Beaucoup ont affirmé, au risque de se faire traiter de
révisionnistes, qu’il y avait une alliance objective entre les néoconservateurs américains qui ont fait la pluie et le beau temps de l’Administration de George W Bush pendant huit années et les
islamistes radicaux.
Ce qui s’est passé à Genève à la conférence de l’ONU contre le
racisme, dite Durban II, du 20 au 22 avril le démontre à merveille.
Que s’est-il passé ? Le président iranien Ahmadinejad a
prononcé un discours dont le contenu était attendu qui a provoqué l’indignation bien programmée des représentants européens. Il a qualifié Israël d’Etat raciste et fustigé le Sionisme comme une
doctrine raciste et colonialiste se servant de la Shoah pour justifier l’invasion par les Juifs de la Palestine. Qu’a dit exactement le président iranien ?
« M. le président,
M. le secrétaire général des Nations Unies,
Mesdames et messieurs,
Nous sommes ici réunis, suite à la Conférence de Durban contre le racisme et les discriminations raciales, afin de nous accorder sur des lignes pratiques dans le cadre de notre campagne sacrée et
humanitaire.
Au cours des derniers siècles, l’humanité a connu d’immenses souffrances et douleurs. Au Moyen-âge, les penseurs et scientifiques étaient condamnés à mort. Une période d’esclavage et de commerce
d’êtres humains lui succéda, lorsque des innocents par millions furent capturés et séparés de leur famille et de leurs proches pour être conduits en Europe et en Amérique. Ce fut une période
sombre qui connut également son lot d’occupations, de pillages et de massacres d’innocents.
De nombreuses années s’écoulèrent avant que les nations ne se soulèvent et combattent pour leur liberté. Elles sacrifièrent des millions de vies pour expulser les occupants et proclamer leur
indépendance. Cependant les pouvoirs autoritaires imposèrent rapidement deux guerres mondiales en Europe, qui dévastèrent en outre une partie de l’Asie et de l’Afrique et causèrent la mort
d’environ cent millions de personnes, laissant derrière elles une dévastation sans précédent. Si seulement nous avions retenu les leçons des oppressions, de l’horreur et des crimes de ces
guerres, un rayon d’espoir aurait illuminé l’avenir. Les puissances victorieuses se sont proclamées conquérantes du monde, tout en ignorant ou en minimisant les droits des autres nations par
l’imposition de lois et arrangements. [Déguisés en clowns, trois militants de l’Union des étudiants juifs de France introduits avec l’aide de la délégation diplomatique française, apostrophent
l’orateur avant d’être évacués par le service de sécurité des Nations Unies.]
Mesdames et Messieurs,
Portons notre regard sur le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui figure parmi les héritages de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Quelle était la logique de l’auto-attribution du droit de véto par les grandes puissances ? Comment une telle logique peut-elle s’accorder
avec les valeurs humanitaires ou spirituelles ? Se pourrait-il qu’elle soit en
conformité avec les principes reconnus de la justice, de l’égalité devant la loi, de l’amour et de la dignité humaine, ou plutôt ceux de la discrimination, de l’injustice, de la violation des
droits humains ou de l’humiliation de la majorité des nations ? Ce conseil est le centre de décision mondial le plus important pour la défense de la paix et de la justice internationales.
Comment s’attendre à l’avènement de la paix et de la justice lorsque la discrimination est légalisée et que l’origine des lois est dominée par la coercition et la force plutôt que la justice et
le droit ?
En dépit du fait qu’aujourd’hui de nombreux défenseurs du racisme condamnent la discrimination raciale par les mots et les slogans,
des grandes puissances ont été autorisées à décider pour les autres nations, se basant sur leur propre intérêt et comme elles seules l’entendent. Elles peuvent facilement ridiculiser et
enfreindre toutes les lois et valeurs humanitaires, comme elles l’ont montré. Après la Seconde Guerre mondiale, elles ont eu recours à l’agression militaire pour priver de terre une nation
entière, sous prétexte des souffrances juives [... correction. Ici, une partie du texte initialement publiée a été retirée parce que n’ayant pas été prononcée]. Elles ont envoyé des
migrants d’Europe, des États-Unis et d’autres parties du monde afin d’établir un gouvernement intégralement raciste en Palestine occupée et, de fait, à titre de compensation pour les graves
conséquences du racisme en Europe, elles ont aidé à hisser au pouvoir les individus les plus cruels et les racistes les plus répressifs en Palestine.
