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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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8 novembre 2017 3 08 /11 /novembre /2017 20:21

 

 

 

Première leçon :

 

« Ne pas honorer ses créanciers et se déclarer formellement en faillite, c’est un cauchemar, mais il y a un avantage : votre dette diminue, et vous avez l’occasion de retrousser vos manches, de vous donner les moyens d’y arriver et de regagner la confiance des investisseurs potentiels. »

 

Deuxième leçon (sur l’Europe) :

 

« Arriver à traiter comme une république bananière un pays européen participant à l’expérience formidable de la monnaie commune revient à condamner une union fondée, en principe, sur la promesse d’une prospérité partagée et d’un respect mutuel. »

 

Et le professeur Yanis ajoute :

 

« L’Europe officielle n’a jamais voulu cela. Avant 2008, les élites de Berlin, Bruxelles, Paris et Francfort croyaient dur comme fer à leur rhétorique de même que les élites des Etats-Unis et de la City de Londres : le capitalisme avait donné le jour à la Grande Modération ; les cycles de croissance et de récession appartenaient au passé ; les banques avaient mis au point la méthode magique pour produire des « risques sans risques » et s’autorégulaient à merveille. Les dirigeants pensaient que c’était la fin de l’histoire et que leur job était une forme de micro-management qui se résumait à encourager un système formidable avançant en pilote automatique, dans un sens largement prédestiné et rationnel.

 

Jusqu’au jour où… »

 

 

Eh oui, depuis Thatcher-Reagan, le néolibéralisme a écrasé la machine keynésienne qui avait réussi à reconstruire l’Europe d’après-guerre, contribué à mettre sur pied l’Etat providence et à assurer une prospérité jamais atteinte durant l’ère contemporaine. Un seul point faible cependant : le système keynésien s’appuyait sur le colonialisme, c’est-à-dire des matières premières à bas coût. Lorsque celles-ci, et particulièrement le pétrole, ont vu leurs prix grimper vertigineusement, le système a commencé à gripper. C’est alors que les néolibéraux se sont précipités. Leurs recettes : dérégulations, privatisations, démantèlement de l’Etat social.

 

C’est donc l’austérité qui est imposée aux pays occidentaux depuis près de quarante ans. Et le professeur Yanis avertit (troisième leçon) :

 

 

« L’austérité est une politique économique désastreuse qui (…) est vouée à échouer en temps de récession. Sauf que l’austérité n’est pas une politique économique. C’est une fable morale qui, quand la crise est trop profonde, sert à légitimer avec un parfait cynisme des transferts de richesses de ceux qui n’ont rien vers ceux qui ont tout. »

 

 

Venons-en aux faits. Le professeur Yanis se transforme en témoin et acteur politiques, Yanis Varoufakis, l’éphémère premier titulaire du ministère des finances grec du premier gouvernement de Syriza dirigé par Alexis Tsipras.

 

 

 

Yanis Varoufakis et Alexis Tsipras formèrent au départ une équipe soudée.

Yanis Varoufakis et Alexis Tsipras formèrent au départ une équipe soudée.

 

 

 

Il raconte dans son dernier ouvrage « Conversations entre adultes » ce qu’il a vécu lors des négociations sur la dette grecque avec les instances européennes et le FMI. Il commence par remonter aux origines de la crise.

 

 

Avant la crise financière de 2008, la Grèce avait la dette la plus forte par rapport à son revenu national. Mais cela n’inquiétait pas outre mesure les autorités européennes. Les choses changèrent par après. La crise dite des « dettes souveraines » s’est invitée à la suite de la crise « financière » et en Union européenne, c’était la Grèce la première visée.

 

 

Le professeur Yanis explique d’abord le mécanisme de la dette (quatrième leçon) :

 

 

« Les Etats ne remboursent jamais leur dette. Ils la reconduisent, c’est-à-dire qu’ils la repoussent à l’infini et ne paient que les intérêts de leurs prêts. Tant qu’ils y parviennent, ils sont solvables. »

 

 

Et il utilise la métaphore de la montagne :

 

 

« On peut imaginer que la dette est comparable à un trou au pied d’une montagne représentant le revenu national. Jour après jour, le trou se creuse, tandis que les intérêts s’accumulent même si l’Etat n’emprunte pas plus. Si la période est favorable et l’économie florissante, la montagne grandit régulièrement. Tant qu’elle grandit plus vite que le trou ne se creuse, le revenu qui s’accumule au sommet de la montagne permet de combler ce dernier et de préserver à la fois sa profondeur et la solvabilité de l’Etat. L’insolvabilité pointe le nez quand la croissance économique d’un pays s’interrompt ou commence à se diminuer : la récession érode la montagne du revenu national, mais elle ne permet pas de ralentir le rythme auquel le trou de la dette continue de s’approfondir. »

 

 

C’est la chute sans fin : les argentiers augmentent les taux d’intérêts de leurs prêts et la dette s’accroît jusqu’à mener à l’insolvabilité.

 

 

C’est ce qui est arrivé à la Grèce après 2008.Et en 2009, les signaux étaient au rouge, car le socle des banques françaises était menacé. Elles possédaient une montagne de produits dérivés américains toxiques. Or, avec les banques allemandes, elles prêtaient à l’Etat grec et possédaient chacune une montagne de titres de la dette grecque qui ne cessait de s’accroître. Les banques allemandes et grecques ont commencé à paniquer. Elles ne prêtaient plus ni à l’Etat, ni au secteur privé grecs. La crise était lancée.

 

 

Sur son blog, dans un article datant du 21 mai 2017, l’économiste Bruno Colmant explique :

 

 

« Lorsqu’on s’interroge sur les origines de cette dette, la première réponse qui fuse d’ordinaire est de l’attribuer à la crise financière. L’explication est politiquement commode, mais elle est totalement incorrecte. Elle relève même de l’imposture intellectuelle. Ce ne sont pas les sauvetages bancaires qui ont créé la dette publique. Ils l’ont réveillée et révélée. Les tendances profondes portent des risques lourds et la théorie de l’imprévisibilité de la dette publique ne peut pas être défendue.

 

L’endettement excessif ne permet pas un développement durable. Il est né dans les années septante, une bonne trentaine d’années avant l’épisode des subprimes. Libérés du carcan monétaire des accords d’après-guerre au moment des premiers chocs pétroliers, les gouvernements européens ont tenté de camoufler la mutation de leurs économies à coups de transferts sociaux, aides publiques et autres soutiens à l’économie sans se réserver de gisements fiscaux suffisants. A l’époque, l’Europe sortait de trente ans de croissance, fertilisée par la reconstruction industrielle et le plan Marshall.

 

Tant l’Europe que les Etats-Unis ont connu une période de croissance dont l’analyse rétrospective fait ressortir une combinaison de trois facteurs : une abondance de crédits à faible taux d’intérêt, une épargne individuelle déclinante et un afflux de biens étrangers à bas prix entraîné par un phénomène de délocalisation industrielle majeure, auto-entretenu par une concurrence débridée. Mais l’Europe, moins résiliente que les Etats-Unis et adossée à des systèmes sociaux plus généreux mais aussi plus rigides, est en plus grande difficulté. Elle risque un tragique manque de croissance. »

 

On verra d’ailleurs que le keynésien de gauche qu’est Yanis Varoufakis est souvent d’accord avec l’analyse d’économistes libéraux et même libertariens. Ce qui ne signifie pas qu’il renonce à ses convictions.

 

 

Un nouveau gouvernement, celui du PASOK de Papandréou, venait d’être mis en place. Ce fut le gouvernement du renflouement, celui qui transforma le pays des Hellènes en « Renflouistan » pour reprendre le néologisme inventé par Yanis Varoufakis. En renflouant la Grèce, on sauvait d’abord les banques grecques et allemandes, mais on augmentait considérablement la dette grecque. Depuis des années, Varoufakis plaide pour qu’on restructure la dette. Il se heurte au mieux au scepticisme, à de farouches oppositions et même au pire, à des menaces sur sa famille.

 

 

 

 

Giorgos Papandréou, le dernier Premier ministre du PASOK qui échoua lamentablement.

Giorgos Papandréou, le dernier Premier ministre du PASOK qui échoua lamentablement.

 

 

 

Le professeur Yanis explique : comme la Grèce n’a plus de monnaie propre, elle ne peut dévaluer pour restaurer sa compétitivité. La seule possibilité, et c’est le credo de la Troïka, c’est une dévaluation interne par une drastique politique d’austérité. C’est la régression sociale garantie : les prix augmentent et les salaires diminuent. Les faillites tombent en cascade et, en définitive, la situation financière ne s’améliore pas, au contraire, elle empire.

 

 

En effet, en 2010 : « … pour 100 Euros de revenu gagné par un Grec, l’Etat devait 146 Euros aux banques étrangères. Un an plus tard, ces 100 Euros étaient tombés à 91 Euros, et en 2012 à 79 Euros. Pendant ce temps-là, à mesure qu’arrivaient les prêts officiels reposant sur les contribuables européens, redirigés ensuite vers les banques françaises et allemandes, la dette équivalente du gouvernement augmentait, passant de 146 Euros en 2010 à 156 Euros en 2011. Même en imaginant que Dieu et les anges du ciel convertiraient tous les fraudeurs fiscaux grecs et nous aient métamorphosés en presbytériens écossais économes, nos revenus étaient trop faibles et nos dettes trop élevées pour empêcher la banqueroute. »

 

 

La descente aux enfers de la Grèce continua. Papandréou qui avait bien servi la Troïka devenait gênant. Et en octobre 2011, elle le convoqua à Bruxelles pour signer la première phase d’un second accord de renflouement, alors qu’il avait commencé à protester contre cette chaîne sans fin de prêts ruineux uniquement destinés à sauver des banques. Un gouvernement de technocrates dirigé par le conservateur Samaras se met en place. Pendant ce temps-là, Yanis Varoufakis s’est rapproché de Syriza et prépare avec Tsipras sa montée au pouvoir. Il y a cependant un point essentiel de divergence avec Syriza : Varoufakis est farouchement opposé au Grexit, c’est-à-dire à la sortie de la Grèce de l’Euro.

 

 

Le professeur Yanis explique alors (cinquième leçon) :

 

 

« … certes, on irait bien mieux si on n’avait jamais intégré la zone euro, mais y être entré était une chose, en sortir en était une autre. Quitter la zone euro ne nous amènerait pas là où nous nous nous serions trouvés si nous n’y étions jamais entrés !

 

 

(…) Contrairement à l’Argentine qui avait renoncé à la parité entre le peso et le dollar, la Grèce n’avait pas de pièces ni de billets à elle en circulation. Le Grexit impliquerait beaucoup plus que l’abandon de la parité entre la drachme et l’euro. En Argentine, la rupture avait donné lieu à une dévaluation drastique de la monnaie nationale qui avait provoqué une exportation massive des exportations, laquelle avait entraîné une réduction importante du déficit commercial, puis une meilleure santé économique. La Grèce serait obligée de créer une nouvelle drachme, et ensuite de la séparer de l’euro. Créer une nouvelle monnaie prend des mois. En d’autres termes, le Grexit équivaudrait à annoncer la dévaluation d’une monnaie avant même qu’elle existe, une politique qui aurait des conséquences redoutables : une fuite des euros et une pénurie de monnaie locale destinées à faciliter les transactions quotidiennes. »

 

 

Donc, on était coincé. La seule possibilité d’en sortir  était d’obtenir la restructuration de la dette. Lentement et sous les conseils de Varoufakis qui est retourné aux Etats-Unis, Syriza se prépare à succéder au gouvernement Samaras.

 

 

En mars 2013, éclate l’affaire de Chypre. Dans la nuit de vendredi 15 à samedi 16 mars 2013, les pays de la zone euro ont élaboré un plan de sauvetage du secteur financier de l'île qui a besoin de 17 milliards d'euros. Le plan prévoit une aide de 10 milliards d'euros (55 % du PIB de l'île) venant de la zone euro et, une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires de 6,75 % jusqu'à 100 000 euros et 9,9 % au-delà devant rapporter 5,8 milliards d'euros. 

 

Le 22 mars, le parlement chypriote accepte la restructuration de la deuxième banque du pays Laiki Bank, à travers la création d'une bad bank.

 

 

Le 25 mars, un second plan est proposé par la Troïka et Chypre. Ce plan comprend la garantie des dépôts de moins de 100 000 euros, la Laiki Bank est condamnée, ses dépôts de moins de 100 000 euros et les actifs de bonnes qualités sont transférés dans la Bank of Cyprus, le reste des dépôts et des crédits sont intégrés pour assurer le financement des décotes des actifs de la banque, touchant les revenus possibles de la liquidation de celle-ci. Les dépôts de plus de 100 000 euros de la Bank of Cyprus sont transformés en action de Bank of Cyprus pour 37,5 % de ces dépôts, 22,5 % supplémentaires seront immobilisés. Le plan vise a lever 4,2 milliards d'euros, en retour des 10 milliards d'euros de prêt accordé à Chypre. Il ne nécessite pas d'accord supplémentaire de la part du parlement. Le ministre des finances chypriote a aussi déclaré que les dépôts supérieurs à 100 000 euros de la Laiki Bank pourraient être taxés à hauteur de 80%.

 

Ce plan fait très peur à Varoufakis qui craint qu’il s’agisse d’une répétition générale de ce que la troïka fera après l’arrivée au pouvoir de Syriza. Depuis lors, d’ailleurs, régulièrement, l’opinion publique européenne exprime des craintes sur une éventuelle taxation de l’épargne. Depuis l’affaire cypriote, l’idée est dans l’air.

 

Et puis, il fallait préparer la prise de pouvoir. Varoufakis proposa des mesures réalistes, mais craignant sans doute de perdre, Alexis Tsipras présenta un programme démagogique inapplicable au grand dam de Varoufakis. C’est l’éternel dilemme dans la gauche : le réalisme face à l’utopie. Une discussion s’ensuivit : le jour même de l’arrivée au pouvoir de Syriza, la BCE est capable de faire fermer les banques grecques, selon Varoufakis, soit un scénario à la Cypriote.

 

Varoufakis craignant le blocage des banques par la BCE inventa un système pour assurer la circulation des liquidités sans passer par les banques. Il s’agissait au départ de cartes de débit alimentées par l’Etat et distribuées à chaque citoyen grec pour assurer ses besoins les plus élémentaires. Il s’agissait de répondre à la crise humanitaire qui se dessinait.

 

Cette valse hésitation se poursuivit jusqu’aux élections du 15 janvier 2015 qui amenèrent Syriza au pouvoir en coalition avec un parti nationaliste, ce que Varoufakis désapprouvait. Mais, comme ministre des Finances, il était maintenant dans le bain… et dans le système !

 

Il constitua d’abord son équipe. Il lui fallait des gens capables de contrer la redoutable troïka. Varoufakis ne s’embarrassa pas de scrupules : il prit des transfuges tout en veillant à la fois à leur efficacité et à leur fidélité.

 

La campagne électorale débutait et tous les coups étaient permis. La troïka fit publier des statistiques qui étaient fausses. Elles montraient un redressement alors que la récession se poursuivait. Cela afin de faire voter pour Samaras contre Syriza. Cela contraignit Varoufakis à intervenir auprès des parlementaires européens et de la presse internationale afin  de rétablir la réalité.

 

Et cette réalité, ou plutôt cette vérité, personne ne veut la dire. Ce serait comme un aveu. Varoufakis rapporte une conversation qu’il eut avec Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, avec qui il entretint d’excellentes relations en dépit de profondes divergences.

 

 

 

Christine Lagarde et Yanis Varoufakis s'entendaient bien en dépit de profondes divergences.

Christine Lagarde et Yanis Varoufakis s'entendaient bien en dépit de profondes divergences.

 

 

 

« Christine soutenait qu’il y avait deux conditions sine qua non au redressement de la Grèce : un allègement de la dette et un taux d’imposition plus bas [le programme de la troïka]. Puis elle s’est adressée à moi sur un ton calme et apaisant, synonyme d’honnêteté :

 

  • Bien sûr, vous avez raison, Yanis. Les objectifs sur lesquels ils insistent ne peuvent pas fonctionner. Mais comprenez bien que nous avons trop investi dans ce plan. Nous ne pouvons pas reculer. Votre crédibilité dépend de votre accord et de votre participation à ce plan. »

 

Ainsi, les dés étaient pipés. Mais, posons-nous la question : le plan en question n’est-il pas tout simplement là pour camoufler l’échec de la conception même de l’euro et qu’il n’était pas question d’envisager un changement vers un autre euro ! La Grèce en serait victime, mais vu sa faible taille, après tout, ce n’est pas trop dramatique… On a vu ce que cela a donné !

 

De ces rencontres, il tira aussi les conclusions : le rôle de chacun n’est pas celui que l’on croit. Ainsi, Jean-Claude Juncker n’est pas le premier de la Commission en réalité, c’est un fonctionnaire du nom de Thomas Wieser qui dirige la maison.

 

Le livre se poursuit sur le récit des différentes rencontres que Varoufakis a organisé ou a été convié. Ses propositions sont soit rejetées, soit considérées avec condescendance. C’est un défilé de personnages dont l’auteur a réussi à gratter le vernis en dressant leurs portraits. Il est édifiant d’analyser les personnalités de ces maîtres de la finance et donc du monde et de ces valets de la politique. C’est incontestablement la partie la plus passionnante de « Conversations entre adultes ». L’auteur – acteur qu’est Varoufakis finit par apprécier trois personnalités : Christine Lagarde, la présidente du FMI qu’il considère comme une véritable interlocutrice, son redoutable ennemi Wolfgang Schaüble dont il admire la franchise et le courage et le futur président français, Emmanuel Macron, à l’époque tout frais ministre de l’Economie de François Hollande. On peut vraiment dire que tous les autres sont de pâles types et particulièrement Jeroen Djisselbloem, le ministre néerlandais des finances et président de l’Eurogroupe.

 

 

 

Pierre Moscovici, Commissaire européen, Mario Dhragi, président de la BCE, Jeroen Djijsselbloem, Président de l'Eurogroupe et Michel Sapin, ministre français des finances jouèrent un jeu de dupes avec la Grèce.

Pierre Moscovici, Commissaire européen, Mario Dhragi, président de la BCE, Jeroen Djijsselbloem, Président de l'Eurogroupe et Michel Sapin, ministre français des finances jouèrent un jeu de dupes avec la Grèce.

 

 

 

Varoufakis est conscient que le rapport de forces n’est pas en sa faveur. Mais il estime qu’il a le mandat non pas du gouvernement, mais de l’électeur, c’est-à-dire du peuple grec pour négocier, ce qui signifie qu’il sait qu’il devra faire des concessions, mais qu’il ne doit pas exclure de quitter la table. Et il s’aperçut très vite que ce n’était pas un combat entre Allemands et Grecs mais entre des valeurs. Il y avait des adeptes des Lumières, comme des ennemis dans tous les pays. Il devait lutter contre les mémorandums imposés par la troïka et qui consistaient à démanteler l’Etat social grec et à la privatisation des infrastructures hellènes.

