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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 15:20
 
Le socialiste François Hollande a remporté les élections présidentielles françaises, ainsi que les élections législatives qui les ont suivies avec un succès inégalé. Le nouveau chef d’Etat est assuré de contrôler tous les niveaux de la puissance publique.
 
On peut s’en réjouir, car rien n’aurait été pire que le succès de ses adversaires. Mais, François Hollande sera-t-il le président du « changement » comme il le proclama durant sa campagne électorale ? Ses soixante propositions sont séduisantes. Il est probable qu’il réussira à en mettre un bon nombre en œuvre. Par exemple, une réforme fiscale qui donnera une meilleure répartition des contributions de chaque Français, une orientation vers la laïcité qui est – nous aurons l’occasion de l’évoquer – une véritable question de civilisation. Il y aura certainement une réforme progressiste de la Justice réparant les dégâts provoqués par son prédécesseur. On peut raisonnablement supposer qu’il contribuera à orienter les relations internationales vers le multilatéralisme.
 
Cependant, le socialisme auquel il prétend adhérer, qui est un projet de fonder une société sur plus de justice, d’équité et d’égalité et d’éradiquer à terme l’exploitation de l’homme par l’homme, ne se réalisera certainement pas sous son quinquennat.
 
On peut d’ailleurs se poser la question : le socialisme a-t-il un avenir ? Ou bien est-ce une utopie ringarde qu’il convient de jeter aux oubliettes ? C’est vrai, le socialisme se porte mal. Il ne séduit plus les masses et encore moins les jeunes.
 
Pourtant, au risque de nous faire passer pour des obstinés, nous pensons que le socialisme est un projet d’avenir pour l’ensemble des être humains, qu’il est sans doute le seul à même de faire progresser l’humanité, mais à condition que les socialistes analysent sans complaisance les colossales erreurs passées pour non point le « moderniser », mais le reconstruire sur ses fondations initiales : la liberté, l’égalité et la fraternité.
 
 
changement_Hollande.jpg
 
Le programme de François Hollande est progressiste mais non socialiste.
 
 
Les Lumières ont engendré deux systèmes de pensée politique proclamant la fin du despotisme : le libéralisme et le socialisme. Sur le plan de l’organisation politique, les deux systèmes divergeaient peu. Par contre, leur opposition se marque sur le rôle donné à la propriété, car dès la prise de pouvoir de la bourgeoisie lors de la Révolution française, l’égalité proclamée fut balayée par l’exploitation de l’homme par l’homme renforcée, au moyen de la propriété, par le capitalisme naissant.
 
 
 
À l’origine, le fameux triptyque « Liberté, égalité, fraternité » devait être « Liberté, égalité, propriété », le droit à la propriété privée qu’elle soit patrimoniale, de production ou de consommation était érigé en un droit absolu, en un dogme. La bourgeoisie prenait le pouvoir et ce droit de propriété était sa principale arme face aux privilèges du clergé et de l’aristocratie. Ce fut donc le débat fondamental aux débuts de la Révolution. Il fut tranché par Maximilien Robespierre dans son Discours sur l'organisation des gardes nationales imprimé mi-décembre 1790 et diffusé largement dans toute la France : il remplaça « propriété » par « fraternité ». Cela ne dura pas. La devise « liberté, égalité, fraternité » fut abrogée par le Directoire. Elle ne sera reprise qu’à la fin du XIXe siècle sous la IIIe République.
 
   
 
 Robespierre-copie-1.jpg
   
 Robsepierre imposa le tryptique "Liberté, Egalité, Fraternité".
 
 
Socialisme et propriété
 
 
 
Cette question de propriété est la clé de voûte du débat. Le socialisme se définit par ses rapports à la propriété. Dans le Journal socialiste d’Emile Vandervelde (1866 -1938) ([1]), le président fondateur du Parti Ouvrier Belge (POB) – l’ancêtre de l’actuel PS belge – tente de définir le socialisme en se référant aux travaux de Durkheim à l’Université de Bordeaux en 1895 – 96. « Avant de prononcer cette définition, Durkheim soumet à une critique pénétrante les différentes définitions qui ont été tentées avant lui. »
 
 
 
 vandervelde.gif
 
Emile Vandervelde : le fondateur et premier président
du Parti Ouvrier Belge (ancêtre du PS actuel)
fut aussi un grand théoricien.
 
