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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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19 mai 2025 1 19 /05 /mai /2025 20:38

 

 

Un lecteur du blog « Uranopole » et par ailleurs ami m’a récemment reproché : « une obsession anti israélienne que tu dois introduire dans tous les articles que tu écris que ce soit pertinent ou pas. »

 

Je lui rétorque : face aux événements épouvantables à Gaza, il est en effet difficile de ne pas être obsédé. Non pas contre Israël, mais effaré par ces massacres permanents qui ne sont justifiés officiellement par le gouvernement de Netanyahu que comme la réponse indispensable à l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 du Hamas. S’il est évident que l’offensive du Hamas fut sanglante avec en outre la prise d’otages, sont sans conteste des crimes contre l’humanité,  l’ampleur de la riposte israélienne, les représailles de Tsahal par le bombardement d’habitations, d’écoles, d’hôpitaux suivie par le déplacement forcé des populations palestiniennes dans cette enclave que Stéphane Hessel avait appelé, il y a quelques années : « une prison à ciel ouvert », constituent aussi des crimes contre l’humanité au regard du même droit international. Cela, d’autant plus que ce n’est pas la première fois que l’armée israélienne effectue des bombardements massifs sur l’enclave de Gaza.

 

 

 

Gaza, antique cité orientale, n'est plus que ruines et désolations.

Gaza, antique cité orientale, n'est plus que ruines et désolations.

 

 

Depuis longtemps, les représailles israéliennes contre les attaques palestiniennes sont disproportionnées, mais cette fois-ci, on assiste à une véritable entreprise d’extermination et de destruction destinée à éliminer ou à expulser la population palestinienne de la bande de Gaza. L’élément nouveau, si l’on peut dire, est la récente déclaration de Netanyahu sans doute inspirée par Trump où il menace ouvertement la population de Gaza d’extermination si elle n’évacue pas l’enclave au plus vite ! Plus de deux millions de personnes ! Et pendant ce temps, les Palestiniens de Cisjordanie subissent des attaques systématiques de la part des colons israéliens fanatiques et messianiques avec la complicité de l’armée d’occupation. Ils formeront sans doute la deuxième « vague », si rien ne change.

 

C’est le réveil du fameux rêve du « Grand Israël » qu’on croyait être enterré depuis les accords d’Oslo de 1993. C’est la plus épouvantable tragédie humaine depuis la Shoah et le génocide rwandais de 1994 !

 

Comment en est-on arrivé là après tant d’efforts internationaux pas toujours sincères pour que ce ne soit « plus jamais ça » ?

 

 

Antisionisme - antisémitisme

 

 

« Antisionisme égale antisémitisme ! » prétendent les défenseurs de cette politique de conquête de l’Etat d’Israël qui a atteint le paroxysme de l’agressivité à l’égard de ses voisins arabes et des Palestiniens lors de la Nakba en 1947-48 et dans les territoires occupés depuis 1967, sans compter la volonté d’annexer ces zones conquises lors de la guerre dite des Six jours. Toute critique même modérée de cette guerre est considérée par la propagande israélienne et de certaines associations juives aux Etats-Unis et en Europe comme des manifestations d’antisémitisme qu’il faut poursuivre au nom de la loi. Saluons au passage le courage de quelques associations comme à Bruxelles, l’Union des Juifs Progressistes de Belgique et à Paris l’Union Juive Française pour la Paix sans compter plusieurs personnalités appartenant à ce qu’on appelle la communauté juive.

 

 

 

La Nakba ne s'est jamais arrêtée depuis 1948.

La Nakba ne s'est jamais arrêtée depuis 1948.

 

 

 

Comment comprendre cette tragique évolution de l’entreprise sioniste née à la fin du XIXe siècle en Europe et aussi au Moyen-Orient qui est, qu’on le veuille ou non, une entreprise coloniale. Lors de la naissance du Sionisme à la fin du XIXe siècle, en Europe, le concept national et le colonialisme comme instruments de libération des peuples et de mission civilisatrice étaient à la mode. Le Sionisme en plus de l’idée de retour à la terre d’origine du peuple juif était basé sur ces deux idées : la constitution d’un Etat nation et la colonisation et le développement de la Palestine comme terre juive. Cependant, la pensée sioniste ne se préoccupa guère des Arabes qui habitaient ces territoires depuis des siècles. Le but était de donner un Etat nation aux Juifs qui cherchaient à se protéger des persécutions et massacres dont ils étaient victimes, particulièrement dans le monde slave et une partie du monde arabe, sans compter les exactions dans l’Europe catholique au Moyen-âge et à la Renaissance et qui pouvaient reprendre à n’importe quel moment.

 

 

C’est au travers de lettres et de compte-rendu de conversations datant des débuts de l’entreprise sioniste qui n’est autre que la colonisation de la Palestine par les Juifs persécutés en Europe et aussi dans le monde musulman que l’on peut comprendre toute l’ambigüité du Sionisme né pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Ces lettres sont extraites d’un ouvrage récent : Renée Neher – Bernheim, La déclaration Balfour, 1917 : création d’un foyer national juif en Palestine, Paris, Les Belles Lettres, 2025. La conversation émane du livre biographique d’Anne Vanesse : Sophia Poznanska, Bruxelles, éditions Cimmarron, 2024.

 

Le premier document est l’appel lancé par Joseph Vitkin, un pionnier juif russe, à la jeunesse juive en Russie par l’intermédiaire de Menahem Ussiskin.

 

« Voici les points dont il faut prendre conscience : quelle que soit la longueur de notre route, dût-elle exiger le sacrifice de générations entières, dût-elle engloutir des victimes innombrables -, il nous faut marcher sur cette route sans jeter un regard en arrière. Il nous faut prendre conscience du fait que nos vaisseaux sont déjà brûlés, que nous n’avons aucun refuge, nulle part dans le monde !

 

Il nous faut lutter comme des désespérés, comme des ours privés de leurs petits ! L’ensemble effroyable de nos souffrances, de nos protestations, de nos gémissements, tout ce qui étouffe dans nos gorges et que la peur de l’ennemi nous empêche d’extérioriser, il faut à présent le sublimer dans le gigantesque travail que nous entreprenons pour le salut et la résurrection de notre peuple.

 

(…) Sachez qu’il vous incombe de ramener à la Terre l’attachement de ses enfants, à ses habitants le respect et l’amour (…) et tout cela vous ne pouvez le réaliser qu’en atteignant votre but. Toutefois, préparez-vous à la lutte ; il faudra lutter avec la nature, avec les maladies et la faim, avec les hommes qu’ils soient ennemis ou amis, étrangers ou frères, avec les adversaires du sionisme et avec ses partisans (...) Préparez-vous à affronter la haine et la brutalité de votre entourage qui reconnaîtra en vous une concurrence dangereuse ; préparez-vous à affronter les sarcasmes et les railleries, le désespoir qui ronge la personne entière, l’âme et le corps ; préparez-vous à affronter les pièges dont certains sont dressés par vos propres amis et vos compagnons ; préparez-vous à affronter les risques les plus difficiles et les plus terribles – à affronter même la victoire ! Et votre victoire, ce sera la victoire du peuple tout entier. Beaucoup d’entre vous tomberont sans doute sur le champ de bataille, victimes des maladies, des épreuves de la faim et de l’épuisement, mais les survivants et ceux qui viendront après vous rempliront les vides dans les rangs. Et la guerre, cette guerre pacifique, se poursuivra jusqu’à la victoire. »

 

 

Colons juifs en Palestine vers 1880, à la première "alyah"

Colons juifs en Palestine vers 1880, à la première "alyah"

 

 

À la lecture de ce document, on sent une détermination inébranlable : il faudra consentir d’énormes sacrifices pour libérer le peuple juif, mais aussi mener une guerre, « une guerre pacifique ». Qu’est-ce à dire ? On détecte bien là, en plus de la détermination, une illusion ! L’oxymore « guerre pacifique » montre bien le danger de cette illusion. Pas un mot sur les Arabes. Le « peuple sans terre » comme disait Arthur Koestler ne s’installe pas sur « une terre sans peuple ». La Palestine est loin d’être non peuplée. Elle héberge des Arabes, des Druzes, des Arméniens, des Grecs et même de Juifs qui n’étaient pas issus des alyahs. C’est évidemment ici la source de ce conflit séculaire : beaucoup de Sionistes voulaient fonder un Etat-nation uniquement juif, ne tenant aucun compte des populations locales.

                                                     

L’appel de Vitkin eut un grand succès auprès des jeunes juifs russes et aussi d’Europe centrale, témoins et victimes des persécutions et pogroms au sein de l’empire russe et des pays slaves, sans compter l’antisémitisme qui se développait notamment en France avec l’affaire Dreyfus. Le Sionisme représentait en définitive le seul espoir comme le proclame Vitkin. Beaucoup de juifs russes et des pays slaves fuient vers les Etats-Unis, mais d’autres répondent à l’appel et s’embarquent pour la Palestine. L’un d’eux, le Polonais David Gruen, qui se fit appeler par après David Ben Gourion arrive en 1906 sur la « Terre des ancêtres » à l’âge de vingt ans.

 

 

 

David Ben Gourion en 1906n au centre tenant une grappe de raisins

David Ben Gourion en 1906n au centre tenant une grappe de raisins

 

 

Il écrivit une lettre décrivant son alyah et ses premiers moments comme pionnier juif en Palestine :

 

« Le voyage fut long et pénible ; nous dormions dans l’entrepont et il nous fallut deux semaines pour arriver à Jaffa, après des escales à Salonique, Smyrne, Alexandrette et Beyrouth.

 

Je passai la première comme manœuvre dans l’orangeraie de Petha Tikva, à deux heures et demie de marche de Jaffa. Mon ami Zenach avait eu raison. Il était difficile d’être embauché, même quand les patrons étaient juifs, enfants de pionniers, qui avaient hérité de la terre, mais non de l’esprit d’initiative de leurs parents. Ils préféraient embaucher des Arabes qui avaient l’habitude de travailler de leurs mains, qui s’accommodaient de salaires dérisoires et qui n’avaient pas « la tête tournée » par les absurdités socialistes comme ces jeunes Juifs de Russie.

 

Nous avons tous eu la malaria. J’ai souvent eu des crises graves, et les docteurs me conseillaient de retourner en Europe car je ne pouvais m’habituer au climat. Bien sûr, je ne les ai jamais écoutés… De plus, je n’oubliais pas ce couple qui avait refusé de partir de Hédéra (aujourd’hui, on écrit Hadera, petite ville israélienne côtière entre Netanya et Haïfa), malgré la mort de leurs trois enfants frappés de malaria. C’est grâce à de telles abnégations que Hédéra est aujourd’hui prospère. C’est grâce à des Juifs comme eux, et à leurs descendants qui ont continué leurs efforts, qu’un pays aride est devenu habitable et riche. Mais l’histoire de Hédéra et de tous ses premiers habitants est surtout poignante par le fait qu’ils étaient sur une terre désolée. Certains avaient quitté des maisons confortables de Russie pour vivre dans des cabanes et apprendre à gagner leur pain de leurs mains.

 

Je peux me rappeler quelques incidents datant de mes débuts en Palestine, et qui me font rire aujourd’hui quand j’y repense. J’ai autrefois travaillé dans un petit village non loin de Zikhron Yakov. Je passais la nuit dans une étable à vaches. Aujourd’hui encore l’odeur des souris et la puanteur du fumier me remonte aux narines. Mais j’étais tout de même content d’être en Eretz Israël (…)

 

Mon père apprit ma situation parce qu’il y avait tout le temps des gens qui faisaient la navette avec Plonsk (petite ville de Pologne non loin de Varsovie). Il fut mis au courant du fait que je mourais quasiment de faim, et il m’écrivit de rentrer à la maison. Je lui répondis en le priant de ne pas m’écrire de lettre pareille, parce qu’il n’était pas question que je rentre.

 

 

Quinze jours plus tard, il m’envoya un peu d’argent. Je le lui renvoyai en lui demandant de ne plus m’en adresser. Peut-être qu’aujourd’hui, j’aurais accepté cet argent, mais pas quand je mourais de faim. À l’époque de la seconde alyah, qu’est-ce que cela pouvait bien faire si on mourait de faim ? »

 

 

Là aussi, apparaît la volonté inébranlable de fonder une nation, encore une fois, sans tenir compte de ses habitants. « Eretz Israël » signifie la Terre de Canaan promise par Dieu aux Juifs dispersés, terre des ancêtres hébreux qui est la leur.

 

Voici une autre histoire racontée par Anne Vanesse sur une personnalité exceptionnelle : une juive polonaise nommée Sophia Poznanska.

 

 

 

La tragédie du sionisme (I)

 

 

Anne Vanesse décrit la jeunesse tourmentée de Sophia ou Zosha. La Première guerre mondiale où l’armée allemande envahit la Pologne dès le 1er août 1914, les risques de pillage de l’appartement familial, la fuite. Son premier amour, Fishek. Son adhésion au Hashomer Hatzaïr (mouvement de jeunesse juif préparant les jeunes Juifs à « l’alyah ») où se pratiquait une morale stricte par laquelle toute relation sexuelle était interdite. En 1924, Sophia se prépare à la « matura », l’examen de fin d’études secondaires, mais avec ses camarades, elle n’était pas intéressée par les matières classiques comme l’histoire polonaise, les mathématiques, les langues étrangères, car elle n’avait pas l’intention d’aller à l’université. Elle voulait avoir une formation pratique agricole pour aller travailler dans un kibboutz en Palestine et ainsi rejoindre son frère Olek. Elle se retrouva sur le terrain de camping du kibboutz à Afula, localité située au Nord entre Jénine et Nazareth. Afula était à l’origine un village arabe du nom de Al-Fuleh qui comptait plus de 500 habitants arabes dont la plupart ont été expulsés. Ses débuts furent très durs. Sophia devait casser des cailloux pour en faire du gravier afin de construire une route.

 

Sophia fut très vite déçue par le Ssionisme qu’elle avait imaginé comme un mouvement socialiste de libération et d’émancipation entre les ouvriers juifs et les ouvriers arabes. La réalité qu’elle rencontra était tout autre. Elle s’en ouvrit à son frère Olek dans une discussion rapportée par une amie de Sophia, Yehudit Kafri, qui marqua son destin.

 

« Les Arabes sont des gens tout comme nous ! »

Le vent fort transportait jusqu’à eux de la fumée imprégnée de l’odeur du bois d’olivier brûlant dans de lointains fours taboun, des aboiements de chiens, des voix de gens.

« Il y a des Arabes ici », répétait-elle. « De quel droit les avons-nous chassés de leurs terres et de leurs villages pour résoudre notre problème ? »

« Vous exagérez. Pas partout. Ils n’ont pas été chassés partout, Zocha. » rétorquait Olek. « Il y avait et il y a suffisamment de terres désertes et incultes ici, de marécages, de moustiques, d’épines, de scorpions et de serpents. Pas partout… »

Cheveux bouclés, au regard intelligent et inquiet qu’il avait dans les yeux, elle détourna les yeux et continua avec entêtement.

« Parlons d’Afula. Nous sommes ici, n’est-ce pas ? »

« Oui » dit-il mal à l’aise sachant ce qui allait se passer.

« Donc, ils ont acheté les 1 600 hectares de la vallée juste avant ton arrivée ici. »

« Oui »

« Et il y avait un village ici. Afula. Il n’était pas si petit. Il comptait 530 habitants. Des fermiers locataires, qui arrivaient à peine à vivre de cette terre, mais ils en vivaient ! Alors, qu’en est-il d’eux ? L’argent a été versé au propriétaire Sursuk, pas à eux. Ils leur ont donné une misérable compensation et ils ont été chassés. Il y a un mot pour cela, Olek : Dépossession ! C’est pour déposséder les Arabes que nous sommes venus en Eretz Israël ? C’est ça que ça veut dire « construire et être construit » ? » »

« Je suis opposé à la dépossession, et tu le sais, Zocha. Tu prends quelque-chose qui est si compliqué et complexe comme, peut-être, deux justices de poids égal, et tu les transformes en une simple question de soit-soit. Soit, eux ils ont raison, soit c’est nous. »

« C’est eux ou nous, Olek. C’est vraiment ce que c’est. »

Plus loin dans la conversation, Zocha pose la question.

« A quoi sert le progrès que nous apportons, si nous ne l’apportons à ceux qui ont été dépossédés, aux Arabes d’Afula ? Nous leur avons pris leur village, la maison dans laquelle ils vivaient depuis des générations. »

 

« Nous faisons une terrible erreur, Olek. Ils vont se venger de nous… »

 

Et puis, à un moment, Zocha pose la question du droit des Juifs et des Arabes sur cette terre.

« Donc, les Arabes n’ont pas le droit de vivre – de vivre comme des êtres humains ? Seulement nous que nous !

Olek : « D’où vient notre droit ?

