Un lecteur du blog « Uranopole » et par ailleurs ami m’a récemment reproché : « une obsession anti israélienne que tu dois introduire dans tous les articles que tu écris que ce soit pertinent ou pas. »
Je lui rétorque : face aux événements épouvantables à Gaza, il est en effet difficile de ne pas être obsédé. Non pas contre Israël, mais effaré par ces massacres permanents qui ne sont justifiés officiellement par le gouvernement de Netanyahu que comme la réponse indispensable à l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 du Hamas. S’il est évident que l’offensive du Hamas fut sanglante avec en outre la prise d’otages, sont sans conteste des crimes contre l’humanité, l’ampleur de la riposte israélienne, les représailles de Tsahal par le bombardement d’habitations, d’écoles, d’hôpitaux suivie par le déplacement forcé des populations palestiniennes dans cette enclave que Stéphane Hessel avait appelé, il y a quelques années : « une prison à ciel ouvert », constituent aussi des crimes contre l’humanité au regard du même droit international. Cela, d’autant plus que ce n’est pas la première fois que l’armée israélienne effectue des bombardements massifs sur l’enclave de Gaza.
Depuis longtemps, les représailles israéliennes contre les attaques palestiniennes sont disproportionnées, mais cette fois-ci, on assiste à une véritable entreprise d’extermination et de destruction destinée à éliminer ou à expulser la population palestinienne de la bande de Gaza. L’élément nouveau, si l’on peut dire, est la récente déclaration de Netanyahu sans doute inspirée par Trump où il menace ouvertement la population de Gaza d’extermination si elle n’évacue pas l’enclave au plus vite ! Plus de deux millions de personnes ! Et pendant ce temps, les Palestiniens de Cisjordanie subissent des attaques systématiques de la part des colons israéliens fanatiques et messianiques avec la complicité de l’armée d’occupation. Ils formeront sans doute la deuxième « vague », si rien ne change.
C’est le réveil du fameux rêve du « Grand Israël » qu’on croyait être enterré depuis les accords d’Oslo de 1993. C’est la plus épouvantable tragédie humaine depuis la Shoah et le génocide rwandais de 1994 !
Comment en est-on arrivé là après tant d’efforts internationaux pas toujours sincères pour que ce ne soit « plus jamais ça » ?
Antisionisme - antisémitisme
« Antisionisme égale antisémitisme ! » prétendent les défenseurs de cette politique de conquête de l’Etat d’Israël qui a atteint le paroxysme de l’agressivité à l’égard de ses voisins arabes et des Palestiniens lors de la Nakba en 1947-48 et dans les territoires occupés depuis 1967, sans compter la volonté d’annexer ces zones conquises lors de la guerre dite des Six jours. Toute critique même modérée de cette guerre est considérée par la propagande israélienne et de certaines associations juives aux Etats-Unis et en Europe comme des manifestations d’antisémitisme qu’il faut poursuivre au nom de la loi. Saluons au passage le courage de quelques associations comme à Bruxelles, l’Union des Juifs Progressistes de Belgique et à Paris l’Union Juive Française pour la Paix sans compter plusieurs personnalités appartenant à ce qu’on appelle la communauté juive.
Comment comprendre cette tragique évolution de l’entreprise sioniste née à la fin du XIXe siècle en Europe et aussi au Moyen-Orient qui est, qu’on le veuille ou non, une entreprise coloniale. Lors de la naissance du Sionisme à la fin du XIXe siècle, en Europe, le concept national et le colonialisme comme instruments de libération des peuples et de mission civilisatrice étaient à la mode. Le Sionisme en plus de l’idée de retour à la terre d’origine du peuple juif était basé sur ces deux idées : la constitution d’un Etat nation et la colonisation et le développement de la Palestine comme terre juive. Cependant, la pensée sioniste ne se préoccupa guère des Arabes qui habitaient ces territoires depuis des siècles. Le but était de donner un Etat nation aux Juifs qui cherchaient à se protéger des persécutions et massacres dont ils étaient victimes, particulièrement dans le monde slave et une partie du monde arabe, sans compter les exactions dans l’Europe catholique au Moyen-âge et à la Renaissance et qui pouvaient reprendre à n’importe quel moment.
