affaire qui porte désormais le nom de « Offshore leaks » se sont inspiré des méthodes tant décriées de Wikileaks. Des personnalités connues du monde des affaires, de la politique, des commerçants, des particuliers sont mouillés dans des milliers de sociétés dites offshore pour planquer des sommes considérables dans des paradis fiscaux situés aux quatre points cardinaux. Tout se passe dans la plus détendue des illégalités avec l’utilisation sans vergogne de réseaux de blanchiment. Edwy Plenel écrit aujourd’hui dans Mediapart : « L’évasion fiscale n’est pas à la marge mais au centre d’une économie devenue mafieuse parce que livrée à la finance. »

 

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Edwy Plenel, directeur de Mediapart : le citizen Kane français

 

 

Le peuple est évidemment tenu à l’écart de ce mécanisme de relations économico-financières entre le monde politique et le monde des affaires. Face à la politique d’austérité à marche forcée imposée par le capitalisme anglo-saxon via l’Union européenne et des gouvernements de droite comme de gauche qui ont adhéré à la politique ultralibérale de dérégulation, face à la politique de démantèlement industriel imposée par les mêmes, jetant ainsi des dizaines de milliers de travailleurs et leurs familles dans les rues, le peuple commence à bouger, à exprimer une révolte encore sourde, non organisée, mais réelle. Alors, les médias hurlent à la montée du « populisme ». Ce mot a une définition : cri de désespoir du peuple que les politiques sont censés représenter.

 

 

La gauche : une longue descente aux enfers

 

 

Comment, après tout cela, la gauche réformiste peut-elle encore être crédible ? Elle cède tout aux diktats des ultralibéraux, qu’il s’agisse des ordolibéraux de Merkel au niveau européen, des exigences de la City via Cameron, des revendications du MEDEF. Toutes les promesses de réformes de gauche sont reportées sine die ou tout simplement abandonnées. On peut se demander dès lors : à quoi sert la gauche de gouvernement ?

 

Voici comment Louis Madouit, journaliste à Mediapart décrit ce qu’on peut appeler la longue descente aux enfers d’une gauche réformiste qui s’est laissé bercer par les sirènes de l’ultralibéralisme, et ce depuis 1981, année de la première élection de François Mitterrand.

 

« Or, tout est là! C’est une histoire stupéfiante et sans précédent pour la gauche qui commence avec la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle. Non pas que les socialistes français n’aient pas connu des revers et de graves échecs dans leur longue histoire. Mais, dans le passé, avant d’échouer sinon même avant de se renier, au moins ont-ils tenté, dans un premier temps, d’honorer leurs engagements. Au moins ont-ils cherché à faire voter des réformes sociales ; à retoucher, ne serait-ce qu’à la marge, les règles de fonctionnement du capitalisme. Oui, au moins ont-ils à chaque fois essayé. Au moins ont-ils commencé à faire ce qu’ils avaient promis.

 

Ce fut le cas sous le Front populaire, qui fit de formidables réformes sociales, parmi lesquelles les congés payés, avant de se heurter au « mur de l’argent » - celui-là même auquel, dix ans plus tôt, le Cartel des Gauches s’était heurté, ce qui avait provoqué sa chute, en juillet 1926. Ce fut le cas encore en 1981, quand la gauche victorieuse chercha à « changer la vie », avant de venir se fracasser sur l’autre « mur », celui de la contrainte extérieure, et de se convertir à une rigueur sans fin. Ce fut le cas enfin en 1997, quand Lionel Jospin chercha à sortir les socialistes de l’ornière libérale dans laquelle elle avait versé avec Pierre Bérégovoy (1925-1993), avant finalement de céder à son tour, face aux avancées du nouveau capitalisme anglo-saxon.

 

 

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Pierre Beregovoy a lui aussi cédé à la pression néolibérale. Une cause de son tragique décès ?

 

 

Mais, à la différence de ces illustres prédécesseurs, François Hollande, lui, ne cherche pas un seul instant, une fois élu, à résister. C’est ce qu’il y a d’inédit et de stupéfiant dans son histoire : à l’instant même où il entre à l’Élysée, il conduit une politique qui par bien des aspects prolonge celle défendue et mise en œuvre auparavant, à quelques petits symboles près, par Nicolas Sarkozy. C’est, sur le champ, la mise en œuvre du sinistre principe que Tancredi professe à l’oreille de son oncle, le Prince de Salina, dans le Guépard de Lampedusa (1896-1957): « Il faut que tout change pour que rien ne change ». »

 

 

Nous n’insisterons pas sur la Belgique où le socialiste Di Rupo est l’otage des nationalistes flamands et de la branche la plus ultralibérale de son gouvernement représentée par le petit parti libéral flamand (l’Open VLD) qui impose des réformes dites « structurelles », qui consistent à démolir l’Etat social. Son partenaire libéral francophone lui tire dans le dos via son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, qui se fait décorer en grande pompe par l’ex-président français Nicolas Sarkozy au lendemain de sa mise en examen.

 

 

 

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 Reynders reçoit la Légion d'honneur du mis en examen Sarkozy. L'éthique est sauve... 

 

 

Les faits sont là. Le socialisme réformiste est mort. Et nous citons ici en conclusion Marc Bloch : « Ils tombèrent sans gloire. Le pis est que leurs adversaires y furent pour peu de choses ».

 

Une nouvelle bataille s’enclenche, la plus difficile, reconstituer une force populaire.

 

 

Pierre Verhas

 

Le lecteur s’étonnera sans doute d’avoir trouvé l’inspiration uniquement chez « Mediapart ». La raison en est simple : c’est le seul organe d’informations qui n’a pas cédé aux pressions et qui a pu  faire la meilleure analyse de ces événements.

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