« D’il y a deux mille, trois mille, ou quatre mille ans, d’abord. Et deuxièmement, de la déclaration Balfour. Et encore, plus que ces deux-là, c’est l’absence d’alternative. Parce que l’Europe est finie pour nous ! C’est fini, tu comprends ! »

 

Les extraits de cette conversation datant de 1925 résument l’implacable et interminable conflit, ainsi que le dilemme des Juifs sionistes qui déchire cette région depuis plus d’un siècle. Et puis, ces propos tenus il y a si longtemps sont toujours d’une brûlante actualité en ces temps où les Israéliens occupent Jérusalem Est, la Cisjordanie et le Golan depuis 1967 et surtout après les massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas de Gaza suivis par ceux des Palestiniens de Gaza qui a fait jusqu’à présent plus de 50 000 morts.

 

Sophia avait vu juste en prédisant la vengeance des Arabes et son frère Olek qui rétorque : « C’est eux ou nous ! » montre l’aveuglement meurtrier de certains Sionistes.

 

 

Et puis, cette idée d’un droit millénaire des Juifs sur la Terre « sainte » ou « promise » n’a aucun sens ! Comment peut-on revendiquer un « droit » deux ou trois mille ans après ? L’historien israélien Schlomo Sand remet d’ailleurs en question cette interprétation de la guerre entre les Hébreux et les Romains. Il considère que le « peuple juif » a été inventé par le Sionisme, il veut démontrer que la fameuse « Diaspora » n’a pas eu lieu. Les faits avérés sont la destruction du Temple par l’envahisseur romain qui a éliminé les habitants qui leur résistaient ainsi que leurs édifices et le massacre ou la mise en esclavage des résistants hébreux.

 

Une effroyable dérive

 

Venons-en à l’actualité. Le 7 octobre 2023 est une date majeure dans l’histoire de l’Etat d’Israël et du Sionisme. Elle marque une profonde mutation de l’histoire de cette région du monde perturbée depuis plus d’un siècle par tant de troubles. La récente analyse du professeur d’histoire des religions et de la laïcité de l’ULB, Jean-Philippe Schreiber diffusée sur le réseau social Facebook le 8 mai 2025 qu’il a intitulé « l’histoire d’une effroyable dérive » est révélatrice du désarroi des démocrates européens face à la transformation de l’Etat israélien depuis quelques années et spécialement depuis le 7 octobre 2023.

 

 

 

L'historien des religions et de la laïcité, Jean-Philippe Schreiber

L'historien des religions et de la laïcité, Jean-Philippe Schreiber

 

 

« C’est l’histoire d’une effroyable dérive. La dérive d’un pays, ou plutôt d’un gouvernement, qui s’enfonce dans un délire expansionniste, s’enfonce dans la matérialisation de son projet suprémaciste, et s’enfonce dans son entreprise de déshumanisation d’une population tout entière. Cette dérive, je l’imagine et l’espère, ne sera pas acceptée par une large partie des citoyens de ce pays, malgré le traumatisme du 7 octobre ~ des citoyens trompés par le mythe selon lequel ils auraient l’armée la plus morale au monde, un mythe entretenu pour renforcer la cohésion sociale et nourrir le déni de la réalité comme l’impunité des crimes commis.

 

Ce pays, c’est évidemment Israël. Il n’est plus possible aujourd’hui de contester ce que nous étions nombreux à dénoncer depuis longtemps : d’abord, que la priorité du gouvernement de droite et d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou n’est pas la libération des otages toujours détenus par le Hamas et qu’il a proprement sacrifiés à sa politique, mais bien la conquête du territoire de Gaza, l’expulsion programmée de sa population et l’arasage de ses infrastructures devenues inhabitables ; ensuite, que son intention est bien d’affamer la population de Gaza, de sans cesse la déplacer et de l’amener finalement à quitter un territoire qui sera détruit, littéralement détruit comme l’affirme le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich. En janvier dernier, deux historiens reconnus en Israël, professeurs à l’Université hébraïque de Jérusalem, Amos Goldberg et Daniel Blatman, titraient leur tribune dans « Haaretz » : « There’s No Auschwitz in Gaza, but it’s still Genocide ». Nous avons dû nous ranger progressivement à cette idée insensée que certains des dirigeants israéliens entretenaient en effet un objectif de nature génocidaire, ce dont témoignent ouvertement leurs déclarations.

 

La faillite morale que constate ces jours-ci la rabbine Delphine Horvilleur se décline en quelques mots, qui sanctionnent cette prise en otage de la démocratie israélienne au profit d’un projet messianique, fasciste et meurtrier : le nettoyage ethnique à Gaza, la famine comme arme de guerre, l’indifférence la plus totale à l’égard d’une population considérée comme ennemie et qui se voit proprement déshumanisée, ainsi que le mépris odieux des lois de la guerre. Cette faillite est tragique, et met en péril l’essence profonde de l’État juif.

 

Même l’écrivain David Grossman, figure éminente des lettres israéliennes, a peur pour la survie de son pays, miné par son actuel tropisme fasciste : « La violence est déjà si profondément ancrée dans la psyché israélienne, tant nationale que personnelle, que le pire pourrait encore éclater », a-t-il déclaré. 70 % des Israéliens, aujourd’hui, s’opposent à la poursuite de cette guerre, et des réservistes de plus en plus nombreux refusent de répondre à l’appel, alors qu’il est évident qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit et qu’en dix-huit mois d’opérations le Hamas n’a toujours pas été défait. Il est temps, plus que temps que tout soit mis en œuvre pour que cesse l’effrayante éradication de Gaza ~ pour le bien des Palestiniens, évidemment, mais pour le bien d’Israël aussi. »

 

 

Terminons par la déclaration du Sénateur du Vermont, le démocrate indépendant, juif polonais d’origine, se réclamant du Socialisme et ancien candidat à la présidence des Etats-Unis, très populaire chez les jeunes et dans la classe ouvrière étatsunienne.

 

 

 

Le Sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders est le seul à dénoncer ouvertement les crimes de Netanyahu. Mais, est-il si seul ?

Le Sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders est le seul à dénoncer ouvertement les crimes de Netanyahu. Mais, est-il si seul ?

 

 

Non, M. Netanyahu, ce n'est ni antisémite ni pro-Hamas de signaler qu'en un peu plus de six mois votre gouvernement extrémiste a tué 34 000 Palestiniens et en a blessé 77 000, dont 70 % sont des femmes et des enfants.

 

Il n'est pas antisémite de signaler que vos attentats ont détruit 221k maisons à Gaza, laissant un million de personnes sans abri, soit près de la moitié de la population. Il n'est pas antisémite de constater que votre gouvernement a réduit à néant l'infrastructure civile de Gaza, y compris l'électricité, l'eau et les égouts.

 

Ce n'est pas antisémite de réaliser que ce gouvernement a détruit le système de santé de Gaza, rendant 26 hôpitaux inutilisables et tuant 400 travailleurs de santé. Il n'est pas antisémite de condamner la destruction des douze universités de Gaza et 56 écoles, avec des centaines de plus endommagées et 625 mille étudiants sans éducation.

 

Il n'est pas antisémite de s'accorder avec les organisations humanitaires pour affirmer que ce gouvernement, en violation de la loi américaine, a bloqué de façon déraisonnable l'aide humanitaire destinée à Gaza, créant des conditions dans lesquelles des centaines de milliers d'enfants souffrent de malnutrition et risquent de mourir de faim.

 

Monsieur Netanyahu, l'antisémitisme est une forme ignoble et dégoûtante d'intolérance qui a causé des dommages indicibles à des millions de personnes. Mais s'il vous plaît, n'insultez pas l'intelligence du peuple américain en essayant de nous distraire des politiques de guerre immorales et illégales de votre gouvernement extrémiste N'utilisez pas l'antisémitisme pour détourner l'attention des accusations auxquelles il fait face devant les tribunaux israéliens.

 

Ce n'est pas antisémite de le tenir responsable de ses actes.

 

Tout est dit, mais rien n’est terminé, car aujourd’hui, nul ne peut prévoir la fin de cette horreur qui démontre de manière épouvantable que le Sionisme est tragique.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

Prochain article :

 

La tragédie du Sionisme (II) : l’illusion de la solution à deux Etats

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3 mai 2025 6 03 /05 /mai /2025 19:22

 

 

Les premiers instants du second mandat de Donald Trump ont surpris la plupart des décideurs et observateurs hors des Etats-Unis. Ses décisions, ses propos, ses attitudes ne correspondent en rien aux méthodes habituelles. En plus de ses comportements déconcertants, le nouveau Président US agit sur la base de critères tout à fait inhabituels. Pour quelles raisons ? Ils sont la marque d’un Empire déclinant.

 

L’économiste français Thomas Piketty écrit dans « le Monde » du 12 avril 2025 : « Le problème est que la puissance états-unienne est déjà déclinante et qu’il faut imaginer le monde sans elle, explique l’économiste dans sa chronique. » Et imaginer cela est très difficile, car on est habitué depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et particulièrement depuis la fin de l’URSS en 1991 que les USA sont encore sans conteste la première puissance. Pourtant…

 

Rappelons-nous les images des désastres de Saigon en 1975 et de Kaboul en 2021 : la fuite de la plus grande armée du monde défaite par deux armées de ce qu’on appelait à l’époque le Tiers-monde, sans oublier le désastre de l’Irak lancé par George W Bush en 2003.

 

 

Saigon 30 avril 1975, Kaboul : 15 août 2021. Les hélicos "banane" symboles de la débâcle de l'Empire US
Saigon 30 avril 1975, Kaboul : 15 août 2021. Les hélicos "banane" symboles de la débâcle de l'Empire US

Saigon 30 avril 1975, Kaboul : 15 août 2021. Les hélicos "banane" symboles de la débâcle de l'Empire US

 

 

Piketty observe : « Les Etats-Unis ne sont plus un pays fiable. Pour certains, le constat n’a rien de nouveau. La guerre d’Irak lancée en 2003 – avec plus de 100 000 morts, une déstabilisation régionale durable et le retour de l’influence russe – avait déjà montré au monde les méfaits de l’hubris militaire états-unien. Mais la crise actuelle est nouvelle, car elle met en cause le cœur même de la puissance économique, financière et politique du pays, qui apparaît comme déboussolé, gouverné par un chef instable et erratique, sans aucune force de rappel démocratique. »

 

L’économiste français analyse ainsi la brutalité de la politique de Trump dès son entrée à la Maison Blanche le 20 janvier 2025.

 

 

Donald Trump, l'imprévisible président US qui, semble-t-il, sait ce qu'il veut.

Donald Trump, l'imprévisible président US qui, semble-t-il, sait ce qu'il veut.

 

 

Si les trumpistes mènent une politique aussi brutale et désespérée, c’est parce qu’ils ne savent pas comment réagir face à l’affaiblissement économique du pays. Exprimé en parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire en volume réel de biens, de services et d’équipements produits chaque année, le PIB de la Chine a dépassé celui des Etats-Unis en 2016. Il est actuellement plus de 30 % plus élevé et atteindra le double du PIB états-unien d’ici à 2035. La réalité est les Etats-Unis sont en train de perdre le contrôle du monde. »

Le déficit commercial atteint depuis pas mal de temps des proportions qui pourraient devenir intenables. Selon les économistes étatsuniens Paul Simko et Richard Smith (« le Monde » 8 novembre 2023) « Avec un niveau de plus de 31 400 milliards de dollars [près de 30 000 milliards d’euros] fin 2022, la dette fédérale des Etats-Unis suscite l’inquiétude. Elle dépasse les PIB combinés de la Chine, du Japon, de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni ! » Cependant, il n’y aurait pas péril en la demeure : les Etats-Unis ne sont pas au bord de l’insolvabilité. « 

Selon les données de la Réserve fédérale de décembre 2022, les 31 400 milliards de dollars de titres de dette sont détenus par le secteur privé américain (15 600), par les investisseurs étrangers (7 400), par le gouvernement fédéral (6 800) et par les Etats et les gouvernements locaux américains (1 600).

Un peu plus d’un cinquième de la dette fédérale américaine est donc détenue par le gouvernement fédéral. Mais cette dette est compensée par un actif détenu au même niveau fédéral. La Réserve fédérale détient notamment des titres de créance d’une valeur de 5 100 milliards de dollars, qu’elle utilise comme un outil monétaire, parmi d’autres, pour influencer les conditions macroéconomiques américaines et internationales. A plus petite échelle, le département du Trésor est mandaté par la loi pour détenir les fonds de la sécurité sociale sous forme de bons du Trésor américain.

 

Mais, selon le « Monde » du 12 avril 2023, le krach boursier de 2022 en cachait un autre, bien plus grave : celui de la dette. Lorsque les valeurs du Nasdaq perdaient un tiers de leur valeur et que l’indice S&P 500 reculait de 20 %, les opérateurs pointaient du doigt un sujet souvent passé inaperçu, car compliqué à comprendre : le krach obligataire. Il y eut un jeu sur les taux d’intérêt. La valeur des obligations qui avaient été émises pendant la période d’argent gratuit s’ajuste à la baisse, pour offrir de nouveau une rémunération correspondant à celle du marché. L’affaire s’est traduite par une baisse d’environ 15 % des obligations en 2022, ce qui est considérable pour des produits qui, dans l’imaginaire collectif, sont sûrs (des emprunts d’Etat à dix ans).

 

Et c’est en 2023 que l’on mesure l’ampleur des dégâts sur ce marché deux fois plus important que celui des actions. « Une décennie de taux bas et d’argent facile a faussé les allocations de capital [des acteurs dans l’économie, conduisant à financer sans discernement des projets non rentables] d’une manière qui accroît le risque de crise systémique », déplore, dans le Financial Times, Ian Harnett, cofondateur du cabinet londonien Absolute Strategy Research, dans un article intitulé « La tourmente financière n’est pas finie ».

 

Tout a commencé en mars, avec la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), la banque des start-ups. Elle avait placé les dépôts de ses clients en obligations d’Etat à long terme. La hausse des taux a fait baisser leur valeur, et la banque a dû liquider en catastrophe son portefeuille obligataire lorsque ses clients ont commencé à retirer leurs dépôts. Outre la panique bancaire, il y avait à ce phénomène deux causes durables : le besoin d’argent pour les start-ups, alors que le guichet du capital-risque est fermé, et la hausse de la rémunération des dépôts.

 

Et tout cela s’est déroulé durant la présidence de Joe Biden !

 

Cependant, il n’y a pas que l’aspect financier, même s’’il est essentiel. Il y a les volets géopolitique et historique. Le professeur algérien Djamel Labidi les analyse très clairement le grand bouleversement auquel nous assistons, sur le site bien connu des lecteurs d’Uranopole, « le Grand Soir ».

 

Labidi remonte tout au début de la conquête du continent américain par les Européens aux XVIe et XVIIe siècles. « Il est intéressant de constater comment l’histoire des idées suit l’Histoire économique et sociale et les bouleversements politiques. La théorie mercantiliste était née au XVIè siècle dans le contexte de la "découverte" de l’Amérique, celui du premier bond du commerce international, et l’afflux de métaux précieux or et argent qui en a résulté, notamment vers l’Espagne ce qui avait fait, alors, de celle-ci la première puissance mondiale. »

 

Remarquez au passage que Trump n’arrête pas aujourd’hui de parler de « terres rares ». Cela remplace les métaux précieux !

 

Djamel Labidi ajoute : « Les mercantilistes voyaient donc naturellement la richesse des nations dans l’accumulation de métaux précieux, l’or et l’argent, et donc dans un commerce international poursuivant cet objectif. Ils en déduisaient qu’une sage politique économique de l’Etat devait viser à un maximum d’exportations, et un minimum d’importations grâce à des barrières douanières, c’est-à-dire une politique protectionniste de l’économie. Ce protectionnisme aurait ainsi le double avantage de favoriser le développement de la production du pays, tout en augmentant les recettes de l’Etat, grâce aux taxes douanières. Les mercantilistes jugeaient donc que le monde était ainsi fait qu’une nation ne pouvait gagner que si l’autre perdait.

 

Aujourd’hui le président Trump pense et veut faire exactement de même. Il veut protéger l’économie des Etats-Unis par des taxes douanières. Il reproche aux autres pays, notamment les plus développés, qu’ils soient amis ou non, d’avoir "profité" des Etats-Unis, d’avoir beaucoup exporté vers eux , mais d’en avoir peu importé. La Chine comme l’Europe se trouve l’objet des griefs des Etats-Unis. Il veut supprimer le déficit la balance commerciale étasunienne, pour avoir un excédent commercial et liquider la dette extérieure abyssale de son pays de 32 000 milliards de dollars. On voit les États-Unis d’Amérique de Donald Trump revenir donc au mercantilisme aujourd’hui. »

 

Cependant, le mercantilisme ne peut être une solution, tout comme le libre-échange. Tout simplement parce que les circonstances ont changé. Et c’est là le danger des idéologies économiques, particulièrement néolibérales, qui préconisent des trains de mesures basées uniquement sur leurs dogmes et non sur les faits et l’évolution des choses. Thomas Piketty le démontre dans une tribune au « Monde » du 8 avril 2025.

 

 

 

L'économiste français Thomas Piketty est effaré par l'évolution de l'économie mondiale.