C’est au travers de lettres et de compte-rendu de conversations datant des débuts de l’entreprise sioniste qui n’est autre que la colonisation de la Palestine par les Juifs persécutés en Europe et aussi dans le monde musulman que l’on peut comprendre toute l’ambigüité du Sionisme né pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Ces lettres sont extraites d’un ouvrage récent : Renée Neher – Bernheim, La déclaration Balfour, 1917 : création d’un foyer national juif en Palestine, Paris, Les Belles Lettres, 2025. La conversation émane du livre biographique d’Anne Vanesse : Sophia Poznanska, Bruxelles, éditions Cimmarron, 2024.
Le premier document est l’appel lancé par Joseph Vitkin, un pionnier juif russe, à la jeunesse juive en Russie par l’intermédiaire de Menahem Ussiskin.
« Voici les points dont il faut prendre conscience : quelle que soit la longueur de notre route, dût-elle exiger le sacrifice de générations entières, dût-elle engloutir des victimes innombrables -, il nous faut marcher sur cette route sans jeter un regard en arrière. Il nous faut prendre conscience du fait que nos vaisseaux sont déjà brûlés, que nous n’avons aucun refuge, nulle part dans le monde !
Il nous faut lutter comme des désespérés, comme des ours privés de leurs petits ! L’ensemble effroyable de nos souffrances, de nos protestations, de nos gémissements, tout ce qui étouffe dans nos gorges et que la peur de l’ennemi nous empêche d’extérioriser, il faut à présent le sublimer dans le gigantesque travail que nous entreprenons pour le salut et la résurrection de notre peuple.
(…) Sachez qu’il vous incombe de ramener à la Terre l’attachement de ses enfants, à ses habitants le respect et l’amour (…) et tout cela vous ne pouvez le réaliser qu’en atteignant votre but. Toutefois, préparez-vous à la lutte ; il faudra lutter avec la nature, avec les maladies et la faim, avec les hommes qu’ils soient ennemis ou amis, étrangers ou frères, avec les adversaires du sionisme et avec ses partisans (...) Préparez-vous à affronter la haine et la brutalité de votre entourage qui reconnaîtra en vous une concurrence dangereuse ; préparez-vous à affronter les sarcasmes et les railleries, le désespoir qui ronge la personne entière, l’âme et le corps ; préparez-vous à affronter les pièges dont certains sont dressés par vos propres amis et vos compagnons ; préparez-vous à affronter les risques les plus difficiles et les plus terribles – à affronter même la victoire ! Et votre victoire, ce sera la victoire du peuple tout entier. Beaucoup d’entre vous tomberont sans doute sur le champ de bataille, victimes des maladies, des épreuves de la faim et de l’épuisement, mais les survivants et ceux qui viendront après vous rempliront les vides dans les rangs. Et la guerre, cette guerre pacifique, se poursuivra jusqu’à la victoire. »
À la lecture de ce document, on sent une détermination inébranlable : il faudra consentir d’énormes sacrifices pour libérer le peuple juif, mais aussi mener une guerre, « une guerre pacifique ». Qu’est-ce à dire ? On détecte bien là, en plus de la détermination, une illusion ! L’oxymore « guerre pacifique » montre bien le danger de cette illusion. Pas un mot sur les Arabes. Le « peuple sans terre » comme disait Arthur Koestler ne s’installe pas sur « une terre sans peuple ». La Palestine est loin d’être non peuplée. Elle héberge des Arabes, des Druzes, des Arméniens, des Grecs et même de Juifs qui n’étaient pas issus des alyahs. C’est évidemment ici la source de ce conflit séculaire : beaucoup de Sionistes voulaient fonder un Etat-nation uniquement juif, ne tenant aucun compte des populations locales.
