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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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23 mars 2021 2 23 /03 /mars /2021 21:03

 

 

 

Le dimanche 28 mars 2021, ce sera rebelote : nous passons pour la quarante-troisième fois à l’heure d’été. Outre le réel désagrément provoqué par ce changement d’heure bisannuel, cette heure dite d’été qui s’achèvera cette année-ci le 31 octobre, comporte de réelles nuisances en dépit de l’avantage assez futile de longues soirées ensoleillées pendant une partie de la saison estivale.

 

Dimanche dernier, le 21 mars, la chaîne RTL-TVI m’a fait l’honneur de m’inviter à participer à l’émission débat hebdomadaire du dimanche midi animée par le journaliste Christophe Deborsu. Ce fut très court et il était impossible de synthétiser cette problématique assez complexe en trois minutes, d’autant plus que mon interlocuteur était le député européen PS Marc Tarabella que j’apprécie par ailleurs pour son travail dicté par un sens social aigu, en bon politicien, monopolisa la parole pendant quatre minutes pour défendre l’heure d’été !

 

 

 

Le député européen PS Marc Tarabella face à votre serviteurLe député européen PS Marc Tarabella face à votre serviteur

Le député européen PS Marc Tarabella face à votre serviteur

 

 

 

Remontons le temps.

 

Pour bien comprendre la question, il faut remonter le… temps.

 

Au XIXe siècle, il y avait une certaine anarchie dans la fixation de l’heure aussi bien au sein des nations qu’entre elles. Ainsi, en Belgique, jusqu’en 1842, l’heure était différente d’une ville à l’autre ! C’est le développement du chemin de fer qui a imposé une heure unique sur tout le territoire. À la fin de ce siècle, avec le développement des transports internationaux, il s’avérait indispensable d’harmoniser cette question d’heure sur l’ensemble du globe.

 

En 1847, la British Railway Clearing House recommande de son côté à toutes les compagnies d’adopter le temps moyen de l’observatoire de Greenwich, qui servait déjà de référence aux navigateurs. En 1883, les entreprises ferroviaires étatsuniennes et canadiennes scindent leur territoire en cinq zones égales, introduisant du même coup la nouvelle notion de « fuseau horaire ». Un an plus tard, la Conférence internationale de Washington instaure le partage du globe terrestre en 24 zones d’une heure, avec comme référence le méridien de Greenwich - appelé également « méridien zéro ». Ce système fut rapidement adopté par la plupart des pays du monde. Du moins en théorie.

 

 

 

La Terre a été divisée en 24 fuseaux horaires au départ du fuseau 0 au centre duquel se trouve le méridien de Greenwich. On observe que tous les pays du continent européen riverains de la Mer du Nord à l'exception des pays scandinaves,  font partie  du fuseau horaire de Greenwih qui correspond à l'heure UTC 0.

La Terre a été divisée en 24 fuseaux horaires au départ du fuseau 0 au centre duquel se trouve le méridien de Greenwich. On observe que tous les pays du continent européen riverains de la Mer du Nord à l'exception des pays scandinaves, font partie du fuseau horaire de Greenwih qui correspond à l'heure UTC 0.

 

 

 

La Belgique, en tout cas, l’adopta puisque le fuseau horaire dont le méridien central était celui de Greenwich couvrait tous les pays européens riverains de la mer du Nord, à l’exception des pays scandinaves. En 1885, un arrêté royal fixa l’heure de Greenwich (GMT – Greenwich Mean Time) comme heure légale sur tout le territoire du royaume de Belgique. Ce système dura jusqu’en 1946, à l’exception des deux périodes d’occupation allemande. Les Français, bien que Paris se trouve pratiquement sur le méridien de Greenwich instaurent un décalage d’une heure (GMT + 1) comme heure légale.

 

Les Allemands durant l’occupation imposent l’heure d’été, c’est-à-dire l’heure de Berlin (à savoir GMT + 2) dans les territoires occupés. Il y eut donc l’annuel double changement d’heure comme nous le connaissons aujourd’hui.

 

Après la fin de la Seconde guerre mondiale, en 1946, l’heure de l’Europe occidentale continentale fut fixée à GMT + 1. C’est en 1974 que Valéry Giscard d’Estaing, frais élu président de la République française, obsédé par des réformes de toutes sortes qui étaient sensées faire rentrer la France dans l’ère « moderne » émit l’idée de l’introduction de l’heure d’été afin, prétendit-il, d’économiser de l’énergie – c’était l’époque de la première crise pétrolière ! C’est en 1977 que ce système fut introduit dans l’Europe des Neuf et se répandit petit à petit dans l’ensemble du monde.

 

 

 

Valéry Giscard d'Estaing, président de la République française de 1974 à 1981, le surdoué libéral qui introduisit des réformes prétendument modernistes qui causèrent bien des difficultés.

Valéry Giscard d'Estaing, président de la République française de 1974 à 1981, le surdoué libéral qui introduisit des réformes prétendument modernistes qui causèrent bien des difficultés.

 

 

 

Depuis lors, ce système a fonctionné vaille que vaille sans aucune modification. Pour des raisons astronomiques, il a été décidé en 1972 de passer de GMT à UTC (Universal Time Coordinated – Temps Universel Coordonné). En effet, grâce aux progrès technologiques, on ne mesurait plus le temps sur la base d’observations astronomiques, mais sur celle de l’heure atomique qui est bien plus précise. Cependant, régulièrement, il faut ajuster l’heure atomique avec l’heure astronomique, parce que cette dernière subit d’infimes irrégularités dues à des perturbations dans le mouvement de rotation de la Terre sur son axe et dans son mouvement de révolution autour du Soleil. En outre, il convient également de coordonner les horloges atomiques des différents observatoires dont celui de Belgique. De plus, il y a une différence entre UTC et GMT : la journée GMT commence à midi, alors que la journée UTC débute à 0 h 00.

 

 

Le château de carte du changement d’heure bisannuel s’effondre !

 

 

Cela a bougé en ce qui concerne le passage régulier heure d’été – heure d’hiver à partir de 2014. La Russie, puis la Turquie ont décidé d’en revenir à une seule heure, l’heure d’hiver.

 

 

Le changement d'heure a été introduit en URSS le 1er avril 1981. L'heure d'été débute le 1er avril et se termine le 1er octobre de chaque année, jusqu'en 1984, date à laquelle l'URSS adopte les règles de changement d'heure européennes, passant à l'heure d'été à 02:00 le dernier dimanche de mars en avançant d'une heure et revenant à l'heure d'hiver à 03:00 le dernier dimanche d'octobre (de septembre, jusqu'en 1995).

 

 

L'usage du changement d'heure a perduré après l'effondrement de l'Union soviétique mais fut officiellement abandonné par décision du président de la Fédération de Russie Dimitri Medvedev en février 2011. Moscou est donc resté quelques années à l'heure d'été de manière fixe avec un décalage UTC+4.

 

 

En juillet 2014, Vladimir Poutine a signé le passage définitif à l'heure d'hiver. Le 26 octobre 2014, l'heure russe a été reculée d'une heure, et le changement d'heure ne s'effectue plus. En plus, le nombre de fuseaux horaires repasse de 9 à 11 sur l’ensemble du territoire de la Russie.

 

 

Quant à la Turquie, À partir du 30 octobre 2016, ce pays vit à l’heure d’été… toute l’année. Fini le réglage des montres et des pendules deux fois par an, dorénavant on ne touche plus aux aiguilles. Adoubée en conseil des ministres, la décision a fait l’objet d’un arrêté publié le 8 septembre 2016 au Journal officiel. Il y a des raisons religieuses à l’adoption de cette mesure : l’heure d’été en Turquie est à l’unisson avec l’heure des Etats du Golfe et de l’Arabie saoudite. Les théologiens en rêvaient depuis longtemps. Désormais, les prières, les grandes fêtes religieuses, le lancement et la fin du ramadan auront lieu en même temps qu’à La Mecque et à Médine. Les nationalistes laïques, partisans de la grande Eurasie, eux, auraient voulu une union horaire avec la Russie.

 

 

 

Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, perplexe, ne sait pas très bien à quelle heure il doit partir...

Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, perplexe, ne sait pas très bien à quelle heure il doit partir...

 

 

 

Ces décisions unilatérales des deux grands pays limitrophes de ceux de l’Union européenne posa des problèmes de coordination d’horaires de transport. Aussi, la Commission européenne a organisé il y a trois ans via Internet une consultation sur le changement d’heure. Il en résulte qu’une large majorité souhaite sa suppression. Cependant quelle heure faudra-t-il adopter pour toute l’année ? Le Président de la Commission à l’époque, Jean-Claude Juncker opta pour le maintien de l’heure d’été toute l’année, ainsi que le Premier ministre belge Charles Michel, actuel président du Conseil européen.

 

Pour le retour à l’heure d’hiver toute l'année

 

Comme bien d’autres, au contraire, je plaide pour le retour à l’heure d’hiver comme c’était le cas avant 1977 et ce, pour plusieurs raisons.

 

L’heure d’été pour les pays arrosés par la Mer du Nord et l’Océan Atlantique a un décalage de 2 heures par rapport à l’heure solaire moyenne au méridien de Greenwich dite UTC.  En réalité, la Belgique a un décalage réel d’environ 20 minutes par rapport à UTC. Donc, l’heure d’été est en avance de 1 h 20 min par rapport à UTC.  En France, la ville de Perpignan (Pyrénées orientales) est située sur le méridien de Greenwich ; donc les villes de Saint-Jean de Luz, Biarritz, Bordeaux sont situées à l’Ouest de ce méridien et ont aussi un décalage de 1 heure en été ! C’est aussi le cas de la côte Nord-Ouest de l’Espagne. Et n’oublions pas la pointe occidentale de la Bretagne qui se termine à l’Ouest de la côte Sud de l’Angleterre !

 

Officiellement, on appelle l’heure d’été de l’acronyme CEST (Central European Summer Time), autrement dit l’heure d’été d’Europe centrale, c’est-à-dire celle de Berlin et l’heure d’hiver WET (Western European Time). En introduisant l’heure d’été pendant toute l’année, on s’alignera sur celle de la capitale germanique sans compter qu’ainsi, on maintient une absurdité sur le plan géographique. N’y a-t-il pas là une volonté politique d’instaurer une seule heure sur le territoire de l’Union européenne, heure qui est celle de Berlin. Cela passe mal pour bon nombre de citoyens des  pays autrefois occupés par les  Allemands.

 

En plus, l’heure d’été en saison hivernale à nos latitudes n’apporterait guère l’avantage d’une soirée claire plus longue. En effet, étant donné l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport au plan de l’écliptique, c’est-à-dire l’orbite apparente du Soleil durant la révolution annuelle de la Terre, les nuits sont plus longues en hiver. Ainsi, par exemple, si on applique l’heure d’été, le 15 novembre, le Soleil se lèvera à 8 h 57 et se couchera à 17 h 56. En fait la « longue soirée » désirée sera plutôt courte. Le 15 décembre, le lever du Soleil sera à 9 h 38 et son coucher à 17 h 37, enfin, le 15 janvier, lever 9 h 39, coucher 18 h 05 (référence : annuaire de l’Observatoire Royal de Belgique). L’heure d’été sera particulièrement désavantageuse en hiver : la journée éclairée commencera fort tard (entre 9 h et 9 h 40 à peu près) et la période nocturne ne commencera pas bien plus tard (environ entre 17 h 30 et 18 h).

 

Ce maintien de l’heure d’été aura en outre d’importantes conséquences sociales qu’on ne semble guère prendre en compte. Les premiers atteints sont les paysans qui doivent se lever plus tôt : la traite des vaches est réglée sur l’heure solaire et non sur l’heure conventionnelle des humains. Le maintien de ce décalage durant toute l’année provoquera de nombreux inconvénients. Les écoles commenceront les cours en hiver lorsqu’il fera encore nuit et la première récréation se déroulera dans le noir ou la pénombre ! Et n’oublions pas tous les travailleurs en pauses et ceux qui commencent tôt le matin pour nous rendre des services essentiels : les urgentistes dans les hôpitaux, les infirmières, les pompiers, les policiers, les éboueurs, les cheminots, les chauffeurs de poids lourds, les travailleurs des marchés matinaux et j’en passe. Sur le plan de la santé, cet obligatoire lever nocturne provoquera immanquablement des troubles aussi bien psychologiques que thérapeutiques. Notre « nouveau » monde n’en cause-t-il pas suffisamment ainsi ? Et tout cela pour l’illusion de longues soirées d’hiver à grelotter à la terrasse plutôt qu’à lire et aimer au coin du feu !

 

Les arguments avancés par les partisans de l’heure d’été comme le député Marc Tarabella sont avant tout hédonistes : le plaisir des longues soirées ensoleillées en été. Certes, c’est bien de s’occuper des couche-tard, encore faut-il ne pas oublier les lève-tôt qui, eux, n’apprécient pas beaucoup de commencer leur journée de travail dans la nuit ou la pénombre.

 

Après tout, à la réflexion, l’heure d’hiver toute l’année nous apportera plus de lumière que l’heure d’été.

 

 

Pierre Verhas

 

 

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11 mars 2021 4 11 /03 /mars /2021 21:13

 

 

 

Les menaces proférées à l’égard de l’enseignante et militante laïque Nadia Geerts ont un mérite : le débat sur les relations entre la société belge occidentale et les musulmans est enfin lancé. (voir Uranopole : https://uranopole.over-blog.com/2021/01/nadia-geerts-aux-armes-citoyens.html )

 

 

 

Nadia Geerts en entretien avec Bercoff l'animateur de la très droitière Sud Radio en France...

Nadia Geerts en entretien avec Bercoff l'animateur de la très droitière Sud Radio en France...

 

 

 

Deux points-de-vue s’opposaient : celui de l’intellectuel bruxellois Henri Goldman qui estime normal, voire nécessaire d’accepter les préceptes de la religion islamique, car ils font partie de la culture des populations musulmanes le plus souvent immigrées qui vivent en Europe et qui, au vu de leur nombre, ont un poids politique important dans la société européenne. L’autre vision exprimée radicalement par Nadia Geerts, considère au contraire que ces préceptes religieux représentent un danger mortel non seulement pour la société laïque occidentale, mais aussi pour les musulmans eux-mêmes, essentiellement les femmes à qui on impose un code vestimentaire comme les différentes sortes de foulards qui seraient discriminatoires et sexistes.

 

 

 

Henri Goldman a beau chanter la chanson de Sarah, peu de gens l'écoutent... malheureusment.

Henri Goldman a beau chanter la chanson de Sarah, peu de gens l'écoutent... malheureusment.

 

 

 

En dépit des menaces à l’égard de Nadia Geerts qui ont ému pas mal de monde et des opposants à ses thèses, comme Henri Goldman, justement, les positions sont restées figées et se sont même radicalisées. Ce dernier a réagi à ces menaces par un post sur son blog « cosmopolite ». (https://leblogcosmopolite.mystrikingly.com/blog/nadia-g-madone-des-dominants ) En les condamnant fermement, Goldman fustige l’attitude de l’enseignante Geerts :

 

« Encore faut-il ne pas abuser de la posture victimaire, surtout si on ne se prive jamais de la dénoncer chez les autres. En tête de son blog, Nadia Geerts se présente comme "une militante belge laïque, féministe et antiraciste qui pense volontiers à contre-courant". À contre-courant ? Ça ne me saute pas aux yeux. La polémiste a ses ronds de serviette dans quelques médias distingués. Depuis des années, elle est chez elle à la RTBF dont elle fut la saison dernière une invitée récurrente. Elle jouit de soutiens de poids, comme ceux et celles qui ont signé cette carte blanche. Pour parler de sa Belgique, elle dispose désormais d'une chronique régulière dans l'hebdomadaire français Marianne qui s'affiche dans tous les kiosques et écrit aussi dans Causeurun mensuel qui oscille entre Éric Zemmour et Alain Finkielkraut (en manchette). Soit des publications qui ne sont pas spécialement connues pour "penser à contre-courant" de la pensée dominante. Quel contradicteur de Nadia Geerts peut disposer d'autant d'espaces pour s'exprimer ? »

 

Dans le même article, Henri Goldman insiste :

 

« Nadia Geerts, formatrice de futurs enseignants dans une Haute école bruxelloise, a toujours été intransigeante sur la "neutralité vestimentaire" de ses étudiantes. Elle n'en démordait pas : pas question qu'elles aient la tête couverte pendant leurs études puisqu'elles devront se découvrir quand elles exerceront leur profession. Autant qu'elles s'y habituent tout de suite. Pour cette raison, elle avait salué l'arrêt de la Cour constitutionnelle confirmant le droit des établissements de l'enseignement supérieur d'interdire le port du foulard par les étudiantes via des règlements d'ordre intérieur. Dans sa chronique de Marianne (17 juin 2020)elle estimait que cette décision prenait fait et cause pour une interprétation "républicaine" de l'égalité. Adjectif mal choisi : il lui a sans doute échappé que dans la République française, AUCUN établissement d'enseignement supérieur n'est autorisé à limiter la liberté de conscience d'étudiantes adultes, même de celles qui se destinent à l'enseignement. De même, il lui a aussi échappé qu'en Belgique, l'Université forme également des professeurs et que le port de "signes convictionnels" y est autorisé partout. »

 

Bref, c’est l’ambiance dans le pot en pot de gauche bruxellois ! Et voilà qu’un troisième larron s’introduit dans le pugilat !