 
La première inscrit le socialisme dans une négation pure et simple de la propriété. Vandervelde écrit : « Mais qui ne voit que, si l’on fait abstraction d’utopies communistes sans contact avec la réalité – celles de Platon ou de Campanella, par exemple –, toutes les doctrines socialistes font à la propriété privée sa part. Ce qui la restreint le plus, le collectivisme de Marx, ne touche pas à la propriété privée des moyens de consommation. Elle n’envisage que la socialisation des moyens de production et d’échange, un des principaux d’entre eux ; elle conserve aux individus un droit absolu sur les produits du travail. » Durkheim ajoute que le socialisme n’est pas la seule doctrine qui restreint le droit à la propriété. Dans toute organisation sociale, la propriété privée et la propriété collective coexistent, mais dans des proportions variables.
 
 
 
La deuxième définition n’est pas non plus acceptée par Durkheim car « le socialisme consisterait dans une étroite subordination de l’individu à la collectivité. » C’est évidemment la définition de la dictature. Vandervelde écrit : « … à ce compte rien ne serait plus socialiste que la Cité antique, la Société de Jésus ou l’Etat mussolinien. » La droite utilise régulièrement cette définition pour accuser les socialistes de tenter d’installer un système totalitaire.
 
 
 
 emile_durkheim.jpg
   
 Le sociologue Emile Durkheim fut un analyste
 rigoureux du socialisme.
 
 
La troisième définition fut donnée par Emile de Laveleye (1822 – 1892), économiste et historien socialiste belge : « Toute doctrine socialiste vise à introduire plus d’égalité dans les conditions sociales et, secondement, à réaliser ces réformes par l’action de la loi ou de l’Etat. » Durkheim fait observer que si cet objectif figure parmi ceux des socialistes, il n’est pas le seul. « La socialisation des principaux moyens de production et d’échange a bien d’autres fins que d’introduire plus d’égalité dans les conditions sociales. » Le socialisme dépasse la question ouvrière. Il est confronté au machinisme et à la concentration des capitaux qui mettent en conflit les travailleurs non propriétaires et les propriétaires qui ne sont pas contraints au travail pour vivre. Cette définition s’inscrit plus dans la lutte des classes mise en évidence par Karl Marx. Emile Vandervelde ajoute : « Dès l’instant et dans la mesure où la propriété se socialise. Il [le socialisme] réclame la socialisation de la propriété. »
 
 
 
Dès lors, Durkheim élargit sa définition de telle sorte que Guesde et Jaurès marquèrent leur accord. Les représentants des deux grands courants de ce qu’on appelle aujourd’hui le socialisme démocratique – le « socialiste » Guesde et le « social-démocrate » Jaurès – se rallièrent à cette définition, ce qui en fit sa force. Durkheim écrivit : « On appelle socialiste toute doctrine qui réclame le rattachement de toutes les fonctions économiques, ou de certaines d’entre elles, qui sont actuellement diffuses, aux centres directeurs et conscients de la société. » Notons que Durkheim écrit rattachement et non subordination. Cela signifie qu’à son sens, l’Etat n’a pas le monopole de l’initiative. Les compétences de l’Etat – qui, à l’époque de Vandervelde, se limitaient aux fonctions régaliennes et d’éducation – seront étendues au domaine économique en concertation – voire en conflit –  avec les forces vives de la société, en l’occurrence, le monde du travail dans son ensemble. Vandervelde ajoute : « Dès l’instant où, par les cartels, les trusts, les fusions, la production et l’échange tendent à prendre un caractère social, le laissez faire devient impossible. »
 
 
 
C’est le contraire qui se passe aujourd’hui. Le laissez faire est dominant avec l’aide de la puissance publique nationale ou supranationale – comme la Commission européenne ou l’Organisation Mondiale du Commerce – ou, par la destruction progressive de l’Etat voulue et mise en œuvre par les forces du capital qui s’appellent aujourd’hui multinationales et marchés financiers. Est-ce dès lors l’échec du socialisme ?
 
 
 
Ce serait aller vite en besogne, mais le rapport de force capital – travail a été bouleversé dès la crise pétrolière des années 1970 – 1980. La chute du Mur de Berlin qui a entraîné la fin de l’Union Soviétique a renforcé considérablement le courant capitaliste libéral qui s’est étendu dans les pays dits autrefois socialistes. Ainsi, la définition de Durkheim semble obsolète à l’époque du néolibéralisme triomphant transformé en « pensée unique ».
 
