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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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2 mai 2015 6 02 /05 /mai /2015 20:08

 

L’échéance pour ou contre l’adoption du projet de Traité Transatlantique pour le Partenariat et l’Investissement (TTIP) approche. Le Parlement européen sera très bientôt saisi du résultat des négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis d’Amérique. C’est à ce moment là qu’on se comptera ! Et cela aura des conséquences politiques majeures.

 

Un fiasco diplomatique annoncé

 

Mais qu’est-ce qui pousse l’Union européenne à négocier obstinément ce traité qui est léonin, c’est le moins qu’on puisse dire, alors que de nombreuses personnes autorisées ont lancé moult avertissements, notamment celui-ci ? « Les révélations Snowden auraient pu éviter à l’Europe un faux pas majeur et démentir la chronique d’un fiasco diplomatique annoncé, en l’occurrence la négociation d’un accord bilatéral de libre-échange avec les Etats-Unis, le TTIP. Car du moment qu’ils découvrent que la lutte contre le terrorisme sur la Toile par la NSA servait aussi bien à espionner madame Merkel qu’à capter les secrets industriels et commerciaux de ses alliés et concurrents, les Européens réalisent aussi toute l’ampleur des différences qui nous séparent des Etats-Unis. »

 

Ce n’est pas un altermondialiste utopiste ou un indécrottable gauchiste qui a écrit cela, mais Pierre Defraigne, professeur au Collège de l’Europe à Bruges et directeur du très ultralibéral think tank, la Fondation Madariaga. C’était dans la Libre Belgique le 28 novembre 2013, soit quatre mois après le début des pourparlers. Et les négociateurs ont continué comme si de rien n’était.

 

Comment dès lors expliquer une telle attitude ? Les institutions européennes sont gangrénées par le lobbying. En cela, elles ne sont plus démocratiques, pour autant qu’elles l’aient été tant certains lobbies interfèrent dans la décision. En cela, on peut dire que les autorités négociant le TTIP sont illégitimes.

 

La disposition la plus controversée : l’ISDS

 

Il faut cependant noter – et ce sera évoqué dans la deuxième partie – que la disposition la plus controversée du projet de TTIP est l’ISDS, c’est-à-dire le tribunal d’arbitrage privé entre les entreprises et les Etats. Ainsi, une entreprise peut saisir le tribunal parce qu’un Etat dispose d’une législation, par exemple de protection de l’environnement, qui empêcherait ladite entreprise d’investir, car cela constituerait une infraction à la loi. Le jugement issu de ce litige pourrait contraindre l’Etat concerné à abroger sa réglementation, car elle constituerait un obstacle à l’investissement. Lisons ce qu’en dit le même Pierre Defraigne :

 

« Au sujet de la Cour d’arbitrage privée : l’Europe est un état de droit. Si nous privatisons la loi, où allons-nous ? Face à la complexité immense du monde, la démocratie a une sagesse collective qu’il faut reconnaître. » (La Libre Belgique, 27 avril 2015).

 

Nous publions ici une vidéo qui explique très clairement le mécanisme et les dangers de l’ISDS

 

 

 

Des autorités illégitimes

 

De quels négociateurs s’agit-il ? Pour l’Union européenne, c’est le Commissaire chargé du commerce extérieur. Les Etats-membres ont délégué à la Commission le pouvoir de négocier le projet de traité. Pour les Etats-Unis, ce sont des fonctionnaires su Ministère du commerce.

 

Le Commissaire européen – il s’agissait du très libéral belge Karel De Gucht sous la Commission Barroso et aujourd’hui de la non moins libérale suédoise Cécilia Malmström – a toute latitude pour négocier. Mais négocier quoi ?

 

Cécilia Malmström, Commissaire européenne au Commerce extérieur. La Suédoise est tout aussi néolibérale que son prédécesseur le Belge Karel De Gucht.

Cécilia Malmström, Commissaire européenne au Commerce extérieur. La Suédoise est tout aussi néolibérale que son prédécesseur le Belge Karel De Gucht.

 

S’il s’agit d’un traité commercial ordinaire, ce genre de procédure est courant. Cependant, le projet de TTIP ne concerne pas que le commerce. À la limite, comme le dit Susan George, l’aspect commercial de ce projet est secondaire.