 

Il s’agit de Manuel Abramowicz, directeur et fondateur de la revue RésistanceS qui est un des plus efficaces outils de lutte contre la résurgence de l’extrême-droite. Dans une carte blanche publiée par l’édition électronique de l’hebdomadaire « Le Vif » de ce 11 mars 2021, (https://www.levif.be/actualite/belgique/ni-geerts-ni-goldman-carte-blanche/article-opinion-1402377.html ) Abramowicz renvoie les deux pugilistes dos à dos. Après les avoir décrit tous les deux, il exprime ses critiques tour à tour.

 

 

 

Manuel Abramowicz, directeur de la revue RésistanceS qui traque l'extrême-droite.

Manuel Abramowicz, directeur de la revue RésistanceS qui traque l'extrême-droite.

 

 

 

Nadia Geerts, une libre-exaministe ?

 

D’emblée à l’égard de Nadia Geerts, l’accusation est dure :

 

« Tout de go, et sans aucun détour, je dis que nous avons à faire à une militante fanatique de laïcité. Nadia n'est pas une personne "neutre", même si elle se présente comme telle et sous les traits d'une experte dans ce domaine. Fidèle au Libre examen ? Elle l'est, mais sous son auto présentation. (…) Nadia Geerts n'accepte jamais la controverse et les avis contraires aux siens ! Son attitude, lorsqu'elle est mise en défaut, reste imperméable à toute discussion, voire remise en question. Sur Facebook, cette grande agora de la libre parole, si vous n'êtes pas d'accord avec ses opinions, ses affirmations et/ou ses généralisations à œillères, vous êtes purement et simplement éjecté. Théodore Verhaegen (1796-1862), le fondateur de l'ULB et du Libre examen, s'il pouvait assister à ses débats, se retournerait certainement, avec tout le respect que nous lui devons, dans sa tombe. »

 

Et son réquisitoire l’est tout autant :

 

« Nadia Geerts ne lutte que pour une unique cause : la constitution d'un État laïc. Avec un seul ennemi à celui-ci : l'islamisme politique (et tous ses pseudopodes religieux, culturels et associatifs). Cela devient de l'ordre de l'obsession. Elle y consacre sans doute un temps fou. Pour mener cette véritable "croisade", elle rédige des livres, dirige une collection chez un éditeur belge laïc, orienterait même politiquement ses cours pourtant axés sur les principes de la neutralité, et signe désormais des chroniques régulières dans deux journaux français souverainistes : dans l'hebdomadaire Marianne et dans le mensuel Causeur. » Et Abramowicz fait la même analyse que Goldman sur ces deux organes de presse français.

 

Et vient l’estocade finale :

 

« … j'observe que plusieurs de ses sorties médiatiques sont récupérées aussi par l'extrême droite : Mouvement Nation, les anciens du Parti populaire actifs maintenant dans l'Alliance pour la Wallonie, etc. Elle n'en est évidemment pas responsable sur le plan intellectuel. Elle pourrait, cependant, les mettre en demeure de stopper leur racket de ses dires ou, tout le moins, manifester sa désapprobation. Si l'extrême droite récupère Nadia Geerts dans son combat contre l'"islamisation de notre société", cela signifie que son positionnement sur le voile, l'Islam et consorts reçoit un écho positif dans cet univers idéologique extrémiste. Il n'y a pas de fumée sans feu. Sans résistance à sa récupération, Nadia Geerts devient du coup l' "idiote utile" de l'extrême droite qui utilise, depuis le 11-Septembre et l'application de plus en plus efficace de la législation antiraciste, l'anti-Islam pour poursuivre ses croisades racistes contre les "étrangers" nord-africains. »

 

Henri Goldman, « le « moine soldat » de l’intégration pratique musulmane »

 

Et Henri Goldman n’est guère épargné non plus.

 

« Je ne partage pas du tout l'approche d'Henri Goldman à propos des signes religieux, de l'engagement militant et du respect - par tropisme - de ladite "religion des pauvres" (sic). Tout de go, et sans aucun détour, je dis que nous avons affaire à un engagé fanatique de cette dernière. Cela fait plus de vingt ans maintenant qu'Henri Goldman défend indéfectiblement les accommodements religieux pour les musulmans, mais sans doute aussi pour les disciples des religions juive, chrétiennes (catholique, protestante, arménienne, orthodoxes grecque et russe), bouddhiste... La "praxis goldmaniste" va jusqu'à l'extrême. Contre la stratégie colonialiste du "diviser pour régner", Goldman est certainement dans un mixte entre le "complexe de l'homme blanc" et la logique des "ennemis de mes ennemis sont mes amis". Prenant, comme une autoflagellation, la culpabilité infusée par l'éducation judéo-chrétienne, Henri Goldman s'est transformé, au fil des années, en "moine-soldat" de l'intégration de la pratique musulmane - quasiment sans limites - dans l'espace public. Sur son approche sociétale, il intervient par écrit dans sa revue, sur son blog, lors de conférences-débats, d'ateliers (comme jadis aux Rencontres écologiques d’été) ... Ceux et celles qui partagent ses interventions sont relativement nombreux (dans un des courants internes de l'UPJB, dans la tendance décoloniale du MRAX, chez des élus bruxellois Écolos, chez des universitaires dont les bureaux sont bien placés au-dessus de l'ascenseur social ...). Trotskiste post-soixante-huitard, puis militant du parti vert, Henri Goldman est assez proche, avec quelques nuances, de la stratégie d'alliance anti-impérialiste élaborée, outre-Manche, dans les années 1990 par le Socialist workers party (SWP, Parti socialiste des travailleurs). »

 

Enfin, Manuel Abramowicz accuse Henri Goldman d’être le « compagnon de route de l’islamisme politique ». Il y va même fort en dénonçant ses contradictions :

 

« Par cécité intellectuelle. Notre Goldman national n'a ici aucune retenue pour militer, côte à côté, avec des associations islamistes légalistes. Cette connexion se confirme sur Facebook. Dans sa liste de ses "j'aime", il y a par exemple le Cercle des étudiants musulmans (CEM). Celui-ci se présente ainsi : "La mission du C.E.M s'articule autour de trois axes fondamentaux : une réussite scolaire, un cheminement spirituel et une éthique islamique". Des amis de l'écologiste de gauche sont, avant tout, des organisations exclusivement religieuses, aucunement des organisations engagées dans la contestation des injustices sociales provoquées par le système capitaliste. De plus, conservatrices et anticommunistes, beaucoup sont totalement à l'opposé des combats de Mai 68 qui ont façonné pourtant Henri Goldman, au sujet de la libération des mœurs, de l'homosexualité, contre la famille traditionnelle, l'institution du mariage, la diversité... »

 

Abramowicz l’accuse en outre d’être en cheville avec les Frères musulmans.

 

« Il doit donc bien savoir qu'il a déjà, au moins quelquefois, croisé durant sa longue marche politique des Frères musulmans, en partageant les missions de l'une de ses associations ayant pignon sur rue. Les témoignages de dissidents fréristes, qu'il doit connaitre, sont là pour lui signaler la vraie nature de son compagnonnage. Dès lors, soit nous avons affaire à un naïf agissant pour réparer - inconsciemment ? - les crimes de l'Occident chrétien (colonialisme, esclavagisme, néocolonialisme, racisme structurel, privilège blanc, appropriation culturelle...), soit Henri Goldman en est parfaitement conscient et a fait le choix de se mettre du côté des pratiquants de la "religion des pauvres" (sic). »

 

Deux faces d’une même pièce…

 

En conclusion, le directeur de RésistanceS renvoie dos à dos Nadia Geerts et Henri Goldman.

 

« Nadia Geerts et Henri Goldman, sur la scène médiatique "bruxello-bruxelloise", sont à l'opposé. Ils ne s'aiment pas. S'affrontent sur le net. » Et il conclut : « Dans la réalité, ils sont les deux faces de la même pièce. Celle du fondamentalisme, de l'intolérance, du sectarisme et de la pensée unique. Ces deux intellectuels militants font le jeu des antidémocrates et des racistes (il existe une laïcité blanche néocoloniale de nature xénophobe, comme il existe une mouvance politico-religieuse décoloniale et, au final, raciste). C'est la raison pour laquelle "je suis Charlie" (pas celui de Val-Fourest, mais celui de Cavanna-Charb) et que je ne suis ni Geerts ni Goldman. En marge de leurs cercles d'influence respectifs, il existe d'autres voix et voies. Sans voile. Sans dogmes. Avec des pensées plurielles dont l'objectif est un monde multicolore. Pour sortir de la noirceur binaire de nos Temps Modernes. »

 

L’attaque est dure ! Trop dure ! Accuser Geerts et Goldman de faire le jeu des « antidémocrates et des racistes » est aussi faux qu’excessif. Nadia et Henri sont deux militants progressistes convaincus, incapables d’exclure, la première voulant défendre envers et contre tout des principes qu’elle pense universels et immuables quelle que soit l’évolution des choses, le second étant attaché sans assez d’esprit critique et jusqu’à l’excès à la défense de la pensée et l’expression de l’Autre, l’Autre s’opposant aux fondements de notre société, l’Autre étant le musulman en l’occurrence. Leur pensée radicale donne-t-elle des armes aux ennemis de nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité ? Je ne m’engagerai pas dans cette voie-là.

 

 

 

Michel Warschawski le grand militant de la Paix et opposant à l'occupation de la Palestine

Michel Warschawski le grand militant de la Paix et opposant à l'occupation de la Palestine

 

 

 

Il y a quelques années, à l’occasion d’un de mes déplacements en Israël - Palestine, j’ai rencontré à Jérusalem-Est un homme extraordinaire, un de ces hommes qui jalonnent l’histoire par leur courage, par leur lucidité et par leur profonde honnêteté intellectuelle, le militant israélien de la paix, Michel Warschawski. Je lui ai posé une question : me référant au livre du journaliste franco-israélien Charles Enderlin, Au nom du Temple (Seuil, Paris, 2013), où l’auteur démontre l’influence de plus en plus importante de la religion dans l’évolution politique et militaire d’Israël, Michel Warschawski a répondu qu’à son sens, ce n’est pas la religion qui détermine la décision politique, mais que celle-ci sert d’instrument au pouvoir pour accomplir sa politique.

 

À la réflexion, j’ai considéré cette réflexion comme profondément vraie. La religion est un instrument et non une fin en soi. En définitive, c’est toujours le bras séculier qui a le dernier mot. Et là, c’est ma principale critique aussi bien à l’égard de Nadia Geerts que d’Henri Goldman. Tous deux pensent et se battent pour des principes et ils en oublient la dimension géopolitique, c’est-à-dire la réalité du terrain.

 

Est-ce une raison pour les vouer aux gémonies ?

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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4 mars 2021 4 04 /03 /mars /2021 18:30

 

 

Sous peine de disparaître…

 

Intersectionnalité, pensée postcoloniale, indigénisme, islamo-gauchisme, racisés, voilà les nouveaux épouvantails qui secouent les mondes universitaire et médiatique. Tout cela a éclaté, il y a presqu’un an, après de l’arrestation mortelle du citoyen américain noir George Floyd à Minneapolis en mai 2020. Ce grave incident fut l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et ne s’est pas éteint depuis. Vient ensuite l’assassinat du professeur des écoles, comme on dit en France, Samuel Paty qui a réveillé l’antagonisme avec l’Islam radical.

 

Ces jours-ci, c’est l’Université française qui subit le choc. Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement Castex présidé par Macron a ordonné au CNRS de faire une enquête sur l’islamo-gauchisme qui gangrénerait les campus. Autrement dit, Vidal veut faire jouer au CNRS le rôle de la police de la pensée ! Tollé évidemment ! La ministre Vidal est obligée de reculer. Certains, même parmi les universitaires les plus modérés comme Thomas Piketty, exigent sa démission.

 

 

 

Frédérique Vidal, la calamiteuse ministre de l'enseignement supérieur du gouvernement Macron

Frédérique Vidal, la calamiteuse ministre de l'enseignement supérieur du gouvernement Macron

 

 

 

Cependant, d’autres intellectuels dont Alain Finkielkraut, Elisabeth Badinter et Jean-Claude Michéa ont appelé à une vigilance de l’université et aussi de la magistrature à l’égard d’un courant global dont le prétendu islamo-gauchisme n’est qu’un des aspects, l’intersectionnalité où l’on trouve aussi la pensée postcoloniale ou décoloniale. Ces penseurs estiment que ce courant réactive l’idée de race.

 

Une rupture majeure entre deux mondes

 

L’ambiance est plutôt délétère ! Mais, avant d’analyser ce phénomène, essayons d’en déterminer les causes. On s’aperçoit qu’il y a manifestement une rupture majeure entre deux mondes : le monde occidental qui se réclame de l’universalisme et l’ensemble des jeunes issus de l’immigration, des militants musulmans, des femmes marginalisées qui considèrent que ce n’est pas la classe inférieure qui est exploitée, mais les races non blanches. Ils rejettent l’universalisme à l’occidentale. Ils considèrent que la philosophie des Lumières est la base de la pensée colonialiste.

 

Dans le dossier consacré à cette polémique paru dans « l’Obs » du 25 février 2021, un professeur constate : « Il suffit de regarder les dépôts de thèses pour constater que la « race » se répand et qu’elle est boulimique. Lorsque toute la science est décrite comme l’émanation d’une domination occidentale, on abat les fondements mêmes de nos disciplines et la possibilité d’une culture commune. »

 

Comment en est-on arrivé là ? Il ne suffit pas de s’alarmer et d’envisager la répression comme réponse principale. Il faut en déterminer les causes. Le Suisse Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation et membre consultatif du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, l’explique dans un livre qui est paru il y a treize ans, « La haine de l’Occident », (Paris, Albin Michel, 2008).

 

 

 

Jean Ziegler un véritable internationaliste - Ici à  l'île de Lesbos où croupissent nombre de migrants.

Jean Ziegler un véritable internationaliste - Ici à l'île de Lesbos où croupissent nombre de migrants.

 

 

 

« L’ordre occidental du monde relève de la violence structurelle. L’Occident s’affirme porteur de valeurs universelles, d’une morale, d’une civilisation, de normes en vertu desquelles tous les peuples du monde sont invités à prendre en main leur destin.

Mais cette prétention séculaire de l’Occident est aujourd’hui radicalement contestée par l’immense majorité des peuples du Sud. Ils y voient une insupportable manifestation d’arrogance, un viol de leur identité, un déni de leur singularité et de leur mémoire. »

 

Ce sentiment est aussi partagé par les jeunes issus de l’immigration qui vivent en Europe. Un autre aspect de ce rejet concerne plus spécifiquement l’Islam. Les attentats sont de plus en plus nombreux, particulièrement en France. Ils visent soit des gens au hasard dans les rues, dans les églises, dans les cafés, soit des personnes ciblées comme Samuel Paty qui représente aux yeux des islamistes la quintessence de l’ennemi : un prof prônant la liberté de critiquer et même de moquer leur religion. L’Islam radical a depuis longtemps pénétré les esprits des jeunes non européens qui refusent l’enseignement universel de l’école de la République ou dite laïque.

 

Pourquoi ? Pour les mêmes raisons que celles exposées par Jean Ziegler au sujet des peuples du Sud. Il y a quelques années, le philosophe Michel Onfray dans un de ces débats-pugilats dont la télé française a le secret, a dit : « Depuis la guerre du Golfe, il y a eu plus d’un million de morts à la suite des bombardements occidentaux et russes au Moyen-Orient, plusieurs villes rayées de la carte, et on s’étonne que ces peuples nous haïssent et nous combattent ! »

 

 

 

Même le très controversé philosophe Michel Onfray estime que cela va trop loin !

Même le très controversé philosophe Michel Onfray estime que cela va trop loin !

 

 

Ces guerres menées depuis 1991, renforcées après le 11 septembre 2001, menées au nom d’un « nouvel ordre mondial » - traduisez : occidental avec dominante étatsunienne – ont détruit les structures de ces pays, dispersé des peuples  – songez aux Yézidis, aux Kurdes, aux Chrétiens d’Orient– détruit des lieux de culture – songez aux nombreux sites archéologiques en Irak et en Afghanistan, au pillage des musées ; cela vaut la destruction des Bouddha géants par les Talibans – radicalisé la jeunesse qui s’est rangée derrière la bannière de l’Islam. Il est joli le « nouvel ordre mondial » !

 

Un autre exemple donné par Jean Ziegler. Au Niger, des marchés vendent des fruits, des légumes, des volailles provenant d’Europe, alors que les paysans locaux en produisent eux-mêmes. Tout simplement, l’agriculture étant subventionnée en Union européenne, les produits locaux sont plus chers en Afrique et le consommateur local choisira évidemment le meilleur marché au plus grand profit des transnationales de l’agroalimentaire. C’est ainsi que l’on ruine l’économie des pays d’Afrique noire et que l’on jette des milliers de paysans dans la misère. C’est aussi la conséquence des traités de libre-échange tant vantés par la propagande occidentale qui y voit là aussi « le nouvel ordre mondial » ! Et on peut multiplier les exemples dans bien des domaines.

 

Par les traités de libre-échange, les grands Etats occidentaux et surtout les entreprises transnationales contrôlent les marchés en Afrique et en Amérique latine. Ainsi, le Nigeria, huitième producteur mondial de pétrole et premier en Afrique doit importer 100 % de sa consommation en hydrocarbure ! De même, les pays andins comme le Pérou et la Bolivie, grands producteurs de café, ne peuvent consommer leur production. Ils doivent importer le café de multinationales comme Nestlé.