L'économiste français Thomas Piketty est effaré par l'évolution de l'économie mondiale.

 

 

« L’erreur consiste à ignorer que le commerce international consiste en des échanges. Pourquoi payer plus cher quelque chose qui peut être produit moins cher ailleurs, ce qui permet aux fabricants étrangers de nous acheter les biens sur lesquels nous sommes les meilleurs ? Les échanges permettent ainsi à tous les consommateurs de se procurer plus de produits. Ce n’est pas un jeu à somme nulle, tout le monde y gagne.

Evidemment, les producteurs locaux – les entreprises et leurs employés – sont lésés quand le commerce est libéralisé mais, avec du temps, ils se reconvertiront et bénéficieront eux aussi de leurs ventes à l’étranger. C’est la transition qui est douloureuse et c’est ce qui explique la persistante influence du protectionnisme, mais ça ne dure qu’un moment.

L’industrie textile a quasiment disparu dans les pays avancés, mais qui le regrette aujourd’hui ? Trump veut défendre son industrie automobile, mais les Européens et les Japonais font mieux et moins cher. Ils peuvent alors utiliser leurs revenus pour acheter aux Etats-Unis des produits de haute technologie qui sont leur spécialité indéniable. »

 

Cela explique l’engagement tout provisoire, semble-t-il, de l’ineffable Elon Musk dans son « équipe » ! Et aussi les succès électoraux de Donald Trump proviennent entre autres des Etats les plus atteints par le déclin de l’industrie. Thomas Piketty propose des remèdes, mais qui restent utopiques tant que la « mondialisation » à l’occidentale restera la ligne de conduite.

 

« Que faire face à cet effondrement ? D’abord s’adresser aux pays du Sud et leur proposer la mise en place d’un nouveau multilatéralisme social et écologique, en lieu et place du défunt multilatéralisme libéral. L’Europe doit enfin soutenir une réforme profonde de la gouvernance du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, de façon à sortir du système censitaire actuel et de donner toute leur place à des pays comme le Brésil, l’Inde ou l’Afrique du Sud. Si elle continue de s’allier aux Etats-Unis pour bloquer ce processus irrémédiable, alors les BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud] bâtiront inévitablement une architecture internationale parallèle, sous la houlette de la Chine et de la Russie. » En clair, il y a urgence si on veut éviter un conflit majeur entre le « Sud global » et ce qui reste de l’occident trilatéral (Japon, Corée du Sud, Etats-Unis, Union européenne). Et ce n’est certes pas Donald Trump qui apportera la solution.

 

 

 

S'être adjoint le fantasque et dangereux milliardaire Elon Musk montre le manque de lucidité de Trump. Il semble contraint maintenant de s'en débarrasser étant donné les dégâts qu'il a provoqués !

S'être adjoint le fantasque et dangereux milliardaire Elon Musk montre le manque de lucidité de Trump. Il semble contraint maintenant de s'en débarrasser étant donné les dégâts qu'il a provoqués !

 

 

L’incohérence et la faiblesse de l’Europe

 

 

Quant à l’Europe, Piketty dénonce sa responsabilité et ses erreurs dans sa politique d’échanges commerciaux teintée de naïveté et de nostalgie de son passé colonial.

 

« L’Europe doit enfin reconnaître son rôle dans les déséquilibres commerciaux mondiaux. Il est aisé de stigmatiser les excédents objectivement excessifs de la Chine qui, comme les Occidentaux avant elle, abuse de son pouvoir pour sous-payer les matières premières et inonder le monde de biens manufacturiers. Ce qui en outre ne bénéficie guère à sa population, qui aurait bien besoin de salaires plus élevés et d’une sécurité sociale digne de ce nom.

Mais le fait est que l’Europe a également tendance à sous-consommer et sous-investir sur son territoire. Entre 2014 et 2024, la balance commerciale (biens et services) des Etats-Unis accuse un déficit annuel moyen d’environ 800 milliards de dollars [705 milliards d’euros]. Pendant ce temps, l’Europe réalise un excédent moyen de 350 milliards de dollars, presque autant que la Chine, la Japon, la Corée et Taïwan réunis (450 milliards). Il faudra bien plus que la relance militaro-budgétaire allemande ou la mini-taxe carbone aux frontières envisagées actuellement pour que l’Europe contribue enfin à promouvoir un autre modèle de développement, social, écologique et équitable. »

 

Dans une interview au quotidien belge « Le Soir » du 16 avril 2025, Piketty constate :

 

« L’Europe ne doit pas se laisser dicter son agenda par les caprices de Trump. Elle doit s’affirmer comme un pôle de stabilité dans la mondialisation. Cela passe par la définition d’un cadre commercial et politique crédible, notamment vis-à-vis du Sud global. Il faut rééquilibrer les institutions internationales – FMI, Banque mondiale, OMC – en donnant plus de poids à des pays comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud. Si l’Europe ne propose pas un modèle de mondialisation plus social, plus équilibré, plus ouvert au Sud, elle sera marginalisée. »

 

Réarmer comme le suggère Trump n’est pas une solution. Et l’économiste français dénonce l’absence de stratégie économique européenne.

 

« Tous les pays qui ont investi pour pouvoir exporter se retrouvent malmenés. L’Europe doit sortir de sa posture attentiste et malthusienne. Elle doit investir davantage sur son propre territoire au lieu d’accumuler des excédents ­commerciaux qui sont en réalité le symptôme d’un sous-investissement chronique. On regarde souvent le déficit américain comme un problème américain. Une part ­importante de ce déficit ­correspond à l’excédent commercial chinois, bien sûr, mais aussi à celui de l’Europe. Et ce n’est pas uniquement l’Allemagne : l’excédent est massif à l’échelle du continent. Ce déséquilibre n’est pas le fruit d’un choix collectif et assumé. Il est le résultat d’une absence de stratégie économique européenne, d’un manque de coordination. Ce n’est pas débattu, pas démocratiquement assumé. Cela révèle surtout une défiance structurelle entre États européens. Chacun soupçonne l’autre de vouloir s’approprier ses ressources. ­Résultat : chacun garde son argent dans un coffre, et personne n’ose investir. Cela conduit à des décisions absurdes : on se précipite pour acheter de l’armement comme si répondre aux exigences de Trump était dans notre intérêt. »

 

 

La vision dramatiquement erronée des élites mondialisées

 

Au fond, nous payons l’orgueil et la vision dramatiquement erronée des élites mondialisées comme les appelle Djamal Labadi.

 

« Les élites mondialisées, débarrassées des soucis de revenus et de "pouvoir d’achat", évoluant dans le monde abstrait de la finance et des services, ont été alors plus préoccupées par les questions sociétales que sociales. La cristallisation des débats sur des thèmes telles que les questions sexuelles, la théorie du genre, le wokisme, avec les passions qu’ils introduisent depuis la nuit des temps dès qu’il s’agit de questions anthropologiques, et de leurs conséquences morales et civilisationnelles, expliquent le caractère extrême et passionnel des tensions actuelles. Ces tensions ne sont pas seulement économiques mais culturelles et morales. »

 

Et on le voit avec la tragédie humanitaire à Gaza.

 

« La dégradation extrême des valeurs proclamées occidentales a atteint son paroxysme à Gaza, à travers une inhumanité totale. Ne pourrait-elle pas s’expliquer, sans trop forcer la note, par cette évolution mondiale d’élites dés :ormais sans repères, sans empathie, évoluant dans une sorte de vide identitaire, qu’il soit anthropologique ou national. »

 

Le professeur à Science Po Nicolas Telzer, un atlantiste inconditionnel, déclare dans une interview au quotidien belge « l’Echo » du 3 mai 2025

 

« Ce processus de déclin des États-Unis est alarmant: désindustrialisation, perte d’influence universitaire, affaiblissement scientifique… Ces éléments s’enchaînent et fragilisent durablement la première puissance mondiale.

 

Absolument. Trump incarne une rupture brutale avec les valeurs qui ont historiquement fait la grandeur de l’Amérique : l’ouverture, l’accueil des immigrants, l’intégration des divers peuples, la défense de la liberté, la primauté de la vérité et la valorisation de la science. Aujourd’hui, la post-vérité règne. Le mensonge est banalisé, même au sommet de l’État. Cette remise en cause de la science, des faits et de la vérité a des répercussions mondiales. C’est une destruction de l’héritage politique et intellectuel des États-Unis. Ce déclin ne date pas d’hier : on peut en retracer les signes dès la non-intervention en Géorgie sous George W. Bush en 2008, ou encore lorsque Barack Obama a refusé d’appliquer ses propres "lignes rouges" après les attaques chimiques en Syrie en 2013. Biden aurait pu sauver, en intervenant, des dizaines de milliers de vies ukrainiennes. Il ne l'a pas voulu. Trump, lui, en accélère les conséquences. »

 

Ajoutons cependant le soutien inconditionnel des dirigeants étatsuniens démocrates – à l’exception d’Obama – comme républicains aux folies criminelles de l’extrême-droite israélienne. Tout cela confirme le dangereux déséquilibre de l’ordre capitaliste mondial.

 

C’est manifestement l’enjeu majeur de la décennie à venir.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Prochain article :  Le déclin d’un empire (II) : Le piège de la « soft power »

 

 

 

 

 

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11 avril 2025 5 11 /04 /avril /2025 23:33

Cette seconde partie de la recension de Bernard Gensane de l’ouvrage de George Monbiot et Peter Hutchinson est plus spécifiquement consacrée à la question des libertés fondamentales menacées par le néolibéralisme. Madame Castelli, ancienne présidente du syndicat belge de la magistrature a un jour déclaré : « Le néolibéralisme est un fascisme ! » Cela a profondément choqué. Pourtant, force est de constater qu’elle n’était pas loin de la réalité !

 

On observe que les libertés s’étiolent, que la Justice n’est plus respectée, que les dirigeants politiques et économiques enfreignent impunément les règles les plus élémentaires. Ce n’est pas le « fascisme » que l’on brandit à tout bout de champ comme une menace majeure, c’est au contraire l’entreprise libertarienne qui œuvre à abolir les bases de la démocratie dite libérale.

 

 

En outre, l’intérêt général que sont sensés défendre les dirigeants politiques est remplacé par la défense d’une seule classe minoritaire mais ultrapuissante : celle des hypers riches qui dirigent aujourd’hui le monde occidental. Tout le monde aujourd’hui s’effraye des actes et du comportement de Donald Trump. Pourtant, on le savait depuis longtemps. Il avait déjà montré de quoi il est capable lors de son premier mandat. À une plus petite échelle, si on ose dire, le milliardaire français Bernard Arnault a lui aussi un comportement au-dessus des lois et surtout au mépris de toutes les autorités instituées sans que celles-ci ne réagissent.

 

 

On l’observe aussi en Grande Bretagne comme le montrent les auteurs de la « doctrine invisible » en expliquant le comportement de la Première ministre Lizz Truss qui a succédé à Boris Johnson, lui aussi peu soucieux de respecter les règles de base de la démocratie. Le drame est que l’opinion publique n’a pas l’air de désapprouver et encore moins de s’insurger tant l’idéologie sécuritaire s’est inscrite dans les esprits.

 

 

Lorsque Lizz Truss a été nommée Première ministre elle a mis en œuvre son programme réactionnaire. Ses propositions visaient à réduire les taxes pour les riches, à supprimer les mesures anti-obésité, le plafonnement des bonus des banquiers, les contrôles d'urbanisme qui empêchaient l'étalement urbain. Elle supprima ainsi 570 lois environnementales et elle décida de créer des zones d'investissement appelées “ ports francs ”. Elle a fait passer le projet de loi sur l'ordre public au Parlement dont le but était d'écraser toute protestation. Il s’agissait de la législation la plus répressive introduite au Royaume-Uni à l'ère moderne. Tout ceci donna du crédit à l'observation récurrente salon laquelle plus une société devient inégalitaire plus ses lois doivent être oppressives.

 

 

 

Lizz Truss éphémère Première ministre du Royaume Uni, mais que de dégâts !

Lizz Truss éphémère Première ministre du Royaume Uni, mais que de dégâts !

 

 

Truss, dont les parents étaient des travaillistes de gauche, a néanmoins échoué. Son édifice s'est écroulé en moins d'une journée car le secteur financier a reculé devant tant d’audace. La livre sterling s'est effondrée, forçant la Banque d'Angleterre à intervenir. Les coupes budgétaires de Truss combinées au taux d'intérêt et aux coûts d'emprunt plus élevés résultant de son budget kamikaze ont coûté près de 30 milliards de livres sterling au pays un mois après la présentation du budget. 44 jours après son entrée en fonction, Truss n'eut d'autre choix que de démissionner

 

Un peu partout on a vu des hommes politiques de la droite dure prendre le pouvoir. Trump aux États-Unis, Boris Johnson au Royaume-Uni, Bolsonaro au Brésil, Scott Morrison en Australie, Modi en Inde, Netanyahou en Israël, Duterte aux Philippines, Erdoğan en Turquie, Orban en Hongrie, Milei en Argentine, Wilders aux Pays-Bas.

 

 

Sans oublier Bart De Wever en Belgique et Giorgia Meloni en Italie. L’autoritarisme se répand comme une traînée de poudre, sans qu’aujourd’hui il se heurte à une réelle opposition. Et là est le danger : les démocrates traditionnels, les « centristes », n’ont pas de réponse efficace. La gauche divisée s’enfermant soit dans le radicalisme dit wokiste, soit dans le « libéralisme social » n’est plus crédible et ses électeurs traditionnels se tournent vers l’extrême-droite. Pire : l’opinion ne donne plus comme priorité la défense des libertés fondamentales et ne dédaigne pas un régime autoritaire.

 

 

 

Bart De Wever en compagnie de Giorgia Meloni et de Marion Maréchal (nous voilà!) avec le groupe ECR du Parlement européen qui apporte son soutien au candidat controversé au poste de Premier ministre de Roumanie. Quelle belle compagnie !

Bart De Wever en compagnie de Giorgia Meloni et de Marion Maréchal (nous voilà!) avec le groupe ECR du Parlement européen qui apporte son soutien au candidat controversé au poste de Premier ministre de Roumanie. Quelle belle compagnie !

 

 

Il faut avouer que la gauche, traditionnelle jadis combattante pour les libertés fondamentales, s’est enlisée dans ses contradictions : par exemple, au nom du droit à la différence, elle a renoncé à la laïcité, en même temps qu’elle prend ses distances avec les luttes sociales. Alors, c’est quoi la gauche ?

 

 

« La liberté et la démocratie ne sont plus compatibles ! »

 

 

Pourquoi les ultras riches qui utilisaient auparavant leur argent et les médias pour promouvoir des politiciens ternes et de confiance financent-ils à présent des caricatures d’hommes politiques hystériques ? Il s'agit en fait de déconstruire l'État administratif. Le chaos apparaît comme un multiplicateur de profits pour le capitalisme du désastre. Selon l'expression de Naomi Klein, chaque choc est utilisé pour s'emparer d'encore plus d'actifs dont dépendent nos vies à tous. Le cofondateur de Paypal, l’Américano-zélandais d’origine allemande Peter Thiel a un jour avoué : « je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles. »

 

Ces politiciens nous hypnotisent, puis ils redirigent la colère qui devrait être réservé à la corruption politique en direction des immigrés, des femmes, des Juifs, des Musulmans, des Noirs ou des métisses.

 

Un sondage en Grande-Bretagne a révélé que 54% des personnes sont désormais d'accord avec l'affirmation selon laquelle la Grande-Bretagne a besoin d'un dirigeant fort prêt à enfreindre les règles tandis que 23% seulement sont de l’avis contraire. Un sondage similaire réalisé aux États-Unis a révélé qu'environ 40% des Étasuniens ont tendance à privilégier l'autorité, l'obéissance et l'uniformité par rapport à la liberté, l'indépendance et la diversité.

 

Le capitalisme se caractérise par une agression frénétique contre le vivant. On le voit très clairement avec l'exploitation des ressources naturelles. Les plus riches et les plus accessibles sont saisies en premier. La flotte de pêche mondiale par exemple capture d'abord les grands prédateurs, comme le thon rouge, puis, quand ces stocks de poissons sont épuisés, elles ciblent des espèces de plus en plus petites jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'à attraper les poissons appâts. le capital doit à présent faire travailler toujours plus dur les habitants et exploiter de manière toujours plus systématique les ressources de la planète pour en extraire des rendements décroissants.

