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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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17 juin 2013 1 17 /06 /juin /2013 14:25

« Ils » ? Ce sont nos ennemis néolibéraux qui veulent rétablir le capitalisme absolu au service d’une bourgeoisie financière mondialisée. Pour ce faire, ils noyautent les institutions internationales, les gouvernements et parlements, les universités et les médias. Leur combat est global : économique, politique, culturel.

 

Parlez « globish ».

 

Leur premier objectif est de détruire tous les mécanismes de solidarité existant dans les sociétés, au sein des peuples et entre les peuples. Ils fomentent une révolution culturelle sans précédent en plaçant l’individu au-dessus de tout, en détruisant les cultures locales, régionales, nationales. Par exemple, comme l’a récemment dénoncé notre ami Bernard Gensane sur son blog, ils cherchent à imposer au niveau des élites un sabir d’origine anglo-saxonne appelé « globish » - il envahit déjà les institutions européennes et plusieurs universités –  qui n’a qu’un lointain rapport avec la langue de Shakespeare et qui cherche à imposer une sous-culture mercantile destinée avant tout à communiquer. Cela n’a plus rien à voir avec les échanges éminemment profitables entre cultures qui peuvent se faire par l’apprentissage de plusieurs langues. La diversité est ainsi remplacée par la globalité. 

 

La stratégie de la « forteresse »

 

Dans toute offensive, l’attaquant se sert des faiblesses de l’ennemi – c’est-à-dire notre camp – pour le vaincre. Il en est ainsi du domaine culturel. Deux événements importants se sont récemment déroulés : le maintien de l’exception culturelle française et donc de l’audiovisuel hors des négociations sur l’instauration d’une zone de libre-échange euro-atlantique. Bon nombre considère qu’il s’agit d’une victoire. Ils se trompent.

 

Depuis le début de l’offensive néolibérale, le camp – appelons-le progressiste – a une fâcheuse tendance à se replier sur lui-même dans une forteresse qu’il pense inexpugnable. C’est offrir le terrain à l’ennemi. Il a toute latitude pour prendre les initiatives qu’il souhaite et à les mener à leur fin. On l’a vu sur le plan social. Au nom du redressement des finances publiques, les conquêtes sociales sont renversées les unes après les autres. Les réformes successives des retraites, les  diminutions, voire les suppressions des prestations sociales, l’expansion de la précarisation sont autant d’exemples. On a trop longtemps cru que les conquêtes du monde du travail étaient des « acquis » intouchables !

 

Cette affaire de l’exception culturelle ressemble aussi à ces forteresses aux murailles lézardées. Tout d’abord, que signifie « exception » en la matière ? Pour quels motifs une culture – la française, en l’occurrence – mérite une protection plutôt qu’une autre ? L’offensive culturelle néolibérale concerne toutes les cultures et non une seule. Pourquoi dès lors, les tenants des autres cultures ne réclament-ils aussi une « exception » ? La culture française serait-elle seule à être menacée ?

 

freres dardenne 

 Les frères Dardenne : un talent exceptionnel pour du cinéma subventionné. 

À écouter les discours des principaux défenseurs de l’exception culturelle française – avant tout des personnalités du monde du cinéma – comme en Belgique, les frères Dardenne dont les œuvres ont été plusieurs fois primées au festival de Cannes et en France, Costa Gavras, l’auteur de l’inoubliable « Z », en acceptant le libre-échange en la matière, on va vers une marchandisation de la culture qui finira par tuer toute création en imposant le modèles culturel des multinationales du cinéma hollywoodien. 

 

Costa-Gavras

 Costa Gavras, l'auteur de l'inoubliable "Z" : le porte-drapeau de l'exception culturelle

 

Voilà une démarche typiquement « forteresse » ! C’est partir perdante, puisque l’on considère a priori que le cinéma européen – et donc francophone – est plus faible que le cinéma américain. Non, il l’est parce qu’il n’arrive pas à s’imposer. Il n’existe aucune entrave à sa diffusion dans le monde. Autrefois, le cinéma français était le meilleur au monde. Certes, le cinéma anglo-saxon a réussi à s’imposer par la formidable machine commerciale qu’il a mise en place. Mais reconnaissons que l’arme du talent s’est usée. Le cinéma francophone est avant tout du cinéma d’auteurs destiné à un public restreint. Le cinéma populaire d’antan de facture française qui eut tant de succès se retrouve dans les programmes de télé en été et dans les ciné-clubs de province.

 

Si le cinéma d’auteurs est certes de grande qualité, il est loin de connaître le succès des films populaires aujourd’hui monopolisés par les multinationales hollywoodiennes. De plus, le cinéma d’auteurs ne peut exister que s’il est subventionné. Et c’est là où le bât blesse.