Le Conseil de sécurité a contribué à la stabilisation du régime sioniste et a soutenu les sionistes durant les soixante dernières
années, leur donnant un feu vert pour poursuivre leurs crimes. »
[Les ambassadeurs des États membres de l’Union européenne quittent la salle tandis que fusent les applaudissements des uns et les
huées des autres]
Que dire de tout cela ?
Si on lit le discours tel qu’il aurait été prononcé selon le « script » effectué par l’ONU, il n’y a pas de la part d’Ahmadinejad une assimilation du sionisme au racisme ni une négation
de la Shoah. Certes, il fustige le sionisme auquel il attribue un caractère criminel. Il dira plus loin : « Il est grand temps que l’idéal du sionisme, qui
constitue le paroxysme du racisme, soit brisé. », ce qui, évidemment, est inacceptable pour les
Occidentaux, mais ils avaient quitté la salle avant que cette phrase ne fût prononcée. Seul, le délégué de la Norvège (qui ne fait pas partie de l’Union européenne) est resté et est intervenu
pour critiquer le discours d’Ahmadinejad. Notons enfin que les représentants des Etats membres de l’Union européenne n’étaient pas les Ministres, mais les ambassadeurs que l’on a contraint à
effectuer un geste politique.
Ce cirque est vraiment un jeu de dupes. C’est en fait l’Union européenne, Bernard Kouchner en tête, qui a monté ce minable vaudeville. Les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux comme les
Pays-Bas, n’ont pas assisté à la conférence et se sont abstenus de commentaires.
L’attitude des Européens est aussi ridicule qu’inefficace. A quoi sert-il de rester inscrit à une conférence pour la quitter quelques heures après son ouverture ? Quel est le résultat de cet
acte politique ?
C’est la presse arabe qui donne l’analyse la plus intelligente de tout ce charivari (édition
électronique du Courrier international). Cependant, on y lit des lacunes comme ici : « Ahmadinejad n'a pas prononcé le mot fatal [Oui, il l’a prononcé, mais après le départ des
délégués de l’UE], mais les délégués européens attendaient le signal pour quitter la salle. Quand il a dénoncé le mutisme des alliés face à tous les massacres de « l'Entité raciste »
[encore une fois, c’est faux puisque d’après le script, il n’a pas usé de l’expression « Entité raciste »], l'assistance s'est agitée et les 23 délégués européens se sont levés pour
quitter la salle. Selon des sources diplomatiques, ils se seraient mis d'accord avant le discours pour partir dès qu'Ahmadinejad critiquerait
Israël », écrit le quotidien de la gauche libanaise As-Safir. Il est donc clair que c’est sur la base du
texte initial du discours du président iranien que les Européens ont effectué leur geste concerté préalablement.
Un autre avis : « Quand le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a qualifié Israël d'Etat raciste à la conférence de Durban II, qui s'est tenue à Genève avant-hier, il ne
s'est pas adressé à la communauté internationale mais au monde arabe et musulman », estime Tariq Alhomayed, le rédacteur en chef du quotidien saoudien Asharq Al-Awsat.
« Il a simplement donné une version allégée de ce qu'il avait dit par le passé, promettant qu'Israël serait rayé de la carte du monde et affirmant
que l'Holocauste était une légende. En comparaison, son dernier discours était donc plutôt gentil. » Ici aussi, il y a un manque de lucidité de la part des Européens. N’importe quel
analyste sait qu’Ahmadinejad est en campagne électorale en position difficile et qu’à une tribune internationale, il souhaitait s’allier les Arabes. Et c’est plutôt réussi.