 

L’hebdo parisien « L’Obs » rapporte dans l’article cité plus haut les propos d’un anthropologue souhaitant rester anonyme : « On ne peut plus défendre une position universaliste sans être renvoyé à la domination coloniale et à l’imposition des Droits de l’Homme. » Après ce qui vient d’être décrit, ce n’est guère étonnant ! Comment concevoir un universalisme qui divise le monde en blocs antagonistes et surtout inégaux, qui se rallie à l’abominable notion de « choc des civilisations » et qui désigne comme ennemi tout qui ne s’inscrit pas dans sa ligne ?

 

Quid de la pensée « décoloniale » ?

 

Alors, il ne faut guère s’étonner de l’épanouissement de la pensée « décoloniale ». Particulièrement aux Etats-Unis et en Europe.

 

Qu’est-ce que c’est ?

 

« Peu importe d’où tu viens, peu importe ta religion, peu importe ton orientation sexuelle, tu ne dois pas rester spectateur face à l’injustice, face au meurtre, face à l’impunité policière ! Aujourd’hui, ce rapport de forces, il est puissant. » disait Assa Traoré lors d’une manifestation à Paris.

 

 

Que dire, sinon adhérer à ce discours apparemment clair et net ? Cependant, il faut user en la matière d’esprit critique. Ce discours veut globaliser les combats postcolonialistes, féministes, LGBT, antiracistes, des migrants. Il s’inscrit dans la pensée dite « intersectionnelle » forgée par la juriste étatsunienne Kimberlé Crenshaw. Son objectif : croiser, combiner et globaliser les luttes de différentes catégories sociales (sexe, classe, race, âge, handicap, orientation sexuelle). C’est ce qu’on appelle la convergence des luttes. Ce courant s’oppose au concept universaliste des Lumières qui a mobilisé depuis des années tous les combats en faveur de l’égalité hommes-femmes, de dépénalisation de l’IVG, de luttes contre le racisme, etc. Voir :  https://uranopole.over-blog.com/2020/06/le-debat-oui-mais-pas-le-baillon.html

 

Il s’agit de partir de l’idée de la « lutte des classes », base de la pensée marxienne, pour la transférer à d’autres luttes spécifiques comme le féminisme ou les LGBT. La pensée décoloniale fait partie de ce courant intersectionnel.

 

Cette pensée dénonce une décolonisation incomplète dans laquelle les hiérarchies raciales, économiques, de genre persistent. Elle remet en cause l’européocentrisme et dénonce une hégémonie économique et culturelle, prônant le recours à des savoirs pluriversels et non universels qui rendraient mieux compte de la diversité du monde et de l’hétérogénéité des connaissances.

 

 

Elle postule que, malgré l’obtention de l’indépendance pour de nombreux pays, des rapports de pouvoirs subsistent aujourd’hui encore entre les anciennes métropoles et anciennes colonies et que, dans le système de gouvernance mondial, les pays de la périphérie (le Sud global) sont maintenus en position de subordination (par le biais du FMI ou de la Banque mondiale, par exemple).

 

C’est exactement ce que Ziegler dénonce.

 

 

Partant du principe que le capitalisme n’est pas seulement un système économique, mais bien un pouvoir global, intégrant nos procédés économiques, politiques et culturels, la pensée intersectionnelle adopte une approche globalisante : elle s’intéresse au croisement des oppressions, liées à la classe sociale, au genre, aux origines et elle vise à élargir les analyses.

 

 

L’exemple « belge »

 

 

Notre société qui commémore presque quotidiennement les horreurs de la Seconde guerre mondiale, un peu moins celles de la Première, passe sous silence celles de la colonisation. L'hebdo franco-belge Paris Match, dans un numéro datant du 20 juin 2020, le député écolo Kalvin Soiresse du Parlement bruxellois d’origine togolaise fondateur du "Collectif Mémoire coloniale et Lutte contre les Discriminations"  décrit la réalité d’un passé colonial resté sous silence en Belgique. Il répond à une interview du journaliste Michel Bouffioux.

 

 

Le député bruxellois écolo Kalvin Soiresse N'jali milite pour la mémoire du colonialisme belge au Congo.

Le député bruxellois écolo Kalvin Soiresse N'jali milite pour la mémoire du colonialisme belge au Congo.

 

 

La Belgique n’a toujours pas remis en question sa période coloniale. Est-ce par paresse intellectuelle, ou par volonté de tourner la page sans plus, ou encore parce que les relations entre ce pays et ses anciennes colonies restent ambiguës ?  Ce passé non assumé finit par coûter très cher à l’ancienne puissance coloniale qui, sans s’en rendre compte, s’isole et ne pourra ainsi entretenir des relations normales avec les pays africains.

 

 

 

M. Soiresse fait un parallèle entre deux Congolais qui ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la colonisation et de la décolonisation du Congo  : Lusinga Iwa Ng’ombe et Patrice Lumumba.

 

 

Lusinga Iwa Ng’ombe était en 1883 le chef local d’un village proche de Mpala dans l’Est du Congo sur la rive occidentale du lac Tanganika. Un lieutenant de l’armée belge, Emile Storms, mandaté par l’Association internationale africaine, une organisation présidée par le roi Léopold II, procédait alors à la conquête de territoires. Il disposait d’une puissance de feu qui le rendait « incontestable ». Le chef de Mpala s’en aperçut et déclara à Storms : « Homme blanc, aux objets que tu as débarqués, je vois que tu veux bâtir ici. Comme tu es plus fort que moi, si je te refuse l’autorisation, tu construiras quand même. » Storms s’en était réjoui en ces termes : « D’après tes paroles, je comprends que tu es un chef intelligent. » Le 27 juin de cette année-là, la « soumission » de Mpala fut célébrée par un échange de sang. La cérémonie fut présidée par Lusinga qui tint alors ce discours inattendu : « Homme blanc, le serment d’amitié par lequel vous vous liez aujourd’hui doit être sincère. Vous venez au milieu de nous, vous ne pouvez pas nous mépriser. Si vous faites du mal à Mpala ou à l’un des siens, vous mourrez ; si vous lui faites la guerre, vous mourrez, tous les vôtres mourront et votre puissance finira. »

 

 

 

 

Le lieutenant belge Emile Storms qu'on honore comme un civilisateur, fut surtout un tortionnaire et un conquérant sanguinaire.

Le lieutenant belge Emile Storms qu'on honore comme un civilisateur, fut surtout un tortionnaire et un conquérant sanguinaire.

 

 

Lusinga avait d’ailleurs une réputation redoutable. L’explorateur anglais Joseph Thomson le considéra comme un « potentat sanguinaire ». Thomson avait la réputation d’être un excellent explorateur, mais ses rapports prêtaient à caution, car ils étaient quelque peu fantaisistes.

 

 

Dès lors, Storms décida d’éliminer ce chef qui, en réalité, refusait de se soumettre et qui osait traiter avec lui d’égal à égal. Dans ses carnets, conservés par le musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), il l’exprimait ainsi : « [La tête de Lusinga] pourrait bien, un jour, arriver à Bruxelles avec une étiquette, elle ferait fort bonne figure au Musée. » Le 4 décembre 1884, des mercenaires à la solde de Storms attaquèrent le village. Ils tuèrent 125 personnes. Des femmes furent violées. Le récit des faits par Storms laisse entendre qu’il y eut aussi une scène de cannibalisme. Ces criminels ramenèrent la tête du chef Lusinga à Storms, tel un trophée. L’officier belge l’exhiba. On lit dans son journal : « Je fais apporter la tête de Lusinga au milieu du cercle. Je dis : “Voilà l’homme que vous craigniez hier. Cet homme est mort (…) parce qu’il a menti à l’homme blanc”. »

 

 

M. Soiresse ajoute :

 

 

« Lorsqu’il revint en Belgique, Storms plaça le crâne de Lusinga dans l’une de ses malles, à côté de deux autres crânes de chefs dont il avait aussi commandité les exécutions. Le 3 mai 1886, les trois crânes furent présentés dans la cadre d’un exposé raciste aux membres de la Société d’anthropologie de Bruxelles. Ces restes humains revinrent ensuite au domicile de Storms, chaussée d’Ixelles, tout près de l’actuel Matonge. Sur la cheminée de son salon, le militaire belge exposa l’autre part de son butin : différents objets, dont des statuettes volées lors de l’expédition criminelle contre Lusinga. Emile Storms est mort en 1918. Dans les années 30, sa veuve fit don au musée du Congo belge – l’actuel MRAC (Musée Royal d’Afrique Centrale) – des statuettes, des trois crânes et de dizaines d’objets, ainsi que de la correspondance et des journaux de Storms. Le crâne de Lusinga et ceux de ses compagnons d’infortune ne furent jamais exposés, tandis que les statuettes furent vite considérées comme des « trésors » du musée de Tervuren. En 1964, les crânes furent transférés à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique (IRSNB). On les plaça dans des boîtes. Des oubliettes, en fait. »

 

 

Curieuse mission civilisatrice !

 

 

 

 

Des activistes ont aspergé de rouge le buste de Storms à Ixelles en vue de faire prendre conscience de sas crimes. Le buste a été retiré depuis sous les ordres du bourgmestre Doulkeridis d'Ixelles.

Des activistes ont aspergé de rouge le buste de Storms à Ixelles en vue de faire prendre conscience de sas crimes. Le buste a été retiré depuis sous les ordres du bourgmestre Doulkeridis d'Ixelles.

 

 

 

Mpala, après la conquête de Storms, devint une mission des Pères blancs qui voulaient évangéliser toute la région pour en faire un royaume chrétien d’Afrique !

 

 

Kalvin Soiresse Njal constate dans son interview, que Lusinga ne figure sur Wikipédia que comme un homonyme qui a été un grand footballeur. Cela a sans doute été « réparé » depuis. Une nouvelle notice est parue sur l’encyclopédie en ligne, sans doute à la suite de cet article. Lusinga y est présenté comme un chef sanguinaire et esclavagiste. Bien entendu, cette notice n’apporte aucun élément de preuve de ces accusations. Chacun peut vérifier en surfant sur l’encyclopédie en ligne.

 

 

Cette notice est de la pure propagande émanant sans doute du lobby colonialiste belge. Elle fait accroire que le lieutenant Storms a agi pour éliminer Lusinga qui semait la terreur dans son village et pour éradiquer l’esclavagisme qui  y sévissait !

 

 

Le 30 juin 1960, le jour même de la proclamation de l’Indépendance du Congo, Patrice Lumumba, le premier Premier ministre de la nouvelle République démocratique du Congo prononça un discours historique devant les nouvelles autorités congolaises et aussi devant celles de la délégation belge dirigée par le roi Baudouin Ier. Le retentissement de ce discours fut énorme au point qu’il sert de référence mondiale. Kalvin Soiresse fait un parallèle entre les deux hommes.

 

 

« … le jour de l’indépendance, à la surprise du roi Baudouin, Lumumba déclara : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres. (…) Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. (…) Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudront sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays» On retrouve les mêmes thématiques de souveraineté et d’égalité à 75 ans d’intervalle. La filiation est évidente : Lumumba est un héritier en droite ligne de Lusinga. L’histoire de ce chef dont on coupa la tête pour la conserver tel un trophée à Bruxelles brise l’idée reçue selon laquelle des leaders africains fiers et debout ne seraient nés que dans les années 50, tels des fruits défendus des écoles créées par le colonisateur. De toute manière, au Congo, l’émancipation par l’enseignement était très relative puisque, dans cette société inégale qui pratiquait la ségrégation, l’université n’était pas prévue pour le colonisé. » Ce qui a contribué à la tragédie qui a suivi l’indépendance du Congo ex-belge !

 

 

 

Patrice Lumumba prononçant son discours historique en présence du roi Baudouin chef de l'Etat belge, puissance coloniale ayant accordé bon gré mal géré l'indépendance au Congo en grand uniforme blanc, assis à sa gauche,  le 30 juin 1960.

Patrice Lumumba prononçant son discours historique en présence du roi Baudouin chef de l'Etat belge, puissance coloniale ayant accordé bon gré mal géré l'indépendance au Congo en grand uniforme blanc, assis à sa gauche, le 30 juin 1960.

 

 

 

Six mois après, en janvier 1961, Patrice Lumumba fut assassiné avec la manifeste complicité du lobby colonial belge qui l’accusa d’avoir commandé des massacres. Allégations fausses qui ressemblent à s’y méprendre à celles portées à l’égard de Lusinga, septante-cinq années plus tôt.

 

 

Cette analyse du député Soiresse est tout à fait pertinente et devrait inspirer les responsables belges et européens aussi bien politiques, coopérants et économiques :  enfin assumer l’histoire et traiter avec les Congolais comme des partenaires égaux et non comme des subordonnés à une « mondialisation » ne profitant aujourd’hui qu’à quelques affairistes sans scrupules et surtout aux grandes entreprises transnationales qui ont pris la place des anciens exploiteurs coloniaux et qui, disposant de moyens colossaux, sont bien plus redoutables.

 

 

Ainsi, la pensée décoloniale a ses limites. Elle se heurte en se référant à une histoire non assumée aux seuls anciens colonialistes européens qui rejoignent les poubelles de l’histoire. Et si elle est indispensable pour secouer le nuisible immobilisme intellectuel et éthique actuel,  elle est incapable de substituer à l’universalisme des Lumières, un système de pensée qui ne soit pas uniquement basé sur des rapports conflictuels.

 

 

Le colonialisme est-il uniquement « occidental » ou « blanc » ?

 

 

En outre, si le décolonialisme s’attaque avant tout aux « blancs » occidentaux qui entretiennent encore et toujours un système néocolonial, il oublie qu’il y a des colonialismes « non blancs ». Ainsi, le Maroc colonise le Sahara occidental opprimant le peuple Saharaoui, la Turquie maintient son joug sur le peuple kurde, Israël – on le voit quotidiennement – colonise la Palestine, l’Arabie Saoudite mène une guerre atroce de colonisation au Yémen. La Chine par son projet expansionniste de nouvelle route de la soie, colonise le Xing Jiang – ce nom signifie « nouvelle frontière », un concept purement colonialiste – et opprime le peule ouighour, l’Inde colonise le Cachemire. On pourrait ainsi multiplier les exemples dans le monde entier.

 

 

Réinventer l’universalisme.

 

 

Un point essentiel est passé sous silence : les Lumières sont nées et se sont épanouies au début du XVIIIe siècle. Elles ont succédé à la Renaissance. Cette période marquait le début de la toute-puissance des nations européennes dans le monde. L’universalisme des Lumières en dépit de sa grandeur et de sa générosité était avant tout un instrument de conquête. Si auparavant, l’Eglise catholique a tenté par la force d’évangéliser le monde, les Lumières ont essayé en vain l’adhésion des esprits des peuples soumis au joug colonial. Le problème est que la pensée des Lumières n’a guère évolué. Elle s’est agrippée à ses fondamentaux et ceux-ci sont profondément remis en question.

 

 

À la fin de la Seconde guerre mondiale, les puissances occidentales rassemblées en une instance qu’elles avaient rénovée – l’Organisation des Nations Unies succédant à la Société Des Nations – ont proclamé en 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) qui édicte en règles les principes fondamentaux des Lumières, mais la situation est devenue telle qu’elle fut inapplicable dans la plupart des pays colonisés, ainsi que dans ceux soumis à un joug totalitaire. Le temps de la décolonisation était venu. De Gaulle fut un des premiers dirigeants européens à l’avoir prévue et prônée pour les colonies françaises dans son fameux discours de Brazzaville en janvier 1944. Il n’a pas été écouté et on a vécu depuis l’horreur des guerres de décolonisation qui ne sont toujours pas terminées, même si officiellement, la plupart des anciennes colonies sont aujourd’hui formellement indépendantes.

 

 

 

Le général de Gaulle pendant son discours à Brazzaville où il prôna l'indépendance des peuples colonisés.

Le général de Gaulle pendant son discours à Brazzaville où il prôna l'indépendance des peuples colonisés.

 

 

 

Les intellectuels dénonçant à force de pétitions et de proclamations la pensée intersectionnelle n’apportent aucune réponse en dehors de leur contestation au nom des Lumières et de l’universalisme, car ils sont aveugles à cet aspect fondamental : les relations entre les peuples et les rapports entre les êtres humains sont toujours aujourd’hui dominés par la force. Ils ne s’aperçoivent pas non plus des profonds bouleversements à l’intérieur même des diverses nations où une réelle hétérogénéité a pris la place de la relative homogénéité d’antan. Il suffit de voir ce qu’il se passe dans nos Cités.

 

 

Jean-Claude Michéa signataire de la pétition contre la pensée décoloniale. Que vient-il faire dans cette galère ?

Jean-Claude Michéa signataire de la pétition contre la pensée décoloniale. Que vient-il faire dans cette galère ?

 

 

 

Aussi, après un peu plus de trois quarts de siècle, assumant l’histoire et la réalité, il faudrait sans doute plancher sur une DUDH réellement efficace. Beau boulot pour la génération montante, non ?

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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11 février 2021 4 11 /02 /février /2021 21:26

 

 

C’est à nouveau l’emballement dans l’espace ! Les extraterrestres sont là ! On en veut pour preuve l’objet appelé Oumuamua, ce qui signifie le messager ou l’éclaireur en langue hawaïenne, qui a été découvert en octobre 2017 à l’Observatoire Pan-STARRS (acronyme de Panoramic Survey Telescope And Rapid Response System, « Télescope de relevé panoramique et système de réponse rapide ») situé au sommet du volcan éteint ou mont Haleakalā, sur l’île de Maul appartenant à l’archipel de Hawaï,.

