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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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4 mars 2021 4 04 /03 /mars /2021 18:30

 

 

Sous peine de disparaître…

 

Intersectionnalité, pensée postcoloniale, indigénisme, islamo-gauchisme, racisés, voilà les nouveaux épouvantails qui secouent les mondes universitaire et médiatique. Tout cela a éclaté, il y a presqu’un an, après de l’arrestation mortelle du citoyen américain noir George Floyd à Minneapolis en mai 2020. Ce grave incident fut l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et ne s’est pas éteint depuis. Vient ensuite l’assassinat du professeur des écoles, comme on dit en France, Samuel Paty qui a réveillé l’antagonisme avec l’Islam radical.

 

Ces jours-ci, c’est l’Université française qui subit le choc. Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement Castex présidé par Macron a ordonné au CNRS de faire une enquête sur l’islamo-gauchisme qui gangrénerait les campus. Autrement dit, Vidal veut faire jouer au CNRS le rôle de la police de la pensée ! Tollé évidemment ! La ministre Vidal est obligée de reculer. Certains, même parmi les universitaires les plus modérés comme Thomas Piketty, exigent sa démission.

 

 

 

Frédérique Vidal, la calamiteuse ministre de l'enseignement supérieur du gouvernement Macron

Frédérique Vidal, la calamiteuse ministre de l'enseignement supérieur du gouvernement Macron

 

 

 

Cependant, d’autres intellectuels dont Alain Finkielkraut, Elisabeth Badinter et Jean-Claude Michéa ont appelé à une vigilance de l’université et aussi de la magistrature à l’égard d’un courant global dont le prétendu islamo-gauchisme n’est qu’un des aspects, l’intersectionnalité où l’on trouve aussi la pensée postcoloniale ou décoloniale. Ces penseurs estiment que ce courant réactive l’idée de race.

 

Une rupture majeure entre deux mondes

 

L’ambiance est plutôt délétère ! Mais, avant d’analyser ce phénomène, essayons d’en déterminer les causes. On s’aperçoit qu’il y a manifestement une rupture majeure entre deux mondes : le monde occidental qui se réclame de l’universalisme et l’ensemble des jeunes issus de l’immigration, des militants musulmans, des femmes marginalisées qui considèrent que ce n’est pas la classe inférieure qui est exploitée, mais les races non blanches. Ils rejettent l’universalisme à l’occidentale. Ils considèrent que la philosophie des Lumières est la base de la pensée colonialiste.

 

Dans le dossier consacré à cette polémique paru dans « l’Obs » du 25 février 2021, un professeur constate : « Il suffit de regarder les dépôts de thèses pour constater que la « race » se répand et qu’elle est boulimique. Lorsque toute la science est décrite comme l’émanation d’une domination occidentale, on abat les fondements mêmes de nos disciplines et la possibilité d’une culture commune. »

 

Comment en est-on arrivé là ? Il ne suffit pas de s’alarmer et d’envisager la répression comme réponse principale. Il faut en déterminer les causes. Le Suisse Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation et membre consultatif du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, l’explique dans un livre qui est paru il y a treize ans, « La haine de l’Occident », (Paris, Albin Michel, 2008).

 

 

 

Jean Ziegler un véritable internationaliste - Ici à  l'île de Lesbos où croupissent nombre de migrants.

Jean Ziegler un véritable internationaliste - Ici à l'île de Lesbos où croupissent nombre de migrants.

 

 

 

« L’ordre occidental du monde relève de la violence structurelle. L’Occident s’affirme porteur de valeurs universelles, d’une morale, d’une civilisation, de normes en vertu desquelles tous les peuples du monde sont invités à prendre en main leur destin.

Mais cette prétention séculaire de l’Occident est aujourd’hui radicalement contestée par l’immense majorité des peuples du Sud. Ils y voient une insupportable manifestation d’arrogance, un viol de leur identité, un déni de leur singularité et de leur mémoire. »

 

Ce sentiment est aussi partagé par les jeunes issus de l’immigration qui vivent en Europe. Un autre aspect de ce rejet concerne plus spécifiquement l’Islam. Les attentats sont de plus en plus nombreux, particulièrement en France. Ils visent soit des gens au hasard dans les rues, dans les églises, dans les cafés, soit des personnes ciblées comme Samuel Paty qui représente aux yeux des islamistes la quintessence de l’ennemi : un prof prônant la liberté de critiquer et même de moquer leur religion. L’Islam radical a depuis longtemps pénétré les esprits des jeunes non européens qui refusent l’enseignement universel de l’école de la République ou dite laïque.

