Jean Bricmont, professeur de physique à l’Université catholique de Louvain la Neuve est connu pour ses prises
de position progressistes qui sortent des sentiers battus. Jean Bricmont a horreur du conformisme ambiant et de la « pensée unique » qui sévissent dans les médias, dans les partis
politiques et dans les Universités. Il est aussi un rationaliste convaincu et combat toutes les tentatives de « spiritualisation » de la science.
Sur le plan politique, il est un militant actif de la cause palestinienne. On peut le ranger parmi les
altermondialistes (pour autant qu’il accepte « d’être rangé »…) et il combat activement le néo-libéralisme. Jean Bricmont exprime ses idées dans tous les médias. Il a écrit nombre de
livres et articles passionnants et on le voit régulièrement participer aux débats de l’excellente émission vespérale de France 3, « Ce soir ou jamais » de Frédéric Taddéi. Une des
seules émissions libres du paysage audiovisuel français.
Récemment, le professeur Bricmont a initié une pétition demandant la libération d’un militant néo-nazi
français du nom de Vincent Reynouard condamné pour négationnisme au nom de la loi Gayssot, cette loi dite mémorielle condamnant toute personne coupable de publication et d’acte de négation de
la Shoah. Cette pétition demande en même temps l’abrogation de cette loi. Henri Goldman, dans son blog (http://blogs.politique.eu.org/Petition-on-peut-tout-signer-mais) a refusé de signer cette pétition car il
ne voulait pas voir son nom figurer avec ceux de personnages sulfureux connus pour leurs sympathies et/ou leur appartenance à l’extrême-droite. Il souhaite en outre l’extension du champ
d’application des lois mémorielles à tous les génocides.
En ce qui me concerne, je suis aussi opposé à la multiplication de ces lois mémorielles qui constituent, qu’on
le veuille ou non, une atteinte à la liberté d’expression et une entrave à la liberté de critique des historiens. Aussi, je considère que M. Reynouard aurait dû être condamné pour incitation à
la haine raciale et non pour sa petite publication négationniste (seize transparents de médiocre facture diffusés sur Internet). Les actes de l’intéressé ne sont pas innocents et relèvent de la
jurisprudence née du tribunal de Nuremberg.
De plus, il est indéniable que dans la nébuleuse antilibérale, pro-palestinienne et altermondialiste se sont
infiltrés des personnages sulfureux qui, en définitive, desservent cette cause essentielle de libération de l’humanité de l’oppression et de l’exploitation.
C’est la raison pour laquelle, j’ai envoyé cette lettre ouverte au Professeur Bricmont qui a pour seul objet
de susciter un débat.
Monsieur le Professeur,
Sans nous connaître, nous avons pas mal de points communs. Je partage avec vous votre analyse de la société capitaliste
qui est en train de détruire notre bien commun, la civilisation. Je ne peux qu’adhérer à votre critique de l’impérialisme quelle que soit son origine. En outre, et c’est moins connu du grand
public, votre rigoureuse analyse du « principe anthropique » qui a pour objet d’introduire la religion dans la science, est une démarche essentielle.
Jean Bricmont marche hors des sentiers battus.
Comme vous, je considère que la liberté d’expression, comme toutes les libertés fondamentales, ne se partage pas. Aussi,
votre combat contre les lois mémorielles est aussi le mien. Cependant, le rejet de ces lois ne doit pas servir de prétexte à tolérer le négationnisme. Dès lors, c’est volontairement que je n’ai
pas signé la pétition demandant la libération du néo-nazi Vincent Reynouard et l’abrogation de la loi Gayssot.