 

 

Cet observatoire mis en service le 6 décembre 2008 comprend deux télescopes Ritchey-Chrétien de 1,8 m. Il s’agit actuellement d’un des plus importants programmes de recherche en astronomie. En effet, il s’agit de télescopes qu’on pourrait qualifier de panoramiques. Le très grand angle de vision des télescopes et les temps d'exposition courts (quelque 60 à 80 secondes permettant d’atteindre la magnitude 24, une luminosité très faible) permettent de photographier environ 6 000 degrés carrés de ciel chaque nuit. La totalité du ciel fait 41 253 degrés carrés, dont environ 30 000 degrés carrés sont visibles depuis Hawaï, ce qui signifie que l'intégralité du ciel peut être photographiée sur une période de 40 heures (soit environ 10 heures par nuit pendant quatre jours). Comme il faut éviter d’effectuer des poses vers la période de pleine Lune , une surface équivalente à celle du ciel entier pourra être balayée quatre fois par mois, ce qui est sans précédent.

 

 

 

Le PAN-STAARS Telescope à Hawaï est l'outil d'un des plus grands programmes de recherches en astronmie.

Le PAN-STAARS Telescope à Hawaï est l'outil d'un des plus grands programmes de recherches en astronmie.

 

 

Les clichés enregistrés dans des mémoires de plusieurs TB sont comparés à une carte du ciel à même échelle contenant tous les astres connus. Ainsi, on peut instantanément détecter tout changement comme le déplacement d’un objet, son changement de luminosité, l’apparition d’un nouvel objet, ou la disparition d’un autre. C’est ainsi que le fameux objet Oumuamua fut découvert.

 

 

Oumuamua : un objet exceptionnel pourtant assez courant…

 

 

En premier lieu, il faut établir la nature de l’objet nouvellement découvert. : étoile, comète, astéroïdes, etc. Au départ, les caractéristiques de cet astre font penser à une comète. Cependant sa trajectoire est tout à fait particulière. Elle est hyperbolique avec une excentricité de 1,188, ce qui est très rare (un cercle a une excentricité nulle, une ellipse et une parabole ont une excentricité entre 0 et 1, une hyperbole a une excentricité supérieure à 1 jusqu’à la ligne droite qui a une excentricité infinie). Oumuamua a donc une trajectoire hyperbolique, ce qui fait penser qu’il s’agit d’un objet qui provient de l’extérieur du système solaire.  

 

 

 

La trajectoire hyperbolique d'Oumuamua montre que son origine se situe hors du système solaire qu'il a traversé rapidement. L'attraction du Soleil lui a fait modifier sa trajectoire et a pris une tout autre direction.

La trajectoire hyperbolique d'Oumuamua montre que son origine se situe hors du système solaire qu'il a traversé rapidement. L'attraction du Soleil lui a fait modifier sa trajectoire et a pris une tout autre direction.

 

 

 

De plus, sa vitesse est exceptionnellement rapide pour une comète. Enfin, on constate par après des ralentissements et des accélérations, ce qui tend à prouver que le mouvement de Oumuamua n’est pas dû uniquement à des forces gravitationnelles.

 

 

 

Au centre de cette combinaison d’images profondes figure l’astéroïde insterstellaire ‘Oumuamua. Il est entouré des traces d’étoiles de faible luminosité générées lors du suivi de l’astéroïde par les télescopes. Cette image résulte de la combinaison de multiples images acquises par le Very Large Telescope de l’ESO ainsi que par le Gemini South Telescope. L’objet est entouré d’un cercle de couleur bleue. Il arbore l’aspect d’un point source, dénué de toute poussière environnante. Crédit: ESO/K. Meech et al.

Au centre de cette combinaison d’images profondes figure l’astéroïde insterstellaire ‘Oumuamua. Il est entouré des traces d’étoiles de faible luminosité générées lors du suivi de l’astéroïde par les télescopes. Cette image résulte de la combinaison de multiples images acquises par le Very Large Telescope de l’ESO ainsi que par le Gemini South Telescope. L’objet est entouré d’un cercle de couleur bleue. Il arbore l’aspect d’un point source, dénué de toute poussière environnante. Crédit: ESO/K. Meech et al.

 

 

 

Enfin, les variations d’éclat de Oumuamua laissent penser qu’il ne s’agit pas d’un objet circulaire ou de forme similaires, mais plutôt qu’il a une forme allongée en rotation rapide.

 

 

Voilà donc les données récoltées sur cet astre mystérieux. Elles ne correspondent en rien aux astres habituels. Aussi, comme souvent dans ces cas de ce genre, c’est l’emballement dans le monde des astronomes !  Qu’est donc réellement Oumuamua ? Est-ce vraiment un astre provenant de l’extérieur du système solaire ? Est-il – suprême audace ! – un vaisseau provenant d’une civilisation extraterrestre ?

 

 

Cette dernière hypothèse provoque évidemment un tsunami dans la communauté scientifique et dans l’opinion publique. En outre, elle ne fut pas avancée par n’importe qui : le professeur Avi Loeb, directeur tout juste démissionnaire du département d’astrophysique de la prestigieuse Université de Harvard est convaincu qu’Oumuamua est un véhicule spatial envoyé par une civilisation extraterrestre aujourd’hui disparue. Tollé général ! Mais comment justifie-t-il cette thèse ?

 

 

 

L'astrophysicien Avi Loeb à la base d'une controverse scientifique et philosophique fondamentale

L'astrophysicien Avi Loeb à la base d'une controverse scientifique et philosophique fondamentale

 

 

 

Le voile solaire

 

 

L’objet serait un voile solaire, c’est-à-dire un véhicule spatial qui est à l’instar des voiliers sur la mer, propulsé par les vents « solaires », c’est-à-dire le flot de particules émises par le Soleil ou une autre étoile. Ce type d’astronef a été imaginé par des ingénieurs de la NASA il y a déjà plusieurs années, mais non encore mis en œuvre et ne faisant partie d’aucun projet à l’heure actuelle. Selon les recherches de l’astrophysicien, l’accélération d’une telle voile solaire serait tout à fait comparable à celle d’Oumuamua à l’approche du Soleil.

 

 

 

Epreuve d'artiste représentant un voile solaire en principe propulsé par les vents de particules solaires. Avi Loeb assimile Oumuamua à un voile solaire semblable à celui-ci.

Epreuve d'artiste représentant un voile solaire en principe propulsé par les vents de particules solaires. Avi Loeb assimile Oumuamua à un voile solaire semblable à celui-ci.

 

 

 

Avi Loeb avait travaillé en 2016 sur ce type de vaisseau avec feu l’astrophysicien et cosmologiste anglais Stephen Hawking, le patron de Facebook Mark Zuckerberg et l’investisseur russe Yuri Milner au sein de l’initiative Breakthrough Starshot, projet à hauteur de 100 millions de dollars US, visant à créer des centaines de  voiles solaires miniaturisés d’environ 1 gramme chacun en vue d’explorer le système stellaire le plus proches de l’étoile Alpha du Centaure et plus particulièrement vers l’exoplanète Proxima B où pourrait se développer une forme de vie. Ces microsondes seraient capables de voguer à 1/5 de la vitesse de la lumière et ainsi d’atteindre Alpha du Centaure, en moins de 20 ans. Elles seraient « poussées » par un gigantesque laser terrestre de 100 gigawatts (l’équivalent d’un pic de la consommation électrique d’un pays comme la France !).

 

 

 

Le projet Breakthrough Starshot prévoit d'envoyer des milliers micro voiles solaires vers poussés par  le rayon d'un laser terrestre vers le système stellaire de la plus proche étoile du système solaire, Alpha du Centaure.

Le projet Breakthrough Starshot prévoit d'envoyer des milliers micro voiles solaires vers poussés par le rayon d'un laser terrestre vers le système stellaire de la plus proche étoile du système solaire, Alpha du Centaure.

 

 

 

Il n’est pas étonnant qu’après cela, Loeb soit imprégné de science-fiction au grand dam de bon nombre de ses collègues… Remarquons que Breakthrough Starshot est une initiative purement privée, ce qui pose pas mal de questions sur la diffusion et l’exploitation des données éventuellement recueillies par cette mission si elle se concrétise.

 

Revenons à Oumuamua. Pour Loeb, ce serait le vestige d’une civilisation terrestre sans doute disparue aujourd’hui. Pourquoi émet-il cette hypothèse pour le moins audacieuse ?

 

 

Tout d’abord, la trajectoire hyperbolique d’Oumuamua démontre qu’il provient d’au-delà du système solaire. Ce genre d’objet est très rarement observé, mais n’a rien d’exceptionnel. Cependant, pour Avi Loeb, c’est un élément de preuve de son origine extraterrestre.

 

 

On a observé des variations du mouvement de Oumuamua sur sa trajectoire – des ralentissements et des accélérations – qui ne sont pas le résultat de l’interaction de forces gravitationnelles – c’est-à-dire l’attraction exercée sur l’objet par des planètes et surtout par le Soleil – sans que l’on ait pu observer un phénomène de dégazage comme pour une comète : une comète est un rocher de relativement petite taille enveloppé par une couche plus ou moins épaisse de glace. À l’approche du Soleil, sous l’influence de son intense rayonnement, la glace se sublime, c’est-à-dire qu’elle passe directement de l’état solide à l’état gazeux provoquant un dégazage, c’est-à-dire une forte éjection des gaz qui provoquent sur la comète un effet de fusée accélérant son mouvement et lui faisant changer de trajectoire. C’est ce phénomène qui donne à la comète cet effet spectaculaire de queue et de chevelure.

 

 

Or, pour Oumuamua, si en 2018, on a observé une poussée et un changement de trajectoire similaire à ce qu’il se passe avec une comète, on n’a détecté aucun dégazage. C’est le second argument avancé par Avi Loeb pour faire penser à un astronef provenant d’un autre système stellaire.

 

Il l’a déclaré à la presse : « Quand j’ai appris la nouvelle, la seule explication qui m’est venue à l’esprit était que cette poussée était provoquée par la lumière du Soleil rebondissant sur cet objet comme le vent sur une voile, rien à voir donc avec une comète. La lumière du Soleil pousserait bien notre ‘pancake’ et, d’autre part, la force de cette poussée déclinerait, selon une loi de la physique : exactement ce que nous disent les données ! »

 

On n’aurait jamais dû croiser Oumuamua !

 

L’ancien professeur de Harvard avance un curieux argument : « Statistiquement, si Oumuamua était vraiment un objet naturel perdu dans l’espace, nous n’aurions jamais dû le croiser », vu la rareté de tels objets. "Par ailleurs, lorsqu’il a rencontré notre Soleil, il est passé d’une immobilité relative à un mouvement de fuite. Cela m’a conduit à l’hypothèse que non seulement Oumuamua était un objet artificiel, mais qu’il avait été conçu spécialement pour se trouver au repos dans notre galaxie. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de balise, comme une station relais posée là pour transmettre des informations de station en station, ou un panneau de signalisation placé à cet endroit pour aider les vaisseaux spatiaux dans leur navigation. »

 

Enfin, Avi Loeb déplore que la communauté scientifique a jeté un tabou sur toute hypothèse ou recherche relative à l’existence d’une ou de plusieurs civilisations extraterrestres, dont certaines exploreraient l’espace interstellaire au moyen d’astronefs sophistiqués parcourant l’espace pendant des millénaires. Et il ajoute quelque peu dépité : « Ils veulent explorer des choses que nous n'avons jamais vues auparavant. Et mon point de vue est, si nous devons contempler des choses que nous n'avons jamais vues avant et l'origine artificielle en fait partie, pourquoi ne pas la mettre sur la table ? »

 

Il expose tout cela dans un ouvrage intitulé « Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre » (Seuil, 2021). Au moins en aura-t-il assuré sa promotion !

 

Mais avant d’en arriver à une conclusion aussi audacieuse, aussi révolutionnaire, plusieurs astrophysiciens appellent à une controverse sereine et examinent la question point par point.

 

Ainsi, l’astrophysicienne Yaël Nazé de l’Institut d’astrophysique de l’Université de Liège note dans une interview à La Libre Belgique du 5 février 2021 que « C’est la première fois qu’un objet interstellaire était détecté dans notre système solaire » et admet que « c’est un objet qui a un certain nombre de problèmes ! Si on considère que c’est un astéroïde ou une comète, il y a en effet certains aspects qui ne sont pas extraordinairement clairs. Mais de là à aller dans l’interprétation de Loeb – depuis le début, il pousse à la charrette pour cette hypothèse-là – c’est peut-être aller un petit peu vite ! On ne peut pas exclure qu’il s’agit bien d’un astéroïde ou d’une comète. En fait, le grand problème, c’est qu’Oumuamua est passé tellement vite qu’on a eu très très peu de temps pour l’observer. Comme il est petit, on l’a découvert très tard. On l’a découvert en octobre quand il est passé pas loin de la Terre et on a pu travailler jusqu’à janvier, quand il s’est rapproché près du Soleil et il est devenu trop faible. Et maintenant c’est trop tard, il est trop loin, et comme il est petit, on ne le voit plus assez bien. »

 

 

L'astrophysicienne Yaël Nazé de l'Institut d'astrophysique de Liège rappelle la primauté de la méthode scientifique dans la polémique déclenchée depuis l'apparition d'Oumuamua.

L'astrophysicienne Yaël Nazé de l'Institut d'astrophysique de Liège rappelle la primauté de la méthode scientifique dans la polémique déclenchée depuis l'apparition d'Oumuamua.

 

 

 

Ce ne sont pas nécessairement des aliens !

 

En effet, si on analyse sa trajectoire, Oumuamua a été découvert alors qu’il avait déjà « dépassé » l’orbite terrestre et aussi qu’il sortait du système solaire. Aussi, c’est la porte ouverte à toutes les spéculations scientifiques. Cependant, Yaël Nazé nuance :

 

« On sait aussi que sa forme est un peu bizarre : une dimension est plus grande que l’autre, mais on ne la connaît pas exactement. Cela peut être un cigare ou une crêpe. On a pu déterminer la forme sur base des variations de lumière, en la reconstruisant via un modèle mathématique, mais on n’a pas de ‘photos’. Et il y a le problème de son accélération : quand il a commencé à s’éloigner du Soleil, bizarrement, il a accéléré par rapport à un objet ‘normal’ uniquement soumis à la gravitation. Il faut donc un effet non gravitationnel. Les comètes peuvent accélérer de cette façon quand elles s’évaporent, mais on n’a pas vu ce ‘dégazage’. En fait, on est un peu bloqués parce qu’il faudrait d’autres informations. Et ce n’est pas parce qu’on ne sait pas que ce sont nécessairement les aliens ! Avi Loeb est lui monothématique En fait, on n’en sait rien… D’ailleurs, on n’est pas restés sans rien faire en ce qui concerne les extraterrestres : on a essayé d’écouter s’il y avait des émissions radio, il n’y a rien eu… Les extraterrestres, c’est une vraie question scientifique. On peut donc, comme Loeb le fait, tester une hypothèse sur une voile solaire, et voir si cela peut marcher. Oui, cela marche, donc pourquoi pas… C’est un moyen de propulsion simple pour un objet de cette forme. Avec la voile solaire, la lumière exerce une pression, pousse cette voile. Mais cela marche surtout près d’une source de lumière. Si on avait pu suivre l’objet plus longtemps, on aurait pu voir, quand il est loin du Soleil, du côté de Jupiter et Pluton, si son accélération diminue, car il n’y aurait alors plus assez de photons par mètre carré pour le pousser. »

 

 

 

Epreuve d'artiste représentant ce que serait Oumuamua.

Epreuve d'artiste représentant ce que serait Oumuamua.

 

 

 

Emile Jehin, un confrère de Yaël Nazé ajoute au sujet de l’hypothèse selon laquelle Oumuamua soit une comète issue d’un autre système solaire :

 

« Oumuamua pourrait contenir des glaces de composition différente de celles des comètes de notre système solaire, suite notamment à son voyage de probablement plusieurs centaines de millions d’années entre les étoiles. La fameuse accélération non gravitationnelle [qui fait dire à Avi Loeb qu’il s’agit d’une “voile stellaire”] peut, elle, s’expliquer par un jet de gaz dirigé vers le Soleil, non dû à des glaces d’eau, mais à la sublimation de glaces d’azote ou de monoxyde de carbone, agissant un peu comme le moteur d’une fusée. Un article plus spéculatif propose aussi la possibilité d’un objet composé de glace d’hydrogène, ce qui n’a jamais été observé dans notre système solaire, mais qui rendrait Oumuamua si léger qu’il aurait pu être dévié par la pression de radiation des photons du Soleil. On n’a pas observé de queue pour Oumuamua, mais cela peut s’expliquer s’il était très petit et que le dégazage s’est produit tout près du Soleil, quand il n’était pas observable depuis la Terre. »

 

Bref, plusieurs hypothèses semblent faire accroire qu’Oumuamua est un astre errant naturel. Et M. Jadin réfute l’argument statistique d’Avi Loeb selon lequel il est quasi impossible de détecter un objet interstellaire naturel avec nos systèmes d’observation, d’autant plus qu’en août 2019, un astronome-amateur russe du nom de Borisov a découvert en Crimée une comète dont la trajectoire montre qu’il s’agit d’un objet provenant d’au-delà du système solaire.

 

 

La comète Barisov découverte en juin 2019 en Crimée est aussi un objet d'origine extra système solaire.

La comète Barisov découverte en juin 2019 en Crimée est aussi un objet d'origine extra système solaire.

 

 

 

Un vaisseau spatial, c’est plus sexy qu’un rocher !

