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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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20 décembre 2013 5 20 /12 /décembre /2013 10:36

La fameuse réplique de Jean Gabin dans le film « La traversée de Paris » de Claude Autan-Lara est plus que jamais d’actualité.

 

La pauvreté n’est pas uniquement matérielle, elle est avant tout l’exclusion. Et un salaud, c’est un exclu ! Et le nombre de salauds ne cesse d’augmenter. Jose Manuel Barroso, le mielleux président de la Commission européenne, a inscrit dans son programme pompeusement appelé « Stratégie Europe 2020 » l’objectif de réduction de la pauvreté – c’est-à-dire du nombre de gens qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté – à 20 millions de personnes sur l’ensemble de l’Union. Non seulement, on est loin du compte, mais en plus fixer un tel chiffre est en soi un terrible aveu d’impuissance.  

 

Le dernier rapport de la CE sur la pauvreté, non encore publié, indique notamment que pour la Belgique le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté (826 €/mois) est de l'ordre de 15%, soit environ 1.800.000 personnes, dont situation aggravante de plus de 400.000 enfants.


La Belgique est passée en quatre ans (de 2008 à 2012) de 12,5% à 15% de la population globale touchée par la pauvreté.

 

Néanmoins, le rapport de la CE pour l'ensemble de l'Europe estime que la pauvreté touche au minimum 25% de la population des 28 pays, soit quelque 110 millions de personnes. On est loin de l'objectif de 20 millions !

 

 

 

On l’observe. Il n’y a aucune politique sérieuse en la matière. Les fonds européens de lutte contre la pauvreté ont failli être éliminés. Sans la forte pression de l’opinion publique, cela aurait certainement été fait. Aucun Etat-membre et encore moins les instances dirigeantes de l’UE ne prennent la question à bras le corps. La crise financière, les réformes néolibérales, la désindustrialisation, la déglingue des services publics, particulièrement ceux de la santé et de l’enseignement sont autant de causes de l’augmentation inquiétante de la pauvreté. On le sait et il n’y a guère d’initiatives pour renverser la vapeur.  

 

Depuis l’offensive néolibérale qui, ne l’oublions pas, dure depuis quelque trente-cinq ans, depuis Thatcher et Reagan, une nouvelle élite s’est constituée et devient une nouvelle classe dominante. Elle contrôle l’argent et les médias qui sont les deux mamelles du pouvoir totalitaire.

 

En voici un bel exemple. Un article fait grand bruit aux Pays Bas. Il s’agit d’une analyse de la pauvreté d’un jeune Hollandais, historien « branché », du nom de Ruter Bregman, publié dans le journal en ligne « De correspondent », sorte de « start-up » de jeunes journalistes prônant des réponses « originales » aux défis de notre société, mais toujours dans un sens libertarien.

 

Les pauvres à l’école !

 

Rutger Bregman est parti du constat qu’aux Pays-Bas, 1,3 million de Néerlandais vivent sous le seuil de pauvreté, au point que les banques alimentaires locales n’ont pas les capacités de répondre à la demande. La secrétaire d'Etat Jetta Klijnsma (membre du PvDA, l’équivalent du PS) veut inciter les plus pauvres à chercher du travail. Mais Bregan estime que le gouvernement néerlandais se trompe et devrait injecter plus de moyens dans l'éducation.

 

Jusque là, rien de très original. Tout le monde semble croire que l’école fera des miracles !

C’est ici que cela se corse. Bregman pose une nouvelle question: Que faire si les pauvres sont incapables de se prendre en charge? Si les incitations et l'éducation n’ont aucun effet ? Pire encore: si les investissements publics ne font qu'aggraver la situation ? Pour répondre à ces questions, Bregman a interrogé Eldar Shafir, psychologue de l'Université de Princeton, qui a récemment publié avec Sendhil Mullainathan, économiste de l'Université de Harvard, une nouvelle théorie sur la pauvreté.

 

Shafir n’est pas n’importe qui. Il serait même, selon la revue Foreign Policy, l'un des cent penseurs les plus influents du moment. Il a mis au point une théorie du comportement dont la philosophie ressemble à s’y méprendre au raisonnement réducteur typique chez les néolibéraux.

 

Le domaine de recherche d’Eldar Shafir porte sur la prise de décision, en particulier sur l'économie comportementale : l'étude de la façon dont les gens prennent des décisions quotidiennes. Sa méthode est empirique – elle se base sur des enquêtes d’opinions – et Shafir soutient l’idée que la prise de décision est souvent basée sur la prise en charge par les modèles d’agents rationnels. Il examine ensuite les effets des facteurs sociaux, cognitifs et émotionnels sur les décisions économiques des personnes. Il prétend entre autres que les gens ont tendance à penser en monnaie nominale, plutôt qu’en monnaie réelle. Donc, ils ne prennent pas de décisions financières rationnelles en prenant la valeur nominale de la monnaie au lieu de sa valeur réelle qui est le pouvoir d’achat. En clair, les gens dépenseraient n’importe comment sans tenir compte de la réalité des choses.

 

Apparemment, ce raisonnement part du bon sens. Cependant, il est réducteur, car il ne prend pas en compte tous les incitants à la dépense comme le matraquage publicitaire, les campagnes de promotions commerciales, la véritable pression sociale qui pousse les gens à acheter des biens et des services dont ils n’ont guère besoin. L’exemple des tablettes électroniques ou des consoles de jeux est probant à cet égard.