Le reste de la presse arabe dénonce la politique du deux poids deux mesures des Occidentaux. L’analyse la plus intéressante vient du quotidien libanais « l’Orient – le Jour » peu
suspect de sympathie pour Ahmadinejad. « Précisons-le tout de suite, nous sommes loin d'être, dans ce journal, des admirateurs de Mahmoud Ahmadinejad. Ni la profondeur légendaire de sa
pensée ni le puissant charisme qui se dégage de son élégante personne ne sont arrivés à nous séduire. Et encore moins les dévastatrices ingérences de son pays dans les affaires du nôtre »,
affirme son éditorialiste, Issa Goraieb. « On ne voit pas très bien non plus quel bénéfice peuvent bien apporter à l'Iran toutes ces outrances verbales qu'affectionne tant son bouillant
président. Car à s'obstiner à parler de rayer Israël de la carte à l'heure où les Arabes eux-mêmes n'y songent plus guère, et cela depuis des décennies, Ahmadinejad ne fait en réalité
qu'accréditer vigoureusement la thèse du minuscule Etat juif invariablement menacé d'anéantissement. Cet édifiant programme, Ahmadinejad vient de le déballer une fois de plus à la conférence
internationale Durban II de Genève, consacrée à la lutte contre le racisme. Et c'est précisément l'accusation de racisme, lancée contre Israël par le président iranien, qui a le plus choqué les
participants, au point de les pousser à se retirer par dizaines de la salle", poursuit le journaliste.
Pas raciste, vraiment, Israël ? Que l'on commence, dans ce cas, par expliquer, ne serait-ce qu'au seul et vaste monde arabo-musulman, quel autre épithète il conviendrait de décerner à un Etat qui
lui-même se veut juif et rien que juif. Qui s'entête à nier un fait national palestinien dont la réalité, pourtant, s'est imposée de longue date à la Terre tout entière. Qui traite en citoyens de
seconde zone ses citoyens non juifs… Qui, s'il écoutait son propre ministre des Affaires étrangères, expulserait volontiers tous ces Israéliens non juifs. »
Les Européens qui, depuis longtemps, auraient pu jouer un rôle majeur au Proche Orient, en affichant une certaine
neutralité, se sont au contraire, entraînés par Kouchner dont on connaît les positions bellicistes et occidentalistes, enlisés dans le marécage du « choc des civilisations ». D’un côté,
ils fustigent avec vigueur un discours radical et notoirement antisémite, de l’autre, ils ferment les yeux sur les mesures racistes de l’Etat d’Israël qui crée des citoyens de seconde zone parce
que non Juifs ainsi que sur les graves atteintes aux Droits de l’Homme en Turquie, que ce soit à l’égard des Kurdes, des laïques et de certains musulmans. Ils ne sanctionnent pas le gouvernement
actuel composé d’éléments d’extrême droite aux postes clés comme les Affaires étrangères, qui refuse de reconnaître un Etat palestinien et poursuit sa politique de colonisation des
« territoires ». Ils ne prévoient aucune mesure de rétorsion à l’égard de la Turquie.
On se retrouve à nouveau dans la diplomatie de la carpette telle qu’elle a été appliquée dans les années 1990 à l’égard de
l’ex-Yougoslavie avec le résultat que l’on sait.
C’est cette attitude hésitante qui est le limon des manifestations d’antisémitisme qui se multiplient en Europe. Avoir une position
critique à l’égard de la politique israélienne contribue à sa sécurité et rend service à la communauté juive en Europe.
Il convient d’urgence d’éradiquer cette politique occidentaliste de « choc des civilisations » qui a démontré sa
nuisance.
Plusieurs civilisations
C’est une croyance généralisée en Occident : il n’existe qu’une seule civilisation, la nôtre, bien sûr. Hubert Védrine, l’ancien secrétaire général de l’Elysée de François Mitterrand et
l’ancien Ministre des affaires étrangères du gouvernement de cohabitation Chirac – Jospin, lors d’une conférence prononcée en mai 2006 à Berlin tire
un court « inventaire » des bases de cette « civilisation ».
« Les Occidentaux, et d’autres, voudraient croire qu’il n’y a plus sur notre planète qu’une
seule civilisation : celle des droits de l'homme, de la démocratie
et de l’économie de marché, même s’ils admettent qu’il y a plusieurs cultures.
A l’appui de cette thèse, je citerai :
- la Charte de l’ONU, signée en 1945 à San Francisco.
-bien sûr, la Déclaration universelle des droits de l’homme signée en 1948.
- Les effets apparemment niveleurs de la mondialisation économique, juridique et culturelle, et des modes de vie.