 

Il perçoit très vite la réalité de ce jeu. Ainsi, suite à sa première rencontre avec le ministre allemand des finances, il écrit :

 

« … sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des Etats-providences avec la situation en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque-part, et ce quelque-part pouvait être la Grèce. »

 

 

 

Wolfgang Schaüble, le redoutable ministre des finances allemand voulait le démantèlement de l'Etat social dans toute l'Europe.

Wolfgang Schaüble, le redoutable ministre des finances allemand voulait le démantèlement de l'Etat social dans toute l'Europe.

 

 

 

Tout est donc clair. C’est le social qui est visé. C’est cela la politique de l’Union européenne. D’ailleurs, à une autre occasion, Varoufakis explique que Juncker, le président de la Commission, avait proposé à un certain moment d’assouplir les mesures drastiques de la troïka à la condition que l’on poursuive le démantèlement social.

 

Il y eut aussi de grandes déceptions : le Français Michel Sapin, les sociaux-démocrates européens en général qui jouent double jeu et son « ami » premier ministre Alexis Tsipras qu’il avait conseillé, porté au premier rang et qui a fini par le trahir.

 

On revit donc ce premier semestre 2015 depuis la constitution du gouvernement Tsipras jusqu’au référendum trahi par son propre initiateur, Alexis Tsipras. L’enjeu était dès le départ le maintien ou non de la Grèce dans la zone euro. Varoufakis était un chaud partisan du maintien. Il se heurtait à Wolfgang Schaüble qui voulait le Grexit et à une partie de Syriza qui souhaitait aussi la sortie de la Grèce de l’euro. Alors que cette sortie serait suicidaire et que l’enjeu était bien plus fondamental qu’un simple redressement financier.

 

Cette histoire, en définitive, est une tragédie – ce sont les Grecs qui ont inventé la tragédie – pour ces hommes et ces femmes, pour la Grèce et pour les peuples.

 

Yanis Varoufakis nous le rappelle. Et il nous dit que le combat est loin d’être terminé, même si la défaite fut lourde et amère. Ce récit est une leçon pour l’avenir.

 

 

 

Pierre Verhas

 

Conversations entre adultes


Dans les coulisses secrètes de l'Europe

 

Yanis Varoufakis
 

Les leçons du professeur Yanis

 

 

 

Date de parution : 11/10/2017
ISBN : 979-10-209-0558-1

26.00 €

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6 novembre 2017 1 06 /11 /novembre /2017 22:39

 

 

 

Le juge d’instruction chargé de traiter le mandat d’arrêt européen lancé par l’Espagne à l’égard de Carles Puigdemont et de quatre autres de ses ministres déchus a décidé de les laisser en liberté conditionnelle. La Belgique montre ainsi qu’elle est un Etat de droit. Au lieu de râler, les Belges devraient en être fiers…

 

 

 

 

Le président catalan déchu sort du Palais de Justice de Bruxelles sous le régime de la liberté conditionnelle.

Le président catalan déchu sort du Palais de Justice de Bruxelles sous le régime de la liberté conditionnelle.

 

 

 

Paradoxalement, cette crise catalane qui plonge dans le chaos provoqué par l’aventurisme des indépendantistes et la répression du pouvoir central, présente une opportunité politique pour l’avenir de l’Europe.

 

 

Tout d’abord, la gauche – une fois de plus – se trouve en porte-à-faux avec cette affaire. Problèmes nationaux et gauche n’ont jamais fait bon ménage. Aujourd’hui, il s’agit des nationalismes régionaux qui se réveillent un peu partout en Europe et aussi, bien que cela n’ait rien de commun, le multiculturalisme.

 

 

Comme le fait très bien remarquer Grégory Mauzée dans la revue « Politique », en choisissant la répression, Rajoy a traité la Catalogne non pas comme une composante de la communauté nationale mais comme une province rebelle. Mais, les mouvements de gauche, au lieu de condamner vigoureusement cette répression, ont fait preuve d’attentisme.

 

 

 

 

 

Mariano Rajoy finira par payer cher son intransigeance.

Mariano Rajoy finira par payer cher son intransigeance.

 

 

 

Tout d’abord, comme le rappelle Mazée, se référant à l’article 1er des Pactes des droits de l’homme, autant l’autodétermination extérieure est admise, voire encouragée, c’est-à-dire la volonté des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes, autant, l’autodétermination interne est désapprouvée ou même condamnée, c’est-à-dire la volonté d’une région de se séparer de l’Etat nation auquel elle appartient. Cela n’est admis que dans le cas du non respect des droits fondamentaux par ledit Etat nation.

 

 

Donc, pour bien des milieux progressistes, les nationalismes ou indépendantismes régionaux comme celui de Catalogne doivent être combattus. C’est dans cette position que se trouve le PSOE (les sociaux-démocrates espagnols, principale force d’opposition au gouvernement conservateur de Rajoy). Podemos, quant à lui, fait preuve d’attentisme.

 

 

Mazée se réfère à l’histoire. Il écrit :

 

 

« Alors que la reconnaissance des droits collectifs nationaux faisait partie intégrante du contrat social postfranquiste, les offensives conservatrices ont contribué à miner ce dernier. En 2010, le Tribunal constitutionnel censurait le statut d’autonomie de 2006 de la Generalitat, entravant frontalement sa marge de manœuvre. L’arrivée au pouvoir du PP en 2011 en pleine crise économique allait, pour sa part, s’accompagner d’une recentralisation visant à couper dans les dépenses publiques régionales. Significativement, ces deux phénomènes conduiront à stimuler comme jamais le sentiment indépendantiste. Sans avoir rien de commun avec les contextes coloniaux présents et passés, les offensives contre les droits collectifs des Catalans en tant que peuple n’en sont pas moins tangibles. Ils constituent dès lors une base susceptible de fonder un projet d’autodétermination. »

 

 

Cependant, si l’indépendantisme s’est renforcé, il ne trouve pas d’interlocuteur. S’il proclame l’indépendance, ce sera donc unilatéralement et c’est ce qui est arrivé. C’est ce que dénonce la maire de Barcelone proche de Podemos, Ada Colau.

 

 

Pendant qu'un Parlement catalan mi-vide vote pour l'indépendance, le gouvernement de l'Etat espagnol veut « rétablir l'ordre » et destitue les dirigeants catalans en appliquant l'article 155 de la Constitution espagnole, ce qui constitue une atteinte grave aux droits démocratiques. Rajoy en Espagne et Puidgemont en Catalogne ont tous deux été au clash. 

 

 

Le danger de l’unilatéralisme

 


Ada Colau appelle au contraire à revenir au dialogue: 

 

 

 

Déclaration d'Ada Colau sur la crise en Catalogne

 

 

 

« Qu’on parle d’un accident de train au conditionnel ou au futur, il est dur d’accepter ce qui s'est passé aujourd'hui. Une décennie de négligence du Parti populaire face à la Catalogne culmine aujourd'hui avec l'approbation du Sénat de l'article 155 [prise de contrôle autoritaire sur la Catalogne]. Rajoy l'a présenté avec les applaudissements des siens, à la honte de tous ceux qui respectent la dignité et la démocratie. Ont-ils applaudi leur échec ? Ceux qui ont été incapables de proposer une solution, incapables d'écouter et de gouverner pour tous, aujourd'hui consomment leur coup contre la démocratie avec l'anéantissement de l'autogouvernement catalan.

 


Dans le sens opposé, un train plus petit, celui des partis indépendantistes, a progressé sans freins, avec la hâte du kamikaze ("c’est l’heure, on est pressé"), après une erreur quant à l'interprétation des élections du 27 septembre 2015 [quand les partis indépendantistes ont obtenu la majorité des sièges au parlement catalan mais pas la majorité des voix]. Une vitesse imposée par des intérêts partisans, dans une fuite en avant consommée aujourd'hui avec une Déclaration d'Indépendance faite au nom de la Catalogne, mais qui n'a pas le soutien de la majorité des Catalans. (...)

 


Depuis beaucoup, beaucoup d'années, nous avions averti de ce danger et, ces dernières semaines, nous avons travaillé en public et en privé pour éviter ce choc. Nous sommes majoritaires, en Catalogne et en Espagne, ceux qui voulaient arrêter les machineries, imposer le dialogue, la sagesse et une solution concertée.

 


Nous sommes toujours à temps pour revenir au dialogue. Quoi qu'il arrive, nous n'arrêterons pas de le demander. Mais maintenant, nous devons défendre les institutions catalanes, lutter pour préserver la cohésion sociale et la prospérité de Barcelone et de la Catalogne. Nous serons avec les gens, luttant pour que leurs droits ne soient pas violés. Guérir les blessures que tout cela provoque, et faire appel aux gens du reste de l'Etat pour qu'ils se battent ensemble parce que cette démocratie qui est en danger aujourd'hui est aussi la leur. Nous n'arrêterons pas non plus de demander au parti social-démocrate (PSOE / PSC en Catalogne) d'arrêter de soutenir ceux qu'ils applaudissent aujourd'hui, ou sinon il leur sera impossible de faire partie d'une alternative crédible.

 


Je suis claire où je me trouverai: impliquée dans la construction de nouveaux scénarios d'autonomie gouvernementale qui nous donneront plus de démocratie, pas moins. Cela veut dire travailler pour évincer le PP (de Rajoy), qui aujourd'hui, avec ses applaudissements cruels, a célébré la douleur de toute une ville. (...) Pas en mon nom: ni 155 ni Déclaration Unilatérale d'Indépendance. »

 

 

Voilà une position réellement internationaliste. Il est symptomatique de constater le peu de soutien dont bénéficie Ada Colau au sein de la gauche européenne. La peur de l’extension de la crise catalane dans d’autres pays européens en est sans doute la cause. Et c’est en partie vrai : la Lombardie et la Vénétie ont une fois de plus proclamé leur volonté d’indépendance ou de large autonomie. Mais, clairement, la crise catalane ne fait pas tâche d’huile. Si la présidente d’Ecosse et le président de l’assemblée corse, ainsi que le président de la NV-A flamande affirment leur soutien à la Generalitat de Puigdemont, il ne s’agit manifestement pas d’une lame de fond régionaliste au niveau européen.

 

 

D’ailleurs, en ce qui concerne la position d’Ada Colau, Mazée estime :

 

 

« Cette attitude de principe [d’Ada Colau], qui concilie droits des peuples et internationalisme, semble la plus conforme aux idéaux d’émancipation portés par le mouvement ouvrier. Elle se révèle cependant totalement inopérante à ce stade du conflit. En dépit des appels répétés au dialogue et des mesures de bonnes volontés prises par le camp catalaniste, le gouvernement central s’est montré sourd à toutes les demandes de réforme institutionnelle susceptible de satisfaire leurs aspirations. De fait, l’absence de garanties nécessaires à la consultation du 1er octobre n’est pas de la responsabilité de la Generalitat, mais de la répression des autorités madrilènes, fermant la voie à tout règlement concerté de la question. »

 

 

En effet, le principal reproche que l’on peut faire aux indépendantistes catalans est l’unilatéralisme. La déclaration unilatérale d’indépendance qui a suivi le référendum du 1er octobre qui a été déclaré illégal et qui fut réprimé comme on sait, ne peut être tolérée telle quelle, ni en droit espagnol, ni en droit international. Comme l’écrivent Varsia Arslanian juriste à l’ULB et Nicolas Solonakis historien à l’Université de Gand dans une carte blanche à l’hebdomadaire « Le Vif » le 6 novembre 2017 :

 

 

« En droit international, seul le droit à l'autodétermination (ou "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes") peut permettre à une communauté politique de s'affranchir d'un ensemble plus large sans aval, et ainsi devenir indépendante. Il n'est dès lors pas étonnant que les indépendantistes catalans brandissent ce droit afin de justifier leur revendication. Néanmoins, le droit à l'autodétermination est régi par des conditions bien définies : il est réservé aux peuples colonisés ou sous domination étrangère, ainsi qu'aux peuples soumis à un régime de lois raciales. En dehors de ces cas de figure, il n'y a pas de droit à l'autodétermination qui vaille. »

 

Le citoyen catalan, un Palestinien de l’intérieur…

 

Dans ce contexte, Puigdemont et ses amis ont peu de chances de se faire entendre du côté de pays et de partis qui pourraient leur être favorables. Cela explique la prudence de tout un chacun en cette crise. Sans doute, le président catalan lui-même ne souhaitait pas faire une déclaration unilatérale d’indépendance, mais il a été poussé à cela par la formation d’extrême-gauche qui est indispensable à sa majorité en Catalogne.

 

 

 

Carles Puigdemont signe la déclaration unilatérale d'indépendance au Parlement catalan à Barcelone.

Carles Puigdemont signe la déclaration unilatérale d'indépendance au Parlement catalan à Barcelone.

 

 

 

Que va-t-il dès lors se passer ? Politiquement, les indépendantistes viennent de subir une défaite dont ils auront difficile de se remettre. Le refus de négociation et la répression du gouvernement conservateur de Madrid interdisent toute solution politique. C’est l’impasse. La crise s’est internationalisée – du moins « européanisée » - et on voit mal comment en sortir. Les dirigeants de l’Union européenne n’ont ni la volonté, ni la capacité de contribuer à une éventuelle solution, voire à l’élaboration d’une période de transition. Que vont donner les élections imposées par Madrid, le 21 décembre prochain ? Nul ne peut le savoir. L’application de l’article 155 qui met la Catalogne sous tutelle va faire du citoyen catalan un Palestinien de l’intérieur…

 

Cette situation est intenable et va avoir des répercussions sur l’ensemble de l’Union européenne. Celle-ci a eu, à travers son histoire, des politiques différentes et opportunistes. En principe, l’Union européenne ne reconnaît que les Etats-membres et non les régions. Or, il existe un Fonds Européens de Développement Régional, le FEDER alloué aux régions, et un Comité des Régions représentant les autorités locales et régionales au sein des institutions européennes.

 

L’hypocrisie de l’Union européenne

 

Varsia Arslanian et Nicolas Solonakis expliquent :

 

« … l'Union Européenne a établi de nombreux dispositifs stimulant le développement d'une politique régionale, alors même que les compétences stratégiques des Etats en matière de politique commerciale, agricole et monétaire sont soit devenues compétences exclusives de l'UE, soit des compétences "partagées", c'est-à-dire pour lesquelles la consultation des Etats est facultative. Rétrécissement du périmètre de l'Etat et stimulation des prérogatives régionales sont donc concomitantes, et s'inscrivent dans un projet cohérent : la promotion à long terme d'une Europe des régions au détriment d'une Europe des Etats-Nations. Dans le cas précis de la Catalogne, l'attitude de l'Union a été ambigüe : si le président du Comité des régions s'est ouvertement fait l'avocat de la cause catalane, la Commission Européenne et le Conseil Européen sont demeurés dans l'expectative, ne jetant pas d'huile sur le feu mais ne témoignant qu'un timide - et tardif - soutien au gouvernement espagnol. »

 

Et, sur le plan extérieur, l’Union européenne a carrément encouragé les régionalismes. Ainsi, le démantèlement de la Yougoslavie, car selon Grégory Mazée, ces régions seraient réticentes à l’économie de marché, la création de l’Etat indépendant du Kosovo et de celui du Monténégro, la sécession de la Tchécoslovaquie, etc. ont divisé au lieu d’avoir uni. Et ces conflits sont loin d’être terminés d’autant plus que se réveillent des contestations frontalières entre la Hongrie et la Roumanie, par exemple. La situation, en la matière, est plus qu’instable.

 

Si la création de ces petites entités va à l’avantage du grand capital en renforçant la course à l’abaissement généralisé des normes sociales, salariales et environnementales, elles contribuent aussi à une grande instabilité géopolitique.

 

Vers de nouvelles dimensions ?

 

 

Mais, incontestablement, les dimensions changent au sein de l’Union européenne. La relation « Etat membre » uni et indivisible - « Union européenne » est en train de s’effriter. Le système intergouvernemental européen connaît des failles. Il assure la domination de l’Etat nation le plus riche et le plus puissant, à savoir l’Allemagne, la Grande Bretagne étant hors jeu. Mais, l’Allemagne traverse aussi une période de grande instabilité politique depuis les dernières élections qui ont vu la chute des deux partis de la « grande coalition » et l’arrivée de l’extrême-droite au Bundestag, ainsi que l’affaiblissement de l’autorité de la chancelière Angela Merkel. L’Union a désormais un problème de leadership.

 

Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des finances du premier gouvernement Tsipras, on le sait, a fondé un mouvement européen DIEM 25 qui prône une réforme profonde de l’Union européenne. Contrairement à d’autres intellectuels comme Raoul Marc Jennar ou Jean Bricmont, il reste un Européen convaincu et estime qu’une réforme profonde des institutions européennes est possible. Il vient de publier ses mémoires sur la crise grecque dont il fut un des acteurs dans un ouvrage intitulé « Conversation entre adultes » paru aux éditions Les Liens qui Libèrent. Uranopole va en faire une recension, car ce livre sert de révélateur de la réalité de l’Union européenne.

 

 

 

Yanis Varoufakis est resté un militant européen. La crise catalane se résoudra dans une Union réformée.

Yanis Varoufakis est resté un militant européen. La crise catalane se résoudra dans une Union réformée.

 

 

 

Dans un article publié récemment, l’ancien ministre grec estime que la crise catalane est une opportunité pour l’avenir.

 

« Pour relancer le projet européen en difficulté, le vilain conflit entre le gouvernement régional de la Catalogne et l'État espagnol pourrait être exactement ce que le médecin a ordonné. Une crise constitutionnelle dans un grand État membre de l'Union européenne offre une occasion en or de reconfigurer la gouvernance démocratique des institutions régionales, nationales et européennes, offrant ainsi une UE défendable et donc durable. »

 

Il dénonce l’attentisme et l’hypocrisie des dirigeants de l’Union et particulièrement de Jean-Claude Juncker quant à la crise catalane.

 

Varoufakis montre :

 

« Bien sûr, l'hypocrisie est depuis longtemps le principal comportement de l'UE. Ses fonctionnaires n’ont aucun scrupule à se mêler des affaires intérieures d'un État membre – par exemple pour exiger le retrait d’élus qui ont refusé de mettre en œuvre des réductions dans les pensions de leurs citoyens les plus pauvres ou de vendre des biens publics à des prix dérisoires (quelque chose que j'ai personnellement vécu ). Mais lorsque les gouvernements hongrois et polonais ont explicitement renoncé aux principes fondamentaux de l'UE, la non-ingérence est soudainement devenue sacro-sainte. »

 

La question catalane a des racines historiques profondes, mais l’ancien ministre se demande si l’Union européenne qui a si mal géré la crise de la zone euro depuis 2010 imposant une stagnation quasi permanente à l’Espagne et aux autres pays comme le Portugal, l’Italie, la France et la Belgique tout en ouvrant la voie à la xénophobie et au démantèlement moral, n’a pas une lourde responsabilité dans cette crise.