 

Pour les néolibéraux, la consommation du monde vivant est quelque chose qui se rapproche d'un devoir sacré. Hayek l'a écrit dans La Constitution de la liberté : « les défenseurs de l'environnement croient que la fertilité naturelle du sol doit être préservée en toute circonstance et que ce qu'on appelle l'exploitation des sols doit être évitée en toutes circonstances. Il est facile de démontrer que, d'une manière générale, cette affirmation est discutable. En fait, l'exploitation des sols peut, dans certaines circonstances, être autant dans l'intérêt à long terme de la communauté que l'épuisement de toute ressource non renouvelable dans ces circonstances. Il sera souhaitable de laisser la fertilité décliner jusqu'à un niveau où les investissements seront encore rentables. Dans de tels cas, utiliser un don gratuit de la nature une fois pour toutes n'est pas plus répréhensible ou de l'ordre du gaspillage qu'une exploitation similaire de ressources non renouvelables. »

 

Il faut se méfier des micro-solutions. Des études menées auprès de consommateurs écolos et non écolos montrent que le moteur principal de l'impact environnemental d'une personne n'est pas son attitude. Ce n'est pas non plus son mode de consommation ni les choix particuliers qu'elle fait. C'est son argent. Si les gens ont de l'argent en trop, ils le dépensent. Quand vous tentez de vous persuader que vous êtes un méga consommateur écolo, en réalité vous êtes juste un méga consommateur. C'est pour cette raison que l'impact environnemental des très riches, aussi respectueux de l'environnement puissent-ils paraître est massivement plus grand que celui de tous les autres. Pour éviter un réchauffement supérieur à 1 degré 5, nos émissions moyennes ne devraient pas excéder 2 tonnes de dioxyde de carbone par personne et par an mais les 1% les plus riches de la population mondiale en produisent en moyenne plus de 70 tonnes annuellement. Ensemble ils libèrent 15% des émissions mondiales de carbone, 2 fois l'impact combiné de la moitié la plus pauvre de la population mondiale. D'après une estimation, Bill Gates émet près de 7500 tonnes de CO2 par an, essentiellement en voyageant dans ses jets privés et ses hélicoptères.

 

Chaque fois que le libre marché a trébuché, le gouvernement est intervenu sans hésitation en dépensant tout ce qu'il pouvait pour sauver le néolibéralisme de ses propres désastres. Parmi les exemples, citons le sauvetage de Chrysler en 1980, celui de l'industrie aérienne en 2001, la crise des caisses d'épargne et de crédit en 1989, la crise financière de 2008, durant la pandémie de COVID-19. L'argent que les États avaient pourtant juré ne pas avoir s’est soudains matérialisé comme par magie. Les gouvernements ont découvert qu'ils pouvaient gouverner, bien qu'avec des degrés de compétence variés. Les caractéristiques extraordinaires de la démocratie participative et délibérative c'est qu'elle a tendance à mieux fonctionner en pratique qu’en théorie. Un exemple classique est la pratique du budget participatif à Porto Alegre dans le sud du Brésil pendant ses années de pointe 1989-2004. Avant que le système ne soit restreint par un gouvernement local plus hostile, il a transformé la vie de la ville durant ces années. Les citoyens ont pu décider de la manière dont l'ensemble du budget d'investissement de la ville devait être dépensé. Le processus a été conçu par le gouvernement de la ville et ses habitants main dans la main. Il a pu évoluer au fur et à mesure que les citoyens proposaient des améliorations. Les discussions sur le budget étaient ouvertes à tous et un nombre remarquable de personnes a participé (50 000 par an).

 

 

 

 

 

La doctrine invisible - 2ème partie

 

 

PS : En tant que journaliste d'investigation, le Britannique George Monbiot a voyagé en Indonésie, au Brésil et en Afrique de l'Est. Ses activités lui ont valu d'être déclaré indésirable dans sept pays et d'être condamné à la prison à perpétuité par contumace en Indonésie. Dans ces endroits, il a également essuyé des coups de feu, des passages à tabac par la police militaire, des naufrages et des piqûres de frelons qui l'ont plongé dans un coma empoisonné. Il est revenu travailler en Grande-Bretagne, pour le Guardian en particulier, après avoir été déclaré cliniquement mort à l'hôpital général de Lodwar, dans le nord-ouest du Kenya, à cause d'une forme cérébrale du paludisme. 

 

Collaborateur du New York Times, Peter Hutchison est un écrivain, cinéaste, éducateur et militant étasunien. Il est titulaire d'un mastère spécialisé en psychologie du conseil et de l'orientation, ainsi qu'en dynamique des systèmes. Parmi les films qu'il a réalisés, le plus connu est Requiem for the American Dream : Featuring Noam Chomsky. Également remarqués Healing From Hate, un film sur les militants machistes mus par la haine, et Devil Put the Coal in the Ground, sur les ravages de l'extraction du charbon. Sur l'identité masculine, il a réalisé les films You Throw Like a Girl : the Blind Spot of MasculinityThe Man Card : White Male Identity Politics from Nixon to Trump. Il a par ailleurs produit les documentaires suivants : What Would Jesus Buy ?, Awake ZionEgypt, A Love SongSPLIT: A Divided AmericaSPLIT: A Deeper Divide, et The Town That Shot the Sheriff

 

Mathilde Ramadier, qui a traduit ce livre, est essayiste, autrice de bandes dessinées, scénariste.

 

 

 

Bernard Gensane

 

(Commentaires en italique gras : Pierre Verhas)

 

 

 

 

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8 avril 2025 2 08 /04 /avril /2025 10:35

 

 

Notre ami Bernard Gensane a publié sur son blog https://bernard-gensane.over-blog.com/  en deux parties une longue et remarquable recension d’un récent ouvrage étatsunien relatif au néolibéralisme écrit par George Monbiot et Peter Hutchinson « La doctrine invisible ; l’histoire secrète du néolibéralisme comment il en est arrivé à contrôler nos vies. » Traduit (fort bien) de l’anglais par Mathilde Ramadier. Paris, Les Éditions du Faubourg 2025.

 

Il s’agit d’une analyse approfondie du régime néolibéral depuis ses origines au Bas Moyen-âge jusqu’à nos jours dont les auteurs tirent des conclusions sur l’évolution de notre société.

 

Depuis 2020 avec la pandémie du COVID, février 2022 après l’offensive russe en Ukraine, octobre 2023 à Gaza et janvier 2025, l’élection de Donald Trump, il y a de profonds changements géopolitiques, économiques et sociaux. Une fois de plus, nous pouvons citer Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. ».

 

 

Bernard Gensane commence par bien situer le débat, se référant à George Orwell dans son analyse de l’ouvrage de Friedrich Hayek, « La route de la servitude » que l’on peut assimiler au « Manifeste du parti communiste » du néolibéralisme.

 

 

 

Friedrich August Hayek, le "Karl Marx" du néolibéralisme

Friedrich August Hayek, le "Karl Marx" du néolibéralisme

 

 

En avril 1944, George Orwell rend compte de l’ouvrage de Friedrich Hayek The Road to Serfdom (La Route de la servitude). Il relève ceci : « La thèse du professeur Hayek est que le socialisme mène inévitablement au despotisme, et qu’en Allemagne les Nazis ont pu réussir parce que les socialistes avaient accompli une bonne partie du travail pour eux, particulièrement le travail intellectuel permettant d’amoindrir le désir de liberté. Le socialisme donne nécessairement le pouvoir à une caste centrale de bureaucrates qui, presque toujours, voudront le pouvoir pour le pouvoir. Selon Hayek, la Grande-Bretagne suit une voie identique à celle de l’Allemagne, avec une intelligentsia de gauche qui mène la danse et des conservateurs qui suivent hardiment. Le seul salut réside dans le retour à une économie non planifiée, la libre concurrence et l’accent mis sur la liberté plutôt que sur la sécurité. » A contrario, Orwell observe que « Le capitalisme mène aux files d’attente de chômeurs, à la ruée vers les marchés et à la guerre. Le collectivisme conduit aux camps de concentration, au culte des dirigeants et à la guerre. Ce problème est sans issue, à moins qu’une économie planifiée puisse être combinée avec la liberté de l’intellect, ce qui ne peut se faire que si le concept du bien et du mal est rétabli dans la politique. »

 

Depuis lors, on parle de « néolibéralisme », mais la définition n’est pas claire. Aussi, une analyse préalable est nécessaire.

 

Le néolibéralisme, tel qu’il est redéfini par les auteurs de ce fort ouvrage, est une idéologie dont la croyance centrale veut que la compétition définisse l'humanité tandis que le capitalisme est traité comme une loi de la nature, l’aboutissement “ naturel ” de l’évolution humaine, mais certainement pas un système fondé, au départ, sur le pillage des colonies. Elle nous dit que nous sommes cupides et égoïstes mais que cette cupidité et cet égoïsme ouvrent la voie au progrès social générant la richesse qui, finalement, nous enrichira tous. Enfin, cette idéologie nous présente comme des consommateurs plus que comme des citoyens. Les néolibéraux postulent qu’un État qui cherche à changer la situation sociale du pays par le biais de dépenses publiques et de programmes sociaux récompense l'échec. Par ailleurs, il alimente la dépendance et subventionne les perdants. Se façonne alors une société peu entreprenante dirigée par des bureaucrates qui bâillonnent l'innovation et découragent la prise de risque jusqu'à nous appauvrir tous.

 

Dans la perspective néolibérale, à quoi doit se limiter le rôle des gouvernements ? Il leur revient d'éliminer les obstacles à l'avènement de la hiérarchie “ naturelle ”. Pour ce faire, ils doivent réduire les impôts, supprimer la régulation – celle de la finance en particulier –, privatiser les services publics, limiter les manifestations, diminuer le pouvoir des syndicats, viser à l’interdiction du droit de grève et éradiquer la négociation collective. Bref : sortir le politique du champ de la société publique.

 

Le néolibéralisme est donc le contraire du libéralisme bourgeois traditionnel né après la Révolution française et à la fin des monarchies absolues. Le libéralisme bourgeois se basant sur les Lumières prônait le gouvernement « du peuple par le peuple », peuple limité aux bourgeois lettrés. Il se divisait en deux tendances, la classique prônant un pouvoir politique et la radicale souhaitant limiter l’Etat à sa plus simple expression, toutes deux œuvrant pour une économie libre de toute contrainte et ingérence étatique. Le néolibéralisme issu de la branche radicale prône à terme l’éradication pure et simple de l’Etat.

 

Ajoutons qu’en croyant que la compétition définisse l’humanité, le néolibéralisme est un antihumanisme. Il définit « l’homo oeconomicus » comme un individu consommateur guidé par la « rationalité » de ses seuls intérêts matériels, le citoyen étant considéré comme le valet d’un Etat par définition totalitaire.

 

Et pour bien comprendre, il est indispensable d’analyser l’histoire du néolibéralisme.

 

Les auteurs font remonter les origines du capitalisme à l'île de Madère, à 500 km de la côte occidentale de l'Afrique du Nord. Madère a d'abord été colonisé par les Portugais dans les années 1420. Quasiment pas habitée, les colons portugais l'ont traité en Terra nullius comme une page blanche. Ils ont rapidement commencé à la débarrasser de la ressource qui lui donna son nom en portugais, madeira signifiant bois. Quelques décennies plus tard, ils ont découvert une utilisation plus lucrative des terres et des arbres de Madère : la production du sucre.

 

Les colons ont importé de la main d’œuvre : d’abord des esclaves en provenance des îles Canaries, puis du continent africain. La production du sucre a connu son apogée en 1506, soit quelques décennies seulement après son démarrage. Elle a ensuite chuté précipitamment de 80% en l'espace de 20 ans. Un taux d'effondrement spectaculaire. Les Portugais sont restés très loin du record de la Grande-Bretagne qui, en 200 ans, a tiré de la seule Inde une richesse équivalente à 45 000 milliards de dollars actuels.

 

Si tant est qu’ils en aient eu, le néolibéralisme a balayé les velléités des dirigeants “ progressistes ” britanniques et étasuniens. Le président Clinton a ainsi signé des lois allant encore plus loin dans la dérégulation des industries financières et des télécommunications qui allaient priver les syndicats de leur pouvoir et vider l'État-providence de sa substance. Le président Obama à renfloué les banques, en fait sauvé le système bancaire, mais n'a imposé aucun cadre de sanctions qui aurait découragé les banquiers de persévérer dans l’« erreur ». Il a autorisé la réduction des normes environnementales et a permis la limitation de la souveraineté de l’État.

 

Cependant, le néolibéralisme s’accommode très bien du totalitarisme étatique pour pouvoir s’imposer. L’exemple du Chili est probant. Hayek n’a pas hésité à déclarer au sujet de cette dictature sanguinaire : « Je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique manquant de libéralisme. » En clair, il n’y a pas de démocratie avec libéralisme.

 

 

Le sanguinaire général Pinochet, le "dictateur libéral" selon Hayek

Le sanguinaire général Pinochet, le "dictateur libéral" selon Hayek

 

 

 

Pour Monbiot et Hutchison – et pour tous ceux qui sont assez âgés pour avoir vécu cela en direct – le néolibéralisme tel que nous le pratiquons aujourd’hui est né lorsque Friedrich Hayek a visité le Chili du général Pinochet en en 1977 et en 1981. Le philosophe Grégoire Chamayou de l’ENS de Lyon défend la thèse selon laquelle le Chili est l’une des expériences les plus aboutie de ce qu’il nomme le libéralisme autoritaire. L’économiste Hélène Périvier de l’OFCE utilise la venue de Hayek au Chili durant la dictature pour soutenir que le néo-libéralisme est en fait en rupture avec le libéralisme politique, l’idéal démocratique. Lors de son premier voyage, Hayek, prix de la Banque de Suède en sciences économiques, naturalisé britannique en 1938, rencontre le général Augusto Pinochet pour une première prise de contact avec ce qu’il estime à juste titre être un pays laboratoire. Lors du second séjour, il affirme au cours d’une interview pour le journal chilien El Mercurio (12 avril 1981) : « personnellement je préfère un dictateur libéral plutôt qu’un gouvernement démocratique manquant de libéralisme ». Comment mieux confirmer la thèse selon laquelle le libéralisme et plus particulièrement le néolibéralisme sont prêts à sacrifier la démocratie pour la défense des libertés ?

 

 

Comme l'a montré Naomi Klein dans son livre La Stratégie du choc, le néolibéralisme a souvent été imposé aux populations lors de grandes crises à des moments où elles étaient trop distraites pour résister, voire ne serait-ce que remarquer les nouvelles politiques que les gouvernants étaient en train de glisser sous le pas de la porte. Outre l’exemple du Chili en 1973, on remarque que le libéralisme s'est intensifié à la suite de l'invasion de l'Irak en 2002 en 2003 lorsque l'administration étasunienne a saisi et privatisé les actifs du pays. Le rapt a également été employé en 2005 après l'ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. Foin des 1 800 personnes décédées, de policiers tirant au fusil d’assaut sur des civils désarmés et du million de déplacés. Milton Friedman a remarqué à l'époque que la plupart des écoles de la Nouvelle-Orléans étaient en ruine, tout comme les maisons des enfants qui les fréquentaient. Les enfants furent dispersés dans tout le pays, ce qui permit de réformer radicalement le système éducatif. Le capitalisme se développa dans toute son horreur : selon le photographe étasunien Stanley Greene, « Comme par hasard, dans les quartiers blancs, les supermarchés ont été ouverts aux gens, par solidarité. Dans les quartiers noirs, on a mis des gardes pour les empêcher d'entrer ! […] Le but n’était pas de faire revenir les gens, mais de faire de La Nouvelle-Orléans une ville blanche et lucrative. […] Des investisseurs recherchent partout les propriétaires des maisons détruites. Qu’ils rachetèrent pour 10 000 dollars. Katrina fut la plus grande opération de spoliation de tous les temps. »

 

 

Un autre aspect non cité ici est une des conséquences de la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989. Elle déclencha une véritable offensive néolibérale sur l’Europe centrale et la Russie encore soviétique à l’époque. Naomi Klein dans son ouvrage fondamental cité infra, rapporte la réception de Gorbatchev à Londres au sommet du G7 en juillet 1991.

 

Le Secrétaire général du PC de l’URSS était devenu très populaire en Occident, c’est-à-dire le bloc transatlantique, pour avoir permis une transition pacifique entre la dictature « prolétarienne » et une démocratie digne de ce nom en Europe de l’Est comme en URSS.

 

 

 

Michaël Gorbatchev le dernier dirigeant de l'URSS qu'on a refusé d'écouter...

Michaël Gorbatchev le dernier dirigeant de l'URSS qu'on a refusé d'écouter...

 

 

 

Il avait émis l’idée de « Maison commune » entre la Russie et l’Europe, car il souhaitait un rapprochement avec l’Europe occidentale. Sur le plan intérieur, Gorbatchev souhaitait en finir avec le collectivisme corrompu du règne de Brejnev et prônait un socialisme à la scandinave.

 

Pensant qu’il serait bien accueilli par les Occidentaux à ce G7, le président russe fut traité quasi en ennemi. Naomi Klein dans son ouvrage de référence « La stratégie du choc » (Actes Sud, 2008) rapporte : « L’accueil qu’on lui réserva à la réunion du G7 de 1991 le prit entièrement par surprise. Le message quasi unanime des autres chefs d’Etat était le suivant : si vous n’administrez pas immédiatement la thérapie de choc radicale, nous allons couper la corde et vous laisser tomber. « A propos du rythme et des méthodes de la transition, leurs propositions étaient ahurissantes. » écrirait plus tard Gorbatchev. »

 

On connaît la suite. Gorbatchev fut renversé, après l’intermédiaire Eltsine, les oligarques prirent le pouvoir avec Poutine à leur tête. En dépit des promesses faites au même Gorbatchev, l’OTAN s’étendit jusqu’aux frontières de la Russie avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui.

