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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 15:49

Voici une remarquable analyse d’Ignacio Ramonet, éditorialiste au « Monde diplomatique » et président de l’association « Mémoire des luttes » sur l’état de la « gauche » sociale-démocrate  en France. On pourrait extrapoler pour l’Europe. Si la France a son DSK, la Belgique a eu Cools, l’Italie Craxi, etc. Elle est suivie d’extraits d’un article de la féministe américaine Katha Pollit qui aborde les vrais problèmes dans le journal new yorkais « The Nation » : le réflexe de caste de la gauche social-démocrate française, le reniement des principes fondamentaux, la perte de son autorité morale, ou plutôt l’effondrement d’une supercherie.

Après la trahison des clercs, il y a trahison des élites prétendument de gauche. Cette caste se nourrissant de principes qu’elle rejette au fond d’elle-même, mais qu’elle prétend défendre, s’est convertie au marché et a ainsi signé un pacte d’alliance avec le capitalisme financier et s’est mise à son service. Mais la déliquescence déjà évoquée ici se transforme en une profonde crise morale après ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire DSK ».

Cet épisode lamentable aura servi à une chose : il marque la fin de l’hypocrisie social-démocrate. Pourquoi à la Puerta del Sol, les socialistes, ou tous ceux qui se prétendent tels, sont honnis, de même à la Bastille ? Parce qu’ils sont flétris par la trahison et par cette crise morale qui les ronge. On ne peut plus leur faire confiance. Ils ne servent plus à rien.

Ils sont d’ailleurs nuisibles pour ceux qu’ils prétendent défendre et représenter : la classe ouvrière, les laissés pour compte d’une société sans projet et sans scrupules à laquelle ils participent avec enthousiasme.

Sans conteste, ils laisseront la place à quelque-chose d’autre. Quoi ? C’est à nous tous de construire.

PV

 

Une « gauche » dévoyée

mardi, 31 mai 2011 / Ignacio Ramonet / Président de l’association Mémoire des Luttes

 

« L’un des hommes les plus puissants du monde (chef de la plus importante institution financière de la planète) agresse sexuellement l’une des personnes les plus vulnérables du monde (immigrée africaine, mère célibataire). Réduite à sa concision, cette image résume, avec la force expressive d’un dessin de presse, quelques caractéristiques fortes de notre temps : la violence extrême des inégalités, l’arrogance sans limites des puissants, la chosification des femmes, le mépris des exploités.

»Ce qui rend plus pathétique le cas de l’ex directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et leader de l’aile droite du parti socialiste français, Dominique Strauss-Kahn, c’est que - si sa culpabilité est avérée -, son avanie constituerait une métaphore exemplaire de l’effondrement moral de la social-démocratie. Avec les circonstances aggravantes qu’elle révèle de surcroît les carences d’un système médiatique complice.

»Cette affaire écœure en effet de nombreux électeurs européens de gauche de plus en plus décidés - comme l’ont montré, en Espagne, les élections municipales et régionales du 22 mai dernier - à adopter trois formes de refus du système politique dominant : l’abstentionnisme radical ("tous pourris"), le vote à l’extrême droite (comme forme de contestation), ou la protestation indignée dans les places des villes (pour réclamer une "autre politique").

»Bien entendu, l’ex chef du FMI et ex candidat socialiste à l’élection présidentielle française de 2012, accusé d’agression sexuelle et de tentative de viol par une femme de chambre d’un hôtel de New York le 14 mai dernier, bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’à ce que la justice américaine tranche. Mais la précipitation dont firent preuve, en France, des dirigeants socialistes et quelques "intellectuels" amis de l’accusé, en saturant caméras et micros complaisants de proclamations inconditionnelles de défense de Strauss-Kahn, répétant en chœur des "éléments de langage" dictés par des communicants ("cela ne lui ressemble pas"), présentant l’ex chef du FMI comme la victime principale et suggérant "complots" et "machinations", a été réellement révoltante.

»Pas un mot de solidarité ou de compassion à l’égard de la victime présumée. Certains, comme l’ex ministre socialiste de la Culture, Jack Lang, en un réflexe machiste, allèrent jusqu’à minimiser la gravité des faits présumés en affirmant que, après tout, il n’y avait pas eu mort d’homme [1  ]... D’autres, oubliant le sens même du mot justice, n’hésitèrent pas à réclamer des privilèges et un traitement plus favorable pour leur puissant ami, lequel, d’après eux, n’était pas d’un accusé "comme les autres" [2  ]...

