Et c’est reparti ! Voici une nouvelle étape du tour de l’Eurozone, et les chutes y sont aussi nombreuses qu’au Tour
de France : la crise italienne et espagnole de la dette souveraine, après celles de la Grèce et du Portugal. Et prochaines étapes : la Belgique, la France,
l’Irlande ?
La faute à l’Euro ? Un peu trop facile !
L’Europe a une fichue habitude : elle met la charrue avant les bœufs On a construit l’Europe du marché unique, sans
bâtir l’Europe politique. On a instauré une monnaie unique, sans politique économique commune. Cette erreur est indubitablement une des causes majeures de la crise actuelle, ou plutôt de notre
faiblesse à l’égard de la dictature des « marchés ». Cependant, rejeter l’Euro, comme certains le veulent à gauche, comme à l’extrême droite, serait une folie.
Un traité de Maastricht vicié au départ
Certes, l’affaire était viciée au départ. Le traité de Maastricht et les traités qui ont suivi jusqu’à celui de
Lisbonne, contiennent les ingrédients de la crise d’aujourd’hui.
Le Traité de Maastricht était vicié au départ : sans Europe politique,
il créait la faiblesse de l'Euro. A l'époque, ceux qui le critiquaient étaient
traités "d'anti-européens" !
- L’absence d’Europe politique est la première faiblesse de la monnaie unique et la plus importante : la monnaie unique entraîne une seule politique monétaire pour des pays
à situations économiques très différentes.
- L’interdiction à la Banque centrale européenne de prêter aux Etats plonge ses origines dans l’histoire économique de l’Allemagne qui interdisait à la Bundesbank de prêter à
l’Etat allemand. C’est une des raisons pour lesquelles les opposants à l’Euro lors des débats sur le traité de Maastricht en 1992, ont affirmé que l’Euro était « un Deutsche mark européanisé
».
- La Banque centrale européenne est indépendante et ne peut être gérée par les Etats ou une autorité politique européenne. Ni la Commission, ni le Parlement européen n’ont un
droit de regard sur la BCE.
- En plus – et c’est un vice originel datant du Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne – la concurrence doit obligatoirement être libre et non faussée, ce
qui interdit toute politique économique, qui, par définition, implique de changer les conditions de la concurrence.
- Enfin, il faut l’accord unanime des 27 Etats membres pour changer le traité de Rome, ce qui est inconcevable dans l’état actuel des choses.
Depuis le début de la crise de la dette souveraine en Europe qui a commencé par le point faible – la Grèce – certaines
de ces dispositions ont été violées, comme l’interdiction à la BCE de prêter aux Etats membres. Cela augure, qu’en dépit du Traité de Lisbonne, nécessité peut faire loi. Néanmoins, il reste ce
qu’il faut bien appeler les « Euro-dogmatiques » qui veulent le respect absolu du Traité, quoiqu’il arrive, notamment la Cour de Justice européenne qui menace de condamner la
BCE.
On paie très cher la non-Europe
Pourtant, c’est la non-Europe que l’on paye, comme déjà écrit sur ce blog. Les négociations au sein du Conseil européen,
qu’il s’agisse du Conseil des ministres des Finances ou de celui des chefs d’Etats et de gouvernement se soldent toujours par des compromis boiteux élaborés non pas dans un esprit
européen, mais comme accords entre les intérêts divergents de chaque gouvernement national. C’est ainsi que les plus puissants mènent le
jeu dans l’Eurogroupe : l’Allemagne et la France. Il est dès lors impossible, sans une autorité supranationale, de fixer une politique européenne en la matière. Et ce n’est pas le pâlot
président du Conseil, Herman Van Rompuy qui va pouvoir imposer quoi que ce soit.
Le palot Herman Van Rompuy ferait bien d'apprendre
à écouter et à décider.
L’Europe peut et doit se redresser par une politique audacieuse. Les gouvernants, les élites ont montré leur incapacité
et ont fait preuve de totale irresponsabilité. C’est la politique de l’immédiat qui domine, alors qu’il faut provoquer les conditions d’un changement radical.
La gauche sociale démocrate porte une très lourde responsabilité. À l’époque du traité de Maastricht – au début des
années 1990 – elle était au pouvoir dans plusieurs Etats européens. Elle aurait pu rectifier le tir en imposant une autre conception de la monnaie unique, une harmonie fiscale pour limiter la
concurrence entre Etats – cela aussi, c’est la « non Europe » - et pour jeter les bases de l’Europe sociale en fixant par exemple, les minimas sociaux, pour éviter – ce qui est tout
autant de la « non Europe » – le dumping social qui a mené à des idées aussi saugrenues que la fameuse directive Bolkestein. Il n’est dès lors pas étonnant que la classe de travailleurs
se soit détournée de la sociale démocratie.