 

Ainsi, le néolibéralisme est une nuisance sur le plan des libertés démocratiques, dans le domaine économique et social et aussi géopolitique.

 

Élevons le débat outre-Atlantique. Depuis 1989, les supers riches se sont enrichis d'environ 21 milliards de dollars. Á l'inverse, les 50% les plus pauvres se sont appauvris de 900 milliards de dollars. Les rentes (des revenus non gagnés comme, par exemple, la location d’une maison), ont grimpé en flèche.

 

 

Une des réformes fondamentales engagées par le néolibéralisme a consisté à privatiser les services publics. Au Mexique, une grande partie des services de téléphonie mobile et fixe du pays – des avoirs de 17 milliards de dollars – a été privatisée (18 ans après sa nationalisation en 1972), confiée à Carlos Slim (mexicain d’origine libanaise) qui est rapidement devenu, à l’époque, l'homme le plus riche du monde, dans le cadre du plus grand transfert d'actifs public à des propriétaires privés de l'histoire mondiale. En Russie, les industries les plus rentables ont été vendues à des bénéficiaires prédéterminés à des prix défiant toute concurrence. Six oligarques russes contrôlèrent la moitié de l'économie du pays au bout du processus. La participation de Roman Abramovitch dans la compagnie pétrolière russe Sibneft (créée d’un décret de plume par Boris Eltsine), lui a coûté, ainsi qu'à son partenaire, environ deux cents millions de dollars au milieu des années 1990. En 2005 il a revendu sa participation au gouvernement pour un montant déclaré de 13,1 milliards de dollars soit l'équivalent de 20,5 milliards de dollars aujourd'hui.

 

 

La financiarisation se manifeste dans des aspects toujours plus nombreux de nos vies. Par exemple dans de nombreuses régions du monde les étudiants ne reçoivent plus de bourses de l'État pour leurs frais de scolarité (dans les années 60, en Grande-Bretagne, la plupart des étudiants étaient boursiers). Au lieu de cela ils sont obligés de recourir à des prêts du secteur financier, accumulant ainsi d'importantes dettes.

 

 

Le néolibéralisme sait profiter des malheurs du monde. Depuis le début de la pandémie du COVID-19, les dix hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune tandis que 163 000 000 de personnes supplémentaires ont basculé sous le seuil de la pauvreté. Un quart des ménages français ont vu leur situation financière se dégrader. Le “ marché ” est un mot en trompe-l’œil qui signifie “ pouvoir de l’argent ”. Ceux qui ont le plus d’argent prennent les décisions les plus importantes. Le politique est prisonnier des rets de l’économie. Et celle-ci n’est pas tendre. La prédation n’est pas la moindre des caractéristiques du capitalisme depuis qu’il existe. Alors qu’on avait prédit la diminution des horaires de travail et des conditions au travail toujours meilleures, il faut travailler toujours plus et plus dur. Concomitamment, la tendance générale est un glissement mondial vers des politiques autoritaires. Les trois-quarts de la population mondiale vit désormais sous une forme de régime autoritaire.

 

 

Le néolibéralisme s'attaque à notre santé mentale et s'infiltre dans nos vies sociales. Au cours des 10 dernières années les décès par désespoir aux États-Unis (suicide, overdose, maladies liées à l'alcool) ont augmenté rapidement, en particulier chez les hommes et les femmes d'âge moyen. En 2010, 20 000 personnes aux États-Unis sont mortes d'une overdose de drogue (638 en France en 2022, 4560 en Angleterre et au Pays de Galles en 2019, 1340 en Écosse). Entre 2020 et 2021 l'espérance de vie a chuté de 2,7 années en France. La plus forte baisse sur 2 années consécutives depuis la Première Guerre mondiale (86 ans en Grande-Bretagne mais 53 ans à Blackpool).

 

 

Pourquoi le libéralisme est-il par essence meurtrier ? Le philosophe anglais Thomas Hobbes (XVIIème siècle) pensait que l’humanité était engagée (souhaitait qu’elle fût engagée ?) dans une guerre de tous contre tous. Son œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social. Le Léviathan eut une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle. En bon élève de Hobbes, Hayek estimait que la concurrence à outrance avait, vocation à nous enrichir tous. La doctrine néolibérale a également contribué à créer ce que certains décrivent comme un vide spirituel quand les relations sont reformulées en des termes purement fonctionnels, quand le gain personnel recouvre les valeurs sociales. Le but de nos vies nous échappe et nous nous retrouvons dans un état d’aliénation que l’on peut prendre pour un problème de santé mentale mais qui est fondamentalement un problème social.

 

 

À la fin de son premier mandat Trump a annulé le décret 13770 qui interdisait aux personnes nommées par l'administration d'exercer une activité de lobbying auprès du gouvernement pendant 5 ans ou de travailler pour des gouvernements étrangers après avoir quitté leur poste. Les lobbyistes et les membres de think tanks peuvent désormais passer librement d'un poste à un autre au sein du gouvernement puis revenir à la sphère du privé.

 

En Grande-Bretagne le National Health Service, le système de santé, est l'un des services publics les plus précieux du pays, considéré comme l'un de ses plus importants progrès sociaux (mis sur pied après la Deuxième Guerre mondiale). C'est un service gratuit qui, à son apogée, garantissait que les soins prodigués aux pauvres étaient d’aussi bonne qualité que ceux des riches. Les récents gouvernements l'on petit à petit détruit par mini coupes. Près de 9 000 lits de soins généraux et de soins intensifs ont été supprimés au cours de la dernière décennie. Tandis que la moyenne de l'OCDE est de 5 lits pour 1000 personnes, la capacité du Royaume-Uni se situe à 2,4, soit moins de la moitié. 80% des cabinets dentaires au Royaume-Uni n'acceptent plus de nouveaux patients mineurs et près de 90 pour cent refusent les nouveaux patients adultes. Le résultat dans l'un des pays les plus riches de la planète est que beaucoup de gens s'arrachent eux-mêmes les dents, fabriquent leurs propres plombages, improvisent des prothèses dentaires et les collent à leurs gencives avec de la super glue et font une overdose d'anti-douleur.

 

(Fin de la première partie)

 

Bernard Gensane

 

(commentaires en italique : Pierre Verhas)

 

 

 

 

 

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3 mars 2025 1 03 /03 /mars /2025 20:36

 

 

Le monde est un gigantesque espace de jeu où s’affrontent trois joueurs, pratiquant chacun un jeu différent : l’Etatsunien, le Poker, le Russe, les échecs et le Chinois, le jeu de Go. Trois jeux de stratégie dont le premier fait appel au hasard.

 

 

Les statues en cire de Trump, Poutine et Xi Jin Ping au Musée Grévin, les trois leaders du monde

Les statues en cire de Trump, Poutine et Xi Jin Ping au Musée Grévin, les trois leaders du monde

 

 

Les Européens et les Ukrainiens sont cantonnés au rôle de spectateur ou d’enjeu dans cette partie aux accents cataclysmiques. Ils en sont d’ailleurs en partie responsables. En effet, ils affichent des attitudes matamoresques alors qu’ils n’en ont pas les moyens. Les dirigeants de l’Union Européenne (UE) étaient convaincus que l’OTAN via les USA aiderait les Ukrainiens à résister à l’offensive russe de février 2022. Ce qu’ils ont fait au début. En effet, sans l’appui logistique et militaire des Etatsuniens, l’Ukraine n’aurait pas tenu plus d’un mois. Cependant, cela a causé l’enlisement du conflit et on a senti des réticences de la part de Biden et du Sénat US à poursuivre une aide massive et coûteuse en armes et « techniciens » pour contenir l’armée russe qui, elle aussi, connaît des difficultés au point qu’elle a fait appel à des Nord-Coréens ! Du côté de Washington, Biden a beaucoup hésité même s’il apparaissait comme un soutien « inébranlable » à Zelenski. Les Européens, quant à eux, ont commis un « péché originel » : ils n’ont pas soutenu les accords de Minsk de 2014 qui ont été sabotés à l’initiative d’Angela Merkel qui était encore au pouvoir à ce moment-là. Ils se sont dès lors mis hors-jeu.

 

 

 

Angela Merkel aujourd'hui détachée des affaires porte une lourde responsabilité dans les tragiques événements actuels.

Angela Merkel aujourd'hui détachée des affaires porte une lourde responsabilité dans les tragiques événements actuels.

 

 

 

Ces accords entre la Russie et l’Ukraine étaient destinés à mettre fin aux affrontements sanglants dans le Donbass russophone entre des milices séparatistes soutenues par Poutine et l’armée et les milices ukrainiennes. L’enjeu principal pour Poutine était et reste de ne pas accepter l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Il y a un second enjeu qui est vital pour la Russie : l’accès aux mers du Sud via la Crimée et le port de Sébastopol.

 

Pour bien comprendre, il faut remonter le temps. Référons-nous à un article du blog « Uranopole » du 2 mars 2014 intitulé « L’Ukraine ou l’échec du projet européen ». (https://uranopole.over-blog.com/2014/03/l-ukraine-ou-l-%C3%A9chec-du-projet-europ%C3%A9en.html )

 

La situation géopolitique de l’Ukraine est complexe et porte le poids de l’histoire.

 

Depuis l’indépendance – c’est-à-dire le démantèlement de l’URSS en 1991 –, les choses ne se déroulent pas bien en Ukraine. L’ancien journaliste de la RTBF, Jean-Marie Chauvier, spécialiste de l’Europe orientale, constate dans une interview au journal de gauche Solidaire : « Depuis le démembrement de l’Union soviétique en 1991, l’Ukraine est passée de 51,4 à 45 millions d’habitants. Cette diminution s’explique par une baisse de la natalité, une augmentation de la mortalité due en partie au démantèlement des services de santé. L’émigration est très forte. 6,6 millions d’Ukrainiens vivent maintenant à l’étranger. Nombreux sont les gens de l’est de l’Ukraine qui sont partis travailler en Russie où les salaires sont sensiblement plus élevés, tandis que ceux de l’ouest se sont plutôt dirigés vers l’Europe occidentale, par exemple dans les serres de l’Andalousie ou dans le secteur de la construction au Portugal. L’émigration fait rentrer annuellement, en Ukraine, 3 milliards de dollars. »

 

Et ce n’est pas tout, Jean-Marie Chauvier ajoute : « Alors que le chômage est officiellement de 8 % en Ukraine, une partie importante de la population vit en dessous du seuil de pauvreté : 25 %, selon le gouvernement, jusqu’à 80 % selon d’autres estimations. L’extrême pauvreté, accompagnée de sous-alimentation, est estimée entre 2 à 3 % jusqu’à 16 %. Le salaire moyen est de 332 dollars par mois, un des plus bas d’Europe. Les régions les plus pauvres sont les régions rurales à l’ouest. Les allocations de chômage sont faibles et limitées dans le temps.

 

Les problèmes les plus pressants sont accentués par les risques liés à la signature d’un traité de libre-échange avec l’Union européenne et l’application des mesures préconisées par le FMI. Il y a ainsi la perspective de fermeture d’entreprises industrielles, surtout à l’Est, ou leur reprise-restructuration-démantèlement par les multinationales. En ce qui concerne les terres fertiles et l’agriculture, se pointe à l’horizon la ruine de la production locale qui est assurée actuellement par les petits paysans et les sociétés par action, héritières des kolkhozes et par l’arrivée en grand des multinationales de l’agro-alimentaire. L’achat massif des riches terres s’accélérera. Ainsi Landkom, un groupe britannique, a acheté 100 000 hectares et le hedge fund russe Renaissance a acheté 300 000 ha »

 

L’ultralibéralisme a fait des ravages dans ce pays comme ailleurs, avec les conséquences habituelles : chômage, précarité, émigration, pillage des ressources par des fonds d’investissement étrangers.

 

De Maidan au Bureau Ovale

 

 

Que s’est-il passé après ? Il y a eu Maidan que l’on peut assimiler à un coup d’Etat qui a fini par amener un gouvernement ultra-nationaliste et plus tard Zelensky au pouvoir à la place du « pro-russe » Ianoukovitch. Quelles sont les causes de cet événement ?

 

Nul n’ajoute que le fameux accord de libre-échange avec l’Union européenne rejeté par Ianoukovitch et qui est à l’origine des émeutes de Kiev a pour conséquence la fermeture des industries situées essentiellement dans l’Est russophone du pays dont les friches seraient mises entre les mains des multinationales. Si on y réfléchit bien, ce ne sont pas les Russes qui provoquent la division de l’Ukraine, mais l’Union européenne !

 

 

 

L'insurrection de Maidan n'a généré que conflits et divisions.

L'insurrection de Maidan n'a généré que conflits et divisions.

 

 

L’Ukraine est donc « à reprendre » : quelques industries, les oléoducs et les gazoducs essentiels pour la Russie, les terres agricoles et une main d’œuvre qualifiée à bon marché. Joyeuses perspectives ! »

 

D’ailleurs, que fait Trump aujourd’hui, sinon tenter de s’approprier les ressources minières de l’Ukraine ?

 

Pour comprendre la portée de ces bouleversements, il faut en revenir à l’histoire.

 

La Russie, la Biélorussie et l’Ukraine ont une même origine : l’Etat des Slaves orientaux qui a duré du IXe au XIe siècle dont la capitale était Kiev. Par les différences de langues et de religions qui sont apparues, cet Etat s’est démantelé. L’Ouest a été rattaché à la Lituanie, à la Pologne et plus tard à l’empire austro-hongrois.

 

Après la révolution d’Octobre 1917 et la guerre civile qui s’en est suivi, un premier Etat a été fondé qui portait le nom d’Ukraine et qui a été co-fondateur de l’URSS en 1922. La partie occidentale est restée à la Pologne et a été rattachée à l’Ukraine en 1945 à la suite des accords de Yalta. En 1954, l’Ukraine s’est élargie à la Crimée.

 

Sur le plan économique, l’Est de l’Ukraine est plus industrialisé et est russophone, tandis que l’Ouest est agricole et parle l’Ukrainien. Sur le plan religieux, l’Ukraine occidentale dépend de l’Eglise uniate (gréco-catholique) qui est traditionnellement germanophile. Quant à la capitale Kiev, sa population est très majoritairement russophone, ses élites aident l’opposition et sont proches des oligarques ultralibéraux de Moscou et des Occidentaux.

 

Chauvier ajoute : « L’Ukraine est donc partagée – historiquement, culturellement, politiquement – entre l’Est et l’Ouest, et il n’y a aucun sens à dresser l’une contre l’autre, sauf à miser sur l’éclatement voire la guerre civile, ce qui est sans doute le calcul de certains. A force de pousser à la cassure, comme le font les Occidentaux et leurs petits soldats sur place, le moment pourrait bien venir où l’UE et l’OTAN obtiendront « leur morceau » mais où la Russie prendra le sien ! Ce ne serait pas le premier pays qu’on aurait fait délibérément exploser. Nul ne doit ignorer non plus que le choix européen serait également militaire : l’OTAN suivra et aussitôt se posera la question de la base russe de Sébastopol en Crimée, majoritairement russe et stratégiquement cruciale pour la présence militaire en Mer Noire. On peut imaginer que Moscou ne laissera pas s’installer une base américaine à cet endroit ! »

 

Le nouveau pouvoir issu de l’insurrection de Kiev a tout de suite été reconnu par les chancelleries occidentales. L’ancien diplomate indien M K Bhadrakumar, aujourd’hui écrivain et journaliste, autorité en matière de géopolitique écrit dans Indian Punchline : « Le projet occidental est d’organiser au plus vite, c’est à dire en mai [2014], de nouvelles élections qui donnent une légitimité constitutionnelle à ses hommes de main pour qu’ils puissent signer l’Accord d’Adhésion à l’Union Européenne. Autrement dit, l’Occident a répondu au challenge de la Russie en exigeant d’elle qu’elle avale la pilule amère que constitue une Ukraine hostile à sa porte, une Ukraine qui tôt ou tard serait intégrée à l’OTAN, amenant l’alliance occidentale aux frontières russes pour la première fois dans l’histoire. » Mais, c’est compter sans la réaction russe. Après le renversement de Ianoukovitch, les choses ont changé. Les Russes qui en cette affaire, étaient restés aux abonnés absents réagissent. Poutine demande au Sénat l’autorisation pour une intervention militaire en Ukraine après un « appel » d’un dirigeant de Crimée. Tout était déjà programmé en 2014 !

 

Sans entrer dans les détails, on peut considérer que ces provocations successives et l’alignement systématique de l’UE sur le néo conservatisme étatsunien exercé particulièrement par Merkel sont une des causes de la guerre dite « opération militaire spéciale » ordonnée par Poutine le 24 février 2022.

 

Poutine a commis l’erreur de penser que ladite « opération » serait aisée. L’aide apportée par les Occidentaux à l’Ukraine l’empêcha d’atteindre ses objectifs : renverser Zelensky, annexer le Donbass et la Crimée. Si la Crimée fut par un référendum contestable « rendue » à la Russie, la guerre continue et est de plus en plus sanglante. Et elle se poursuivra tant que l’on inondera l’Ukraine d’armes létales.

