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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 13:19

Gaza mon amour (suite)

 

Les deux articles « Gaza mon amour » postés sur « Uranopole » et qui tentaient de retracer les contextes historique et politique du conflit entre Israël et la Palestine et qui atteint son paroxysme à Gaza, la ville la plus dense du monde, ont suscité pas mal de réactions. Il fallait s’y attendre ! Cependant, aucune d’elle n’apporte une nouveauté. Selon le camp dont les correspondants se revendiquent, les commentaires ne font que ressasser des arguments archi-connus.

La guerre du Kippour ou du Ramadan fut la dernière grande bataille de chars de l'histoire.

La guerre du Kippour ou du Ramadan fut la dernière grande bataille de chars de l'histoire.

 

L’un d’entre, cependant, eux m’a reproché de ne pas parler de la guerre du Kippour qui a eu, d’après lui, une influence considérable sur les relations Israël-Palestine. La guerre dite du Yom Kippour, ou du Ramadan, selon le camp dans lequel on se trouve, eut lieu en octobre 1973. Elle vit une victoire relative d’Israël après une offensive inattendue des armées égyptienne syrienne. Elle fut la dernière guerre entre « Etats ». Suite à la visite d’Anouar El Sadate à Tel Aviv et à Jérusalem en 1977, des négociations eurent lieu entre le Premier ministre d’Israël de l’époque, le chef du Likoud, Menahem Begin et le Président égyptien Sadate. Ces négociations ont abouti, sous l’impulsion du Président US, Jimmy Carter, aux accords de Camp David qui virent la restitution du Sinaï à l’Egypte et la réouverture du canal de Suez en échange de la reconnaissance de l’Etat d’Israël.

 

Menahem Begin, Jimmy Carter, Anouar El Sadate lors des négociations de Camp David en 1978

Menahem Begin, Jimmy Carter, Anouar El Sadate lors des négociations de Camp David en 1978

Bien que Sadate ait réclamé une solution au problème des Palestiniens, leur sort ne changea guère suite à ces négociations.

 

Gaza mon amour (suite et toujours pas fin…)

 

Dans la Libre Belgique (quotidien catholique francophone belge) l’historien français Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l’Islam, ancien membre du cabinet de Joxe et puis de Jospin, professeur des universités, explique les origines du Hamas (voir Gaza mon amour 2e partie) qui a été « fondé en 1987, mais durant les quinze années précédentes, il avait une réelle dimension sociale et religieuse en tant que branche des Frères musulmans à Gaza. Ces islamistes ont longtemps été encouragés par Israël, qui y voyait un rempart contre l’OLP. Ce n’est qu’en 1991 que le Hamas s’est doté d’une branche armée qui, pendant des années, n’a tué que des Palestiniens accusés de « collaboration » avec l’ennemi. » Cela confirme ce qui a été écrit ici.

 

Jean-Pierre Filiu universitaire spécialiste du Moyen-Orient est un homme qui n'hésite pas à se rendre sur le terrain. Il s'est rendu récemment en Syrie.

Jean-Pierre Filiu universitaire spécialiste du Moyen-Orient est un homme qui n'hésite pas à se rendre sur le terrain. Il s'est rendu récemment en Syrie.

 

En plus, Jean-Pierre Filiu avertit : « Si le Hamas est écrasé demain, qui occupera leur place sur le terrain si ce ne sont les jihadistes ? ».

 

L’historien critique aussi l’obstination d’Israël à voir les mouvements palestiniens – aujourd’hui le Hamas – comme des officines de pays étrangers. Le Hamas serait, selon Israël, le prolongement de la Syrie, de l’Iran et même du Qatar. S’il est évident que ces pays aident ou ont aidé le Hamas en lui fournissant des armes et de l’argent, derrière cette obsession de la droite israélienne, il y a le refus de reconnaître la réalité palestinienne. Selon Filiu, le Hamas est une réalité avant tout Palestinienne.

 

Quant à la situation sur le terrain, Jean-Pierre Filiu montre que le « blocus engendre la contrebande. Car ce que laisse entrer Israël n’est jamais suffisant pour répondre aux besoins de la population de Gaza. » Il ajoute que cette contrebande ne peut se faire que grâce aux tunnels où passent les marchandises. Cependant le coût de ces tunnels est tellement élevé qu’il faut rentabiliser leurs créations et leur entretien. « Ce n’est possible qu’avec des biens à forte valeur ajoutée, soit des armes et des explosifs. En clair, le blocus engendre l’armement de Gaza. » ! Et il ajoute : « Il faut regarder la réalité en face : si vous avez 1,8 millions d’habitants sur 360 km2 avec une pauvreté incroyable et un taux de chômage de plus de 50 % ; le principal employeur, ce sont les milices. » Et y travaillant depuis des années, ces hommes deviennent forcément des combattants redoutables.

 

Le blocus de Gaza entraîne la contrebande pour assurer les moyens de la population gazaouie via les tunnels qui sont financés par le trafic sur les armes.

Le blocus de Gaza entraîne la contrebande pour assurer les moyens de la population gazaouie via les tunnels qui sont financés par le trafic sur les armes.

 

Le professeur Filiu plaide pour la fin du blocus de Gaza. Le retrait unilatéral d’Israël de Gaza et de ses 8.000 colons en 2005 a entraîné progressivement le blocus de Gaza, la fermeture de ses frontières (avec la complicité de l’Egypte). C’est ce que Stéphane Hessel a appelé la « prison à ciel ouvert ».

 

Selon l’universitaire, le meilleur moyen pour Israël d’éviter les roquettes est de lever le blocus de Gaza qui alimente le Hamas. « Israël devrait opter pour un échange gagnant-gagnant en levant le blocus en échange d’une démilitarisation de Gaza. Israël n’obtiendra jamais la fin des attaques sans compensation. »

 

Le tir des roquettes ne cessera que si Israël met fin au blocus.

Le tir des roquettes ne cessera que si Israël met fin au blocus.

 

En plus, le retour à une vie normale pour les Gazaouis signifierait la fin du Hamas, car ils en ont assez de « sa gestion calamiteuse et de sa violence partisane » que cette formation ne peut poursuivre qu’avec le conflit actuel. Ainsi, le jusqu’au-boutisme de la droite israélienne aide objectivement les Islamistes du Hamas au détriment de l’Autorité palestinienne de Ramallah. Et cela est tellement évident qu’on peut se demander si ce n’est pas là le véritable objectif de la droite israélienne : perpétuer un ennemi afin de justifier une politique belliciste et impérialiste.

 

Or, la situation à Gaza serait bien plus facile à résoudre qu’en Cisjordanie, selon Jean-Pierre Filiu : « Il n’y a pas de colons, pas d’occupation terrestre, pas de problèmes de frontières, ni de sites religieux. »

 

Et la véritable question est : Israël acceptera-t-il « que des Palestiniens ne soient ni occupés, ni soumis » ?

 

L’avenir le dira, mais beaucoup peuvent forcer l’avenir.

 

Pierre Verhas

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17 août 2014 7 17 /08 /août /2014 19:55

III Le cas belge : le Plan du travail

 

Le POB (Parti Ouvrier Belge) fut donc fondé en 1885 à Bruxelles. Il rassemblait des mutuellistes, des syndicalistes, des hommes de gauche aussi radicaux qu’indépendants comme les frères Defuissaux. C’est un groupe d’intellectuels très engagés qui en prit la direction, avec à leur tête, Emile Vandervelde qui présida le Parti jusqu’à sa mort survenue en 1938. Ce fut Henri de Man qui lui succéda jusqu’en 1940.

 

Vandervelde fut un farouche opposant au roi Léopold II et à ses dérives totalitaires qui furent à l’origine des terribles répressions des mouvements sociaux et qui colonisa le Congo qu’il réussit à « vendre » à la Belgique, malgré les réticences d’une large part du Parlement.

 

Emile Vandervelde président fondateur du Parti Ouvrier Belge animé par l'esprit des Lumières et imprégné d'internationalisme ouvrier

Emile Vandervelde président fondateur du Parti Ouvrier Belge animé par l'esprit des Lumières et imprégné d'internationalisme ouvrier

 

Lorsque survint la Première guerre mondiale, un gouvernement d’union nationale fut constitué avec les socialistes. Vandervelde fut nommé ministre d’Etat. En 1919, il fit partie du gouvernement issu de la guerre, comme ministre de la Justice. Ensuite, les socialistes alternèrent participation à des majorités et opposition. En attendant, en 1936, sous l’impulsion de Vandervelde, ils obtinrent :

 

- le suffrage universel pour les hommes à la place du suffrage plural qui donnait plusieurs voix à un électeur selon son niveau de fortune et sa scolarité, ce dès 1919 ;

- la liberté syndicale ;

- la journée des huit heures ;

- la pension et l’assurance sociale ;

- la loi contre l’alcoolisme connue sous le nom de loi Vandervelde (1919).

 

 

Henri de Man

 

C’est ici qu’intervient un personnage sortant de l’ordinaire, un intellectuel brillant mais qui a eu un parcours politique chaotique qui s’est achevé dans l’opprobre : Henri de Man.

 

Né en 1885, à Anvers, de Man était un brillant universitaire qui s’était spécialisé en psychologie sociale, domaine qui influença sa pensée politique. Il s’engagea en 1902 dans la Jeune Garde Socialiste. Le jeune Henri était préoccupé par les problèmes sociaux ayant constaté le contraste entre son milieu familial de bourgeoisie intellectuelle aisée et la société extérieure. Il fut un court temps anarchiste par soif de liberté, puis il préféra l’idée marxiste de la lutte des classes. Ses études supérieures furent chaotiques. Occupés par le militantisme, il négligea ses études de sciences naturelles à l’Université de Bruxelles. Il tenta des études de polytechnique à l’Université de Gand d’où il se fit expulser pour avoir participé à une manifestation en faveur de la Révolution russe de 1905. Henri de Man abandonna ses études et partit pour l’Allemagne, parce que c’était la terre d’élection du marxisme. Il se fixa à Leipzig et collabora au Leipziger Volkszeitung, un journal marxiste radical dans lequel écrivaient Liebknecht, Rosa Luxemburg, Trotsky, etc. Il reprit ses études sur la psychologie et sur l’économie politique. Il présenta une thèse sur l’industrie drapière à Gand avec l’appui de l’historien belge Henri Pirenne.

 

Henri de Man en 1940

Henri de Man en 1940

 

Fustigeant le réformisme des sociaux-démocrates aussi bien en Belgique qu’en Allemagne, de Man se rallia à un marxisme pur et dur jusqu’en 1914. Il rentra en Belgique en 1910 après avoir épousé sa compagne et devint secrétaire de la Centrale d’Education Ouvrière qui venait d’être créée par le POB. Il se lia avec Louis de Brouckère et, à deux, ils développèrent une tendance de gauche au sein du Parti. « En 1911, ils publièrent conjointement, dans la revue social-démocrate allemande Die Neue Zeit, une double étude intitulée Die Arbeiterbewegung in Belgien (Le Mouvement ouvrier en Belgique) qui agita passablement le parti. De Man y analysait les raisons historiques pour lesquelles la Belgique, un des pays capitalistes les plus développés, était en retard dans son évolution vers le socialisme. Incidemment, il dénonçait l'exemple néfaste de “l'affairisme” de la coopérative Vooruit (En avant) de Gand. Combattre le réformisme et l'opportunisme par l'éducation et la réorganisation du parti, sans tomber dans l'extrémisme révolutionnaire, tel fut le souci majeur d'Henri de Man jusqu'en 1914. Très actif également sur le plan international, où il fit office d'interprète dans de nombreux congrès, il suivit et soutint jusqu'à la dernière minute les efforts de la IIe Internationale pour opposer à la menace de guerre la solidarité de classe prolétarienne. Avec Camille Huysmans, il fut chargé d'accompagner Hermann Müller, délégué par les sociaux-démocrates allemands, à une ultime rencontre avec les socialistes français, au lendemain de l'assassinat de Jaurès. » (Université du Québec à Chicoutimi, Henri de Man).

 

Quand éclata la Première guerre mondiale, de Man s’engagea comme volontaire dans l’Armée belge, fit preuve d’un grand courage au combat et obtint le grade de lieutenant. Cette participation aux combats et à l’armée ébranla ses convictions.

 

Il souhaita la défaite totale de l’Allemagne, car il pensait que c’était la seule solution pour entraîner une révolution démocratique que les sociaux-démocrates n’ont pas réussi à faire août 1914. Son « jusqu’au-boutisme » valut à de Man de faire partie de la délégation présidée par Vandervelde et de Brouckère qui rencontra une délégation des révolutionnaires russes après la première révolution russe de 1917 pour les convaincre – en vain – de ne pas conclure une paix séparée avec l’Allemagne.

 

Après la guerre, au terme d’un voyage aux Etats-Unis, de Man s’éloigna du marxisme à l’allemande. Il prôna un modèle socialiste plus attaché au contrôle des moyens de production qu’à leur appropriation et il relativisa la lutte des classes en évoquant des solidarités transversales comme le sursaut patriotique durant le conflit.

 

Cette pensée constitue les prémices de la social-démocratie actuelle beaucoup moins hostile au libéralisme. De Man poursuivit son évolution jusqu’à la publication en 1927 de son ouvrage principal : Au-delà du marxisme où il entendait secouer le mouvement socialiste déchiré entre la doctrine révolutionnaire et le réformisme. Ce débat s’est poursuivi jusque dans les années 1970.

 

Le Plan du travail

 

Arrive la grande crise de 1929 qui a atteint la Belgique de plein fouet. Le POB se trouve désemparé et ne parvient pas à apporter une réponse adéquate. C’est la chance de de Man.

 

En 1933, il lança sa grande idée : le Plan du travail.

 

Propagande électorale du POB pour le Plan du Travail

Propagande électorale du POB pour le Plan du Travail

 

Dans le numéro 8 (1933) la revue de la Commission syndicale « Le Mouvement syndical », Henri de Man part d’un constat : « Comme j'ai partagé alors vos préoccupations, je partage aujourd'hui vos inquiétudes. Ces inquiétudes proviennent de la constatation de plus en plus évidente, que notre mouvement, qui, pendant l'espace de plus de deux générations, a constamment amélioré les conditions de vie de la classe ouvrière, subit depuis quelque temps un arrêt et même un recul.

 

Nous sentons tous aussi qu'il ne s'agit pas là seulement d'une fluctuation temporaire, comme celle qui a toujours accompagné les grandes crises économiques dans le passé. C'est le régime économique lui-même que nous voyons se transformer, et cela en vertu des tendances de beaucoup antérieures à la crise de conjoncture qui a débuté en 1929. »

 

Il analyse ensuite : « Le développement du capitalisme financier, les progrès du nationalisme qui conduisent à une véritable guerre économique latente entre les nations, ne sont que des exemples de transformations de la structure économique qui sont antérieurs à la crise cyclique et qui ne disparaîtraient pas avec celle-ci.

 

D'autre part, il suffit de songer aux événements politiques de ces dernières années, notamment aux progrès du fascisme en Europe centrale, pour voir qu'il y a là des faits nouveaux qui ne sont pas seulement les conséquences passagères d'une conjoncture économique défavorable.

 

Au contraire, si cette conjoncture s'améliorait actuellement, les régimes fascistes n'en seraient que mieux établis.

 

S'il fallait essayer de réduire à un commun dénominateur les phénomènes les plus caractéristiques de la véritable crise de régime que traverse le capitalisme, il faudrait dire que le capitalisme oppose actuellement à nos revendications une résistance accrue, parce qu'il a passé lui-même d'une phase de progression à une phase de régression. »

 

Que de similitudes avec notre époque ! Le rôle du capitalisme financier, la guerre économique provoquée par le développement des nationalismes, aujourd’hui remplacés par les empires et de grands ensembles comme l’Union européenne. De Man dénonce le développement du fascisme et détecte un danger : le fascisme se portera mieux avec une économie rétablie.

 

Certes, aujourd’hui, nous nous trouvons dans un contexte différent. Il n’y a pas de fascisme comme dans les années 1930, mais il y a essor de l’autoritarisme. La victoire d’un Erdogan ne gêne pas le capitalisme actuel, il y a complicité évidente entre les nationalistes flamands de la NV-A et le grand capital représenté par des organisations patronales agressives. En France, le Front national devient un danger réel et la Hongrie ne peut plus être considérée comme une démocratie, tout cela sans que cela pose problème au grand capital.

 

Que se passera-t-il si elle accède à la Présidence de la République en 2017 ou avant ?

Que se passera-t-il si elle accède à la Présidence de la République en 2017 ou avant ?

 

L’avènement de la technocratie

 

Raymond Debord décrit très bien le contexte du début des années 1930 dans son article « Le planisme des années 1930 : une tentative de socialisme sans le prolétariat ».

 

« Le discrédit du capitalisme s’accroît et s’accompagne largement de celui du parlementarisme. Le mouvement communiste, auréolé du prestige de l’URSS étend son influence dans les milieux ouvriers. Le fascisme tente de capter la colère de la petite bourgeoisie ruinée. Partout émerge l’idée que seules des solutions résolues, portées par une intervention forte de l’Etat, seront en mesure de fournir des solutions. Ce mouvement touche sous des formes diverses toutes les couches sociales, toutes les sensibilités philosophiques et toutes les forces politiques. Il s’exprime aussi bien par la thématique du « New Deal » chez le démocrate américain Rossevelt que par l’émergence du personnalisme chrétien ou l’emprise du stalinisme. De leur côté des technocrates se demandent si ce n’est pas à eux, plutôt qu’aux capitalistes, que devrait appartenir la direction des affaires nationales.

 

Au delà des conclusions qui en seront tirées, ce n’est donc pas sans raison que des intellectuels de formation marxiste pourront spéculer à la fin des années 30 sur la « bureaucratisation du monde » (Bruno Rizzi) ou l’avènement de « l’ère des managers » de James Burnham. [C’est la naissance de ce qu’on appellera plus tard la technocratie.]

 

Un certain nombre de militants socialistes croient constater que le refus de la prolétarisation est le principal phénomène à l’œuvre, dans les classes moyennes mais aussi au delà. Le mouvement ouvrier a perdu son caractère universaliste et les fascistes en tirent profit. Il s’agit donc de faire sortir le socialisme de son éternel écartèlement entre discours maximaliste et compromissions en proposant un ensemble de réformes immédiates mais radicales qui seront appliquées systématiquement : un plan.