 

L’austérité et la xénophobie contre toute politique de progrès

 

Il prend comme exemple la politique d’Ada Colau à Barcelone qui a été portée à la mairie par un mouvement civique et citoyen.

 

« Parmi les engagements de Colau envers la population de Barcelone, il y avait une réduction des impôts locaux pour les petites entreprises et les ménages, l'aide aux pauvres et la construction de logements pour 15 000 réfugiés - une part importante du nombre total d'Espagne. Grèce et Italie. Tout cela pourrait être réalisé tout en gardant les livres de la ville dans le noir, simplement en réduisant l'excédent budgétaire municipal.

Hélas, Colau s'est vite rendu compte qu'elle faisait face à des obstacles insurmontables. Le gouvernement central espagnol, se référant aux obligations de l'Etat envers les directives d'austérité de l'UE, avait promulgué une législation interdisant à toute municipalité de réduire son excédent. Dans le même temps, le gouvernement central interdit l'accès aux 15 000 réfugiés pour lesquels Colau a construit d'excellents logements.

À ce jour, l'excédent budgétaire prévaut, les services et les réductions d'impôts locaux promis n'ont pas été réalisés, et le logement social pour les réfugiés reste vide. Le chemin qui mène de cette triste situation à la revigoration du séparatisme catalan ne saurait être plus clair. »

 

Cette politique d’austérité est, selon Varoufakis, le carburant du nationalisme. Il ajoute que la combinaison de la politique d’austérité et du nationalisme « reflète l'incapacité à réaliser la promesse d'une prospérité paneuropéenne partagée. » Mais, cette promesse est-elle sincère dans le chef des fondateurs de l’Union ?

Et Varoufakis propose :

« L'alternative est d'européaniser la solution à un problème causé en grande partie par la crise systémique de l'Europe. Au lieu d'entraver la gouvernance démocratique locale et régionale, l'UE devrait la favoriser. Les traités de l'UE pourraient être modifiés pour consacrer le droit des gouvernements régionaux et des conseils municipaux, comme ceux de la Catalogne et de Barcelone, à l'autonomie fiscale et même à leur propre argent budgétaire . Ils pourraient également être autorisés à mettre en œuvre leurs propres politiques en matière de réfugiés et de migration. »

 

C’est donc la reconnaissance de l’autonomie dans le cadre de l’Union et non pas l’imposition par le haut d’une politique qui paralyse tout dans le seul intérêt des banques et des entreprises transnationales.

 

Mais dans l’esprit de Varoufakis, le nouvel Etat qui naîtrait d’une procédure indépendantiste démocratique aurait des obligations envers l’Union : par exemple, le maintien des transferts fiscaux qu’il pratiquait auparavant. Son indépendance ne signifierait pas la fin de la solidarité envers les régions plus pauvres.

 

Vers une nouvelle souveraineté

 

Et le président de DIEM 25 conclut :

 

« La crise en Catalogne est un indice fort de l'histoire selon laquelle l'Europe doit développer un nouveau type de souveraineté, qui renforce les villes et les régions, dissout le particularisme national et soutient les normes démocratiques. Les bénéficiaires immédiats seraient les Catalans, le peuple d'Irlande du Nord, et peut-être les Écossais (qui, de cette manière, saisiraient une opportunité hors des griffes du Brexit). Mais le bénéficiaire à plus long terme de ce nouveau type de souveraineté serait l'Europe dans son ensemble. Mettre sur pied une démocratie paneuropéenne est la condition préalable pour mettre en œuvre une Europe digne d'être sauvée. »

 

Ce sera notre conclusion aussi.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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4 novembre 2017 6 04 /11 /novembre /2017 14:27

 

 

 

Contrairement aux affirmations péremptoires du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, la question catalane est devenue un problème européen. Et, curieusement, une large part de l’opinion publique estime qu’il s’agit d’un problème interne à l’Espagne. Donc, c’est au gouvernement espagnol à le régler.

 

 

Erreur : le conflit s’est internationalisé. Le président déchu de la Generalitat s’est exilé en Belgique. C’est la première fois depuis la fondation de l’Union européenne – qui s’appelait Communauté économique européenne en 1957 – qu’un responsable politique cherche asile dans un autre Etat membre, même si, jusqu’à présent, il n’a pas demandé l’asile politique.

 

 

Par contre, la manière dont le gouvernement espagnol tente de résoudre la question catalane est-elle erronée pour les responsables de la Commission ? Il semble que non : le porte parole de la Commission ayant déclaré que «  C’est un dossier entièrement pour les autorités judiciaires, dont nous respectons complètement l’indépendance ».

 

 

 

 

Jean-Claude Juncker semble cautionner la dérive antidémocratique de Mariano Rajoy.

Jean-Claude Juncker semble cautionner la dérive antidémocratique de Mariano Rajoy.

 

 

 

La caution de la Commission européenne

 

 

Donc, la Commission qui est garante des Traités et donc de la Charte des droits fondamentaux, cautionne une réglementation d’un Etat membre qui va à l’encontre des principes démocratiques. Quand l’Ecosse organise un référendum pour son indépendance, ni le gouvernement britannique, ni la Commission européenne y trouve à redire. Par contre, quand le gouvernement espagnol du Parti populaire – parti fondé par le dernier ministre de l’Intérieur franquiste en 1978 et membre du groupe PPE du Parlement européen – interdit un référendum en Catalogne, emprisonne deux dirigeants indépendantistes catalans, puis met en détention neuf ministres de la Generalitat, la Commission considère qu’il s’agit d’une « affaire judiciaire interne »…

 

 

Notons au passage que la Commission est bien plus sévère lorsqu’un Etat membre dévie de quelques pourcents dans son budget.

 

 

La question peut être posée : les dirigeants de l’Union européenne ne souhaitent-t-ils pas l’instauration d’une « démocratie autoritaire » afin de mieux faire passer leurs exigences politiques ? On a vu comment ils ont procédé lors de la crise grecque. Le dernier ouvrage de Yanis Varoufakis nous révèle la manière dont tout cela a été fait. Nous aurons l’occasion de l’évoquer.

 

 

Concernant l’Espagne, les responsables européens ne se sont pas beaucoup préoccupés de son passage d’un régime totalitaire ultraréactionnaire vers un Etat démocratique. Comme l’écrit Sébastien Bauer dans dans le « Monde diplomatique » du mois de novembre 2017 :

 

« Dans l’Espagne de 1978, tous les enfants n’étaient pas scolarisés, les rues de bien des villes moyennes ne connaissaient pas l’asphalte, certains quartiers ne recevaient pas le courrier, d’autres n’étaient pas raccordés au tout-à-l’égout, les systèmes de transports en commun et de santé restaient rudimentaires… En 2017, la transformation économique, sociale et culturelle est manifeste. Mais, tout entier concentré sur cette tâche, le pays a négligé le reste. L’accession au Marché commun, en 1986, masqua l’absence de réformes constitutionnelles : puisque la société était devenue démocratique en si peu de temps, n’était-ce pas que les institutions avaient atteint le bon équilibre ? »

Est-ce une raison pour manquer de vigilance, ou bien, ce régime que nous qualifions de « postfranquiste » convient parfaitement aux autorités européennes ?

 

 

La pénalisation de la revendication politique

 

 

L’avocat constitutionnaliste belge Marc Uyttendaele le fait remarquer dans une tribune au « Soir » du 3 novembre :

 

 

 

 

L'avocat-constitutionnaliste belge Marc Uyttendaele craint une dérive antidémocratique si la Justice belge extrade Carles Puigdemont.

L'avocat-constitutionnaliste belge Marc Uyttendaele craint une dérive antidémocratique si la Justice belge extrade Carles Puigdemont.

 

 

 

« Ils sont tous là ou presque pour venir au secours de Mariano Rajoy, ces Ponce-Pilate qui gouvernent l’Europe. Le mandat d’arrêt européen délivré par la justice espagnole est un dossier purement judiciaire, déclare le Président de la Commission européenne et nul chef d’État, nul gouvernement ne vient le contredire. La gauche européenne est muette. Le PSOE, parti socialiste espagnol dans l’opposition, s’aligne sur le gouvernement.

 

Le droit des peuples à l’auto-détermination est une belle idée, plus belle encore lorsqu’elle doit s’exprimer dans une lointaine contrée africaine ou asiatique. Par contre, lorsqu’une telle revendication est exprimée sur le territoire de l’Union européenne, elle perd toute légitimité. La revendication politique se mue en infraction pénale. L’opposant politique devient un délinquant. »

 

L’avocat, par ailleurs époux de Laurette Onkelinx, vice-présidente du PS belge, fustige le nationalisme catalan. Il ajoute – et il a raison :

 

« Le nationalisme est clivant. Il est terreau d’exclusion, de rejet de l’autre. Il est d’autant plus méprisable lorsqu’il émane de contrées prospères, lasses d’être contraintes à une solidarité économique avec ceux qui sont plus démunis. Ce constat, cependant, n’autorise pas toutes les dérives. Il ne permet pas la remise en cause des libertés fondamentales et des valeurs démocratiques qui constituent précisément le terreau, sinon la raison d’être de l’Union européenne. »

 

 

La base historique de l’actuel nationalisme catalan

 

 

Ce nationalisme a d’ailleurs une base historique qui trouve ses origines dans la Constitution espagnole de 1978, comme l’explique Sébastien Bauer.

 

« La suspension du statut d’autonomie de la Catalogne par le Tribunal constitutionnel en 2010 a constitué l’étincelle qui a embrasé la plaine catalane. »

 

Cette suspension a d’ailleurs été obtenue par Mario Rajoy pour des raisons purement politiciennes. Et pour comprendre le trouble provoqué par cette suspension, Bauer remonte l’histoire :

 

« Le 14 avril 1931, les républicains espagnols remportèrent les élections municipales dans la plupart des grandes villes, proclamant plusieurs républiques dont la République catalane sous la houlette de Lluís Companys, conseiller municipal d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, Gauche républicaine de Catalogne). En application d’un programme fédéraliste, ces républiques indépendantes proclamèrent la Seconde République espagnole, à laquelle Franco mit un terme. Une fois le dictateur mort, les républicains argumentèrent que la république fédérale demeurait le régime légal auquel il convenait de revenir. La question — tout comme celle de l’unité territoriale — fut réglée par un compromis : les Catalans renonçaient à former une république fédérale et acceptaient aussi bien le régime monarchique (article 1.3 de la Constitution) que l’« unité indissoluble de la nation espagnole » (article 2), abandonnant le projet de déclarer unilatéralement leur indépendance comme en 1931. En contrepartie, ils obtenaient le droit de développer un statut d’autonomie et un droit civil propres, même s’ils demeuraient strictement encadrés. La réforme du statut d’autonomie élargissant les compétences de la Généralité, en 2006, a dû passer : primo, par son approbation ordinaire au Parlement catalan ; secundo, par une autre à l’Assemblée et au Sénat espagnols, à la majorité qualifiée ; tertio, par une ratification par un référendum. Bien que ses promoteurs aient rempli toutes les conditions, ce nouveau statut fut suspendu à l’initiative du PP en 2010, dans un tribunal constitutionnel dont la majorité des membres avaient été nommés par les conservateurs. D’où l’idée que l’on devrait la crise actuelle aux coups de menton de l’aile dure du PP… »

 

La source du conflit actuel est le démantèlement en 2010 de l’accord tacite entre les Catalans et le gouvernement de Madrid qui a été pris en 2006. Les Catalans ont d’ailleurs réagi. Aux élections de 2012, les indépendantistes ont obtenu une majorité relative (majorité en sièges mais non en voix) au Parlement régional. Ils ont gouverné jusqu’à leur destitution par Madrid avec une majorité constituée des indépendantistes et d’une petite formation d’extrême-gauche.

 

 

 

Carles Puigdemont, président déchu de la Generalitat, a choisi l'aventurisme.

Carles Puigdemont, président déchu de la Generalitat, a choisi l'aventurisme.

 

 

 

Madrid a commencé par interdire le référendum sur l’indépendance qui s’est déroulé le 1er octobre 2017 avec une violente répression des forces de l’ordre. Ensuite, au vu du résultat qui a donné le « oui » à quasi 90 % des participants, le parlement régional a proposé des négociations avec l’arbitrage européen avant de proclamer l’indépendance. Refus de Madrid et refus de Bruxelles. La tension n’a fait qu’augmenter et sous l’impulsion de Carles Pudgemont, le Parlement a proclamé l’indépendance à la majorité des membres présents. C’était incontestablement de l’aventurisme !

 

Le gouvernement Rajoy n’a pas tardé : il a destitué la Generalitat fait arrêter deux dirigeants indépendantistes et dissous le Parlement régional. Il a en plus fait emprisonner huit membres de la Generalitat et Puigdemont a fui à Bruxelles. Un mandat d’arrêt européen vient d’être lancé contre lui. La Justice belge est en train de l’examiner.

 

 

Vieille méthode totalitaire

 

 

Marc Uyttendaele ajoute, dénonçant la criminalisation des opposants, vieille méthode totalitaire :

 

« Ce que le Parti Populaire de Monsieur Rajoy n’a pas obtenu dans l’arène démocratique, il l’a obtenu sur le terrain juridictionnel. Aujourd’hui, il récidive. Plutôt que de s’en remettre simplement au jeu démocratique, aux élections d’une assemblée législative, à un référendum sur l’indépendance organisé cette fois avec la garantie de l’État de droit, il cautionne la criminalisation des opposants, soit une très vieille méthode totalitaire. Une méthode utilisée de tout temps par toutes les dictatures, par tous les régimes autoritaires, une méthode qui ne permet pas de distinguer aujourd’hui les gouvernements turc et espagnol.

 

 

 

 

Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol, ici devant le roi Felipe, manifeste de plus en plus d'autoritarisme. Bénéficie-t-il du soutien des institutions européennes ?

Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol, ici devant le roi Felipe, manifeste de plus en plus d'autoritarisme. Bénéficie-t-il du soutien des institutions européennes ?

 

 

 

Les juges belges qui demain connaîtront du mandat d’arrêt européen délivré contre Monsieur Puidgemont s’honoreraient en échappant à l’atmosphère ambiante. Ils s’honoreraient en se posant cette question toute simple : renvoie-t-on dans son pays d’origine un opposant qui sera mis en prison au seul motif qu’il mène un combat politique contre le pouvoir en place ? Puissent-ils raisonner en termes de valeurs, en termes de libertés et ne pas se laisser infecter par leur éventuelle antipathie à l’égard du nationalisme flamand.

 

Dans la vie des peuples, comme celle singulière de chaque homme et de chaque femme, il ne peut, dans une démocratie moderne, y avoir de mariage forcé. Si demain la Catalogne, si après-demain la Flandre, entendent faire sécession, pour autant que les minorités soient respectées, pour autant que des négociations respectueuses de tous les intérêts en présence soient tenues, leur volonté doit être respectée. Elle a un prix, cependant. Le nouvel Etat ainsi créé ne sera pas membre de l’Union européenne et devra en supporter les conséquences économiques. Morale paradoxale infligée à ces peuples qui ont eu l’arrogance de leur prospérité. Mais avant cela, bien avant cela, il nous faut savoir que si, aujourd’hui, l’on accepte que l’opposant soit qualifié de criminel, que le droit et la justice deviennent des instruments de pouvoir et non de contre-pouvoir, c’est l’Europe entière qui s’en trouvera déshonorée. »

 

La démocratie est en danger d’autoritarisme. On s’en aperçoit d’ailleurs en Belgique où les moyens les plus élémentaires sont retirés à la Justice en infraction avec la loi. On s’en aperçoit en Belgique où le rôle des syndicats est réduit à sa plus simple expression et où des actions syndicales seront systématiquement criminalisées. En France, la fameuse loi travail procède aussi de la même manière. Ce sont les contre-pouvoirs qui sont visés dans les démocraties européennes. À partir de ce moment-là, comme l’a rappelé à la RTBF, le Procureur du roi de Namur, l’équilibre des trois pouvoirs est menacé.

 

 

Vers un nouveau totalitarisme

 

 

Pour le journaliste catalan et professeur de communication,  Gabriel Jaraba (voir le site « Le Grand Soir »), les événements en Catalogne dépasse de loin cette région et même l’Espagne. Il s’agit d’une expérimentation vers un autoritarisme ayant la façade de la démocratie qui va bien au-delà du simple conflit catalan. Il concerne toute l’Europe. Un nouveau totalitarisme est en voie de s’imposer :

 

« Nous sommes à l’extrémité ouest de l’Europe et pas en Turquie, donc le test ne peut pas être réalisé selon la méthode d’’Erdogan mais à la sauce Rajoy-Felipe. Le test consiste en une interprétation musclée de la constitution et des lois pour que tout acte de coupure démocratique puise être pris pour le respect de la légalité.

En période de crise économique, de chômage et de précarité, de peur pour les retraites et autres, la preuve est pertinente : dans quelle mesure les citoyens sont-ils prêts à supporter une démocratie, non plus sous tutelle militaires, mais assumée de plein gré moyennant une bonne combinaison de conservatisme social, de nationalisme espagnol, de revendication d’autorité et de main de fer ? Dans d’autres pays on observe une montée électorale de l’ultra-droite. Ici, c’est l’expérimentation de l’ultra-droite au sein de l’exécutif, soutenue par le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif (Cs mais aussi PSOE). »

 

Ainsi s’installe un nouveau système qui convient parfaitement à la révolution ultralibérale.

 

« Cet autoritarisme acceptable n’aura pas à s’imposer comme fascisme du vingtième siècle, par la propagande et la persuasion. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase où l’argument persuasif du XXe siècle (propagande politique et publicité) a cédé la place à la manipulation et à la prise directe du pouvoir sur le citoyen. L’assentiment du citoyen n’est plus basé sur la persuasion mais sur la jonction des deux formes les plus anciennes de domination, la flatterie et la peur, l’une ou l’autre ou les deux à la fois. Le PSOE s’est montré très sensible à cette question en se positionnant sous l’aile de Rajoy parce qu’il veut être de ceux qui peuvent offrir de l’ordre à une population qui l’exige de plus en plus explicitement (aussi parce que si Rajoy organisait de nouvelles élections, il obtiendrait la majorité absolue). »

 

Et de conclure :

 

« En fait, le capitalisme conduit ce test encore et encore depuis que la question du capital a été soulevée : la productivité, le profit et la prospérité peuvent-ils être obtenus sans en payer le prix de la démocratie ? Le test effectué dans les années 1930 ne portait pas sur la guerre mais sur la défaite des classes laborieuses ; comme aujourd’hui. La résolution de l’épreuve de résistance en guerre n’est ni obligatoire ni inévitable. Le système ne vise pas à consolider la logique de la domination une fois pour toutes. En ce moment, le capital financier a gagné la bataille contre le capital industriel, c’est ce qu’on a appelé la crise. Après deux guerres mondiales, ils savent déjà dans quelle mesure la guerre détruit les tissus productifs. C’est pourquoi il n’y a pas eu de troisième guerre mondiale au XXe siècle, avec et sans l’URSS.