 

En effet, les barrières tarifaires entre l’Europe et les Etats-Unis sont très basses. Aussi, une négociation d’une telle ampleur va bien au-delà du simple accord commercial. L’objet réel de ce traité est de fusionner les réglementations en vigueur aux USA et en Union européenne. Cela signifie l’absorption des entreprises européennes par les transnationales américaines. En effet, sont menacées par cette disposition les lois et règlements de protection de l’environnement et du consommateur. En outre, les Etats ne seront plus libres d’édicter une quelconque réglementation en la matière, car elle risque d’être automatiquement caduque. Ainsi, toute lutte contre la pollution, les mesures contre le réchauffement climatique, l’interdiction de la viande aux hormones, l’interdiction de l’exploitation de gaz de schiste, etc. risquent l’obsolescence tout simplement.

 

Dans son dernier ouvrage – Les usurpateurs comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Seuil, Paris, 2014 – Susan George lance un cri d’alarme : « Venons-en à la plus éclatante victoire jamais remportée par le lobbying : la déréglementation à tout-va de l’environnement. Cela risque d’entraîner une catastrophe qui, comparée à la crise financière déclenchée par la déréglementation des institutions financières et la cupidité de leurs dirigeants, paraîtrait presqu’anecdotique. Nous sommes tous prisonniers d’un immeuble en flammes ; nous sommes tous des grenouilles dans une marmite dont la température augmente insensiblement jusqu’à atteindre le stade d’ébullition. »

 

On comprend pourquoi ces accords sont négociés dans le plus grand secret !

 

La Franco- américaine Susan George, Présidente d'honneur d'ATTAC, est une chercheuse et un des phares de l'altermondialisme

La Franco- américaine Susan George, Présidente d'honneur d'ATTAC, est une chercheuse et un des phares de l'altermondialisme

 

Le secret est de rigueur.

 

Et les lobbies transnationaux interviennent directement dans le processus. Et ce, depuis longtemps. Dans une récente enquête, Martine Orange, la journaliste économique de Mediapart, a dénoncé le principe du « secret des affaires » au sein des institutions européennes. De quoi s’agit-il ?

 

Elle écrit dans « Mediapart » du 28 avril 2015 : « La directive européenne sur le secret des affaires continue de cheminer dans l’ombre. Les consultations des différentes commissions chargées d’examiner le texte ne sont pas encore achevées. Mais les ébauches dont ont eu connaissance, à ce stade, les parlementaires européens et certaines ONG font froid dans le dos. Droit de l’information, droit du travail, droit de la santé, droit de la consommation, droit de l’environnement, ce sont des pans entiers de la législation et de la réglementation qui sont menacés. Par un retournement historique, là où, auparavant, l’Europe se faisait forte de promouvoir la transparence, l’information des consommateurs et des citoyens, la publicité des actions, elle met en place la loi du secret, de l’ombre et de l’opacité. »

 

Un exemple. Alors que la tendance actuelle est de protéger les lanceurs d’alerte, la directive limite leur protection à la seule condition qu’ils avertissent uniquement les autorités compétentes (et donc responsables de la dérive dénoncée !) et les autorités judiciaires. Bien que les fonctionnaires européens le nient, on comprend mieux l’étouffement de l’affaire Luxleaks. Les deux lanceurs d’alerte, le cadre de la société d’audit Pricewaterhouse Cooper et le journaliste qui a publié les « découvertes » du premier, sont poursuivis par la justice luxembourgeoise pour viol du « secret des affaires » !

 

Des ONG se sont inquiétées de cette directive qui, pour protéger le secret des affaires, viole les droits fondamentaux par ailleurs rappelés dans la Charte européenne des droits fondamentaux ! Elles ont dénoncée le 23 mars dernier, la précipitation dont font preuve la Commission et le Conseil européen en vue de promouvoir cette fameuse directive.

 

Ce n’est évidemment pas un hasard si cette directive est élaborée pendant les négociations sur le TTIP. En effet, le lobby patronal « Business Europe » qui est comme chez lui dans les bâtiments de la Commission, du Conseil et du Parlement à Bruxelles.

 

Voici ce qu’en écrit Martine Orange : « Dans le même courrier, il se fait également écho des demandes du patronat européen de joindre le secret des affaires à la discussion sur le traité commercial transatlantique (TAFTA). « Business Europe dit que l’Europe et les États-Unis pourraient s’entendre sur une stratégie commune contre les appropriations frauduleuses dans les pays tiers », note-t-il.