Pour quelles raisons ? Au préalable, permettez-moi de vous dire qu’a priori, je suis opposé à jeter dans
les geôles n’importe quelle personne coupable d’un « délit d’opinion ». Néanmoins, comme M. Reynouard revendique son adhésion au national-socialisme, donc à, entre autres, la
persécution des Juifs, je considère que ses écrits – en fait seize « transparents » mal fichus reprenant les « classiques » du négationnisme – relèvent de l’incitation à la
haine raciale, délit qui est poursuivi en vertu des lois réprimant les actes de racisme. Vous me rétorquerez que c’est vague. Pas tellement. Non seulement, ces lois se basent sur la jurisprudence
de Nuremberg et en plus, elles sont assez anciennes pour avoir suscité leur propre jurisprudence. La justification et la banalisation des persécutions peuvent avoir des conséquences
catastrophiques. Regardez, par exemple, l’affaire du « gang des barbares ».
Vincent Reynouard, militant néo-nazi aux côtés de
feu Bert Eriksson qui fut condamné pour constitution de
milices privées dans les années 1980.
Vincent Reynouard aurait dû être poursuivi dans le cadre de ces dernières dispositions et non en vertu de la loi
Gayssot. Dans le cas présent, ce sont les actes et non les écrits proprement dits de l’intéressé qui sont condamnables. Je vous concède volontiers que ce raisonnement ne doit pas se limiter aux
seuls actes d’antisémitisme, mais doit concerner toutes les formes de racisme.
Ainsi, cette pétition a un double sens qui en fait l’ambigüité. D’un côté, on demande la relaxe de M. Reynouard, de
l’autre, on exige l’abrogation de la loi Gayssot. En procédant ainsi, vous baissez la garde dans un combat qui est légitime. Or, il est indispensable
d’arriver à terme à l’abrogation des lois mémorielles, mais cette lutte ne doit en rien servir le négationnisme. Ce combat doit se situer au-dessus des clivages et ne peut être récupéré, faute de
quoi il est perdu d’avance. En cela, je voudrais évoquer deux aspects : les lois mémorielles et la liberté d’expression.
En ce qui concerne les lois mémorielles, nous assistons à une volonté d’étendre ces lois qui étaient limitées à la seule
interdiction de nier la réalité de la Shoah et plus généralement du système concentrationnaire nazi. Cependant, s’il est logique d’y inclure tous les génocides, ces dispositions restent
identiques et exigent tout autant leur abrogation.
Dans le rapport dit Accoyer du 18 novembre 2008 sur la mission
d’information de l’Assemblée nationale française sur les questions mémorielles, on lit : « Combattue par l’extrême droite, cette loi [la loi Gayssot] est aussi critiquée par deux
historiens renommés pour leur sérieux et leur humanisme : Pierre Vidal-Naquet, au nom du libre examen et de la liberté d’expression, mais aussi Madeleine Rebérioux, qui pose explicitement le
parallèle avec la tentation soviétique de contrôler l’histoire. « La loi impose des interdits, elle édite des prescriptions, elle peut définir des libertés. Elle est de l’ordre du normatif.
Elle ne saurait dire le vrai. Non seulement rien n’est plus difficile à constituer en délit qu’un mensonge historique, mais le concept même de vérité historique récuse l’autorité étatique.
L’expérience de l’Union soviétique devrait suffire en ce domaine. Ce n’est pas pour rien que l’école publique française a toujours garanti aux enseignants le libre choix des manuels
d’histoire », écrit-elle dans la revue L’Histoire de novembre 1990. » En outre, il y a la critique juridique de Robert Badinter, ancien président du Conseil
constitutionnel : « Le Parlement n’a pas à dire l’histoire. Le Parlement fait l’histoire. Les lois mémorielles, que j'appelle des lois compassionnelles, sont faites pour panser des blessures et apaiser des douleurs (...) et n'ont pas leur place dans l'arsenal législatif. (...) La
loi n'a pas à affirmer un fait historique, même s'il est indiscutable. Et j'ajoute que la
Constitution ne le permet pas ». Ces derniers propos, cités par de nombreux auteurs, ont été tenus lors d’une interview accordée par l’ancien garde des Sceaux à France
info le 16 octobre 2010. Ajoutons enfin les propos du politologue René Rémond émis en 2006 et aussi cités dans le rapport Accoyer :
« René Rémond estime que la liste de ces « lois mémorielles montre bien quelles ont été les considérations à l’origine de leur adoption : des
considérations essentiellement électorales, qui ne sont assurément pas méprisables, mais qui relèvent plus de l’émotion que de la raison, qui n’ont aucune légitimité scientifique et qui
confondent la mémoire avec l’histoire. Elles procèdent toutes de la même aspiration de communautés particulières, religieuses ou ethniques, à faire prendre en considération par la communauté
nationale leur mémoire particulière par l’intermédiaire de l’histoire, qui est prise en otage. C’est contre cette instrumentalisation qui entraîne une fragmentation de la mémoire collective que
les historiens ont pris position. »
Robert Badinter : farouchement opposé aux lois mémorielles
pour des raisons éthiques et juridiques
Arrêtons-nous un instant sur ces différentes interventions. Il y a, à mon sens, plusieurs conclusions à tirer, que vous
partagerez sans doute.