 
 
Il n’y a pas que la classe ouvrière
 
 
 
Ce système de pensée, comme tout système totalitaire, a une vision manichéenne des rapports de force capital – travail. Le capital et le travail sont considérés comme deux blocs monolithiques. Or, il y a plusieurs sortes de capitalisme et le monde du travail n’est pas homogène. Ainsi, il n’est quasi pas tenu compte du capitalisme familial autre que l’industriel, comme les petites exploitations agricoles familiales, l’artisanat et le commerce de détail.
 
 
 george orwell
   
 George Orwell fit une analyse critique et profonde du socialisme.
 
 
George Orwell avait relevé cette lacune dans son récit « Le quai de Wigan » ([2]), paru pour la première fois en 1937, qui décrit la condition des travailleurs des charbonnages du Nord de l’Angleterre. Il constate que les socialistes idéalisent la classe ouvrière au détriment de la petite classe moyenne et des employés de bureau. « Il est très facile d’imaginer une classe moyenne financièrement poussée dans ses derniers retranchements et n’en demeurant pas moins forcément hostile à la classe ouvrière : et vous avez là un parti fasciste tout trouvé. » Aujourd’hui, la classe ouvrière n’est plus celle des années 1930. En dehors des ouvriers embauchés dans la grande industrie et qui sont de moins en moins nombreux, les ouvriers travaillant pour des PME peuvent être considérés comme faisant partie de la « basse » classe moyenne et l’analyse d’Orwell prend tout son sens lorsque l’on voit la sociologie des sympathisants de ce qu’on appelle pudiquement le « populisme ». En plus, Orwell déplore le mépris affiché par les socialistes à l’égard des employés de bureau – on dit aujourd’hui « travailleurs intellectuels » - : « Si l’on tient à entonner le couplet de la ²dictature du prolétariat², ce serait la moindre des choses de commencer par dire ce que sont les prolétaires. » En effet, cela n’est pas très clair. Pour résumer, le prolétaire ne possède rien en opposition au propriétaire de biens et des moyens de production. Le futur auteur de « 1984 » poursuit : « Mais l’obstination des socialistes à idéaliser le travailleur manuel en tant que tel fait que cela n’a jamais été dit de manière nette. Combien sont-ils, dans l’armée misérable et tremblante des garçons de bureau et sous-chefs de rayon – qui (…) vivent plus mal qu’un mineur ou un docker – à se regarder comme des prolétaires ? Pour eux (…) un prolétaire est un homme sans faux-col.  Si bien que, quand vous essayez de secouer leur torpeur en invoquant la ²lutte des classes², vous ne faites que leur ficher la frousse. Ils (…) se portent aux côtés de la classe qui les exploite. » ([3])
 
 
 
Orwell a mis le doigt sur le point faible : par leur manque de clarté, les socialistes divisent le monde du travail. Certains ont presque déifié l’ouvrier au détriment des autres catégories de travailleurs qui vivent dans des conditions similaires. Ils se sont trouvés en dehors de la réalité sociale. C’est là une des causes de la faiblesse endémique de la social-démocratie européenne. Et cela continue : la polémique autour de l’étude du groupe de réflexion Terra nova qui veut détourner le Parti socialiste du peuple, pour devenir celui des minorités marginalisées, est symptomatique de ces contradictions de la pensée sociale démocrate contemporaine. En définitive, les socialistes n’arrivent plus à distinguer les exploiteurs des exploités, car ils ne forment plus un parti de classe. Ils sont passés du social au sociétal en donnant la priorité à des revendications de groupes et de communautés, donc particularistes, comme les gays, par exemple. Ainsi, même s’il se réfère à des proclamations universelles comme la Déclaration des Droits de l’Homme, il n’y a plus rien d’universel dans la tendance « sociétale » d’une partie de la social-démocratie contemporaine.
 
 
 
Une nouvelle féodalité
 
 
 
La nature de la classe des travailleurs a profondément changé. L’ouvrier que se représentaient les  socialistes, jusque dans les années 1970, n’est plus le même aujourd’hui. La masse des travailleurs qui constituaient une force face au capital n’existe pratiquement plus. La différence entre « manuels » et « intellectuels » n’a plus de sens suite à l’évolution technologique. Sur le plan économique, les grands conglomérats industriels à fort taux de main d’œuvre ont été démantelés aux Etats-Unis et en Europe occidentale pour être reconstruits dans certains pays du Tiers-monde. Par conséquent, la force de la classe ouvrière dans les pays « anciennement » industrialisés s’est considérablement étiolée tout en naissant dans les pays « nouvellement » industrialisés. Ainsi, en Europe centrale et même en Chine, la classe ouvrière en est aux balbutiements d’organisations de défense des travailleurs. On pourrait comparer ce phénomène à celui de la naissance des premières organisations ouvrières à l’époque de la révolution industrielle.
 