 

Pourquoi ? Pour les mêmes raisons que celles exposées par Jean Ziegler au sujet des peuples du Sud. Il y a quelques années, le philosophe Michel Onfray dans un de ces débats-pugilats dont la télé française a le secret, a dit : « Depuis la guerre du Golfe, il y a eu plus d’un million de morts à la suite des bombardements occidentaux et russes au Moyen-Orient, plusieurs villes rayées de la carte, et on s’étonne que ces peuples nous haïssent et nous combattent ! »

 

 

 

Même le très controversé philosophe Michel Onfray estime que cela va trop loin !

Même le très controversé philosophe Michel Onfray estime que cela va trop loin !

 

 

Ces guerres menées depuis 1991, renforcées après le 11 septembre 2001, menées au nom d’un « nouvel ordre mondial » - traduisez : occidental avec dominante étatsunienne – ont détruit les structures de ces pays, dispersé des peuples  – songez aux Yézidis, aux Kurdes, aux Chrétiens d’Orient– détruit des lieux de culture – songez aux nombreux sites archéologiques en Irak et en Afghanistan, au pillage des musées ; cela vaut la destruction des Bouddha géants par les Talibans – radicalisé la jeunesse qui s’est rangée derrière la bannière de l’Islam. Il est joli le « nouvel ordre mondial » !

 

Un autre exemple donné par Jean Ziegler. Au Niger, des marchés vendent des fruits, des légumes, des volailles provenant d’Europe, alors que les paysans locaux en produisent eux-mêmes. Tout simplement, l’agriculture étant subventionnée en Union européenne, les produits locaux sont plus chers en Afrique et le consommateur local choisira évidemment le meilleur marché au plus grand profit des transnationales de l’agroalimentaire. C’est ainsi que l’on ruine l’économie des pays d’Afrique noire et que l’on jette des milliers de paysans dans la misère. C’est aussi la conséquence des traités de libre-échange tant vantés par la propagande occidentale qui y voit là aussi « le nouvel ordre mondial » ! Et on peut multiplier les exemples dans bien des domaines.

 

Par les traités de libre-échange, les grands Etats occidentaux et surtout les entreprises transnationales contrôlent les marchés en Afrique et en Amérique latine. Ainsi, le Nigeria, huitième producteur mondial de pétrole et premier en Afrique doit importer 100 % de sa consommation en hydrocarbure ! De même, les pays andins comme le Pérou et la Bolivie, grands producteurs de café, ne peuvent consommer leur production. Ils doivent importer le café de multinationales comme Nestlé.

 

L’hebdo parisien « L’Obs » rapporte dans l’article cité plus haut les propos d’un anthropologue souhaitant rester anonyme : « On ne peut plus défendre une position universaliste sans être renvoyé à la domination coloniale et à l’imposition des Droits de l’Homme. » Après ce qui vient d’être décrit, ce n’est guère étonnant ! Comment concevoir un universalisme qui divise le monde en blocs antagonistes et surtout inégaux, qui se rallie à l’abominable notion de « choc des civilisations » et qui désigne comme ennemi tout qui ne s’inscrit pas dans sa ligne ?

 

Quid de la pensée « décoloniale » ?

 

Alors, il ne faut guère s’étonner de l’épanouissement de la pensée « décoloniale ». Particulièrement aux Etats-Unis et en Europe.

 

Qu’est-ce que c’est ?

 

« Peu importe d’où tu viens, peu importe ta religion, peu importe ton orientation sexuelle, tu ne dois pas rester spectateur face à l’injustice, face au meurtre, face à l’impunité policière ! Aujourd’hui, ce rapport de forces, il est puissant. » disait Assa Traoré lors d’une manifestation à Paris.