 

Les mesures proposées par les principaux « plans » des années 30, celui du Parti ouvrier belge et celui de la CGT auront en commun de puiser assez largement dans l’arsenal du programme révolutionnaire, en particulier la nationalisation des banques et des grands groupes industriels, tout en évacuant la perspective de rupture avec le capitalisme et par conséquent le Sujet susceptible de la porter : le prolétariat. »

 

En effet, Henri de Man a dit : « Ce n’est pas par la révolution qu’on peut arriver au pouvoir, c’est par le pouvoir qu’on peut arriver à la révolution »

 

Si on y réfléchit bien, la technocratie naissante se substitue à la révolution. D’ailleurs, de Man ajoute : « Pour mieux préciser la nature de ce changement, je dirai que, sans renoncer à poursuivre les réformes pour lesquelles nous luttons depuis toujours, et même, au contraire, pour les faire aboutir, il faut que nous poursuivions, au-delà de celles-ci, des réformes d'un caractère nouveau. Je propose, pour mieux fixer les idées, d'appeler ces réformes nouvelles des réformes de structure, pour les distinguer des réformes de répartition pour lesquelles nous avons lutté jusqu'à présent. »

 

Il en définit ensuite la portée : « Il y a, en effet, deux espèces de réformes économiques. Les réformes de répartition, comme leur nom l'indique, consistent à assurer à une classe de la population, en l'espèce à la classe ouvrière, une part plus grande du revenu national, sans influencer le régime par lequel ce revenu est produit. Les réformes de structure, par contre, consistent à rendre possible une meilleure répartition par la transformation même du régime, dirigé vers un revenu national supérieur, c'est-à-dire vers une production mieux adaptée aux besoins de la consommation et développée parallèlement à ceux-ci. »

 

La classe ouvrière n’est plus le seul moteur du socialisme.

 

De Man analyse ensuite les circonstances dans lesquelles le plan peut se réaliser. « Une crise comme celle que nous traversons affaiblit ce que les Anglais appellent notre « bargaining power », littéralement : notre puissance de marchandage; mais, d'autre part, elle augmente formidablement la puissance de rayonnement de nos idées socialistes, c'est-à-dire, en premier lieu, de la rébellion de la raison humaine contre l'absurdité d'un régime qui permet de consommer de moins en moins à mesure qu'il permet de produire de plus en plus et, en second lieu, du désir d'un ordre économique nouveau débarrassé des entraves du monopolisme financier. »

 

On croirait lire un texte contemporain, tant les situations de 1933 et de 2014 sont semblables. À la différence près que le « rayonnement des idées socialistes » est aujourd’hui bien pâle en Europe. Mais en parlant ainsi, De Man pose le raisonnement suivant : « En d'autres termes, la crise, en créant un état de détresse dont souffrent, outre la classe ouvrière, les classes moyennes et l'immense majorité de la population, nous permet de trouver des alliés pour un programme de réformes de structure que nous ne trouverions pas pour un programme de réformes de répartition. Car les réformes de répartition sans réformes de structure ne peuvent s'exercer au profit d'une classe que dans la mesure où elles réduisent le profit des autres classes. » Et il prend comme exemple les charges sociales qui augmentent avec le chômage des ouvriers et dès lors qui pèsent sur la fiscalité des autres classes sociales.

 

De Man perçoit la naissance d’une majorité potentielle qui rassemblerait la classe ouvrière et la classe moyenne. La classe ouvrière n’est donc plus le moteur de la révolution, le fer de lance de la construction d’une société socialiste. Elle doit s’associer à d’autres classes sociales pour aboutir aux objectifs qu’elle s’est définis.

 

« Pour cela, il faut que nous transformions notre front syndical, pratiquement limité à la classe ouvrière industrielle, en un front du travail qui englobe toutes les couches de la population travailleuse, manuels ou intellectuels, salariées ou indépendants, en vue d'une action commune pour la nationalisation du crédit et des monopoles dont il dispose pour la production des matières premières et de la force motrice. »

 

Cette collaboration entre des classes sociales aux intérêts fondamentalement différents échouera. Il n’y aura jamais d’accords réels entre les organisations de classes moyennes et les organisations syndicales ouvrières. Certes, après la Deuxième guerre mondiale, la concertation sociale sera mise sur pied, mais elle se traduira toujours par une confrontation, un rapport de forces entre patronat, classes moyennes et classe ouvrière.

 

Un programme tout à fait nouveau

 

Qu’est-ce donc ce Plan du travail conçu par De Man ? Essentiellement, il s’agit de réformes de structures comme il les appelle de ses vœux.

 

Il comporte trois points :

 

« L'objet de ce plan est une transformation économique et politique du pays, qui consiste:

 

1° A instaurer un régime d'économie mixte comprenant, à côté du secteur privé, un secteur nationalisé qui englobe l'organisation du crédit et les principales industries déjà monopolisées en fait ;

2° A soumettre l'économie nationale ainsi réorganisée à des directives d'intérêt général tendant à l'élargissement du marché intérieur, en vue de résorber le chômage et de créer les conditions d'acheminement vers une prospérité économique accrue ;

3° A réaliser, dans l'ordre politique, une réforme de l'Etat et du régime parlementaire qui crée les bases d'une véritable démocratie économique et sociale. »

 

La nationalisation du crédit consiste essentiellement en la création d’un institut de crédit de l’Etat chargé d’assujettir les opérations des banques de crédit aux directives du plan. Il ne s’agit donc pas de nationaliser les banques, mais de les mettre sous la tutelle de ce nouvel institut en vue d’éviter que leurs opérations financières aillent à l’encontre des objectifs du plan.

 

La nationalisation des industries de base se fera comme suit : « Le pouvoir législatif prendra les mesures nécessaires pour organiser en services publics les principales industries monopolisées qui produisent des matières premières ou de l'énergie motrice.

 

Dans chacune de ces industries, il sera créé un Consortium chargé de la soumettre aux directives du plan. » Ces consortiums auront les mêmes pouvoirs que l’institut de crédit de l’Etat.

 

Le reste du secteur privé est maintenu sous le régime de la libre concurrence. Les seules restrictions concernent les opérations qui pourraient recréer des oligarchies financières.

 

Quant à la démocratie économique, Henri de Man voit une réforme institutionnelle en six points :

 

« 1° Tous les pouvoirs émaneront du S. U. (Suffrage Universel) pur et simple ;

2° L'exercice des libertés constitutionnelles sera pleinement garanti à tous les citoyens ;

3° L'organisation économique et politique assurera l'indépendance et l'autorité de l'État et des pouvoirs publics en général à l'égard des puissances d'argent ;

4° Le pouvoir législatif sera exercé par une Chambre unique dont tous les membres seront élus au S. U. ;

5° Cette Chambre, dont les méthodes de travail seront simplifiées et adaptées aux nécessités de l'organisation sociale moderne, sera assistée dans l'élaboration des lois par des Conseils consultatifs dont les membres seront choisis en partie en dehors du Parlement, en raison de leur compétence reconnue ;

6° En vue d'éviter les dangers de l'étatisme, le Parlement accordera aux organismes chargés par lui de la direction de l'économie les pouvoirs d'exécution indispensables à la rapidité de l'action et la concentration des responsabilités. »

 

Cet audacieux projet s’inscrivit dans le climat d’antiparlementarisme qui régnait dans l’opinion publique et entretenu par les ligues fascistes comme Rex de Degrelle et le parti nationaliste flamand à connotation nazie, le VNV. Ce rejet de l’institution parlementaire avait aussi un certain succès dans la classe ouvrière. Cela représentait un danger majeur pour l’avenir du POB qui avait tablé toute sa stratégie sur la démocratie parlementaire. Or, en réformant le Parlement par l’instauration d’une Chambre unique (la suppression du Sénat) et en changeant ses méthodes de travail en faisant notamment appel à des compétences extérieures – ce qui est une caractéristique de la technocratie – de Man instaure un nouveau mode de gouvernement.

 

Henri de Man mit en garde contre la tentation de la multiplication des organismes : « En d'autres termes, outre un plan d'action échelonné sur des années, le plan gouvernemental doit comporter un bloc de mesures immédiates, pour une transformation institutionnelle nettement délimitée à l'avance, mais radicale dans les limites ainsi déterminées.

 

Il ne s'agira plus, dès lors, de s'arrêter à des solutions ni chair ni poisson, comme celles auxquelles nous avons trop longtemps accordé notre confiance en parlant du « contrôle des banques», du « droit de regard » et d'autres formules analogues.

 

Le vice fondamental de toutes ces solutions est de manquer leur but en allant trop loin d'un côté et pas assez loin de l'autre.

 

En augmentant le nombre des conseils et commissions qui partagent la responsabilité des pouvoirs existants sans partager leur autorité véritable, on ne fait que superposer les tares d'un parlementarisme mal compris aux tares d'un capitalisme mal ordonné. »

 

Cette mise en garde est très pertinente de nos jours où on considère que la défense des services publics consiste à les multiplier, ce qui dilue leur efficacité et ouvre la porte aux privatisations !

 

Le programme lui-même consiste en six points :

 

« 1° Une politique de l'épargne tendant à la sécurité des placements et à la répression des manœuvres spéculatives sur le marché de l'argent ;

2° Une politique du crédit favorisant spécialement les branches de l'économie qu'il conviendra de développer pour la réussite du plan ;

3° Une politique des prix organisant la répression des exactions monopolistes et des manœuvres spéculatives sur les marchandises, et tendant à la stabilisation des profits agricoles, industriels et commerciaux ;

4° Une politique du travail tendant à la réduction de la durée du travail et à la normalisation des salaires par l'établissement d'un régime contractuel légal du travail : reconnaissance syndicale, commissions paritaires, conventions collectives, minimum de salaire ;

5° Une politique monétaire qui, tout en sauvegardant les avantages que procurent à la Belgique l'importance de ses réserves d'or et la stabilité de son change, permette d'accroître le pouvoir d'achat des différentes catégories de revenus du travail »

 

Il s’agit donc, en 1933, d’un programme dont plusieurs points seront repris après la guerre en Belgique comme en France. Le sixième point concernant le commerce extérieur est examiné ci-après.

 

Le socialisme national

 

De Man a insisté sur le fait que le Plan du travail ne pouvait s’appliquer qu’au niveau national. Il était opposé à son « internationalisation » car il considérait qu’il fallait en priorité le marché intérieur.

 

« En somme, le seul moyen dont la Belgique dispose actuellement pour développer son rôle sur le marché mondial, c'est une économie dirigée sur le marché intérieur.

 

Cela est vrai d'ailleurs à un point de vue universel, le retour au libre-échange étant devenu utopique. La reprise du développement du marché mondial n'est plus possible que par une économie internationale dirigée se basant sur des économies nationales dirigées. »

 

On est assez loin de la conception actuelle du libre échange qui consiste en une libéralisation généralisée !

 

De Man ajoute : « le pouvoir de réaliser une action dans ce sens n'existe pas sur ce plan [international]. Il n'existe que sur le plan national. C'est un fait que nous pouvons regretter, mais que nous devons reconnaître ; sans cela on risque de bâtir sur les nuages et, ce qui est pis encore, de s'esquiver devant les tâches nécessaires et possibles en prétextant l'attente de solutions impossibles.

 

Il suffit de réfléchir un instant pour voir que socialisation internationale est une absurdité ; car toute socialisation présuppose une transformation de régime de la propriété. Cela ne peut se faire que par une action législative, parce que c'est la loi qui fait le droit. Or, il n'existe, ni à Genève, ni ailleurs, sur le terrain international, de pouvoir législatif qui soit en état de faire cela. » (1)

 

Cette dernière réflexion peut se poser actuellement dans le cadre de la construction européenne. Tant que l’Union européenne ne disposera pas d’un pouvoir législatif digne de ce nom, il sera impossible de faire des réformes de structures à ce niveau.

 

Cela ne signifie pas que, pour autant, Henri de Man était partisan du protectionnisme. Au contraire, le sixième point du programme élaboré dans le cadre du Plan dispose :

 

« 6° Une politique commerciale qui, loin de tendre vers l'autarcie, favorise le développement du commerce extérieur, en poursuivant l'intérêt global des consommateurs à des prix de revient modérés au lieu de l'intérêt particulier de certains producteurs à des profits élevés ». Il prônait entre autres la réadaptation des accords commerciaux aux conditions créées par la transformation économique du pays et par les méthodes nouvelles de la concurrence internationale, la reconnaissance de l’URSS, l’intégration du Congo dans l’économie nationale, la lutte contre les mesures de défenses protectionnistes des autres pays. Le bénéfice de cette politique sera consacré à l’instauration d’une assurance sociale pour les travailleurs.

 

On observe donc qu’il ne s’agit pas d’une politique protectionniste, mais d’une conception des relations commerciales internationales basées sur une transformation des accords commerciaux tenant compte des intérêts propres aux parties contractantes. Quant au Congo, la colonie belge, de Man le voyait comme un acteur destiné à renforcer la puissance économique de la Belgique et non, comme il l’était, la « propriété » des holdings financiers et miniers belges. Ce n’était pas encore l’heure de la décolonisation ! Enfin, l’excédent commercial qui résultera de cette politique servira à financer ce que l’on n’appelait pas encore la sécurité sociale.

 

La dérive autoritaire

 

Le POB adopta le Plan comme programme politique. Les nuages commencèrent à s’amonceler sur l’Europe. Henri de Man fut nommé ministre des Travaux publics et de la résorption du chômage au sein du premier gouvernement de coalition avec le catholique de Paul van Zeeland qui réussit à renverser la conjoncture économique.

 

Paul Van Zeeland (à droite) fut Premier ministre catholique avec le socialiste Paul-Henri Spaak, gouvernements dont fit partie Henri de Man.

Paul Van Zeeland (à droite) fut Premier ministre catholique avec le socialiste Paul-Henri Spaak, gouvernements dont fit partie Henri de Man.

 

Henri de Man parvint à réduire le chômage de moitié en un an, comme il se l'était proposé. En revanche, lorsqu'il voulut institutionnaliser l'œuvre de sauvetage en organisant l'Office de Redressement économique, il se heurta à des obstacles insurmontables. Le projet de contrôle des banques et d'autres propositions de réformes structurelles connurent un sort semblable.

 

Le second gouvernement van Zeeland, issu des élections de mai 1936 et dans lequel de Man était devenu ministre des Finances - il fut en outre coopté sénateur la même année -, accentua dans son programme la nécessité de renforcer l'Exécutif et le contrôle du crédit. De Man espérait que le Premier ministre parviendrait à imposer un style de gouvernement moins dépendant des partis et des forces conservatrices et plus résolu à atteindre ses objectifs. En février 1937, Paul-Henri Spaak et lui expliquèrent dans des interviews retentissantes leur option pour un « socialisme national » visant à réaliser tout ce qui était réalisable dans le cadre national et refusant l'alibi d'un internationalisme platonique.

 

À ce titre, Spaak qui fut ministre des affaires étrangères, refusa de reconnaître le gouvernement républicain espagnol sous prétexte qu’il ne disposait pas de majorité parlementaire ! Voilà un exemple des dérives du « socialisme national »…

 

Léon Degrelle, le "chef" de Rex représenta un danger pour la démocratie belge en 1936 - 37. Après, il fut démonétisé...

Léon Degrelle, le "chef" de Rex représenta un danger pour la démocratie belge en 1936 - 37. Après, il fut démonétisé...

 

Aussi, quand Degrelle provoqua une élection partielle à Bruxelles en avril 1937, encouragèrent-ils van Zeeland à relever le gant au nom de l'union nationale. La victoire du premier ministre ouvrirait la voie, pensaient-ils, à un regroupement des forces démocratiques et progressistes au-dessus des clivages traditionnels. Ce n’était qu’illusions ou duplicité ! Très rapidement le gouvernement se débattit dans la crise ouverte par un projet de loi d'amnistie et aggravée par l'affaire de la Banque Nationale relative à l'utilisation de fonds secrets par le premier ministre lui-même. Le gouvernement tomba en octobre 1937.

 

Pressenti pour résoudre la crise, Henri de Man échoua à cause de l'opposition libérale. Redevenu ministre des Finances dans le cabinet formé par Paul-Émile Janson, il dut faire face à la récession économique en proposant de nouvelles ressources budgétaires par une fiscalité accrue sur les gros revenus. Vivement critiqué par ses adversaires, fraîchement accueilli par ses collègues, malade de surcroît, il démissionna le 12 mars 1938. L'échec personnel d'Henri de Man coïncidait d'ailleurs avec un reflux général des tentatives de rénovation.

 

Tirant la leçon de son expérience, de Man jugea que le socialisme, en même temps qu'il renonçait au concept marxiste de la lutte de classe et s'affirmait comme un parti de gouvernement, devait abandonner la conception bourgeoise et libérale de l'État au profit de ce que Spaak et lui appelaient la « démocratie autoritaire » avec, notamment, un gouvernement de législature et l'usage du référendum. Ce fut un échec. Cette dérive autoritaire sonna le début de la fin pour Henri de Man. Spaak, quant à lui, dont l’opportunisme n’était plus à démontrer, commença à prendre ses distances avec de Man.

 

Une conduite lamentable

 

En 1939, après la mort de Vandervelde, de Man accéda à la présidence d’un P.O.B. divisé. En septembre, il entra comme vice-premier ministre dans le gouvernement d'union nationale d'Hubert Pierlot, mais il le quitta quatre mois plus tard n’étant pas suivi par le Parti dans son obsession de neutralité vis-à-vis de l’Allemagne.

 

En janvier 1940 il reçut du Roi la mission d'aller se renseigner en Italie sur le bien-fondé de l'avertissement que Ciano avait lancé le bruit de la proximité d'une attaque allemande contre la Belgique. Puis, ayant rejoint l'armée, il dirigea l’œuvre Elisabeth “Pour nos soldats”. Pendant la campagne des dix-huit jours, sans autre fonction bien définie que celle de veiller sur la sécurité de la reine Elisabeth, il approuva la décision de Léopold III de ne pas suivre le gouvernement à Londres pour poursuivre le combat et se rapprocha du roi.

 

C'est dans l'atmosphère malsaine qui suivit les redditions belge et française qu'Henri de Man écrivit son fameux Manifeste du 28 juin 1940. Pensant que le fascisme pouvait jouer un rôle révolutionnaire en balayant par la force les obstacles qui avaient toujours fait échec à la justice sociale et à la paix européenne, il y présentait “l'effondrement d'un monde décrépit” et “la débâcle du régime parlementaire et de la ploutocratie capitaliste” comme une “délivrance” pour les classes laborieuses. Considérant le rôle politique du P.O.B. comme terminé, il lançait pour finir un appel aux militants socialistes à dissoudre le Parti afin qu'ils entrent dans un parti unique fidèle au Roi et prêt à réaliser la souveraineté du travail. Cela était tout à fait illégal, illusoire et fondamentalement contraire aux principes de base du mouvement ouvrier belge.

 

Cette conduite lamentable qui menait à la collaboration avec les pires ennemis du socialisme fit d’Henri de Man un paria. Il était désormais isolé. Le roi n’exerçait plus aucun rôle politique, les nazis se méfiaient de lui, ses derniers amis socialistes lui tournèrent le dos. En 1943, il se réfugia en Suisse avec sa femme et décéda en 1953 dans un accident de voiture dont les circonstances n’ont jamais été élucidées.

 

Cependant, comme nous le verrons dans le dernier volet, le Plan du travail ne disparut pas totalement avec de Man. Bien des éléments furent repris après la guerre, mais la grande réforme radicale qu’il impliquait était à jamais enterrée. La social-démocratie était désormais installée.

 

Pierre Verhas

 

(l) Genève était le siège de la SDN (Société des Nations) et du Bureau International du Travail qui avaient été créés après 1918.