 

Cependant, dans cette guerre qui s’enlise depuis bientôt trois ans, les cartes viennent de changer de main. Donald Trump, milliardaire, homme d’affaires sans scrupule, est aujourd’hui maître du jeu et veut en finir avec les deux conflits – Proche-Orient et Ukraine – qui entravent ses projets. Sans doute, l’invraisemblable incident au Bureau Ovale de la Maison Blanche sonne-t-il la fin de la sinistre « récréation » russo – ukrainienne.

 

 

 

Zelensky est tombé dans le piège tendu par Trump et Vance dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche. Comment a-t-il pu accepter la présence de journalistes et de caméras lors d'un entretien au plus haut niveau ?

Zelensky est tombé dans le piège tendu par Trump et Vance dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche. Comment a-t-il pu accepter la présence de journalistes et de caméras lors d'un entretien au plus haut niveau ?

 

 

Voyons maintenant la chronologie des derniers et récents événements. Cela permet d’éclairer les choses :

 

Le 12 février, trois semaines après son intronisation, Donald Trump a un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine. Rien n’a filtré de cette conversation et les deux protagonistes sont jusqu’à présent restés muets. Sans doute, d’importantes décisions ont été prises à ce moment.

 

La conférence de Munich du 14 – 15 février sur la sécurité a montré que l’Europe est désormais hors-jeu. Le fameux discours du vice-président US Vance a sonné le glas de cette réunion et accéléré la rupture annoncée entre les USA et l’UE.

 

La plus grande menace qui plane sur le Vieux Continent, a-t-il dit, n’est « ni la Russie ni la Chine », mais « le renoncement de l’Europe à certaines de ses valeurs les plus fondamentales ». Et il a aussi dénoncé les « pressions » exercées par les gouvernements européens « sur les réseaux sociaux au nom de la prétendue désinformation »« Il ne faut pas avoir peur de son propre peuple, même quand il exprime une opinion qui n’est pas celle de ses dirigeants. » Une défense de l’extrême-droite européenne ! Et enfin, Vance exhorte les Européens a se doter des moyens nécessaires à assurer leur propre défense. Autrement dit, ils ne doivent plus compter sur les USA. Trump avait averti pendant sa campagne électorale !

 

 

 

Le vice-président US Vance a donné une inquiétante leçon aux Européens qu'ils n'ont  guère appréciée !

Le vice-président US Vance a donné une inquiétante leçon aux Européens qu'ils n'ont guère appréciée !

 

 

Aussi, les Européens sont d’accord pour augmenter les dépenses militaires malgré la cure d’austérité imposée par la Commission européenne et avec l’aval des gouvernements conservateurs voire fascisants de plusieurs Etats-membres de l’UE. Le « Monde » écrit : « Mme von der Leyen a annoncé un assouplissement des critères budgétaires encadrant l’euro afin de permettre aux Etats membres de s’endetter davantage pour financer cet effort de défense. « Nous, Européens, devons prendre la part du lion » des dépenses de l’OTAN, a renchéri M. Pistorius : « Moins de promesses, plus d’action. » Les Allemands sont bien bellicistes, ces temps-ci !

 

On peut toujours « rouler des mécaniques », la réalité est que l’Europe n’en a pas les moyens. On l’a d’ailleurs observé : après le « clash » Trump – Zelenski, ce dernier s’est empressé de clamer sur la chaîne TV Fox News, celle qui contribua à l’élection de Trump, son admiration pour l’Amérique et la remercier de l’aide à l’Ukraine. Quant à l’Europe, au sommet de Londres du 1er mars, le nouveau Premier britannique va proposer à Trump le plan de paix adopté à cette conférence.

 

Il semble que la guerre se déroule entre la Russie et l’Ukraine. Ce serait donc à Poutine que ce plan devrait être proposé… Mais, rassurons-nous, Trump saura très bien quoi en faire dans son propre intérêt.

 

La partie est loin d’être terminée et le locataire de la Maison Blanche a toujours les cartes en main. Les Européens n’ont qu’à observer, et encore, si on leur permet !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

Post-scriptum

 

Ajoutons cependant que dans ces bras de fer « géopolitiques » à l’Est de l’Europe et au Proche-Orient, il y a une victime collatérale : le droit international.

 

En attaquant l’Ukraine, Poutine viole la Charte des Nations Unies. En bombardant des populations civiles, Poutine viole les lois de la guerre et le droit humanitaire. En bombardant les hôpitaux, les écoles, toutes les infrastructures civiles, Netanyahu commet les mêmes infractions au point que la Cour Pénale Internationale a lancé un mandat d’arrêt contre lui pour soupçon de crime de génocide. Rappelons que Poutine est aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI.

 

C’est une nouvelle donne dans l’évolution des guerres. Elle est plus qu’inquiétante et il faut sans délai se mobiliser pour faire pression sur les institutions internationales et les dirigeants pour qu’ils fassent en sorte que les Etats impérialistes respectent ces règles fondamentales.

 

Cela devient une question de civilisation.

 

P.V.

 

 

 

 

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14 février 2025 5 14 /02 /février /2025 11:13

 

 

La proposition de Donald Trump de transformer Gaza en une Riviera pour milliardaires après en avoir expulsé sa population vers la Jordanie et vers l’Egypte a levé une vague d’indignation dans l’ensemble des capitales. Indignation justifiée : la déportation de populations est en infraction au Droit international et fondamentalement contraire à l’éthique. Pourtant, cette idée, aussi odieuse soit-elle, est ancienne et même récurrente.

 

 

L'idée de transformer la bande de Gaza en une "Riviera" sous le contrôle étatsunien a été exprimée lors de la visite de Netanyahu à Washington.

L'idée de transformer la bande de Gaza en une "Riviera" sous le contrôle étatsunien a été exprimée lors de la visite de Netanyahu à Washington.

 

 

Même l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait envisagé d’abandonner provisoirement la terre de Palestine et de gouverner la Jordanie avant le tragique « septembre noir » de 1970-71 qui a vu les Palestiniens de l’OLP alors dirigée par Yasser Arafat chassés de Jordanie vers le Liban en 1973. Il était question alors qu’elle s’installe au pays du Cèdre, ce qui déclencha la guerre civile en 1976. Les Israéliens envahirent ce pays en 1982 et Arafat et ses troupes durent fuir vers la Tunisie en 1983. Ce sont les accords d’Oslo de 1993 qui marquèrent le retour de l’OLP à Gaza et en Cisjordanie. Le Hamas, issu des Frères musulmans, fut fondé en 1987 et bénéficia du soutien plus ou moins officieux des Israéliens qui voulaient éliminer l’OLP qu’ils considéraient comme leur pire ennemi, alors que le Hamas dans sa charte de 1988 proclamait l’élimination de ce qu’il appelle « l’entité sioniste ». Ces confusions et ces contradictions entre les parties de cet interminable conflit ne font qu’entretenir les tensions rendant toute solution impossible !

 

 

 

Yasser Arafat voulait absolument la constitution d'un Etat palestinien où qu'il soit pour négocier une paix avec Israël d'égal à égal.

Yasser Arafat voulait absolument la constitution d'un Etat palestinien où qu'il soit pour négocier une paix avec Israël d'égal à égal.

 

 

Auparavant, en 1983, le président Ronald Reagan envisagea déjà une déportation, non seulement des Gazaouis, mais de tous les Palestiniens, en Égypte et en Jordanie. Cela ne déclencha pourtant pas un tollé comme aujourd’hui. Il est vrai qu’à l’époque l’opinion publique était plus favorable à Israël sans doute à la suite de la vague d’attentats terroristes que l’on attribuait essentiellement aux Palestiniens.

 

 

 

Ronald Reagan était aussi favorable à la déportation des Palestiniens des "territoires" vers l'Egypte et la Jordanie.

Ronald Reagan était aussi favorable à la déportation des Palestiniens des "territoires" vers l'Egypte et la Jordanie.

 

 

Néanmoins, la question est désormais posée et elle sera au centre des pourparlers indirects du Hamas et de l’État d’Israël à Washington. L’idée de transformer Gaza en Riviera du Moyen-Orient n’est pas qu’une lubie de Jared Kushner, le gendre et conseiller de Donald Trump ; elle a été avancée la première fois en 1993 par Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères. Il parlait de faire de Gaza le « Singapour du Moyen-Orient ». Israël Katz, alors ministre israélien des Affaires étrangères, avait également présenté, en janvier 2024, au Conseil européen, un projet tout aussi surprenant quoi que plus petit, de station balnéaire sur une île artificielle non loin de la côte gazaouie.

 

Et n’oublions pas qu’il semble qu’il y ait une immense réserve de gaz naturel au large de Gaza. Cet enjeu quelque peu passé sous silence est – on s’en doute – d’une importance capitale.

 

Le piège du Hamas

 

Trump va sans doute avoir bien plus de poids au Proche Orient que son prédécesseur Joe Biden qui a échoué sur toute la ligne. Dans une tribune parue le 9 février 2025 dans « le Monde », le professeur à Science Po, Jean-Pierre Filiu, écrit :

 

« Deux semaines seulement après le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, je mettais en garde dans cette chronique contre l’aveuglement d’Israël qui, en s’acharnant contre la population de Gaza, ferait immanquablement le jeu de la milice islamiste. J’appelais l’Etat hébreu et ses alliés à « ne pas tomber dans le piège du Hamas à Gaza » et à « ne pas laisser le Hamas l’emporter [là-bas], même sur un champ de ruines ». Les représailles israéliennes prenaient déjà la forme d’une vague de bombardements d’une violence inouïe. »

 

Et M. Filiu rappelle que ce qu’il nomme « le piège du Hamas » qui s’est progressivement refermé sur l’armée israélienne : c’est la réoccupation de la bande de Gaza. « 2024, n’ont ajouté que des ruines aux ruines, sans pour autant compromettre la prééminence du Hamas Cette réoccupation, amorcée le 27 octobre 2023, se poursuit quinze mois plus tard, en dépit des redéploiements militaires de ces dernières semaines. Et chaque escalade israélienne, avec l’offensive du 6 mai 2024 sur Rafah, puis la campagne de dépopulation du nord de Gaza, lancée le 6 octobre. »

 

 

 

Toute une région détruite, 47 000 morts, plusieurs centaines de milliers de Gazaouis sans abri, sans soin, au bord de la famine.  Et en plus une menace de déportation !

Toute une région détruite, 47 000 morts, plusieurs centaines de milliers de Gazaouis sans abri, sans soin, au bord de la famine. Et en plus une menace de déportation !

 

 

En définitive, Tsahal a cédé à la faiblesse de sa toute-puissance, comme souvent dans des combats entre une armée « conventionnelle » et une guérilla. Le 7 octobre 2023 fut une défaite militaire pour Israël, en plus d’être un massacre de population civile. Le Hamas a réussi à occuper pendant deux à trois jours une partie du territoire israélien et, en plus, à neutraliser l’état-major de Sderot, la ville frontière avec la bande de Gaza. C’est une première depuis 1948 !

 

En plus, l’état-major israélien est obsédé par le chiffre. Il publia bon nombre de communiqués de victoire recensant le nombre de combattants du Hamas neutralisés, faisant ainsi croire que l’armée éradiquait la « menace terroriste » et justifiait ainsi le nombre de civils tués et d’infrastructures détruites. C’est par ce biais que l’on a assimilé la stratégie israélienne à un génocide. Bon nombre d’hôpitaux, d’écoles, de dispensaires, de quartiers résidentiels, de dépôts de vivres ont été bombardés sous prétexte qu’ils abritaient des « terroristes » du Hamas !

 

Le Professeur Filiu ajoute : « L’état-major israélien a en effet cédé à la fascination pour des bilans purement statiques, comme s’il suffisait de réduire le « stock » de combattants du Hamas pour éliminer la « menace terroriste ». Non seulement cette obsession des chiffres a pu justifier la mort de dizaines, voire de centaines de civils pour chaque « cible » visée, mais elle a ignoré la dynamique de recrutement du Hamas, laquelle est accentuée par le caractère plus ou moins aveugle des frappes israéliennes. »

 

Ainsi, on peut dire que Tsahal s’est enlisé dans cet affrontement atroce dont on ne voit pas l’issue. La crise des otages est loin d’être terminée, mais le cessez le feu semble se maintenir. Trump n’a d’ailleurs aucun intérêt à ce qu’il soit rompu. Et c’est cela le plus important, car il semble prendre le contrôle de la situation essentiellement pour des intérêts économiques et financiers colossaux. C’est cela qui intéresse au premier chef le nouveau locataire de la Maison Blanche.

 

Vraiment, à Gaza, rien de nouveau. Les Gazaouis risquent d’avoir le choix entre la valise et le cercueil. On a déjà entendu cela quelque part, il y a bien longtemps !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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5 février 2025 3 05 /02 /février /2025 17:17

 

 

Quelques heures après l’annonce vendredi 31 janvier 2025 à 22 h 00 d’un accord de gouvernement par son futur Premier ministre Bart De Wever, le leader nationaliste flamand de la NV-A (Nouvelle alliance flamande) premier parti de Flandre et de Belgique, l'eurodéputée française Marion Maréchal (nous voilà !), petite-fille de feu Jean-Marie Le Pen, vice-présidente du parti des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), a félicité samedi soir Bart De Wever pour son accession au poste de Premier ministre en Belgique. Elle voit en lui un renfort pour le groupe parlementaire ECR au sein du Conseil européen, dit-elle dans un message sur X, le réseau d’Elon Musk.

 

 

 

La célèbre photographie datant de 1996 montrant le jeune Bart De Wever avec Jean-Marie Le Pen. En 2025, la petite fille de Le Pen, Marion Maréchal félicite Bart De Wever pour son accession au poste de Premier ministre.
La célèbre photographie datant de 1996 montrant le jeune Bart De Wever avec Jean-Marie Le Pen. En 2025, la petite fille de Le Pen, Marion Maréchal félicite Bart De Wever pour son accession au poste de Premier ministre.

La célèbre photographie datant de 1996 montrant le jeune Bart De Wever avec Jean-Marie Le Pen. En 2025, la petite fille de Le Pen, Marion Maréchal félicite Bart De Wever pour son accession au poste de Premier ministre.

 

 

L’ECR regroupe différentes fractions d’extrême-droite en Europe dont Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, le parti du Premier ministre slovaque. La NV-A en fait partie bien qu’elle se prétende démocrate ! Donc, l’ECR sera représenté par trois Premiers ministres au Conseil européen. C’est une première ! L’ECR compte 78 eurodéputés. L’autre formation d’extrême-droite européenne est le groupe ID (Identité et Démocratie) qui comprend le Rassemblent national français, le FPÖ autrichien et aussi le Vlaams Belang, le parti rival de la NV-A, carrément néonazi. Il compte 49 eurodéputés.

 

Donc, la Belgique s’est dotée d’un gouvernement de droite dure qui disposera d’appuis extérieurs un rien gênants ! Cela n’est d’ailleurs pas nouveau : « Uranopole » avait déjà dénoncé la formation en 2014 du gouvernement surnommé « la Suédoise » dirigé par le libéral Charles Michel où figuraient deux ministres NV-A proches de l’extrême-droite (https://uranopole.over-blog.com/2014/10/l-extreme-droite-est-au-pouvoir-en-belgique.html ) Jan Jambon (Intérieur) et Theo Franken (migration). Comme par hasard, ils se retrouvent tous deux dans le gouvernement Bart De Wever, en des postes importants :  le premier aux Finances et le second à la Défense.

 

Qu’attendre de tout cela ? Comme toujours, le programme d’un gouvernement de droite est de donner la priorité au capital sur le travail, en détricotant la sécurité sociale, en affaiblissant les services publics et en démantelant la fonction publique. Et sur le plan régalien, un durcissement des conditions de migration, des sanctions plus sévères en matière de Justice et une répression accrue dans les domaines sociaux et culturels, ainsi qu’un renforcement du budget de la Défense d’ailleurs demandé par l’OTAN.

 

 

Le gouvernement de Bart De Wever composé de ministres NV-A, MR (libéraux francophones), chrétiens francophones et flamands et les socialistes flamands de Vooruit. Jan Jambon NV-A au premier rang à gauche, ancien du gouvernement Michel est ministre des Finances, Theo Francken, lui aussi ancien du gouvernement Michel; au deuxième rang derrière Bart De Wever, est ministre de la Défense. Une continuité !

Le gouvernement de Bart De Wever composé de ministres NV-A, MR (libéraux francophones), chrétiens francophones et flamands et les socialistes flamands de Vooruit. Jan Jambon NV-A au premier rang à gauche, ancien du gouvernement Michel est ministre des Finances, Theo Francken, lui aussi ancien du gouvernement Michel; au deuxième rang derrière Bart De Wever, est ministre de la Défense. Une continuité !