 

 

« En 2019, à peine deux ans après, un deuxième objet interstellaire a été découvert, la comète 2I/Borisov, que nous étudions d’ailleurs dans mon équipe. C’est grâce à des télescopes toujours plus performants que ces deux voyageurs interstellaires ont été récemment découverts et d’autres devraient suivre Et si Oumuamua a été observé si près de la Terre, c’est bien parce qu’il était très petit, et que s’il était passé plus loin on ne l’aurait tout simplement pas vu. La caractéristique peut être la plus particulière est sa forme très allongée ou aplatie révélée par des variations de luminosité importantes en environ 7 heures au cours de sa rotation sur lui-même (à noter qu’il est très difficile d’expliquer une telle rotation pour une voile solaire). Des objets aplatis avec un rapport de un sur six, on en trouve dans notre système solaire, même si c’est très rare, et c’est clairement une information importante pour comprendre le processus de formation de Oumuamua. Tout n'est pas parfaitement compris pour Oumuamua ! Ce qui ouvre des perspectives très excitantes sur la nature de ces objets interstellaires et rend leur étude passionnante, dans la perspective de mieux comprendre la formation et l'évolution des systèmes planétaires de façon plus générale. »

 

En conclusion, Yaël Nazé et Emmanuel Jadin en appellent aux principes essentiels de la méthode scientifique :

 

« En science, il ne faut pas plonger sur l’hypothèse qu’on préfère et rejeter d’emblée toutes les autres. Il faut aussi juger de la probabilité a priori de chaque hypothèse, commente pour sa part l’astronome Michaël Gillon (ULiège). Des planétésimaux, c’est-à-dire des astéroïdes, ou des comètes éjectés de leur système solaire, il doit y en avoir des milliers de milliards qui se baladent dans la galaxie. Par contre, même s’il y a des civilisations technologiques avancées dans notre galaxie, je ne pense pas qu’il y ait des milliers de milliards de vaisseaux spatiaux à la dérive. Cela me semble beaucoup moins probable ! Ici, on n’a pas assez de poids, ni en fonction des données ni des a priori, pour dire que c’est forcément un vaisseau spatial. Évidemment, un vaisseau spatial, c’est plus sexy qu’un morceau de rocher ! »

 

Quelle leçon ! Madame Nazé et Monsieur Emmanuel Jadin nous montrent comme d’autres auparavant et avec brio que la Science est un des principaux moteurs du progrès de l’humanité. Ce qui n’interdit pas, au contraire, d’imaginer l’existence de nombreuses civilisations dans l’immensité de l’Univers.

 

Pour terminer sur un mode plus léger : un vaisseau spatial inconnu s’approche de la Terre, se met en orbite et observe notre Globe sur toutes ses coutures et puis, soudain, s’en retourne en l’espace infini. Le commandant déclare à son équipage : « Nous n’avons rien à faire sur cette planète peuplée d’une multitude de ces petits êtres étranges à deux pattes qui sont sales, bagarreurs et cons. Eloignons-nous, car ils pourraient nous contaminer ! »

 

 

Pierre Verhas
 

 

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3 février 2021 3 03 /02 /février /2021 10:46

 

 

L’épidémie de Covid 19 : on est loin d’en avoir fini ! Les mutations du virus que l’on appelle « variants » sont des signes inquiétants d’une éventuelle multiplication des contaminations. D’ailleurs, les chiffres qui nous sont distillés quotidiennement repartent à la hausse. Il suffit d’ailleurs de voir chez nos voisins Outre-Manche.

 

En Europe, les gouvernements tergiversent. Ils hésitent à réinstaurer de plus sévères mesures de confinement, de peur d’une crise de confiance de la population. Pourtant, les dispositions déjà adoptées sont très sévères et ont provoqué un bouleversement majeur de la société.

 

Des chercheurs de différentes universités belges ont publié une carte blanche dans le quotidien « Le Soir » où ils affirment entre autres :

 

« Les mesures covid-19 sont donc maintenues depuis des mois pour des périodes déterminées à répétition qui se transforment de facto en période indéterminée. Récemment, la prolongation jusqu’au 1er mars des mesures de confinement témoigne d’une nouvelle dégradation préoccupante de la situation. Jusqu’à présent, les autorités prenaient à tout le moins la peine d’avertir les citoyens et citoyennes de leurs décisions lors de conférences de presse. Désormais, elles agissent en catimini. Ainsi, nous ne sommes plus dans le cas de l’urgence mais d’un régime d’exception qui s’installe dans la durée. Trois mois après le début du 2e confinement, le gouvernement ne communique toujours aucune perspective de sortie. »

 

 

 

Les conférences de presse après chaque réunion du comité de concertation informaient la population Depuis, on reçoit les diktats par communiqué de presse

Les conférences de presse après chaque réunion du comité de concertation informaient la population Depuis, on reçoit les diktats par communiqué de presse

 

 

 

L’état d’urgence permanent

 

Et le récent incident qui a opposé le virologue Marc Van Ramst au très droitier président des libéraux francophones, Georges Louis Bouchez, sur l’éventuelle réouverture des salons de coiffure, montre qu’il ne faut guère envisager de « sortie » avant longtemps. Aussi, comme l’écrivent les universitaires : on s’installe dans l’urgence.

 

 

Incident entre Georges Louis Bouchez, le très droitier président de MR (dit GLouB) et Marc Van Ramst, virologue de la KULeuven Le démagogue contre l'austère scientifique

Incident entre Georges Louis Bouchez, le très droitier président de MR (dit GLouB) et Marc Van Ramst, virologue de la KULeuven Le démagogue contre l'austère scientifique

 

 

 

« Malgré la durée de la crise, la communication est toujours celle de l’urgence. Les médias reçoivent leur dose quotidienne de chiffres Covid, sans aucun recul ou analyse ni, sauf cas rares, modération critique. De même, le nouveau feuilleton de la course entre la vaccination et la dissémination des nouveaux variants est censé nous tenir en haleine. Surtout, les données fournies sont incomplètes pour qui veut se faire une idée réelle des implications du confinement. Quid de la santé mentale, des tentatives de suicide, du décrochage scolaire, de la paupérisation, de l’augmentation des violences intra-familiales ? Il semble en tout cas que ces dimensions n’influent que de manière marginale sur les décisions prises. Probablement parce que les effets concrets ne se font ici ressentir qu’avec retard, alors que les contaminations se voient chaque jour avec une publicité maximale. Est-ce dès lors une raison pour ne pas prendre en compte ces réalités au moins aussi importantes ? » 

 

 

Il y a donc une réalité. Nous allons vivre longtemps encore plus ou moins enfermés, peut-être pendant plusieurs années. C’est une situation unique dans l’histoire. Alors que nous pensions vivre l’ère de la communication, de la libre circulation, de la libre association, de la libre expression, du libre commerce, de l’expansion culturelle pour tous, des droits sociaux, tout à coup un virus sans doute originaire de Chine a tout stoppé net !

 

 

Désormais, il est interdit d’aller et de venir comme bon nous semble. Dans certains pays, on est allé jusqu’à limiter les distances à parcourir, un peu partout, on a plus ou moins fermé les frontières – quoi qu’en dise le Premier ministre belge – et même interdit de voyager, sans compter les couvres feux à 18 heures ou à 22 heures selon les contrées.

 

 

 

Les voyages sont strictement limités et surveillés (ici dans une gare parisienne)

Les voyages sont strictement limités et surveillés (ici dans une gare parisienne)

 

 

 

Par les restrictions de circulation, il est défendu de se réunir sinon en petit comité en respectant les gestes « barrières ». Certes, on a l’ersatz de liberté de réunion que sont les visioconférences, mais rien ne remplace le contact humain et puis, a-t-on toutes les garanties de la confidentialité de ces conversations électroniques quand on connaît la porosité des moyens de communication digitaux ?

 

Un autre fait : la répression dimanche 24 janvier d’une manifestation sur le thème « Justice de classe, Justice de race » a été réprimée par des dizaines d’arrestations « administratives » sans aucun motif, rebelote le dimanche suivant, 31 janvier lors d’une manifestation d’opposants aux mesures anti-Covid à Bruxelles, certes interdite. Là, c’est une première : les forces de l’ordre procèdent à près de 450 arrestations toujours « administratives » alors qu’il n’y eut aucun incident. Tout cela n’est pas un hasard. D’ailleurs, les autorités académiques s’inquiètent publiquement du maintien de l’état d’exception imposé depuis le début de la crise sanitaire sans débat sérieux au Parlement.

 

 

 

Arrestations arbitraires et massives de passants comme de manifestants à Bruxelles ce  31 janvier 2021.

Arrestations arbitraires et massives de passants comme de manifestants à Bruxelles ce 31 janvier 2021.

 

 

 

Quant à la liberté d’expression, elle est restreinte de fait : toute critique des décisions prises en ce domaine fait l’objet d’opprobres bien orchestrées, voire de poursuites judiciaires. Nous avons déjà évoqué l’exemple du film de propagande « Hold Up » (Voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2020/11/covid-grand-complot-ou-big-business.html ). Nous y écrivions :

 

« Hold Up » n’est pas seulement un film « complotiste » comme le dénoncent les médias mainstream et les milieux officiels. Il est le symptôme d'une maladie aussi virale que celle du Covid 19 : la défiance. Le peuple n’a plus aucune confiance en ses dirigeants et encore moins envers les élites. Pour une raison très simple : la société qu’ils construisent par la destruction de l’ancienne ne lui convient pas. Nous n’arrêtons pas dans ces colonnes de dénoncer l’ultralibéralisme et ses nuisances avec notamment l’élimination de tous les mécanismes de solidarité menant ainsi à l’atomisation. Ce n’est pas le triomphe de l’individualisme, c’est l’isolement de toutes et de tous avec en corollaire la surveillance généralisée. Les lois liberticides qui se mettent en place, notamment en France, mais aussi un peu partout en Europe démontrent que le pouvoir a peur et ne répond que par la violence. »

 

 

N'est-ce pas exactement ce qu’il se passe ?

 

 

On n’a pas non plus assez insisté sur cette notion nouvelle : la distinction entre l’essentiel et le non essentiel. Lors du premier confinement, le gouvernement a décidé de fermer les commerces dits non essentiels. Il s’agissait de tous les marchands à l’exception des grandes surfaces alimentaires, des pharmacies, des librairies marchands de journaux et de tabac et des jardineries et magasins de bricolages… Lors du second confinement, ce furent ces mêmes commerces à l’exception des librairies générales, et puis on a tout réouvert sauf l’Horeca et les coiffeurs.

 

 

Essentiel versus non essentiel…

 

 

Alors, que signifient « essentiel » et « non essentiel » ? Ce ne peut être qu’un concept. Une définition d’un mode de vie, une échelle de valeurs. L’essentiel est purement matériel : s’alimenter et se soigner. Le non essentiel peut être à la fois le superflu et/ou le non matériel. Le secteur culturel est encore plus atteint que l’Horeca. Plus de théâtres, plus de concerts, plus de cinémas, plus d’expositions, plus de colloques ni de congrès et j’en passe. Plus de créations – comment tourner un film dans les conditions actuelles ? Comment monter un spectacle alors qu’on limite les « bulles » à moins de dix personnes ? Eh oui ! Parce que nous vivons désormais dans des « bulles » !

 

 

 

Un coiffeur du Havre se met en tenue d'Adam pour protester conte la fermeture obligatoire.

Un coiffeur du Havre se met en tenue d'Adam pour protester conte la fermeture obligatoire.

 

 

 

Un autre secteur qui semble « non essentiel » bien qu’on dise le contraire : l’enseignement. On donne des cours à distance. L’élève ou l’étudiant est « scotché » à son ordinateur du matin au soir. Même des examens se passent « virtuellement » ! Certes, on tente peu ou prou de donner des cours ou de faire passer des épreuves en « présentiel », mais ce n’est pas toujours possible avec les règles strictes. Et il y a des séances où l’étudiant ne peut être absent ou à distance : les travaux pratiques ou les labos. Un autre problème : les stages. Les entreprises en télétravail ne peuvent prendre des stagiaires pour des raisons évidentes. Et les autres entreprises sont désorganisées avec la crise du Covid. Or, sans stage dans certaines branches, il est impossible d’obtenir un diplôme.

 

 

 

Des milliers d'étudiantes et d'étudiants confinés suivent des cours et passent même des examens  visioconférences. Cela génère parfois des situations dramatiques.

Des milliers d'étudiantes et d'étudiants confinés suivent des cours et passent même des examens visioconférences. Cela génère parfois des situations dramatiques.

 

 

 

Quant au télétravail qui n’est applicable que dans plusieurs branches du secteur tertiaire, il crée un nouveau régime social. Il n’y a plus aucune collégialité. Le travailleur est confiné et sa seule relation avec l’entreprise se passe via son ordinateur. Il y a quelques réunions en « zoom » qui sont dirigées puisque l’organisateur peut distribuer la parole à son gré à l’un ou à l’autre. Il est impossible d’avoir une conversation transversale. Comment réagissent les organisations syndicales à ce phénomène du télétravail ? Sans solidarité, le syndicalisme est mort.

 

 

Ainsi, depuis l’apparition du coronavirus se construit petit à petit une société nouvelle, foncièrement différente de l’ancienne. Une société atomisée qui convient parfaitement au projet ultralibéral.

 

 

La saga des vaccins

 

 

La saga des vaccins le confirme d’ailleurs : la méthode utilisée pour la conception, la fabrication, la commercialisation et la distribution des vaccins relève du processus ultralibéral qui s’est imposé dans le commerce mondial, car il ne s’agit pas en l’occurrence de santé publique. Dans une interview à plusieurs organes militants dont nos amis du Grand Soir (www.legrandsoir.info ), la biologiste et ancienne directrice de la campagne pour l’accès aux médicaments de Médecins Sans Frontière, Els Torrelle explique : « Ces dernières décennies, la recherche biomédicale a été transférée au marché. On laisse faire – au sens le plus classique du capitalisme – les grandes entreprises pharmaceutiques, qui doivent résoudre les problèmes de santé avec des solutions technologiques. Les pouvoirs publics ne leur fixent aucune condition et attendent simplement qu’elles soient les sauveurs du monde. C’est exemplaire dans la course aux vaccins contre le Covid-19. »

 

 

Elle ajoute, ce qui est encore plus inquiétant : « … nul ne sait si les produits qui font la une aujourd’hui coupent la chaîne de transmission du virus, alors que c’est la dimension essentielle pour déterminer l’efficacité d’un vaccin. Ce qu’on nous dit, c’est que, deux ou trois semaines après une injection, il existe une certaine protection contre la maladie... Or, pour la santé publique, il est indispensable d’en savoir davantage sur l’efficacité et la sécurité dans la durée. »

 

 

Et elle conclut : « Avec le Covid-19, on a remis les multinationales et leur modèle basé sur les profits financiers au centre du jeu. Depuis quelques années, l’industrie pharmaceutique, qui dépense plus en marketing qu’en recherche et développement, était plutôt sur la défensive : sous la pression des mouvements et de la société civile, la durée des brevets, les monopoles, les mises sur le marché de traitements sans aucune valeur thérapeutique, les prix exorbitants – dépassant parfois les centaines de milliers d’euros – de certains médicaments aux frais des systèmes de sécurité sociale en Europe étaient mis en question... Et là, la pandémie survient, les gouvernements sont effrayés et les grandes entreprises en profitent pour redorer leur blason. C’est leur heure de gloire et elles en profitent. Les patrons discutent en direct avec les chefs d’État, et la société civile, les pays du Sud sont écartés des discussions. »

 

 

Donc, nous sommes en plein dans la logique capitaliste extrême : le marché l’emporte sur les impératifs de santé publique, quelles qu’en soient les conséquences. Le politique s’est mis hors-jeu tout simplement ! Et le médecin aussi ! Cela dit : faut-il ou non se faire inoculer le vaccin ? La réponse est oui puisque s’il ne remplit pas totalement le rôle qu’on en attend, il assure une certaine protection.

 

 

Et le Sud ?

 

 

Rien ne dit que les vaccins mettront fin à la pandémie. Rien ne dit que nous sortirons de cette « liberté surveillée » qui devient insupportable pour beaucoup et dramatique pour un grand nombre. Trop de questions restent en suspens, notamment une que l’on passe quasi sous silence : pourquoi les pays du Sud sont-ils une fois de plus les derniers et les plus mal servis ? Nous en parlerons bientôt. C’est d’ailleurs aussi odieux qu’imbécile : si ces pays ne bénéficient pas des protections indispensables, ils peuvent constituer un immense foyer (le fameux « cluster », parlons français !) pour ce virus qui est loin de se faire oublier. Ainsi Big Covid veillera longtemps encore sur nous !

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

Post scriptum

 

 

Bravo les médecins cubains !

 

 

Dès le début de la pandémie, Cuba a envoyé ses équipes de médecins un peu partout dans le monde. Ces hommes et ces femmes sont d’une efficacité et d’un dévouement sans pareil : ils procèdent comme une maison médicale, c’est-à-dire de manière globale, gratuitement et sans aucune discrimination

 

Les équipes de médecins cubains se rendent partout dans le monde pour contribuer à la lutte contre la pandémie.

Les équipes de médecins cubains se rendent partout dans le monde pour contribuer à la lutte contre la pandémie.

 

 

 

Trump a tenté de les faire interdire Il n’y est pas parvenu. Plusieurs personnalités se mobilisent, notamment en Belgique, pour qu’ils puissent être « nominés » pour le Prix Nobel de la Paix. Incontestablement, ce serait plus que mérité. Et cela pourrait servir d’exemple.