Cependant, la structure européenne est la seule à même de répondre à ces défis majeurs. Mais elles doivent subir une
refonte de fond en comble.
Pour un changement idéologique
Alors, que et comment faire ?
Un changement idéologique est indispensable. Depuis les années 1980, les économies capitalistes sont dominées par
l’idéologie néolibérale inspirée par la fameuse école de Chicago de Milton Friedman, l’idéologie du « tout au marché » avec l’affaiblissement systématique des Etats par la privatisation
des services publics, les dérégulations, voire les attaques violentes contre les pays démocratiques, comme ce furent le cas au Chili de Pinochet et dans l’Argentine de Videla. La complicité
évidente de nombreux responsables politiques accroît le pouvoir tentaculaire des multinationales et des organismes financiers internationaux qui finissent par détenir les rênes du pouvoir
politique via des institutions supranationales comme le FMI, l’OCDE, la Commission européenne, l’OMC, etc.
Milton Friedman, gourou de l'ultralibéralisme, inspira Reagan.
La dictature économique prend progressivement la place des démocraties politiques. On s’en aperçoit en Grèce où toute
contestation est durement réprimée.
Ce nouveau pouvoir économique, s’il est brutal et montre une puissance inégalée, a aussi ses faiblesses. Déjà au XIXe
siècle, Karl Marx avait mis en évidence les contradictions du capitalisme et démontra qu’il s’en renforçait. Cependant, tout cela a des limites. La liste des « contradictions » de la
politique néolibérale, depuis les années 1980, est impressionnante.
Karl Marx mit en évidence
les contradictions du capitalisme.
Cela a commencé par les crises thaïlandaise et russe à la fin des années 1990, suite à un afflux de capitaux qui furent
aussi retirés, une fois les plus-values engrangées. Ce fut ensuite le scandale Enron, cette société qui courtait le gaz et l’électricité, notamment de Californie, était la 8e
capitalisation mondiale. Elle pratiquait par des manipulations comptables avec plus de 3000 sociétés « off shore » ! La faillite Enron fut une des causes principales de
l’endettement de l’Etat de Californie. C’est une des conséquences de la dérégulation à outrance : commissaires aux comptes corrompus, administrateurs « indépendants » payés par
Enron en sous-main, etc.
En 2001, c’est la crise en Argentine. Elle est exemplaire (voir encadré en fin d’article). Et enfin, en 2008, la
catastrophe des subprimes aux Etats-Unis qui entraîne la crise financière mondiale. Les banques ont investi des « actifs toxiques » dans la
plus grande opacité. Et elles se retrouvent au bord de la faillite.
Bien sûr, on a appelé les Etats à la rescousse. Pour cela, ils sont bons ! Les banques centrales ont injecté des
liquidités pour réassurer le financement bancaire qui était bloqué et, par conséquent, qui entravait les investissements nécessaires à la poursuite de l’activité économique des
entreprises.
Cette crise a montré la faiblesse des gouvernements occidentaux. Aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, on a été – dans
les patries du néolibéralisme ! – jusqu’à nationaliser des banques les plus menacées par un dépôt de bilan. En Europe, la Commission européenne s’est mise aux abonnés absents, et chaque
gouvernement a dû agir de son côté. Aucune coordination, aucune solidarité. C’est l’incohérence la plus totale, un véritable « Sauve qui peut » sur le Titanic de l’économie libérale
mondiale.
Un système grippé
À tous les niveaux, le système est grippé. Au niveau des banques et des entreprises, il y a des aberrations comme les
rémunérations des traders, les « parachutes dorés » de PDG inaptes, les salaires astronomiques de patrons aux pâles résultats. Pire, on a supprimé tout contrôle des risques et les
investissements insensés se multiplient. À un échelon supérieur, les banques, les agences de notation, les fameux hedge funds ont un comportement
suicidaire. Enfin, sur le plan politique, les gouvernements et les grands organismes internationaux n’arrivent pas à – ou ne veulent pas – coordonner leurs politiques monétaires. Il n’y a aucune
lutte contre les paradis fiscaux qui sont une des principales causes des dérives financières du système, dérives à la limite du système mafieux.