 
 
La classe des exploités n’est plus composée des seuls producteurs. Elle comporte aussi les chômeurs, les travailleurs à sous-statut, les « Sans » - les « sans » domiciles fixes, les « sans » papiers, les « sans » emplois -, et bien sûr les travailleurs « classiques » comme les ouvriers, les fonctionnaires et même les cadres d’entreprise soumis à une « flexibilité » qui les précarise. Le paramètre ressources ne suffit plus à définir l’exploité, c’est aussi et surtout son incapacité à influencer la société. L’Etat nation s’effritant au profit de la mondialisation, la démocratie est en déclin. Tous les mécanismes de protection assurés par l’Etat se dissolvent dans un corpus réglementaire supranational où tout mécanisme de contrôle est devenu inefficient.
 
 
 
La classe bourgeoise, elle aussi, s’est transformée. Ce ne sont plus les grandes familles – les fameuses « 200 familles » – bien identifiées qui sont le fer de lance de la bourgeoisie, ce sont aujourd’hui des multinationales dont la structure n’a plus rien à voir avec celle des grands conglomérats industriels d’antan et dont on ne connaît pas avec précision les réels possédants. La bourgeoisie financière a pris le pas sur la bourgeoisie industrielle. L’actionnaire a pris la place du propriétaire.
 
 
 
La nature de la propriété, elle aussi, a été bouleversée par l’omniprésence du marché. Son droit inaliénable est devenu une coquille vide. Qu’il s’agisse de la propriété de production qui est à la merci des forces du marché, notamment par les Offres publiques d’achat, qu’il s’agisse de la propriété immobilière désormais désacralisée qui est devenue également l’objet du marché avec la puissance financière et politique des promoteurs privés, la propriété de consommation est soumise aux diktats de la grande distribution, donnant la priorité absolue au profit.
 
 
 
L’Etat lui-même s’est considérablement affaibli. La réduction, voire l’élimination de ses capacités d’intervention sur l’économie entamée depuis Margaret Thatcher, poursuivie aussi bien dans les pays industrialisés que dans le Tiers-monde ont ramené le rôle de la puissance publique à sa simple expression. Les privatisations l’ont désarmée. Le démantèlement progressif des mécanismes de sécurité sociale détricote le tissu social. La crise de la dette souveraine qui frappe en premier lieu la zone Euro montre que la loi du marché se substitue aux mécanismes protecteurs démocratiques. L’exemple de la Grèce est frappant : cette nation se voit contrainte de renoncer à sa souveraineté sous la pression d’une troïka supranationale n’ayant que la loi du marché comme unique légitimité. Le politique se voit réduit au rôle peu honorable de marionnette de la finance mondiale. Le peuple grec est jeté dans la misère et il lui est même confisqué toute perspective d’avenir. Ce processus qui nous était jusqu’à présent étranger, existe cependant et depuis longtemps dans les pays du Tiers-monde. Notre isolement culturel européo-centré nous a empêché de détecter ce danger mortel. Une « oligarchie du capital globalisé », pour reprendre l’expression de Jean Ziegler, tient les rênes du pouvoir mondial. Face à cela, le mouvement socialiste qui se prétendait internationaliste est tout à fait désarmé dans ses structures demeurées malgré tout à l’échelon national. 
 
 
 
L’idée supranationale née de l’horreur du Second conflit mondial qui était officiellement d’unir les peuples d’Europe par delà les frontières nationales afin de leur assurer la paix, la liberté et la prospérité, est en réalité l’extension du champ d’action du marché, suite à la mise en place d’union européenne hybride écartant dès le départ le politique, c’est-à-dire la légitimité démocratique. Malgré l’enthousiasme affiché, quelques- uns avaient décelé le piège de cette construction. Dès 1957, année d’entrée en vigueur du Traité de Rome, le député radical Pierre Mendès France, ancien Premier ministre, soulignait que la seule solution « correcte et logique » à la constitution du Marché commun aurait été d'exiger « l'égalisation des charges et la généralisation rapide des avantages sociaux à l'intérieur de tous les pays du Marché commun ». Il ne fut guère écouté par les forces de gauche de l’époque : les communistes étant hostiles par définition à l’Europe « capitaliste » et les socialistes affichant, à quelques exceptions près, une totale indifférence à l’égard de cette nouvelle structure sans s’être aperçus qu’une féodalité mondiale installait son pouvoir petit à petit.
 