 

Le député européen écologiste français Pascal Durand avait vu juste : la directive sur le secret des affaires est bien « indissociable de la négociation du traité de libre-échange transatlantique ». Le 23 octobre 2013, la fédération patronale européenne et l’association nationale des manufacturiers américains adresseront une lettre commune aux négociateurs européen et américain du traité transatlantique, Karel De Gucht et Michael Froman. Après avoir rappelé l’importance de la protection des secrets d’affaires pour les entreprises, ils insistent : « Un accord sur les éléments servant “d’étalon or” pour la législation pour protéger les secrets d’affaires assurera que les lois aux États-Unis et en Europe refléteront les meilleures règles pour protéger les secrets d’affaires. »

 

Pascal Durand, député européen écologiste français ne lache rien !

Pascal Durand, député européen écologiste français ne lache rien !

 

Et ils listent leurs demandes législatives pour s’adapter, disent-ils, à l’ère numérique : « Reconnaître explicitement les secrets d’affaires comme propriété intellectuelle. Des peines réelles civiles et quand cela est nécessaire, pénales, et des remèdes en cas d’appropriation frauduleuse de secrets d’affaires (amendes, pénalités, dommages compensatoires et/ou emprisonnement aussi bien que des injonctions pour prévenir des appropriations frauduleuses réelles ou menaçantes. Un tribunal pour les auteurs qui auraient commis une violation du secret des affaires hors d’une juridiction particulière (c’est-à-dire hors d’Europe et des États-Unis) si les conséquences de ce crime économique sont dans cette juridiction. Des mesures appropriées pour protéger la confidentialité des secrets d’affaires et d’autres informations confidentielles en cas de procès civil ou pénal. Des règles et des procédures pour la production et la protection des preuves et des mesures pour éviter des procédures inutilement compliquées, coûteuses et dévoreuses de temps. »

 

Cela en dit long sur ce qui devient un danger majeur : l’installation d’un pouvoir totalitaire supranational en Europe.

 

Le pire pouvoir

 

D’ailleurs, on en vient à un monde orwellien. Dans le deuxième volet de son enquête, Martine Orange explique : « Les cas sont si nombreux que cela finit par être surréaliste. Dans un courriel adressé à la direction du marché intérieur, un des membres de la fédération de la chimie demande finalement une petite révision, car la liste semble trop longue. Il pense notamment que la température d’ébullition ou de transformation d’un produit ne soit pas incluse dans les données relevant du secret des affaires. On a eu chaud ! Le fait de savoir que l’eau bout à 100° aurait pu être considéré comme une dangereuse violation du secret des affaires.

 

Cette seule énumération donne la mesure de l’état d’esprit des multinationales. C’est un monde selon Orwell qu’elles réclament. L’époque où le biologiste et médecin américain Jonas Edward Salk, découvreur du vaccin contre la polio, annonçait qu’il mettait à la disposition du monde entier sa découverte sans la breveter, est bien révolue. La coopération scientifique et technique, qui est un des postulats de la recherche universitaire, tout comme l’économie ouverte et du partage défendue par de nombreux inventeurs du net n’appartiennent définitivement pas à leur monde. Pour les multinationales, tout leur appartient, tout doit rapporter, y compris le vivant qu’il faut s’empresser de breveter afin de pouvoir exiger des royalties sur ce que la nature a fait.

 

Même le néolibéralisme défendu depuis les années 1980 paraît désormais à des années-lumière de ce qu’elles défendent. Misant tout sur l’efficience des marchés, le libéralisme – en théorie du moins – se faisait l’ardent défenseur de la libre circulation de l’information et des idées. Désormais, les grands groupes ne prennent même plus la peine d’habiller leurs demandes de l’aspect de la liberté. Leur vision est celle d’un capitalisme totalitaire. Elles réclament une surveillance totale de tout et de tous.