L’extrême affaiblissement de la démocratie va de pair avec l’aspiration au solutionnisme technologique néolibéral, comme le craint Evgeni Morozov. Le capitalisme financier triomphant compte sur lui pour résoudre les dernières contradictions macrosystème. Le problème, c’est que les robots ne produisent pas de plus-value (de là la recherche sur les super-algorithmes, l’intelligence artificielle et les ordinateurs quantiques). »

 

On mesure l’ampleur du problème à partir d’un simple conflit régional. Les institutions européennes ne finissent-elles pas par cautionner ce « test » ? Ou plutôt, on peut légitimement se poser la question : ne le veulent-elles pas ainsi ?

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

Prochain article : la crise catalane, une opportunité politique ?

 

 

 

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30 octobre 2017 1 30 /10 /octobre /2017 11:01

 

 

 

Parti discrètement ce 28 octobre2017 comme il a vécu, Jacques Sauvageot, le « troisième homme » du mai 68 parisien était incontestablement l’homme le plus attachant du trio Cohn Bendit, Geismar, Sauvageot.

 

 

 

Jacques Sauvageot : le militant discret

Jacques Sauvageot : le militant discret

 

 

 

Il était à l’époque le vice-président de l’UNEF (l’Union Nationale des Etudiants de France), le principal syndicat étudiant de l’époque qui avait joué un rôle important lors de la guerre d’indépendance algérienne et qui connaissait un déclin certain – il était passé de 100.000 membres en 1962 à 30.000 en 1968 –. Il s’est trouvé mêlé malgré lui aux débuts de la révolte étudiante de mai 68. Le Recteur de l’Université de Nanterre avait fermé l’établissement suite aux contestations récurrentes menées par Cohn Bendit. Une manifestation de protestation fut organisée dans la cour de la Sorbonne, manifestation assez clairsemée, mais qui fut interdite par son Recteur qui craignait des bagarres avec l’extrême-droite. La police intervint et après de violentes échauffourées, les meneurs – Daniel Cohn Bendit pour Nanterre, Alain Geismar pour le SNeSup (Syndicat des enseignants du supérieur) et Jacques Sauvageot pour l’UNEF, furent arrêtés. Suite aux troubles consécutifs à leur arrestation, ils furent vite libérés et Jacques Sauvageot lança le mot d’ordre de grève générale des étudiants. Mai 68 était lancé.

 

 

 

 

Le trio Geismar Sauvageot Cohn Bendit en mai 68. Sauvageot dira plus tard : "La photo où on nous voit tous les trois lever le poing était de circonstance, nous n’avions pas d’affinités particulières et nous n’avons pas de réunions d’anciens combattants"

Le trio Geismar Sauvageot Cohn Bendit en mai 68. Sauvageot dira plus tard : "La photo où on nous voit tous les trois lever le poing était de circonstance, nous n’avions pas d’affinités particulières et nous n’avons pas de réunions d’anciens combattants"

 

 

 

Déjà deux gauches

 

 

Sauvageot né en 1943 d’une famille modeste était étudiant en histoire de l’art. Il était militant du PSU (le Parti Socialiste Unifié), petite formation de gauche non communiste qui comptait Michel Rocard dans ses rangs. Sauvageot fut un des organisateurs du grand meeting de la gauche de Charléty qui visait à ramener Pierre Mendès France au pouvoir à la place du pouvoir gaulliste en pleine déliquescence. Les jeunes progressistes préféraient Mendès France à François Mitterrand dont ils critiquaient le parlementarisme, son attitude lors de la guerre d’Algérie et ses compromissions avec la droite. Déjà, deux gauches se dessinaient !

 

 

Sauvageot, quant à lui, voulait à la fois éviter la violence qu’il considérait comme une arme « inefficace » et rapprocher le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier qui s’était déclenché après les violences au Quartier latin le 10 mai 68. Charléty fut pour lui la grande occasion pour ce faire. Le mouvement social fut toujours la préoccupation première de Jacques Sauvageot.

 

 

Malheureusement, malgré l’évidente réussite de ce rassemblement, ce fut un coup d’épée dans l’eau. Le 30 mai, de Gaulle reprit les rênes et les élections amenèrent une forte majorité de droite à l’Assemblée nationale. Jacques Sauvageot quitta l’avant-scène et acheva ses études. Il fit son service militaire à Solenzara en Corse – le service à la coopération lui avait été refusé – et, après, il eut toutes les difficultés à trouver un emploi. Il en trouva un comme OS (ouvrier spécialisé) dans une usine de transformateurs électriques qui fit faillite, puis il fut éphémère enquêteur agricole. Par après, il obtint une charge de professeur d’histoire de l’art à l’école des Beaux Arts de Nantes. Il devint par après directeur de l’école des Beaux Arts de Rennes et écrivit des ouvrages sur sa passion, l’architecture.

 

 

La fibre sociale

 

 

Sur le plan politique, Sauvageot milita au PSU jusqu’en 1972 et puis participa à plusieurs groupuscules d’extrême-gauche, mais l’éparpillement de l’extrême gauche en une myriade de chapelles et de groupuscules finirent par le fatiguer. Il abandonna cette forme de militantisme en 1976 et s’investit dans la création de radios libres, alors interdites par le pouvoir giscardien, notamment à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).

 

 

Sans jouer aux « anciens combattants soixante-huitards », associé au cinquantenaire du PSU, en 2010, Jacques Sauvageot fut le secrétaire de l’Institut tribune socialiste, qui gère les archives et anime des débats avec des anciens du PSU et des militants sensibles aux idées et pratiques de ce parti dissous en 1989, mais qui a marqué l’histoire de la gauche politique et syndicale.

 

 

Comme l’écrit Robert Falony : « Mai 68 en France fut aussi un échec « hormis dans le domaine des mœurs ». Si Cohn Bendit représenta bruyamment la libération des mœurs lancée en 1968 et aussi le virage néolibéral pris allégrement par bon nombre de « soixante-huitards », Jacques Sauvageot garda toute sa vie la fibre sociale.

 

 

C’est cette gauche là que l’ancien vice-président de l’UNEF représenta, à laquelle il milita toute sa vie dans l’efficacité et dans la discrétion. Jacques Sauvageot était des nôtres. Il était un exemple.  

 

 

Bon vent, camarade !

 

 

 

 

 

Pierre Verhas

 

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19 octobre 2017 4 19 /10 /octobre /2017 10:30

 

 

 

Il existe en Tunisie une femme extraordinaire. Elle s’appelle Faouzia Farida Charfi, elle est physicienne, professeur à l’Université de Tunis a dirigé l’Institut Préparatoire aux Etudes Scientifiques et Techniques et la première équipe de recherches de physique des semi-conducteurs en Tunisie. Militante de la première heure, dès la présidence de Habib Bourguiba, elle a été nommée Secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur dans le gouvernement provisoire après la révolution dite du « Printemps arabe » du 14 janvier 2011. Elle en a démissionné peu après sentant que cette « révolution » prenait une orientation dangereuse, afin de reprendre sa liberté de parole et d’action. Elle est l’auteur de « La science voilée », Ed. Odile Jacob, 2013 et « Sacrées questions… Pour un islam d’aujourd’hui », Ed. Odile Jacob, 2017 et de publications scientifiques de recherches sur les propriétés électroniques et optiques des semi-conducteurs.

 

 

 

 

Faouzia Charfi, physicienne tunisienne, femme politique, mène un combat acharné contre la pensée magique et le dogmatisme

Faouzia Charfi, physicienne tunisienne, femme politique, mène un combat acharné contre la pensée magique et le dogmatisme

 

 

 

Le dangereux retour du religieux

 

 

Madame Charfi nous explique que le retour du religieux dans nos sociétés et particulièrement dans le monde musulman provoque un regain de l’obscurantisme qui s’étend bien au-delà des pays de culture musulmane.

 

En Tunisie, notamment, de graves événements assez peu évoqués en Europe auraient dû déclencher la sonnette d’alarme. Mais, au nom d’intérêts mal compris, on préfère garder la tête dans le sable.

 

En effet, deux ans à peine  après les révolutions arabes, la jeune démocratie tunisienne est sérieusement secouée.

 

Ainsi, par exemple :

 

• L’assassinat, le 6 février 2013, de Chokri Belaïd qui avait osé s'attaquer aux ennemis jurés de l' « intelligence tunisienne », les religieux salafistes ceux qui veulent tout contrôler...

 

• Les violences à l'endroit du doyen de la faculté des lettres, des arts et des humanités de l'Université La Manouba par des étudiants salafistes : ils exigèrent la non mixité, la création de salles de prières, le port du niqab; deux étudiantes en niqab investirent le bureau du doyen, dispersent des documents administratifs...Raison pour laquelle, le doyen a comparu devant le tribunal administratif où il encourait une peine de 5 années de prison. Heureusement, l’affaire en est restée là suite à l’intervention du président de la République et aux pressions des milieux universitaires provenant du monde entier.

 

 

 

 

Les salafistes menés par une femme en niqab sèment le trouble à l'Université La Manouba.

Les salafistes menés par une femme en niqab sèment le trouble à l'Université La Manouba.

 

 

 

• En janvier 2013, des mausolées soufis – les soufis qui prônent un Islam tolérant, sont les pires ennemis des salafistes – font  l'objet d'attaques et d'incendies de leurs locaux.

 

 

• Un projet existe, celui de s'emparer de la Grande Mosquée de la Zitouna pour en faire une université qui puisera sa source dans l'idéologie wahhabite : « Nous voulons des médecins zitouniens de cœur qui ont le diplôme de la Zitouna et une médecine avec la morale et l'éthique en plus, chose que nous avons perdue pour le moment ; nous avons des médecins matérialistes qui ont perdu de vue que le corps qu'ils soignent est l’œuvre de Dieu ».

 

 

• Un maître à penser des wahhabites n'admet qu'une vision de l'Islam, celle de l'orthodoxie sunnite qui va de pair avec une formation excluant le rôle de la raison. Quelle science de la médecine les islamistes veulent-ils imposer? Il s'agit d'imposer l'autorité religieuse dans le domaine de la connaissance. Et Rached Ghanouchi, président du parti Ennahdha, de déclarer : « Notre projet se caractérise par le fait qu'il donne la priorité à la société par rapport à l’État. Notre capital le plus important, c'est la société, ce n'est pas l’État ». Plus loin, le même auteur revient sur la modernisation de l'enseignement qu'il qualifie de « désertification religieuse », de la « stratégie de marginalisation » qu'a dû affronter l'islam.

 

 

• Les étudiants adhèrent à cette méfiance par rapport à la science moderne « étrangère par rapport à notre culture et venant d'un monde qui perdu ses valeurs morales ». On affirme avec force la prédominance du dogme sur la science.

 

 

Ce retour à l’obscurantisme manifestement téléguidé des monarchies de la Péninsule arabique, ne manqua pas d’inquiéter. Mais l’Europe préféra fermer les yeux ne voulant pas voir le danger et se montre incapable d’analyser ce phénomène.

 

 

 

L’Islam : un facteur du progrès... Il y a longtemps !

 

 

 

Tout d’abord, l’Islam contrairement à ce que l’on pense, n’est pas la source de cet obscurantisme et de son expansion. À ses origines, l’Islam était le réel moteur du progrès.

 

 

Dans un entretien au quotidien « Le Monde » du 18 octobre 2017, Faouzia Charfi décrit les avancées scientifiques au sein de l’Islam des premiers siècles.

 

 

« Le monde musulman était à l’avant-garde de la science entre les VIIIe-IXe siècles et le XVe siècle. La science arabe a innové, elle a introduit de nouveaux concepts. On pourrait citer Ibn al Haytham (Alhazen pour les latins) (1) qui jette les bases au début du XIe siècle de la théorie de l’optique. Il formule les lois de la réflexion qu’on étudiera plus tard comme les lois Descartes Il a écrit un ouvrage extrêmement intéressant : Doutes sur Ptolémée. Ptolémée voyait le monde avec une Terre au centre, la Lune satellite de la Terre, et tout gravitait autour de la Terre. Alhazen pose un certain nombre de questions sur la démarche de Ptolémée sans toutefois remettre en cause le géocentrisme. »

 

 

 

Alhazen fut le premier à utiliser les mathématiques pour exposer sa théorie de l'optique.

Alhazen fut le premier à utiliser les mathématiques pour exposer sa théorie de l'optique.

 

 

 

Elle cite d’autres exemples que l’on peut retrouver dans son livre « La science voilée ». Ainsi, Al Jahiz (2) introduit pour la première fois – on était au IXe siècle – l’idée de l’évolution, soit un millénaire avant Darwin ! Cette idée sera reprise par Ibn Khaldoun (3) dans un passage « magnifique dans les Prolégomènes où il parle de l’évolution des espèces. Ibn Khaldoun évoque un homme doué de raison qui vient après le monde simiesque. »

 

Ainsi, lorsqu’on compare le Haut Moyen-âge européen avec les débuts de la période musulmane, la différence est spectaculaire : totalement plongée dans l’obscurantisme, l’Europe morcelée stagne alors que le monde musulman se trouve à une période qui rappelle les prémices de la Renaissance.

 

Mais cette extraordinaire dynamique intellectuelle s’est enrayée.

 

Pourquoi tout cela s’est-il arrêté ?

 

Selon Faouzia Charfi, il y a deux raisons à cette disparition de la science dans le monde musulman.

 

« La science arabe a produit un patrimoine extraordinaire mais ce dernier n’a été intégré dans aucun cursus des grandes universités musulmanes de l’époque : la Zitouna à Tunis, Karawiyin à Fez ou Al Ahzar au Caire. Elles qui auraient dû être le vecteur de la transmission de toute cette civilisation n’a pas joué ce rôle-là. Elles se sont contentées d’être un vecteur de transmission de la seule tradition, une tradition qui exclut la science. En somme, il n’y a pas eu de passeurs de science. »

 

 

 

Université Al Ahzar au Caire : la plus célèbre université islamique

Université Al Ahzar au Caire : la plus célèbre université islamique

 

 

 

Donc, en premier lieu, la tradition l’a emporté sur la science. La source du progrès a été définitivement tarie.

 

Ensuite, c’est le pouvoir politique qui a joué un rôle fondamental.

 

« Celui-ci s’est appuyé sur les oulémas, les hommes de la tradition, qui eux-mêmes ne voulaient pas d’une science qui remette en cause la vérité de la révélation. À partir des Xe-XIe siècles, la pensée acharite s’impose, en rupture avec le mutazilisme. Cette pensée pose que la puissance de Dieu domine le monde. Les lois scientifiques ne sauraient donc remettre en cause cette toute-puissance. Dieu est la cause première mais il est aussi maître des causes secondes. Il n’y a pas de principe de causalité. Et s’il n’y a pas de causalité, il n’y a pas de science. »

 

Ainsi, non seulement les découvertes, mais aussi la méthode scientifique sont abandonnées au profit de la seule révélation qui est l’unique connaissance.

 

En définitive, tout cela n’est qu’un jeu de pouvoir. On instrumentalise la religion pour mieux contrôler et donc asservir les masses. Une justice cruelle et rétrograde et le terrorisme sont avant tout les instruments de ce pouvoir. C’est la clé de ce regain du religieux et pas seulement en terre d’Islam.

 

Un autre danger : le concordisme

 

En effet, plus récemment, est apparu un autre danger : le concordisme.

 

« Selon le concordisme, toute la science moderne, sauf celle qui s’intéresse à l’origine de l’homme, existe déjà dans les versets coraniques. Le big bang, les trous noirs, l’exploration spatiale, l’embryologie, etc., toutes ces découvertes figuraient déjà, explique-t-on, dans le texte coranique il y a mille quatre cents ans. Et on insiste sur l’illettrisme du prophète Mohammed pour mieux souligner son caractère miraculeux. Il y a de larges développements pour affirmer, texte coranique à l’appui, que l’expansion de l’univers est prévue par tel ou tel verset. Le concordisme, c’est de considérer que la science d’aujourd’hui concorde avec un certain nombre de versets coraniques et que cela met en valeur le caractère miraculeux de la religion musulmane. »

 

 

L’alliance « objective » entre les islamistes et les évangéliques américains

 

 

Mais le concordisme constitue un autre danger. Il a intéressé au plus haut point les évangélistes américains. Madame Faouzia Charfi observe :

 

« Depuis les années 1980 s’est nouée une sorte d’alliance entre les évangéliques américains et les islamistes, lesquels acceptent la science sous certains aspects concordistes, mais en refusent la théorie de l’évolution. (…)

 

« Avec Internet, le mouvement s’est amplifié dans les années 1990. Il existe un site créationniste turc, animé par Harun Yahya (aussi connu sous le nom d’Adnan Oktar, auteur de l’Atlas de la création (Global Publishing 2006) qui est en relation directe avec les créationnistes américains. Ces courants dénoncent le darwinisme comme une philosophie matérialiste. Pour les créationnistes musulmans, la théorie de l’évolution n’est pas une théorie. C’est grave. Il a une déconstruction de la science. En juillet, la Turquie d’Erdogan a retiré Darwin des programmes scolaires. »

 

 

 

Adnan Oktar qui diffusa l'Atlas de la céation depuis la Turquie.

Adnan Oktar qui diffusa l'Atlas de la céation depuis la Turquie.

 

 

 

Les évangéliques sont extrêmement puissants, non seulement aux Etats-Unis où ils occupent les plus hauts postes de l’administration Trump, mais aussi en Amérique latine et en Afrique noire. Remarquons au passage que les évangéliques sont des grands alliés d’Israël et ils fricotent avec les islamistes… La plus subtile des chattes aura difficile à retrouver ses petits ! Et pourtant. L’intégrisme religieux, qu’il émane d’un des trois grands courants du monothéisme, procède de la même démarche. Aussi, des « bouts de chemin » entre les intégristes de différentes obédiences ne sont pas invraisemblables.

 

En plus, il s’agit ici de l’alliance entre les deux plus puissants mouvements religieux au monde. Il y a là un danger considérable dont on ne prend pas suffisamment conscience. Tout comme les wahhabites avec le Coran, les évangéliques se basent sur une interprétation littérale des textes bibliques.