»Tant d’impudence a donné l’impression que, au sein des élites françaises, quelle que soit la nature du crime dont on accuse l’un de ses membres, le collectif réagit en faisant preuve d’une solidarité coalisée qui ressemble à une complicité mafieuse [3  ]. Rétrospectivement, maintenant que d’autres accusations de harcèlement sexuel resurgissent du passé [4  ] contre Strauss-Kahn, beaucoup de citoyens se demandent pourquoi les médias leur ont occulté ce trait de la personnalité de l’ex chef du FMI [5  ]. Pour quelles raisons, les journalistes, qui n’ignoraient pas les protestations d’autres victimes de harcèlement sexuel, n’ont jamais fait d’enquêtes sur ce sujet concernant Strauss-Kahn ? Pourquoi avoir maintenu les électeurs dans l’ignorance et leur avoir présenté ce dirigeant comme ’"la grand espoir de la gauche" quand il était évident que son Talon d’Achille pouvait, à n’importe quel instant, briser sa carrière.

»Depuis des années, dans le but de gagner l’élection présidentielle, Dominique Strauss-Kahn avait embauché à prix d’or des brigades de choc de conseillers en communication. Leur mission principale : veiller à empêcher les médias, sous la menace de procès, de faire état, non seulement de ses pulsions à l’égard des femmes, mais de l’autre grande faiblesse de ce dirigeant "socialiste" : son goût immodéré du luxe et de la richesse. Il fallait éviter d’inopportunes comparaisons avec la vie difficile de millions de citoyens jetés dans l’enfer social en partie à cause des politiques du FMI.

»Maintenant les masques tombent. Le cynisme et l’hypocrisie apparaissent dans leur nudité. (souligné par nous) Et même si le comportement personnel d’un homme ne doit pas conduire à préjuger de la conduite morale de sa famille politique, il est évident que cette affaire relance la question de la décadence de la social-démocratie. D’autant plus qu’elle vient s’ajouter au nombreux cas, en son sein, dans l’ensemble de l’Europe, de corruption économique. Et même de dégénération politique : n’avons-nous pas appris récemment que les anciens dictateurs Ben Ali de Tunisie et Moubarak d’Egypte étaient des membres éminents de l’Internationale socialiste ?

»La conversion massive au marché, au libre-échange et à la globalisation économique, l’abandon de la défense de l’Etat-providence et du secteur public, la nouvelle alliance avec le capital financier et la banque... Toutes ces trahisons ont peu à peu dépouillé la social-démocratie de ses principaux signes d’identité. Les citoyens distinguent de plus en plus mal la politique de la droite de celle proposé par les partis socialistes. Les deux répondent aux exigences essentielles des maîtres financiers du monde. L’ironie suprême a été de voir comment, à la tête du FMI, un "socialiste" a imposé à ses propres amis "socialistes" et à leurs électeurs de Grèce, du Portugal et de l’Espagne, d’implacables plans néolibéraux d’ajustement structurel.

»D’où l’amertume générale de tant d’électeurs de gauche. Leur nausée. Leur indignation. Leur refus de la fausse alternative électorale entre deux principaux programmes, en vérité et sur l’essentiel, jumeaux. Leur recherche d’une "autre gauche" (Die Linke, en Allemagne ; Le Front de gauche, en France ; Izquierda Unida, en Espagne, etc.). D’où aussi, dans tant de villes d’Europe aujourd’hui, les protestations indignées des générations de jeunes sacrifiés sur l’autel des politiques d’austérité. Et leur exigence principale : "Le peuple veut, la fin du système."»

 

 

Et les principes ?

 

Voici ce qu’écrit dans « The Nation », la féministe américaine Katha Pollit.

Elle aborde le problème de la vraie nature des sociaux-démocrates. Leur ambigüité qui s’est manifestée avec cette affaire DSK est insupportable.