   
 
 Pierre Mendès France 
      
  Pierre Mendès-France inventa l'Europe sociale.  
     
 
L’échec du socialisme politique
 
 
 
Les partis socialistes et les organisations syndicales d’Europe occidentale avaient réussi après la guerre à construire les systèmes de sécurité sociale qui ont permis d’assurer un réel bien-être à l’ensemble du monde du travail. Ils avaient également pu introduire un embryon de contrôle du capital par le travail, avec les comités d’entreprise,  mais ils  n’ont pas vu la gestation de la mondialisation financière et la transformation du tissu industriel qui débuta dès les années soixante par la fin de l’exploitation charbonnière, suivi la décennie suivante par la crise pétrolière avec pour conséquence l'aggravation du chômage et la précarisation des classes moyennes, menaçant cet édifice désormais appelé avec condescendance « Etat providence », en référence au « Welfare state » anglo-saxon, et menant ainsi à la dualisation de la société.
 
 
 
Les partis socialistes d’Europe occidentale – et on en parle pas assez – ont aussi échoué à intégrer la problématique du Tiers-monde, sans doute suite à leur attitude ambiguë lors de la décolonisation. C’est ainsi qu’ils ont été incapables d’apporter une réponse au défi de l’immigration. Ce terrain a été occupé par la droite et l’extrême-droite qui a ainsi réveillé l’idéologie de l’exclusion, alors que l’afflux d’hommes et de femmes provenant d’outremer volontairement marginalisés  amplifiait la plaie de l’exploitation et aurait exigé une réaction efficace de solidarité qui n’a pas eu lieu.
 
 
 
Durant les vingt dernières années, les sociaux-démocrates n’ont pu relever ces défis et ont même accompagné les processus libéraux comme les privatisations, un traité imprégné de l’idéologie ultralibérale comme celui de Maastricht, la dualisation de la société. Aussi, quelle est l’utilité de la social-démocratie ?
 
 
 
Ne nous leurrons pas, comme l’a démontré Jacques Généreux ([4]) : « Les élites intellectuelles et les gouvernements ont restauré et promu une antique doctrine économique [la pensée dite orthodoxe des années 1920 dont les fondements furent posés entre le XVIe et la fin du XIXe siècle qu’on appelle aujourd’hui néolibéralisme – NDLA], au moment même où celle-ci achevait d’être intégralement invalidée par les faits et les connaissances. (…) Le culte du marché avait (…) pour fonction de délier tout à fait les individus, comme on s’y emploie dans une secte pour mieux accomplir l’assujettissement exclusif des adeptes à leurs gourous. (…) Mais ne nous méprenons-pas ici sur l’objectif poursuivi par les grands prêtres de la nouvelle politique : la diffusion de leurs dogmes n’est jamais qu’un instrument au service d’une autre fin. (…) Pour les détenteurs du capital, il s’agissait alors de profiter d’un moment favorable pour abolir des concessions anciennes aux travailleurs et relancer la rentabilité financière. Pour les politiciens conservateurs, il s’agissait de reprendre ou de conforter leur pouvoir, en exploitant la crise du modèle d’économie mixte et la montée de l’individualisme. »
 
 
 
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 Jacques Généreux lors de la campagne de Jean-luc Mélenchon :
 un constat sans appel.
 
 
Les partis socialistes actuels sont, par contre, démunis des outils d’analyse et des bases idéologiques indispensables à la présentation d’un nouveau projet de société. Ils n’ont pas réussi, ou n’en ont pas eu la volonté, à apporter une réponse claire au défi néoconservateur. Leur seule préoccupation est de partager quelques parcelles de pouvoir sans avoir ni la capacité, ni la volonté d’apporter une réponse. Autrement dit, ils ne combattent pas cette nouvelle féodalité qu’est le capitalisme mondial, ils tentent de s’y intégrer avec l’illusion – sincère ou non – de l’adoucir.
 