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12 août 2014 2 12 /08 /août /2014 21:28

 

IIe partie : Réponse à Bernard Gensane

 

Avant d’aborder la problématique de la social-démocratie en Belgique (ce qui sera fait en troisième partie), je voudrais répliquer sur deux points à l’article de Bernard Gensane :

 

En premier lieu, lorsqu’il écrit : « La social-démocratie européenne (à l’exception de celle des pays nordiques) ne fut tournée vers le progrès que lorsqu’elle fit campagne et gouverna avec les communistes. Souvenons-nous du Front populaire, ou du Frente Popular (alliance de neuf partis) en Espagne. Mais la tendance lourde était bien de gouverner sans ou contre les communistes. Avant Laurent Fabius en 1983, on avait vu le socialiste italien Pietro Nenni s’allier aux communistes dans les années trente, puis gouverner avec la démocratie chrétienne après la guerre. », c’est en partie exact.

 

Les sociaux-démocrates, cependant, ne se sont pas toujours opposés aux communistes. Caballero premier ministre socialiste pendant la guerre d’Espagne, gouvernait loyalement avec les communistes qui se sont d’ailleurs montrés plus staliniens que « marxistes léninistes ». Caballero a tenté en vain d’empêcher les attaques contre le POUM et les anarchistes à Barcelone (voir George Orwell – Hommage à la Catalogne).

 

En Belgique, le président du Parti Ouvrier Belge, Emile Vandervelde, s’est intéressé à la révolution russe, mais il en a très vite dénoncé la dérive totalitaire qu’il considérait incompatible avec le socialisme. Et il avait raison. Rappelons-nous Kronstadt !

 

Certes, et ce fut le cas en France uniquement, la social-démocratie a contribué au progrès social lorsqu’elle a gouverné à deux reprises avec les communistes : lors du Front populaire en 1936 et après la victoire de Mitterrand de 1981 à 1983.

 

Le programme social le plus élaboré en France fut celui du Conseil national de la Résistance qui résulta d’un accord entre les communistes et les socialistes, mais il ne faut pas oublier les gaullistes – sans lesquels sa réalisation eût été impossible – et les démocrates chrétiens. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les néolibéraux avec la complicité de personnages comme Hollande, Valls et Fabius sont en train de le démanteler.

 

Tout cela pour dire que les sociaux-démocrates français n’étaient pas jusque dans les années 1950 des libéraux honteux ou des atlantistes déclarés comme ils le sont devenus depuis Guy Mollet. Ensuite, il ne faut pas oublier non plus le rôle éminent, quoique trop bref, de Pierre Mendès-France qui était radical, mais qui a joué un rôle fondamental au sein de la gauche française.

 

En Belgique, ce fut différent. Tout d’abord, s’il existait un Parti communiste, son influence était très limitée, par rapport au Parti Ouvrier Belge (ancêtre de l’actuel PS belge). On peut s’en étonner puisque la situation de la classe ouvrière belge était similaire à celle de France. Il y a une explication : le syndicat socialiste était très puissant et il n’y avait pas de syndicat « communiste ». D’ailleurs, le POB est né en 1885 du mouvement mutuelliste qui comprenait aussi des syndicalistes (les syndicats étaient interdits par la loi Le Chapelier qui s’appliquait en Belgique en 1885), d’intellectuels engagés et de fractions qu’on appellerait aujourd’hui anarcho-syndicalistes. C’est donc par le biais du POB que les commissions syndicales, puis la CGTB (Centrale Générale des Travailleurs de Belgique) qui est devenue après la guerre 40-45 la FGTB (Fédération Générale des Travailleurs de Belgique).

 

D’autre part, la Sécurité sociale est née aussi d’accords pris dans la clandestinité sous l’occupation entre des représentants du grand patronat et des syndicalistes. Des négociations de ce genre eurent lieu également à Londres, sous la houlette du gouvernement belge exilé. Elles aboutirent à un compromis : la sécurité sociale forte en échange d’une liberté du capital, c’est-à-dire au renoncement à des réformes de structures. D’ailleurs, une des premières mesures du gouvernement belge fut l’arrêté loi de décembre 1944 instaurant la Sécurité sociale, soit à peine un mois et demi après la Libération. Il est vrai qu’il était revenu dans les fourgons des anglo-américains et qu’il craignait par-dessus tout d’éventuels soulèvements de la classe ouvrière.

 

La deuxième critique porte sur la question de l’eurocommunisme. Bernard Gensane écrit : « On a vu des partis communistes disparaître. Comme l’italien à force d’« eurocommunisme » et de « compromis historique ». Ce parti s’est dissout en 1991 au profit du Parti démocrate de la gauche (L’Olivier), qui s’est lui-même dissout en 1998 au profit des Démocrates de gauche (le Chêne social-démocrate). Le Chêne s'est à son tour dissout pour former avec les centristes de gauche La Marguerite. En attendant les Pissenlits par la racine (en anglais, quand on est mort, on « pousse les marguerites vers le haut »). »

 

Je ne pense pas qu’il faille considérer l’eurocommunisme et le compromis historique comme des dérives vers une révision néolibérale. L’eurocommunisme se voulait être une synthèse entre le communisme et la démocratie dans le respect des Libertés fondamentales. En définitive, c’était l’idéal socialiste pour lequel George Orwell a combattu pendant la guerre d’Espagne. Berlinguer a essayé avec le démocrate chrétien Aldo Moro. On sait ce qu’il en est advenu. Aldo Moro a été enlevé et assassiné par les Brigades Rouges. Son corps a été volontairement jeté à mi-chemin entre les locaux de la démocratie chrétienne et du Parti communiste italien. On sait depuis que c’est la CIA qui manipulait les « brigadistes ».

 

Pierre Verhas

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7 août 2014 4 07 /08 /août /2014 16:33

La social-démocratie a toujours voulu faire la synthèse entre le socialisme et le capitalisme. Aujourd’hui, depuis le thatchérisme, elle a franchement évolué vers la politique de l’offre tout en tenant un discours social à ses électeurs.

 

En réalité, ce changement de cap n’est pas nouveau. Notre ami Bernard Gensane, aujourd’hui de Lyon, nous retrace l’histoire de cette évolution d’un socialisme ouvrier vers une social-démocratie libérale cédant aux sirènes du néolibéralisme. (On peut consulter son blog via la rubrique « Liens » du blog « Uranopole »).

 

À notre sens, ce changement que l’on voyait poindre depuis la fin de la Seconde guerre mondiale s’est accentué après mai 68. Les « événements de mai » furent en fait une « révolution bourgeoise » anticommuniste et libertaire en y incluant toute une série de revendications sociétale. Le caractère ouvrier des partis socialistes fut rejeté par cette génération dont l’objet était de s’emparer de tous les leviers du pouvoir économique et du pouvoir politique.

 

Et, elle y a réussi. Maintenant les « anciens soixante-huitards » sont pensionnés, mais ils ont investi les médias, les organismes financiers, les institutions internationales, les partis politiques et, particulièrement le Parti socialiste qui, grâce à eux, s’est éloigné du monde du travail et des organisations syndicales.

 

L’un d’entre eux, relativement peu connu des médias, Pierre Rosanvallon ,a fondé un think tank (ou un club de réflexions, si vous voulez) appelé « la fondation Saint-Simon » où il organisait des rencontres entre dirigeants de la droite libérale et jeunes loups « de gauche ». Il a écrit un ouvrage qui fait beaucoup de tapage : « La crise de l’Etat providence » où il met à mal les bases de la seule vraie conquête sociale des Socialistes, la Sécurité sociale.

Pierre Rosanvallon, aujourd'hui directeur du Collège de France, a fait la synthèse entre la gauche intellectuelle et le monde libéral.

Pierre Rosanvallon, aujourd'hui directeur du Collège de France, a fait la synthèse entre la gauche intellectuelle et le monde libéral.

« Du col Mao au Rotary » fut le titre d’un pamphlet décapant de Guy Hocquengem préfacé par Serge Halimi qui écrivait : « Avant de mourir, à 41 ans, Guy Hocquenghem a tiré un coup de pistolet dans la messe des reniements. Il fut un des premiers à nous signifier que, derrière la reptation des « repentis » socialistes et gauchistes vers le sommet de la pyramide, il n’y avait pas méprise, mais accomplissement, qu’un exercice prolongé du pouvoir les avait révélés davantage qu’il les avait trahis. On sait désormais de quel prix - chômage, restructurations sauvages, argent fou, dithyrambe des patrons - fut payé un parcours que Serge July résuma un jour en trois mots : « Tout m’a profité. »

 

Cet ouvrage qui a plus de quinze ans ne porte guère de ride. L’auteur nous parle déjà de Finkielkraut, de BHL, de Cohn-Bendit, de Bruckner. Et déjà, il nous en dit l’essentiel.

 

On ignore ce qu’Hocquenghem aurait écrit d’eux aujourd’hui, on sait cependant que nul ne l’écrira comme lui. Lui qui appartenait à leur très encombrante « génération » - celle des Glucksmann, des Goupil, des Plenel et des Kouchner - se hâtait toutefois de préciser : « Ce mot me répugne d’instinct, bloc coagulé de déceptions et de copinages. » Il aurait souhaité qu’elle fût moins compromise, en bloc, par les cabotinages réactionnaires et moralistes de la petite cohorte qui parasita journaux et « débats ». Il aurait essayé d’empêcher qu’on associât cette « génération »-là aux seuls contestataires qui ouvrirent un plan d’épargne contestation avec l’espoir d’empocher plus tard les dividendes de la récupération. »

Guy Hocquengheme (1946 - 1988) normalien, écrivit son pamphlet en 1986. Tout y était déjà !

Guy Hocquengheme (1946 - 1988) normalien, écrivit son pamphlet en 1986. Tout y était déjà !

Ce livre est une judicieuse et cruelle description de cette classe d’intellectuels aussi médiatiques qu’affairistes qui a investi le PS français avec l’approbation de son Premier secrétaire fondateur, François Mitterrand, qui était passé maître es reniements. De haut fonctionnaire en vue à Vichy connu pour ses idées d’extrême-droite à chef de la Résistance en quelques mois, il fallait le faire !

François Mitterrand fut un orfèvre en reniements.

François Mitterrand fut un orfèvre en reniements.

En s’alliant au Parti communiste, Mitterrand a réussi à se rallier la classe populaire, juste le temps de prendre le pouvoir, de prendre quelques mesures sociales pour ensuite opérer le virage de la « rigueur », autrement dit la politique ultralibérale et orienter la France vers l’atlantisme.

 

Ses successeurs ont poursuivi dans cette lignée. Aujourd’hui, François Hollande est une pâle caricature du social-démocrate zélateur d’un libéralisme échevelé. Il avait annoncé que son « ennemi est la finance ». On l’a vu !

Affiche électorale pour les présidentielles de 2012 : François Mitterrand et François Hollande dans une même lignée de reniements

Affiche électorale pour les présidentielles de 2012 : François Mitterrand et François Hollande dans une même lignée de reniements

 

L’analyse de Bernard Gensane est passionnante et nous mène à la réflexion.

 

Dans un prochain article nous analyserons l’évolution de la social-démocratie en Belgique qui est un peu différente, mais qui, déjà sous le règne de feu Guy Spitaels, prenait allégrement le virage du néolibéralisme.

 

Bonne lecture !

 

Pierre Verhas

 

 

 

Les reniements de la social-démocratie, ou l’avenir à reculons

 

Par Bernard Gensane

 

Deux données en passant :

 

le nombre de jeunes âgés de 25 à 35 ans se lançant dans la construction ou l’achat d’un logement a diminué de 10% en un an.

 

50% des auto-entrepreneurs n’auto-entreprennent actuellement rien ou quasiment rien. Il y a en fait 500 000 chômeurs partiels ou totaux de plus que ce que l’on veut bien nous dire.

 

Ce, dans un pays qui n’a jamais été aussi riche et qui, depuis 1981, aura été gouverné quinze ans durant par des sociaux-démocrates.

 

Partout dans le monde, a fortiori en France, le curseur s’est déplacé à droite car les partis de droite se sont eux-mêmes déplacés vers l’extrême droite. Ce qu’avaient génialement envisagé les théoriciens du libéralisme économique à tout crin, puis leurs meilleurs élèves aux commandes, tels Margaret Thatcher ou Ronald Reagan.

 

Dans un document de 1978,

 

alors que le pouvoir de Giscard vacille, on voit Mitterrand dans une ville ouvrière du nord de la France, accueilli par une fanfare ouvrière qui joue “ L’Internationale ”. À la tribune, il s’exprime sur la planification, le programme de nationalisations à mettre en œuvre, « plus audacieux que celui du général De Gaulle ». Et puis on le voit chanter l’hymne de la révolution prolétarienne (19e minute), une rose à la main. Dans cinq ans, il choisira « L’Europe » – c’est-à-dire le capitalisme financier – contre les travailleurs. Il sera aidé dans sa tâche par Jacques Delors, ancien employé de banque qui vient du syndicalisme chrétien, et Pierre Bérégovoy, fils d’un russe blanc prolétarisé, ouvrier (fraiseur) dès l’âge de 16 ans, résistant, membre fondateur du PSU. Leur protégé François Hollande aura deux obsessions principales, identique à celles d’Anthony Blair avant lui : l’alignement de la politique française sur celle des États-Unis et la réduction du « coût du travail » par le biais d’une politique économique de l’offre, directement inspirée de la « reaganomics », elle-même produite par la pensée de Friedman et Hayek.

 

François Mitterrand tenait un discours ouvriériste et réussit à tromper tout le monde.

François Mitterrand tenait un discours ouvriériste et réussit à tromper tout le monde.

 

En France comme ailleurs, la mouvance social-démocrate, lorsqu’elle a accédé aux responsabilités, a joué un rôle déterminant dans la prise du pouvoir quasi totale de la grande bourgeoisie d’affaires, dans le progrès des idées réactionnaires, dans l’acceptation de l’inexorabilité du recul des droits des travailleurs. À quelques nuances sans importance près, le rôle de la social-démocratie aura été le même que celui des partis conservateurs.

 

Depuis trente ans, nous sommes dans la certitude qu’il n’est rien à attendre de la social-démocratie dans la lutte contre le pouvoir du système bancaire et des grandes entreprises, une social-démocratie qui, dans le même temps, s’aligne au millimètre près sur les forces impérialistes du nord de la planète. En revanche, la collaboration de classe, le « dialogue », le « gagnant-gagnant » (concept né aux Etats-Unis dans les années soixante) ont toujours été à l’ordre du jour.

 

Les socialistes français ont cédé le pouvoir politique, donc le pouvoir du peuple, à la finance, soumettant par la-même le social et l’économique aux désidérata d’une hyperbourgeoisie conquérante, de plus en plus puissante, au point de faire payer par un peuple courbé, désemparé, les errements irrationnels des forces économiques débridées.

 

Certains chez les sociaux-démocrates français ont décidé qu’il ne fallait plus faire semblant de tenir un discours de gauche avant de mettre en pratique des politiques de droite. C’est le cas, par exemple, de l’actuel Premier ministre Manuel Valls qui, en 2009, proposa de débaptiser le parti socialiste. Pour lui, le mot « socialisme » était « dépassé » : « Il faut transformer de fond en comble le fonctionnement du PS, nous dépasser, tout changer : le nom, parce que le mot socialisme est sans doute dépassé; il renvoie à des conceptions du XIX° siècle ». Il suggérait même de remplacer le mot « parti » par « mouvement ». On imagine que les Français auraient pu alors « choisir » entre l’Union pour un Mouvement Populaire à “ droite ” et le « Mouvement démocrate » à “ gauche ”. La belle affaire ! Dans les faits, la bipolarisation à la française n’a rien à envier à celles qui se pratiquent outre-Rhin, outre-Manche ou outre-Atlantique.

 

Caricature représentant Manuel Valls en équilibriste entre le PS et l'UMP.

Caricature représentant Manuel Valls en équilibriste entre le PS et l'UMP.

 

N’accablons pas les Solfériniens. Le mal est profond et vient de loin. Hostile à la Révolution d’Octobre, le mouvement social-démocrate devint rapidement et ouvertement contre-révolutionnaire. Bien avant cela, en 1898, Rosa Luxemburg s’opposa, au sein du mouvement social-démocrate allemand, au théoricien Eduard Bernstein qui remettait en cause l’orientation marxiste du SPD et proposait l’abandon de sa ligne révolutionnaire afin d’attirer les classes moyennes. La victoire de Luxemburg ne sera que provisoire. En novembre 1918, c’est le chef de gouvernement social-démocrate Friedrich Ebert qui écrasera l’extrême gauche allemande en signant un pacte avec les dirigeants de l’armée pour réinstaller l’ordre dans le pays. Des membres des Corps francs, désormais acquis à la réaction, anéantiront la révolte spartakiste de Berlin et assassineront Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. Les députés sociaux-démocrates voteront les crédits de guerre contrairement aux députés bolchéviques qui seront déportés en Sibérie. Au même moment, Clémenceau, l’une des idoles du solférinien Valls, prévoira un « plan général pour l’isolement économique du bolchevisme en Russie en vue de provoquer sa chute ». Il s’agira d’occuper les ports et d’établir un « cordon sanitaire » : étouffer l’économie soviétique et isoler l’Europe de la contagion des idées révolutionnaires. L’importance donnée à l’occupation du Donbass montrant bien que les objectifs économiques impérialistes importaient largement autant que les visées idéologiques.

Timbre commémorant Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg tous deux assassinés en 1918 et qui sont restés fidèles au Socialisme.

Timbre commémorant Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg tous deux assassinés en 1918 et qui sont restés fidèles au Socialisme.

Non contente de s’opposer aux mouvements révolutionnaires dans l’Europe du XXe siècle, la social-démocratie est devenue un pilier de l’exploitation capitaliste, du colonialisme et de l’impérialisme. C'est pourquoi les français ont accepté la réintégration dans l’OTAN et son primat absolu en matière d’alliances et de stratégies.

 

La social-démocratie – en France ou ailleurs – n’est pas monolithique. Sa force réside dans ses courants attrape-tout, ses « débats » « théoriques » oubliés dès que les portes du pouvoir sont franchies. On voit alors des figures quasi gauchisantes mettre en œuvre des politiques de droite, en opposition avec les intérêts des citoyens qui les ont élues. Au niveau des institutions européennes, ce n’est plus de la caricature mais de la singerie : dans le microcosme bruxellois, les sociaux-démocrates soutiennent ouvertement les conservateurs qui, à l’occasion, leur renvoient l’ascenseur. Le Parti socialiste européen et le Parti populaire européen œuvrent de concert pour se partager la gestion des instances de l’Union européenne.

 

À lui seul, François Hollande incarne à merveille ces dérives. Apparatchik en chef – avant d’accéder à l’Élysée – d’une machine qui ne tournait que pour elle-même, il fut capable, durant la campagne pour l’élection présidentielle, de proclamer lundi à Paris que son ennemi était la finance, avant de concéder mardi à Londres qu’il n’était pas dangereux. Un vrai social-démocrate n’a aucun objectif réel. Bernstein a gagné, pour qui le mouvement était tout alors que l’objectif final n’était rien. Contrairement à Baudelaire, Hollande ne hait pas le mouvement qui déplace les lignes. « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », faisait remarquer à Hollande la fille de Jacques Delors, sa sœur en social-démocratie.