1) Les lois mémorielles sont des lois à vocation totalitaire.
Lorsque Vidal Naquet et Madame Ribérioux craignent que ces lois portent atteinte au libre examen et en outre que « le concept de vérité historique récuse l’autorité étatique », ils ont
raison. L’histoire est une science et l’inscrire dans la loi revient à terme à rétablir l’Inquisition comme ce fut le cas pour l’astronomie aux XVIe et XVIIe siècles. Nous n’allons pas rallumer
les bûchers (même symboliques) pour brûler l’un ou l’autre nouveau Giordano Bruno qui aurait tenu des propos non conformes. Rappelons d’ailleurs que des historiens français ont lancé en décembre
2005 une pétition intitulée « Liberté pour l’histoire » demandant l’abrogation des lois mémorielles. Cette pétition fut signée entre autres par Elisabeth Badinter, Jacques Julliard et
Pierre Vidal-Naquet.
Lorsqu’un intellectuel comme Henri Goldman que je sais viscéralement attaché aux libertés fondamentales, demande
l’extension du champ d’application des lois mémorielles à d’autres massacres ou génocides, je ne peux que m’inquiéter. Où s’arrêtera-t-on ? Les Juifs belges l’ont d’ailleurs compris en
s’insurgeant contre cette proposition qui d’ailleurs, provient des Assises de l’Interculturalité tenues à Bruxelles en 2009 – 2010. A force de multiplier les domaines d’interdiction du
négationnisme, on finit par banaliser des tragédies comme la Shoah ou le(s) génocide(s) rwandais. Ainsi on restreindra l’indispensable libre lecture de tous ces événements, car les lois
mémorielles portent atteinte à la pensée critique. En effet, des chercheurs hésiteront à se pencher sur des questions délicates non résolues de peur de tomber sous les coups de la
loi.
Henri Goldman farouchement attaché aux libertés
est partisan de l'extension du champ d'application des
lois mémorielles.
2) Il y a un aspect juridique fondamental que met en avant
Robert Badinter peu suspect de sympathie à l’égard des négationnistes. On a trop tendance de nos jours à mélanger les pouvoirs pour atteindre des objectifs politiques. On se sert de la loi à des
fins politiques. En plus, le compassionnel dénoncé par Badinter mélange l’irrationnel avec le glaive de la Justice. C’est la porte ouverte à tous les abus.
3) Il y a pour terminer l’aspect politique mis en lumière par
feu René Rémond. Les lois mémorielles sont élaborées à des fins uniquement politiques et mettent en danger l’indispensable débat critique sur tout épisode de l’histoire.
En définitive, il se crée une confusion entre mémoire et histoire. Je cite encore Badinter lors de son audition par la
Commission sur les questions mémorielles : « Les crimes du passé éclairent le présent. C’est pourquoi je suis partisan – sans qu’il s’agisse de voter une loi ! – d’un enseignement qui
dise l’histoire des crimes contre l’humanité.