 

 

Que dire, sinon adhérer à ce discours apparemment clair et net ? Cependant, il faut user en la matière d’esprit critique. Ce discours veut globaliser les combats postcolonialistes, féministes, LGBT, antiracistes, des migrants. Il s’inscrit dans la pensée dite « intersectionnelle » forgée par la juriste étatsunienne Kimberlé Crenshaw. Son objectif : croiser, combiner et globaliser les luttes de différentes catégories sociales (sexe, classe, race, âge, handicap, orientation sexuelle). C’est ce qu’on appelle la convergence des luttes. Ce courant s’oppose au concept universaliste des Lumières qui a mobilisé depuis des années tous les combats en faveur de l’égalité hommes-femmes, de dépénalisation de l’IVG, de luttes contre le racisme, etc. Voir :  https://uranopole.over-blog.com/2020/06/le-debat-oui-mais-pas-le-baillon.html

 

Il s’agit de partir de l’idée de la « lutte des classes », base de la pensée marxienne, pour la transférer à d’autres luttes spécifiques comme le féminisme ou les LGBT. La pensée décoloniale fait partie de ce courant intersectionnel.

 

Cette pensée dénonce une décolonisation incomplète dans laquelle les hiérarchies raciales, économiques, de genre persistent. Elle remet en cause l’européocentrisme et dénonce une hégémonie économique et culturelle, prônant le recours à des savoirs pluriversels et non universels qui rendraient mieux compte de la diversité du monde et de l’hétérogénéité des connaissances.

 

 

Elle postule que, malgré l’obtention de l’indépendance pour de nombreux pays, des rapports de pouvoirs subsistent aujourd’hui encore entre les anciennes métropoles et anciennes colonies et que, dans le système de gouvernance mondial, les pays de la périphérie (le Sud global) sont maintenus en position de subordination (par le biais du FMI ou de la Banque mondiale, par exemple).

 

C’est exactement ce que Ziegler dénonce.

 

 

Partant du principe que le capitalisme n’est pas seulement un système économique, mais bien un pouvoir global, intégrant nos procédés économiques, politiques et culturels, la pensée intersectionnelle adopte une approche globalisante : elle s’intéresse au croisement des oppressions, liées à la classe sociale, au genre, aux origines et elle vise à élargir les analyses.

 

 

L’exemple « belge »

 

 

Notre société qui commémore presque quotidiennement les horreurs de la Seconde guerre mondiale, un peu moins celles de la Première, passe sous silence celles de la colonisation. L'hebdo franco-belge Paris Match, dans un numéro datant du 20 juin 2020, le député écolo Kalvin Soiresse du Parlement bruxellois d’origine togolaise fondateur du "Collectif Mémoire coloniale et Lutte contre les Discriminations"  décrit la réalité d’un passé colonial resté sous silence en Belgique. Il répond à une interview du journaliste Michel Bouffioux.

 

 

Le député bruxellois écolo Kalvin Soiresse N'jali milite pour la mémoire du colonialisme belge au Congo.

Le député bruxellois écolo Kalvin Soiresse N'jali milite pour la mémoire du colonialisme belge au Congo.

 

 

La Belgique n’a toujours pas remis en question sa période coloniale. Est-ce par paresse intellectuelle, ou par volonté de tourner la page sans plus, ou encore parce que les relations entre ce pays et ses anciennes colonies restent ambiguës ?  Ce passé non assumé finit par coûter très cher à l’ancienne puissance coloniale qui, sans s’en rendre compte, s’isole et ne pourra ainsi entretenir des relations normales avec les pays africains.

 

 

 

M. Soiresse fait un parallèle entre deux Congolais qui ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la colonisation et de la décolonisation du Congo  : Lusinga Iwa Ng’ombe et Patrice Lumumba.