 

On constate en plus un affaiblissement des corps intermédiaires (syndicats et mutuelles), des régressions sociales majeures comme la limitation de la durée du chômage, le durcissement des conditions d’asile des migrants ; en matière de Justice, certaines peines alourdies, construction de nouvelles prisons ; le budget, comme dit plus haut, verra une augmentation de celui de la Défense et aussi des restrictions strictes en matière sociale et dans les investissements publics. En outre, il faut noter la touche nationaliste flamande : certaines mesures proposées sont défavorables particulièrement à Bruxelles comme la fusion des six zones de police et la réduction de Beliris qui consiste en une participation de l’Etat fédéral au développement de la capitale, notamment en matière de mobilité.

 

En matière de pension, ce sera l’encouragement à travailler plus longtemps. D’autre part, ce sera la fin des régimes spéciaux de pension pour les cheminots, les militaires, le personnel de soins de santé.

 

En droit du travail, on encourage les « flexi-jobs », le travail de nuit et du dimanche. C’est donc progressivement une régression qui se met en marche. Le patron de la FEB (l’équivalent belge du MEDEF) se réjouit et félicite Bart De Wever pour ses « réformes structurelles » ! Le ton est donné…

 

Le capital se sert donc de la partie la plus radicalement conservatrice du corps politique pour triompher du travail !

 

Cette description n’est que succincte. Nous nous efforcerons de compléter ce catalogue d’horreurs en les commentant dans les prochains jours et surtout en observant comment tout cela sera appliqué.

 

Cependant, on peut être certain d’une chose : ce programme fera l’objet d’oppositions dures de la part du monde du travail. Déjà, le 13 février, un grand rassemblement est prévu avec grève générale à l’appui quelques jours après.

 

Heureusement ! Mais que, pour une fois, en plus de hurler, la gauche adopte une stratégie d’opposition, voire de résistance, efficace et dans la mesure du possible coordonnée. Et pour cela, il faut sortir d’un confortable conformisme pour créer un véritable rapport de forces.

 

Et là, il faudra travailler dur !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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28 janvier 2025 2 28 /01 /janvier /2025 10:31

 

 

On se souvient de la célèbre mélopée sud-africaine « Le lion est mort ce soir » qui chante la joie populaire d’un village rassuré par le décès de son prédateur dans la jungle environnante.

 

 

 

 

La disparition du « patriarche » de l’extrême-droite française évoque cette mélopée : il est parti, bon débarras, comme si l’extrême-droite se trouvait désormais orpheline. Marine et Marion, sa fille et sa petite fille, peut—être, mais ce courant politique de plus en plus puissant, non ! A la limite, il se réjouit aussi d’être allégé du poids de l’homme du « détail de l’histoire » et de « Durafour crématoire » qui dérangeait. Cependant, gageons que sa « pensée » marquera encore longtemps les esprits…

 

 

 

Jean-Marie Le Pen a dérayé la chronique pendant plus de soixante ans.

Jean-Marie Le Pen a dérayé la chronique pendant plus de soixante ans.

 

 

Mais qui était réellement Jean-Marie Le Pen et quelle fut sa réelle influence ?

 

On lit dans « Mediapart » l’analyse de l’historien Nicolas Lebourg, par ailleurs un de ses chroniqueur :

 

« Ceux qui l’ont haï et ceux qui l’ont adulé peuvent se mettre d’accord sur un point : le fondateur du Front national a démontré que l’on pouvait changer la France sans la gouverner. Raciste, antisémite, éveilleur des passions d’extrême droite du pays, il fut aussi un révélateur de la société française.

Jean-Marie Le Pen est mort mardi 7 janvier, à l’âge de 96 ans. Le fondateur du Front national (devenu Rassemblement national en 2018) disparaît le jour de la commémoration des dix ans de l’attentat qui a visé Charlie Hebdo, tuant douze personnes, dont les dessinateurs Cabu, Charb ou Tignous, qui n’avaient jamais caché leur haine contre celui qui fut le moteur et le visage du renouveau de l’extrême droite en France après la Seconde Guerre mondiale.

 

Son décès intervient alors que sa fille, Marine Le Pen, est en visite à Mayotte, où ses éternels appels à lutter contre l’immigration trouvent un écho d’autant plus favorable qu’ils se distinguent désormais très peu des messages du gouvernement lui-même.

 

Jean-Marie Le Pen a multiplié toute sa vie les déclarations racistes, antisémites, minimisant les crimes nazis ou louant la colonisation, qui lui ont valu nombre de condamnations (lire l’encadré). Son épitaphe pourrait être l’une de ses phrases fétiches : « Je suis l’homme le plus haï de France. » Elle n’était pas forfanterie.

 

Dans une société aux représentations très droitisées, il est peut-être délicat pour les plus jeunes de savoir à quel point fut clivant celui que l’historien Grégoire Kauffmann a affublé à jamais du surnom de « diable de la République ».

 

Incontestablement, JM Le Pen a réussi à faire « revivre » les idées d’extrême-droite en France et même ailleurs : c’est ce qu’on appelle « la Lepénisation des esprits ». Il est vrai que ce courant a toujours existé en France. Il était même présent sous l’Ancien régime : la Fronde, la révolte de la petite noblesse contre le Roi Louis XIII, en est une des premières manifestations.

 

 

Natacha Polony analyse son étonnante ascension dans un éditorial de l’hebdomadaire « Marianne » :

 

« Comment passe-t-on en quarante ans d’un petit groupuscule fondé par des nostalgiques de l’OAS et de l’Occident blanc à un parti drainant 11 millions de voix, un parti aux portes du pouvoir ? Le concept forgé par ceux qui prétendent analyser le phénomène, la « lepénisation des esprits », ne fait que démontrer combien leur analyse, justement, a fourni une partie du carburant.



Voilà quarante ans que, de sociologues en journalistes, on remplace la pensée politique par le discours épidémiologique sur un supposé virus contre lequel la quarantaine et le confinement seraient les seuls traitements. Et même lorsque, du triomphe de Donald Trump et Elon Musk aux scores massifs des partis d’extrême droite partout en Europe, les faits nous enjoignent d’abandonner le jugement moral pour, de toute urgence, retrouver ce chemin de la pensée politique, certains continuent à brandir leur crucifix et à jouer les exorcistes pour cacher que le seul enjeu est de maintenir intact leur pouvoir.



Il n’y a aucun hasard à ce que la première percée du Front national ait eu lieu au moment où François Mitterrand entérinait la fin de toute tentative d’infléchir la mondialisation naissante. La gauche au pouvoir renonçait à ses promesses et abandonnait les classes populaires en acceptant la division mondiale du travail impliquée par le libre-échange et l’ouverture à tous vents du marché commun, mais elle trouvait dans l’épouvantail Le Pen un moyen d’affaiblir la droite pour éviter de payer trop cher dans les urnes le prix de son renoncement. Et cet épouvantail a l’immense avantage de contaminer tout ce qu’il touche. »

 

Effectivement, ce qu’on a appelé le « tournant libéral » de la gauche française au pouvoir depuis 1981est bien plus fondamental qu’un simple revirement stratégique. Il signifie le déclin de la social-démocratie. Son apport majeur dans l’histoire de l’Europe occidentale fut la sécurité sociale et les lois sur le travail, tout en étant réticente aux indispensables réformes de structure comme le voulaient les syndicats. Elle a profité de la politique keynésienne d’après-guerre pour imposer ses réformes sociales. C’était les trente glorieuses et les courants politiques extrémistes étaient insignifiants. Cependant, peu à peu, la social-démocratie s’essoufflait : elle n’avait plus de projets mobilisateurs.

 

 

Après mai 68, elle est passée progressivement du social au sociétal. Elle a abandonné les classes populaires. Elle ne s’est pas opposée à la mondialisation néolibérale qui se renforçait dès le début de la décennie 1980-90. Ainsi, la social-démocratie laissa un vide qui profita à l’extrême-droite et Le Pen l’avait bien compris. Il faut aussi dire que Mitterrand lui a donné un sérieux coup de main : en 1982, il fit en sorte que Le Pen soit invité à l’émission « L’heure de vérité » diffusée par Antenne 2 (l’ancêtre de France 2) à une heure de grande écoute lui donnant ainsi accès aux grands médias. Cela provoqua un tollé, mais JM Le Pen avait franchi une étape majeure. Il comptait désormais dans l’arène politique. Ce fut le début de son irrésistible ascension et de celle de l’extrême-droite.

 

 

 

François Mitterrand a ouvert la boîte de Pandore en donnant l'accès aux grands médias à Le Pen.

François Mitterrand a ouvert la boîte de Pandore en donnant l'accès aux grands médias à Le Pen.

 

 

Mitterrand avait agi ainsi parce qu’il prévoyait une défaite de son camp aux prochaines élections législatives de 1986. Après avoir viré de bord en 1983, passant d’une politique sociale et économique de gauche à ce qu’on a appelé le « tournant libéral », il a affaibli son camp. Par après, en introduisant le Front national, tout en décrétant le scrutin proportionnel, il prit ce moyen pour affaiblir la droite républicaine.  Entre temps, aux élections européennes de 1984, le Front national engrangea 10 % des voix et amena une dizaine de ses députés, dont Jean-Marie Le Pen au Parlement européen et devint ainsi une force politique avec laquelle il faudrait désormais compter. De même aux législatives de 1986, des députés FN furent élus pour la première fois et affaiblirent la droite triomphante. Par après, on en est vite revenu au scrutin majoritaire à deux tours, l’extrême-droite risquant d’obtenir la majorité absolue !

 

 

Incontestablement, Le Pen a contribué au succès de l’extrême-droite en Europe dont les causes sont multiples. Comme dit plus haut, la transformation de la social-démocratie en une gauche bourgeoise et sociétale en est une des principales causes. Et ce n’est pas propre à la seule Europe. Le succès de Donald Trump le montre : sa concurrente Kamala Harris présentait toutes les caractéristiques du progressisme libéral de gauche. Elle a bénéficié du soutien actif de la presse mainstream. Mais on a oublié que, comme la social-démocratie en Europe, le Parti démocrate avait abandonné le peuple en plus de la calamiteuse présidence de Joe Biden. Et ce peuple ne se trouve pas dans les mégalopoles la côte Ouest et de la côte Est, mais dans le Middle West, dans le Deep South et dans les Etats industriels du Nord.

 

 

Le Front national devint une entreprise familiale. Jean-Marie Le Pen poussa sa fille Marine au sommet. Celle-ci avait compris que pour progresser, il fallait en finir avec les dérapages antisémites dont son père était coutumier. Elle entama ce qu’on a appelé la « dédiabolisation ». Et elle y a incontestablement réussi après pas mal de temps. Un exemple, en 2002, lorsque JM Le Pen parvint à se hisser au second tour des élections présidentielles face à Chirac, il n’y eut pas de débat de second tour et il ne fut invité nulle part et son score final fut minable. Depuis l’élection de Macron en 2017, Marine Le Pen est régulièrement reçue à l’Elysée, dans les grands médias. Elle changea le nom du Parti : « rassemblement national », cela fait moins guerrier que « front national » ! Cela n’empêche pas le RN de compter en son sein pas mal de « nostalgiques » du IIIe Reich et du régime pétainiste.

 

 

Il faut aussi souligner les incohérences de l’extrême-droite et particulièrement du RN. Sur le plan socio-économique, son programme est tantôt keynésien, tantôt ultralibéral. En définitive, ce courant politique se base sur le rejet de « l’autre » et la volonté de détruire le régime de démocratie libérale et aussi le socialisme, mais n’a pas un projet cohérent. Il faut cependant observer que ses adversaires libéraux et sociaux-démocrates nagent aussi dans l’incohérence !

 

 

Pourtant, l’extrême-droite en Europe se développe et se trouve au pouvoir dans plusieurs Etats-membres de l’UE. Dans 6 pays sur 27. Pays-Bas, Italie, Finlande, Hongrie, Slovaquie, sans oublier la Suède où l'extrême droite soutient le gouvernement sans y participer. En plus, dans trois autres pays, l’Allemagne, l’Autriche et la France qui connaissent chacun une crise politique majeure, l’extrême-droite pourrait s’imposer à court terme. Et n’oublions pas la Belgique où les nationalistes flamands néo-nazis du Vlaams Belang et les nationalistes flamands « démocrates » de la NV-A (Alliance nationale flamande) de Bart De Wever, en principe futur Premier ministre, engrangent ensemble plus de 50 % des scrutins.

 

 

 

Bart De Wever, nationaliste flamand issu de l'extrême-droite occupera sans doute « le 16» (l'équivalent belge de Matignon) dans quelques jours...

Bart De Wever, nationaliste flamand issu de l'extrême-droite occupera sans doute « le 16» (l'équivalent belge de Matignon) dans quelques jours...

 

Ainsi, cinq des Etats fondateurs de l’UE sont concernés ! Cela fait beaucoup au niveau d’une UE en grave crise et incapable de trouver une orientation conforme à ses fondamentaux.

 

Cette extrême-droite qui contribue à affaiblir la position géopolitique de l’UE est bien entendu soutenue par ses ennemis comme la Russie de Poutine. Il est vrai que la politique adoptée par Ursula von der Leyen de position en flèche contre la Russie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le refus de négocier un cessez-le-feu et d’imposer les accords de Minsk, sans compter les sanctions économiques qui ont coûté plus cher à l’UE qu’à la Russie.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

Prochain article : L’extrême-droite des milliardaires.

 

 

 

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15 janvier 2025 3 15 /01 /janvier /2025 21:00

 

 

Après la disparition du « patriarche » de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, « Uranopole » va publier plusieurs « papiers » sur les dangers de ce courant qui monte dangereusement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis et dans d’autres parties du monde.

 

 

La victoire de Donald Trump et le décès de Jean-Marie Le Pen sont des événements apparemment sans aucun rapport. En réalité, ils sont liés. La nouvelle extrême-droite prend la place de l’ancienne devenue rance et inefficace bien que connaissant un incontestable progrès électoral. En France, le clan Le Pen a fait son temps. Il cède peu à peu la place au jeune Bardella et à son équipe.

 

 

 

Elon Musk joue les missionnaires auprès de l'extrême droite en Europe pour Donald Trump ou pour lui-même ?

Elon Musk joue les missionnaires auprès de l'extrême droite en Europe pour Donald Trump ou pour lui-même ?

 

 

En Italie, Meloni a pris le dessus sur Salvini, le représentant de l’extrême-droite traditionnelle, et se montre capable de diriger un gouvernement et de mener des négociations internationales tout en ne renonçant pas à installer par petits paquets sa politique extrémiste. C’est en cela qu’elle est dangereuse !

 

 

Marine Le Pen est dépassée par Giorgia Meloni.

Marine Le Pen est dépassée par Giorgia Meloni.

 

 

En Hongrie, Viktor Orban se maintient au pouvoir en dépit des pressions de l’Union européenne (UE) et se moque de ses principes fondamentaux – notamment la Charte des droits fondamentaux – qui forment la base de l’UE.

 

 

 

Viktor Orban se maintient envers et tout au pouvoir au grand dam de l'UE.

Viktor Orban se maintient envers et tout au pouvoir au grand dam de l'UE.

 

 

 

On sait aussi combien Poutine soutient les formations d’extrême droite dans l’UE dans un but évident de déstabilisation. En réalité, nous nous trouvons devant un rapport de forces entre la Russie et le prétendu Occident qui a commencé en février 2022 au moment du déclenchement de l’agression russe sur l’Ukraine, agression russe motivée par les représailles contre les russophones au Donbass de la part des milices partisanes de Zelenski, une guerre qui s’est enlisée dès le départ et qui reste un dangereux centre de tensions.

 

Aujourd’hui, la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle US ajoute un nouveau point de tension où l’extrême droite européenne joue un rôle tout en étant manipulée par le futur ministre chargé de l’organisation et de la logistique, le milliardaire et homme le plus riche du monde, Elon Musk.

 

Pour mieux appréhender ce dossier et le terrible danger qu’il représente, « Uranopole » publie un article du journaliste grec Yorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission. Il vient de publier un article sur les dangers que représentent les rôles de Donald Trump et d’Elon Musk au moment où ils accèdent au pouvoir. Cet article a été publié sur le site de nos amis du « Grand soir ».

 

 

 

Le journaliste grec Yorgos Mitralias a un fin sens de l'analyse dans l'évolution des relations internationales.

Le journaliste grec Yorgos Mitralias a un fin sens de l'analyse dans l'évolution des relations internationales.

 

 

Il est essentiel pour acquérir un minimum de lucidité dans la situation actuelle. Il sert de hors d’œuvre à la série de « papiers » qu’Uranopole prépare au sujet de l’extrême-droite  pour ses lecteurs.

 

Attention ! Danger ! chantait Serge Lama…

 

 

Pierre Verhas

 

 

Ne pas répéter les erreurs des années ’30 - Prendre très au sérieux les menaces de Trump et Musk !