L’appel de Vitkin eut un grand succès auprès des jeunes juifs russes et aussi d’Europe centrale, témoins et victimes des persécutions et pogroms au sein de l’empire russe et des pays slaves, sans compter l’antisémitisme qui se développait notamment en France avec l’affaire Dreyfus. Le Sionisme représentait en définitive le seul espoir comme le proclame Vitkin. Beaucoup de juifs russes et des pays slaves fuient vers les Etats-Unis, mais d’autres répondent à l’appel et s’embarquent pour la Palestine. L’un d’eux, le Polonais David Gruen, qui se fit appeler par après David Ben Gourion arrive en 1906 sur la « Terre des ancêtres » à l’âge de vingt ans.
Il écrivit une lettre décrivant son alyah et ses premiers moments comme pionnier juif en Palestine :
« Le voyage fut long et pénible ; nous dormions dans l’entrepont et il nous fallut deux semaines pour arriver à Jaffa, après des escales à Salonique, Smyrne, Alexandrette et Beyrouth.
Je passai la première comme manœuvre dans l’orangeraie de Petha Tikva, à deux heures et demie de marche de Jaffa. Mon ami Zenach avait eu raison. Il était difficile d’être embauché, même quand les patrons étaient juifs, enfants de pionniers, qui avaient hérité de la terre, mais non de l’esprit d’initiative de leurs parents. Ils préféraient embaucher des Arabes qui avaient l’habitude de travailler de leurs mains, qui s’accommodaient de salaires dérisoires et qui n’avaient pas « la tête tournée » par les absurdités socialistes comme ces jeunes Juifs de Russie.
Nous avons tous eu la malaria. J’ai souvent eu des crises graves, et les docteurs me conseillaient de retourner en Europe car je ne pouvais m’habituer au climat. Bien sûr, je ne les ai jamais écoutés… De plus, je n’oubliais pas ce couple qui avait refusé de partir de Hédéra (aujourd’hui, on écrit Hadera, petite ville israélienne côtière entre Netanya et Haïfa), malgré la mort de leurs trois enfants frappés de malaria. C’est grâce à de telles abnégations que Hédéra est aujourd’hui prospère. C’est grâce à des Juifs comme eux, et à leurs descendants qui ont continué leurs efforts, qu’un pays aride est devenu habitable et riche. Mais l’histoire de Hédéra et de tous ses premiers habitants est surtout poignante par le fait qu’ils étaient sur une terre désolée. Certains avaient quitté des maisons confortables de Russie pour vivre dans des cabanes et apprendre à gagner leur pain de leurs mains.
Je peux me rappeler quelques incidents datant de mes débuts en Palestine, et qui me font rire aujourd’hui quand j’y repense. J’ai autrefois travaillé dans un petit village non loin de Zikhron Yakov. Je passais la nuit dans une étable à vaches. Aujourd’hui encore l’odeur des souris et la puanteur du fumier me remonte aux narines. Mais j’étais tout de même content d’être en Eretz Israël (…)
Mon père apprit ma situation parce qu’il y avait tout le temps des gens qui faisaient la navette avec Plonsk (petite ville de Pologne non loin de Varsovie). Il fut mis au courant du fait que je mourais quasiment de faim, et il m’écrivit de rentrer à la maison. Je lui répondis en le priant de ne pas m’écrire de lettre pareille, parce qu’il n’était pas question que je rentre.
Quinze jours plus tard, il m’envoya un peu d’argent. Je le lui renvoyai en lui demandant de ne plus m’en adresser. Peut-être qu’aujourd’hui, j’aurais accepté cet argent, mais pas quand je mourais de faim. À l’époque de la seconde alyah, qu’est-ce que cela pouvait bien faire si on mourait de faim ? »
Là aussi, apparaît la volonté inébranlable de fonder une nation, encore une fois, sans tenir compte de ses habitants. « Eretz Israël » signifie la Terre de Canaan promise par Dieu aux Juifs dispersés, terre des ancêtres hébreux qui est la leur.
Voici une autre histoire racontée par Anne Vanesse sur une personnalité exceptionnelle : une juive polonaise nommée Sophia Poznanska.