 

Prétendre d’une part, que la culture n’est pas une marchandise et d’autre part, accepter qu’elle soit subventionnée est hypocrite. Les films subventionnés sont projetés dans des salles payantes et sont traduits en DVD qui sont censés se vendre. Les films non subventionnés vivent le même sort, sans subventions.

 

L’ultralibéral Corentin de Salle a ici raison.

 

Sur ce plan, on ne peut que donner raison à un Corentin de Salle, le chantre belge de l’ultralibéralisme, quand il dit, avec astuce, reconnaissons-le : « Tout bien et tout produit  résultent d’un travail, lequel est, selon Karl Marx, l’activité fondamentale de l’homme, celle qui permet l’épanouissement de la personne. Exprimer l’humanité par son travail n’est pas le privilège des artistes. Ainsi reconnaître que l’objet culturel est – entre autres choses – une marchandise, ce n’est nullement attenter à son authentique dignité. » (Le Soir, 14 juin 2013)

 

 

     corentin de salle 

Corentin de Salle : le penseur de l'ultralibéralisme en Belgique francophone

 

En outre, prétendre que l’Etat garantit l’indépendance des artistes est absurde. Corentin de Salle a une fois de plus raison lorsqu’il affirme : « La politique culturelle européenne fait largement dépendre les artistes de l’Etat, maintient la plupart d’entre eux dans la pauvreté et crée des injustices et des inégalités. Dans un système de subsides, les artistes « bien en cour » et les « gros » acteurs (…) raflent tout. La majorité des artistes, elle, doit se contenter des miettes. » Pour prendre un exemple, le sort des intermittents du spectacle est loin d’être enviable dans ce système. Cela dit, on peut rétorquer à de Salle que par le seul financement privé, les artistes sont totalement dépendants de l’intérêt des actionnaires des firmes « sponsors ».

 

Enfin, en ces temps d’instabilité politique, où existe une réelle menace d’installation de régimes autoritaires, il est illusoire de penser que l’Etat soit un garant pérenne de la liberté artistique !

 

Le système de subventions, comme celui du financement privé, en définitive, ne servent pas la création artistique. Et l’Etat actuellement ne peut plus être considéré comme le gardien des libertés.  Il faudra trouver une autre voie. Par exemple, des formes d’autogestion responsabilisant les artistes sous forme de coopératives, par exemple, et des garanties publiques contrôlées par les pouvoirs législatifs, pourraient être envisagées.

 

La « victoire » de la France à ce stade des négociations sur la création de la zone de libre-échange euro-américaine – qui comporte bien d’autres enjeux sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir – offre une opportunité : revoir notre système hybride d’audiovisuel où le secteur public se fait progressivement grignoter par les compagnies audiovisuelles privées dépendantes de grands groupes financiers. Mais aura-t-on le courage politique de se pencher sur une réforme assurant un secteur audiovisuel répondant à l’intérêt général et assurant une réelle liberté de la création ? Et en aura-t-on le temps, car le commissaire européen au commerce extérieur a averti ce 17 juin : « L’exception culturelle n’est que provisoire ! » ?

 

La stratégie du choc

 

L’autre événement est la fermeture de la chaîne publique audiovisuelle grecque ERT par le gouvernement d’Athènes dont le Premier ministre Samaras se prend pour un successeur de Reagan et de Thatcher. Cette mesure unilatérale et brutale prétextée par l’exigence de la Troïka européenne de réduire les services publics à leur plus simple expression. La télévision en est évidemment un puissant symbole.

 

Samaras Merkel

 Antonis Samaras, le Premier ministre grec a été encouragé par Angela Markel le 16 juin, à poursuivre ses "réformes". (Ici photo datant du 8 janvier 2013)

Si cette mesure, par sa violence, son unilatéralisme, son autoritarisme est totalitaire, admettons aussi que les réformes structurelles imposées par la Commission européenne à tous les Etats-membres qui ont pour effet de démolir le système social, sont aussi violentes, unilatérales autoritaires et donc, totalitaires. Le fameux TSCG (Traité budgétaire) actuellement en voie de ratification par les parlements des différents Etats-membres s’inscrit aussi dans cette philosophie du TINA (There is no alternative) qui interdit toute réorientation de la politique. Si ce n’est pas du totalitarisme, cela y ressemble fort.

 

Certes, la Grèce dominée par la trop fameuse Troïka (Commission, BCE, FMI) est la nation qui subit le plus – et de la manière la plus injuste – les coups de l’offensive ultralibérale. Elle s’inscrit dans le triptyque de la stratégie du choc mise en évidence en 2007 par la journaliste canadienne Naomi Klein que nous avons souvent évoquée sur « Uranopole » : réduction drastique des dépenses sociales, privatisations, déréglementation. Le pays des Hellènes est devenu le véritable laboratoire de la révolution ultralibérale. La fermeture de la télévision publique ERT n’est en définitive qu’une étape de ce processus.