« Mais, France, je ne t’aime plus. Car à quoi bon avoir tous ces gens intelligents, cultivés, laïcs et de tendance social-démocrate, si en réalité, ce sont de tels saligauds imbus d’eux-mêmes ? De temps en temps, tu devrais te voir : ces hommes puissants, d’âge mûr, orgueilleux et ventripotents, qui se pavanent dans les médias et déblatèrent sur le fait que Dominique Strauss-Kahn [DSK] se serait simplement laissé aller à quelque grivoiserie gauloise dans cette suite du Sofitel à Manhattan. Ce n’était qu’un “troussage de domestique”, a assuré le célèbre journaliste Jean-François Kahn. Jack Lang, l’ancien ministre de la Culture, s’est révolté que DSK n’ait pas été immédiatement libéré sous caution, puisque, après tout, il n’y avait pas “mort d’homme”. Et n’oublions pas Bernard-Henri Lévy (BHL), dont les débilités prétentieuses sont probablement la pire chose que tu aies exportées chez nous depuis les Vache qui rit saveur pizza. BHL ne digère pas le traitement infligé à son ami par la justice new-yorkaise : “J’en veux au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme les autres.” Traiter un maître de l’univers comme n’importe qui – même l’immigrée africaine qui nettoyait sa chambre d’hôtel, quoi –, n’est-ce pas cela, la justice ? Ne vous ont-ils pas appris ça en philosophie au lycée, Bernard-Henri Lévy ? »

Ensuite, cette lâcheté qui fait porter aux autres le fardeau des maux dont elle se rend coupable.

« Quand on écoute les Français, on pourrait croire que leur justice est un modèle de défense des droits des accusés, alors que nous, nous jetons des innocents aux lions sur la simple foi des déclarations d’un accusateur. Je ne défends certes pas les menottes et le perp walk, ni notre presse tabloïd délirante, mais j’irais jusqu’à prétendre que la justice américaine respecte davantage la présomption d’innocence. Par ailleurs, France, tu es scandalisée, à juste titre, par nos prisons, mais sachant que ton système carcéral est un des plus inhumains du monde, es-tu vraiment en mesure de critiquer le nôtre ? »

Enfin, comme nous l’avions écrit précédemment : grattez le vernis et vous verrez leur véritable nature.

« Un mot sur le racisme : pendant des années, tu t’es vantée de ton absence de racisme. Mais en réalité, cela veut dire que tu aimes les Africains-Américains quand ils sont musiciens de jazz ou écrivains. Tu es bien raciste quand ce sont les immigrés issus de tes anciennes colonies qui sont concernés, surtout les musulmans d’Afrique du Nord. A t’entendre parler des immigrées musulmanes, on pourrait croire que tu es un paradis où règne l’égalité entre les sexes, et que la plus grave question, pour les féministes, est l’interdiction de la burqa. »

Voilà donc. Pour garder son aura, l’on s’occupe de questions marginales – combien de musulmanes portent la fameuse burqa ? – et l’on montre sa vraie nature en mérpisant tout ce qui n’appartient pas à la caste, lorsqu’un des siens est touché.

La gauche social-démocrate se bat pour l’hyper-riche blanc et violeur (enfin, présumé tel, donc « innocent », jusqu’à nouvel ordre) contre l’hyper-pauvre noire, immigrée, musulmane (enfin, présumée violée et donc suspecte jusqu’à nouvel ordre).

Karl Marx ! Reviens, ils sont devenus fous !

Pierre Verhas

 

[1  ] Déclarations au Journal télévisé de 20h de France 2 , 17 mai 2011.

[2  ] Cf. Bernard-Henri Lévy, "Défense de Dominique Strauss-Kahn", et Robert Badinter, ex ministre socialiste de la Justice, déclarations à France Inter, 17 mai 2011.

[3  ] Ce collectif a déjà démontré sa redoutable efficacité médiatique en 2009 lorsqu’il réussit à mobiliser l’opinion publique française en faveur du (génial) cinéaste franco-polonais Roman Polanski, accusé par la justice américaine d’avoir drogué et sodomisé une petite fille de 13 ans.

[4  ] En particulier celle formulée par l’écrivain et journaliste Tristane Banon. Cf. "Tristane Banon, DSK et AgoraVox : retour sur une omertà médiatique", AgoraVox, 18 mai 2011.

[5  ] Au sein même du FMI, Dominique Strauss-Kahn avait déjà fait l’objet d’un scandale en raison de ses relations sexuelles avec une subordonnée, l’économiste hongroise Piroska Nagy.

 

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