Aujourd’hui, on continue le n’importe quoi. Les marchés financiers qui, dans la belle orthodoxie néolibérale, devraient
être les régulateurs, sont en fait les instruments des banques. Elles sont arrivées à faire plier les Etats les plus puissants – y compris les Etats-Unis – par un contrôle absolu sur les intérêts
des prêts aux Etats, qu’elles fixent sur les marchés. Ainsi, les taux diffèrent selon les Etats : aujourd’hui, ils sont de 5,5 % pour l’Italie, 6 % pour l’Espagne et dépassent 15 % pour les
Grecs. Pour l’Allemagne, le taux de base est de 2,5%. Autrement dit, on pousse la tête des Etats en difficulté dans l’eau et on alimente les Etats à économie « saine ». Cela ne fait
qu’accroître les inégalités. Et, le meilleur pour la fin, les Etats sont complices. Ainsi, la France a sorti un plan de restructuration de la dette
grecque, par lequel les Grecs devront payer quoi qu’il advienne. Ce plan vise-t-il à protéger les Etats « prêteurs », via le Fonds européen de financement ? Non, évidemment, il a
pour unique objet de protéger les banques étrangères qui détiennent la dette souveraine des Etats. En effet, les banques françaises détiennent quelque 60 milliards d’obligations grecques. Par
exemple, en Belgique, comme en France et même en Italie, Dexia exerce un véritable chantage puisqu’elle détient les avoirs des pouvoirs locaux. Aussi, contribuables à vos poches, aidez les
banques !
Des pouvoirs politiques faibles et une Europe
divisée
Il est dramatique que l’on ne tire pas les leçons de tout cela. Après la crise financière de 2008, on était décidé à
revoir à la baisse la taille des institutions financières, en vue de les empêcher de déclencher des séismes monétaires. Aujourd’hui, ces mêmes organismes n’ont jamais été aussi volumineux. Ils
sont désormais capables d’exercer un chantage sur les Etats qui n’arrêtent pas de plier.
Les Etats-Unis sont confrontés à la faiblesse d’un exécutif qui doit en permanence affronter une opposition républicaine
qui préfère un crash à un accord avec Obama. L’Europe est confrontée au chantage permanent de Merkel et de Sarkozy qui, pour des raisons différentes, empêchent tout accord au niveau de
l’Eurogroupe. Sarkozy est victime de l’effet « Fouquet’s » : il est à la merci des grandes banques françaises qui détiennent un important volume d’obligations provenant des PIGS.
Quant à Merkel, c’est plus complexe.
Sarkozy sortant du Fouquet's en 2007, où il a été
remercier ses "vrais" patrons.
Il y a tout d’abord un facteur psychologique. L’Allemagne a été surprise de voir à quel point l’avenir de la zone Euro
dépendait d’elle. Elle a le poids économique le plus lourd dans l’Eurozone. Seule le Royaume uni a une économie plus forte, mais il ne fait pas partie de la zone Euro. Ensuite, Angela Merkel,
originaire de la RDA, se méfie de l’intégration européenne et veille à ce qu’il y ait le moins d’Europe possible. Il ne faut pas compter sur Berlin pour faire progresser l’Europe. Paradoxalement,
l’Allemagne tient à l’Euro qu’elle a conçu à l’image de l’ancien Deutsche Mark, sinon il n’aurait jamais été accepté par le peuple allemand. Le traité de Maastricht (voir plus haut), c’est
l’Allemagne qui l’a voulu. Or, c’est un échec parce qu’en créant l’union monétaire sans union économique, cela ne pouvait conduire qu’à la
catastrophe en cas de crise. Bien des économistes l’avaient d’ailleurs prévu. Or, le gouvernement allemand ne veut en rien modifier les règles établies et qui ont été confirmées dans le traité de
Lisbonne. Il veut même imposer le pacte de compétitivité sur la base des critères économiques allemands, ce qui reviendrait à laminer les budgets sociaux de tous les gouvernements de l’Union et
provoquer une régression jamais égalée. Il ne faut pas oublier, comme le rappelle Ulrike Gérot, économiste allemande (Libération, 13 juillet) :
« L’unification allemande a changé la donne. On est passé de la République de Bonn à celle de Berlin : c’est un autre pays qui a intégré 16 millions d’habitants de l’ex-RDA pas nourris
au lait fédéraliste [européen], un pays avec une autre relation à la Chine et à la Russie, un pays qui vit bien la mondialisation, un pays qui a totalement renouvelé ses élites. » Bref,
l’Allemagne est le géant économique et politique de l’Europe. La droite chrétienne d’Angela Merkel est allemande avant d’être européenne. Sans doute, le SPD et les Verts ont une autre vision.