François Hollande et Martine Aubry, fille de Jacques Delors, soeur de François Hollande en social-démocratie

François Hollande et Martine Aubry, fille de Jacques Delors, soeur de François Hollande en social-démocratie

 

La social-démocratie européenne (à l’exception de celle des pays nordiques) ne fut tournée vers le progrès que lorsqu’elle fit campagne et gouverna avec les communistes. Souvenons-nous du Front populaire, ou du Frente Popular (alliance de neuf partis) en Espagne. Mais la tendance lourde était bien de gouverner sans ou contre les communistes. Avant Laurent Fabius en 1983, on avait vu le socialiste italien Pietro Nenni s’allier aux communistes dans les années trente, puis gouverner avec la démocratie chrétienne après la guerre.

 

Dans l’Europe d’aujourd’hui, aucun des partis socialistes, social-démocrates et travaillistes ne s’oppose aux agressions du capital contre les conquis sociaux des travailleurs. Au contraire, ils s’en font les relais, ils les assument.

 

Depuis une centaine d’années, les moments forts du reniement social-démocrate européen furent l’hostilité à la Révolution d’octobre, la « non-intervention » durant la Guerre civile espagnole, le refus de l’alliance avec les communistes pour lutter contre le fascisme et le nazisme, l’acceptation de l’OTAN (le socialiste belge Paul-Henri Spaak, anti-militariste dans sa jeunesse, en fut le deuxième Secrétaire général à l’époque de la guerre froide), la continuation du colonialisme (spécialité bien française avec Guy Mollet ou Max Lejeune), la rupture des socialistes allemands avec le marxisme en 1959, le vote pour le traité de Rome de 1957, celui de Maastricht, enfin celui de 2004 pour une constitution pour l’Europe (les fsocialistes français votant contre une bonne partie de leur électorat). La Troisième voie Blair/Giddens fut érigée en modèle acceptable alors qu’elle jugeait obsolète toute idée de redistribution.

 

Ce n’est pas leur faire injure que de dire que les sociaux-démocrates français n’hésitent pas à se compromettre à titre personnel avec les forces capitalistes. De plus en plus nombreuses sont les personnalités éminentes sociales-démocrates, dans le parti ou dans les syndicats, qui offrent leurs services à l’hyperbourgeoisie, entre deux mandats électoraux ou en fin de vie active. Au banquet des affaires, la soupe est bonne. Il n’est plus question de « changer le monde » mais de toucher des jetons de présence, en veillant bien sûr à la « citoyenneté » de l’entreprise et à « l’humanisation » du capital.

 

Très emblématique de ces reniements aura été – à l'étranger – la carrière de l’Espagnol Javier Solana.. En 1964, il rejoint clandestinement le Parti socialiste ouvrier espagnol interdit par la dictature franquiste. Il émigre un temps aux États-Unis où il milite contre la guerre du Vietnam. Après le retour de la démocratie en Espagne (auquel il a fortement contribué), il est ministre de la Culture. À ce titre, il instaure la gratuité des visites de musée. Il est ensuite ministre de l’Éducation, puis des Affaires étrangères. En 1995, alors que l’Espagne préside le Conseil de l’Union européenne, Solana convoque la Conférence de Barcelone dont l’objectif est de faire du bassin euro-méditerranéen « une zone de dialogue, d’échanges et de coopération en vue de garantir la paix, la stabilité et la prospérité. » Ce diplomate classique va devenir un diplomate plus musclé. Fin 1995, il est nommé Secrétaire général de l’OTAN, lui dont la mère avait pour cousin le responsable de la Ligue pour le Désarmement des Nations et qui, dans le passé avait rédigé un texte intitulé 50 raisons de dire non à l’OTAN ! Sous l’impulsion de Solana, le Parti socialiste espagnol devient franchement atlantiste. Le 5 février 2003, au conseil de sécurité des Nations Unies, il soutient le discours mensonger – et à court terme meurtrier – de Colin Powell selon lequel l’Irak possède des armes de destruction massive. En la circonstance, il se démarque du leader de son parti José Luis Zapatero pour s’aligner sur la position du chef du gouvernement conservateur José María Aznar, favorable à une intervention étasunienne en Irak. Le 15 février 2005, alors qu’il est responsable de la politique étrangère européenne, il s’oppose au plan du président de la Communauté autonome du Pays Basque Juan José Ibarretxe prévoyant que le Pays Basque serait « librement associé » à l’Espagne et jouirait d’un système légal séparé et d’une représentation au sein de l’Union européenne.

 

Juan José Ibbaretxe : dirigeant basque qui avait un plan d'association avec l'Espagne rejeté par Solana

Juan José Ibbaretxe : dirigeant basque qui avait un plan d'association avec l'Espagne rejeté par Solana

 

Une autre figure emblématique des pires reniements de la sociale démocratie est assurément Gerhard Schröder. D’origine modeste, il débute dans la vie comme apprenti vendeur puis ouvrier du bâtiment. Il suit des cours du soir, accède à l’enseignement secondaire et supérieur et devient avocat. À ce titre, il défend Horst Mahler, une des figures de proue de la Fraction armée rouge. Au crédit du chancelier Schröder, l’opposition ferme de l’Allemagne à la guerre de Bush en Irak. Pour le reste… Celui qui fut “ l’ami des patrons ” batailla cinq ans contre son parti pour faire voter la loi Hartz IV (Peter Hartz, l’un des conseillers de l’ombre des Solfériniens)Intérieur Otto Schily, autrefois avocat de Gudrun Esslin et proche des milieux anarchistes, conseille le trust financier Investcorp (New York, Bahrein, Londres). Il y côtoie l’ancien chancelier autrichien conservateur Wolfgan Schlüssel, le vice-président de la Convention européenne Giuliano Amato ou encore M. Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU). Enfoncée (si je puis dire), l’ancienne ministre socialiste Frédérique Bredin, un temps directrice générale de Lagardère Active avant d'être nommée inspectrice générale des finances.

 

Gehrard Schröder et Poutine n'ont rien à se cacher...

Gehrard Schröder et Poutine n'ont rien à se cacher...

 

La porosité des sociaux-démocrates avec le monde des grandes affaires explique que des partis socialistes au pouvoir – comme au Portugal ou en Grèce – ont pu dépouiller les peuples dont ils avaient la charge tandis que des membres éminents de l’Internationale socialiste se sont prononcés contre des expériences authentiquement de gauche au Venezuela ou en Équateur. Il n’est pas étonnant non plus qu’Hugo Chavez ait trouvé face à lui, parmi les partis d’opposition, l’Action démocratique (Acción Democrática), un parti social-démocrate créé en 1941, autrefois progressiste et anti-impérialiste, franchement conservateur depuis les années 1980 et soutenu et relayé par la Confédération des travailleurs du Venezuela (Confederación de Trabajadores de Venezuela).

 

La social-démocratie a donc choisi son camp : celui du capital. Désormais financier. A-t-on récemment entendu François Hollande prononcer les mots « ouvrier », « travailleur », voire « salarié » ? Non, parce qu’il y a chez lui comme chez ses amis politiques une négation de l’histoire, un effacement des classes sociales. La social-démocratie, c’est le règne du parlementarisme, de la gestion loyale du capitalisme, parfois de la compassion pour les plus malheureux. Et puis ce chic pour les réformes qui, profondément, ne servent à rien dans la perspective de la transformation de la société puisqu'elles entérinent ce qui a déjà été transformé : PACS, mariage pour les homosexuels.

 

On a vu des partis communistes disparaître. Comme l’italien à force d’« eurocommunisme » et de « compromis historique ». Ce parti s’est dissout en 1991 au profit du Parti démocrate de la gauche (L’Olivier), qui s’est lui-même dissout en 1998 au profit des Démocrates de gauche (le Chêne social-démocrate). Le Chêne s'est à son tour dissout pour former avec les centristes de gauche La Marguerite. En attendant les Pissenlits par la racine (en anglais, quand on est mort, on « pousse les marguerites vers le haut »). Parce qu’ils ont peur du peuple, les sociaux-démocrates français auront bientôt, comme les Italiens, peur de leur ombre.

 

Bernard Gensane

 

Les reniements de la social-démocratie ou l'avenir à reculonsLes reniements de la social-démocratie ou l'avenir à reculons
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6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 17:23

IIe partie : L’obstiné refus

 

Passons plusieurs années. De la fin de la guerre de 1948 jusqu’à la guerre dite des « Six jours » de juin 1967, la situation était figée. Aucun Etat arabe n’avait voulu reconnaître l’Etat d’Israël. Les voisins d’Israël, par exemple la Syrie et l’Egypte qui, sous l’impulsion de Gamal Abdel Nasser, avaient fondé en 1958 l’éphémère « République arabe unie » s’obstinaient à nier l’existence de l’Etat hébreu. Des escarmouches avaient lieu de part et d’autre. Du plateau du Golan, les Syriens tiraient des obus sur le Nord d’Israël. Des commandos israéliens traversaient la frontière pour neutraliser des unités arabes trop menaçantes.

Les réfugiés palestiniens seront la plaie d'Israël.

Les réfugiés palestiniens seront la plaie d'Israël.

Mais, le foyer de tensions est et reste la question des réfugiés palestiniens. Les Palestiniens expulsés en 1948 avaient gardé l’espoir d’un retour et les pays arabes ne les accueillaient pas à bras ouverts. Les camps de réfugiés s’implantèrent donc près de la frontière israélienne, notamment en Cisjordanie et aussi à Gaza. Régulièrement, des commandos palestiniens, appelés à l’époque les « fedayin », s’infiltraient et commettaient des attentats contre les kibboutzim dont beaucoup longeaient la frontière également et contre des villages isolés. Cela a provoqué un climat de terreur qui a empoisonné la vie des Israéliens depuis la fondation de l’Etat. Et ce sentiment de terreur a incontestablement joué dans l’opinion publique israélienne.

 

Gaza : premier Etat palestinien

 

Gaza jouissait d’un statut particulier. Lisons encore Alain Gresh : « La bande de Gaza — trois cent soixante kilomètres carrés comprenant les villes de Gaza, Khan Younès et Rafah — passe [après la défaite arabe de 1948] sous administration militaire égyptienne mais ne sera pas annexée ; elle restera le seul territoire palestinien sur lequel ne s’exerce aucune souveraineté étrangère. Aux quatre-vingt mille habitants autochtones sont venus s’ajouter plus de deux cent mille réfugiés expulsés par l’armée israélienne, qui vivent dans des conditions misérables et n’aspirent qu’au retour dans leurs foyers. Cette présence massive de réfugiés et le statut particulier du territoire vont faire de Gaza l’un des centres de la renaissance politique palestinienne. »

 

Et l’auteur décrit cette renaissance qui a eu lieu après la crise de Suez en 1956 et l’occupation du Sinaï et de Gaza par Israël qui s’en est retiré en mars 1957 : « De leur expérience à Gaza, une poignée de jeunes gens vont tirer une leçon opposée. Ils ont directement affronté Israël et mesuré combien le soutien arabe, même celui de Nasser, est conditionnel — nombre d’entre eux connaîtront d’ailleurs les prisons égyptiennes. Ils estiment que la libération de la Palestine ne peut être que l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes. Ils se retrouveront en 1959 autour de Yasser Arafat, réfugié à Gaza en 1948, pour fonder le Fatah, acronyme inversé en arabe de « Mouvement national palestinien ». Parmi les militants gazaouis de la première heure amenés à jouer un rôle central dans les années 1970-1980, on compte Salah Khalaf (Abou Iyad) ; Khalil Al-Wazir (Abou Jihad), qui deviendra le numéro deux du Fatah et sera assassiné par les Israéliens à Tunis en 1988 ; ou encore Kamal Adouan, assassiné par un commando israélien à Beyrouth en 1973. » C’est donc une force politique qui se met en place, mais, à l’époque, son influence est mineure.

Gamal Abdel Nasser appuya efficacement la résistence palestinienne.

Gamal Abdel Nasser appuya efficacement la résistence palestinienne.

Les Etats arabes, quant à eux, vont d’échecs en échecs. La République Arabe Unie éclate en 1961 et leur déchéance fut la guerre des Six Jours de juin 1967 qui vit Israël occuper au Sud, Gaza et le Sinaï bloquant le canal de Suez pour des années, annexer le Golan au Nord et Jérusalem à l’Est, tout en envahissant la Cisjordanie. Jamais les Etats arabes ne subirent une telle défaite, mais la victoire de Tsahal posa plus de questions qu’elle n’apporta de réponses. Que faire des territoires ? Certains souhaitaient les rendre en échange d’une reconnaissance et d’une rectification des frontières de 1967, d’autres, particulièrement les religieux, voulaient, au contraire, les annexer considérant qu’ils étaient partie intégrante de l’Israël biblique. Quant à Jérusalem, il y avait unanimité pour considérer qu’elle est désormais la capitale d’Israël et que les Lieux saints lui appartiennent.

 

Les vainqueurs de la guerre des Six jours à Jérusalem. Au centre, Moshe Dayan ne souhaitait pas garder les territoires occupés et les lieux saints de Jérusalem. A sa gauche Ithzak Rabin.

Les vainqueurs de la guerre des Six jours à Jérusalem. Au centre, Moshe Dayan ne souhaitait pas garder les territoires occupés et les lieux saints de Jérusalem. A sa gauche Ithzak Rabin.

 

Un seul ennemi

 

Aussi, il ne reste plus à Israël qu’un seul ennemi : les Palestiniens. Malgré cela, les Israéliens n’ont jamais admis le fait palestinien. À l’exception de quelques intellectuels comme l’écrivain Amos Oz, par ailleurs opposé aux actuelles opérations militaires contre Gaza, qui, après la guerre des Six jours, prônait un Etat palestinien, les Israéliens considéraient que les Arabes de Palestine devaient en s’exilant s’intégrer aisément dans d’autres Etats arabes et ainsi, il n’était pas nécessaire de reconnaître l’existence politique des Palestiniens. Cela n’a pas été le cas et les Palestiniens réussiront à imposer, parfois par la force, leur réalité politique. Désormais, tout l’effort de guerre d’Israël est consacré à la lutte contre les Palestiniens.

 

Amos Oz considéré comme le plus grand écrivain d'Israël a toujours plaidé pour la constitution d'un Etat palestinien.

Amos Oz considéré comme le plus grand écrivain d'Israël a toujours plaidé pour la constitution d'un Etat palestinien.

 

Gaza, bien qu’occupée, voit la naissance d’un mouvement de résistance sur le modèle du FLN algérien. La première attaque a lieu le 11 juin 1967, soit le lendemain de la signature du cessez-le-feu en entre Israël et les Etats arabes. Sur le plan politique, avec l’aval de Nasser, le Fatah prit les rênes de l’OLP qui avait été jusqu’alors dirigée par un démagogue du nom de Choukeiry qui vociférait des déclarations sanguinaires contre les Juifs. La nouvelle OLP était devenue une force politique et militaire avec laquelle il fallait compter. La lutte armée se prolongea jusqu’en 1971.

 

La reconnaissance des Islamistes par Israël

 

Il y a un élément important qui a été passé sous silence. Au départ, les Frères musulmans qui sont bien implantés à Gaza refusèrent de s’inscrire dans cette résistance armée. Ils privilégiaient l’action sociale auprès des Palestiniens de Gaza. L’autorité occupante israélienne voit en cette mouvance un contrepoids à l’OLP. Un centre islamique est fondé par le cheikh Ahmed Yassine. Il s’appelle le centre islamique et est légalisé par l’occupant. Alain Gresh ajoute : « Mais cet attentisme — l’heure de la résistance ne serait pas encore arrivée — suscite des remous, et une scission aboutit à la création, au début des années 1980, du Djihad islamique. »

 

Cheikh Yassine, un des dirigeants religieux les plus fanatiques, fut "'homme"  d'Israël à Gaza.

Cheikh Yassine, un des dirigeants religieux les plus fanatiques, fut "'homme" d'Israël à Gaza.

 

En décembre 1987, éclate à Gaza la première Intifada. Et comme l’écrit Gresh, elle aura une double conséquence : « D’une part, les Frères musulmans impriment un tournant majeur à leur stratégie en créant le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), qui participe à l’Intifada mais refuse le front uni avec les autres organisations. D’autre part, l’OLP utilisera cette révolte pour renforcer son crédit et pour négocier les accords d’Oslo... »

 

Ainsi, le Hamas est né de l’Intifada et est issu des Frères musulmans que les Israéliens ont favorisés dès les années 1970 pour contrer l’OLP qui avait provoqué des attentats spectaculaires comme de nombreux détournements d’avions, comme l’attaque de la délégation israélienne aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, etc. L’OLP était donc l’ennemi à abattre.

 

L’OLP n’a pas été vaincue.

 

En dépit de l’incursion israélienne au Liban en 1982 pour en chasser l’OLP et qui déstabilisa pour longtemps ce pays à peine sorti de la guerre civile, où des massacres furent perpétrés avec la complicité d’éléments israéliens à Sabra et Chatila, l’OLP ne fut guère affaiblie. Arafat se réfugia en Tunisie. Mais le problème subsistait : que faire avec les Palestiniens ?

 

Yasser Arafat fut le dirigeant inconstest de l'OLP.

Yasser Arafat fut le dirigeant inconstest de l'OLP.

 

Sous l’impulsion d’Itzhak Rabin, malgré une opposition farouche de la droite israélienne et des religieux, des négociations eurent lieu avec l’appui de Clinton, alors Président des USA. Des accords dits d’Oslo furent finalement signés entre Rabin et Arafat à Washington le 13 septembre 1993. Si les Palestiniens n’avaient pas un Etat, ils obtinrent une « Autorité » sur Gaza et la Cisjordanie. Cette Autorité palestinienne s’installa d’ailleurs à Gaza le 1er juillet 1994.

 

Mais tout va être remis en question.

 

Le 4 novembre 1995, Itzhak Rabin est assassiné lors d’un rassemblement sur une place à Tel Aviv qui porte désormais son nom. L’auteur, un jeune Juif religieux, n’éprouva aucun remord de son acte. Rabin était le traître à éliminer. Les accords d’Oslo étaient « impurs ». Un terrible fanatisme gangrène la société israélienne. Il émane surtout des colonies de Cisjordanie où s’est fondé le « Goush emounim » (bloc de la foi) qui a un poids politique majeur dans l’Etat hébreu.

 

Ithzak Rabin : il a payé de sa vie sa volonté de paix.

Ithzak Rabin : il a payé de sa vie sa volonté de paix.

 

L’assassinat de Rabin eut pour effet paradoxal la montée en puissance du courant religieux. La réaction de la gauche israélienne fut d’une mollesse incroyable ! La stratégie de Shimon Pérès qui a succédé à Rabin est ahurissante. Charles Enderlin écrit dans son excellent ouvrage « Au nom du Temple » (Seuil, 2013) : « Pérès veut, en fait, mettre au profit le choc créé par l’assassinat de Rabin pour tenter d’obtenir le soutien d’une partie de la droite religieuse et conférer ainsi une vraie légitimité au processus d’Oslo. » Quel aveuglement ! Alors qu’il est manifeste, et cela sera prouvé très rapidement, que c’est l’extrême-droite religieuse qui est derrière Yigal Amir, l’assassin d’Itzhak Rabin, Pérès ouvre un boulevard à la droite qui n’a jamais accepté Oslo ! Il signe ainsi l’arrêt de mort de la gauche et du progressisme en Israël, qui, pourtant, se renforçaient grâce au mouvement Shalom Arshav (La paix maintenant). Mais l’assassinat eut raison de cette dynamique.