 

Mais ce cadre légal que les groupes essaient d’imposer par le biais du secret des affaires ne sert pas seulement à se protéger contre une concurrence déloyale, le vol des données, l’espionnage industriel ou le pillage de savoir-faire par des concurrents indélicats, contrairement à ce qu’ils prétendent. Il y a longtemps que les groupes ont appris à gérer ces problèmes entre eux. Il suffit de lire à nouveau leurs notes et leurs argumentaires pour comprendre leurs arrière-pensées. Leur projet est autant dirigé contre leurs rivaux que contre les salariés, les associations, la presse ou l’opinion publique. Tous ceux qui demandent des comptes ou au moins un peu de transparence. »

 

Le véritable choc n’est pas le fantasmagorique « choc des civilisations », mais l’affrontement majeur entre les tenants de la liberté et des droits et les transnationales qui cherchent à instaurer un pouvoir absolu dans leurs seuls intérêts. Qu’on y prenne garde, ce pouvoir risque d’être le pire que l’humanité ait connu.

 

Nous avons souvent cité et évoqué l’historien et ancien diplomate canadien Peter Dale Scott qui a mis en évidence la coexistence de l’Etat légal et de l’Etat profond aux USA qu’on appelle aussi la Continuité du Gouvernement, le COG. Les éditions Demi Lune viennent de publier la traduction française de son dernier ouvrage « l’Etat profond américain ». Cet extrait que Scott écrit sur le rôle de Wall Street permet de mieux comprendre l’immense pouvoir des institutions financières sur le monde.

 

 

Peter Dale Scott, linguiste, ancien diplomate, ancien professeur à l'Université de Berkeley, homme sans concessions. on comprend pourquoi l'establishment l'ignore.

Peter Dale Scott, linguiste, ancien diplomate, ancien professeur à l'Université de Berkeley, homme sans concessions. on comprend pourquoi l'establishment l'ignore.

 

« L’inclusion par Mike Lofgren de Wall Street dans sa définition de l’État profond renforce l’observation de Franklin Roosevelt, adressée en 1933 à son ami le colonel E.M. House : « La vérité (…) est, comme vous et moi le savons, qu’une composante financière s’est emparée du gouvernement depuis l’époque d’Andrew Jackson. » [Andrew Jackson a été le septième Président des Etats-Unis en 1829 et en 1837. On voit que l’influence du secteur financier ne date pas d’hier !]

 

Cette confidence de Roosevelt trouve une bonne illustration dans l’efficacité avec laquelle un groupe de banquiers de Wall Street réussit à établir le système de la Réserve Fédérale, lors d’une réunion hautement secrète tenue en 1910 (Nelson Aldrich, le grand-père de Nelson Rockefeller, a participé à cette rencontre). Ce système permit de transférer la supervision de la masse monétaire et des institutions financières nationales aux banques les plus importantes, qui sont loin d’être impartiales.20 En 2008, l’influence politique du quasi gouvernemental Conseil des gouverneurs de la Réserve Fédérale fut clairement démontrée. En effet, la Fed s’assura le soutien immédiat des administrations présidentielles d’un Républicain texan [Nixon] puis d’un Démocrate du Midwest [Clinton] pour que l’argent public sauve les cadres imprudents des banques de Wall Street jugées trop imposantes pour faire faillite (« Too Big To Fail ») mais pas pour être renflouées (« Too Big To Bail »), leurs responsables étant évidemment bien trop puissants pour être emprisonnés (« Too Big To Jail ») (…).

 

Bill Clinton abrogea la disposition de séparation des banques d'affaires des banques de dépôt.

Bill Clinton abrogea la disposition de séparation des banques d'affaires des banques de dépôt.

 

L’influence d’Allen Dulles en tant qu’avocat de Wall Street ou en tant que directeur de la CIA semblait quasiment identique. Bien qu’il n’ait officiellement rejoint l’Agence qu’en novembre 1950, il opérait à Berlin avant le début du blocus de cette ville en 1948, « supervisant le déclenchement d’une vague de propagande antisoviétique à travers l’Europe. »24 Au début de l’été 1948, il mit en place le Comité américain pour une Europe unie (ACUE), afin de soutenir ce qui allait devenir au début des années 1950 « la plus vaste opération de la CIA en Europe de l’Ouest » (…)

 

Dans les années 1950, le Président Eisenhower consolida davantage le rôle du secteur privé dans le système de l’État profond, en décidant d’incorporer des chefs d’entreprises dans le processus ultrasecret de planification de la « Continuité du Gouvernement » (COG). Ce fut un précédent à la nomination, par le Président Reagan, de Donald Rumsfeld et de Dick Cheney dans le programme de la COG. Ces responsabilités leur permettaient de planifier la suspension de la Constitution des États-Unis – y compris durant la présidence Clinton, lorsqu’ils n’exerçaient aucune fonction gouvernementale. En effet, (...), ces deux hommes étaient PDG de multinationales dans les années 1990. (…)

 

George W Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld renforcèrent considérablement l'Etat profond.

