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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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22 février 2014 6 22 /02 /février /2014 15:31

 

Passez devant une prison. Vous détournez le regard. Ou bien, si vous vous trouvez non loin d’un établissement pénitentiaire, vous faites instinctivement un détour. La prison fait peur, on la cache, elle cache les détenus et se cache elle-même. Tous la connaissent et en même temps l’ignorent. Elle indiffère !

 

La prison fait sans doute honte, mais on devrait surtout avoir honte d’elle, car ce qu’il s’y passe est indigne d’une démocratie. On le sait, on ferme les yeux.

 

Il n’est pas question ici d’angélisme. De nombreux détenus méritent leur peine. Cependant, la privation de liberté est en soi une sanction très lourde. Si, à cela, s’ajoute un régime de vie tel que les détenus subissent une véritable déshumanisation, c’est non seulement intolérable mais cela ne favorise en rien la soi disant réinsertion tant évoquée dans les cénacles. Le dramatique échec de notre système pénitentiaire et a fortiori du système judicaire est dès lors patent.

 

Prenons comme exemple le rapport 2013 de la Commission de surveillance de la Prison de Namur. Il est accablant ! A sa lecture, on peut conclure qu’en dépit des efforts des gens de terrain qui composent cette Commission dont certains sont bénévoles, la prison est un lieu qui laisse les décideurs indifférents et ne représente pour eux aucun intérêt. Ça n’a pas d’impact électoral, une prison !

 

La prison est un petit univers en soi méconnu où vivent tant bien que mal de trop nombreux détenus agglomérés dans des cellules nauséabondes, trop petites, sans aucune hygiène, des gardiens surnommés « matons », mal payés, mal considérés, mal protégés, méprisés par les prisonniers, mais aussi par l’administration et l’opinion publique, des médecins, des infirmières, des assistantes sociales et quelques fonctionnaires qui assurent l’administration de l’ensemble, et bien entendu, au-dessus de tout cela, le directeur, arbitre et tampon entre « sa » prison et l’administration pénitentiaire.

 

La prison de Namur est très ancienne. Elle a été construite en 1876. Elle a été conçue selon un modèle élaboré par Edouard Ducpétiaux, premier Inspecteur général des prisons de la Belgique indépendante, qui a servi aussi à la prison de Forest près de Bruxelles.

 

Ce modèle consiste en une étoile à quatre branches. Autour d’un centre initialement destiné à l’observation, trois ailes accueillent les détenus de sexe masculin et les femmes étaient logées dans les deux étages de la quatrième aile. Aujourd’hui, la prison de Namur est uniquement « masculine ». Une annexe psychiatrique a été construite dans le prolongement de l’aile B.

 

Si, au départ, le régime cellulaire visait l’isolement des détenus que l’on considérait favorable à leur amendement ; suite à la surpopulation, on s’est orienté progressivement vers un régime communautaire, c’est-à-dire plus d’un prisonnier par cellule.

 

Bien entendu, l’objectif officiellement visé « est la réinsertion socioprofessionnelle du détenu, la prison devant servir non seulement de lieu de neutralisation mais surtout de passerelle vers un comportement et une vie socialement adaptés. » Voilà le parfait exemple d’un morceau d’anthologie de la langue de bois !

 

« Réinsertion socioprofessionnelle » ? La prison de Namur dispose d’un seul atelier dit « entrepreneur » d’une surface de 180 m2 et de 300 m2 de stockage. Vingt détenus au maximum peuvent y travailler sur une population de plus de deux-cents prisonniers.  Bel effort de « réinsertion » !

 

Et dans quelles conditions ! L’hygiène, par exemple.

 

L’hygiène ! Oui, l’hygiène sans doute plus vitale que le pain, facteur essentiel de santé et de dignité. Cette dignité qui leur est refusée

 

Les douches de la prison de Namur, au nombre de douze, se trouvent dans une seule des quatre ailes de l’édifice. Un membre de la Commission écrit : « Il reste pourtant un monde où les senteurs d’antan rappellent le coron et les airs soucieux de nos arrière-grand-mères deux fois par mois : la prison de Namur ! Car s’il s’y trouve quatre très belles ailes en étoile, chacune dûment sécurisée, une seule d’entre elles est dotée de douches ! On voit tout de suite le problème : la circulation des détenus ! La sacro-sainte sécurité ! » Il ajoute : « Observons l’ambigüité des règlements : pour se limiter à cette offre sporadique de douches, l’Administration se réfugie derrière l’obligation de se laver au moins deux fois par semaine. C’est oublier qu’une directive européenne impose que le détenu soit en mesure de prendre une douche chaque jour ! Imaginez-vous partager avec un camarade détenu (…) un espace de 6 m2 où on trouve la place de mettre une cuvette de WC et ce sans s’imposer une trempette régulière ! »

 

Un WC par cellule pour trois détenus. Il est inutile d’en rajouter…

 

La santé est elle aussi laissée à l’abandon avec les risques individuels comme collectifs que l’on peut imaginer. Elle est vraiment le parent pauvre de la prison !

 

Sur le plan de la santé mentale, on mélange des détenus malades mentaux et débiles mentaux. Il y a aussi une inadéquation de la prison pour la prise en charge d’un nombre excédent de détenus de l’aile psychiatrique.

 

Le médecin de la Commission a des difficultés pour obtenir des informations sur le statut médical des détenus… en fonction du secret médical ! L’administration de la santé des détenus laisse plus qu’à désirer. Ainsi, le statut de la santé d’un détenu à transférer (par exemple vers un Palais de Justice) n’est pas communiqué.