 

 

Lusinga Iwa Ng’ombe était en 1883 le chef local d’un village proche de Mpala dans l’Est du Congo sur la rive occidentale du lac Tanganika. Un lieutenant de l’armée belge, Emile Storms, mandaté par l’Association internationale africaine, une organisation présidée par le roi Léopold II, procédait alors à la conquête de territoires. Il disposait d’une puissance de feu qui le rendait « incontestable ». Le chef de Mpala s’en aperçut et déclara à Storms : « Homme blanc, aux objets que tu as débarqués, je vois que tu veux bâtir ici. Comme tu es plus fort que moi, si je te refuse l’autorisation, tu construiras quand même. » Storms s’en était réjoui en ces termes : « D’après tes paroles, je comprends que tu es un chef intelligent. » Le 27 juin de cette année-là, la « soumission » de Mpala fut célébrée par un échange de sang. La cérémonie fut présidée par Lusinga qui tint alors ce discours inattendu : « Homme blanc, le serment d’amitié par lequel vous vous liez aujourd’hui doit être sincère. Vous venez au milieu de nous, vous ne pouvez pas nous mépriser. Si vous faites du mal à Mpala ou à l’un des siens, vous mourrez ; si vous lui faites la guerre, vous mourrez, tous les vôtres mourront et votre puissance finira. »

 

 

 

 

Le lieutenant belge Emile Storms qu'on honore comme un civilisateur, fut surtout un tortionnaire et un conquérant sanguinaire.

Le lieutenant belge Emile Storms qu'on honore comme un civilisateur, fut surtout un tortionnaire et un conquérant sanguinaire.

 

 

Lusinga avait d’ailleurs une réputation redoutable. L’explorateur anglais Joseph Thomson le considéra comme un « potentat sanguinaire ». Thomson avait la réputation d’être un excellent explorateur, mais ses rapports prêtaient à caution, car ils étaient quelque peu fantaisistes.

 

 

Dès lors, Storms décida d’éliminer ce chef qui, en réalité, refusait de se soumettre et qui osait traiter avec lui d’égal à égal. Dans ses carnets, conservés par le musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), il l’exprimait ainsi : « [La tête de Lusinga] pourrait bien, un jour, arriver à Bruxelles avec une étiquette, elle ferait fort bonne figure au Musée. » Le 4 décembre 1884, des mercenaires à la solde de Storms attaquèrent le village. Ils tuèrent 125 personnes. Des femmes furent violées. Le récit des faits par Storms laisse entendre qu’il y eut aussi une scène de cannibalisme. Ces criminels ramenèrent la tête du chef Lusinga à Storms, tel un trophée. L’officier belge l’exhiba. On lit dans son journal : « Je fais apporter la tête de Lusinga au milieu du cercle. Je dis : “Voilà l’homme que vous craigniez hier. Cet homme est mort (…) parce qu’il a menti à l’homme blanc”. »

 

 

M. Soiresse ajoute :

 

 

« Lorsqu’il revint en Belgique, Storms plaça le crâne de Lusinga dans l’une de ses malles, à côté de deux autres crânes de chefs dont il avait aussi commandité les exécutions. Le 3 mai 1886, les trois crânes furent présentés dans la cadre d’un exposé raciste aux membres de la Société d’anthropologie de Bruxelles. Ces restes humains revinrent ensuite au domicile de Storms, chaussée d’Ixelles, tout près de l’actuel Matonge. Sur la cheminée de son salon, le militaire belge exposa l’autre part de son butin : différents objets, dont des statuettes volées lors de l’expédition criminelle contre Lusinga. Emile Storms est mort en 1918. Dans les années 30, sa veuve fit don au musée du Congo belge – l’actuel MRAC (Musée Royal d’Afrique Centrale) – des statuettes, des trois crânes et de dizaines d’objets, ainsi que de la correspondance et des journaux de Storms. Le crâne de Lusinga et ceux de ses compagnons d’infortune ne furent jamais exposés, tandis que les statuettes furent vite considérées comme des « trésors » du musée de Tervuren. En 1964, les crânes furent transférés à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique (IRSNB). On les plaça dans des boîtes. Des oubliettes, en fait. »

 

 

Curieuse mission civilisatrice !

 

 

 

 

Des activistes ont aspergé de rouge le buste de Storms à Ixelles en vue de faire prendre conscience de sas crimes. Le buste a été retiré depuis sous les ordres du bourgmestre Doulkeridis d'Ixelles.

Des activistes ont aspergé de rouge le buste de Storms à Ixelles en vue de faire prendre conscience de sas crimes. Le buste a été retiré depuis sous les ordres du bourgmestre Doulkeridis d'Ixelles.