Cette croyance est devenue encore plus forte depuis la fin de l’URSS en 1989/1991.
C’est alors que Francis Fukuyama a parlé de "fin de l’histoire" après cette victoire par KO des occidentaux. Tous les autres allaient devoir s’aligner sur leurs conceptions. Et donc, il n’y
aurait plus d’occasion de conflits.
Mais démentent cette espérance :
- La réplique d’Huntington à Fukuyama même si on peut contester sa liste des civilisations.
- Plusieurs graves évènements mondiaux depuis 89/91,
- Les conceptions restées évidemment divergentes voire contradictoires des Occidentaux, des Chinois, des Arabes, des Africains, des
Russes, etc. sur la vie sociale, familiale, les rapports homme-femme, la place de la religion, la liberté d’expression, la peine de mort, les relations internationales, le rapport à la force
etc.,
- Les difficultés de l’Occident à imposer ses normes autres qu’économiques via le système multilatéral,
- l’échec du sommet de l’ONU à Durban contre le racisme, sujet pourtant en principe unanime !
J’observe que même Kofi Annan (alors Secrétaire général de l’ONU) souhaite une « alliance des civilisations » et a créé un groupe de réflexion
portant ce nom. C’est donc bien qu’il y en a plusieurs.
C’est une évidence, il y a encore plusieurs
civilisations. »
En réalité, les Droits de l’Homme étaient – du moins, c’est ce que les Occidentaux pensaient – la référence universelle de toutes les nouvelles règles et
dispositions légales prises dans les pays du monde entier. Dès les débuts du XXIe siècle, on s’aperçut que c’était pure illusion. Robert Badinter, ancien Ministre de la Justice de François
Mitterrand analyse ce « changement », dans une interview au « Nouvel Observateur ».
« Il y a dix ans [en 1998], c'était l'apothéose. Les droits de l'homme étaient reconnus
comme la dimension morale de notre temps. Après la chute du mur de Berlin, nous avons vécu une décennie consacrant la victoire idéologique de Tocqueville sur Marx. Au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale et de la défaite du nazisme avait commencé un affrontement Est-Ouest sans merci entre deux conceptions idéologiquement différentes des droits de l'homme. D'un côté, les droits
«socialistes»; de l'autre, pour reprendre la terminologie marxiste, les droits «bourgeois» et les libertés «formelles», camouflage du capitalisme. Le modèle aronien [allusion au philosophe
Raymond Aron] des droits de l'homme triomphait. Le 11 septembre 2001 a sonné le glas de cette parenthèse enchantée et a fait régresser la politique des droits de l'homme. Juridiquement,
moralement, les attentats du 11-Septembre, qui frappent délibérément, pour des raisons idéologiques, des victimes innocentes et anonymes, relèvent du crime contre l'humanité. Mais après le
11-Septembre, George Bush a commis une faute historique dont on supportera longtemps le coût moral et politique. En inventant Guantanamo, zone de non-droit absolu, en faisant voter le Patriot
Act, ces lois d'exception, en légalisant la torture, en multipliant les «charters de la CIA» avec la complicité de certains pays européens (Pologne, Roumanie, Allemagne...), les Etats-Unis, qui
s'étaient toujours proclamés champions des droits de l'homme, ont bafoué leurs principes fondamentaux. Quel coup terrible porté aux droits de l'homme ! Leurs adversaires ont dès lors beau jeu de
dénoncer le double langage de l'Occident. C'est le «double standard» : pour vous, le respect des droits de l'homme, l'habeas corpus, les cours constitutionnelles, la splendeur de l'Etat
de droit; et pour nous autres, leur viol quand cela vous arrange ! Ne chantez pas l'universalisme des droits de l'homme quand en réalité vous les trahissez en fonction de vos intérêts. Cette
accusation trouve malheureusement dans Guantanamo sa justification éclatante. Résultat : une haine tenace des masses musulmanes. Quelle régression depuis la célébration du cinquantenaire, en 1998
! » Ajoutons qu’il n’y a pas que Guantanamo. Il y a toutes les exactions israéliennes en Palestine qui plonge ce peuple dans une « nabka » permanente.