 

 

Tandis que Donald Trump multiplie les déclarations belliqueuses contre le Panama, le Groenland, le Canada ou les Palestiniens, les chancelleries et les médias internationaux se limitent à parler des...manœuvres tactiques du nouveau président des EU. Et pire, une partie de la gauche internationale continue à célébrer Trump le pacificateur (!), celui qui mettra fin aux conflits en cours en Ukraine et en Palestine. Et en même temps, tandis que son second (?) Elon Musk multiplie les initiatives de tout genre en faveur de l’extrême droite dure, néofasciste ou pas, de par le monde, les médias et les gouvernants occidentaux se contentent de parler de son...populisme tout en se demandant « pour qui se prend Elon Musk » ...

 

L’aveuglement de nos gouvernements bien-pensants libéraux

 

Manifestement, rien de nouveau sous le ciel de nos bien-pensants libéraux et autres inconditionnels de l’économie de marché : toutes ces réactions rappellent fortement les réactions de la plupart des médias et gouvernants occidentaux face à Mussolini et à Hitler dans les années ’20 et ’30. Même aveuglement devant la catastrophe qui se prépare et pire, mêmes conversions miraculeuses aux solutions ultraradicales proposées par ces « populistes » et « souverainistes » charismatiques. Comme, par exemple, quand la fine fleur de la presse économique internationale qui se moquait de l’inénarrable nouveau président argentin il y a seulement un an, lui adresse actuellement des éloges délirants, le présentant même comme un modèle aux dirigeants occidentaux ! Et tout ça tandis que plusieurs de nos gouvernants bien néolibéraux, se découvrent actuellement...libertariens en un temps record !

 

Alors, loin de nous l’idée que Trump ou Musk ne veulent pas dire exactement ce qu’ils disent. Ou qu’ils vont « s’assagir » une fois aux commandes et face à la « complexité » des problèmes de notre temps. Tous ces vœux pieux, proposés actuellement en guise d’ « analyses » de la situation par nos experts et autres « politologues », sont les mêmes, parfois mot à mot (!), à ceux que prononçaient nos dirigeants et nos médias dans les années ’30. Et ils ne font que semer la confusion, laissant désarmés et impuissants ceux d’en bas face à la catastrophe qui se prépare contre eux...

 

Vers la dictature libertarienne

 

Oui, Musk et Trump sont pleinement conscients de ce qu’ils promettent de faire, parce que leurs projets et leurs actes correspondent à leurs désirs et surtout à des réalités bien matérielles. C’est ainsi que la prédilection de Musk - mais aussi de Trump dans une certaine mesure - pour l’extrême droite dure et les néofascistes s’explique par le fait que la précondition pour le triomphe de son libertarianisme (qui abhorre même les trop timides limites que met l’Union Européenne à l’avidité capitaliste) est d’écraser tout mouvement syndical et d’atomiser les travailleurs et les travailleuses. D’ailleurs, ni Trump ni Musk ne cachent leur désir de casser de l’ouvrier. Par exemple, en août dernier au cours de leur « débat » retransmis en direct sur X, ils se sont amusés à célébrer les cas des ouvriers qui avaient été licencies par Musk aussitôt qu’ils se mettaient en grève. Et c’est exactement contre leurs prises de position en faveur de la criminalisation du droit de grève, que le puissant syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) a porté plainte contre eux les accusant de "tentative d’intimidation et de menace" des travailleurs. Comme a déclaré le leader de ce syndicat Shawn Fain, « Trump et Musk veulent que les gens de la classe ouvrière restent tranquilles et se taisent, et ils en rient ouvertement. C’est dégoûtant, illégal et totalement prévisible de la part de ces deux clowns ».

 

Briser le mouvement ouvrier avec l’extrême droite.

 

Alors, pour briser le mouvement ouvrier, rien de plus expérimenté, de plus déterminé et de plus organisé que cette extrême droite qui d’ailleurs est en train de monter en flèche. Ici on ne peut pas parler seulement d’affinités électives. En réalité on assiste déjà à la convergence qui pourrait très bien conduire bientôt à la jonction de l’extrême droite dure de par le monde avec les libertariens newlook que représentent Musk, Milei et peut être Trump lui-même s’il parachève son abandon du néolibéralisme. Une telle évolution serait pourtant catastrophique pour l’humanité car elle aboutirait à donner des ailes à une extrême droite désormais décomplexée, encore plus agressive et ouvertement nostalgique de ses ancêtres fascistes, au moment même où elle est en train de devenir la première force politique presque partout en Europe et au monde.

 

 

D’ailleurs, force est de constater que cette jonction des libertariens avec l’extrême droite dure et autres nostalgiques du fascisme est grandement facilité par l’abandon par les libertariens nouvelle mouture Musk, Milei et leurs amis, tant de l’antiétatisme viscéral que de la défense des droits individuels qui caractérisaient le libertarianisme traditionnel. C’est ainsi qu’on voit Musk et ses acolytes libertariens de par monde, non seulement adopter sans états d’âme mais même devenir les champions des traditionnelles théories et préjugés racistes, réactionnaires et obscurantistes de l’extrême droite dure et néofasciste ! (1) Le résultat est qu’une partie toujours plus grande de l’extrême droite mondiale abandonne maintenant son étatisme traditionnel pour adhérer au libertarianisme à la Musk, tandis que le dernier abandonne sa traditionnelle défense des droits individuels pour adopter les théories et les comportements violemment antisocialistes, bellicistes, complotistes, racistes, misogynes, anti-LGBT, anti migrants, antijeunes, antiécologiques, et climato négationnistes de l’extrême droite dure et néofasciste. C’est donc sur cette base bien solide de leurs « valeurs » et intérêts convergents sinon communs que pourrait s’opérer la fusion de l’extrême droite mondiale avec le libertarianisme triomphant de Musk et Milei, (2) suivis désormais de près par Trump. Une fusion qui donnerait alors naissance à un monstre dont la puissance destructrice pourrait bien dépasser tout ce qu’on a connu au siècle passé...

 

Oui, Musk est bel et bien fasciste !

 

Voici donc la réponse à une question qui semble travailler énormément dernièrement les médias et les experts en fascisme : oui, Musk est bel et bien fasciste, même si son fascisme est d’un genre nouveau. Comme d’ailleurs était fasciste pur-sang son très illustre prédécesseur Henry Ford, lui aussi constructeur de voitures, grand novateur du capitalisme en son temps, milliardaire et figure emblématique du capitalisme triomphant américain. Ce Henry Ford qui partage avec Elon Musk la même admiration pour deux très sulfureux politiciens Allemands : le premier pour Adolphe Hitler et le deuxième pour la présidente de l’AFD néofasciste Alice Weidel. Ce Henry Ford dont le portrait trônait toujours au-dessus du fauteuil de Hitler dans son bureau, car Ford avait « découvert » et financé Hitler avant tous les autres, et son antisémitisme radical (quatre volumes d’écrits de sa propre main !) l’avait inspiré et guidé comme aucun autre. D’ailleurs, Musk ne fait actuellement que suivre l’exemple du nazi Henry Ford quand il brise des grèves et attaque les syndicats ouvriers. Seule différence entre les deux : Ford avait sa propre armée de 3 000 nervis briseurs de grève, tandis que Musk n’en a pas (encore ?) et a recours à des milices privées...

 

 

 

Henry Ford, le grand industriel étatsunien des années 1930  proche des nazis

Henry Ford, le grand industriel étatsunien des années 1930 proche des nazis

 

Notre conclusion ne peut être que provisoire car on n’est encore qu’au tout début de cette histoire cauchemardesque. Cependant, on peut déjà affirmer qu’il ne faut pas répéter l’erreur de nos ancêtres des années ’30 et qu’il faut prendre très au sérieux les dires et les menaces de Trump et de Musk, et se préparer de toute urgence pour leur faire barrage D’ailleurs, les besoins de défense nationale qu’invoque actuellement Trump quand il n’exclut pas l’usage de la force pour attaquer le Panama, le Groenland ou le Canada rappelle imperceptiblement les besoins du lebensraum (espace vital) qu’invoquait à son temps Hitler quand il mettait à feu et à sang l’Europe et le monde entier...

 

 

Yorgos MITRALIAS

 

 

Notes

  1. La prédilection de Trump et Musk pour l’extrême droite très très dure et carrément néofasciste est illustrée aussi par le choix des invités à la cérémonie d’investiture de Trump le 20 janvier à Washington. Par exemple, il n’y aura qu’un invité Français, qui ne sera évidemment pas le président Macron, ni même Marine Le Pen, considérée manifestement trop modérée. L’unique invité est ... Eric Zemmour ! Tout un programme...

 

     2. Voir aussi La menace fasciste se précise d’autant que Milei appelle à la création de  l’Internationale brune !.

 

 

 

 

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27 décembre 2024 5 27 /12 /décembre /2024 22:30

 

 

Il y a quelques jours un incident mineur s’est produit dans un train de voyageurs de la SNCB à Vilvorde, petite ville flamande au Nord de Bruxelles. L’accompagnateur de train entre dans un wagon et salue les passagers en flamand et en français pour leur signaler qu’il va procéder au contrôle de billets.

 

 

Un contrôleur de la SNCB à l'esprit ouvert déclenche malgré lui un incident politique majeur et grotesque.

Un contrôleur de la SNCB à l'esprit ouvert déclenche malgré lui un incident politique majeur et grotesque.

 

 

Un passager mécontent dépose plainte pour l’usage des deux langues en région flamande. En effet, la loi de 1966 sur l’emploi des langues en matière administrative dispose qu’un agent des services publics ne peut utiliser que la langue de la région dans laquelle il se trouve, en l’occurrence le flamand, puisque le train est situé en région flamande. Ce n’est qu’en région de Bruxelles capitale que ledit agent peut utiliser la langue française et la langue flamande. Cette affaire insignifiante prend aussitôt des proportions telles qu'elle déclenche un tollé au sein des institutions d’Etat comme le Parlement ! Le Président du CD&V Saddy Mahdi  (chrétiens flamands) s’est déchaîné à la Chambre. Il est vrai que sa position et celle de son Parti sont très délicates depuis les élections du 9 juin.

 

 

 

Saddi Madhy, président du CD&V, chrétiens flamands, est monté sur ses grands chevaux à la Chambre des Représentants à la suite de l'incident avec le contrôleur de la SNCB.

Saddi Madhy, président du CD&V, chrétiens flamands, est monté sur ses grands chevaux à la Chambre des Représentants à la suite de l'incident avec le contrôleur de la SNCB.

 

 

Le résultat de ce scrutin à la fois européen et aussi fédéral et régional en Belgique a fait illusion au départ. On a pensé que la droite qui avait gagné dans tout le pays arriverait à constituer rapidement un gouvernement et procéder aux réformes anti-sociales que les deux principales formations de droite avaient promises : les nationalistes flamands de la NV-A et de Bart De Wever (BDW) d’une part, et les libéraux très « néo » de Georges Louis Bouchez (GLOUB) d’autre part. Ce n’est pourtant pas si simple.

 

 

 

Bart De Wever, leader de la NV-A, victorieuse des élections du 9 juin et des élections communales du 10 octobre a toutes les cartes en main, mais il lui est très difficile de les valoriser.

Bart De Wever, leader de la NV-A, victorieuse des élections du 9 juin et des élections communales du 10 octobre a toutes les cartes en main, mais il lui est très difficile de les valoriser.

 

Pour assurer la stabilité d’un gouvernement fédéral en Belgique, il est indispensable, outre un accord solide sur le programme gouvernemental, qu’il dispose de la majorité dans chacun des deux groupes linguistiques de la Chambre. Ce n’est pas le cas du côté flamand. Les nationalistes de la NV-A, les chrétiens et les libéraux flamands, parti du Premier ministre Hermann De Croo sortant, qui a pris une raclée monumentale le 9 juin ne sont pas assez nombreux à quelques sièges près. Ils doivent s’adjoindre un autre parti pour former cette majorité introuvable. Les nationalistes néo-nazis du Vlaams Belang – deuxième parti de Flandre après la NV-A – sont exclus d’office, cordon sanitaire oblige. Cependant, ils restent en embuscade, car ils ont réussi à s’inscrire dans plusieurs majorités communales.

 

La gauche, aussi bien dans le Nord que dans le Sud du pays, a subi une lourde défaite. Les écologistes ont reculé sérieusement. En Wallonie, le PS prend une raclée, mais se maintient dans ses principaux fiefs. A Bruxelles, contre toute attente, les socialistes reculent moins fort que prévu, ils deviennent la seconde formation politique étant légèrement dépassés par le MR. C’est cependant la troisième défaite aux législatives des socialistes, tant en Wallonie qu’à Bruxelles. En Flandre, cependant, « Vooruit » (En avant), le nouveau nom des Socialistes flamands, se consolide. C’est la raison pour laquelle BDW est obligé de faire appel à eux pour disposer de la fameuse majorité dans le groupe linguistique flamand. Et, là, les choses s’enveniment.

 

 

 

Georges-Louis Bouchez, leader des libéraux francophones, ne cesse de jeter de l'huile sur le feu dans les négociations.

Georges-Louis Bouchez, leader des libéraux francophones, ne cesse de jeter de l'huile sur le feu dans les négociations.

 

 

BDW nommé formateur par le roi Philippe, a basé la négociation pour former un gouvernement sur ce qu’on a appelé sa « super note » contenant ses propositions de programme de gouvernement. Un monument de néolibéralisme mélangé à du nationalisme flamand ! Il y a cependant une subtilité selon une politologue. En cherchant à imposer une politique d’austérité drastique au niveau fédéral, il se rallie les libéraux conservateurs du MR et affaiblit ainsi l’Etat fédéral. C’est la porte ouverte à une énième réforme de l’Etat où on arrivera quasiment à la séparation de la Flandre et de la Wallonie. Il est bien entendu que c’est inacceptable pour « Vooruit » qui se trouve bien isolé dans cette majorité conservatrice.

 

De plus « Vooruit » passe à l’offensive. Son président Connor Rousseau vient de déposer quelques centaines d’amendements à la super note de BDW, les autres formations également. L’examen de tous ces textes ne va pas aider à faire avancer le schmilblick. Cependant, notons que « Vooruit » joue sa survie politique. S’il accepte les mesures anti-sociales figurant dans la super note, il n’a plus aucune raison d’être. Alors, le bourgmestre d’Anvers est placé devant un dilemme : ou bien il maintient sa ligne dure et perdra la participation de la formation de Connor Rousseau, ou bien il met de l’eau dans son vin et risque de l’autre côté d’avoir le rejet de la branche droitière de la coalition « Arizona », à savoir le MR de GLOUB.

 

 

 

Connor Rousseau, président de Vooruit est en position délicate. Pourtant, il ales cartes en main.

Connor Rousseau, président de Vooruit est en position délicate. Pourtant, il ales cartes en main.

Alors, arrivera-t-il à constituer son gouvernement « Arizona » ? Rien n’est moins sûr. Après quatorze visites au roi Philippe qui, chaque fois, l’a reconduit dans ses fonctions de « formateur », la quinzième sera-t-elle la bonne ? On verra. Et si c’est le cas, combien de temps cela va-t-il tenir ? C’est la porte ouverte à l’aventure.

 

Ajoutons que BDW n’est pas libre de ses mouvements pour des causes extérieures. L’Union européenne pourrait enclencher un processus de déficit excessif vis-à-vis de la Belgique. D’où l’obligation de mener une politique d’austérité largement antisociale. Comme on vient de le voir, cela ne le dérange aucunement, ni GLOUB, son vis-à-vis francophone À cela, il faut ajouter la quasi-obligation d’augmentation des dépenses militaires sous la pression de l’OTAN et du désengagement de USA dans la politique de défense atlantique voulue par Trump.

 

Enfin – et c’est un aspect sur lequel on n’insiste pas assez – le réveil des querelles communautaires qui là aussi généreraient d’énormes difficultés. La dérisoire affaire du train prouve qu’en la matière, les tensions sont exacerbées. C’est du pain bénit pour les extrémistes de tout genre.

 

Et à propos d’extrémisme, l’extrême-droite progresse partout. Aux Etats-Unis avec l’écrasante victoire de Trump. Dans pratiquement toute l’Europe occidentale, en Hongrie, en Italie où elle semble s’installer durablement et même dans des pays comme l’Inde et le Japon. Sans compter l’Argentine et bien d’autres pays. La démocratie centriste connaît un déclin qui n’a jamais été aussi important.

 

Le cas de la Belgique est assez spécifique. Au Nord du pays, l’extrême-droite nationaliste flamande est largement majoritaire. La NV-A de Bart De Wever qui se présente depuis une dizaine d’années comme un parti de gouvernement est malgré tout talonnée par le Vlaams Belang qui est carrément néonazi. En revanche, à Bruxelles et en Wallonie, l’extrême-droite n’a jamais réussi à se structurer. Elle reste une mosaïque de groupuscules. En revanche, le parti libéral – le MR – sous l’impulsion de Georges-Louis Bouchez se droitise fortement au point de « récupérer » des thèmes favoris de l’extrême-droite comme l’immigration, le rejet des minorités, la restriction des libertés publiques, etc.

 

Alors, au revoir Belgique ?  Pas tout de suite, sans doute. Cependant, les dangers sont là et ils viennent de l’intérieur comme de l’extérieur. On verra. Sans doute serons-nous bientôt fixés et devrons combattre.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

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