 

Shafir part du concept de la rareté: « Même les personnes les plus riches ne peuvent pas tout acheter. Or, les gens agissent différemment lorsqu'ils ont un sentiment de manque. Les gens qui agissent comme s'ils étaient sans cesse en pénurie gèrent bien leurs problèmes à court terme, mais on constate une absence de solutions à long terme ».  Encore une fois, Safir se contente de faire le constat d’une situation sans en expliquer la genèse, son évolution et y proposer des remèdes.

 

Une analogie loufoque

 

Il explique cela par une analogie loufoque et il en arrive aux pauvres : « Comparez un ordinateur comprenant dix programmes lourds fonctionnant simultanément. L'appareil est lent et fait des erreurs, non qu’il s’agisse d’un mauvais ordinateur, mais parce qu'il a trop de choses à faire en même temps. On peut comparer ce système aux pauvres qui ne prennent pas de décisions stupides parce qu'ils sont stupides, mais parce qu'ils vivent dans un environnement où tout le monde prend des décisions stupides ».

 

« Les pauvres se demandent chaque jour comment trouver de la nourriture ou de l'argent dans l'immédiat, ils n'arrivent plus à penser à long terme car ils ne bénéficient pas du temps nécessaire à une bonne réflexion. Ils sont dans l'urgence. »

 

A nouveau, c’est un raisonnement réducteur, car il n’explique en rien les causes de la pauvreté et le pauvre ne disposant pas de moyens est dans l’incapacité de prendre des décisions. C’est en cela qu’il n’est guère libre, mais M. Shafir s’en fiche puisqu’il ne prend pas en compte cette dimension essentielle. Pour pouvoir décider, il faut être libre.  C’est une fois de plus le concept de l’homme rationnel typique de la pensée néolibérale.

 

Ensuite, l’odieux s’ajoute au loufoque.

 

Le QI à géométrie variable

 

Il va même jusqu’à inventer le QI à géométrie variable !

 

« Notre recherche montre qu'en agissant de la sorte, on perd environ 13 points de QI. C'est comparable à une nuit sans sommeil ou à une dépendance à l'alcool » ajoute Eldar Shafir.

 

Cela va de soi, pourtant. Quelqu’un qui est en état de dépendance et de fatigue voit une diminution temporaire de ses capacités physiques et intellectuelles. Derrière cela, on voit bien le profond mépris affiché par ce jeune intellectuel américain pour les losers ! T’as perdu ! Tu es juste bon à jeter ! Le pauvre n’est donc qu’un imbécile qui ne mérite même pas notre compassion. Et surtout, il n’a aucune utilité économique, ce qui est la plus grave tare dans le monde de l’économie « dérégulée ».

 

Ensuite, Shafir enfonce des portes ouvertes !


 « Les États-Unis ont rassemblé récemment les résultats de 120 études sur l'efficacité des ateliers de réinsertion pour les pauvres et les chômeurs. Ils ont trouvé que rien ne les aidait véritablement. On peut comparer ces ateliers à l'apprentissage de la natation: si quelqu'un apprend à nager et qu'ensuite vous le jetez dans un océan déchaîné, il se noiera ».

L'éducation permettrait cependant d'aider ces gens à mieux gérer leurs capacités cognitives. « L'argent seul ne suffit pas. Vous aurez beau développer des aides pour aider ces populations, vous risquez fort de ne voir aucun résultat. Le sentiment de rareté continuera de vous influencer. Lorsque vous verrez autour de vous des gens avec une télévision à écran plat, vous voudrez la même. Plus l'inégalité augmente, plus les capacités cognitives diminuent ».

« Le problème n'est généralement pas un manque de motivation, mais la difficulté de sortir de ce cercle vicieux de manque de vision à long terme. Les pauvres ont surtout besoin de retrouver la pleine possession de leurs capacités de réflexion, il faudrait leur offrir le temps nécessaire qui leur permettrait de sortir de cette urgence permanente en analysant plus calmement les problèmes et aux solutions qui se posent à eux ».

 

Martine Maelschalck, l’éditorialiste en chef du journal « l’Echo » écrit :


« Contrairement au discours politique en vogue, il n’est écrit nulle part que la pauvreté socio-économique explique la pauvreté intellectuelle. Mais pour arriver à rencontrer cet objectif avec une population défavorisée, il faut réallouer les moyens (qui existent) là où c’est le plus nécessaire. Sans gaspillages, sans doublons, sans concurrence inutile au sein des bassins scolaires. La tâche est titanesque. » Voilà un raisonnement que feraient bien de lire Shafir et Bregman, car il s’inscrit dans la réalité et non dans la théorie basée sur une conception ahurissante de l’homme comme le mythe de l’homme rationnel.


La pauvreté : le défi social d’aujourd’hui


Le phénomène de la pauvreté dont on commence seulement à s’apercevoir qu’il prend une ampleur considérable et mènera à court terme à un grave déséquilibre social ne fait manifestement pas partie des priorités auprès des « décideurs » politiques.

 

C’est donc un rapport de forces qui sera seul à même de changer les choses. Il faut fixer les vrais besoins qui sont le logement, la santé, la réinsertion en plus bien sûr de l’éducation. De ces besoins, on ne parle pas. Ce sont des investissements qui n’apportent aucun « return ». Et cela, les néolibéraux ne peuvent l’accepter.

 

Eh bien, tant pis pour eux ! Cela prouve qu’il faut réinventer au plus vite l’Etat social.

 

Et n’oublions pas que le pire aspect de la situation de pauvreté est l’exclusion. Ceux qui tolèrent cela ne peuvent s’appeler démocrates. Le pauvre est un citoyen ! C’est un principe essentiel.

 

 

Pierre Verhas

 

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