 

La plaie de l’intégrisme

 

Ainsi, et nous passons encore quelques épisodes sanglants, les positions se radicalisèrent dans les deux camps à la fois par la montée des intégrismes religieux et par le blocage total des négociations pudiquement appelées « processus de paix ».

 

Aux vagues d’attentats palestiniens succèdent une répression souvent aveugle de Tsahal et aussi des éléments les plus extrémistes des « colonies » de plus en plus nombreuses qui n’hésitent pas à attaquer des villages palestiniens. Un attentat suicide palestinien va même être commis dans une boîte de nuit « branchée » de Tel Aviv et fera de nombreux morts. Des bus – principal moyen de transport public – explosent sur les routes du Nord d’Israël.

 

En réponse, les Israéliens construisent un mur de séparation sur la ligne verte (l’ancienne frontière d’Israël avant la guerre des Six jours) entre Israël et la Cisjordanie, la plupart des terroristes provenant des camps de réfugiés de cette partie des territoires occupés, notamment du camp de réfugiés de Jenin. Mais ce mur dont plusieurs tronçons empiètent sur le territoire palestinien, a pour conséquence politique de figer la situation, ce qui rend encore plus malaisé le « processus de paix ». Ce mur est d’ailleurs déclaré illégal par les instances des Nations Unies.

 

Le mur de séparation longe la ligne verte et empiète aussi sur le territoire palestinien.

Le mur de séparation longe la ligne verte et empiète aussi sur le territoire palestinien.

 

Pendant ce temps-là, l’influence religieuse s’étend sur l’ensemble d’Israël, émanant des colonies et aussi de certains quartiers de Jérusalem où des pratiques discriminatoires, notamment à l’égard des femmes, se multiplient sans que le gouvernement ne réagisse.

 

Et cela continue.

 

Lors des accords de Camp David entre Menahem Begin et Anouar El Sadate , l’Etat hébreu a fini par accepter de restituer le Sinaï à l’Egypte, à l’exception de Gaza.

 

Ce n’est qu’en 2005, au terme de bien des péripéties, qu’Ariel Sharon, le reître d’Israël, l’homme du km 101 en Egypte, l’homme de l’offensive au Liban en 1982 qui s’est soldée par le massacre de Sabra et de Chatila, devenu Premier ministre, décidera d’évacuer Gaza, au risque de se faire passer pour un « traître » auprès de ses plus chauds partisans.

L’objectif n’était cependant pas d’accorder une réelle autonomie à Gaza, mais de mieux contrôler ce petit territoire de l’extérieur.

 

L’année 2005 fut cruciale à Gaza. Déjà en septembre 2004, Ariel Sharon avait émis la volonté d’un retrait unilatéral des Israéliens de Gaza. Durant toute l’année 2005, des élections municipales eurent lieu dans la « bande » et consacrèrent une nette victoire au Hamas. Les Israéliens ont évacué les dernières colonies de la bande Gaza et la police et l’armée. Après le retrait, le Hamas obtient un large succès aux élections législatives de 2006 (76 sièges sur les 132 que compte le Conseil national palestinien). Cela ne fait évidemment qu’accroître la tension avec Israël qui a fait du Hamas son principal adversaire.

 

Voici comment l’historien israélien Shlomo Sand analyse le Hamas : « Le Hamas n'est pas une armée, c'est un mouvement de résistance terroriste qui agit comme tous ceux qui l'ont précédé, Viêt-Cong ou FLN. C'est justement parce que nos dirigeants savaient cela qu'ils avaient le devoir de privilégier la diplomatie, pour ne pas commettre ce massacre de civils. Nous avons fait la preuve que nous n'avons aucune retenue morale, pas plus que la France en 1957 en Algérie qui a détruit des villages entiers. » Plus loin, il ajoute : « Le Hamas, ce mouvement bête, pas diplomate, avait proposé une « oudna », une trêve de longue durée à Gaza et en Cisjordanie. Israël a refusé parce qu'il veut continuer de tuer les militants du Hamas en Cisjordanie, soit une quinzaine en octobre-novembre après des mois de calme. Israël a donc eu sa part de responsabilité dans la reprise des tirs de roquettes. Au lieu de renforcer le courant modéré du Hamas, Israël pousse les Palestiniens au désespoir. Nous avons ghettoïsé une population entière et refusons de lui accorder sa souveraineté depuis quarante-deux ans. Comme je suis indulgent envers Israël, je dirai seulement depuis vingt ans, 1988, date à laquelle Arafat et l'Autorité palestinienne ont reconnu l'Etat d'Israël, sans rien avoir gagné en échange.

 

Qu'on comprenne bien : je n'accepte pas les positions du Hamas et surtout pas son idéologie religieuse, parce que je suis un homme laïc, démocrate, et assez modéré. Comme Israélien et comme être humain, je n'aime pas les roquettes. Mais comme Israélien et historien, je n'oublie pas que ceux qui les lancent sont les enfants et petits-enfants de ceux qui ont été chassés de Jaffa et d'Ashkelon en 1948. Ce peuple de réfugiés, moi, Shlomo Sand, je vis sur la terre qui était la sienne. Je ne dis pas que je peux leur rendre cette terre. Mais que chaque offre de paix doit partir de ce constat. Quiconque oublie cela n'arrivera jamais à offrir une paix juste aux Palestiniens. »

 

Shlomo Sand est un historien israélien qui sort des sentiers battus et qui ne met pas sa langue dans sa poche !

Shlomo Sand est un historien israélien qui sort des sentiers battus et qui ne met pas sa langue dans sa poche !

 

Le gouvernement israélien finit par décréter le blocus de Gaza en 2007. C’est une nouvelle source de tensions majeures ! Ce blocus est déclaré illégal par les Nations Unies. Peu importe, les Israéliens empêchent par la force toute tentative de le forcer.

 

Gaza est devenu une prison à ciel ouvert. Ces atteintes permanentes au droit international provoquées par les gouvernements successifs de l’Etat hébreu finirent par provoquer une vague d’indignation dans l’opinion publique mondiale. Ainsi, Stéphane Hessel cria sa colère : « opinion qui reflétait « que les pays qui devraient défendre le droit international ne font pas respecter, pour la Palestine, les droits imprescriptibles figurant dans les textes internationaux. Nous agissons au nom du droit de chaque individu de faire pression sur les instances internationales afin de mettre en œuvre les mesures pour faire appliquer la paix mais aussi les sanctions envers ceux qui ne respectent pas le droit et violent les prescriptions des Nations unies. Nous ne pouvons laisser impunis ceux qui violent ces droits. »

 

A Londres, le 20 novembre 2010, il insistait aussi sur le fait que « chacun d’entre nous utilise son énergie pour aller là où il y a de l’espoir, notamment en soutenant le BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), reconnu comme légitime au plan international et qu’aucun gouvernement ne devrait considérer comme une quelconque discrimination ». (Gabrielle Lefèvre dans « Erasme, reviens, ils sont devenus fous ! » - Mediapart – 4 août 2014).

 

Stéphane Hessel a toujours mis le droit international, porteur des valeurs des Lumières, au-dessus de toute autre considération.

Stéphane Hessel a toujours mis le droit international, porteur des valeurs des Lumières, au-dessus de toute autre considération.

 

Les factions juives les plus extrémistes n’ont d’ailleurs pas hésité à traiter Stéphane Hessel d’antisémite...

 

Le refus de deux Etats

 

On peut raisonnablement penser que la dernière offensive israélienne était motivée par la décision palestinienne de former un gouvernement d’union nationale palestinien composé de toutes les fractions politiques, y compris le Hamas en réponse à l’échec des négociations « de paix ».

 

Cela a provoqué une violente réaction du gouvernement israélien qui craint, par ce biais, la constitution d’un Etat palestinien qui serait reconnu par de nombreuses nations. Et c’est cela qui est à l’origine de « Bordure protectrice ».

 

Je me refuse à m’inscrire dans la logique binaire du « bon » Palestinien et du « mauvais » Israélien – ou l’inverse – ni dans celle qui considère que le Hamas n’est qu’un ramassis de terroristes et que Tsahal n’est qu’une bande de génocidaires. Cependant, il faut se plier à la réalité : Israël est une puissance militaire. Les Palestiniens vivent enfermés à Gaza comme en Cisjordanie dans le sous-développement et la politique actuelle d’Israël ne leur donne aucune porte de sortie.

 

Israël, fait colonial ?

 

Une question essentielle se pose depuis longtemps. Dans le désormais célèbre numéro spécial des « Temps modernes » la revue de Jean-Paul Sartre, paru en juin 1967, Maxime Rodinson, le sociologue juif communiste et antisioniste critique, posait la question : Israël, fait colonial ? Il apporta à cette question une réponse basée sur la méthode marxiste. Oui, Israël tel qu’il a été fondé, est un phénomène colonial.

 

Cependant, on passe sous silence un élément essentiel évoqué par Rodinson suite aux persécutions des Juifs en Europe orientale : « Face à la situation humiliante qui leur était faite, certains Juifs choisissaient la lutte politique (…) D’autres étaient poussés à une lutte semblable, mais par l’intermédiaire d’un regroupement entre Juifs comme les Bundistes (les membres du Bund). D’autres enfin, rejetant tout lien avec le peuple, le pays et l’Etat où ils se trouvaient intégrés, plaçaient leur espoir dans une autre patrie, une patrie purement juive. La localisation de cette patrie était en elle-même assez indifférente pour beaucoup. » Pour beaucoup d’entre eux, la Palestine ne les attirait pas beaucoup. Ils songeaient plutôt à l’Amérique.

 

La tradition juive était là. Les origines du peuple juif se trouvent en Palestine. Aussi, ce n’est qu’en cette terre qu’il trouvera la rédemption. Et c’est le courant religieux traditionaliste qui l’a emporté. Et la déclaration de Balfour ne fit que l’encourager.

 

La population arabe qui se trouvait en Palestine sortait à peine du joug ottoman. Les terres appartenaient soit à des Turcs soit à des notables syriens qui avaient fui la Palestine. Aussi, seuls les paysans arabes locaux parvenaient peu ou prou à la faire fructifier. L’arrivée des Juifs a tout bouleversé, bien qu’on puisse affirmer qu’ils n’ont jamais spolié les propriétaires auxquels ils achetèrent les domaines agricoles. Mais, ceux qu’on appellera les Palestiniens étaient désormais au second rang. Tout cela s’appelle du colonialisme.

 

Israël légitime ?

 

Alors qu’après les accords de Camp David, une relative détente avait vu le jour, grâce, notamment, à la reconnaissance de l’Etat d’Israël par plusieurs Etats arabes, la pierre d’achoppement restait toujours le sort des Palestiniens. Aujourd’hui, dans l’opinion publique arabe et même celle de plusieurs pays du Tiers-monde, la question de la légitimité même d’Israël se pose.

 

Voici le raisonnement de Sharmine Narwani, universitaire arabe et blogueuse « Huffington Post » détestée de la droite israélienne : « Il n’y a pas de « conflit israélo-palestinien » - qui laisserait entendre une sorte d’égalité dans la puissance, la souffrance et les éléments concrets négociables. Mais il n’y a pas la moindre symétrie dans cette équation. Israël est l’occupant et l’oppresseur. Les Palestiniens sont occupés et opprimés. Qu’y a-t-il à négocier ? Israël détient toutes les cartes. Ils peuvent rendre des terres, des biens, des droits, mais même cela est une absurdité – car qu’en est-il du reste ? Pourquoi ne pas rendre toutes les terres, tous les biens et tous les droits ? Pourquoi auraient-ils le droit de garder quoi que ce soit – en quoi l’appropriation des terres et des biens avant 1948 est-elle fondamentalement différente de l’appropriation des terres et des biens après cette date arbitraire de 1967 ?

 

En quoi les colonialistes d’avant 1948 sont-ils différents de ceux qui ont colonisé et se sont installés après 1967 ? »

 

Shamine Narwani n'est pas à proprement parler une "amie" d'Israël !

Shamine Narwani n'est pas à proprement parler une "amie" d'Israël !

Que dire ? En effet, il n’y a pas égalité dans ce conflit entre Israël et les Palestiniens. En effet, les Palestiniens sont occupés et opprimés. Ce qui fait dire à Michèle Sibony, professeur de lettres à Paris, originaire d’une famille juive marocaine et membre de l’UFJP (Union des Français Juifs pour la Paix) que « Bordure Protectrice » est une opération coloniale.

Michèle Sibony, vice-présidente de l'Union Française des Juifs pour la Paix milite inlassablement pour la justice.

Michèle Sibony, vice-présidente de l'Union Française des Juifs pour la Paix milite inlassablement pour la justice.

 

Néanmoins, il convient de faire preuve de réalisme. Israël est un Etat reconnu par les Nations Unies depuis 1948. Certes, il bafoue le droit international. Certes, il ne tient nul compte des enjeux internationaux. Certes, il se trouve isolé dans le Proche Orient. Mais peut-on envisager sa dissolution pour faire place à une sorte d’entité judéo-arabe, comme le souhaitent quelques-uns ? C’est absurde. Israël est une réalité politique forte. D’ailleurs, la propagande israélienne de l’Etat menacé dans son existence est aussi absurde : Israël dispose de l’armée la plus puissante du Proche Orient et nul n’est à même de lui porter sérieusement atteinte. Israël ne vivra en paix que s’il accepte de traiter d’égal à égal avec les Palestiniens.

 

Israël dans la stratégie des néoconservateurs : l’étrange alliance

 

L’Etat d’Israël est considéré par le puissant courant néoconservateur occidental comme la « pointe avancée de l’occident dans le monde arabo-musulman » et surtout comme un élément clé dans la stratégie de construction du « grand » Moyen Orient qui consiste à « balkaniser » l’ensemble du monde musulman pour avoir le contrôle des ressources pétrolières et gazières.

 

Ainsi, on se trouve devant le paradoxe d’un « occident » soutenant Israël, mais aussi l’Arabie saoudite et les Emirats pétroliers qui, eux, appuient les guérillas islamistes sunnites en Syrie et en Irak. Par contre, l’ennemi est l’Islam chiite de Syrie et d’Iran, lui, appuyé par la Russie. Netanyahou s’était déclaré prêt à attaquer l’Iran soupçonné de fabriquer l’arme nucléaire.

 

On le voit, cette étrange alliance ne fait qu’entretenir une guerre permanente au Moyen Orient où il n’y aura sans doute ni vainqueurs, ni vaincus.

 

Et maintenant ?

 

Officiellement, le gouvernement israélien prétend avoir atteint ses objectifs : neutraliser les tunnels du Hamas vers Israël. La veille, Netanyahou annonçait que l’offensive durerait longtemps… Alors, que penser ?

 

La pression internationale a sans doute – pour combien de temps – calmé le gouvernement de Netanyahou. Un cessez le feu a été décrété au terme de brèves négociations au Caire et les troupes terrestres israéliennes se sont retirées de la zone de Gaza.

 

Le retrait unilatéral des troupes israéliennes a fait l'objet d'une propagande bien orchestrée.

Le retrait unilatéral des troupes israéliennes a fait l'objet d'une propagande bien orchestrée.

 

Et maintenant ? Si le cessez-le-feu persiste, que deviendra Gaza dont une grande partie est détruite ? Quelles leçons à tirer de cette catastrophe ?

 

Comme le rappelle le géostratège Michel Goya dans « Le Monde » du 6 août : « La nouveauté de cette opération est le niveau de pertes de Tsahal qui, avec 64 soldats tués, représente quatre fois le total des trois opérations précédentes. (…) Le rapport des pertes avait été de 60-70 combattants du Hamas tués pour un soldat israélien. Il est actuellement environ dix fois inférieur. » Selon l’auteur, le Hamas s’est adapté face à un adversaire ne variant pas ses modes d’action, « a su contourner la barrière de sécurité par un réseau de tunnels d’attaque et par l’emploi de missiles antichars ou de fusils de tireurs d’élite capables d’envoyer des projectiles directs précis jusqu’à plusieurs kilomètres. » Et l’auteur de conclure : « A long terme, il reste à savoir combien de temps cette guerre sisyphéenne sera tenable. En 2002, une étude avait conclu que 30 % des Palestiniens entre 6 et 11 ans ne rêvaient pas de devenir médecin ou ingénieur mais de tuer des Israéliens en étant kamikaze. Douze ans plus tard, ces dizaines de milliers d’enfants sont adultes et rien n’a été fait pour les faire changer d’avis. »

 

C’est une terrible menace et si les dirigeants israéliens n’ont pas l’intelligence de procéder à un changement fondamental, le sang coulera à nouveau.

 

En outre, si après « Bordure protectrice » (pour autant que ce soit fini !), c’est le statu quo, si le blocus est maintenu, la reconstruction de Gaza sera impossible. Ce sera à nouveau un terrible foyer de tensions.

 

Sur le terrain, le Hamas est malgré tout affaibli. Mais les autres factions palestiniennes ont participé aux négociations et profitent de la faiblesse du Hamas. Selon Omar Shaban, le directeur du centre d’études « Palthink », un think-tank palestinien, cité par « Libération » du 6 août : le retrait unilatéral de Tsahal sans négociations « serait la catastrophe absolue. Gaza est à terre. Des dizaines de milliers de familles n’ont plus de maison. Si la guerre s’arrête sans que le siège ne soit levé, cela va dégénérer, il y aura des affrontements. Il y en a déjà entre habitants et officiels à propos de l’approvisionnement en eau. Un retrait sans négociations serait dangereux pour le Hamas mais ce serait aussi dramatique pour Gaza. »

Le Hamas devra, s'il veut survivre, s'atteler sérieusement à la reconstruction de Gaza. Une chance pour Mahmmoud Abbas et le Fatah ? Si Israël ne sabote pas tout cela...

Le Hamas devra, s'il veut survivre, s'atteler sérieusement à la reconstruction de Gaza. Une chance pour Mahmmoud Abbas et le Fatah ? Si Israël ne sabote pas tout cela...

Déjà, les « faucons » israéliens sont réticents à entamer des négociations, même avec Habbas, le président de l’Autorité palestinienne qui se montre être l’interlocuteur le plus adéquat. Les plus modérés les acceptent, mais sans le Hamas.

 

Pourtant, la seule solution serait de lever le blocus de Gaza, de permettre la libre circulation des personnes et des marchandises, notamment des denrées alimentaires, des médicaments et des matériaux de construction ; de permettre une zone de pêche de 15 km et de garantir un accès à la Cisjordanie.

 

La droite israélienne fossoyeuse d’Israël

 

Rien n’est moins sûr évidemment. La droite israélienne au pouvoir depuis une dizaine d’années a profondément transformé Israël. L’écrivain israélien David Grossman fait un constat amer : « Pour Israël, habitué aux déceptions, désormais, l’espoir (si tant est que quiconque évoque ce mot) est toujours hésitant, un rien honteux, s’excusant par avance. Le découragement, en revanche, est résolu, péremptoire, comme s’il s’exprimait au nom d’une loi naturelle, ou un postulat affirmant qu’entre ces deux peuples la paix ne s’établira jamais et que la guerre entre eux procède d’un décret divin. Aux yeux du découragement, quiconque espère encore, qui croit encore en la possibilité de la paix, est – au mieux – un naïf ou un esprit chimérique prisonnier de ses fantasmes et, au pire, un traître qui sape la capacité de résistance d’Israël en ce sens qu’il l’incite à se laisser séduire par ses rêveries.