Anne Vanesse décrit la jeunesse tourmentée de Sophia ou Zosha. La Première guerre mondiale où l’armée allemande envahit la Pologne dès le 1er août 1914, les risques de pillage de l’appartement familial, la fuite. Son premier amour, Fishek. Son adhésion au Hashomer Hatzaïr (mouvement de jeunesse juif préparant les jeunes Juifs à « l’alyah ») où se pratiquait une morale stricte par laquelle toute relation sexuelle était interdite. En 1924, Sophia se prépare à la « matura », l’examen de fin d’études secondaires, mais avec ses camarades, elle n’était pas intéressée par les matières classiques comme l’histoire polonaise, les mathématiques, les langues étrangères, car elle n’avait pas l’intention d’aller à l’université. Elle voulait avoir une formation pratique agricole pour aller travailler dans un kibboutz en Palestine et ainsi rejoindre son frère Olek. Elle se retrouva sur le terrain de camping du kibboutz à Afula, localité située au Nord entre Jénine et Nazareth. Afula était à l’origine un village arabe du nom de Al-Fuleh qui comptait plus de 500 habitants arabes dont la plupart ont été expulsés. Ses débuts furent très durs. Sophia devait casser des cailloux pour en faire du gravier afin de construire une route.
Sophia fut très vite déçue par le Ssionisme qu’elle avait imaginé comme un mouvement socialiste de libération et d’émancipation entre les ouvriers juifs et les ouvriers arabes. La réalité qu’elle rencontra était tout autre. Elle s’en ouvrit à son frère Olek dans une discussion rapportée par une amie de Sophia, Yehudit Kafri, qui marqua son destin.
« Les Arabes sont des gens tout comme nous ! »
Le vent fort transportait jusqu’à eux de la fumée imprégnée de l’odeur du bois d’olivier brûlant dans de lointains fours taboun, des aboiements de chiens, des voix de gens.
« Il y a des Arabes ici », répétait-elle. « De quel droit les avons-nous chassés de leurs terres et de leurs villages pour résoudre notre problème ? »
« Vous exagérez. Pas partout. Ils n’ont pas été chassés partout, Zocha. » rétorquait Olek. « Il y avait et il y a suffisamment de terres désertes et incultes ici, de marécages, de moustiques, d’épines, de scorpions et de serpents. Pas partout… »
Cheveux bouclés, au regard intelligent et inquiet qu’il avait dans les yeux, elle détourna les yeux et continua avec entêtement.
« Parlons d’Afula. Nous sommes ici, n’est-ce pas ? »
« Oui » dit-il mal à l’aise sachant ce qui allait se passer.
« Donc, ils ont acheté les 1 600 hectares de la vallée juste avant ton arrivée ici. »
« Oui »
« Et il y avait un village ici. Afula. Il n’était pas si petit. Il comptait 530 habitants. Des fermiers locataires, qui arrivaient à peine à vivre de cette terre, mais ils en vivaient ! Alors, qu’en est-il d’eux ? L’argent a été versé au propriétaire Sursuk, pas à eux. Ils leur ont donné une misérable compensation et ils ont été chassés. Il y a un mot pour cela, Olek : Dépossession ! C’est pour déposséder les Arabes que nous sommes venus en Eretz Israël ? C’est ça que ça veut dire « construire et être construit » ? » »
« Je suis opposé à la dépossession, et tu le sais, Zocha. Tu prends quelque-chose qui est si compliqué et complexe comme, peut-être, deux justices de poids égal, et tu les transformes en une simple question de soit-soit. Soit, eux ils ont raison, soit c’est nous. »
« C’est eux ou nous, Olek. C’est vraiment ce que c’est. »
Plus loin dans la conversation, Zocha pose la question.
« A quoi sert le progrès que nous apportons, si nous ne l’apportons à ceux qui ont été dépossédés, aux Arabes d’Afula ? Nous leur avons pris leur village, la maison dans laquelle ils vivaient depuis des générations. »
« Nous faisons une terrible erreur, Olek. Ils vont se venger de nous… »
Et puis, à un moment, Zocha pose la question du droit des Juifs et des Arabes sur cette terre.