 

 

  NaomiKlein.jpg

Naomi Klein, dans la stratégie du choc, avait vu juste en 2007.

 

Mais c’est une étape spectaculaire destinée à marquer les esprits s’inscrivant clairement dans la stratégie du choc, le choc étant destiné à franchir une étape vers la destruction de l’Etat et de la société de démocratie sociale.

 

La critique constante du service public s’inscrit dans cette stratégie, mais il faut bien admettre qu’elle est souvent fondée. L’inefficacité, les coûts de fonctionnement, les gaspillages, la politisation, l’immobilisme des services publics  sont des réalités que les usagers vivent quotidiennement.

 

Le « protectariat »

 

Cette sclérose est aussi due à la constitution d’une classe se développant dans tous les services de l’Etat que nous appellerons le protectariat. Il s’agit de gens souvent inaptes à un parcours professionnel normal, ou issus du chômage qui ont été placés dans les services publics par des réseaux politiques. Ces « protégés » prennent progressivement la place des fonctionnaires qui ont été recrutés sur la base de règles bien définies. Le protectariat se divise en deux catégories : une masse de gens « aidés » qui constituent le fond de réserve électoral des partis politiques et une caste technocratique issue des universités et des hautes écoles qui, dès la fin de leurs études, sont « parachutés » à des postes clé de haut niveau dans les administrations et dans les services publics, via les fameux cabinets ministériels. Ils appliquent la politique définie par les responsables gouvernementaux, souvent en accord avec les grandes entreprises multinationales.

 

Cette caste est indispensable au maintien des politiques au pouvoir, mais elle est aussi dangereuse, car, dans bien des cas, elle finit par transformer leurs « patrons » politiciens en instruments au service de leurs ambitions démesurées.

 

Tout en fustigeant le « bas » protectariat, les ultralibéraux se servent du « haut » protectariat qui leur rend bien. En définitive, ils finissent par se confondre, car avec le lobbying qui se répand dans toutes les institutions et qui arrive à s’imposer dans le processus de décision, les dirigeants des multinationales et les hauts « protectaires » interagissent et forment la nouvelle classe dirigeante mondialisée. Combien de hauts fonctionnaires propulsés par la politique ne sont-ils devenus chefs de grandes entreprises ? Certains d’entre eux, dans les services publics, ont même plus de pouvoir que leurs ministres-patrons !

 

Cela n’est pas du « populisme », c’est la description d’une réalité que tout un chacun peut appréhender. L’ERT était sclérosée par le « protectariat ». Elle n’avait pratiquement plus d’audience, sauf dans les îles grecques de la mer Egée où elle remplissait encore sa mission de service public.

 

A quand une stratégie en réponse ?

 

Il faut bien reconnaître que les instituts publics audiovisuels en Europe, soit sont sclérosés, soit sont devenus des clones des organismes privés. Ces derniers dépendent tout autant de la publicité et ont bien été forcés d’aligner leur niveau culturel – qui est le principal atout du service public – sur la débilité des émissions audiovisuelles privées qui n’ont qu’un objectif commercial. L’information elle-même n’est guère différente. Le manque de moyens attribués empêche de construire une information originale et indépendante, sans oublier les journalistes de talent qui s’évadent vers les cieux plus dorés des TV commerciales.

 

L’ultralibéralisme a frappé là où cela fait mal. En dehors de concerts d’indignations, il n’a rencontré aucune opposition réelle. C’est une fameuse leçon !

 

Nous payons cher notre philosophie de la « forteresse », notre manque d’imagination, notre immobilisme et notre aveuglement. Pour paraphraser Marx, le « protectariat » a tout à perdre à briser ses chaînes dorées et pourtant, il constitue aujourd’hui la base de la gauche.

 

Aussi, à la stratégie du choc, nous devons élaborer une stratégie en réponse mais avec celles et ceux qui acceptent le principe qu’ils n’ont à perdre que leurs chaînes et surtout qu’ils admettent de prendre des risques.

 

 

Pierre Verhas

 

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commentaires

D
Tu ne t'étonneras guère à ce que j'approuve le contenu de ton article concernant le "protectariat". Notre situation, en Belgique, ne diffère, à cet égard de la situation grecque. Un point que je<br /> voudrais ajouter c'est la question des financements alternatifs des institutions devenus caduques. L'Etat, comme tu le soulignes dans ton article, n'est plus en mesure de faire face à bon nombre de<br /> subventionnements. Quelle que soit la forme, le citoyen devrait le remplacer. Le pourra-t-il, le voudra-t-il? De ces réponses dépendront notre avenir.
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