 

 

 

 

Le piège de l’ordre moral

 

 

Nous avons longuement évoqué ici ce qu’on appelle l’affaire Duhamel. Dans un éditorial du « Figaro » daté du 1er février 2021, l’écrivain et éditorialiste démocrate-chrétien Jacques Julliard met en garde contre une résurgence du tristement célèbre Ordre moral qui a régné en France après la Commune de Paris jusqu’à la première moitié du XXe siècle.

 

Le crime de pédophilie qui a été « couvert » par ce microcosme « bobo » parisien est en soi abominable, mais Julliard a bien raison de mettre en garde contre le piège de l’Ordre moral qui pourrait profiter de la sidération – substantif très à la mode – causée par les révélations de Camille Kouchner.

 

 

 

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25 janvier 2021 1 25 /01 /janvier /2021 15:22

 

 

 

S’il y a une personne avec qui je diverge, c’est bien Nadia Geerts.

 

Nadia Geerts, enseignante, militante féministe, républicaine, laïque et aussi farouche opposante au port du foulard dans les écoles, est incontestablement une femme courageuse ne concédant rien à ses principes, mais qui exprime souvent des prises de position excessives qui, à mon sens, risquent d’aboutir au résultat inverse à celui recherché.

 

Par exemple, en ce qui concerne le voile, je considère que militer pour son interdiction en milieu scolaire secondaire ou supérieur risque de mener à un système discriminatoire qui jette de l’eau au moulin des pires ennemis de la liberté de conscience. La laïcité s’accommode mal d’interdits ! En outre, c’est inefficace : cette controverse dure depuis trente deux années et n’a jusqu’à présent mené à rien.

 

Très bien ! Mais aujourd’hui, le temps n’est plus au débat !

 

Nadia Geerts est menacée ! Et c’est intolérable !

 

 

 

Nadia Geerts, militante féministe et laïque fait l'objet de graves menaces.

Nadia Geerts, militante féministe et laïque fait l'objet de graves menaces.

 

 

 

Que s’est-il passé ? Dans un post sur Facebook, elle a proclamé « Je suis Samuel Paty ! ». Samuel Paty, ce professeur des écoles français décapité à Conflans Sainte Honorine parce qu’il a montré une des fameuses caricatures de « Charlie Hebdo » lors d’un cours consacré à la liberté d’expression ( voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/2020/10/imaginez-vous-un-prof-decapite.html ). J’avais constaté : « Deux mondes s’affrontent et dès aujourd’hui en un lieu qui devrait être un havre de paix : l’école. Dès le départ, l’affaire de cette simple leçon dans un collège de la banlieue parisienne a pris des proportions gigantesques dont d’ailleurs les islamistes sont coutumiers. »

 

Les réactions au poste de Nadia Geerts furent aussi odieuses que dangereuses. Voici ce qu’elle écrit sur son blog :

 

« Il y a trois mois et quelques jours, j’étais encore un prof heureux. Des cours qui me passionnaient, des collègues sympas, des étudiants avec qui le contact était vraiment bon, un cadre de travail verdoyant (hors covid…). Bref, tout allait bien, ou du moins je pouvais le croire.

Aujourd’hui, je ne vois plus comment continuer, tout simplement. L’affaire Paty, puis la décision de WBE [Wallonie-Bruxelles Enseignement – le pouvoir organisateur] d’autoriser les signes convictionnels en Haute École, ont suscité un flot d’insultes, d’attaques et d’accusations graves à mon encontre qui me mènent à cette conclusion aussi simple que douloureuse : pour beaucoup, mon départ sera un soulagement. »

 

Oui, Nadia Geerts a peur ! Et elle a raison ! Il y a trop d’exemples tragiques. « Charlie Hebdo » en janvier 2015, un intellectuel de droite, Boris Redeker, qui avait publié en 2006 une tribune dans « Le Figaro » contre les menaces des islamistes, qui vit désormais sous protection policière, le dernier, Samuel Paty en 2020. Molenbeek, un prof suspendu puis réhabilité, suite aux pressions. Cela n’arrête pas !

 

De beaux esprits diront : Facebook, ce ne sont que des paroles. Il n’y a pas de quoi en faire un plat ! Parmi eux, d’autres proclameront : Nadia Geerts l’a « un peu » cherché ! Oui : elle s’est opposée, à mon avis à tort, à l’autorisation du port du voile dans les établissements d’enseignement supérieur. Serait-ce interdit ? Dans son blog, elle observe que son syndicat ne bouge pas d’un pouce. Elle a eu une réunion avec WBE qui s’est achevée en eau de boudin par une décision qui n’en est pas une. Et puis, elle explique dans le même blog :

 

« Tout cela contribue à expliquer ce qui fait que depuis l’annonce de la décision de WBE d’autoriser le voile dès la rentrée prochaine, je subis une véritable salve d’attaques. Ce ne sont plus trois, mais des dizaines d’individus, généralement anonymes, certains se prétendant anciens étudiants ayant eu à « subir » mes enseignements, qui m’expriment leur haine, leur dégoût, leur mépris. L’idée selon laquelle je ne devrais pas être autorisée à enseigner domine très largement dans ces messages fleuris, émanant parfois d’individus qui travaillent à présent dans des écoles de WBE et qui sont donc mes « collègues », soumis aux mêmes règles que moi... J’y suis aussi traitée de « sale lesbienne », et l’un de mes agresseurs d’il y a trois mois, dont le réseau social est fort de six mille abonnés, réitère à présent en m’invitant à « aller me faire foutre ».

 

Rappelons-nous avec Samuel Paty, cela a aussi commencé par des menaces verbales et cela s’est terminé comme on sait !

 

Aussi, il n’y a pas à tergiverser ! Il faut sauver le soldat – le hussard de la République, en fait ! – Nadia Geerts !

 

Mais où êtes-vous les syndicalistes ; où êtes-vous, les responsables de l’enseignement, où êtes-vous les politiques : Ahmed Laaouej, François De Smet, Georges-Louis Bouchez si prompt à combattre le port du voile, Paul Magnette, Raoul Hedebouw, Eliane Tillieux, Valérie Glatigny, Caroline Désir, Pierre-Yves Jéholet, Rudi Vervoort et bien d’autres bien silencieux ; où êtes-vous les membres du corps académique : Didier Viviers, Annemie Schaus, Vincent Blondel ? Et la Ligue des Droits Humains, la Ligue de l’enseignement, les sociétés de libre pensée, où êtes-vous ?

 

Nadia Geerts est bien seule et c’est insupportable !

 

Voulons-nous sauver ce qui peut encore l’être, porter un coup dur à l’intolérance ? C’est le moment où jamais !

 

Un seul mot d’ordre : Mobilisons-nous et vite ! Aux armes Citoyens !

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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19 janvier 2021 2 19 /01 /janvier /2021 13:33

 

 

 

Le caméléon est un petit reptile insectivore qui a la propriété de se fondre dans la couleur de son environnement immédiat pour échapper aux prédateurs. Par extension, il désigne une personne qui a tendance à adapter son opinion à l’air du temps. Le conseiller des dirigeants financiers et politiques français, Alain Minc correspond tout à fait à cette définition.

 

 

Alain Minc est né d’une famille juive de Brest-Litovsk qui y a subi l’antisémitisme le plus virulent et puis s’est exilée en France en 1931. Son père Joseph obtient un diplôme de dentiste à Bordeaux. Pendant l’occupation nazie et sous le régime pétainiste, il risquait la déportation et entra dans la clandestinité puis adhéra aux FTP (Franc-Tireur et Partisan), l’aile communiste armée de la Résistance française. Après la guerre, Joseph et son épouse obtinrent la nationalité française et donnèrent naissance à Alain en 1949. Celui-ci fit de belles études dans les lycées les plus huppés et termina, comme il se doit, à l’ENA. Et comme il se doit également, il débute sa carrière à l’inspection générale des finances.

 

 

 

Alain Minc aujourd'hui proche conseiller d'Emmanuel Macron après tant d'autres...

Alain Minc aujourd'hui proche conseiller d'Emmanuel Macron après tant d'autres...

 

 

 

On peut intituler cette carrière « d’échecs en échecs pour ma gloire finale ». Première tentative : en 1977, le rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société qui sera à l’origine de l’installation du calamiteux Minitel (souvenez-vous : 3615…) qui bloquera en France toutes les avancées dans le domaine de la transmission informatique des données qui aboutira à Internet et au Web (qui a d’ailleurs été inventé par un Belge…). Un bide pareil lui aurait valu d’être mis au placard pour longtemps !

 

Mais non, l’oiseau a une capacité extraordinaire à reprendre son envol. Il démissionne du corps de l’inspection des finances pour rejoindre Saint-Gobain. Là, il veut fusionner l’industrie informatique (Bull) avec le fabricant de verre. Un peu audacieux et quelque peu étrange. En 1981, le nouveau gouvernement de la gauche interdit ce rapprochement. Alain Minc quitte puis revient à Saint-Gobain. Il prône la nationalisation de la Compagnie générale des eaux. Cherchait-il à en être le patron ?

 

Minc se diversifie. En 1985, il devient président de la société des lecteurs du « quotidien de référence » le « Monde » et il sera nommé en 1994 président du Conseil de surveillance. Nul n’a fait remarquer ou voulu faire remarquer qu’il risquait d’y avoir une contradiction entre les deux fonctions. Enfin, on a laissé faire. Et ce n’est pas fini. Gérard Mestrallet, PDG de Suez, rémunérait Alain Minc, alors qu’il travaillait pour son adversaire, le belge Albert Frère qui voulait destituer Mestrallet…

 

 

 

Gérard Mestrallet, patron de Suez : une relation amour-haine "business" avec Alain Minc

Gérard Mestrallet, patron de Suez : une relation amour-haine "business" avec Alain Minc

 

 

 

Le mécano de la Générale… de Belgique

 

C’est en 1986 que Minc entame son plus grand « exploit ». L’industriel Carlo de Benedetti l’engage pour mener avec lui la spectaculaire OPA sur la Société générale de Belgique, la holding – symbole du colonialisme belge – qui s’était assoupie après la décolonisation. Une énorme proie à s’offrir ! Sous les conseils de Minc, Benedetti a sans doute lancé son OPA de manière trop brutale au lieu de négocier avec les dirigeants de la Société générale. Néanmoins, il avait un projet industriel, ce qui aurait sorti la « Vieille dame », comme l’appelaient les Belges, de sa torpeur. Ce sont les rentiers qui tiennent l’économie belge. Aussi, attendent-ils les bénéfices de leurs investissements sans trop se préoccuper du reste. C’est ainsi que de nombreux fleurons industriels du pays de Magritte sont partis à l’étranger. L’affaire de l’OPA de la Société générale a lancé le signal de cette fuite en avant. En grande partie par la faute d’Alain Minc, Benedetti a commis des erreurs qui ont permis à la holding Suez dirigée par Mestrallet – tiens, tiens – d’emporter la mise avec l’aide du sempiternel vicomte belge Davignon. Après, Tractebel a été bouffé par Suez qui a fusionné avec Gaz de France et qui, aujourd’hui, est devenue Engie. Tout le monde n’est pas à même de jouer le mécano de la Générale… de Belgique.

 

 

 

Carlo de Benedetti roulé ou trahi par Alain Minc ?

Carlo de Benedetti roulé ou trahi par Alain Minc ?

 

 

 

Par après, il s’éloigne provisoirement des affaires – il était quelque peu brûlé – pour se consacrer aux médias et aux groupes de réflexions. Il participe à la Fondation Saint-Simon créée par Pierre Rosanvallon qui cherche à rapprocher la gauche du (néo) libéralisme. Il est membre du club Le Siècle – club select de rencontre des personnages influents des affaires, de la gauche bourgeoise et de politiciens en vue de droite.

 

De Tonton à Manu en passant par Sarko

 

La navigation politique d’Alain Minc est très variée, tout en gardant un cap constant, celui de l’arrivisme. Il a soutenu Mitterrand dit Tonton, en 1981 et 1988, Balladur au premier tour en 1995 et Jospin au deuxième tour. En 2002, il appuie François Bayrou et puis Nicolas Sarkozy en 2007 et en 2012. En 2017, il soutient d’abord Alain Juppé, puis Emmanuel Macron appelé Manu, dont il vante l’européisme accompagné de l’abandon de souveraineté.

 

Avec Sarkozy, il a pu pénétrer dans le monde des médias et a aussi été conseiller de Bolloré.

 

Chaque année, Minc publie un bouquin. Il y prône les thèses ultralibérales en se gaussant de toutes les critiques émanant même des plus éminents analystes et économistes. Pour une de ces publications, il fut d’ailleurs sévèrement condamné pour plagiat !

 

Le caméléon en chef

 

Dans le microcosme intello parisien, Alain Minc est sans conteste le caméléon en chef ! Ne rions pas : son jeu lui a permis de se faire un fameux carnet d’adresse et d’avoir ainsi une influence considérable. Mais le traintrain idéologique néolibéral a quelque peu déraillé depuis la crise du COVID 19 où l’on s’est aperçu que l’Etat avait encore à jouer un rôle pour tenter de sauver les gens, que le pouvoir politique démocratique, cela compte. Même l’Europe s’y est mise. La Commission européenne, « gardienne » des traités – sans lesquels la démocratie n’existe pas, comme chacun sait – a contribué : elle a gelé « provisoirement » les critères de Maastricht. Et notre caméléon Alain Minc s’en est vite rendu compte ! Il faut reconnaître qu’il a le nez fin !

 

Du bleu roi au rouge écarlate

 

Dans une interview à « Libération » datée du 15 janvier 2021, il n’y va pas par le dos de la cuiller ! Le caméléon passe du bleu roi ultralibéral au rouge écarlate de la CGT !

 

D’ailleurs, cela commence fort. À la première question relative à l’importante augmentation des dépenses publiques due au Coronavirus, entraînant de facto la fin de l’équilibre budgétaire – la priorité absolue des économistes « orthodoxes » – Minc répond avec sa désinvolture coutumière : « A chaque époque macroéconomique ses règles. Et nous avons changé d’époque macroéconomique. »  Tiens ! Il y a peu, Minc et ses amis nous affirmaient que les cycles en économie, c’était terminé. C’était « la fin de l’histoire » … Même la Commission européenne a accordé aux Etats de l’Eurozone une dérogation sur les sacro-saints critères de Maastricht. Et vogue la galère !

 

 

 

Alain Minc aujourd'hui photographié par "Libération"

Alain Minc aujourd'hui photographié par "Libération"

 

 

 

Ce qu’Alain Minc ne nous dira pas : à la première crise sérieuse, tout le système mis au point depuis 1992 s’effondre comme un château de cartes, mais qu’entre temps il a provoqué un tsunami économique et social. Le sous-investissement public qui avait déjà commencé dans les années 1980, les privatisations qui comptent parmi les facteurs de la désindustrialisation de l’Europe par les délocalisations vers d’autres continents, les coupes sombres dans les budgets sociaux ont provoqué une dépendance financière et économique notamment à l’égard des Etats-Unis qui s’est traduite en une perte de souveraineté de l’Union européenne à laquelle il faut ajouter la disparition de la classe ouvrière et l’appauvrissement des classes moyennes générant des drames sociaux massifs. De l’autre côté, la concentration du capital entre les mains d’une minorité financière et économique, n’a jamais été aussi forte. Les adeptes de l’orthodoxie ne se sont pas aperçus des terribles déséquilibres que cette politique génère.

 

Quant à la dette qui est l’obsession numéro 1 des économistes de l’offre, si on écoute Alain Minc, il ne faut guère s’en soucier ! « Je pense comme Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne, qu’il y a la bonne et la mauvaise dette. On ne peut pas penser que l’on va durablement payer les frais de fonctionnement de l’Etat, c’est-à-dire les salaires, par endettement. Ça ne peut marcher qu’un temps. Mais il y a la bonne dette. Aujourd’hui, la France s’endette en dessous de 0 à dix ans. On m’aurait dit un jour qu’on allait payer la République française pour qu’elle prenne votre fric… C’est hallucinant ! »

 

Et Minc ajoute : « Le résultat, c’est que l’on peut financer tout ce qui améliore le système productif par endettement, notamment les infrastructures ou la recherche. On peut même aller plus loin. Pourquoi pas financer par endettement la baisse des impôts de production qui améliore le bilan des entreprises, et donc leur capacité d’investissement… C’est un débat qui va s’ouvrir quand on va réécrire les critères de Maastricht. »

 

Un Maastricht « keynésien », voilà ce que prévoit le conseiller Minc, l’ex-chantre du néolibéralisme, de l’austérité, du strict équilibre budgétaire ! Au passage, il doit être très bien informé pour prévoir que l’on reverra les critères de Maastricht. On voit mal Angela Merkel ou son éventuel successeur accepter un tel bouleversement d’une politique qui est si avantageuse pour l’Allemagne !

 

Endettez-vous, donc enrichissez-vous !

 

Ce n’est pas tout. Alain Minc n’est pas fort préoccupé par la dette Covid. « Un jour, vous aurez une déclaration anodine de la BCE disant qu’elle va réduire ses achats de bons du Trésor sans réduire son bilan. Ça veut dire qu’elle va faire rouler sa dette, donc la rendre éternelle. Personne n’y verra que du feu. » Ici aussi, quand on pense aux cris d’orfraie poussés par les économistes et les dirigeants politiques néolibéraux au sujet de la dette, de la sévérité de la Commission européenne  – rappelons-nous le drame de la Grèce – c’est un virage à 180° ! Endettez-vous, donc enrichissez-vous ! disent-ils aujourd’hui.

 

Créons massivement de la monnaie !