 

Un mouvement est apparu aux Etats-Unis à la fin des années 1990 : l’intelligent design (le dessein intelligent) (ID). Dans son livre « La science voilée », Faouzia Charfi explique :

 

« Contrairement au créationnisme « scientifique », l’ID ne refuse pas le principe de l’évolution et ne fait pas de l’âge de l’univers une question centrale. Mais il refuse la contingence, le hasard dans le mécanisme de la transformation des espèces. C’est une communauté de scientifiques (…) qui refusent la sélection naturelle non orientée, non finaliste, et soutiennent que toute l’histoire du vivant relève d’un projet, d’une intention. »

 

Donc, seul un projet peut expliquer les caractéristiques de l’univers et des êtres vivants. C’est le « dessein intelligent ». Et ce « dessein », seul Dieu est à même de le réaliser. Et voilà la clé de l’alliance entre les évangéliques et les islamistes.

 

Tout cela apparaît comme dérisoire querelle de théologiens et de prétendus scientifiques. En réalité, c’est bien plus redoutable qu’on le pense.

 

Le système totalitaire qui se met petit à petit en place sur les plans économique et politique pourrait très bien encourager cette démarche dogmatique qui n’est en définitive que l’asservissement des esprits et l’emprisonnement de l’intelligence afin de mieux contrôler le « matériel » humain.

 

Aussi, convient-il d’être vigilant. Les associations laïques, de défense des droits fondamentaux semblent sur la défensive, soit ne pas prendre conscience des enjeux. Or, face à une telle menace contre la liberté, il serait bien plus efficace d’être offensif si l’on ne veut pas voir la nuit s’étendre définitivement sur nos pensées et nos actes, si l’on refuse que la seule croissance soit celle des ténèbres.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 (1) Alhacen, Alhazen ou Ibn al-Haytham, de son vrai nom Abu Ali al-Hasan ibn al-Hasan ibn al-Haytham (Bassora, 965 – Le Caire, 1039) est un mathématicien, philosophe, physiologiste et physicien du monde médiéval musulman..

Il fut un des premiers promoteurs de la méthode scientifique expérimentale, ce qui est fondamental sur le plan du progrès scientifique, et aussi un des premiers physiciens théoriciens à utiliser les mathématiques, il s'illustre par ses travaux fondateurs dans les domaines de l’optique physiologique et de l'optique. (Source : Wikipedia)

 

(2) Al-Jahiz ou Al-Ǧah̩iz̩ , de son vrai nom ’Abu ʿUthmân ʿAmrû ibn Baḥr Mahbûb, al-Kinânî al-Laithî al-Baṣrî  est un écrivain, encyclopédiste et polygraphe arabe mutazilite, né vers 776 à Bassora, ville où il est mort en décembre 867.

Véritable créateur de la prose arabe, il défend une culture arabe en combinant la tradition avec des données de la pensée grecque, et laisse plus de deux cents ouvrages dont une cinquantaine ont été traduits en français.

Il continue ses études pendant vingt-cinq ans, durant lesquels il acquiert une connaissance profonde de la poésie et de la philologie arabe, de l'Histoire préislamique des Arabes et des Perses, du Coran et des hadith. Il étudie également des textes de science et de philosophie traduits du grec, notamment les œuvres d'Aristote. Son éducation est facilitée par le fait que le califat abbasside, en pleine révolution culturelle et intellectuelle, favorise la diffusion des livres. (Source : Wikipedia)

 

(3) Ibn Khaldoun, de son nom complet Abū Zayd ‘Abd ar-Raḥmān ibn Muḥammad ibn Khaldūn al-Ḥaḍramī (né le 27 mai 1332 à Tunis et mort le 17 mars 1406 au Caire), est un historien, philosophe, diplomate et homme politique issu d'une famille andalouse d'origine arabe.

 

Sa façon d'analyser les changements sociaux et politiques qu'il a observés dans le Maghreb et l'Espagne de son époque a conduit à considérer Ibn Khaldoun comme un « précurseur de la sociologie moderne ».

 

Ibn Khaldoun est aussi un historien de premier plan auquel on doit la Muqaddima (traduite en Prolégomènes), qui est en fait son Introduction à l'histoire universelle et à la sociologie moderne, et Le Livre des exemples ou Livre des considérations sur l'histoire des Arabes, des Persans et des Berbères. (Source : Wikipédia)

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8 octobre 2017 7 08 /10 /octobre /2017 19:26

 

 

 

Donc le référendum catalan a eu lieu dimanche 1er octobre dans les circonstances que l’on sait. La répression de la Guardia civil fut d’une violence qui rappelle les sinistres années du franquisme. Pourquoi cette répression ?

 

 

 

La Guardia civil n'a pas hésité à s'attaquer à des personnes âgées... De sinistres souvenirs ressurgissent.

La Guardia civil n'a pas hésité à s'attaquer à des personnes âgées... De sinistres souvenirs ressurgissent.

 

 

 

Le gouvernement espagnol conservateur du parti populaire, formation chrétienne post-franquiste, de Mariano Rajoy a décrété illégal le scrutin référendaire demandant aux Catalans s’ils souhaitent ou non l’indépendance décidé par La Generalitat (le gouvernement catalan).

 

Référendum « illégal », vraiment ?

 

Illégal ? Selon Gérard Onesta, membre d’EELV (les Ecolos français) qui était un observateur international chargé de constater le bon déroulement de ce scrutin, le référendum était bien légal. Il l’explique dans une interview à « Libération » du 3 octobre :

 

« Mariano Rajoy a tort de s’appuyer sur des textes juridiques pour affirmer le contraire. L’article 2 de la Constitution espagnole de 1978 reconnaît que l’Espagne est constituée de plusieurs nations et garantit leur droit à l’autonomie. L’article 10, lui, stipule que tout ce qui a trait aux droits de l’homme doit être interprété au regard des textes internationaux que l’Espagne a ratifiés. Or, que disent ces textes ? Que l’autodétermination des peuples est un droit, à condition que certains critères soient remplis. Parmi les plus importants de ces critères, il y a le fait qu’un pays ou une région ne doit pas être agressif ou encore persécuter une minorité et, enfin, être en capacité de s’administrer. Et justement, la Catalogne répond à ces trois critères. »

 

 

 

Gérard Onesta, fils d'immigrés italiens ayant fui le fascisme, membre d'EELV, observateur international pour le référendum catalan du 1er octobre, est indigné de la répression de la Guardia Civil qui rappelle par trop le franquisme.

Gérard Onesta, fils d'immigrés italiens ayant fui le fascisme, membre d'EELV, observateur international pour le référendum catalan du 1er octobre, est indigné de la répression de la Guardia Civil qui rappelle par trop le franquisme.

 

 

 

Au contraire, « Face à la demande de pouvoir exprimer notre « droit de décider », le gouvernement du parti populaire a répondu en envoyant des juges et des policiers dans les institutions catalanes. Pourtant, je trouve que la réaction des gens a été exemplaire, pacifique. Le comportement disproportionné des forces de l’ordre n’a fait qu’aggraver le conflit. Je crois que maintenant nous devons apporter une réponse politique au Premier ministre espagnol. » explique dans une interview à « La Libre Belgique » du 3 octobre, Gala Pin, 36 ans, maire de la Ciutat Vella, une commune faisant partie du grand Barcelone et membre de Barcelona en comù, une formation proche de Podemos dont fait partie la maire de Barcelone, Ada Colau.

 

Une répression rappelant les années noires du franquisme

 

La répression fut d’une violence inouïe, même si certains esprits chagrins estiment que la comparaison avec le franquisme est disproportionnée. Certes, il n’y a pas eu de morts – on n’est cependant pas passé très loin – ni d’arrestations de masse, mais réprimer des gens qui veulent s’exprimer pacifiquement, y compris des personnes âgées, arrêter pour « sédition »  des fonctionnaires qui ne font que leur devoir envers la Generalitat qui les emploie, enlever de force du matériel électoral ne peut être qualifié d’attitude démocratique, sans compter l’image désastreuse donnée au monde par le gouvernement de Madrid.

 

 

 

Les violences de la Guardia Civil laisseront des traces.

Les violences de la Guardia Civil laisseront des traces.

 

 

 

Le résultat : le vote des Catalans dimanche 1er octobre a mis en lumière la force de l'indépendantisme. Mais ce sentiment repose-t-il sur un simple égoïsme financier vis-à-vis des régions moins riches de l'Espagne ?

 

 

Certes, si le scrutin, suite au sabotage organisé dans la violence  par Madrid, ne s’est pas déroulé dans des circonstances normales, sur les 6 millions d’électeurs catalans, seuls 2 millions se sont exprimés et 1,8 millions ont voté pour l'indépendance, soit autant que les votes pour les partis régionalistes et indépendantistes en 2012 avec une participation pratiquement deux fois plus élevée. Désormais un électeur sur trois soutient l’indépendance, alors que précédemment les indépendantistes étaient fortement minoritaires. Depuis la fin du franquisme en 1977, ils totalisaient à peine 15 % de l’électorat catalan.

 

C’est donc un grave échec pour Rajoy qui mène à une situation quasi inextricable. Et la droite espagnole au pouvoir ne l’a pas accepté. Le roi Felipe VI a ensuite jeté de l’huile sur le feu par un discours télévisé où il a fustigé les indépendantistes et la Generalitat. Ce qui fait dire à l’écrivain Mathias Énard, romancier, auteur de – Zone (2008), Rue des voleurs (2012), ou Boussole (prix Goncourt 2015) –, qui a vécu une quinzaine d'années à Barcelone où il enseigna la littérature arabe et persane à l'université,  dans une interview à Ludovic Lamant du quotidien en ligne « Mediapart » :

 

« Le roi s’est exprimé – puisque Mariano Rajoy fait preuve d’une étrange lâcheté –, pour reprendre le même discours que le Parti populaire au pouvoir à Madrid : en manifestant un refus de voir ce qui se passe en Catalogne. Il y a là une absence effrayante et absolue de proposition politique, de tentative de négociation, un peu comme si nous étions dans un retour sinistre de la dictature – ce qu’induisait la mise en scène du discours de Felipe VI en instance quasi médiévale, tâchant de se hisser jusqu’à la solennité d’un discours définitif qui ne saurait admettre la moindre contradiction… »

 

 

 

Le roi Felipe VI en refusant d'ouvrir la porte aux Catalans, a jeté de l'huile sur le feu et divisé l'Espagne.

Le roi Felipe VI en refusant d'ouvrir la porte aux Catalans, a jeté de l'huile sur le feu et divisé l'Espagne.

 

 

 

Ce discours royal ferme la porte à tout dialogue. Désormais, la menace de l’article 155 de la Constitution, c’est-à-dire la suspension de l’autonomie et la reprise en main par le gouvernement de Madrid, plane sur la Catalogne.

 

Rajoy : animé par une motivation politicienne ?

 

Cependant, quelle est la motivation d’une position aussi ferme de la part de Madrid ? Mathias Énard ajoute :

 

« À bien y regarder, plus le Parti populaire se positionne contre le nationalisme catalan et les revendications régionales, plus il gagne des électeurs et du pouvoir en Espagne. C’est un mécanisme terrifiant : plus la position est politiquement injustifiable, plus elle rapporte politiquement. D’autant que tout cela évite à Mariano Rajoy d’avoir à faire face à des sujets autrement plus gênants pour lui : la crise économique, la corruption et plus généralement l’absence de projet pour l’Espagne… »

 

Bref, Rajoy rallume la flamme nationaliste espagnole contre le nationalisme catalan ! Les ingrédients d’une nouvelle guerre civile sont rassemblés.

 

La nature du nationalisme catalan est différente des autres nationalismes « régionaux » comme le nationalisme flamand. Il ne se montre guère hostile à l’égard des autres régions d’Espagne. Il est profondément pro-européen. Il est, par contre, opposé au centralisme et à l’austérité imposés par Rajoy depuis des années. La Catalogne est une région riche de sa modernité avec une jeunesse d’un grand dynamisme qui ne demande qu’à s’épanouir. Elle veut s’intégrer de manière autonome à l’Europe par esprit d’ouverture. Ainsi, par exemple, lors du grand rassemblement des indépendantistes lundi 2 octobre à Barcelone en protestation contre les violences policières, les jeunes ont entonné en plus de l’hymne catalan, l’Ode à la joie de Beethoven qui est le chant officiel  de l’Union européenne.

 

Certains mouvements, comme le mouvement Barcelona en comù, proche de Podemos, n’ont jamais été indépendantiste, mais, comme il a été écrit dans le précédent article (voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2017/09/hommage-a-la-catalogne.html ), il a appelé à la participation au référendum. Gala Pin, quant à elle, a voté « oui » car elle considère qu’après ce qu’il s’est passé, les choses doivent bouger. Le « non » d’après elle aurait été un signe d’immobilisme.

 

La question du « déficit fiscal »

 

Ce n’est pas le cas de la Catalogne. Selon le quotidien en ligne « La Tribune » du 5 octobre :

 

« Une des questions clés de la Catalogne, c'est le « déficit fiscal » de cette région, autrement dit sa contribution nette au budget du reste de l'Espagne. La « communauté autonome » catalane est une des plus riches du pays et elle est soumise au même régime de répartition que les autres, à l'exception (…) du Pays Basque. Son « déficit fiscal » est immense, il représente 8 % du PIB catalan. « Aucune région en Europe ne souffre d'un tel déséquilibre », explique Ferran Requejo, professeur de sciences politique cité par Henry de Laguérie dans son récent ouvrage Les Catalans aux éditions Ateliers Henry Dougier. Les Catalans auraient donc plus de raison de se plaindre que les Flamands ou les Italiens du Nord, pourtant fort habitués aux jérémiades contre les « paresseux wallons » et les « voleurs romains. » »

 

La question de ce déficit fiscal s’est posée, il y a une dizaine d’années, au gouvernement socialiste de Zapatero qui parvint à imposer une solution équitable.

 

« A la longue, la question de ce large déficit fiscal a néanmoins fini par se poser. Mais là encore, pas en « négatif », autrement dit sur le refus de la solidarité, mais en « positif » : donner à la Catalogne la capacité de mener une vraie politique économique et sociale autonome. Autrement dit accepter au sein de l'Espagne, une identité économique catalane. C'est cette idée qui a présidé aux premières réflexions sur le nouveau statut (Estatut) au sein de la monarchie espagnole au milieu des années 2000. Là encore, comme le souligne Ferran Requejo, il ne s'agissait pas de briser les liens de solidarité, mais de « ne plus être une communauté autonome comme les 17 autres. » »

 

L’Estatut s’est inspiré de l’exemple du pays Basque, mais était bien plus modéré. Il a été adopté par référendum en Catalogne et par les Chambres législatives espagnoles en 2006.

 

Ce statut prévoyait entre autres la création d'une agence tributaire catalane (ATC) chargée de collecter les impôts catalans, et de la réduction du déficit fiscal à 4 % du PIB. Autrement dit, il permettait d'allier une large autonomie fiscale et maintien de la solidarité. Mais le recours de députés du parti populaire imprégné du centralisme franquiste devant le Tribunal Constitutionnel a conduit à la censure de plusieurs mesures de l'Estatut, notamment celles relatives aux dispositions financières. L’ATC est devenu une coquille vide. C’est la flamme qui a rallumé l’indépendantisme catalan. C’est donc une volonté farouche de domination de la part de Madrid qui détermine son intransigeance à l’égard de la Catalogne.

 

L’Espagne divisée

 

Ce conflit divise les Espagnols. Certains sont des unitaristes convaincus et réclament même la mise en prison de Carlos Puigdemont, le président de la Generalitat, qui est à l’origine du référendum. Une manifestation ce dimanche 8 octobre, rassemblant près de 800.000 Espagnols catalans à Barcelone réclame le maintien de la Catalogne dans le royaume.

 

 

 

Carlos Puigdemont, Premier ministre de la Generalitat, indépendantiste convaincu, se sent coincé par le refus de dialogue avec le gouvernement Rajoy.

Carlos Puigdemont, Premier ministre de la Generalitat, indépendantiste convaincu, se sent coincé par le refus de dialogue avec le gouvernement Rajoy.

 

 

 

En plus, Rajoy peut compter sur le soutien des instances de l’Union européenne. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant. Dans ce genre de conflit, les dirigeants européens ont toujours été fort passifs se basant sur la doctrine de la seule reconnaissance des Etats-membres.

 

L’Union européenne a-t-elle conscience de l’enjeu ?

 

Et puis, il ne faut pas oublier que le Premier espagnol fait partie de la même famille politique que le Luxembourgeois Juncker, président de la Commission et le Polonais Donald Tusk, les démocrates chrétiens qui forment la principale fraction du Parlement européen, le PPE.

 

Un communiqué sibyllin a été publié par la Commission européenne où elle précise ne pas intervenir dans les questions intérieures d’un Etat membre. Dont acte.

 

 

 

Jean-Claude Juncker et Donald Tusk auront-ils le courage de dépasser les clivages politiciens pour proposer une solution équitable à la crise catalane ?

Jean-Claude Juncker et Donald Tusk auront-ils le courage de dépasser les clivages politiciens pour proposer une solution équitable à la crise catalane ?

 

 

 

Mais est-ce simplement une question intérieure ? Si l’opinion publique internationale se préoccupe tant de la question catalane, c’est parce qu’elle estime qu’elle pourra avoir des conséquences au-delà des frontières de l’Espagne. Si la situation s’envenime au point de provoquer une crise majeure aux conséquences internationales, les institutions européennes auront une fois de plus montré leur faiblesse.

 

Elles ont bien exercé de terribles pressions sur la Grèce pour qu’elle aligne sa politique financière sur celle dictée par l’Eurogroupe, c’est-à-dire l’Allemagne. Se détourneront-elles, en se cachant derrière des arguties juridiques, d’une éventuelle et violente mise sous tutelle de la Catalogne ? Ne sont-elles conscientes du danger de cette situation ? Inéluctablement, si la Catalogne s’enflamme, l’incendie se répandra dans d’autres régions d’Europe.

 

En réalité, les dirigeants européens se méfient comme de la peste des autonomismes régionaux. Or, le conflit Madrid – Barcelone n’est pas qu’un simple différend entre un Etat central et une de ses régions, il est le signe d’une crise de l’Etat-nation. Et cela ne concerne pas que la seule Espagne. C’est sans doute cela qui explique l’attentisme des institutions européennes et aussi des voisins de l’Espagne, dont la France.