 

 

 

Mpala, après la conquête de Storms, devint une mission des Pères blancs qui voulaient évangéliser toute la région pour en faire un royaume chrétien d’Afrique !

 

 

Kalvin Soiresse Njal constate dans son interview, que Lusinga ne figure sur Wikipédia que comme un homonyme qui a été un grand footballeur. Cela a sans doute été « réparé » depuis. Une nouvelle notice est parue sur l’encyclopédie en ligne, sans doute à la suite de cet article. Lusinga y est présenté comme un chef sanguinaire et esclavagiste. Bien entendu, cette notice n’apporte aucun élément de preuve de ces accusations. Chacun peut vérifier en surfant sur l’encyclopédie en ligne.

 

 

Cette notice est de la pure propagande émanant sans doute du lobby colonialiste belge. Elle fait accroire que le lieutenant Storms a agi pour éliminer Lusinga qui semait la terreur dans son village et pour éradiquer l’esclavagisme qui  y sévissait !

 

 

Le 30 juin 1960, le jour même de la proclamation de l’Indépendance du Congo, Patrice Lumumba, le premier Premier ministre de la nouvelle République démocratique du Congo prononça un discours historique devant les nouvelles autorités congolaises et aussi devant celles de la délégation belge dirigée par le roi Baudouin Ier. Le retentissement de ce discours fut énorme au point qu’il sert de référence mondiale. Kalvin Soiresse fait un parallèle entre les deux hommes.

 

 

« … le jour de l’indépendance, à la surprise du roi Baudouin, Lumumba déclara : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres. (…) Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. (…) Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudront sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays» On retrouve les mêmes thématiques de souveraineté et d’égalité à 75 ans d’intervalle. La filiation est évidente : Lumumba est un héritier en droite ligne de Lusinga. L’histoire de ce chef dont on coupa la tête pour la conserver tel un trophée à Bruxelles brise l’idée reçue selon laquelle des leaders africains fiers et debout ne seraient nés que dans les années 50, tels des fruits défendus des écoles créées par le colonisateur. De toute manière, au Congo, l’émancipation par l’enseignement était très relative puisque, dans cette société inégale qui pratiquait la ségrégation, l’université n’était pas prévue pour le colonisé. » Ce qui a contribué à la tragédie qui a suivi l’indépendance du Congo ex-belge !

 

 

 

Patrice Lumumba prononçant son discours historique en présence du roi Baudouin chef de l'Etat belge, puissance coloniale ayant accordé bon gré mal géré l'indépendance au Congo en grand uniforme blanc, assis à sa gauche,  le 30 juin 1960.

Patrice Lumumba prononçant son discours historique en présence du roi Baudouin chef de l'Etat belge, puissance coloniale ayant accordé bon gré mal géré l'indépendance au Congo en grand uniforme blanc, assis à sa gauche, le 30 juin 1960.

 

 

 

Six mois après, en janvier 1961, Patrice Lumumba fut assassiné avec la manifeste complicité du lobby colonial belge qui l’accusa d’avoir commandé des massacres. Allégations fausses qui ressemblent à s’y méprendre à celles portées à l’égard de Lusinga, septante-cinq années plus tôt.

 

 

Cette analyse du député Soiresse est tout à fait pertinente et devrait inspirer les responsables belges et européens aussi bien politiques, coopérants et économiques :  enfin assumer l’histoire et traiter avec les Congolais comme des partenaires égaux et non comme des subordonnés à une « mondialisation » ne profitant aujourd’hui qu’à quelques affairistes sans scrupules et surtout aux grandes entreprises transnationales qui ont pris la place des anciens exploiteurs coloniaux et qui, disposant de moyens colossaux, sont bien plus redoutables.

 

 

Ainsi, la pensée décoloniale a ses limites. Elle se heurte en se référant à une histoire non assumée aux seuls anciens colonialistes européens qui rejoignent les poubelles de l’histoire. Et si elle est indispensable pour secouer le nuisible immobilisme intellectuel et éthique actuel,  elle est incapable de substituer à l’universalisme des Lumières, un système de pensée qui ne soit pas uniquement basé sur des rapports conflictuels.

 

 

Le colonialisme est-il uniquement « occidental » ou « blanc » ?