 

Ensuite, le conseiller ne peut s’empêcher un brin d’utopie à propos de l’écologie. « Je pense que le grand mouvement de prise en compte de l’idéologie par le capitalisme suppose que les capitalistes acceptent de baisser leur taux de rentabilité. » Alléluia ! On va arrêter le déboisement de l’Amazonie et de Bornéo. On va imposer l’énergie dite renouvelable partout ! On va en revenir à une agriculture extensive ! Allons donc ! Notons au passage qu’il y a une écologie très rentable : celle des « nouvelles énergies ». Ajoutons aussi que les écologistes feraient bien de s’exprimer clairement à l’égard du capitalisme qui n’est « vert » que dans son seul intérêt !

 

Minc socialiste ? « Je suis plus à gauche que vous ! » dit-il.

 

Autre paradoxe « mincien » : notre économiste-conseiller est partisan de la création massive de monnaie pour financer les Etats. Il prétend qu’elle ne génère plus l’inflation comme dans le temps. Il est même pour une augmentation massive des salaires qui doit résulter « d’une confrontation, au bon sens du terme [entre patrons et salariés] (…) Je crois à la dialectique sociale. Les patrons sont payés pour augmenter le taux de profit. On ne va pas leur demander au nom du bien général, de réduire significativement le taux de profit. Cela doit résulter de la confrontation normale dans les entreprises. » Mais, notre Minc est opposé à toute augmentation du smic ! Bref, on travaille par entreprise et pas question d’une négociation collective sur les salaires. Cela signifie qu’il en résultera une inégalité salariale en fonction de la rentabilité de chaque entreprise. Si elle est rentable, on augmentera les salaires, par contre si elle connaît des difficultés, les salaires stagneront. Ainsi, un travailleur dans l’entreprise X pourra gagner bien plus qu’une consœur ou un confrère de l’entreprise Y de même qualification ! Et chacun sait que l’inégalité est la première source de la précarité !

 

 

Dans tout ce fatras, il a malgré une ou deux bonnes idées. Ainsi, Minc constate que « la répartition des bénéfices entre les revenus du capital et les revenus du travail s’est trop déformée au profit des revenus du capital. » Il préconise la distribution d’une partie du capital aux travailleurs de l’entreprise et non pas la participation au bénéfice. Pour lui, ce serait 10 % et il estime qu’« un type de gauche devrait dire 20 % à 25 % ». Incontestablement, cela bouleverserait le rapport de forces capital travail.

 

Et il insiste au sujet des inégalités : « Il y a un moment où cet accroissement des écarts de patrimoine devient insupportable. Ce n’est pas tellement le problème illustratif de l’excès de richesse des très riches – encore que c’est un sujet. Prenez deux professeurs : l’un a hérité de ses parents un trois-pièces à Paris, l’autre doit se loger en banlieue. Eh bien, ils ne sont pas dans la même classe sociale. Leur mode de vie n’a rien de commun. ». Une fois de plus, Minc confond les situations individuelles avec la condition collective du monde du travail. Il évoque les classes sociales, mais il n’a aucune notion de ce qu’elles sont en réalité.

 

Alain Minc à gauche ? Disons qu’il a pêché quelques idées aux penseurs de gauche, mais il est farouchement opposé à toute solution collective, à la notion de redistribution – en cela il critique sévèrement Thomas Piketty –, à l’ISF. Il préconise à la place un impôt de 0,1 % sur le patrimoine, mais ne fait aucune allusion à l’idée d’une taxe sur les transactions financières – la fameuse taxe Tobin – qui ferait bien d’être relancée.

 

Le conseiller et futur conseiller d’Emmanuel Macron restera qu’il le veuille ou non un caméléon, mais à force de se transformer, il risque un jour de prendre la mauvaise couleur.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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10 janvier 2021 7 10 /01 /janvier /2021 14:31

 

 

 

Nous avons toutes et tous en notre vie, notre part d’ombre qui nous poursuit et que nous tentons d’oublier sans trop y arriver. Mais ici, avec le récent livre de Camille Kouchner, « La familia grande » (Seuil, Paris, 2021), nous plongeons dans les profondes ténèbres que la lumière n’a point atteinte. Ce récit de la fille de l’ancien ministre de Mitterrand et de Sarkozy, le « french doctor », l’homme aux sacs de riz, époux puis ex-époux d’Evelyne Pisier, sœur de l’actrice Marie-France Pisier, est une terrible confession.

 

La confession d’une famille comptant dans une classe sociale aisée, s’estimant puissante, mais en réalité loin des vrais centres de décisions, pourtant hantant les allées du pouvoir, influente dans le monde universitaire et chérie des médias. Famille de soixante-huitards adepte de la libération sexuelle se pensant dénuée de tabous,  mais où il est de bon aloi que les enfants fassent de brillantes études et conquièrent les hauts postes à l’administration et à l’université. L’idéal est sociétal et très loin d’être social. Libération des mœurs, mais pas un mot sur l’aliénation des travailleurs dénoncée il y a plus d’un siècle par Karl Marx qui est pourtant leur référence. Le féminisme de Simone de Beauvoir, mais guère de préoccupation pour les ouvrières qui se battent pour l’égalité des salaires. La liberté absolue, mais on parle peu des peuples opprimés ou des prisonniers politiques un peu partout dans le monde. En réalité, dans la belle propriété d’Olivier Duhamel à Sanary sur Mer, à l’Est de Marseille, liberté de baiser ou de se faire baiser par qui on veut, « interdit d’interdire », « sous les pavés la plage ». On connaît, merci ! Les bains de minuit à poil, bas la culotte, on pisse hommes comme femmes sur le gazon. « La liberté, les femmes, le couple, l’infidélité joyeuse, la modernité intelligente ». Quelle belle définition de ce milieu !

 

 

 

Olivier Duhamel, politologue faisant la pluie et le beau temps à la fameuse faculté de Science Po. Ancien membre de la  commission Giscard d'Estaing -  Dehaene pour le traité constitutionnel européen, conseiller de nombreux ministres, homme de réseaux. Il a cependant une terrible part d'ombre dénoncée par sa belle-fille Camille Kouchner.

Olivier Duhamel, politologue faisant la pluie et le beau temps à la fameuse faculté de Science Po. Ancien membre de la commission Giscard d'Estaing - Dehaene pour le traité constitutionnel européen, conseiller de nombreux ministres, homme de réseaux. Il a cependant une terrible part d'ombre dénoncée par sa belle-fille Camille Kouchner.

 

 

 

Bon. Évelyne et Marie-France sont nées des œuvres d’un haut fonctionnaire français en Indochine dénommé Georges Pisier et de son épouse Paula, une femme libérée. Par après, ce fut l’enfance en Calédonie, où naquit Gilles. Autant le grand-père Pisier fut honni – il avait été pétainiste – autant Paula était admirée comme femme libre et féministe. Georges et Paula divorcèrent puis se remarièrent pour définitivement redivorcer. Paula s’échappa de Calédonie avec ses enfants et s’installa à Nice. Et aussitôt, Paula proclama le bas la culotte et l’abolition du soutien-gorge pour elle et pour ses filles. Plus question d’être des « cuculs entravées » !

 

Marie-France commence sa carrière d’actrice à seize ans sous la houlette de François Truffaut, mais – obligation familiale – est tenue de faire des études universitaires qu’elle réussit d’ailleurs brillamment en obtenant deux diplômes en droit public. La famille déménage à Paris. Évelyne publie son premier roman et fait la connaissance de Bernard Kouchner, homme beau, fort, autoritaire et d’une solide culture de gauche émanant de son père juif résistant.

 

 

 

Evelyne Pisier et Bernard Kouchner, couple en vue dans les milieux de la gauche parisienne

Evelyne Pisier et Bernard Kouchner, couple en vue dans les milieux de la gauche parisienne

 

 

 

Ils se rendent à Cuba – le pays de la révolution. Ils rencontrent Fidel Castro. Évelyne devient pour un temps sa maîtresse. Quelle belle pièce pour son tableau de chasse ! Et Camille commente : « Pendant ce temps, mon père aime ma tante, je crois Ma tante occupe mon père » Ben tiens ! « On n’interroge pas la liberté ! Bien plus malin de s’en amuser »

 

Mais, comme toujours en cette classe, les contradictions s’accumulent Camille écrit : « Pour moi, un grand chef révolutionnaire attiré par une jeune femme Une idéaliste cédant au machisme qu’elle combat Une contradiction, sans doute La liberté, peut-être. Une anecdote surtout puisque, quelques années plus tard, c’est mon père que ma mère choisira d’épouser. L’institution du mariage pour les révolutionnaires ! Décidément, la liberté… »

 

 

 

Evelyne Pisier eut une longue liaison avec Fidel Castro.

Evelyne Pisier eut une longue liaison avec Fidel Castro.

 

 

 

Chez ces gens-là, Monsieur, c’est la contradiction et non la révolution qui est permanente !

 

En 1970, naquit le premier enfant, Colin. En 1975, vinrent au monde les jumeaux Camille et Victor. C’est en 1979 que Bernard Kouchner, avec l’aide de Sartre, entame sa fameuse campagne humanitaire pour sauver les boat people vietnamien dérivant en mer de Chine. Résultat pour la famille : un père jamais présent. En 1981, Évelyne quitte le père de ses enfants. Elle ne supportait plus son machisme et ses cris et sans l’avouer – liberté oblige – une fille dans chaque port ! Et puis, le « french doctor » se transforme rapidement en homme du monde et surtout de réseaux. Il s’acoquine avec la journaliste Christine Ockrent, qui ne supporte pas ses enfants. On ne peut rien y faire, c’est la garde alternée ! Soulagement ! Victor et Camille vont chez leur mère pour quelques jours.

 

 

 

Christine Ockrent seconde épouse de Bernard Kouchner ne fut guère tendre avec les enfants de son nouveau mari.

Christine Ockrent seconde épouse de Bernard Kouchner ne fut guère tendre avec les enfants de son nouveau mari.

 

 

 

Après l’élection de Mitterrand, Evelyne, professeur de droit public s’amourache d’un de ses confrères, Olivier Duhamel – celui-ci n’est nommé dans le récit de Camille Kouchner que par le nom de « beau-père » – « un mélange de Michel Berger d’Eddy Mitchell ». Toujours l’ambiguïté, même dans l’aspect physique ! Et c’était aussi un « révolutionnaire ». Il se consacrait au Chili – un peu tard après le renversement de Salvador Allende, le 11 septembre 1973 – « Après Cuba, le Chili, avec Cuba, le Chili, la gauche en étendard, nous serons bientôt la familia grande. » Et puis, avec le temps, on devient un peu moins révolutionnaire ! Et c’est aussi le temps de Sanary, la propriété du beau-père. C’est la dolce vita annuelle. À lire le bouquin de Camille Kouchner, on dirait que l’année de toutes ces grosses têtes de la gauche bourgeoise n’est consacrée qu’à un seul but :  les vacances à Sanary.

 

 

 

Evelyne Pisier se maria avec Olivier Duhamel pour le pire...

Evelyne Pisier se maria avec Olivier Duhamel pour le pire...

 

 

 

Évelyne et Olivier se marient à Conflans-Sainte-Honorine, la commune de Michel Rocard, comme il se doit. On reste entre « nous » ! Ils convolent parce qu’ils veulent adopter un enfant. Un peu tard pour Evelyne d’être enceinte du haut de ses 45 ans. Ce sera finalement une petite chilienne qu’on fera venir de là-bas. Elle sera prénommée Luz. Comme cela va de soi, les parents délèguent l’éducation de Luz à des nounous, au pédiatre et aussi à Camille et à son frère Victor. Et puis, c’est la période des suicides, le grand-père de Camille qu’elle n’a rencontré qu’une fois, se tire une balle dans la tête. Alors que sa tante et sa mère jouent l’indifférence, Camille, du haut de ses dix ans, est profondément surprise. Est-ce le choc de deux visions des choses ? Évelyne estime que c’était sa « liberté » de se donner la mort et Marie-France joue les indifférentes, elle s’en amusera même dans un de ses films où une urne funéraire portée par deux adolescents est trop lourde et ils en avalent la poussière sous le vent. On rit. Camille, elle, est sous le choc. Sa grand-mère Paula, un peu triste, ne porte cependant pas le deuil.

 

Chez ces gens-là, Monsieur, on voit la mort et tout le reste comme un jeu !

 

En 1988, Paula se tue. Camille avait onze ans. Ici, ce n’est plus un jeu. Camille et Victor ont vu le corps ensanglanté. Deuxième suicide dans la familia grande et ce ne sera pas le dernier. Après, tout change. Évelyne dépérit. Elle boit et fume sans arrêt. Bernard Kouchner est nommé secrétaire d’Etat du gouvernement Rocard. Colin a dix-huit ans et s’en va. Évelyne est nommée directrice du livre par Jack Lang, ami de la famille. Elle assure cette fonction avec des pieds de plomb. Et puis, c’est la catastrophe.

 

Victor révèle à Camille la conduite de son beau-père. Les attouchements, les fellations qu’il lui impose. Victor demande à sa sœur de se taire. Et elle se tut pendant des années. Petit à petit, cependant, tout le monde est plus ou moins au courant, sauf les principaux intéressés : Evelyne, Marie-France et Bernard Kouchner.

 

Chez ces gens-là, Monsieur, on ne cause pas, on la ferme !

 

À Sanary, devenu le lieu de rencontre des intellos branchés, de quelques politiciens des artistes en vue. Le beau-père « se fait roi ». Il devient une personnalité de haut niveau. Et c’est la totale permissivité. La liberté, n’est-ce pas ! A quinze ans, les enfants sont autorisés à sortir en boîte. Toute la nuit. Lever à 13 heures. Des heures dans la piscine à faire des attouchements aux vieux. Évelyne veut que Camille soit déniaisée. Elle lui apprend qu’elle a fait l’amour la première fois à douze ans ! Mais Camille vit un calvaire. Les révélations de Victor la rongent. Et il faut se taire !

 

En 1995, Camille et Victor ont vingt ans. Colin, l’aîné, est parti au Texas, Victor s’en va aussi à Madrid. Camille reste seule. Elle commence le droit mais n’assiste pas aux cours. Sa mère va mieux, a repris son boulot de prof, mais Camille est en proie à un terrible sentiment de culpabilité : être coupable de se taire !

 

À vingt-cinq ans, Camille rencontre un scénariste du nom de Thiago. Cela ne plaît pas à sa mère, à sa tante et à son père. C’est un saltimbanque, il n’est pas dans la réalité. Ah ! le conformisme des bourges « libérés » ! Quant à Victor, il avait parlé à son beau-père qui menaçait de se suicider, le supplia de ne rien dire à sa mère. Victor s’éloigna. Il entama une brillante vie professionnelle, s’est marié et à trois enfants. Il s’est détaché de la « familia grande » pour construire sa propre famille et sans doute échapper aux fantômes. Quant à Camille, elle mène sa vie avec Thiago qui a un fils, Orso. Ils sont allés plusieurs fois à Sanary et Camille commença à avoir peur. Elle redoutait qu’Orso subisse le même calvaire que Victor. C’est là qu’elle décida de parler. Elle mit au courant son frère jumeau qui piqua une colère noire. Entre temps, Camille tombe malade, une embolie pulmonaire qui l’obligea à se rendre plusieurs fois à l’hôpital. Elle s’en sort et passe sa thèse de doctorat en droit et puis elle donne naissance à une petite fille, Lily, en référence à la chanson de Pierre Perret. Ensuite, Camille devient maître de conférences à l’université d’Amiens.

 

Nouvelles vacances à Sanary. Colin, le frère aîné, veut y envoyer son fils de 2 ans et demi. Là, Camille est obligée de parler. Elle lui raconte. Son frère n’est pas surpris, car le beau-père est régulièrement venu dans sa chambre quand il était ado. Il mesurait son pénis avec un double décimètre ! Cependant, il lui en voulait de ne pas avoir parlé plus tôt ! Il avait quarante ans ! Et il a accepté lui aussi de se taire. Décidément !

 

Camille accouche d’un deuxième enfant, un garçon, Nathan. Là, elle parle à sa tante Marie-France qui, furieuse, lui conseille de mettre son père au parfum. Évelyne pardonne. Elle dit à Victor qu’il y a eu fellation, mais pas sodomie ! Ce n’est pas si grave et puis, c’est un peu tard pour se séparer. Eh non ! La loi ne s’intéresse pas à la manière, mais au fait : l’inceste est un viol et doit être poursuivi comme tel !

 

 

 

L'actrice Marie-France Pisier ne décoléra pas après avoir appris l'abomination dont son beau-frère s'était rendu coupable. Est-ce le motif de son suicide en 2011 ?

L'actrice Marie-France Pisier ne décoléra pas après avoir appris l'abomination dont son beau-frère s'était rendu coupable. Est-ce le motif de son suicide en 2011 ?

 

 

 

Chez ces gens-là, Monsieur, la culture de l’excuse est mise sur un piédestal !

 

Et l’histoire se continuera avec un troisième suicide, en 2011, celui de Marie-France Pisier que l’on retrouvera au fond de sa piscine. Elle s’était démenée pour mettre un terme à cette abomination en conseillant à sa sœur de divorcer. Elle avait conseillé à Camille d’en parler à son père. Celui-ci, furieux, a voulu « péter la gueule » au beauf. Il ne l’a pas fait sous les suppliques de sa fille. Ce qu’elle regrette aujourd’hui comme elle l’a récemment déclaré à « l’Obs ». Camille a consulté des juristes qui lui ont dit que l’affaire est prescrite ! Il aurait fallu parler plus tôt. Enfin, c’est autour d’Evelyne de succomber à un cancer du poumon. Toute une génération s’en est allée, sauf le « présumé » coupable.