 

On s’aperçoit des conséquences, rien que sur le plan financier. Au lendemain des violences qui ont émaillé la journée du 1er octobre en Catalogne et de la grève générale du 3 octobre, les marchés ont placé immédiatement la dette espagnole sous pression. Lundi 2 octobre, le taux moyen espagnol à 10 ans est passé de 1,60 % à 1,71 %, soit un recul du prix de l’obligation de 7 %, avant de se stabiliser autour de 1,7 %. À chaque secousse venant de Catalogne, la dette espagnole connaît ainsi un nouveau soubresaut. Et pour cause. En cas de sécession catalane, la question de la dette sera l’une des premières posées. Or, compte tenu de l’importance de la dette espagnole, estimée fin 2016 à 102,2 % du PIB – l’Espagne est le sixième pays de l’Eurozone qui a un ratio de dette supérieur à 100 % du PIB –, et du poids de la Catalogne dans la richesse du royaume (20,1 % du PIB), cette question devient délicate.

 

Cela devrait préoccuper les dirigeants européens si à cheval sur la problématique de la dette dans la zone Euro…

 

Les fédéralistes européens devront clarifier leur position.

 

Donc, la question politique « interne » de l’Espagne devrait pousser l’Union européenne à réagir, comme médiateur, par exemple et dans un esprit réellement fédéraliste.

 

Les Européistes ne cessent de prôner le fédéralisme européen. Or, le fédéralisme est justement la garantie de l’autonomie des entités fédérées avec le transfert de certaines compétences au pouvoir fédéral. Mais, dans leur esprit, il s’agit d’un pouvoir fédéral européen centralisé avec un maximum de compétences. Pour compenser cela, on a ressorti dans le traité de Maastricht le vieux principe de subsidiarité qui consiste à dire que c’est à l’échelon ayant la capacité d’exercer une compétence qui en a la responsabilité. C’est donc une règle empirique susceptible de changer selon les circonstances, ce qui ne peut qu’être source de conflits de compétences. Ce fédéralisme là est évidemment inapplicable dans une Europe dont bien des Etats membres sont secoués par des tensions régionales, voire des contestations de frontières (ce qui n’est pas le cas de l’Espagne).

 

Aussi, c’est en usant de pragmatisme et aussi de neutralité que l’Union européenne pourrait tenter une médiation afin d’étouffer l’incendie qui menace. Mais, en est-elle capable ?

 

Elle le devra sinon c’est l’Union européenne elle-même qui risque d’être carbonisée.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 21:25

 

 

 

« Ma maman, 85 ans, Espagnole d'origine: " priez et faites tout ce que vous pouvez pour empêcher la Catalogne de sombrer dans la guerre civile. La dernière fois, ça a été l'antichambre de la seconde guerre mondiale. Nous pleurerons tous nos mort qu'ils soient Catalan, Espagnol, Français ou autre, parce que la guerre c'est l'horreur ! »

 

 

Ces propos ont été rapportés par la maman d’un ami catalan français vivant à Perpignan. Ils traduisent la grande inquiétude de beaucoup d’habitants de cette région du Sud Ouest de l’Europe suite au réveil du mouvement indépendantiste catalan et à la répression du gouvernement conservateur – postfranquiste de Mario Rajoy. Ils ravivent des souvenirs tragiques et il faut bien dire que ni Madrid, ni la Generalitat (le gouvernement catalan) ne font rien pour calmer les choses.

 

 

Cette répression fait suite à la décision prise par la Generalitat d’organiser un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Elle se traduit par l’occupation des bureaux de vote par la Guarda civil, l’arrestation des maires ayant accepté d’organiser le référendum dans leurs communes et par la saisie du matériel électoral, à la fin de rendre impossible la tenue de ce scrutin.

 

 

 

 

Madrid a ordonné une sévère répression en Catalogne suite à la décision de la Generalitat d'organiser un référendum sur l'indépendance.

Madrid a ordonné une sévère répression en Catalogne suite à la décision de la Generalitat d'organiser un référendum sur l'indépendance.

 

 

 

Un mouvement indépendantiste en expansion

 

 

La Catalogne bénéficie d’un statut particulier en Espagne, appelé le statut d’autonomie de la Catalogne qui est une loi organique régissant, dans le cadre de la constitution espagnole de 1978, l'organisation institutionnelle de la Catalogne, en Espagne. Le statut de la Catalogne accorde l'autonomie à la communauté autonome de Catalogne. Il fixe les compétences du gouvernement régional et de l'État espagnol.

 

 

Le statut actuel s'inscrit dans la continuité de statuts précédents : le premier, rédigé sous la Seconde République espagnole en 1932, resta officiellement en vigueur jusqu'en 1939 et la chute de la Catalogne, lors de la guerre d'Espagne. En réalité, il avait été supprimé en mai 1937 par le gouvernement républicain réfugié à Valence qui a organisé sous la pression des communistes staliniens une terrible répression plaçant ainsi la Catalogne sous tutelle. Ces événements sont narrés par George Orwell dans son ouvrage sur la guerre d’Espagne,  Hommage à la Catalogne.

 

 

 

Fac similé de la couverture du livre reportage de George Orwell sur la Catalogne pendant la guerre d'Espagne. Ce livre permet de comprendre la situation actuelle.

Fac similé de la couverture du livre reportage de George Orwell sur la Catalogne pendant la guerre d'Espagne. Ce livre permet de comprendre la situation actuelle.

 

 

 

Le second, appliqué à partir de 1979, dans le contexte de la Transition démocratique, resta en vigueur jusqu'en 2006. La proposition d'un nouveau statut d'autonomie, approuvée par le Parlement de Catalogne le 30 septembre 2005, fut transmise au Congrès des députés, où il fut accepté le 30 mars 2006, puis au Sénat, où il fut approuvé le 10 mai 2006. Un référendum tenu en Catalogne le 18 juin 2006 confirma le texte, qui fut promulgué par le roi Juan Carlos et publié par la loi organique 6/2006 du 19 juillet 2006. Le statut actuel est en vigueur depuis le 9 août 2006.

 

Depuis, des escarmouches ont eu lieu entre le gouvernement de Madrid et celui de Barcelone. Mario Rajoy ne fit que durcir sa position. Un référendum sur l’indépendance éventuelle de la Catalogne fut organisé dans 169 communes catalanes le 13 septembre 2009. Le « oui » à l’indépendance l’emporta à 95 %. Cependant seulement un tiers des électeurs se sont exprimés.

 

A la fin du mois de juin 2010, après quatre années de délibération, le Tribunal constitutionnel espagnol déclara illégal le statut d’autonomie de 2006. Une manifestation nationaliste fut organisée le 9 juillet 2010 et rassembla un million de personnes à Barcelone. Des élections eurent lieu pour renouveler le Parlement catalan et les autonomistes l’emportent. Artur Mas, un nationaliste libéral, devient président de la Generalitat.

 

Le 11 septembre 2012, une nouvelle manifestation fut organisée à Barcelone. Elle rassembla 1,5 million de personnes et la revendication posée fut un la création d’un Etat catalan dans l’Union européenne. Le président de la Commission européenne de l’époque, José Manuel Barroso, fit savoir que l’Union européenne n’accepterait pas comme membre une Catalogne indépendante. La crainte d’un éclatement des Etats-nations composant l’Union était très vive. Et l’éventuelle indépendance de la Catalogne pourrait constituer un défi fondamental à l’UE.

 

L’année suivante, toujours le 11 septembre, il y eut encore une immense manifestation intitulée la « voix catalane vers l’indépendance » qui a traversé toute la Catalogne depuis le Perthus à la frontière française jusqu’à Vinàros près de Valence.

 

 

 

Une des manifestations de masse des indépendantistes catalans

Une des manifestations de masse des indépendantistes catalans

 

 

Le président de la Generalitat, Artur Mas décréta avec cinq partis sur les sept que compte le Parlement catalan, une nouvelle consultation populaire le 9 novembre 2014. Là aussi, un tiers des électeurs se sont exprimés. Ce référendum est déclaré illégal par le gouvernement espagnol et suite à un compromis entre la Generalitat et le gouvernement de Mario Rajoy, de nouvelles élections régionales sont organisées le 27 septembre 2015 où les indépendantistes obtiennent un résultat mitigé. Artur Mas a été remplacé par Carles Puigdemont.

 

Entre temps, les élections municipales du 24 mai 2015 ont amené à la mairie de Barcelone la militante de Podemos Ada Calau qui ne soutient pas le mouvement indépendantiste. Elle s’est particulièrement penchée sur la question du logement et sur l’accueil des migrants. Elle a refusé de faire une surenchère sécuritaire après l’attentat du camion fou dans les Ramblas au mois d’août dernier.

 

Suite à la décision d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance catalane le 1er octobre prochain qui a été déclaré illégal par le Tribunal constitutionnel, Madrid s’est livré à une féroce répression : occupation des bureaux de vote par la Guarda civil, saisie du matériel électoral, arrestations de maires et de fonctionnaires qui se chargent d’organiser ce scrutin.

 

En effet, le 20 septembre, une vingtaine de hauts fonctionnaires catalans ont été arrêtés et leurs locaux perquisitionnés. Toute l’équipe chargée de l’infrastructure pour le référendum du 1er octobre est emprisonnée. Dix millions de bulletins de vote ont aussi été saisis dans des imprimeries, ainsi qu’une grande quantité d’imprimés relatifs au scrutin. Les propriétaires de ces imprimeries, eux aussi arrêtés.

 

C’est du jamais vu… depuis Franco !

 

 

 

 

Le 20 septembre, des milliers de gens se sont rassemblés pour réclamer l'arrêt de la répression.

Le 20 septembre, des milliers de gens se sont rassemblés pour réclamer l'arrêt de la répression.

 

 

 

Face à cette répression et à sa réticence à l’égard du référendum, Ada Calau a réagi. Elle demande une négociation bilatérale entre le gouvernement Rajoy et la Generalitat. Elle a expliqué au journal « Le Monde » du 16 septembre :

 

« Il y a une demande légitime, celle des centaines de milliers de personnes qui sont sorties dans la rue de manière civique et pacifique durant sept années consécutives [à l’occasion de la Diada, la « fête nationale » catalane] et celle des près de 80 % de Catalans qui demandent un référendum effectif. Ces personnes pensent que le cadre actuel de relation avec l’Etat espagnol est dépassé. Le gouvernement du Parti populaire a refusé de donner une réponse à cette demande, et ce blocage a produit un sentiment d’impuissance chez beaucoup de gens. Le gouvernement catalan a décidé de convoquer unilatéralement un référendum. Nous ne sommes pas d’accord avec cette décision, non pas parce qu’elle est illégitime, mais parce que le fait qu’elle soit unilatérale fait que beaucoup de Catalans ne se sentent pas inclus dans ce processus. Il faut reprendre le dialogue. Nous ne nous résignons pas à cette idée du choc frontal. Nous devons tous faire un effort pour revenir sur le terrain de la politique et du dialogue. »

 

 

 

Ada Calau à la maire de Barcelone (photographie - Le Monde)

Ada Calau à la maire de Barcelone (photographie - Le Monde)

 

 

 

Les années noires du franquisme

 

D’un côté, la maire de Barcelone fustige la politique répressive du gouvernement espagnol qui rappelle les années noires du franquisme :

 

« La situation est très préoccupante. La seule réponse du gouvernement espagnol est judiciaire et répressive. Ce n’est pas seulement la décision de la Cour constitutionnelle, c’est aussi le parquet général qui a cité à comparaître des centaines de maires parce qu’ils se sont déclarés favorables au référendum, qui a interdit des réunions publiques, ordonné d’arracher des affiches… Tout cela, c’est un état d’exception. »

 

De l’autre, elle se montre très critique envers la Generalitat :

 

« Vous estimez que ce référendum n’est pas correct, car il exclut la moitié des citoyens, et vous appelez en même temps à y participer, avec le risque que le résultat affecte tous les Catalans…

 

 

Pour que le référendum soit reconnu comme contraignant, il faut auparavant qu’il y ait des règles du jeu acceptées par tous.

 

 

La Généralité dit qu’il sera contraignant…

 

 

Il faudra voir dans la pratique si cela est réalisable. Je crois que les conditions ne sont pas réunies. Pour être contraignant, il faut qu’un référendum soit reconnu, non seulement par l’Etat espagnol, mais aussi par la communauté internationale et surtout par la population. »

 

 

Vous ne pensez pas qu’il y aura une déclaration unilatérale d’indépendance si le oui l’emporte ?

 

 

Je crois que le gouvernement de la Généralité va comprendre qu’il ne peut pas gérer le résultat d’une manière qui ne contente que la partie indépendantiste. Ce serait une erreur de vouloir prendre une décision aussi importante si tous les citoyens catalans ne se sentent pas impliqués.

 

 

En Comu [le Podemos catalan] va-t-il donner une consigne de vote ?

 

 

Non. Notre formation est le seul espace politique transversal et pluriel qui reste en Catalogne, et nous en sommes fiers. Nous devons construire en conservant cette pluralité – indépendantistes, fédéralistes, ou ceux qui ne s’intéressent pas au sujet de la relation avec l’Etat. Dans notre formation, il y a des gens en faveur du oui et d’autres en faveur du non. »

 

 

Ada Calau souhaite que l’on conçoive d’une toute autre manière les relations entre les peuples qui composent l’Espagne. Elle explique :

 

« Est-il encore possible de rétablir les relations entre la Catalogne et le reste de l’Espagne ?

 

Il ne faut pas confondre l’Espagne, les Espagnols, les peuples, les villes, avec le gouvernement de l’Etat. Je suis très critique envers ceux qui, en Catalogne, parlent de l’Espagne comme d’un espace impossible à réformer. C’est une position réactionnaire. Cela fait deux ans que nous avons construit une alternative politique, y compris au niveau de l’Etat. Le PP gouverne, mais il est désormais en minorité. Le chef de file du Parti socialiste, Pedro Sanchez, s’est ouvert à parler de « plurinationalité » [existence de plusieurs nations au sein de l’Espagne] et défend un dialogue politique. »

 

 

Ainsi, au lieu du séparatisme pur et simple, la maire de Barcelone se rallie à la position du leader du PSOE : faire de l’Espagne un Etat où vivent ensemble plusieurs nationalités.

 

 

Cette affaire dont on ne peut prévoir l’issue doit interpeller tous les pays confrontés à des conflits régionaux et la Belgique, notamment.

 

 

La voie de la raison

 

 

On s’aperçoit que le séparatisme conduit à l’impasse. Si on prend le cas de la Belgique, les nationalistes flamands les plus virulents de la NV-A hésitent à franchir le Rubicon en proclamant unilatéralement l’indépendance de la Flandre. D’autre part, la situation belge est explosive, car le déséquilibre entre les trois régions (Flandre, Bruxelles, Wallonie) ne cesse de s’accentuer au profit de la Flandre. Dernièrement, la Wallonie a réussi à s’imposer politiquement aussi bien sur le plan belge qu’international en bloquant l’accord CETA pendant plusieurs semaines. C’est un élément nouveau qui va sans doute amener les responsables politiques à revoir la « lasagne institutionnelle » qu’est l’actuelle Belgique « fédérale ».

 

 

On remarque également que ce sont les régions les plus riches qui revendiquent leur indépendance : Ecosse en Grande Bretagne, Flandre en Belgique, Catalogne en Espagne, le Nord en Italie, etc. Cela constitue une menace certaine pour l’avenir de l’Union européenne.

 

 

Ainsi, l’affaire catalane va sans doute amener les Européens à une réflexion sérieuse sur l’avenir de l’Etat nation et des peuples qui les composent.

 

 

Ada Calau et la gauche espagnole sont les premiers à montrer la voie de la raison. Espérons que d’autres suivront cet exemple.

 

 

Ah oui ! J’oubliais ! Ce sont des extrémistes, paraît-il…

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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25 août 2017 5 25 /08 /août /2017 22:31

 

 

 

Le 21 août, le Bureau du PS, c’est-à-dire Elio Di Rupo, décide d’un « changement profond » du Parti suite aux affaires qui l’ont ébranlé et suite à l’éviction du PS du gouvernement wallon. Bon nombre pensent, et non des moindres, comme Paul Magnette, l'ancien ministre président de la Wallonie destitué par un coup politique de la droite, bourgmestre de Charleroi et candidat proclamé à la succession d'Elio Di Rupo, que cela peut sonner le glas du Parti socialiste en Belgique francophone.

 

Alors ? Ce « changement profond » va-t-il tout à coup inverser le cours des choses ? On peut en douter.

 

N’est-ce pas plutôt une énième  opération de « com » dont Di Rupo a le secret depuis des années ? Cerise sur le gâteau : tout cela est accompagné de la parution à grande publicité d’un livre dont l’auteur est l’actuel président du PS, qui s’intitule : « Nouvelles conquêtes » dont la bande proclame : « A gauche pour un monde plus juste »... Le choix du titre, on s’en doute, a fait éclater de rire les réseaux sociaux où certains ne se sont pas privés de se livrer à des jeux de mots plus ou moins scabreux. De plus, l’accueil des médias est plutôt mitigé.

 

 

 

Elio Di Rupo présentant son livre. Une belle opération de "com" dont il a le secret...

Elio Di Rupo présentant son livre. Une belle opération de "com" dont il a le secret...

 

 

 

Le fameux « chantier des idées » qui a été initié par Di Rupo dès sa sortie du gouvernement fédéral en 2014  juste après s’être fait réélire président du PS alors que son mandat n’était pas terminé. Ce « chantier » qui a débuté en 2015 lors d’un rassemblement à Liège est censé faire un aggiornamento idéologique. Il semble enfin aboutir après s’être manifestement assoupi pendant quelques mois. Le voici tout à coup relancé ! Tout cela sera définitivement adopté lors d’un Congrès prévu le 26 novembre prochain.

 

On en sait relativement peu, mais ce qui a été livré au public montre une orientation inquiétante. Sous couvert « d’écosocialisme » de « gauche », c’est en réalité un socialisme libéral qui sera soumis aux « militants ».

 

On peut surtout douter que le « chantier des idées » réponde aux défis de notre temps tels que les expose Jean-Pierre Garnier dans le chapitre IV intitulé « Le capitalisme comme mode de destruction » de son ouvrage De l’escrologie. (Librairie Tropisme – Bruxelles – éd. Agone)

 

« Avec l’avènement du néo-libéralisme et l’effacement du mouvement ouvrier, puis l’effondrement du « socialisme réel » et l’évanouissement, provisoire sinon définitif, des idéaux d’émancipation collective, le capitalisme est entré, depuis les années 70, dans une nouvelle période historique caractérisée par la disparition progressive des entraves politiques à son développement. En même temps que la bourgeoisie, désormais transnationalisée, retrouvait ainsi sa pleine liberté, a ressurgi la barbarie dans toute son ampleur : généralisation de la misère, jusque dans les sociétés « développées », multiplication des « guerres préventives » au nom du « droit d’ingérence humanitaire », institutionnalisation des représailles de masse contre les populations civiles sous la forme embargos mortifères, et de la torture au nom de « la lutte contre le terrorisme », montée de l’obsession sécuritaire justifiant une gestion policière de la question sociale, et, last but not least, dégradation accélérée de « l’environnement ». Exclusivement tourné vers sa reproduction illimitée, le mouvement « aveugle » du capital se trouve ainsi au cœur d’une crise de civilisation planétaire.