Cela saisit les enfants, mais ils le projettent sur le monde actuel, ils le vivent dans leur imaginaire comme une
possibilité qu’il faut combattre. »
Monsieur le Professeur, la lutte contre le négationnisme se gagnera par l’enseignement et par l’argumentation. Nul
n’arrivera à convaincre quiconque, ou vaincre la mauvaise foi, par la contrainte, fût-ce celle de la loi.
Comme la revendication de l’abrogation des lois mémorielles doit se situer au-dessus des clivages, la liberté
d’expression est par définition universelle et donc au-dessus des idéologies. L’hypocrisie règne aussi chez les défenseurs de la liberté d’expression : ceux qui se mobilisaient avec l’appui
des médias lors de la fameuse fatwa khomeyniste contre l’écrivain indien Salman Rushdie, ne bougent pas dans d’autres cas. Cependant leurs
adversaires, se revendiquant de la même liberté, sont restés silencieux lors de l’affaire Rushdie. Il y a un jeu de ping-pong malsain en ce domaine.
Prenons une affaire récente et déjà oubliée dans le foisonnement médiatique : la traque contre le caricaturiste
Siné. Rappelons les faits.
Siné se fend, en juin 2009, d’un papier dans « Charlie Hebdo » où il fustige un « fils
de » (Jean Sarkozy) dévoré d’ambition, prêt à une conversion à la religion juive afin d’épouser une riche héritière.
Tollé dans le microcosme ! Siné est affublé du qualificatif maudit « d’antisémite ».
Il est accusé d’appartenir à la gauche antisioniste qui est considérée comme se servant de sa critique à l’égard de la politique de l’Etat d’Israël en camouflage de la réalité : son
antisémitisme.
Siné "emmerde" ses contradicteurs adeptes de
la
pensée unique.
Cela devient une habitude dans la une caste intellectuelle proche du pouvoir « Sarkozien »
d’attaquer méchamment tout adversaire en le clouant au pilori et en lui faisant porter un carcan infâmant. On compte parmi ces charmants individus, l’ineffable autant qu’inévitable Bernard-Henri
Lévy, Assouline, Alexandre Adler, le directeur, à l’époque, de « Charlie Hebdo », Philippe Val à qui s’offre ainsi une possibilité de se débarrasser de Siné dont un licenciement normal,
au vu de son ancienneté, aurait coûté beaucoup trop cher et le directeur de « Libération » Laurent Joffrin. Tous ces gens se jettent sur la « proie » Siné. On se croirait à
une séance de l’Inquisition au Moyen-âge.
Certes, comme a le courage de l’écrire Luc Le Vaillant dans « Libération » du 29 juillet,
dont il est un des chefs de rubrique, on porte atteinte à la liberté d’expression et au droit à la satire. Il ajoute :
« Plus grave que la dernière balourdise de
Siné, me semble être l’instrumentalisation de l’antisémitisme au sein des débats qui opposent les deux gauches. Il est catastrophique de suspecter immédiatement d’antisémitisme qui critique
l’expansionnisme sioniste au temps des colonies de peuplement ou qui interroge la nature religieuse de l’Etat d’Israël. Il est plus que pénible d’être regardé comme possible antisémite quand on
attaque les dérapages de l’empire américain, «meilleur ami d’Israël», quand on s’oppose à l’Europe libérale que Bruxelles fourgue à coups de oui ou quand on voudrait faire plus que «réguler» le
capitalisme.
Ajoutons qu’être opposé à Sarkozy est assimilé à l’antisémitisme selon BHL et Adler…
Remarquons aussi l’alliance de fait de « Libération » (Joffrin) et du « Figaro » (Adler). Voilà la conséquence de la prise en main des organes de presse par le haut patronat
français : Dassault pour le « Figaro » et Rothschild pour « Libé ». Cette affaire est grave car l’objectif final est d’imposer une pensée néolibérale « unique »
en mettant la main sur la presse d’opinion.