En fait, on assista dès l’effondrement des « tours jumelles » à la fin du
« droit-de-l’hommisme » qui est la pensée unique contemporaine. C’est le « droit-de-l’hommisme » qui est dénoncé par Régis Debray dans son dernier ouvrage « Le moment
fraternité » (Gallimard 2009). Il appelle cela la ROC (la Religion Occidentale Contemporaine). Au-delà de son aspect de religion sans liturgie, la ROC distille une pensée aussi simpliste que
manichéenne. Dès lors, elle ne convient pas à établir une base commune entre les civilisations où se sont développés des systèmes de valeurs différents.
Dans une interview accordée à « Libération » ce 22 avril 2009, Hubert Védrine répond à la question : Durban II illustre-t-elle l’affrontement entre deux conceptions opposées des droits de l’homme ?
« C’est un temps fort dans un bras de fer plus général entre les Occidentaux et les autres, autant géopolitique qu’idéologique,
pas seulement sur les droits de l’homme, même si c’est un domaine très sensible et très symbolique. Il porte sur la légitimité du milliard d’Occidentaux à imposer leurs conceptions aux
5,5 milliards de non-Occidentaux, dans ce domaine comme dans les autres. Cela était déjà évident, et préoccupant, depuis des années, contredisant les illusions nourries par nous après la fin
de l’URSS. Les Occidentaux n’ont pas voulu voir ce problème, enivrés par l’ubris de leur victoire, mais aussi en raison de leurs sincères convictions universalistes et de la lutte contre
le relativisme. Je suis moi-même le contraire d’un relativiste. La difficulté sur laquelle j’attire l’attention est autre : c’est celle des limites du prosélytisme droits-de-l’hommiste par le
même Occident qui a colonisé le monde pendant plus de trois siècles - ce que nous sommes les seuls à avoir oublié. Quelle est sa légitimité pour imposer ses conceptions à cet autre monde qui
émerge, même s’il prétend parler au nom de la «communauté» internationale » ? Si l’on constate que nos valeurs occidentales universelles ne sont pas universellement considérées comme
universelles, il faut alors s’y prendre autrement. »
Comment s’y prendre dès lors ?
« En cassant les mécanismes et les engrenages qui structurent ce bloc contre bloc : Occidentaux contre non-Occidentaux, et tout particulièrement Occident contre islam, et en bâtissant une
nouvelle majorité qui transcende ce clivage grâce à une politique étrangère occidentale différente. Cet antagonisme se nourrit certes de la rhétorique d’organisations comme l’Organisation pour la
conférence islamique ou de médias arabo-islamiques, mais il a été aussi envenimé pendant huit ans par l’administration Bush, et cela, c’est notre responsabilité. Beaucoup de ceux qui
prétendaient refuser la théorie du clash des civilisations se sont en fait inscrits dans cette approche et l’ont alimentée. Barack Obama est porteur d’un immense espoir mais il n’a pas encore eu
le temps de désamorcer l’ensemble des bombes à retardement dont il a hérité : la rhétorique manichéenne globale et les conflits, en premier lieu celui du Proche-Orient. Avec lui, l’Occident redeviendra plus universel et moins occidentaliste. Mais il y a aussi dans le monde bien des forces hostiles à cette réorientation
américaine, dont bien sûr Mahmoud Ahmadinedjad et tous les extrémistes musulmans, mais aussi les nationalistes russes ou chinois, la droite israélienne et tant d’autres - y compris aux
Etats-Unis.
Pour désagréger ce bloc adverse, les Occidentaux disposent de gigantesques leviers s’ils sont bien employés. Par exemple : si le président américain continue à parler comme il l’a fait depuis la
Turquie, s’il réussit à changer l’Iran, s’il obtient un règlement de paix équitable au Proche-Orient, tout cela finira par changer la donne globale. Il faut l’aider, alors que certains pays
européens, dont la France, donnent l’impression de traîner les pieds sur la question iranienne. Tant que cela n’aura pas été fait, toute réunion onusienne restera caricaturale, et sera prise en
otage. Aujourd’hui il serait impossible d’y faire adopter à l’unanimité la Déclaration universelle des droits de l’homme votée en 1948 ! C’est le paradoxe de cette notion
«d’universel». »
On peut cependant reprocher à Obama son discours en Turquie qui ne tient pas compte du débat européen sur l’admission ou non de la Turquie dans l’Union européenne. Cela dit, il est vrai qu’il a
fait avancer les choses en déclarant ouvertement que « les Etats-Unis ne feront jamais la guerre à l’Islam ». C’est un coup rude porté à l’idéologie du « choc des
civilisations ». Il reste une autre pièce maîtresse du jeu à renverser : c’est l’unilatéralisme américain.