 

L’accroissement des inégalités et, pour une partie de l’humanité, de la précarité et de la pauvreté, la fréquence des situations conduisant au déchaînement de la violence d’État et les atteintes aux conditions géophysiques de la reproduction de la vie sur le globe terrestre ne sont pas des phénomènes sans liens entre eux, mais différentes manifestations d’un système socio-économique dont les dérèglements sont enracinés dans ses fondements. Loin d’être, en effet, le système rationnel que ses apologistes décrivent, la société fondée sur le « marché » est marquée par une irrationalité profonde, si profonde qu’elle porte en elle-même son autodestruction. »

 

Aucun de ces constats n’apparaît clairement dans les travaux du « chantier des idées ». Les propositions qui sont faites consistent en un catalogue de mesure sans aucune ligne directrice. N’osons pas dire sur le plan idéologique. Et ce n’est pas « l’écosocialisme » proclamé par le président du PS qui fera illusion !

 

Il est en premier lieu proposé d’abandonner ce qui fut un des piliers fondamentaux du PS depuis sa fondation en 1884 : la lutte des classes qui est inscrite dans la Charte de Quaregnon qui, elle, répondait aux défis de l’époque. C’est la raison pour laquelle elle servit de pilier à un mouvement politique qui marqua profondément la vie sociale en Belgique pendant plus d’un siècle. Aussi, même si la Charte méritait un aggiornamento, cet abandon du principe fondamental est inacceptable pour un socialiste. La lutte des classes est une réalité que des millions d’êtres humains vivent quotidiennement et dans bien des cas tragiquement. Nier sa réalité ou considérer qu’il s’agit d’une vieillerie idéologique est tout simplement aberrant !

 

Quand une entreprise délocalise laissant sur le carreau des centaines de travailleurs, n’est-ce pas un épisode de la lutte des classes ? N’est-ce pas un affrontement entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui louent leur force de travail souvent au prix le plus bas, où le rapport des forces est bien inégal ?

 

Lorsque Caterpillar a fermé à Gosselies provoquant non seulement plusieurs centaines de sans-emplois et entraînant  la faillite de plusieurs entreprises qui travaillaient en sous-traitance avec le géant américain et donc une catastrophe économique pour la région, n’est-ce pas là aussi une forme de lutte des classes où les détenteurs de la puissance disposent à leur gré des plus faibles qu’eux ?

 

 

 

Les travailleurs de Caterpillar Gosselies en grève suite à l'annonce de la fermeture pure et simple d'une des plus grandes entreprises du pays de Charleroi. N'est-ce pas de la lutte des classes ?

Les travailleurs de Caterpillar Gosselies en grève suite à l'annonce de la fermeture pure et simple d'une des plus grandes entreprises du pays de Charleroi. N'est-ce pas de la lutte des classes ?

 

 

 

Lorsqu’un patronat surpuissant impose le démantèlement du droit du travail ainsi que la traque et la précarisation des chômeurs à  un gouvernement présidé par un Socialiste, n’est-ce pas là aussi un aspect de la lutte des classes ?

 

Rappelons que ce n’est pas la première fois que des dirigeants du PS ont souhaité supprimer la référence à la lutte des classes. Ce fut le cas en 1982 lorsque Guy Spitaels, alors tout puissant président du PS, a inscrit dans la révision des statuts à l’occasion du Congrès « Rénover et agir II », la suppression de la mention « lutte des classes » de l’article 1er. Il y eut à l’époque une telle opposition que Spitaels dut renoncer. Mais le ver était dans le fruit.

 

Privatisations et fédéralisation de la Sécu…

 

Lorsqu’il était Premier ministre, Elio Di Rupo a accepté sous la pression du patronat la dégressivité des allocations de chômage, cela déclencha un tollé dans le monde du travail. Il ne mesura l’ampleur du mécontentement que lorsqu’il était devenu chef de l’opposition et il a osé déclarer que face aux conséquences de sa propre mesure, « son cœur saignait. » ! Il saignait pour un énième épisode de la lutte des classes, tout simplement.

 

D’ailleurs durant sa longue carrière ministérielle au gouvernement fédéral, Di Rupo a d’ailleurs directement ou indirectement participé aux nombreuses privatisations des services publics en commençant par la Sabena, puis ce fut Belgacom, puis la Poste, sans compter les organismes publics de crédit comme le Crédit communal qui est devenu Dexia avec le résultat catastrophique que l’on sait. Elio en fut même administrateur. Tout cela sans qu’il n’y eut de réelles contestations au sein du PS ; ce qui prouve qu’il a été caporalisé. Trop de membres devaient leur carrière, même au plus bas niveau, au PS. Aussi, régna l’omerta.

 

Cette permanente confusion entre la « communication » et des idées de plus en plus floues est insupportable. Le terrible défaut de la social-démocratie, car il y a belle lurette que nous ne sommes plus à l’époque des « socialistes », est le double langage. Côté cour, on tient un discours de gauche teinté de moralisme, de l’autre, on prend des décisions et des positions qui vont à l’encontre du discours.

 

Ensuite, on en est arrivé à appliquer les décisions exigées par le monde du capital. Alors, Elio a trouvé la parade : « Si nous n’étions pas là, ce serait pire ! ».

 

Autrement dit, nous devons être absolument au pouvoir pour maintenir, voire « sauver » les acquis sociaux, garder intact le « modèle social », ne pas toucher à la Sécu qu’il n’est pas question de régionaliser. Ah oui ?

 

La sixième réforme de l’Etat qui fut l’œuvre du gouvernement Di Rupo (premier et… dernier) a eu pour conséquence de régionaliser les allocations familiales et plusieurs branches de l’assurance maladie. Une fois de plus, le double langage et la capitulation devant les diktats des ultralibéraux et des flamingants qui font pour le moment un bout de chemin ensemble pour démolir tout ce qui peut encore l’être. Merci Elio !

 

A quoi sert désormais le PS ?

 

Cet attentisme, cette soif du pouvoir pour le pouvoir ont profondément changé la structure et la sociologie du Parti. Les militants se sont effacés pour faire place à de jeunes ambitieux avides de places dans les nombreux organismes d’intérêt public (OIP) générés par les gouvernements fédéral comme régionaux où le PS y exerçait le pouvoir. L’Institut Emile Vandervelde, le bureau d’études du PS, est devenu le cabinet des cabinets. Il est composé de jeunes universitaires recrutés pour la plupart dans les universités wallonnes sans qu’il leur soit demandé un engagement à l’égard des principes fondamentaux censés guider le Parti socialiste. C’est donc le règne des technocrates qui ont été dirigés pendant plusieurs années par une femme aussi redoutable que de grande qualité, Anne Poutrain, qu’on a surnommé la « Première ministre bis » à l’époque du gouvernement Di Rupo.

 

Si ce changement de structure fit preuve d’une grande efficacité reconnue d’ailleurs par les adversaires des socialistes, elle eut pour conséquence de dénaturer le Parti. La modernité, c’est très bien, c’est indispensable, mais cela ne doit pas effacer l’essentiel.

 

Et c’est justement cet essentiel qui est… essentiel.

 

Nul ne sait aujourd’hui où est et où va le PS. Par contre, on voit très bien comment la société se transforme au seul profit de l’ultralibéralisme.

 

Alors, la véritable question est : à quoi sert-il ?

 

Il est irritant de constater que le PS, pendant des années, a été le premier parti à Bruxelles et en Wallonie. Malgré cela, il n’est porteur d’aucune grande réforme où il aurait pu y poser sa marque. Il s’est contenté de gérer au fédéral. À Bruxelles, les Socialistes n’ont guère dépassé le stade de l’électoralisme et du municipalisme. En Wallonie, ce fut avant tout la mise en place d’une série d’OIP qui ont servi à placer des « amis » et à se soustraire au contrôle démocratique du Parlement wallon. Une véritable nomenklatura PS a été mise en place. De plus, le clientélisme s’est étendu au point qu’il est entré dans les mœurs.

 

Et même à autre niveau, l’Europe, le PS – et cela va bien au-delà de la Belgique francophone – s’avère incapable de réagir efficacement. Ainsi, c’est Philippe Moureaux qui l’a rapporté. Lors des négociations sur le traité de Maastricht en 1992, à l’époque où plusieurs Etats membres étaient dirigés par des majorités sociale-démocrates, il tint une conversation avec Laurent Fabius où tous deux déploraient ne pas avoir obtenu les harmonisations fiscale et sociale qui auraient évidemment changé fondamentalement la philosophie du traité et bien des événements se seraient déroulés autrement. Voilà encore une preuve de la faiblesse politique des sociaux-démocrates.

 

Les scandales récurrents depuis une vingtaine d’années dans les deux grandes villes de Wallonie, Liège et Charleroi n’ont eu guère d’impact sur le Parti ni, il est vrai, sur les résultats électoraux. Cependant, rien n’a été sérieusement fait pour mettre fin à ce « système ». Ce n’est qu’après les toutes récentes affaires Publifin à Liège, ISPPC à Charleroi et Samusocial à Bruxelles que dans une certaine panique, la direction du PS a bougé, sentant venir le cataclysme. On s’est penché sur le cumul des mandats en votant la solution minimaliste au Congrès de l’Eau d’Heure au début pluvieux de cet été. Or, si le cumul des mandats est un aspect du problème, il est loin d’être le seul. Une fois de plus, on choisit l’échappatoire.

 

Est-ce à dire que tous les mandataires socialistes travaillent pour leurs « seuls » intérêts ? Rien n’est plus faux. Bien des responsables socialistes mènent une action formidable sur le plan social, local et régional n’hésitant pas à consentir des sacrifices pour tenter de sortir un maximum de gens de la précarité et de leur donner un meilleur cadre de vie. Et sur le plan fédéral, un parlementaire comme Ahmed Laaouej, grand spécialiste des finances publiques, met régulièrement le gouvernement NVA-MR en difficulté.

 

 

Citons aussi le député européen Marc Tarabella qui, bien qu’étant peu soutenu par son groupe social-démocrate dominé par le SPD allemand, s’obstine à tenter d’imposer une vision socialiste des questions relevant des compétences européennes.

 

Nous avons évoqué dans un autre article le cas de Madame Christine Poulin, bourgmestre de Walcourt, qui s’est battue pour que sa commune accepte des familles de migrants. Voilà, parmi beaucoup d’autres, un exemple de militante socialiste fidèle aux principes fondamentaux du Socialisme.

 

 

 

Christine Poulin, bourgmestre (maire) de Walcourt a réussi à surmonter l'hostilité de la population de sa commune pour permettre à des familles de migrants de s'y installer et de s'y épanouir.

Christine Poulin, bourgmestre (maire) de Walcourt a réussi à surmonter l'hostilité de la population de sa commune pour permettre à des familles de migrants de s'y installer et de s'y épanouir.

 

 

 

Ce sont ceux-là et bien d’autres encore que nous n’avons pas cité qui forment avec de nombreux militants imprégnés de l’idéal socialiste, la base qui pourra tout changer. Mais leur en laissera-t-on la possibilité ? Ou plutôt, auront-ils les moyens d’y arriver ?

 

Et sans ce changement, le PS ne sert plus à rien.

 

Certains, même à gauche, se réjouissent de la déliquescence de la principale formation de gauche en Belgique francophone pensant que s’ouvrirait la voie vers une réelle force de gauche. Ils ont tort, car qui, désormais, va constituer une puissante force de gauche dans le pays ? Certes, il faut compter avec le PTB, mais ce ne sera pas suffisant. Quant à Ecolo, il prend de plus en plus une orientation centriste.

 

Le Parti du Travail de Belgique est certes la force de gauche qui monte. Ce parti issu du mouvement « Amada » (Alle macht aan de arbeiders : tout le pouvoir aux travailleurs) qui est né des grèves des mineurs du Limbourg de 1970 et qui s’est mué en un parti d’abord flamand, PvdA (Partij van den Arbeid, Parti du Travail) s’est étendu dans tout le pays dans les années 1990 et est devenu le PTB-PvdA qui a emporté deux sièges à la Chambre lors des dernières élections fédérales de 2014 : les députés liégeois Raoul Hedebouw et bruxellois Marco Van Hees qui sont très actifs au point qu’Hedebouw est devenu une « bête » médiatique et Van Hees, grand spécialiste de la fiscalité, un opposant redoutable dans les domaines économiques et financiers. D’autre part, le PTB s’est basé sur les Maisons médicales et a profondément infiltré les organisations syndicales où il y exerce une forte influence.

 

Sa grande force par rapport au PS est d’être sur le terrain social et sur celui des luttes. Cela devrait aussi faire partie de la réflexion des dirigeants socialistes !

 

Le problème posé par le PTB est que sa structure est inspirée du maoïsme. Même si, incontestablement, il évolue, il n’arrive pas (encore ?) à s’ouvrir à des forces de gauche qui pourraient être un appoint pour reconstituer une grande force de gauche démocratique. Malheureusement, on est fort loin du compte.

 

Aussi est-on mal parti. Si le PS disparaît de la scène politique, il y aura un grand vide à gauche.

 

Une autre question : le PS peut-il se réformer en profondeur ?

 

Dans sa structure actuelle et avec Elio Di Rupo, incontestablement non, surtout quand on lit le projet de manifeste qui devrait remplacer la très ancienne et très forte Charte de Quaregnon datant de 1884 qui constitue jusqu’aujourd’hui le fondement du socialisme en Belgique.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Il est intéressant de comparer les deux textes. On sera édifié sur l’évolution des choses et surtout sur les renoncements que contient le projet de manifestes proposé aux membres du Parti socialiste.

 

Cela fera l’objet de la prochaine livraison d’Uranopole.

 

 

 

 

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20 août 2017 7 20 /08 /août /2017 15:18

 

 

 

Voilà le raisonnement que tiennent pas mal de leaders politiques après chaque vague d’attentats terroristes. L’opinion publique est sensible à ce type de message qui a pour conséquence majeure d'attiser les tensions, de pousser à la discrimination et surtout de porter atteinte aux droits fondamentaux.

 

Suite aux attaques à Barcelone et à Cambrils, l’ineffable Nigel Farage, le leader du parti populiste UKIP qui fut le fer de lance du référendum sur le Brexit,  n’a pas hésité à déclarer que le vrai coupable de cette tragédie est l’Union européenne qui accueille beaucoup trop de migrants qui vont par leur « invasion » détruire la civilisation européenne ! Ainsi, ce sont les migrants qui sont le vrai moteur du terrorisme islamiste !

 

 

 

Une fois de plus, certains tentent d'exploiter les attentats islamistes pour imposer leurs idées nauséabondes.

Une fois de plus, certains tentent d'exploiter les attentats islamistes pour imposer leurs idées nauséabondes.

 

 

 

En arriver à de tels raisonnements est effarant.

 

Sur le blog de Paul Jorion, François Leclerc écrit à propos des réfugiés :

 

« La distinction entre les migrants économiques et ceux relevant du droit d’asile derrière laquelle les gouvernements européens se réfugient est une ligne de défense hypocrite et dépassée. Comment l’appliquer quand l’exode irrésistible qui s’est déclenché est le fruit d’une crise humanitaire multiforme, qui a éclaté après avoir longtemps couvé et n’est pas prête de s’arrêter ? On attend avec curiosité les consignes qui seront données à cet égard à ceux qui seront chargés d’opérer le tri.

 

Comment en effet opérer une discrimination ? Les désastres sont de toutes natures et combinés ; démocratique, humanitaire, sécuritaire, social et écologique. Chacun d’entre eux justifie à lui seul de rechercher un sort meilleur, et pour tout dire un avenir. Où le trouver si ce n’est en Europe ? Fixer dans leur pays les réfugiés qui le fuient est par ailleurs une tâche de longue haleine qui suppose l’avènement d’un développement économique d’une toute autre nature que celui qui est dévolu à l’Afrique, qui se résume à en faire un gigantesque marché plaqué sur le modèle du nôtre.

 

Faute de chercher et trouver les moyens d’exprimer leur solidarité et hospitalité, les autorités renient les valeurs qu’elles clament être constitutives de l’identité européenne et font de ses habitants des assiégés, donnant un très mauvais signal. Pratiquement, elles se sont engagées sur une mauvaise pente, modelant à cette échelle les sociétés de contrôle et d’enfermement qui s’esquissent. »

 

On pourrait appliquer le même raisonnement au terrorisme.

 

Aujourd’hui, le cinéaste libanais Claude El Khal écrit sur son blog :

 

« Barcelone. 16 morts, des dizaines de blessés. Les chaines d’info en continu parlent beaucoup mais ne disent rien. Les réseaux sociaux se remplissent de bougies et de larmes virtuelles. Les mêmes que celles pour Paris, Nice, Bruxelles, Londres, Manchester et toutes les villes ensanglantées par le terrorisme. En Europe ou ailleurs.



Ces bougies et ces larmes virtuelles sont devenues un réflexe, presque une habitude. A chaque attentat, les mêmes images, le même pathos, les mêmes bons sentiments. Les mêmes peurs aussi. Des peurs qui font désormais partie de nos vies. Bientôt elles feront partie de notre être. Indissociables de qui nous sommes. A la vue d’une voiture, d’un voile, d’une barbe, d’une peau légèrement basanée, d’une chevelure un peu trop frisée. »

 

Effectivement, la réaction aux actes terroristes n’amène que plus de discrimination et de peur et donc de nouvelles tensions. Et c’est cela le but des terroristes. D’ailleurs, « terreur » est inscrite dans « terrorisme ». Aussi, faut–il prendre le terrorisme comme une arme qui n’est que le redoutable outil d’une stratégie qui se montre particulièrement efficace. Stratégie qui n’a rien à voir avec le fameux « choc des civilisations » et qui fut élaboré par des tenants d’intérêts qui sont vitaux aussi bien pour les dirigeants des pays qui utilisent l’arme du terrorisme que pour ceux des pays qui en sont victimes. C’est donc là le véritable enjeu.

 

Comment en effet ne pas se rendre compte que l’origine du terrorisme se trouve dans ces guerres criminelles uniquement destinées à assurer l’approvisionnement en hydrocarbure des Etats-Unis et des pays de l’Union européenne ?

 

Comme l’a dit à plusieurs reprises le philosophe français controversé Michel Onfray : « Islamophile au-dedans, la France est islamophobe au dehors. » Et on pourrait appliquer cette sentence à tous les pays de l’OTAN ou membres des coalitions diverses qui participent depuis 2003 à ces guerres interminables au Moyen-Orient qui n’ont pour résultat que la destruction, l’exode des populations et la ruine. C’est par ces guerres qui ont d’ailleurs commencé bien plus tôt, en 1979, par l’invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique qu’est né le terrorisme islamiste qui ensanglante non seulement l’Occident, mais aussi le Moyen Orient, l’Afrique et l’Asie. Et n’oublions pas les relations ambiguës entre les services secrets occidentaux et israéliens et certaines organisations terroristes.