 

En ce sens, la droite israélienne a gagné. La droite, dont c’est la vision du monde – et certainement au cours des dernières décennies -, a réussi à l’inculquer à la majorité des Israéliens. En outre, la droite n’a pas seulement vaincu la gauche. Elle a vaincu Israël. Et pas seulement parce que cette vision du monde pessimiste conduit l’Etat d’Israël à la paralysie dans le domaine le plus vital pour lui, domaine où sont exigées audace, souplesse et créativité, la droite a vaincu Israël en cela qu’elle a défait ce que, jadis, on pouvait encore appeler l’«esprit israélien» : cette étincelle, qui était capable de nous engendrer de nouveau, cet esprit du «malgré tout», le courage. Et l’espoir.

L'écrivain-poète israélien David Grossman exprime son dépit et son espoir.

L'écrivain-poète israélien David Grossman exprime son dépit et son espoir.

 

Et le grand historien Zeev Sternhell ajoute : « La droite israélienne est porteuse d'un désastre sans nom qui est en train de s'abattre sur nous, mais elle n'est pas bête. Elle sait aujourd'hui exactement ce qu'elle veut. Elle veut conquérir la Cisjordanie, elle veut l'annexer sans le dire tout en l'annexant. Elle veut que les Palestiniens acceptent de leur propre chef leur infériorité face à la puissance israélienne.

 

La droite israélienne procède aujourd'hui de deux manières. À l'intérieur d'Israël, elle prépare une série de lois, notamment celle qui définit Israël comme un Etat juif. C'est-à-dire qu'on dit aux Palestiniens, aux Arabes israéliens, citoyens israéliens qui ont la même carte d'identité que moi, qui sont 20% de la population, qu'Israël est un État juif, c'est-à-dire qu'il n'est pas le leur. Ils vivent à l'intérieur de l'État juif, mais ils doivent accepter le fait que cet État est à nous, et pas à eux. C'est ce qui se fait à l'ouest de la ligne verte.

 

Dans les territoires occupés, il y a deux populations, dont 350.000 juifs. Ça crée une situation que certains aujourd'hui considèrent déjà comme irréversible. Moi, j'essaie de croire qu'elle est encore réversible. Mais, au fond de moi, je sais que la situation est désespérante et désespérée.

 

Moi qui ai participé en tant que soldat à de nombreuses campagnes militaires de 1956 à 1983, de la guerre des Six Jours à celle du Kippour puis celle du Liban, puis ai été l'un des fondateurs du mouvement «la Paix Maintenant», que les rêves sionistes de ma jeunesse me semblent aujourd'hui abîmés ! Même si je reste attaché à l'idée qu'on peut changer le monde par la raison. C'est l'idée mère des Lumières françaises. »

 

 

Zeev Sternhell, un des grands historiens contemporains

Zeev Sternhell, un des grands historiens contemporains

 

Ces deux constats augurent d’un avenir sombre. Mais, si on baisse les bras, si on refuse de croire en la raison et au droit, autant se cacher !

 

La leçon de Jean Jaurès

 

Les dirigeants de Jérusalem n’arrivent pas à tirer les leçons de l’histoire. Les plaies laissées par « Plomb endurci » et « Bordure protectrice » auprès d’une population de près d’un million et demi d’habitants, ne se cicatriseront pas. Une nouvelle résistance verra le jour. Elle sera bien plus redoutable que la précédente et, comme l’écrit l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin dans le Figaro du 1er août : « L'État israélien se condamne à des opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante parce qu'elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à la souffrance, terrifiante parce qu'elle condamne Israël peu à peu à devenir un État ségrégationniste, militariste et autoritaire. »

 

Dominique de Villepin s'inscrit dans la ligne gaullienne.

Dominique de Villepin s'inscrit dans la ligne gaullienne.

 

Etait-ce la volonté des fondateurs de l’Etat d’Israël ? Non, le projet sioniste, libérateur au départ, ne peut avoir engendré un tel monstre. Quelques intellectuels, quelques dirigeants civils comme militaires et même des chefs d’entreprises en sont conscients. Et même plusieurs religieux le pensent aussi. Eux seuls peuvent infléchir les choses. Notre devoir est de les aider.

Jean Jaurès avait vu juste dès 1908. La pensée des Lumières permet de voir clair...

Jean Jaurès avait vu juste dès 1908. La pensée des Lumières permet de voir clair...

 

En 1908, Jean Jaurès prononçait un discours sur la question de l’Islam : « Vous savez bien que ce monde musulman prend conscience de son unité et de sa dignité. Deux mouvements, deux tendances inverses se le disputent : il y a les fanatiques qui veulent en finir par la crainte, le fer et le feu avec la civilisation européenne et chrétienne, et il y a les hommes modernes, les hommes nouveaux… Il y a toute une élite qui dit : l’Islam ne se sauvera qu’en se renouvelant qu’en interprétant son vieux livre religieux selon un esprit nouveau de liberté, de fraternité, de paix. C’est l’heure où ce mouvement se dessine que vous offrez aux fanatiques de l’Islam le prétexte, l’occasion de dire : « Comment se réconcilier avec cette Europe brutale ? Voilà la France, la France de justice et de liberté qui n’a contre le Maroc d’autre geste que les obus, les canons, les fusils. »

 

Remplacez dans ce discours « France » par « Israël » et « le Maroc » par « Gaza ».

 

Pierre Verhas

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3 août 2014 7 03 /08 /août /2014 17:34

Analyser la question du Proche Orient nécessite un développement plus important qu’un simple article. Aussi, cette prise de position sur cette question aussi complexe que dramatique est présentée ici en deux parties La première part des origines du conflit jusqu’à la naissance de l’Etat d’Israël.. Le deuxième volet, plus consacré aux événements actuels sera publié demain sur Uranopole.

 

I – L’engrenage infernal

 

Comme celui d’Hiroshima, le nom de Gaza sonnera dans l’esprit des occidentaux comme une plaie jamais cicatrisée.

Les bombardements incessants frappent sans distinctions bien des habitations, des écoles, des hôpitaux, c'est-à-dire les civils et toutes les infrastructures de Gaza.

Les bombardements incessants frappent sans distinctions bien des habitations, des écoles, des hôpitaux, c'est-à-dire les civils et toutes les infrastructures de Gaza.

Comme Hiroshima, Gaza est détruite, brûlée, écrasée. Chaque habitant, homme, femme, enfant, vieillard, est à la merci du hasard des bombes et obus qui pleuvent inexorablement et sans interruption sur leurs têtes. Nul endroit, en dehors de dérisoires abris, n’est protecteur.

Un enfant erre dans les ruines de son quartier.

Un enfant erre dans les ruines de son quartier.

Comme Hiroshima, Gaza subit la sanction totale voulue par ses ennemis. On dirait qu’il n’y aura de paix qu’au terme de l’écrasement intégral.

Que restera-t-il de Gaza et de sa population après "Bordure protectrice" ?

Que restera-t-il de Gaza et de sa population après "Bordure protectrice" ?

Gaza n'a jamais été une ville comme une autre. Alain Gresh (1) écrit dans la dernière livraison du "Monde diplomatique" : « Dès l’Antiquité, Gaza fut au carrefour des routes commerciales entre l’Europe et l’Asie, entre le Proche-Orient et l’Afrique. La ville et le territoire se sont donc trouvés au cœur des rivalités entre les puissances de l’époque, de l’Egypte pharaonique à l’Empire byzantin en passant par Rome. C’est là, en 634 de notre ère, que se produit la première victoire avérée sur l’Empire byzantin des adeptes d’une religion encore inconnue, l’islam, dont le prophète, Mohammed, s’était éteint deux ans auparavant. Gaza restera sous autorité musulmane jusqu’à la première guerre mondiale, avec quelques intermèdes plus ou moins longs : royaumes francs ; invasion mongole ; expédition de Bonaparte. (…) Porte de la Palestine, il sera conquis sur l’Empire ottoman par le général britannique Edmund Allenby le 9 novembre 1917, lui ouvrant l’accès à Jérusalem, où il entre le 11 décembre. »

 

L’engrenage infernal

 

La suite constitue un engrenage infernal. Arthur James Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, adressa le 2 novembre 1917 après la victoire d’Allenby à Beer-Shev’a (actuel chef lieu du désert du Néguev israélien) une lettre à Lord Lionel Walter Rotschild, alors considéré comme le représentant de la communauté juive britannique, par laquelle il annonce : « le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Et il le prie de porter connaissance de cette déclaration à la Fédération sioniste.

 

De son côté, le colonel Thomas Edward Lawrence (mieux connu sous le nom de « Lawrence d’Arabie ») avait promis aux Arabes la constitution d’un Etat libre et indépendant. Ce fut l’Emirat hachémite de Transjordanie qui exista jusqu’en 1946 et qui était en réalité sous contrôle britannique.

Rencontre en 1917 à Jérusalem avec une délégation juivre britannique. De gauche à croite, TE Lawrence, le roi Abdallah Ier de Transjordanie, Sir Geoffrey Salmond, commandant de Jérusalem, Sir Herber Samuel pour la délégation juive

Rencontre en 1917 à Jérusalem avec une délégation juivre britannique. De gauche à croite, TE Lawrence, le roi Abdallah Ier de Transjordanie, Sir Geoffrey Salmond, commandant de Jérusalem, Sir Herber Samuel pour la délégation juive

Cependant, l’immigration juive qui s’en suivit ne fut pas acceptée aisément. Mais, il n’y avait pas seulement cela. Le projet sioniste consistait à construire un Etat-nation juif. D’ailleurs, l’ouvrage manifeste du fondateur du sionisme, Théodore Herzl, s’intitule : « L’Etat juif ». Pour un peuple qui a erré plusieurs siècles à travers les nations, réaliser ce projet n’était pas évident.

 

« Les sionistes partaient de la conviction qu’Israël ne pouvait renaître en tant que nation que s’ils construisaient une structure semblable à celle des autres nations, sur une large base d’agriculteurs et de travailleurs manuels. Pour se normaliser, il fallait que les Juifs renversent la pyramide sociale du ghetto, où ils avaient été condamnés durant des siècles à l’existence parasite d’usuriers, de marchands et d’intermédiaires. La Terre promise ne serait vraiment leur que s’ils en travaillaient le sol de leur propre main. » écrit Arthur Koestler dans L’Analyse d’un miracle.

 

Certes le projet sioniste qui a vu ses premières réalisations élaborées sous l’influence du mouvement de gauche sioniste le Bund était libérateur et progressiste. Son aboutissement fut la fondation de villes comme Tel Aviv et bien entendu le mouvement des kibboutzim, coopératives de fermes collectives où s’élaborait une société socialiste.

 

Cependant, le mouvement sioniste fut déchiré en 1923, cinq ans après Balfour, en deux tendances. Vladimir Jabotinsky, juif russe né à Odessa en 1880 prônait un sionisme conquérant. Il fonda l’Union mondiale des sionistes conquérants dont le siège était à Paris. Son programme était un Etat juif sur les deux rives du Jourdain correspondant au territoire de la Palestine sous mandat britannique, une économie libérale et s’il défendait la démocratie formelle, Jabotinsky tout en gardant ses distances avec le fascisme mussolinien, n’était pas hostile à un système autoritaire. Son mouvement aboutira à l’organisation terroristes Irgoun qui est à l’origine du Likhoud actuel de Netanyahou.

Vladimir Jabotinsky, l'ancêtre du fanatisme réactionnaire en Israël

Vladimir Jabotinsky, l'ancêtre du fanatisme réactionnaire en Israël

L'autre branche était constituée de l’aile gauche sioniste et était dirigée par David Ben Gourion, Grün de son patronyme, juif d’origine russe né à Plonsk (à l’époque russe, aujourd’hui polonaise) en 1886. Il s’installa en Palestine alors ottomane en 1906. Il prôna la coopération avec la Turquie jusqu’en 1915 après la déclaration de guerre de la Russie à la Turquie. Il se tourne alors vers les Anglais et s’engage en 1917 dans une unité juive de l’armée britannique connue sous le nom de « Légion juive ».

David Ben Gourion, le chef de la gauche sioniste et le père fondateur de l'Etat d'Israël

David Ben Gourion, le chef de la gauche sioniste et le père fondateur de l'Etat d'Israël

En 1921, Ben Gourion est élu secrétaire général de la Histadrout (Association générale des travailleurs de Eretz Israël, le syndicat socialiste juif). Il privilégie cependant le sionisme par rapport au projet d’une société socialiste.

 

Il tente en 1935, après être devenu chef du département politique de l’Agence juive, de se rapprocher du parti de Jabotinsky, mais c’est peine perdue. Ben Gourion ira même jusqu’à le traiter de « Vladimir Hitler » !

 

1935 : début de la guerre israélo – arabe

 

C’est cette année-là que les Arabes de Palestine se révoltent contre le mandat britannique avec comme revendication la fin du « foyer national juif » en Palestine. Sous l’impulsion de Ben Gourion, la milice juive de défense, la Haganah, se développa et devint une force redoutable.

 

En effet, de 1918 à 1948, au cours de l'Alya (le nom hébreu pour désigner l’immigration des Juifs vers Israël), la population juive en Palestine passe de 83 000 personnes à 650 000. La croissance est certes due à une forte natalité, mais surtout à une importante immigration suite à la montée des fascismes en Europe, ainsi qu'à la montée de l’antisémitisme en Europe centrale et orientale dès les années 1920.

 

Cet antisémitisme culminera avec la Shoah. Pendant cette période, l'Agence juive favorise l'immigration juive par tous les moyens. Dès la seconde moitié des années 1930, après les restrictions sur les certificats d'immigration délivrés par les Britanniques, elle organise l'immigration clandestine.

 

Durant la même période, la conscience nationale palestinienne se développe et la population arabe de Palestine s'oppose violemment au sionisme, à l'immigration juive et au mandat britannique. Un des motifs est l'acquisition des terres arables par les Juifs. En effet les sionistes rachetaient systématiquement - au prix du marché - les terres agricoles aux Arabes palestiniens qui se sentaient ainsi floués et exclus.

 

La guerre est ainsi lancée et ne s’arrêtera plus.

 

En 1939, après 3 ans de révolte arabe et à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne choisit le camp arabe. Le troisième livre blanc sur la Palestine rédigé par Malcolm Mac Donald, ministre britannique des colonies, pour apaiser la révolte arabe, prône une diminution drastique de l’immigration juive (75.000 personnes sur cinq ans) et promet la création d'un État arabe indépendant dans les 10 ans.

 

Les forces sionistes aussi bien de l’Irgoun que de la Haganah se mobilisent contre le Livre blanc dès 1939. Les attentats contre l’armée britannique seront suspendus dès septembre 1939, à la déclaration de guerre avec l’Allemagne, mais reprendront à l’initiative de l’Irgoun dès 1941.

 

À partir de 1945, la situation devint impossible pour les Britanniques. Les attentats se multipliaient. Ils ne parvenaient pas à empêcher efficacement l’immigration juive, massive après la Shoah. Diplomatiquement, la Grande Bretagne s’isolait. L’ONU mit fin au mandat britannique en 1947.

 

Déjà deux Etats

 

Un plan de partage est adopté par la résolution 181 de l’ONU qui avait pour but la création de deux Etats

 

. - un État juif de 14 000 km2 avec 558 000 Juifs et 405 000 Arabes ; formé de trois parties, la plaine côtière, le long de la frontière syrienne et le désert du Neguev ;

 

. - un État arabe de 11 500 km2 avec 804 000 Arabes et 10 000 Juifs formé de quatre parties : une zone autour de la ville de Gaza, les montagnes de Judée et de Samarie, la majeure partie de la Galilée au Nord, ainsi que la ville de Jaffa ;

 

  - enfin, une zone sous régime international particulier comprenant les Lieux saints, Jérusalem et Bethléem avec 106 000 Arabes et 100 000 Juifs. Ce plan est accepté par les Juifs, à l’exception de l’Irgoun et aussi approuvé secrètement par le roi Abdallah de Transjordanie qui sera assassiné à Jérusalem, mais il sera rejeté par l’ensemble des Etats membres de la Ligue Arabe et les Palestiniens.

Plan de partage de la Palestine de 1947 adopté par l'ONU : Etat juif  (en vert pâle) - conquêtes israéliennnes de 1948 (vert foncé) - Etat arabe (en ocre)

Plan de partage de la Palestine de 1947 adopté par l'ONU : Etat juif (en vert pâle) - conquêtes israéliennnes de 1948 (vert foncé) - Etat arabe (en ocre)

Remarquons que jusqu’aux accords d’Oslo, il n’y eut aucune initiative diplomatique aboutissant à un partage et donc à une définition claire des frontières de l’Etat d’Israël.

 

Après l’échec du partage, la tension est donc à son paroxysme.

 

L’Etat d’Israël est proclamé le 14 mai 1948. Les Etats arabes lancent aussitôt une offensive combinée contre Israël qui, si elle fut meurtrière, échoua rapidement. Cette guerre mit fin au plan de partage. Grâce à leur victoire, les Israéliens ont agrandi leurs possessions par rapport au plan de partage, à l’exception de Jérusalem qui sera coupée en deux.

 

La nabka et la question de l’identité

 

Dans l’ensemble de la Palestine, les implantations juives se multipliaient obligeant ainsi les Arabes Palestiniens à s’exiler. Bien des témoignages ont été émis sur cette tragédie qui s’est parfois soldée par des massacres de populations dont celui de Deir Yassine par l’Irgoun.

 

Cet exil forcé que les Palestiniens ont appelé « nabka » (la catastrophe) a mis en évidence un élément fondamental. En créant un Etat juif, les Israéliens en excluaient par définition tous les éléments non juifs.

 

Et on en vient à la question primordiale de l’identité.

 

L’Etat d’Israël, comme Etat juif est un Etat accueillant les Juifs du monde entier auxquels, pour la première fois dans leur histoire, il leur était reconnu une nation, dans la conception de l’Etat-nation née au XIXe siècle. David Ben Gourion le proclama en ces termes le 14 mai 1948, dans une petite salle du musée de Tel Aviv : « Eretz Israël est le lieu où naquit le peuple juif. C’est là que se modela sa forme spirituelle, religieuse et politique. C’est là qu’il réalisa son indépendance. C’est là qu’il créa ses valeurs tant nationales qu’universelles et qu’il donna au monde le Livre des Livres Eternels. Exilé de Palestine, le peuple juif lui demeura fidèle tout au long de sa dispersion et il n’a cessé de prier pour son retour. »

 

Ensuite, il donna en quelques mots les principes constitutifs du futur Etat : paix, justice, liberté, notamment des cultes et de conscience, égalité sociale et politique sans distinction de race et de sexe, respect de la Charte des Nations Unies. Et David Ben Gourion termina par un appel à l’immigration juive pour la reconstruction et la « rédemption d’Israël ».

David Ben Gourion prononçant la fondation de l'Etat d'Israël sous le portrait de Théodore Herzl, le fondateur du sionisme.