 

 

 

Camille Kouchner, professeur de droit, avocate, fille de Bernard Kouchner et d'Evelyne Pisier a eu le courage de déclencher un séisme avec son livre. Sera-ce utile ? Espérons-le.

Camille Kouchner, professeur de droit, avocate, fille de Bernard Kouchner et d'Evelyne Pisier a eu le courage de déclencher un séisme avec son livre. Sera-ce utile ? Espérons-le.

 

 

 

En définitive, c’est le livre de Camille Kouchner qui mettra sans doute un terme à cette tragédie. On a appris que beaucoup de monde était au courant. Ainsi, le directeur de la célèbre faculté de Science politique savait et s’est tu lui aussi. Le beau-père, Olivier Duhamel, a démissionné de toutes ses hautes fonctions universitaires et médiatiques. C’est la chute !

 

Mais ce qui reste de la « familia grande » se redressera-t-il ?

 

Et cette classe de « bobos » donneurs de leçons mettra-t-elle un bémol à ses prétentions ? Ce serait étonnant, mais espérons-le dans l'intérêt du monde du progrès..

 

 

Pierre Verhas

 

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7 janvier 2021 4 07 /01 /janvier /2021 08:19
                                    Berlin 1933 -  Washington 2021                                    Berlin 1933 -  Washington 2021

 

               L'histoire ne se répète pas, elle bégaye.

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5 janvier 2021 2 05 /01 /janvier /2021 20:15

 

 

 

Le jugement tout à fait inattendu de ce 4 janvier 2021 prononcé par la juge Vanessa Baraister a surpris tout le monde. Voilà donc l’extradition de Julian Assange refusée après des semaines d’audiences où l’accusation a eu la part belle face à la défense, où tout était permis, même de changer l’acte d’accusation en cours de procès, de limiter au strict minimum le contact entre l’accusé et ses défenseurs, de l’enfermer dans une cellule non chauffée de la prison de haute sécurité de Belmarsh, maison de détention surpeuplée, foyer de Covid 19, de l’amener quotidiennement à la Cour criminelle centrale près de Old Bailey à Londres dans un fourgon roulant plus d’une heure dans les embouteillages où il peut à peine se tenir debout. Après ce calvaire et ce procès inéquitable, la juge Baraitser refuse l’extradition pour le motif de la détérioration de la santé mentale de l’accusé qui pourrait entraîner son suicide. D’ailleurs, on aurait trouvé une demi-lame de rasoir dans sa cellule…

 

 

 

Manifestation pour la libération d'Assange et la liberté de la presse  ce lundi 4 janvier 2021 devant l'ambassade de Grande Bretagne

Manifestation pour la libération d'Assange et la liberté de la presse ce lundi 4 janvier 2021 devant l'ambassade de Grande Bretagne

 

 

 

« La condition mentale de Julian Assange est telle qu’il serait abusif de l’extrader vers les États-Unis » Rappelons-nous les propos de Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture qui a fait examiner Assange lors de sa visite à Belmarsh : Julian Assange présentait « tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique ». ( http://uranopole.over-blog.com/2020/04/j-accuse.html ) Cet argument, ou plutôt ces faits avérés ont manifestement joué dans la décision de la juge Baraitser.

 

Suite : un précédent très dangereux !

 

Par contre, il ne serait pas abusif de l’extrader pour les autres motifs avancés par les Etatsuniens ! Et cela constitue un précédent très dangereux d’autant plus que les Etats-Unis ont fait appel de ce jugement.

 

Baraitser a en premier lieu refusé de reconnaître le caractère journalistique des activités de Julian Assange, les estimant potentiellement « criminelles ». Reprenant quasiment mot pour mot les arguments de l’acte d’accusation américain, elle a lui a reproché d’avoir proposé à Chelsea Manning de l’aider à casser un mot de passe et d’avoir discuté « durant des mois » avec elle pour l’inciter à lui procurer des nouveaux documents.

 

Or, il s’agit là d’une prise de position très dangereuse. Le journaliste anglais Jonathan Cook écrit : « Baraitser a accepté la nouvelle définition dangereuse du gouvernement américain du journalisme d’investigation comme "espionnage", et a laissé entendre qu’Assange avait également enfreint la draconienne loi britannique sur les secrets officiels en exposant les crimes de guerre du gouvernement. » (voir « Le Grand Soir.info » https://www.legrandsoir.info/assange-gagne-le-cout-la-liberte-de-la-presse-est-ecrasee-et-la-dissidence-qualifiee-de-maladie-mentale.html )

 

 

 

Jonathan Cook est un journaliste britannique spécialiste du Proche Orient et aussi attaché à la liberté de la presse.

Jonathan Cook est un journaliste britannique spécialiste du Proche Orient et aussi attaché à la liberté de la presse.

 

 

 

Elle a convenu en outre que le traité d’extradition de 2007 s’applique dans le cas d’Assange, ignorant les termes mêmes du traité qui exemptent les cas politiques comme le sien, ce qu’avait déjà dénoncé Nils Melzer. Elle a ainsi ouvert la porte à la détention d’autres journalistes dans leur pays d’origine et à leur remise aux États-Unis pour avoir mis Washington dans l’embarras.

 

Baraitser a estimé que la protection des sources à l’ère numérique - comme l’a fait Assange pour la dénonciatrice Chelsea Manning, une obligation essentielle des journalistes dans une société libre - équivaut désormais à du "piratage" criminel. Elle a dénigré les droits à la liberté d’expression et de la presse, affirmant qu’ils n’offraient pas « une discrétion sans entrave à M. Assange pour décider de ce qu’il va publier ».

 

 

 

Chelsea Manning aurait été manipulée par Assange. Condamnée, libérée, à nouveau détenue. De quoi les tenants de l'Etat profond ont peur ?

Chelsea Manning aurait été manipulée par Assange. Condamnée, libérée, à nouveau détenue. De quoi les tenants de l'Etat profond ont peur ?

 

 

 

Référons-nous aux propos de la compagne de Julian Assange, Stella Moris-Smith Robinson. Elle est avocate spécialisée dans les droits de l’homme, née en Afrique du Sud. Elle était membre de l’équipe juridique d’Assange pendant son séjour à l’ambassade équatorienne et est devenue sa compagne. Cette liaison a donné naissance à deux enfants. Elle a accordé une interview au site « Revolver » qui a été traduite et diffusée par nos amis du « Grand Soir.info » (https://www.legrandsoir.info/la-fiancee-de-julian-assange-s-entretient-avec-revolver-pour-devoiler-la-strategie-de-l-etat-profond-visant-a-supprimer-notre.html

 

 

 

Stella Moris Smith-Morison avec Julian Assange juste avant son asile à l'ambassade équatorienne à Londres.

Stella Moris Smith-Morison avec Julian Assange juste avant son asile à l'ambassade équatorienne à Londres.

 

 

 

Journaliste et pas espion

 

L’interviewer commence par poser une question fondamentale à la juriste qu’est Moris-Smith Robinson : « Commençons par le crime dont Julian est en fait accusé, une violation de la loi sur l’espionnage de 1917. Y a-t-il la moindre preuve que Julian ait commis un acte d’espionnage ? D’après ce que j’ai vu, il a publié des informations classifiées, ce que tous les grands journaux ont fait, comme le New York Times. Il y a également des allégations selon lesquelles il aurait aidé sa source, Chelsea, à dissimuler son identité – ce qui est également une pratique journalistique courante. Alors, où est le véritable crime ici ? »

 

Réponse : « Il n’y en a pas. Il s’agit d’une affaire politique inconstitutionnelle qui a fait plier la loi pour répondre à son objectif politique. Elle transforme en crimes des pratiques journalistiques nécessaires - communiquer avec une source et obtenir et publier des informations véridiques.

 

Dire que c’est un crime pour Julian d’avoir publié ce matériel est aussi absurde que de dire que les journalistes étasuniens sont légalement tenus de ne pas violer les lois sur le secret ou la censure de la Chine, de la Turquie ou de la France, même s’ils publient aux États-Unis.

 

J’entends parfois Julian mentionné dans le même souffle que de célèbres dénonciateurs étasuniens. Mais leurs cas sont différents. Ce sont des citoyens des EU. Ils ont travaillé pour le gouvernement des EU. Cela ne s’applique pas à Julian. Julian est un rédacteur en chef. Il n’était pas aux États-Unis. Il n’était pas un employé du gouvernement ou un entrepreneur. Il n’a jamais signé d’accord de confidentialité. La seule promesse qu’il a faite était au public, de publier la vérité sur les gouvernements et les entreprises. Chacun a son rôle dans une société libre et le rôle de Julian est de publier. »

 

Madame Moris-Smith Robinson se réfère ensuite au fameux premier amendement de la Constitution américaine adopté en 1791 qui dispose : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il mette fin aux abus ».

 

Un nœud coulant autour des droits de chacun garantis par le Premier amendement

 

Par sa démonstration limpide, Madame Moris Smith-Robinson met en évidence les graves dangers encourus pour la liberté d’expression des journalistes des lanceurs d’alerte, comme de tous les citoyens.

 

« La force du Premier Amendement est qu’il est simple, clair et absolu. Il est vraiment exceptionnel quand on le compare aux droits équivalents en Europe, et cela vient du fait qu’il n’est pas ce que les gens pensent qu’il est. Il n’accorde pas aux gens des droits qui peuvent leur être retirés. Elle interdit aux législateurs et à l’exécutif d’interférer avec la parole et l’édition. Il est donc illégal d’adopter des lois visant à criminaliser la parole et la presse.

 

 

 

Les pères fondateurs des Etats-Unis d'Amérique les ont doté de la première constitution démocratique de l'Histoire.

Les pères fondateurs des Etats-Unis d'Amérique les ont doté de la première constitution démocratique de l'Histoire.

 

 

 

Comment contourner ce problème ? Eh bien vous ne le faites pas – si vous respectez la Constitution. Ce qui se passe, c’est que ceux qui mènent le procès contre Julian – les éléments les plus sinistres du gouvernement américain – abusent de la formulation large d’une loi existante, la loi de 1917 sur l’espionnage, pour la réorienter de manière à ce qu’elle fasse ce que le Premier Amendement interdit : interférer avec la liberté d’expression et de la presse. L’affaire Julian a créé un nœud coulant autour des droits de chacun garantis par le Premier Amendement.

 

Pendant les années Obama, le DOJ s’est normalisé en réorientant la loi sur l’espionnage pour poursuivre les dénonciateurs. Mais l’étendre aux journalistes et aux responsables des rédactions va explicitement à l’encontre de l’esprit et de la formulation de la Constitution. L’intention déclarée du Congrès lorsqu’il a adopté la loi sur l’espionnage était qu’elle ne s’appliquerait pas à la presse. L’affaire Julian est la première fois qu’elle est utilisée contre un rédacteur en chef. C’est pourquoi tout le monde s’accorde, de tous les côtés de la politique, à dire que le procès de Julian est la menace numéro un pour la liberté d’expression et la liberté de la presse et qu’il aura des conséquences catastrophiques pour la démocratie aux EU.

 

Si les républicains ne s’en sont peut-être pas préoccupés sous l’administration actuelle, la menace que cette affaire représente pour eux doit maintenant être évidente. Il est certain que si l’affaire se poursuit, le précédent qu’elle crée sera utilisé abusivement par les éléments les plus antidémocratiques des futures administrations. »

 

La grande menace

 

Cela constitue une menace majeure pour la liberté de la presse et celle du journaliste en particulier. Nous avons déjà évoqué les craintes exprimées par de nombreux journalistes, spécialistes de la presse et juristes. Il semble que cela a eu de très faibles échos. Sans doute, le jugement du 4 janvier va éveiller les consciences. On verra. À lire, certains éditoriaux, on peut en douter. Ainsi, celui de la « Libre Belgique » du 5 janvier – laissons à ce quotidien catholique conservateur le crédit d’avoir régulièrement suivi l’affaire Assange et d’avoir publié des cartes blanches en faveur de sa libération – est intitulé « Une leçon britannique aux Etats-Unis » et conclut « En s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la justice britannique vient donc (…) d’administrer une belle leçon d’indépendance à l’égard de son allié historique, les Etats-Unis. »

 

Curieuse leçon d’indépendance lorsque ladite justice se rallie à tous les arguments des accusateurs US !

 

Reporter sans frontières n’est pas en reste : Viktor Dedaj rapporte un tweet posté ce 5 janvier par Christophe Deloire, le secrétaire général de cette ONG : « Quels que soient les arguments officiels, la décision de ne pas extrader Assange est historique pour le droit à l'information. Elle n'ajoute pas une menace supplémentaire au journalisme d'investigation. Une extradition aurait créé un précédent. Pour ceux qui le défendent, c'est un énorme soulagement. »

 

On est vite content à RSF !

 

Le professeur belge Jean Bricmont qui est loin de faire l’unanimité dans l’establishment se montre plus lucide :

 

« J’insiste : le jugement de ce matin est une VICTOIRE pour les EU : TOUTES leurs demandes sont satisfaites : ils ont le droit de faire extrader un non-citoyen américain qui n'a commis aucun crime sur leur sol. Ils ont aussi le droit d'espionner à l'intérieur d'une ambassade étrangère en GB. »

 

 

 

Le professeur Jean Bricmont est une personnalité controversée, mais exprime souvent des avis lucides.

Le professeur Jean Bricmont est une personnalité controversée, mais exprime souvent des avis lucides.

 

 

 

L’Etat de l’ombre

 

Stella Moris Smith-Robinson rappelle le véritable enjeu et dénonce le rôle de l’Etat profond qu’elle appelle l’Etat de l’ombre :

 

« Les pires éléments du gouvernement détestent Julian parce qu’il a exposé leurs abus contre le public pendant des années. Leur intérêt personnel est évident. Ils craignent d’être licenciés, ruinés ou poursuivis, ou de ne pas pouvoir mener ce que Julian appelle des "guerres dangereuses et stupides". Julian a toujours cru en la légitimité du gouvernement élu plutôt qu’en celle du gouvernement non élu. Et c’est le gouvernement non élu qui se sent le plus menacé d’être exposé.

Julian dit que la guerre est du racket, et ceux qui ont l’intention d’en tirer profit au détriment de la vie des soldats et des impôts ont besoin que le gouvernement vende la guerre à la population en lui mentant. Ce n’est un secret pour personne que Julian considérait Hillary Clinton comme une dangereuse belliciste, et que les guerres qui ont commencé lorsqu’elle était secrétaire d’État ont eu des conséquences désastreuses.

 

L’État de l’ombre a tout fait pour faire taire et emprisonner Julian. Il a été victime d’interminables histoires fabriquées. Il ne s’agit pas simplement de journalistes paresseux qui font des erreurs. Pour construire une couverture politique, des histoires fausses ont été mises en place avant son arrestation. Par exemple, le Guardian a imprimé une histoire en première page entièrement fabriquée (https://theintercept.com/2019/01/02/five-weeks-after-the-guardians-viral-blockbuster-assangemanafort-scoop-no-evidence-has-emerged-just-stonewalling/ ), dans laquelle Paul Manafort rendait visite à Julian à l’ambassade. Cette histoire était un mensonge élaboré, fabriqué par un opérateur qui a reçu 60 000 dollars de la NED. Le Guardian a fini par revenir sur son histoire, mais le mal était fait. Certaines de ces fausses histoires sur CNN et dans le Guardian ont récemment été révélées par la principale équipe d’enquête de la chaîne publique allemande. Les forces obscures qui plantent les histoires ont le même mode opératoire depuis des décennies. Elles savent comment jouer sur les peurs des gens. Il y a une vidéo très intéressante d’un ancien officier de la CIA, John Stockwell (https://youtu.be/NK1tfkESPVY ), qui explique comment les usines de la CIA fabriquent des histoires dans la presse. Tout le monde devrait le regarder. Il est consternant que Julian, qui a créé Wikileaks pour lutter contre les fausses nouvelles et pour la liberté des gens, ait été l’une des principales cibles de fausses nouvelles.

 

Dans son discours d’adieu à la nation [en 1960], le président Eisenhower a mis en garde contre l’influence indue de ce qu’il a décrit comme le complexe militaro-industriel. L’absence de responsabilité a permis à l’État de l’ombre de devenir de plus en plus grand et puissant. Si l’on considère la façon dont ils abusent de leur pouvoir pour façonner secrètement les récits de la presse au détriment du public, le travail de Julian avec Wikileaks a été un antidote nécessaire. WikiLeaks a mis un frein à l’influence croissante des pires éléments du gouvernement depuis des années. Il y a de bonnes personnes dans la communauté du renseignement, mais l’État secret dans son ensemble menace les fondements démocratiques des sociétés libres. Il est un peu comme un vampire, il n’aime pas la lumière du soleil, et Julian est la lumière du soleil. »

 

L’affaire ne fait donc que commencer. D’après plusieurs juristes, l’appel introduit par les Etats-Unis a peu de chances d’aboutir. On verra. Mercredi 6 janvier, on verra aussi si une libération sous caution sera accordée à Julian Assange.

 

La liberté est de plus en plus difficile à défendre face à cet empire US décadent et à ses larbins européens. On vient de le voir avec la Grande Bretagne. Mais ne nous faisons guère d’illusions sur les pays de l’Union européenne. Une anecdote pour terminer : vous ignorez sans doute qu’en 2003, lorsque Chirac a refusé la participation de la France à l’offensive US en Irak – refus belge également de Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères – François Hollande est allé à l’ambassade étatsunienne présenter les excuses du PS !

 

Les larbins ont encore de beaux jours devant eux !

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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