Enfin, et c’est sans doute le plus important en cette affaire, ces Messieurs qui sont
si prompts à qualifier « d’antisémite » ceux qui leur déplaisent, pour des motifs futiles en les livrant à la Justice, via la LICRA, ne se rendent pas compte qu’ils vident le mot
« antisémitisme » de sa substance. Ce terrible mot qui désignait les responsables de la Shoah et les écrivains pousse – au – crime de la dernière guerre.
Le chroniqueur du « Monde »,
Thierry Savatier ajoute : « A force de crier à l’antisémitisme à tout propos, ne court-on pas
le risque, particulièrement dangereux, de décrédibiliser une juste cause, d’en banaliser la notion et de lasser une opinion qui restera sourde si un jour survient une alerte sérieuse ? Les
avertisseurs d’incendie, pour être efficaces, ne doivent retentir que lors d’un véritable incendie, sinon, ce ne sont que des sirènes aux chants trompeurs. »
Savatier rappelle l’affaire Hannah Arendt suite à la publication de
son ouvrage Eichmann à Jérusalem où elle rapporta les commentaires sur ce procès qu’elle couvrit en totalité.
On reprocha à Arendt son antisémitisme suite à la publication en français de son ouvrage. En effet Arendt, une des plus grandes philosophes du XXe siècle,
parla de « banalisation du crime » : « On lui reprocha sa théorie de la
« banalisation du mal », en l’interprétant plus ou moins délibérément de façon erronée, et surtout on lui fit grief d’avoir écrit que certaines autorités juives (les Conseils juifs dans
quelques pays occupés) avaient coopéré avec les nazis, en désignant des victimes pour, en théorie, en sauver d’autres. Une telle vision de l’histoire était inacceptable aux bien-pensants. On
fustigea Arendt pour avoir dévoilé une réalité gênante. On posa ouvertement la question « Arendt est-elle antisémite ? » Cependant, elle n’avait rien inventé : elle ne faisait
que retranscrire les conclusions des juges Yitzak Raveh et Halévi (qu’il serait ridicule de soupçonner d’antisémitisme) que l’on peut retrouver en lisant les minutes du procès Eichmann. »
Savatier ajoute : « La philosophe, que je tiens, sous ma seule responsabilité, comme l’un des plus grands esprits du XXe siècle, fut l’objet d’un lynchage médiatique dont elle souffrit
jusqu’à sa mort, parce qu’elle était sortie des propos convenus. » Sortir des chemins convenus, voilà ce qu’il est interdit de faire !
Une autre persécution eut lieu en 2002. La victime expiatoire fut
Edgar Morin, sociologue universellement connu qui publia en 2002 dans le « Monde » une tribune intitulée : « Israël – Palestine, le cancer ». Suite à un violent lynchage
médiatique, il fut condamné par la Cour d’appel de Versailles en 2005 pour « discrimination raciale ». La Cour de cassation cassa cet arrêt en juillet 2006.
Edgar Morin victime de la "pensée
unique"
En tout cas, ces affaires montrent combien on se sert de
l’antisémitisme à des fins partisanes. Or, l’antisémitisme est réel et est fort peu combattu sur le terrain tant par les « phares » de la pensée postmoderne, tant par leurs adversaires.
Cet antisémitisme non médiatique n’intéresse personne ! Et pourtant, il se répand. Il ne se manifeste pas par des écrits, mais par
des comportements. Ainsi, les synagogues et les écoles juives doivent être surveillées par les forces de l’ordre, de peur d’éventuelles attaques de fanatiques, les enfants juifs ne peuvent plus
jouer dans certains parcs par crainte d’agressions de la part de jeunes Maghrébins. Plus grave, l’abominable affaire Fofana a montré combien les préjugés antisémites sont ancrés dans les
cervelles des loubards de banlieue et peuvent ainsi faire couler le sang de jeunes gens dont la seule culpabilité est d’être Juifs. Cette situation n’est pas tolérable. C’est l’importation du
conflit israélo-palestinien qui en est la principale cause. Elle n’est pas le seul fait des populations d’origine arabe, il y a aussi la propagande israélienne et les campagnes menées par des
intellectuels en vue, qui considèrent que toute critique de la politique israélienne est assimilée à une manifestation antisémite. C’est insultant et exagéré. Combattre la liberté de critique est
non seulement une atteinte aux droits, mais engendre le fanatisme.