 

 

En outre, si le décolonialisme s’attaque avant tout aux « blancs » occidentaux qui entretiennent encore et toujours un système néocolonial, il oublie qu’il y a des colonialismes « non blancs ». Ainsi, le Maroc colonise le Sahara occidental opprimant le peuple Saharaoui, la Turquie maintient son joug sur le peuple kurde, Israël – on le voit quotidiennement – colonise la Palestine, l’Arabie Saoudite mène une guerre atroce de colonisation au Yémen. La Chine par son projet expansionniste de nouvelle route de la soie, colonise le Xing Jiang – ce nom signifie « nouvelle frontière », un concept purement colonialiste – et opprime le peule ouighour, l’Inde colonise le Cachemire. On pourrait ainsi multiplier les exemples dans le monde entier.

 

 

Réinventer l’universalisme.

 

 

Un point essentiel est passé sous silence : les Lumières sont nées et se sont épanouies au début du XVIIIe siècle. Elles ont succédé à la Renaissance. Cette période marquait le début de la toute-puissance des nations européennes dans le monde. L’universalisme des Lumières en dépit de sa grandeur et de sa générosité était avant tout un instrument de conquête. Si auparavant, l’Eglise catholique a tenté par la force d’évangéliser le monde, les Lumières ont essayé en vain l’adhésion des esprits des peuples soumis au joug colonial. Le problème est que la pensée des Lumières n’a guère évolué. Elle s’est agrippée à ses fondamentaux et ceux-ci sont profondément remis en question.

 

 

À la fin de la Seconde guerre mondiale, les puissances occidentales rassemblées en une instance qu’elles avaient rénovée – l’Organisation des Nations Unies succédant à la Société Des Nations – ont proclamé en 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) qui édicte en règles les principes fondamentaux des Lumières, mais la situation est devenue telle qu’elle fut inapplicable dans la plupart des pays colonisés, ainsi que dans ceux soumis à un joug totalitaire. Le temps de la décolonisation était venu. De Gaulle fut un des premiers dirigeants européens à l’avoir prévue et prônée pour les colonies françaises dans son fameux discours de Brazzaville en janvier 1944. Il n’a pas été écouté et on a vécu depuis l’horreur des guerres de décolonisation qui ne sont toujours pas terminées, même si officiellement, la plupart des anciennes colonies sont aujourd’hui formellement indépendantes.

 

 

 

Le général de Gaulle pendant son discours à Brazzaville où il prôna l'indépendance des peuples colonisés.

Le général de Gaulle pendant son discours à Brazzaville où il prôna l'indépendance des peuples colonisés.

 

 

 

Les intellectuels dénonçant à force de pétitions et de proclamations la pensée intersectionnelle n’apportent aucune réponse en dehors de leur contestation au nom des Lumières et de l’universalisme, car ils sont aveugles à cet aspect fondamental : les relations entre les peuples et les rapports entre les êtres humains sont toujours aujourd’hui dominés par la force. Ils ne s’aperçoivent pas non plus des profonds bouleversements à l’intérieur même des diverses nations où une réelle hétérogénéité a pris la place de la relative homogénéité d’antan. Il suffit de voir ce qu’il se passe dans nos Cités.

 

 

Jean-Claude Michéa signataire de la pétition contre la pensée décoloniale. Que vient-il faire dans cette galère ?

Jean-Claude Michéa signataire de la pétition contre la pensée décoloniale. Que vient-il faire dans cette galère ?

 

 

 

Aussi, après un peu plus de trois quarts de siècle, assumant l’histoire et la réalité, il faudrait sans doute plancher sur une DUDH réellement efficace. Beau boulot pour la génération montante, non ?

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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commentaires

C
Merci Pierre pour cet article qui pose la question du futur. Un travail important nous attend. <br /> Aujourd'hui, il est des colonisations qui n'en portent pas le nom. La Chine s'approprie peu à peu l'Afrique... La mission "turquoise" a ouvert en 1994 les portes de la RDC aux interamwhe mettant à feu et à sang la région la plus riche du Congo favorisant l'exploitation des mines à bas coût. Les multinationales ont pris les terres jusqu'ici insoumises de la forêt amazonienne ... La liste est, hélas, longue.
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