Mais, en attendant…
Angela Merkel croit très bien se porter
en dehors de l'Europe.
Face à cette Europe divisée, les banques sont les maîtres absolus du jeu.
Que ce soit l’Allemagne ou la France, ou les plus petits Etats membres de l’Eurozone, le chantage des banques consiste à
faire accorder par les Etats une garantie gratuite qui laisse toute latitude aux institutions financières, quitte à mener à la catastrophe. Il est plus que temps de mettre fin à ce
fléau.
Un énorme jeu de pouvoirs
L’Europe n’est pas un bloc monolithique. Les économies méditerranéennes ne sont pas le « fruit de fainéants »,
mais sont d’une toute autre nature que celles des pays nordiques qui ne sont pas les « seuls travailleurs ». L’industrialisation, l’agriculture, la situation géographique sont
différentes. Et s’il convient d’aligner les conditions de vie des populations européennes à un niveau décent, il est bon de conserver cette diversité des économies et de ne pas contraindre la
Grèce ou le Portugal, par exemple, à adopter un système économique similaire à l’Allemagne ou au Danemark. En effet, l’Allemagne, les Pays Bas,
l’Autriche ont un modèle industriel exportateur. La France, l’Italie, l’Espagne et les autres sont des pays consommateurs, tirés par les dépenses publiques. C’est la raison pour laquelle l’Euro
ne fonctionne pas : les pays nordiques restent compétitifs avec un Euro à 1,5 dollars, tandis que les autres ne le sont plus au-delà de 1,3 dollars. C’est la raison pour laquelle la
« non Europe » est une catastrophe et pour laquelle, on n’arrive pas à trouver une solution satisfaisante. On aura beau organiser ou non des sommets et multiplier les réunions de
l’Ecofin, la situation ne fera qu’empirer tant qu’il n’y a pas de changements fondamentaux.
En outre, il n’y a pas que l’aspect financier, car dans cette crise, on ne retient qu’une dimension en oubliant
l’essentiel : relancer la croissance. Ce n’est certes pas avec les politiques d’austérité imposées par les banques que l’on y arrivera.
Toute cette affaire est un énorme jeu de pouvoirs à l’échelle mondiale. D’un côté, des gouvernements nationaux, jusqu’au
gouvernement US, désemparés, impuissants, incapables de prendre la moindre décision adéquate, de l’autre un système bancaire mondialisé, totalement maître du jeu, jouant d’une stratégie
audacieuse mais risquée et dont on peut douter qu’il contrôle sa puissance, avec comme conséquences : des Etats ruinés, des peuples promis à la misère, entraînant un regain de tensions
pouvant aboutir à des conflits majeurs.
La politique doit prendre le pas sur le capital.
Le politique doit reprendre les rênes. Les mouvements populaires qui naissent partout en Europe qui s’appellent
« indignés », sont encore dans les limbes, désorganisés, sans structures, donc à la merci des moindres provocations, mais constituent un espoir de renouveau. Ceux-ci doivent
s’épanouir.
Les indignados espagnols qui ont lancé le mouvement :
encore mal structurés.
Pour nos pays et pour nos peuples, le besoin vital d’Europe est là. Le seul moyen de stopper l’offensive financière est
de transformer en profondeur la BCE en un institut d’émission. Si la Commission a désormais un droit de regard sur les budgets des Etats membres, il est normal d’européaniser les dettes, ce qui
rendrait la situation bien plus supportable et couperait l’herbe sous le pied de l’armée des spéculateurs, véritable avant-garde de la haute finance mondiale.
Dans certains cas, il faudra accepter le défaut, en attendant. Cela s’est déjà fait (voir l’encadré au sujet de
l’Argentine) et ce ne fut pas dramatique, mais cela doit s’accompagner d’une aide à des pays sans ressources propres comme la Grèce, sans pour autant imposer d’insupportables plans
d’austérité.
Dans l’immédiat, comme le demande ATTAC, il faut faire un audit des dettes souveraines, car il y a une large part de
dette illégitime à ne pas rembourser. Cette question de la légitimité est fondamentale. Voici ce que déclare l'économiste Cédric Durand des « économistes attérrés » : « Comment savoir si
elle est légitime, ou pas ? Une part de la dette a certes été contractée par de petits épargnants, par exemple via les fonds de pension. Mais l'autre partie correspond à de la pure
création monétaire, par le système bancaire. Des banques et des fonds d'investissement ont dégagé, par l'effet de levier, des moyens financiers colossaux pour acheter cette dette, à partir de
rien. L'argent qu'ils ont prêté aux États, au départ, n'est donc pas réel. En revanche, l'argent qu'ils exigent de recevoir en remboursement, lui, existe bien.