Monsieur le Professeur, il faut sortir de ce cercle vicieux. La critique de l’impérialisme israélien et mondial qu’il ne
faut pas perdre de vue, doit pouvoir se faire en toute liberté, mais elle ne doit pas servir de prétexte à une expression antisémite qui n’ose pas dire son nom. Il ne faut pas donner au lobby
israélien l’occasion de brandir l’épouvantail de l’antisémitisme pour combattre toute critique. Vous avez écrit en 2006 : « Le problème, et
c'est pourquoi le lobby pro-israélien est si efficace, c'est qu'il exprime une vision du monde qui n'est que trop largement acceptée par trop d'Américains. Après tout, rien n'est plus ridicule
que d'accuser quelqu'un d'antisémitisme parce qu'il veut ou professe mettre les intérêts de l'Amérique au-dessus de ceux d'Israël. Pourtant, il est probable que l'accusation sera efficace, mais
seulement parce des années de lavage de cerveau ont prédisposé les gens à considérer les intérêts américains et israéliens comme identiques - même si, au lieu de parler "d'intérêts", on dise
parfois "valeurs". Associée à cette identification s'ajoute une vue systématiquement hostile du monde arabo-musulman, qui à la fois accroît l'efficacité du lobby et est en partie le
résultat de sa propagande.
Malgré tous les débats sur l'antiracisme et le "politiquement correct", il y a un manque presque total de compréhension du point de vue arabe sur la Palestine, et en particulier, sur l'aspect
raciste du problème. C'est cette triple couche de contrôle (les dons sélectifs d'argent, la carte de l'antisémitisme, ou plutôt ce bobard, et l'intériorisation) qui donne au lobby sa force
spécifique. »
Je vous suis parfaitement, mais vous ne pouvez nier qu’il existe une forme d’antisémitisme qui s’exprime peu ou prou
parmi certains prétendus partisans de la cause palestinienne. Un ami américain m’a dit un jour que les évangélistes américains et les néoconservateurs qui défendent Israël, ses crimes et ses
excès, sans discernement, sont en réalité des gens d’extrême-droite profondément antisémites qui voient chez les sionistes actuels un poste avancé de l’Occident. De même, des individus fascisants
européens prennent la cause palestinienne comme bouclier d’un antisémitisme qu’ils n’osent exprimer ouvertement. Ce type de comportement déforce la
cause de la lutte contre le fléau de l’impérialisme qui est global et pas seulement sioniste. Et personnellement, je ne peux accepter de travailler avec l’extrême-droite ou avec des gens qui ont
une attitude ambivalente avec elle.
Vous dénoncez à juste titre le « choc des civilisations ». Mais on a trop tendance à en faire un à l’envers.
Une fois de plus, le ping-pong. C’est l’altermondialisme contre l’occidentalisme et vice versa. On se trouve dans une logique qui ne peut qu’engendrer l’échec, car le rapport de force nous est
aujourd’hui défavorable. Vous avez admis que nos adversaires ont une vision du monde cohérente. Nous avons tous les atouts pour leur opposer la nôtre qui, en plus de la cohérence, aura la Justice
avec elle. Il ne suffit pas d’affirmer qu’un autre monde est possible. Encore faut-il définir lequel. À ce moment-là, les lobbies pourront user de tous leurs moyens de dissuasion et de
contrainte, nous aurons toujours une longueur d’avance sur eux.
Nous en avons la capacité et la force. Il suffit de sortir des chemins sans issue dans lesquels nous risquons de nous
enliser, si nous ne nous remettons pas en question et si nous cessons de tolérer certaines fréquentations sulfureuses.
Avec mes vœux de réussite pour notre combat commun, veuillez agréer, Monsieur le Professeur, l’assurance de ma parfaite
considération.
Pierre Verhas