Espérons qu’Obama y viendra et que des Européens parviendront à l’en convaincre. Cependant, ce n’est pas sur des Gordon Brown, des Nicolas Sarkozy et des Angela Merkel qu’il faut compter. Ils
sont trop les godillots des USA, surtout à l’époque de Bush. Sans doute est-ce la raison de la méfiance de Barack Obama envers Sarkozy.
Enfin, Védrine remet les montres à l’heure en ce qui concerne Ahmadinejad.
« Bien sûr que non. Les Iraniens eux-mêmes ne le sont pas [antisémites]. Ils sont même fascinés par l’Amérique. Si le président iranien a obtenu un tel succès d’estrade, révoltant à nos
yeux, c’est parce que le ressentiment accumulé contre l’Occident reste très enraciné et que le conflit du Proche-Orient continue de tout empoisonner. En attendant qu’une nouvelle politique
occidentale envers l’Iran ait produit ses effets, il faut, je crois, déjouer la tactique d’Ahmadinejad qui se livre périodiquement à des provocations délibérées, surtout en période électorale. Il
mise sciemment sur les réactions indignées des Occidentaux pour se poser en leader des musulmans et des opprimés face à l’Occident et afin de renforcer sa popularité interne. Stratégie assez
semblable à celle de Jean-Marie Le Pen. Privons-le de cet effet facile. Au lieu de hurler et de tomber dans ses pièges, mieux vaut je crois tenter de le ridiculiser et de le minimiser, y
compris vis-à-vis de son opinion interne en soulignant qu’on ne peut croire qu’un tel personnage représente le grand peuple iranien. En maintenant les ouvertures qui le gênent. Et en ne désertant
pas le terrain onusien, ce qui serait un aveu de faiblesse. »
En effet, les provocations du président iranien ne servent-elles pas à empêcher les ouvertures que propose Obama. D’ailleurs, il lui a répondu en déclarant qu’il souhaitait toujours une rencontre
avec les Iraniens. N’en déplaise au « french doctor » qui doit regretter George Walker Bush.
Le « choc des civilisations » a pris à Genève un fameux coup dans l’aile, grâce à ses soutiens les plus radicaux :
Ahmadinejad et Bernard Kouchner.
Il y a encore plusieurs civilisations, a dit Védrine, espérons qu’il y aura toujours plusieurs civilisations. Et il y a une stratégie indispensable à la concrétisation de leur alliance, c’est
celle du respect.
La stratégie du respect
Il y a un point commun à toutes les civilisations, c’est le respect
des morts. Or, notre époque montre que ce respect n’existe plus car on exploite les morts pour justifier les causes les plus abjectes des vivants. Le XXe siècle a connu trois génocides :
l’Arménien en 1915, la Shoah pendant la Seconde guerre mondiale et le Rwanda en 1994. Ces trois génocides ont un point commun : le négationnisme. Les Turcs nient le génocide arménien car sa
reconnaissance pourrait provoquer des troubles politiques et les musulmans ne supporteraient pas d’être culpabilisés. La Shoah est niée par les néo-nazis européens et par les islamistes radicaux
qui lui reprochent de servir de justification à la politique israélienne. Le génocide du Rwanda fait l’objet de négationnisme de la part de l’élite hutue et de plusieurs Européens dont des
journalistes et des hommes politiques français.
Rappelons ce principe essentiel du respect sans lequel la vie
commune est impossible : un génocide ne peut en aucun cas servir de prétexte à une quelconque politique. Personne n’a le droit de parler au nom des victimes. Ce principe du respect au-delà
des débats qui divisent les hommes, est inaliénable.
Sans respect, il est impossible de faire une alliance des
civilisations, si les radicaux de tous les côtés continuent à dominer le débat.