« Donc, les Arabes n’ont pas le droit de vivre – de vivre comme des êtres humains ? Seulement nous que nous !
Olek : « D’où vient notre droit ?
« D’il y a deux mille, trois mille, ou quatre mille ans, d’abord. Et deuxièmement, de la déclaration Balfour. Et encore, plus que ces deux-là, c’est l’absence d’alternative. Parce que l’Europe est finie pour nous ! C’est fini, tu comprends ! »
Les extraits de cette conversation datant de 1925 résument l’implacable et interminable conflit, ainsi que le dilemme des Juifs sionistes qui déchire cette région depuis plus d’un siècle. Et puis, ces propos tenus il y a si longtemps sont toujours d’une brûlante actualité en ces temps où les Israéliens occupent Jérusalem Est, la Cisjordanie et le Golan depuis 1967 et surtout après les massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas de Gaza suivis par ceux des Palestiniens de Gaza qui a fait jusqu’à présent plus de 50 000 morts.
Sophia avait vu juste en prédisant la vengeance des Arabes et son frère Olek qui rétorque : « C’est eux ou nous ! » montre l’aveuglement meurtrier de certains Sionistes.
Et puis, cette idée d’un droit millénaire des Juifs sur la Terre « sainte » ou « promise » n’a aucun sens ! Comment peut-on revendiquer un « droit » deux ou trois mille ans après ? L’historien israélien Schlomo Sand remet d’ailleurs en question cette interprétation de la guerre entre les Hébreux et les Romains. Il considère que le « peuple juif » a été inventé par le Sionisme, il veut démontrer que la fameuse « Diaspora » n’a pas eu lieu. Les faits avérés sont la destruction du Temple par l’envahisseur romain qui a éliminé les habitants qui leur résistaient ainsi que leurs édifices et le massacre ou la mise en esclavage des résistants hébreux.
Une effroyable dérive
Venons-en à l’actualité. Le 7 octobre 2023 est une date majeure dans l’histoire de l’Etat d’Israël et du Sionisme. Elle marque une profonde mutation de l’histoire de cette région du monde perturbée depuis plus d’un siècle par tant de troubles. La récente analyse du professeur d’histoire des religions et de la laïcité de l’ULB, Jean-Philippe Schreiber diffusée sur le réseau social Facebook le 8 mai 2025 qu’il a intitulé « l’histoire d’une effroyable dérive » est révélatrice du désarroi des démocrates européens face à la transformation de l’Etat israélien depuis quelques années et spécialement depuis le 7 octobre 2023.
« C’est l’histoire d’une effroyable dérive. La dérive d’un pays, ou plutôt d’un gouvernement, qui s’enfonce dans un délire expansionniste, s’enfonce dans la matérialisation de son projet suprémaciste, et s’enfonce dans son entreprise de déshumanisation d’une population tout entière. Cette dérive, je l’imagine et l’espère, ne sera pas acceptée par une large partie des citoyens de ce pays, malgré le traumatisme du 7 octobre ~ des citoyens trompés par le mythe selon lequel ils auraient l’armée la plus morale au monde, un mythe entretenu pour renforcer la cohésion sociale et nourrir le déni de la réalité comme l’impunité des crimes commis.
Ce pays, c’est évidemment Israël. Il n’est plus possible aujourd’hui de contester ce que nous étions nombreux à dénoncer depuis longtemps : d’abord, que la priorité du gouvernement de droite et d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou n’est pas la libération des otages toujours détenus par le Hamas et qu’il a proprement sacrifiés à sa politique, mais bien la conquête du territoire de Gaza, l’expulsion programmée de sa population et l’arasage de ses infrastructures devenues inhabitables ; ensuite, que son intention est bien d’affamer la population de Gaza, de sans cesse la déplacer et de l’amener finalement à quitter un territoire qui sera détruit, littéralement détruit comme l’affirme le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich. En janvier dernier, deux historiens reconnus en Israël, professeurs à l’Université hébraïque de Jérusalem, Amos Goldberg et Daniel Blatman, titraient leur tribune dans « Haaretz » : « There’s No Auschwitz in Gaza, but it’s still Genocide ». Nous avons dû nous ranger progressivement à cette idée insensée que certains des dirigeants israéliens entretenaient en effet un objectif de nature génocidaire, ce dont témoignent ouvertement leurs déclarations.