Il faut donc déconstruire ce mythe de l'argent qui est dû. La situation est d'une violence ahurissante en Grèce, il faut le rappeler. Quelques chiffres: des revenus ont diminué de 25% en deux
ans, un plan de privatisations qui est de 50 millliards de dollars en cinq ans, soit 20% du PIB, c'est un état de guerre économique, le terme n'est pas exagéré, et qui pose la question:
jusqu'à quel point continuer ce jeu? Je suis favorable à un moratoire sur le paiement des intérêts de la dette, et à un audit, qui permette de dire quelle dette est légitime, et quelle dette peut
être annulée.»
En même temps, il est indispensable de neutraliser les agences de notation, ces chiens de garde de la haute finance en
fondant un organisme public de contrôle permanent des dettes souveraines et des grands flux financiers, indépendant, nommé et responsable devant le Parlement européen.
À ce même Parlement européen, un pouvoir réglementaire doit être instauré en vue de permettre à la BCE d’émettre des
Euro-obligations pour réduire l’influence des « marchés ».
Il s’agit d’une première étape avant des réformes de structure fondamentales qui seules, pourront donner à l’Union
européenne un régime réellement démocratique.
Le politique doit prendre le pas sur le capital, c’est une question de survie.
Pierre Verhas
L'exemple argentin
La junte de Videla avait laissé le pays exsangue, miné par la corruption. Le gouvernement de Carlos Menem qui lui
succéda appliqua une politique ultralibérale drastique : privatisations à outrance, notamment du secteur pétrolier, hausse des taux d’intérêt, libéralisation de l’économie, notamment du
secteur agricole. Comme toujours, au début, les « thérapies » néolibérales donnent des résultats spectaculaires. Le pays de la Pampa connut une croissance jusqu’à 25 % de son PIB, en même temps qu’une maîtrise de l’inflation ! Les capitaux affluent, mais tout cela a un coût : la dette augmente et finit par
prendre des proportions catastrophiques avec son cortège de fléaux : chômage, inflation à deux chiffres, misère dans les villes et dans les campagnes. Menem, puis son successeur La Rua,
maintiennent la parité entre le peso et le dollar. Cela devient intenable, ses voisins, dont le principal, le Brésil, ayant dévalués.
Fin 2000, le gouvernement maintient la parité et fait appel au FMI qui accorde une aide de 39,7 milliards de dollars.
Mais les conditions sont drastiques : libéralisation du système de soins de santé, dérégulation de secteurs clés comme l'énergie et les télécommunications, contraction des importations,
flexibilisation du marché du travail, renforcement des privatisations, etc. Durant l'été 2001, le gouvernement annonce en outre une coupe de 13% dans les salaires de la fonction
publique.
La spirale est inexorable : la libéralisation financière et la fiscalité inique imposées par le FMI permettent une
évasion fiscale de plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, tandis que l'Etat argentin surendetté est contraint, pour boucler ses fins de mois, d'emprunter à des taux insoutenables
sur les marchés internationaux - la prime de risque atteint 40% fin 2001 !
Finalement, sous le gouvernement Kirchner, l’Argentine a décidé de faire défaut d’une
partie de la dette. On est donc sorti entièrement d'un régime de renégociation des dettes souveraines encadré par les règles multilatérales imposées par le FMI. Les règles soft de la finance
privée, qui sont celles du FMI, fondées sur les précédents et la bonne foi, n'ont pas fait leurs preuves : on n'est pas passé à une négociation bilatérale mais à une logique unilatérale de
proposition non négociable. Aujourd’hui, l’inflation est jugulée et est passée en dessous de 3 % et l’activité économique a repris, avec une importante diminution du chômage, même si tous les
dégâts de cette politique folle ont laissé d’importantes traces.
Cette crise argentine qui a trouvé un début de solution qui ne va pas du tout dans le
sens des politiques ultralibérales imposées par le FMI et les institutions financières, permet de tirer d’importantes leçons. Tout d’abord, le capitalisme n’est plus un bloc monolithique comme
Marx le concevait à son époque. Sa mondialisation a entraîné une certaine anarchie qui est son point faible. Un gouvernement soutenu par le peuple, capable de prendre des mesures efficaces,
peut enrayer avec efficacité les crises provoquées par la cupidité des détenteurs de capitaux. Cette politique argentine est exemplaire pour l’Europe et le reste du monde.