David Ben Gourion prononçant la fondation de l'Etat d'Israël sous le portrait de Théodore Herzl, le fondateur du sionisme.

Michel Laval (2) écrit : « Phrase après phrase, le visage du futur Etat se dessine. Israël sera une démocratie, mais une démocratie « pas comme les autres » portant le double héritage de l’idéal politique européen moderne et de l’histoire du peuple juif, de la Déclaration des droits de l’homme et de l’Ancien Testament, des Lumières et du Talmud, de Montesquieu et de Moïse ».

 

De cet extraordinaire discours transparaissent deux éléments fondamentaux. Les valeurs juives dont chacun reconnaît l’élévation de pensée sont mises en parallèle avec les valeurs universelles ou communément admises par l’ensemble des démocraties et les Nations Unies qui forment le droit international. C’est évidemment la source d’un antagonisme : dans certaines circonstances, n’y a-t-il pas contradiction entre ces valeurs juives et les règles du droit international ? Israël – et c’est logique – mettra toujours en avant la judéité qui est sa raison d’être, souvent au détriment du droit des gens.

 

En outre, Ben Gourion met en exergue l’idée d’un Etat d’Israël exemplaire. Et s’il le fut incontestablement en bien des points, comme la hauteur morale exceptionnelle de ses dirigeants, une organisation démocratique très poussée, une éducation particulièrement soignée. Mais il restait la plaie des réfugiés qui ternissait cet idéal qui animait incontestablement les pionniers.

 

Malheureusement, le statut des Arabes restés en Israël en faisait des citoyens de seconde zone. Et puis, les choses se dégradèrent au gré des guerres successives, des crises sociales et politiques que cet Etat connut : la corruption a gangréné sa classe politique, la violence exercée à l’égard des populations arabes, voire même à l’égard de certaines catégories d’immigrés juifs, comme les Juifs éthiopiens ont terni cette réputation d’exemplarité.

 

Ainsi, tout était en place pour ce qui sera le plus long conflit de l’histoire contemporaine.

 

(fin de la première partie)

 

Pierre Verhas

 

(1) Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique, est d’autant plus sensible aux révolutions du monde arabe qu’il est lui-même né en 1948, au Caire. Fils naturel du militant communiste et internationaliste Henri Curiel, il a été élevé par un père adoptif copte et une mère d’origine russe. Très engagé dans le combat pour la libération de la Palestine, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le Proche-Orient et l’islam.

 

(2) Michel Laval,  l’homme sans concessions – Arthur Koestler et son siècle, Calmann-Lévy, 2005.

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31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 06:54
Une catastrophe humanitaire
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29 juillet 2014 2 29 /07 /juillet /2014 13:52

Lamentable !

 

Ce denier week-end, des individus n’ont rien trouvé de mieux que mutiler le buste représentant Salvador Allende inauguré il y a à peine un mois (le 26 juin) (voir « Uranopole », « Devoir d’histoire », le 30 juin 2014). Ses « lunettes » ont été arrachées…

 

« Œuvre » de fachos ou de vandales ? On ne saura sans doute jamais, bien que les auteurs aient été filmés par une caméra de surveillance.

 

La très intelligente opération "lunettes" de fachos ou de vandales en ribotte...

La très intelligente opération "lunettes" de fachos ou de vandales en ribotte...

 

Que dire ? Rager ou pleurer ? Cela ne sert à rien. En attendant, il va falloir réparer cette statue et la déplacer vers un lieu sûr pour en assurer la pérennité.

 

En attendant, la « mémoire » qu’on nous sert à toutes les sauces médiatiques est une fois de plus flétrie. Mais tout sera fait pour remettre les choses en place.

 

 

Le ping-pong gazaoui

 

 

Aujourd’hui plus d’un millier de morts – la plupart des civils dont des enfants – du côté Palestinien, une cinquantaine – la plupart des militaires – du côté israélien. C’est cette « disproportion » qui choque le plus les médias.

 

Le méchant Hamas contre le (moins) méchant gouvernement israélien. « Arrêtez les bombardements » dit-on aux Israéliens, « Arrêtez les roquettes » répondent les mêmes Israéliens… C’est le ping-pong. On n’en sort pas ! Le comble est que Netanyahou annonce lui-même, ce matin, que l’offensive israélienne sera longue.

 

Les bombes tombent sur Gaza, indifféremment sur les "terroristes" et sur les civils. Et c'est loin d'être fini !

Les bombes tombent sur Gaza, indifféremment sur les "terroristes" et sur les civils. Et c'est loin d'être fini !

 

La réalité – nous en parlerons dans un prochain article – est qu’Israël ne veut en aucun cas d’un Etat palestinien à ses côtés. Et le récent accord entre le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas est évidemment insupportable pour Israël. Cela pourrait signifier une force politique suffisante pour proclamer un Etat qui pourrait être reconnu par une grande partie des Etats membres des Nations Unies. Inacceptable pour l’Etat hébreu…

 

Alors, il fallait trouver un prétexte. L’enlèvement suivi de meurtre de trois adolescents israéliens a été le motif qui a déclenché la guerre que nous connaissons. Ce crime ne pouvait qu’être le fait du Hamas ! Or, il semble qu’il s’agisse d’un crime crapuleux qui n’implique en rien cette formation. Mais, l’engrenage était mis en route. Bombardements suivis en représailles de tirs de roquettes – ou l’inverse – incursion des chars de Tsahal dans la bande de Gaza, destructions, victimes civiles, etc.

 

Sur le plan international, Obama connaît avec cette affaire son pire échec diplomatique, malgré les efforts de son secrétaire d’Etat, John Kerry, pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu digne de ce nom. C’est très simple : la négociation n’est plus à l’ordre du jour.

 

Quant à l’Europe, elle montre encore sa faiblesse. Hollande s’est complètement démonétisé en prenant ouvertement le parti d’Israël. Les autres Etats européens se taisent dans toutes les langues.

 

La gauche radicale soutient les Palestiniens, donc le Hamas. Il y a là une ambigüité : comment – au nom de la lutte pour le peuple Palestinien – soutenir une formation ouvertement violente, même contre son peuple, et islamiste, donc tout à fait antidémocratique ? La gauche « modérée » est plutôt dans le camp israélien. Ambigüité là aussi ! Le gouvernement Netanyahou est de droite dure, composé en outre d’ultrareligieux et de fascistes notoires.

 

C’est Abbas qu’il faut soutenir ainsi que le mouvement de la paix qui est en train de renaître en Israël. Mais, pour ce faire, il faut avoir le courage d’analyser objectivement la situation sur le terrain.

 

 

« Kamikaze », « Suédoise », « Kaki » ou fascisme patronal ?

 

 

Le préaccord de gouvernement en Belgique après les élections du 25 mai voit une coalition des nationalistes flamands de la NV-A, avec les libéraux flamands de l’Open VLD – très néolibéraux – et les chrétiens flamands de l’aile droite du parti chrétien flamand, le CD&V – cela du côté flamand – et du côté francophone les libéraux du MR (mouvement réformateur) qui représentent le seul parti francophone au sein de cet éventuel gouvernement.

 

Le patronat belge se réjouit de cet accord et ne manque pas de le faire savoir !

 

Les résultats des élections du 25 mai sont clairs : les Socialistes ont perdu – peu, sans doute – mais ils ont perdu. Le grand gagnant est la NV-A (Niewe Vlaamse Alliantie – nouvelle alliance flamande) qui compte en son sein des néo-nazis et qui prône une politique de droite dure, laissant soi-disant les revendications nationalistes sur le côté.

 

Guy Verhofstadt, grand ami de Daniel Cohn Bendit, qui s’est déshonoré en voulant faire adhérer la NV-A – qui a refusé – au groupe libéral du Parlement européen, est le « sage » de l’Open VLD qui est une formation ultralibérale fort proche des multinationales. Le commissaire européen Karel De Gucht qui négocie le Traité transatlantique, appartient à l’Open-VLD.

 

L’aile droite du CD&V domine avec son leader incontestablement charismatique, Kris Peeters, cette formation. Il reste l’inconnue de l’aile gauche qui reste malgré tout influente, mais qui a été affaiblie par le scandale de la banque Amro.

 

Les libéraux francophones s’inscrivent aussi dans une ligne de droite dure aussi bien sur le plan économique que sur les questions des libertés. Leur leader, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders, n’a cessé de faire des ronds de jambes lors de la coalition précédente avec les Socialistes, au chef de la NV-A, Bart De Wever. Ils auraient voulu entraîner les chrétiens francophones du CDH, mais ils ont refusé.

 

Cette photo ancienne dérange Bart De Wever qui n'hésitait pas à s'afficher avec Jean-Marie Le Pen lorsqu'il était un jeune leader nationaliste flamand.

Cette photo ancienne dérange Bart De Wever qui n'hésitait pas à s'afficher avec Jean-Marie Le Pen lorsqu'il était un jeune leader nationaliste flamand.

 

Ainsi, le MR se trouve seul face à la droite flamande pour négocier le programme gouvernemental. Déjà, des bruits persistants circulent annonçant de sérieuses mesures antisociales.

 

Deux leçons à tirer :

 

- Pour la première fois, la Belgique sera dirigée par un gouvernement dont la formation centrale est un parti nationaliste et proche du fascisme. Et cela ne gêne pas le patronat qui n’a aucun état d’âme à s’allier avec des gens de la sorte ;

 

- La stratégie du Parti socialiste est lamentable. Son leader Elio Di Rupo, Premier ministre sortant, a ouvertement lâché l’échelon fédéral belge pour diriger les régions wallonnes et bruxelloises et la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Mieux vaut être le chef de son village que second à Rome ! »

 

S’il n’y avait comme enjeu, le sort des travailleurs, des allocataires sociaux et des laissés pour compte de ce pays, cela serait risible…

 

 

Pierre Verhas

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27 juillet 2014 7 27 /07 /juillet /2014 09:22

Le lanceur d’alerte américain poursuit sa campagne. Il vient de lancer via le Guardian du 17 juillet un avertissement sur un service de stockage de fichiers sur le « cloud ».

 

Le « cloud » désormais accessible à tout un chacun est un mécanisme de stockage de fichiers. En transférant un fichier sur le « cloud », il est enregistré dans des centres informatiques d’énorme capacité mais inconnus de l’utilisateur.

 

Désormais, les logiciels style « suite office » comprennent une fonction « cloud » afin de pouvoir y accéder.

 

Snowden dénonce le système de gestion du « cloud » qui est entre autres effectué par une société « Dropbox » dont une administrateur n’est autre que Condoleezza Rice, l’ancienne secrétaire d’Etat de Georges W Bush et qui sous-traite pour la NSA. Connue pour son peu de souci de la protection de la vie privée et des libertés fondamentales, Rice avait supervisé un programme intitulé StellarWind, qui consiste à intercepter les e-mails des résidents américains et qui a été mis au point quelques temps après le 11 septembre 2001.

 

Dès lors, on ne peut qu’observer que tout échange informatique, tout stockage de données en dehors de « son » disque dur représentent un danger. Alors, si vous voulez utiliser le « cloud », vous êtes averti !

 

La société ultralibérale qui prône l’individu fait tout pour l’encadrer, le surveiller et ainsi l’empêcher d’avoir son autonomie.

 

Et dire qu’il y a des gens qui votent pour cela !

 

Pierre Verhas

 

Condoleezza Rice, l'ancienne secrétaire d'Etat de George W Bush n'a toujours pas pris sa retraite !

Condoleezza Rice, l'ancienne secrétaire d'Etat de George W Bush n'a toujours pas pris sa retraite !

 

Dropbox : Edward Snowden en déconseille l’utilisation

 

Sécurité : Dans une interview donnée au Guardian, l’analyste Edward Snowden a fortement déconseillé l’utilisation du service Dropbox. L’ancien employé de la NSA émet de sérieux doutes quant à la politique de confidentialité du service de stockage américain.

Par Louis Adam | Vendredi 18 Juillet 2014

 

 

Pour Edward Snowden, le service proposé par Dropbox n’est pas en mesure de garantir la protection des données utilisateurs. Dans une interview donnée au Guardian, l'homme par qui le scandale de la NSA a été révélé a fortement déconseillé aux utilisateurs soucieux de leurs données personnelles d’utiliser ce service, faisant remarquer que Dropbox avait récemment nommé Condoleezza Rice à son conseil d’administration.

 

 

L’ancienne secrétaire des États Unis est, selon l’ancien sous-traitant de la NSA, la femme politique américaine la moins soucieuse des libertés civiles et de la vie privée. Il note ainsi que Condoleezza Rice avait supervisé la mise en place du programme Stellar Wind, un projet d’interception massive des emails de résidents américain ayant débuté peu de temps après les attentats du 11 septembre 2001.

 

 

Outre cette nomination, Snowden soutient que la grande majorité des sociétés proposant des services Cloud ne peut être digne de confiance : selon lui, ces entreprises devraient mettre en place des garanties pour leurs utilisateurs, en se coupant l'accès aux données mises en ligne sur le service par leur client. Le but : offrir un service capable de résister aux injonctions du gouvernement, afin de garantir la protection des données de l'utilisateur dans tous les cas de figure.

 

 

La paranoïa, une qualité inestimable

 

 

Dans les colonnes de Business Insider, le service se défend de telles accusations et assure que le respect de la vie privée de ses utilisateurs fait partie de ses priorités. Dropbox rappelle que son service n’a pas été impliqué par les révélations de l’ancien analyste de la NSA et que la société s’est engagée contre les programmes d’écoutes à grande échelle organisés par les gouvernements.

 

Alors qui croire ? L’analyste ex-espion de la NSA isolé en Russie ou la société américaine qui clame sa bonne foi ? Difficile de trancher, mais on doit reconnaitre que les précédentes révélations de Snowden se sont malheureusement vérifiées, ce qui pousse naturellement à lui accorder un certain crédit. Le lanceur d’alerte recommande l’utilisation d’un autre service proposant une solution sensiblement similaire à celle de Dropbox : SpiderOak, qui selon lui respecte mieux la vie privée de ses utilisateurs.

 

Rien n’arrête Dropbox

 

Pas sûr néanmoins que le cri d’alarme de Snowden cause beaucoup de tort à Dropbox. La société américaine continue sa progression et annonce aujourd’hui une mise à jour de son système de synchronisation des données. Dropbox permet aux utilisateurs de mettre en ligne des données sur leurs serveurs, puis de les télécharger directement ou de synchroniser l’ensemble d’un répertoire mis en ligne avec un répertoire en local. Le nouveau système en cours de déploiement permet de synchroniser plus rapidement les données entre différents terminaux, et ce même avant la fin de l’upload.

 

Outre cette mise à jour technique, Dropbox a également annoncé deux partenariats : l’un avec Rackspace et l’autre avec Deutsche Telekom. En multipliant les partenariats, Dropbox cherche à imposer son application parmi les outils préinstallés lors de l’achat d’un nouveau smartphone ou de l’utilisation d’un nouveau logiciel. Un enjeu majeur pour cet acteur, qui doit faire face à l’arrivée d’un grand nombre de concurrents sur un marché où il a su s’imposer très tôt.

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17 juillet 2014 4 17 /07 /juillet /2014 22:46

« La vraie mesure d’un individu ne tient pas tellement aux convictions qu’il met en avant, mais à ce qu’il est prêt à faire pour les défendre. » déclara Edward Snowden à Hong Kong où il s’était réfugié, au journaliste Glenn Greenwald qu’il avait contacté pour lui révéler la plus énorme affaire d’espionnage qui n’ait jamais existé.

Edward Snowden, ancien agent secret US, révéla au monde via le journaliste Glenn Greenwald les méthodes d'espionnage mondial de la NSA.

Edward Snowden, ancien agent secret US, révéla au monde via le journaliste Glenn Greenwald les méthodes d'espionnage mondial de la NSA.

 

Glenn Greenwald est un journaliste « hors normes ».Etatsunien, il est né le 6 mars 1967. Il a d’abord travaillé comme avocat spécialisé en droit constitutionnel et droit civil avant de devenir contributeur (chroniqueur et blogueur) pour Salon.com, où il s'est concentré sur des sujets politiques et juridiques. Il a également travaillé pour plusieurs journaux et magazines d'actualité politique, comme le New York Times, le Los Angeles Times, The American Conservative, The National Interest, et In These Times. Observons que Greenwald travaillait aussi bien pour des journaux conservateurs que « libéraux » dans le sens américain du terme.

C'est grâce au courage de Glenn Greenwald que le Guardian publia les révélations d'Edward Snowden.

C'est grâce au courage de Glenn Greenwald que le Guardian publia les révélations d'Edward Snowden.

 

Il raconte dans le passionnant ouvrage intitulé « No Place to Hide » traduit en français « Nulle part où se cacher » (éd. Jean-Claude Lattès, Paris, 2014, ISBN 978-2-7096-4615-4) les péripéties du reportage par ailleurs involontaire au départ qui a changé son destin. La deuxième partie est consacrée au système de collectes de données de la NSA et aux informations que Snowden a données.

 

Première page de couverture de la traduction française de l'ouvrage de Glenn Greenwald

Première page de couverture de la traduction française de l'ouvrage de Glenn Greenwald

 

En dépit des superlatifs dont l’auteur use pour qualifier les révélations de Snowden, l’intérêt de cet ouvrage est non seulement la description du système de fonctionnement de surveillance électronique de la NSA, mais aussi celle du traitement de l’information par la presse de grande diffusion.

 

« Branche militaire du Pentagone, la NSA est la plus grande agence de renseignement au monde. Elle mène la majorité de son travail de surveillance dans le cadre de l’alliance Five Eyes. »

 

L’alliance Five Eyes est une catégorie de classification d’informations qui ne peuvent être communiquées qu’aux cinq pays du monde anglo-saxon : Grande Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et, bien sûr, Etats-Unis.

 

Le constat de Greenwald après les révélations qu’Edward Snowden lui a faites, est terrifiant. Ce système de surveillance est sans doute la machine de renseignements la plus redoutable mise au point par l’homme.

 

Tout collecter.

 

Tout d’abord, il en montre l’objectif : la surveillance globale. Il faut « tout collecter »

 

« L'agence avait à sa tête le général quatre étoiles Keith B. Alexander, qui en dirigeait les opérations depuis neuf ans. Durant son mandat, il en avait élargi le périmètre et renforcé l'influence avec une remarquable agressivité.(…) La devise personnelle d'Alexander – « tout collecter » – traduit parfaitement l'objectif central de la NSA. Il commença par mettre cette philosophie en pratique en 2005 en Irak, où il organisa la collecte des signaux de renseignement (…).

 

Le général Keith B Alexander, le patron de la NSA de 2005 à 2014 qui mit au point le système PRISM.

Le général Keith B Alexander, le patron de la NSA de 2005 à 2014 qui mit au point le système PRISM.

 

Loin d'être un trait d'esprit superficiel, le mot d'ordre du « tout collecter »définit les aspirations de la NSA, et c'est un objectif que l'agence est de plus en plus près d'atteindre. La quantité d'appels téléphoniques, d'e-mails, de chats en ligne, d'activités sur le Net et de métadonnées téléphoniques qu'elle collecte en une journée est vertigineuse. En fait, fréquemment, comme le note un document de 2012, la NSA « collecte bien plus de contenu qu'il n'en faut généralement aux analystes ». A la mi-2012, l'agence traitait plus de 20 milliards de communications (tant téléphoniques que sur Internet) par jour, provenant de toute la planète (…).