La faillite morale que constate ces jours-ci la rabbine Delphine Horvilleur se décline en quelques mots, qui sanctionnent cette prise en otage de la démocratie israélienne au profit d’un projet messianique, fasciste et meurtrier : le nettoyage ethnique à Gaza, la famine comme arme de guerre, l’indifférence la plus totale à l’égard d’une population considérée comme ennemie et qui se voit proprement déshumanisée, ainsi que le mépris odieux des lois de la guerre. Cette faillite est tragique, et met en péril l’essence profonde de l’État juif.
Même l’écrivain David Grossman, figure éminente des lettres israéliennes, a peur pour la survie de son pays, miné par son actuel tropisme fasciste : « La violence est déjà si profondément ancrée dans la psyché israélienne, tant nationale que personnelle, que le pire pourrait encore éclater », a-t-il déclaré. 70 % des Israéliens, aujourd’hui, s’opposent à la poursuite de cette guerre, et des réservistes de plus en plus nombreux refusent de répondre à l’appel, alors qu’il est évident qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit et qu’en dix-huit mois d’opérations le Hamas n’a toujours pas été défait. Il est temps, plus que temps que tout soit mis en œuvre pour que cesse l’effrayante éradication de Gaza ~ pour le bien des Palestiniens, évidemment, mais pour le bien d’Israël aussi. »
Terminons par la déclaration du Sénateur du Vermont, le démocrate indépendant, juif polonais d’origine, se réclamant du Socialisme et ancien candidat à la présidence des Etats-Unis, très populaire chez les jeunes et dans la classe ouvrière étatsunienne.
Le Sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders est le seul à dénoncer ouvertement les crimes de Netanyahu. Mais, est-il si seul ?
Non, M. Netanyahu, ce n'est ni antisémite ni pro-Hamas de signaler qu'en un peu plus de six mois votre gouvernement extrémiste a tué 34 000 Palestiniens et en a blessé 77 000, dont 70 % sont des femmes et des enfants.
Il n'est pas antisémite de signaler que vos attentats ont détruit 221k maisons à Gaza, laissant un million de personnes sans abri, soit près de la moitié de la population. Il n'est pas antisémite de constater que votre gouvernement a réduit à néant l'infrastructure civile de Gaza, y compris l'électricité, l'eau et les égouts.
Ce n'est pas antisémite de réaliser que ce gouvernement a détruit le système de santé de Gaza, rendant 26 hôpitaux inutilisables et tuant 400 travailleurs de santé. Il n'est pas antisémite de condamner la destruction des douze universités de Gaza et 56 écoles, avec des centaines de plus endommagées et 625 mille étudiants sans éducation.
Il n'est pas antisémite de s'accorder avec les organisations humanitaires pour affirmer que ce gouvernement, en violation de la loi américaine, a bloqué de façon déraisonnable l'aide humanitaire destinée à Gaza, créant des conditions dans lesquelles des centaines de milliers d'enfants souffrent de malnutrition et risquent de mourir de faim.
Monsieur Netanyahu, l'antisémitisme est une forme ignoble et dégoûtante d'intolérance qui a causé des dommages indicibles à des millions de personnes. Mais s'il vous plaît, n'insultez pas l'intelligence du peuple américain en essayant de nous distraire des politiques de guerre immorales et illégales de votre gouvernement extrémiste N'utilisez pas l'antisémitisme pour détourner l'attention des accusations auxquelles il fait face devant les tribunaux israéliens.
Ce n'est pas antisémite de le tenir responsable de ses actes.
Tout est dit, mais rien n’est terminé, car aujourd’hui, nul ne peut prévoir la fin de cette horreur qui démontre de manière épouvantable que le Sionisme est tragique.
Pierre Verhas
Prochain article :
La tragédie du Sionisme (II) : l’illusion de la solution à deux Etats