George W Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld renforcèrent considérablement l'Etat profond.

 

Néanmoins, le rôle du secteur privé dans le système de l’État profond est devenu bien plus important à travers l’externalisation progressive des budgets gouvernementaux du Renseignement. En 2007, le journaliste Tim Shorrock a révélé qu’« environ 70 % des 60 milliards de dollars que l’État dépenserait chaque année dans (…) [ce domaine] » étaient dorénavant sous-traités à des contractants privés comme Booz, Allen & Hamilton et SAIC (Science Applications International Corporation).

 

En réalité, la distinction entre « public » et « privé » s’amenuise davantage avec le système des « chaises musicales » mentionné précédemment. À travers celui-ci, de hauts responsables du Renseignement et les directeurs des firmes accréditées pour travailler dans ce secteur circulent librement. Par exemple, Mike McConnell, après avoir dirigé « la NSA sous Bush père et sous Clinton, rejoignit directement Booz Allen – l’une des plus grandes sociétés privées de renseignement aux États-Unis. Il fut ensuite nommé directeur du Renseignement national (DNI) sous George W. Bush, puis il est finalement retourné à Booz Allen, dont il est aujourd’hui le vice-président. » Les officiers des services spéciaux qui évoluent au cœur de l’État rédigent des contrats non concurrentiels, favorisant ainsi les intérêts des entreprises privées susceptibles d’être leurs anciens ou leurs futurs employeurs.67 Et au fil du temps, ce système de « pantouflage » a aussi encouragé des échanges de personnel entre Booz Allen et les multinationales pétrolières bénéficiant des services de cette entreprise. (…)

 

Dans son analyse, Mike Lofgren souligne l’importance de Booz Allen Hamilton au sein de l’État profond, sachant que 99 % des affaires de cette entreprise dépendent du gouvernement des États-Unis.69 Dans les médias, cette firme a été assimilée à la NSA depuis que son employé Edward Snowden s’est exilé avec de nombreuses archives de cette agence. Par ailleurs, Booz Allen Hamilton joue un rôle important dans le domaine lucratif des contrats passés dans le cadre de la « Continuité du Gouvernement » (COG) et de la « Continuité des Opérations » (COOP). »

 

A la lecture de ces propos, on remarque que les institutions européennes œuvrent dans le même sens : la Banque Centrale Européenne est le calque de la Réserve Fédérale et les budgets des pouvoirs publics sont mis sous la tutelle de la Commission européenne. Il est d’ailleurs symptomatique d’observer que l’Union européenne veut imposer à la Grèce des « réformes » qui sont similaires à celles qui figurent sur le projet de traité et dans l’idéologie sous-tendue par la « COG » étatsunienne. En outre, il y a déni de démocratie en imposant lesdites réformes (privatisations, licenciements de fonctionnaires, démantèlement de la sécurité sociale, etc.) à la Grèce par le chantage et les pressions financières. Les électeurs grecs n’ont pas voté pour la politique de la troïka !

 

Enfin, il faut noter l’intervention de plus en plus importante du « privé » dans le processus de décision « public ». Ainsi, Mediapart – encore lui ! On comprend que les néolibéraux ne l’aiment pas – a révélé que la banque Goldman Sachs qui fait la pluie et le beau temps à Wall Street a dépensé près de 800.000 Euros de lobbying dans les institutions européennes en 2014, selon le « registre de transparence » de lobbies qui a été institué grâce à la pression des ONG militant pour plus de démocratie dans le processus de décision européen.