 

Et c’est bien entendu le 11 septembre qui servit de prétexte à développer ce système de surveillance à une telle échelle.

 

L'ère de l'après 11-Septembre vit une énorme explosion des ressources consacrées à la surveillance (…). Alors que l'échelle et l'ambition de l'industrie de la surveillance n'ont cessé de grandir, il en est allé de même du profil de l'adversaire présumé. Dressant la liste des diverses menaces auxquelles les Etats-Unis sont censés être confrontés, la NSA – dans un document intitulé « Agence nationale de sécurité : présentation des grandes lignes » – inclut quelques termes prévisibles – « hackers », « éléments criminels » et « terroristes ». Toutefois, cette liste est bien plus large, puisqu'elle inclut parmi ces menaces une liste de technologies, et notamment Internet en tant que tel (…).

 

Le drame du 11 septembre 2001 servit de prétexte à de considérables abus qui portèrent atteinte aux libertés et à la vie privée non seulement des citoyens américains, mais aussi des citoyens dans le monde entier.

Le drame du 11 septembre 2001 servit de prétexte à de considérables abus qui portèrent atteinte aux libertés et à la vie privée non seulement des citoyens américains, mais aussi des citoyens dans le monde entier.

 

Ainsi, toute initiative individuelle devient potentiellement criminelle et doit donc faire l’objet de surveillance. C’est la présomption de culpabilité !

 

En fin de compte, au-delà des manipulations diplomatiques et des avantages économiques et industriels, un système d'espionnage omniprésent permet aux Etats-Unis de maintenir leur emprise sur le monde. Quand les Etats-Unis sont en mesure de savoir ce que chacun fait, dit, pense et projette de faire – leurs citoyens, leurs populations étrangères, leurs grandes entreprises internationales et les chefs d'autres gouvernements –, leur pouvoir en est maximisé. »

 

La vie privée, cela ne sert qu’aux gens qui ont quelque chose à cacher, disent les zélateurs de la surveillance. Quand la présidente de la Commission du renseignement au Sénat, Dianne Feinstein, affirmait avec insistance que la collecte de métadonnées par la NSA ne constitue pas une surveillance – parce qu'elle n'inclut le contenu d'aucune communication –, des contradicteurs protestèrent et exigèrent qu'elle traduise ces paroles en actes : la sénatrice voudrait-elle bien publier tous les mois la liste des gens auxquels elle avait envoyé des e-mails ou auxquels elle avait téléphoné, avec la durée de la conversation et leur localisation physique au moment de l'appel ? Il était inconcevable qu'elle accède à cette demande : les rendre publiques constituerait une véritable atteinte à sa vie privée. Et pourtant, c’est ce que « récolte » la NSA qu’elle défend avec tant d’ardeur.

 

L’emprise sur le monde

 

« Prises dans leur intégralité les archives de Snowden conduisaient à une réalité fort simple : le gouvernement américain s’était bâti un système qui s’était fixé pour tout objectif, à l’échelle planétaire, de toute vie privée électronique. » Or, on sait que tous les moyens de communication actuels sont électroniques !

 

Greenwald démontre : « Le Web constitue l'épicentre de notre monde, l'endroit où l'on fait tout, ou presque. C'est là qu'on se crée des amis, là qu'on choisit ses livres et ses films, où s'organise le militantisme politique, où se créent et se stockent les données les plus privées. C'est là que nous développons et exprimons le fond de notre personnalité et notre conscience individuelle.

 

Transformer ce réseau en un système de surveillance de masse comporte des implications sans équivalent dans tous les programmes de surveillance étatique mis en œuvre à d'autres époques. Jusqu'à présent, les systèmes d'espionnage étaient nécessairement plus limités et il était plus facile d'y échapper. Permettre à cette surveillance de s'enraciner dans Internet reviendrait à soumettre pratiquement toutes les formes de relations humaines, toutes les formes de projet, jusqu'à la pensée proprement dite, à l'examen détaillé de l'Etat.

 

C'est ce qui rend les révélations de Snowden si sidérantes et d'une importance si capitale. En osant révéler les capacités de surveillance stupéfiantes de la NSA et ses ambitions encore plus atterrantes, il a clairement démontré que nous nous trouvons à un moment historique.

 

C’est sans doute la première fois dans l’histoire qu’une nation tient à elle seule un dispositif à même d’avoir non seulement une emprise sur le monde, mais aussi sur tous les individus peuplant la Terre. Jamais un tel pouvoir n’a été concentré entre si peu de mains.

 

En outre, Greenwald a posé la question suivante à Snowden. Dès sa prise de fonctions, Barack Obama promit de s'écarter des abus en matière de sécurité nationale que justifiait la guerre contre le terrorisme, pourquoi n’a-t-il pas agi à ce moment-là ? L’ancien agent de la NSA lui répondit :

 

« Mais, ensuite, il est devenu clair (…) qu'Obama ne se contentait pas de perpétuer ces abus, mais que dans bien des cas il en élargissait le champ. Je me suis alors rendu compte que je ne devais pas attendre qu'un dirigeant règle ces questions. Exercer le pouvoir, cela consiste à agir le premier et à servir de modèle aux autres, pas à attendre qu'ils agissent à votre place. »

Barack Obama a choisi de soutenir les services secrets.

Barack Obama a choisi de soutenir les services secrets.

On peut poser le problème autrement : Obama avait-il le pouvoir de changer les choses en la matière ? Non et sans doute s’en aperçut-il dès qu’il se retrouva à la Maison Blanche. Et, sans doute, l’usure du pouvoir aidant, il se montra particulièrement sévère à l’égard des « lanceurs d’alertes » qu’il avait prétendu admirer pendant sa première campagne électorale.

 

Où on retrouve l’Etat profond.

 

En effet, ce que Greenwald ne dit pas : qui sont les personnes ou les groupes de personnes qui exploitent cette immense banque de données ? Et pour quoi faire ? Et là, il faut une fois de plus se rapporter aux deux ouvrages de Peter Dale Scott qui ont été évoqués ici à plusieurs reprises sur Uranopole : La route vers le désordre mondial et La machine de guerre américaine.

 

L'ancien diplomate et universitaire canadien Peter Dale Scott a démonté le système de l'Etat profond.

L'ancien diplomate et universitaire canadien Peter Dale Scott a démonté le système de l'Etat profond.

 

Scott distingue l’Etat légal et l’Etat profond. L’Etat légal est constitué du gouvernement, du Sénat, du Congrès, de la Cour suprême et de tous les organes juridictionnels instaurés aux Etats-Unis. L’Etat profond, ce sont les services secrets qui prennent de plus en plus d’importance et qui sont en cheville avec les grandes sociétés multinationales, mais aussi qui couvrent de gigantesques opérations illégales dans le domaine du trafic de stupéfiants qui ont pour objet d’assurer le financement de coûteuses opérations destinées à assurer leur pouvoir.

 

L’Etat profond a ainsi monté les opérations d’intox qui ont mené à l’implication des USA dans la guerre au Vietnam en simulant une fausse attaque de bateaux de guerre américains dans le golfe du Tonkin. Un autre exemple : le mensonge des « armes de destruction massive » en Irak est aussi un acte de l’Etat profond qui a échoué, car il fallait le rendre public pour justifier l’offensive étatsunienne en Irak. L’Etat profond et l’Etat légal ne se mélangent pas ! Il n’empêche que la guerre a été déclenchée avec les conséquences que l’on connaît.

 

Peter Dale Scott développe le concept de « Parapolitique » comme grille d'analyse des opérations clandestines, du trafic de drogue international, des assassinats de certaines personnalités politiques (comme Kennedy ou Orlando Letelier) ainsi que des événements ayant précipité ou facilité les interventions militaires des États-Unis. Il définit la Parapolitique comme « un système ou une pratique de la politique où la transparence est consciemment atténuée. Plus généralement, elle désigne les activités politiques clandestines, la conduite des affaires publiques non pas par le débat rationnel et la prise de décision responsable mais par les diversions, les collusions et le mensonge. »

 

L'utilisation politique d'agences ou de para-structures insuffisamment contrôlées, comme les agences de renseignements est systématique. La doctrine Nixon représentait une application de la Parapolitique à une échelle jamais observée jusqu'alors. Scott a ensuite fait évoluer la Parapolitique vers ce qu'il appelle la « Politique profonde » (Deep politics), qu'il définit comme « l’ensemble des pratiques et des dispositions politiques, intentionnelles ou non, qui sont habituellement critiquées ou passées sous silence dans le discours public plus qu’elles ne sont reconnues. »

 

Si on analyse l’organisation, le travail, le comportement de la NSA, on se trouve en effet dans un cas de « politique profonde ». Si Snowden n’avait pas révélé la réalité du travail de renseignements de la NSA, il se serait poursuivi comme il a été conçu : dans la clandestinité.

 

Le journalisme obséquieux

 

L’espionnage et le journalisme – pourtant tous deux destinés à collecter et à diffuser des informations – ne font pas bon ménage !

 

En effet, Greenwald rencontra bien des difficultés à faire publier les révélations de Snowden par le Guardian, pourtant considéré comme un organe de presse les plus indépendants du monde anglo-saxon, montrant ainsi combien la liberté de la presse tant chantée par la propagande officielle est dérisoire. Quel organe de presse choisir pour que ces révélations soient diffusées dans le monde entier ? Les grands journaux américains comme le New-York Times ou le Washington Post ?

 

Le siège du Washington Post jusqu'en 2013

Le siège du Washington Post jusqu'en 2013

 

Il n’en était pas question ! Snowden savait que le New-York Times et le Washington Post avaient différé la diffusion d’informations inquiétantes à la demande du gouvernement US.

 

Pour Greenwald, le Washington Post est le « » la machine médiatique qui gravite autour des cercles du pouvoir. » Il révèle une chose ahurissante : « Le Washington Post respecte scrupuleusement les règles protectrices non écrites régissant la manière dont les médias de l’establishment rendent compte de secrets gouvernementaux. Selon ces règles, qui permettent au pouvoir exécutif de contrôler les révélations et d’en minimiser ou même d’en neutraliser l’impact, la hiérarchie des rédactions commencera par soumettre ce qu’elle compte publier à l’aval des responsables situés au plus haut niveau de l’Etat. » Il est loin le temps du Watergate !

 

Les dirigeants des services secrets déterminent les informations qu’ils estiment pouvoir porter atteinte à la sécurité nationale. Greenwald donne l’exemple du Washington Post – encore lui ! – qui révéla l’existence des « sites noirs », ces prisons de la CIA situées dans plusieurs pays où elle fait torturer les prisonniers qualifiés de « terroristes ». Mais le nom de ces pays n’est pas divulgué, ce qui revient à perpétuer cette abomination en toute impunité.

 

D’ailleurs, Greenwald observe que tous ces médias de l’establishment manifestent un grand respect à l’égard du gouvernement et sont très nuancés dans leurs critiques. C’est ce qu’il appelle « le journalisme obséquieux ».

 

En outre, il affirme que les fuites alimentent les grands organes de presse étatsuniens comme le Washington Post sont savamment orchestrées par les services du gouvernement US. Les informations classifiées ne sont diffusées par les journalistes que dans la mesure où elles ne gênent pas le gouvernement. Ce sont ses agents qui les apportent complaisamment aux journalistes des quotidiens de l’establishment pour qu’ils les diffusent comme étant des « scoops », tentant ainsi de préserver leur aura d’organes de presse « indépendants » ou dits de « référence ».

 

Les réticences du Guardian

 

Glenn Greenwald avec sa consœur Laura Poitras qui avaient rencontré Edward Snowden ensemble, décidèrent de publier ses révélations et ses documents au journal britannique réputé pour son indépendance, le Guardian, pour lequel, d’ailleurs, ils travaillaient.

 

Mais il y eut tout de suite un blocage. Les rédacteurs en chef du Guardian avaient préalablement consulté des avocats qui leur ont signalé que la publication de documents classifiés pouvait constituer une infraction à l’Espionnage Act de 1917 ! Il y avait, selon ces juristes, risque de poursuites pénales, non seulement à l’égard de Snowden, mais aussi à l’encontre des journalistes responsables de la publication !

 

Ce fut alors un chassé-croisé entre Hong Kong, New York et Londres. Les responsables du Guardian tergiversaient. Greenwald a envisagé de faire publier ses articles entre autres par The Nation, le journal new yorkais de gauche. Il a monté un site web où il aurait mis en ligne lesdits articles. Snowden approuvait, tout en faisant remarquer que c’était risqué.

 

Furieux, Greenwald déclara carrément à ses chefs : « Le gouvernement ne devrait jamais être le partenaire éditorial des journaux et collaborer au choix de ce qui doit être publié. » En passant, il fustige aussi l’attitude de ses confrères américains qui se montrent parfois plus patriotes que le gouvernement étatsunien !

 

Le quatrième pouvoir

 

« Quand Wikileaks avait entamé ses publications de documents classifiés relatifs à la guerre en Irak ou en Afghanistan, et en particulier les télégrammes diplomatiques, ce sont les journalistes américains qui avaient lancé des appels à des poursuites envers les acteurs de ces fuites, un comportement en soi stupéfiant. C’était le quatrième pouvoir, censé se consacrer à traduire la transparence dans les actions des puissants, qui non seulement dénonçait mais tentait de transformer en délit l’une des tentatives de transparence les plus importantes jamais lancée depuis des années. » On sait ce qu’il en est advenu !

 

Pour finir, le Guardian a publié les articles de Greenwald et de son côté, le Washington Post a diffusé des informations sur le fameux programme PRISM de la NSA.

 

Observons que la plupart des recensions du livre de Greenwald ne font pas état de ces difficultés.

 

Il n'y a donc pas de réel quatrième pouvoir, ses principaux piliers étant soumis au premier des pouvoirs. En outre - Greenwald n'en parle pas - les grands groupes financiers sont désormais propriétaires des plus grands organes de presse.

 

Il reste cependant Internet et la blogosphère. Chaque blog représente un samizdat dans la toile mondiale et nulle NSA ne pourra empêcher leur développement. En dépit de nombreuses tentatives de placer Internet sous contrôle, il reste le moyen de communications libres par excellence. Et c’est sans doute de là que viendra l’espoir. Rappelons-nous le rôle majeur des réseaux sociaux dans la révolution tunisienne.

 

Mais, ne rêvons pas. Aucune loi, aucune disposition normative nationale ou supranationale ne pourront mettre à mal cet état de surveillance. Depuis Internet qui permet d’échanger et de communiquer instantanément dans le monde entier, la vie privée n’existe plus.

 

Discréditer l’ennemi.

 

Assange, Manning et Snowden sont décrits comme des personnes déséquilibrées. En ce qui concerne ce dernier, Greenwald est convaincu que c’est inexact. Au contraire, Edward Snowden fait preuve d’un calme et d’une lucidité hors du commun. Jamais il ne s’exalte. Il reste toujours froid et déterminé. Ce qui fait écrire à Greenwald : « Attribuer la dissidence à des troubles de la personnalité n’est pas une invention américaine. »

 

Mais elle est bien utilisée par les sbires de l’Etat profond.

 

L’auteur ajoute : « En d’autres termes : il y a en somme deux choix : l’obéissance à l’autorité instituée ou la dissidence radicale. La première ne constitue un choix sain et valide que si la seconde est à la fois entachée de folie et d’illégitimité. »

 

Il faut sauver le lanceur d’alerte Snowden !

 

Le lanceur d’alerte a couru d’énormes risques. Il a fini par se réfugier à Moscou où Poutine lui a accordé un asile provisoire. Mais sa situation est loin d’être réglée. Plusieurs pays lui accordent l’asile politique, dont l’Equateur, mais y parviendra-t-il ? On se souvient du rocambolesque détournement à Vienne de l’avion, en provenance de Moscou, du Président bolivien, Evo Morales, qui était soupçonné par les Français de transporter Edward Snowden. Hollande a montré là qu’il est un chef d’Etat « obséquieux » à l’égard de « l’allié » US.

 

Sir Tim Berners Lee veut que l'on protège Edward Snowden.

Sir Tim Berners Lee veut que l'on protège Edward Snowden.

 

Snowden a bénéficié d’un soutien moral de poids, celui de Sir Tim Berners Lee, l’inventeur du Web (avec le Belge Robert Caillau). Il a déclaré en octobre de l’année dernière, à l’occasion du congrès « Abu Dhabi Media Summit » : « Clairement, nous avons tous besoin de protéger notre vie privée quand nous sommes sur le net, même s’il faut aussi équilibrer ce besoin avec celui de notre protection en tant que citoyen. Mais les services secrets américains sont allés bien trop loin, en oubliant que les citoyens ont aussi des droits. Il faudrait que, sauf circonstances absolument exceptionnelles, les utilisateurs d’internet aient le droit de communiquer, sans qu’un organisme puisse intercepter leurs communications. »

 

Il ajouta concernant Snowden et les lanceurs d’alertes : « Quand nous avons affaire à un lanceur d’alerte, qui a d’abord tenté de changer les choses de l’intérieur et qui pense agir dans l’intérêt de tous les humains, qui agit de façon responsable, qui fait attention dans les documents qu’il communique à la presse, qui tente de faire le moins de mal possible et de respecter un équilibre, alors je crois qu’il faut lui fournir une protection parce que nous ne pouvons faire aucune confiance aveugle à aucun système établi. Nous devons protéger les lanceurs d’alerte. »

 

Sa situation est cependant précaire. A Moscou, son permis de séjour expire fin août. Une pétition a circulé en France pour qu’elle accorde l’asile à Snowden Elle est intitulée : «François Hollande, accordez l'asile politique à Edward Snowden», la pétition a reçu le soutien de plus de 165.000 signataires, parmi lesquels figurent Daniel Cohn Bendit, Pierre Bergé, Luc Ferry, Jack Lang, Bernard Kouchner, Edgar Morin, Alain Touraine ou encore Michel Rocard. «Les révélations d'Edward Snowden ont montré que les collectes massives d'informations par la NSA, concernant des citoyens du monde entier, dépassaient le cadre de la lutte nécessaire contre le terrorisme ou contre les autres risques géopolitiques», écrivent les initiateurs.

 

Pour Christian Paul, un des députés socialistes « frondeur », le combat de Snowden soulève « la façon dont on doit encadrer et contrôler l'activité de surveillance des États sur les réseaux numériques ». Selon lui, le groupe peut « mobiliser quelques dizaines de parlementaires ». La socialiste Laurence Dumont, l'une des vice-présidentes de l'Assemblée nationale, compte interpeller l'exécutif sur le sujet lors de prochaines questions au gouvernement.

 

Mais, elle a peu de chances d’aboutir, Manuel Valls a déjà déclaré qu’il n’approuverait pas l’éventuelle demande d’asile du lanceur d’alerte. Le contraire eût été étonnant.

 

En attendant, si on veut être concret. Il faut trouver tous les moyens pour sauver le lanceur d’alerte Snowden. Une mobilisation est urgente et indispensable.

 

Pierre Verhas

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