 

Les prestations des médecins sont payées avec des retards considérables qui peuvent aller jusqu’à un an et demi ! En outre, il n’y a plus de médecin fonctionnaire et l’engagement de médecins privés est de plus en plus difficile. Ils sont payés à l’heure et en période de garde à la prestation. C’est loin d’être motivant ! Quant au service infirmier, il fonctionne en semaine de 8 h à 16 h et en week-end de 8h à midi. Pas question de se blesser ou de nécessiter de soins en dehors de ces périodes !

 

Un autre exemple – bien inquiétant ! – est le dépistage de la tuberculose. Il n’y a plus de car de dépistage en Province de Namur. La prison utilise donc l’intradermo. Mais depuis novembre 2012, il y a rupture de stock et le contrôle des détenus ne se fait plus.

 

Cette négligence pose un sérieux problème de santé publique. Que fera-t-on si la prison devient un foyer d’épidémie ?

 

Quant aux médicaments, les détenus sont tenus à payer de leur poche des médicaments dits « de luxe » résultant d’une liste établie par l’administration pénitentiaire. Il y a des problèmes de distribution des médicaments. En effet, les détenus ne peuvent les distribuer, sauf les médicaments dits de « la pharmacie de famille ». Concernant les médicaments dits « sensibles » ils sont directement donnés au détenu à la pharmacie. Et là aussi, il y a des difficultés vu le manque de disponibilité des infirmiers. La prison n’est autre qu’un univers kafkaïen !

 

La culture ? Qui a dit un jour que l’homme a besoin de culture comme de pain ? Je l’ignore. Et la prison, aussi. La seule activité culturelle, c’est la télé. Et la télé, chaque détenu doit la payer.

 

Finalement, cela coûte cher la prison. La télé, les médicaments, la cantine. D’où vient l’argent ? C'est la porte ouverte aux trafics et à la constitution de clans de prisonniers plus « riches » dominant forcément les plus démunis. Mais, face à cela, « on » ferme les yeux. Tant que la sécurité est assurée, tout baigne !

 

Et puis, on est nombreux en prison. La surpopulation est la question la plus fréquemment posée. Chaque fois qu’une chaîne de télé effectue un reportage sur le milieu carcéral, on montre les images de cellules exigües où deux ou trois détenus croupissent l’un sur l’autre. L’intimité est un vain mot en prison ! Et la population pénitentiaire s’accroît sans cesse. En avril 2013, elle comptait 5.932 détenus dans toutes les prisons de la partie francophone du pays, toutes surpeuplées.

 

Personne ne se penche sur les causes de cette surpopulation. Les citoyens, d’ailleurs, n’y comprennent rien : on leur raconte – surtout en période électorale – que les chiffres de la criminalité et de la délinquance diminuent et on met de plus en plus de gens en prison…

 

Si on lit ceux relatifs à la prison de Namur, 47,5 % de la population carcérale est en préventive, il y a 12,9 % d’internés mentaux et 24 % de condamnés correctionnels. Ce qui fait 84,4 % de la population, le reste étant les condamnés à de plus lourdes peines et les prisonniers en transit.

 

 

Les détenus en préventive représentent donc la principale partie de la population de cette prison, comme dans toutes les autres. Cette question de préventive est récurrente. En droit pénal, la détention préventive constitue l’exception pour le prévenu d’un délit. Or, en réalité, c’est le contraire qui se passe !

 

Certes, la tendance à notre époque est d’alourdir les peines. Mais ne pourrait-on demander à la magistrature, elle aussi mal organisée, manquant d’effectifs, démotivée, de revoir cette question de préventive ? Est-il vraiment nécessaire, par exemple, de mettre un petit dealer en préventive ? Avec la promiscuité, il risque d’en sortir encore plus marginalisé qu’avant.

 

Les surveillants, les fameux « matons », sont eux aussi mal traités. Ils sont sous équipés en matière de sécurité en plus de leur statut peu enviable. Résultat : les conflits sociaux sont fréquents. Et les autorités ne trouvent rien de mieux que de remplacer les gardiens en grève par des policiers. Policiers qui ne sont pas heureux non plus, car ils estiment à juste titre que ce n’est pas leur métier. Et lors de chaque grève, c’est l’arrêt des visites pour les prisonniers et de la distribution des colis. Tout cela est source de sérieuses tensions qui peuvent aller jusqu’à l’émeute dans certains cas.

 

Les responsables du secteur pénitentiaire sont conscients de la vétusté de plusieurs établissements comme la prison de Namur. On programme des travaux qui, faute de budget, sont lents et consistent souvent en des emplâtres sur des jambes de bois.

 

Bref, la prison n’intéresse personne. Ce foyer de graves maladies sociales où les détenus sont traités à la limite de l’humainement acceptable, où les vœux pieux de réinsertion ne sont que tromperies, où le personnel est démotivé et déconsidéré, est une bombe à retardement.

 

 

Mais, le prisonnier n’intéresse pas. L’opinion publique tenaillée par la peur des actes de délinquance se moque de son sort, voire l'estime juste sinon trop clément. Aussi, le politique a d’autres choses à faire. Il y a révolte des détenus ? On mate ! Il y a grève des surveillants ? On temporise ! Il y a insalubrité des maisons d’arrêt ? On rafistole ! Et pour le reste, on ferme les yeux.

 

Devant ces murs, le passant vaque indifférent. Pourtant, il ne s’aperçoit pas qu’il passe près d’une bombe. La pire d’entre elles, parce qu’elle est humaine. Et quand elle explosera…

 

 

 

Pierre Verhas

Les quatre ailes de la prison de Namur

Les quatre ailes de la prison de Namur

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