 

« C'est peu dire que la banque d'affaires américaine, jusqu'à présent, traînait des pieds pour faire la lumière sur ses activités dans la « bulle européenne ». Elle ne s'était inscrite à ce registre – qui n'est pas obligatoire – qu'en novembre 2014, sous la pression de la nouvelle commission présidée par Jean-Claude Juncker. La banque avait alors déclaré une somme qui semblait dérisoire aux yeux des observateurs : 50 000 euros sur l'année 2013. Elle n'occupait alors que le 523e rang des lobbyistes les plus puissants à Bruxelles (…) La banque, pour laquelle ont travaillé des figures de premier plan de la politique européenne comme les Italiens Mario Draghi, actuel patron de la BCE, ou Mario Monti, ex-commissaire européen, n'est pas la seule à avoir révisé à la hausse ses budgets dans le registre de la commission. Le géant allemand Deutsche Bank, par exemple, déclare désormais 3,9 millions d'euros (pour l'an dernier), contre un peu moins de deux millions en 2013. La Société générale déclare, elle, entre 400 000 et 499 000 euros en 2014 »

 

Mario Draghi, président de la BCE, ancien de Goldman Sachs joue un jeu obscur. Une lanceuse de confettis voulait sans doute le lui rappeler...

Mario Draghi, président de la BCE, ancien de Goldman Sachs joue un jeu obscur. Une lanceuse de confettis voulait sans doute le lui rappeler...

 

Les banques d’affaires sont donc une pièce maîtresse dans les négociations européennes et du TTIP en particulier. En plus, comme le révèle « l’Echo » de samedi 2 mai 2015, dans un article intitulé : « L’Europe capitule face à ses mastodontes bancaires. », le rapporteur du Parlement européen, le Suédois, membre du PPE, Gunnar Hölmark, faisant fi de la réforme Barnier de régulation des banques, a décidé de laisser le champ libre aux régulateurs de cadenasser ou pas les grandes banques. En clair, la Commission se lave les mains. Il est vrai que le successeur de Michel Barnier au marché intérieur est le Britannique Jonathan Hill connu pour être fort proche de la City. Dans son éditorial, Dominique Liesse pose la question : « Les banques pourront-elles résister à la chute d’un mastodonte plus grand et plus complexe que Lehman Brothers ? » Bah ! Comme le rapporte le député Ecolo belge Philippe Lamberts : « Invité en réunion, Jacques de Larosière [ancien directeur général du FMI et président d’EUROFI, un lobby regroupant les acteurs financiers européens] a déclaré que nous avions déjà été trop loin dans la régulation financière. » Ben tiens !

 

Tout cela est-il irréversible ?

 

Le TTIP, en définitive, fait donc partie de ce processus et en constitue une avancée importante. Et tout cela dans le plus grand secret ! Susan George, dans une interview, a rappelé : « Qu'on débatte ou non, ces négociations restent antidémocratiques, parce que personne ne dispose des textes, pas même les députés européens. Nous ne pouvons délibérer qu'à partir d'hypothèses. Or, seuls les députés de la Commission du commerce international sont informés de temps à autre par le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, qui leur dit ce qu'il veut bien leur dire. A l'issue de chaque cycle de négociations, nous ne savons pas ce qui a été discuté, ces gens ne sont comptables de rien, c'est secret, et une fois le traité signé, il sera irréversible. »

 

Irréversible ? Sauf si l’opinion publique qui devient de plus en plus hostile au TTIP finisse par influencer les votes des différents Parlements. La Commission, face à la demande pressante de levée du secret des négociations, a dû céder quelque peu. Ce n’est pas suffisant, mais c’est une petite avancée.

 

Alors, que va-t-il se passer ?

 

Si les négociations aboutissent, le traité devra être ratifié par le Parlement européen. Si et seulement si l'accord négocié est qualifié de « mixte », c'est-à-dire comportant des dispositions autres que spécifiquement commerciales, il devra également être ratifié par les parlements nationaux. Ajoutons qu’en Belgique, les parlements régionaux devront aussi se prononcer. De plus, il est probable que certains Etats membres de l’UE feront ratifier le traité par référendum.

 

Il y a cependant un piège dans ces ratifications. Aucune des assemblées n’a de pouvoir d’amendement. Le traité est à prendre tel quel, malgré les importantes dispositions sociales et politiques qu’il comporte. Ce n’est pas nouveau, car toutes les réformes imposées par l’Union européenne se font par traité, depuis le traité de Maastricht jusqu’au dernier TSCG, le fameux « pacte budgétaire ».

 

Quand cela va-t-il se passer ?