 
 
Or, le socialisme a-t-il un avenir ? Malgré tout, l’idée fondamentale reste ancrée dans l’esprit des masses exploitées. Autant, celles-ci se défient des programmes politiques, autant elles s’accrochent aux principes fondamentaux de justice, de liberté et d’égalité qui forment la substance du socialisme. Revenons à ce qu’écrivait Emile Vandervelde en 1930 : « … le socialisme s’est défini lui-même, d’une manière plus concrète, par la formule d’adhésion à l’Internationale : ²Conquête du pouvoir politique par les travailleurs et socialisation des moyens de production et d’échange². Mais cette définition indique les objectifs d’un parti. Ce n’est pas la définition d’une doctrine. » Si, incontestablement, la socialisation des moyens de production et aujourd’hui le contrôle des flux financiers sont une condition indispensable à un changement fondamental d’orientation, cela ne suffit pas. Le socialisme doit aller au-delà de la problématique de la propriété.
 
 
 
Un nouveau pacte social
 
 
 
Le mouvement socialiste, s’il veut survivre, doit cesser d’être l’amortisseur – de plus en plus usé – des assauts du capitalisme et de la politique conservatrice et de cacher ses carences derrière des gadgets sociétaux soi-disant « innovateurs ». Il a laissé se démolir le pacte social d’après-guerre issu en  France du  programme du Conseil national de la Résistance et de l’instauration de systèmes de sécurité sociale dans la plupart des pays d’Europe occidentale. Or, les principes fondateurs doivent retrouver force et vigueur, car ils constituent la raison d’être du socialisme.
 
 
 
Les acquis sociaux que sont le salaire minimum garanti, la durée limitée du temps de travail hebdomadaire, les semaines de vacances annuelles, l’âge de départ à la retraite sont menacés. Lutter uniquement pour leur maintien tel quel est illusoire. Bien entendu, il faut empêcher leur démantèlement, mais la nouvelle donne industrielle, la mondialisation, les bouleversements sociaux et l’aggravation de l’exploitation des masses entraînent un nouveau rapport de force. C’est donc un nouveau pacte social qu’il convient de mettre en œuvre.
 
 
 
Ce ne sera pas simple. Un pacte de ce genre est irréalisable à l’échelle d’une nation. Il implique un rapport de force politique supranational, au minimum à l’échelle de l’Union européenne. Les termes de ce pacte doivent consolider les fondamentaux que sont les conquêtes essentielles du mouvement ouvrier et, en plus, ils  doivent prendre en compte les nouvelles réalités sociales et les disparités entre pays et même entre régions. Il ne peut être uniquement européo-centré. Pour être éthiquement acceptable et efficace, il doit, par exemple, intégrer les réalités outremer, comme la question des spéculations sur les matières premières et les produits alimentaires, facteurs d’accroissement de la misère dans le Tiers-monde ([5]). Ce pacte n’est réalisable que s’il s’élabore à une échelle internationale. Cela implique aussi une réforme démocratique des structures des partis et syndicats de gauche ([6]).  
 
 
 
Un tel pacte social doit englober tous les exploités dans le rapport de force. Sa crédibilité dépendra de son efficacité à réduire, voire éliminer l’exploitation. C’est cela le but du socialisme des « pères fondateurs ». C’est l’œuvre de toute une génération et peu importe qu’on l’appelle « socialisme » ou d’un autre nom.
 
 
 
 
 
Pierre Verhas
 


[1] Emile Vandervelde, Journalisme socialiste, Bruxelles, 1930, Les Cahiers de l’Eglantine, n° III.
[2] George Orwell, Le Quai de Wigan, traduit de l’anglais par Michel Pétris, Paris, éditions Ivrea, 1995.
[3] On se souvient de cette posture saugrenue de Jean-Paul Sartre, debout sur un tonneau, haranguant au moyen d’un « parlophone », les ouvriers de Renault Billancourt – à l’époque symbole de la lutte ouvrière – pour leur transmettre la «bonne parole » des intellectuels germanopratins.
[4] Jacques Généreux, La grande Régression, Seuil, Paris, 2010.
[5] Un bel exemple est la fameuse taxe dite Tobin sur les transactions financières. Cette idée lancée par ATTAC, il y a bientôt vingt années, considérée à l’époque comme farfelue, est reprise aujourd’hui dans les programmes politiques de la droite comme de la gauche. Mais, cette taxe, si elle veut être efficace et atteindre son double but de lutte contre la spéculation financière et d’apport de moyens substantiels au Tiers-monde, ne peut être réalisée qu’à une échelle supranationale et même mondiale avec un contrôle démocratique supranational.
[6] Il est évident que l’on ne peut se baser sur des structures du type de l’Internationale socialiste qui comptait, jusqu’il y a peu, Ben Ali et Moubarak parmi ses membres !
 
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