 

La lutte contre le terrorisme : une chimère sémantique

 

Cela dit, « la lutte contre le terrorisme » est une chimère sémantique inventée pour enfumer l’opinion publique. Tout d’abord, on lutte contre un ennemi et non contre une méthode de combat, ensuite, et c’est le plus important, cette « lutte » sert de prétexte à restreindre drastiquement les libertés fondamentales tout en ne démontrant aucune efficacité dans la réalisation de l’objectif proclamé. Il y eut tout d’abord, après les attaques du 11 septembre 2001, le fameux Patriot Act imposé par George W Bush qui a été suivi par l’adoption de législations antiterroristes dans plusieurs pays de l’Union européenne.

 

Ces mesures législatives n’ont en rien freiné les attaques terroristes. Par contre elles conduisent peu à peu à un régime de restriction des libertés par des contrôles tatillons, des atteintes à la vie privée et l’affaiblissement du pouvoir judiciaire. Le plus bel exemple est l’état d’urgence « provisoire » décrété en France par François Hollande après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et qui a été prolongé à deux reprises. Aujourd’hui, Emmanuel Macron souhaite déposer un projet de loi pour qu’il soit permanent. Si ce n’est une claire volonté de réduire les droits fondamentaux, c’est bien imité !

 

 

Remarquons que les magistrats et policiers spécialisés en matière de terrorisme ne sont pas demandeurs d’un arsenal législatif anti-terroriste, mais de moyens plus efficaces que les gouvernements refusent de leur donner sous prétexte de restrictions budgétaires. Il s’agit d’ailleurs du même problème en matière de lutte contre la criminalité financière qui, d’ailleurs, aiderait à combattre le terrorisme. À certains moments, on peut franchement se poser la question de la réelle volonté des gouvernements de combattre ces fléaux.

 

Une autre question à poser : ces restrictions des droits fondamentaux n’ont-elles pas un autre objectif que la prétendue « lutte contre le terrorisme » ? Par exemple, accroître la répression contre les mouvements sociaux ou le radicalisme (1) politique ?

 

En effet, après chaque vague d’attentats, les dirigeants politiques, la bouche en cœur, expriment leur indignation et leur compassion. La maire Podemos de Barcelone, Ada Calau, a elle aussi succombé à cette « tradition ». Néanmoins, elle a parlé avant tout de la vocation d’ouverture au monde de la capitale catalane et il faut lui reconnaître une organisation particulièrement efficace des secours. Et son discours tranche avec celui des autres leaders : elle n’a en rien demandé le renforcement des mesures répressives contre les terroristes.

 

 

 

Ada Calau, la maire Podemos de Barcelone sur les Ramblas après l'attentat

Ada Calau, la maire Podemos de Barcelone sur les Ramblas après l'attentat

 

 

 

Depuis la catastrophique guerre en Syrie, suite aux bombardements effectués par tous les camps en présence et les massacres perpétrés par l’armée syrienne et les rebelles de toutes obédiences, des dizaines de milliers de personnes ont préféré quitter leurs maisons, leurs villes et villages et leur pays pour tenter de trouver un havre de paix en Europe. La première réaction de plusieurs pays de l’Europe centrale fut de fermer les frontières, contraignant ces colonnes de réfugiés à prendre des chemins périlleux via la Turquie pour arriver à destination ou à s’embarquer sur des canots et des bateaux gonflables pour traverser la mer Egée en se mettant sous la coupe de passeurs sans scrupules. On peut se poser la question de leur impunité de la part des autorités locales.

 

L’humanisme à géométrie variable

 

Une autre vague de réfugiés est venue s’ajouter : des dizaines de milliers de personnes fuyant l’Afrique subsaharienne en proie à une catastrophe humanitaire qui dure depuis des décennies : sécheresse, famine, à laquelle il faut ajouter les guerres et guerillas atroces qui ensanglantent l’Afrique de l’Est (Ethiopie et Erythrée) et l’Afrique de l’Ouest (Tchad, Niger, Nigeria, Mali, Côte d’Ivoire). Jusqu’à la chute de Khadafi en Libye, ces migrants étaient refoulés avec l’accord tacite des Européens qui fermaient « pudiquement » les yeux sur le sort de ces malheureux. L’humanisme à géométrie variable est décidément une spécialité européenne !

 

Tout a changé depuis la chute du dictateur libyen au terme d’une offensive des Européens et spécialement des Français dans le cadre de l’OTAN qui a totalement déstabilisé ce pays. Une guerre civile s’en est suivie et dure toujours. Le barrage « Khadafi » n’existant plus, des milliers de réfugiés traversent la Méditerranée par l’intermédiaire de passeurs sur de frêles esquifs  pour atteindre l’Italie en échouant à l’île de Lampedusa ou au Sud de la Sicile. Bon nombre n’atteindront jamais leur destination.

 

 

 

 

Les autorités européennes se  recueillent sur les tombes des migrants naufragés. On leur demande d'allier l'efficacité et l'humanité. Équation impossible pour eux.

Les autorités européennes se recueillent sur les tombes des migrants naufragés. On leur demande d'allier l'efficacité et l'humanité. Équation impossible pour eux.

 

 

 

La situation semble avoir récemment changé puisqu’il semble qu’un nouveau pouvoir se soit installé en Libye qui endigue ainsi la vague migratoire avec l’accord toujours tacite de l’Union européenne. Les ONG qui étaient les seules à porter secours aux migrants ont été interdites d’opérer le long des côtes libyennes.

 

Ce type de compromis fort peu honorable a été précédé de l’accord pris entre la chancelière allemande Angela Merkel et le président turc, le quasi dictateur Recep Tayyip Erdogan qui, moyennant une substantielle aide financière, retient les réfugiés du Moyen Orient en Turquie. Pourtant, peu avant, la même Merkel s’est montrée particulièrement ouverte à l’accueil des migrants en Allemagne. Il est vrai aussi que le patronat allemand aurait apprécié disposer de la main d’œuvre syrienne, car bien des réfugiés sont des personnes qualifiées. Cependant, l’opinion publique s’est montrée particulièrement hostile à l’égard de l’arrivée de ces migrants. Sans doute est-ce l’explication du revirement de la chancelière.

 

Respecte l’étranger voyageur…

 

Certains d’ailleurs n’hésitent pas à profiter de l’émotion suscitée par les attentats islamistes pour exiger l’arrêt de l’immigration. Ainsi, le gouvernement polonais vient de demander à l’Union européenne de décréter un moratoire sur l’accueil des réfugiés.

 

Ainsi, le lien est fait. Les réfugiés sont des vecteurs du terrorisme. Il y a dans ces affirmations sans fondement émanant aussi bien des milieux d’extrême-droite que de certains gouvernements, non seulement une méconnaissance de la réalité, mais surtout une absence totale d’éthique et de rejet des prescrits de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne  et de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dont on célèbre l’année prochaine le septantième anniversaire.

 

« Respecte l’étranger voyageur, sa personne est sacrée » est un principe édicté par beaucoup mais adopté par fort peu. Les campagnes médiatiques en faveur de l’accueil des migrants n’ont eu que des effets… médiatiques ! Et leurs promoteurs eux-mêmes n’ont rien fait de concret.

 

Cependant, émanant des horizons les plus divers, des initiatives sont prises et aboutissent à des résultats. Ainsi, la bourgmestre (maire) de la commune rurale de Walcourt dans le Namurois a décidé, il y a deux ans, d’accueillir plusieurs familles de migrants malgré la farouche opposition de pas mal de ses administrés. Elle a tenu bon et aujourd’hui, les migrants de Walcourt se sont parfaitement intégrés. Plusieurs d’entre eux ont trouvé du travail. Les enfants étudient dans les écoles du coin. Et la plupart des familles de migrants participent à la vie locale.

 

 

Christine Poulin, maire PS de Walcourt, tient bon devant une assemblée hostile à l'accueil des réfugiés. Une des rares édiles socialistes à respecter les principes fondamentaux.

Christine Poulin, maire PS de Walcourt, tient bon devant une assemblée hostile à l'accueil des réfugiés. Une des rares édiles socialistes à respecter les principes fondamentaux.

 

 

 

Mais ces initiatives d’autorités municipales sont trop peu nombreuses. Des ONG font pression pour que les gouvernements soient plus accueillants, mais en vain. Certains pays comme ceux d’Europe centrale exigent plus de fermeté de la part de l’Union européenne et ferment leurs frontières en construisant des murs de barbelés. L’Europe aujourd’hui n’a jamais compté autant de murs !

L’Union européenne prise de panique par la vague migratoire a décrété des quotas pour chaque Etat-membre. Mais plusieurs d’entre eux ne les respectent pas. En Belgique, le secrétaire d’Etat chargé de l’immigration, le nationaliste flamand Théo Francken qui ne cache pas ses opinions fascisantes met toute une série d’obstacles à l’arrivée des réfugiés et – c’est le plus inquiétant – sa cote est très élevée dans les sondages d’opinion.

 

Voilà, la situation devient inextricable. Que ce soit pour les réfugiés comme pour le terrorisme, aucune solution n’alliant les principes essentiels de notre vie sociale et l’efficacité ne semble être possible.

 

La vraie question est donc : notre civilisation n’est-elle pas plus menacée par le rejet des réfugiés et par les répressions antiterroristes tout aussi inefficaces que  restrictives de libertés ?

 

Si nous tenons à perpétuer les principes de vie figurant dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dans la Charte des droits fondamentaux de l’’Union européenne et dans nos Constitutions, il est urgent de trouver une véritable stratégie.

 

Le dossier est donc loin d’être clos.

 

Pierre Verhas

 

 

 

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18 août 2017 5 18 /08 /août /2017 20:06

 

 

 

Nous publions ici un extrait de l’analyse publiée sur le blog de Paul Jorion de l’économiste français spécialiste des finances Pierre Sarton du Jonchay relative à la situation catastrophique au Venezuela, intitulée : « Le Venezuela, métastase du cancer monétariste libéral mondial ».

 

Cette analyse est sans complaisance à l’égard de la politique menée par la finance internationale à l’égard de ce pays qui a vécu 19 années de chavisme et aussi, comme l’écrit l’auteur, dix années de crise des subprimes. Ce sont en effet les pays de la zone dollar qui ont payé le prix fort de cette crise que beaucoup considèrent comme une des plus grandes escroqueries de l’histoire financière.

 

Elle est aussi la conséquence du monétarisme libéral qui est né le 15 août 1971 lorsque le président Richard Nixon rompit unilatéralement les accords de Bretton Woods de 1944. En retirant la parité or du dollar, il flanquait en l’air le système monétaire international. Dès lors, toutes les monnaies liées par les accords de Bretton Woods allaient connaître l’instabilité avec les conséquences économiques et sociales catastrophiques qui ont frappé non seulement l’Europe  et surtout les pays du Tiers-monde.

 

Les effets de cette décision prirent un temps assez long avant de se faire dramatiquement ressentir.

 

Le premier fut le choc pétrolier de 1973. Sous prétexte du soutien occidental à Israël lors de la guerre du Yom Kippour, les pays exportateurs de pétrole – essentiellement les monarchies pétrolières du Golfe – se sont liguées en cartel, la fameuse OPEP dont faisait d’ailleurs partie le Venezuela, pour augmenter considérablement le prix du baril de pétrole. Le dollar étant devenu instable, les revenus du pétrole risquaient de s’effondrer surtout que le pétrole se négociait, à l’époque, à un prix particulièrement bas sur les marchés.

 

Le second choc pétrolier de 1979 fut le signal de la régression en Europe occidentale, de l’affaiblissement de l’URSS et de ses satellites et les pays du Tiers-monde se retrouvaient totalement dépendants des fluctuations du dollar.

 

Se sont ajoutées à tout cela, en effet logiquement après la fin du système monétaire de Bretton Woods la fin des politiques keynésiennes désormais inapplicables qui avaient assuré la prospérité de l’Europe occidentale puisque les Etats ne pouvaient plus contrôler la dette publique. Cela a entraîné progressivement une diminution des investissements publics, ce qui eut des conséquences économiques et sociales catastrophiques.

 

Cela a été ensuite dès le début des années 1980 les politiques ultralibérales inaugurées par le tandem Thatcher Reagan.

 

Suite à la chute de l’URSS en 1991, les politiques libérales se sont imposées dans l’ensemble des pays industrialisés et dans la majeure partie des pays dits émergents à l’exception de la Chine qui a inauguré un nouveau système paradoxal d’apparence : un capitalisme dans le cadre d’un régime totalitaire issu de la période maoïste.

 

En ces quelques lignes, Pierre Sarton du Jonchay, se basant sur le cas du Venezuela, nous décrit magistralement le monétarisme libéral qui nous conduit à la catastrophe.

 

La puissance publique, seul véritable garant de la démocratie, a été réduite à sa plus simple expression. La monnaie est dorénavant devenue une affaire privée. Seules quelques grandes banques américaines, quelques grandes banques européennes et de la Banque centrale européenne qui est, ne l’oublions pas, un organisme privé, contrôlent la monnaie selon la doxa libérale qui veut que seuls les intérêts privés puissent s’imposer.

 

Nous avons souligné les éléments essentiels de l’analyse de Pierre Carton du Jonchay que l’on peut résumer ainsi :

 

  1. L’Etat n’a plus aucun pouvoir sur la monnaie et la masse monétaire. La monnaie est donc devenue affaire privée.

 

  1. Depuis la dérégulation de 1971, le prix réel de la monnaie est défini par les rapports de force au sein des marchés.

 

  1. Le principe fondateur du monétarisme libéral est la libre circulation du capital interdit dès lors toute souveraineté publique sur l’économie au sein d’un Etat.

 

  1. Cette libre circulation permet de contourner les lois relatives au travail et les lois fiscales.

 

 

Ces quatre points, si on y réfléchit bien, montrent qu’au nom de la seule liberté du capital, s’installe un régime sans lois qui permet au plus fort d’écraser les plus faibles à leur guise et selon ce qu’ils pensent être leurs seuls intérêts. Et le plus piquant de tout cela : cette pensée monétariste libérale est basée sur des mythes.

 

Ces quatre éléments, au fond, n’expliquent-ils pas l’évolution de notre société depuis un peu plus d’une génération ?

 

Voilà un très intéressant thème de réflexions sur lequel nous reviendrons.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Mythologie libérale de la valeur créée ex nihilo par les banquiers

 

 

 

Concrètement, le monétarisme libéral pose le crédit comme une affaire privée assurée par des capitaux privés. La masse monétaire résultant de l’émission de crédits bancaires ne peut pas être initiée ni limitée par l’État de droit posé comme acteur public institué de la chose publique. Les finalités de la monnaie émise par le crédit bancaire libéral sont exclusivement privées : elles n’entrent pas dans le champ de la république. La monnaie libérale est une matière privée qui accorde au banquier le droit exorbitant de faire exister une valeur sans lui donner de cause intelligible concrètement et publiquement vérifiable : un paiement en monnaie n’exprime que la satisfaction d’un objectif privé dont la légalité et la conformité à un bien commun réel tangible n’ont pas à être établies ni vérifiées par un pouvoir public collectif.

 

Le monétarisme libéral étatsunien est la norme monétaire mondiale depuis la dérégulation financière qui a sanctionné dans les années 1980 l’abandon de tout étalon international objectif de comptabilité du crédit. Depuis l’abandon en 1971 de l’étalonnage international des monnaies par le prix fixe d’une once d’or, le pouvoir d’achat et de remboursement monétaires des dettes se définit indépendamment de toute légalité nationale ou internationale. Le prix « réel » d’un signe monétaire se définit uniquement par un rapport de force mathématisé sur un marché bancaire nominal entre des opérateurs qui empruntent et qui prêtent le signe.

 

La force des prêteurs du signe est dans le crédit obligeamment prêté à fournir une contrepartie réelle dans un futur indéterminé. La force des emprunteurs du signe est dans la contrepartie supposée réelle immédiate fournie en contrevaleur du prix revendiqué de quelque chose proposé à la vente. Ainsi le prix réel du dollar, qui est la monnaie réelle de fait au Venezuela, est dans tout ce qui peut s’acheter à des gens qui acceptent de vendre quelque chose contre un paiement en dollar.

 

L’imbécillité du dollar au Venezuela comme dans le reste du monde est dans la causalité légalement, moralement et réellement invérifiable du prix prêté ou emprunté. L’objet de valeur positive sous-jacent à un prix en dollar n’est pas reconnaissable indépendamment de son prix affirmé par une banque. Le banquier libéral peut décréter le prix d’un crédit dont l’objet n’est pas public, donc invisible.

 

De fait, un détenteur de dollar en espèces ou sur un compte de dépôt dans un paradis fiscal quelconque, peut au Venezuela tout acheter y compris la conscience et l’arbitrage d’un président, d’un député, d’un fonctionnaire, d’un policier, d’un juge, d’un maire, d’un chef d’entreprise, d’un proxénète ou d’un trafiquant de drogue. Dès son émancipation à la faveur de l’occupation de la métropole espagnole par les Français impériaux en 1808, le Venezuela a été contrôlé par des grands propriétaires et des marchands soucieux de s’enrichir librement par le commerce avec l’Europe.

 

(…)

 

Le principe juridique fondateur du monétarisme libéral est la libre circulation du capital par-dessus les frontières de la souveraineté donc de la responsabilité des États nationaux. En pratique, la circulation du capital est libre quand une banque gérant des dépôts nationaux peut prêter ou emprunter à des étrangers sans permettre à la puissance publique nationale qui garantit les dépôts de contrôler les crédits ou emprunts internationaux qu’ils génèrent. L’intérêt immédiat de la circulation totalement libre du capital est de contourner la loi et l’impôt pour augmenter et accélérer la rentabilité du capital.

 

Contourner la loi permet de minimiser les droits du travail qui transforme et rentabilise le capital. Contourner l’impôt permet de minimiser le coût des solidarités sociales légales et de cantonner l’investissement public au minimum d’existentialité juridique qui permette la rentabilité exclusive du capital privé. L’État de droit libéral est nominal et pas nécessairement réel : au service du capitalisme privé, il se doit de minimiser l’intérêt général à la reconnaissance légale et politique de tous les besoins humains des citoyens. Le travail est un coût à abaisser le plus possible au profit d’une attribution maximale de valeur ajoutée aux propriétaires du capital.

 

Extraits de la contribution de Pierre Sarton du Jonchay sur le site de Paul Jorion :

http://www.pauljorion.com/blog/2017/08/18/le-venezuela-metastase-du-cancer-monetariste-liberal-mondial-par-pierre-sarton-du-jonchay/#more-98249

 

 

 

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