 

L’échéance est proche !

 

Au Parlement européen, le TTIP ne passe pas comme une lettre à la Poste. La moitié des commissions du Parlement européen ont repoussé le dispositif de règlement des différends du traité, laissant augurer d’une majorité incertaine. Quelques jours avant l’ouverture du 9ème cycle de négociation entre l’UE et les États-Unis sur le traité transatlantique, les eurodéputés ont durci leur position sur le traité commercial entre l’UE et les États-Unis.

 

Les 14 et 16 avril, 6 des 14 commissions parlementaires qui contribuent au projet de résolution du Parlement européen ont rendu leurs avis sur l’état d’avancement des négociations. l’opposition des députés européens notamment au mécanisme d’arbitrage prévu dans le TTIP apparait de plus en plus forte. Le dispositif censé protéger les investissements en proposant un recours à des tribunaux privés en cas de conflit entre une entreprise privée et un État cristallise les critiques (une multinationale suédoise contre l'Allemagne).

 

« La moitié des commissions du Parlement européen saisies pour avis ont rejeté le dispositif de l’ISDS » s’est félicité l’eurodéputé vert Yannick Jadot, vice-président de la commission du commerce international. 

 

Angela Merkel devra-t-elle revoir sa sortie du nucléaire suite à l'ISDS. Ce serait un pied de nez de l'histoire à celle qui prône aves zèle le TTIP...

Angela Merkel devra-t-elle revoir sa sortie du nucléaire suite à l'ISDS. Ce serait un pied de nez de l'histoire à celle qui prône aves zèle le TTIP...

 

Les commissions des Affaires économiques et monétaires, des Affaires juridiques, de l’Emploi, de l’Environnement, des Pétitions et des Affaires constitutionnelles se sont opposées au mécanisme d’arbitrage dans leur projet d’avis, alors même que le Parlement est dominé par la famille politique du PPE, favorable au TTIP et à l’arbitrage.

 

« Les positions des commissions des Affaires juridiques et de celle des Affaires économiques sont très importantes car ces commissions sont les garantes de la position juridique du Parlement européen » s’est réjoui Yannick Jadot, député européen écologiste français. D’autres commissions comme celle de l’Industrie et des Affaires étrangères se sont cependant prononcées en faveur de l’arbitrage.

 

En commission des Affaires juridiques, une des commissions jugées le plus compétentes sur la question de l’ISDS, le projet d'avis de l’eurodéputé PPE allemand Axel Voss, initialement en faveur de l'ISDS a finalement été largement amendé par les Verts, les socialistes et la gauche radicale (GUE), donnant lieu à une version finale « anti-ISDS ». Une volte-face qui a poussé le rapporteur PPE à demander le retrait de son nom de l'avis.

 

L’atlantisme déstabilisateur

 

Nous laissons la conclusion à Pierre Defraigne qui s’exprime ainsi dans un document du Madariaga – Collège de l’Europe « Reprendre la main d’un atlantisme déstabilisateur à une trilogie US-UE-Chine » :

 

« Bruxelles se prête mal au débat de fond. Les compromis sont tellement difficiles à établir entre les Etats membres d’abord et entre l’UE et le partenaire, ici les Etats-Unis, ensuite, pour ne rien dire des lobbies, pourtant bien présents, que les alternatives ne sont pas mises sur la table. Une fois la ligne arrêtée, elle est bétonnée et les questions ou objections de fond sont ignorées ou disqualifiées par le recours à des arguments d’autorité ou à des insinuations de protectionnisme, d’euroscepticisme ou d’antiaméricanisme. Les critiques sont contenues à la périphérie du projet. Ainsi se construit une pensée unique à laquelle contribuent allègrement Think-Tanks et éditorialistes pris dans le discours bruxellois dominant. Ce discours certes a raison des oppositions et des réserves dans un premier temps, mais il se heurte tôt ou tard à la réalité des faits et surtout des perceptions. C’est ainsi que l’UE officielle perd la confiance du citoyen qui, ne comprenant pas grand-chose à toute cette complexité, juge l’arbre à ses fruits. Par ces temps d’euroscepticisme montant, le TTIP risque de faire une cible facile comme l’AMI ou ACTA… »

 

Cible pourtant pas si facile à neutraliser !

 

 

Pierre Verhas

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