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  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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18 mars 2015 3 18 /03 /mars /2015 10:44

Il est difficile de comprendre la crise que nous connaissons en Europe et en particulier la question grecque sans analyser l’évolution du système monétaire dans lequel nous vivons actuellement. Dans un billet invité du blog de Paul Jorion, l’économiste français Pierre Sarton du Jonchay donne une remarquable explication des événements que nous connaissons en synthétisant l’histoire économique et monétaire occidentale depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. (http://www.pauljorion.com/blog/2015/03/13/liquidite-monetaire-et-republique-federale-des-democraties-deurope-par-pierre-sarton-du-jonchay/ ) (1)

 

Pour bien appréhender la crise monétaire européenne, nous nous sommes inspirés de cet article en remontant le cours de l’histoire d’après-guerre en analysant les aléas de la construction européenne et prenant en compte les contradictions du capitalisme d’après-guerre.

 

La construction européenne qui a été lancée à la fin de la guerre par des intellectuels résistants en Italie, en Allemagne, en Belgique, aux Pays Bas, en France avec en outre quelques écrivains et journalistes britanniques partait de l’idée d’associer les nations européennes dans une structure démocratique supranationale pour empêcher d’éventuelles nouvelles guerres qui ensanglanteraient le continent européen.

 

Albert Camus fut un des intellectuels qui comprit que pour assurer la paix en Europe, il fallait une union démocratique fédérale.

Albert Camus fut un des intellectuels qui comprit que pour assurer la paix en Europe, il fallait une union démocratique fédérale.

 

Cependant, la division du monde et particulièrement du continent européen en deux blocs séparés par un « rideau de fer » mit à mal cette idée. En effet, d’Europe il ne pouvait en être question que dans sa partie occidentale. Etant donné la rivalité entre les USA et l’URSS, étant donné surtout deux systèmes politiques et économiques antagonistes – le capitalisme libéral et le communisme socialiste – l’idée d’une union par-dessus le rideau de fer relevait désormais de l’utopie. Il n’était pas question non plus d’y associer l’Espagne et le Portugal qui se trouvaient toujours sous le joug de régimes fascistes. La Grèce était dans un état de quasi guerre civile et la Yougoslavie était un régime communiste mais indépendant de l’URSS. L’Autriche restait neutre et les pays scandinaves n’étaient pas candidats à l’adhésion à une union européenne.

 

Aussi, ce furent deux chrétiens de droite et un social-démocrate droitier belge – l’Italien de Gasperi, le français Schuman et le belge Spaak – ainsi qu’un homme d’affaires français – Jean Monnet – qui mirent sur pied ce qu’on a appelé le Marché commun, officiellement la Communauté économique européenne, après la CECA et l’Euratom. Cette union entre six pays – la France, la RFA, l’Italie et le Benelux – était essentiellement économique. Elle était une union douanière et assurait la libre circulation entre les marchandises et les capitaux entre les six pays. Le Traité qui la scellait – le Traité de Rome de 1957 – contenait les germes d’une Europe libérale, notamment en instaurant comme règle de base la « concurrence libre et non faussée ». Dès le départ, s’est scellée une alliance entre le capital et le politique dans la construction européenne où le capital assura sa domination.

 

Robert Schuman, ancien ministre de Pétain et Jean Monnet, marchand de cognac construisirent l'Europe du capital et non l'embryon d'une union politique.

Robert Schuman, ancien ministre de Pétain et Jean Monnet, marchand de cognac construisirent l'Europe du capital et non l'embryon d'une union politique.

 

En effet, la partie « politique » des institutions européennes était rudimentaire : un Parlement européen non élu au suffrage universel – il ne l’a été qu’en 1979 – et un gouvernement supranational dont les membres étaient nommés par les Etats : la Commission qui a aujourd’hui le statut de gendarme du néolibéralisme européen. C’était le Conseil des Ministres, c’est-à-dire les Ministres des Affaires étrangères des six Etats membres qui étaient les réels dirigeants de la CEE. Depuis Mitterrand, c’est le Conseil européen qui dirige l’Union européenne. Il a un président permanent désigné pour quatre ans en application du Traité de Lisbonne.

 

Les progrès dans l’union politique ne se sont faits que lorsqu’il s’agissait d’assurer l’intérêt du capital sur le continent. Ainsi, une première crise eut lieu en 1965 lorsque la France alors présidée par de Gaulle refusa l’entrée de la Grande Bretagne dans la CEE. Le général craignait que l’Angleterre ne serve de « cheval de Troie » de l’Amérique et impose son modèle anglo-saxon. Après la disparition de de Gaulle, en 1973, son successeur, Georges Pompidou, leva le veto français et l’Europe du Marché commun s’élargit à neuf membres en y joignant l’Angleterre, l’Irlande et le Danemark.

 

Par après, l’élargissement s’est fait au gré des évolutions politiques, comme la fin du fascisme au Portugal et en Espagne, la chute des colonels en Grèce, vers les pays du Sud de l’Europe pour finir par se trouver à douze lors de l’élaboration de l’Acte unique et des négociations sur ce qui allait devenir le traité de Maastricht en 1992.

 

Si la CEE n’a pas connu un renforcement politique institutionnel depuis sa fondation, elle a par contre été à la base d’un profond bouleversement économique dans le système capitaliste libéral.

 

Et c’est la monnaie qui est à la base de ces changements.

 

Le hold up de Nixon

 

En 1971, le président américain Nixon décida unilatéralement de supprimer la convertibilité du dollar en or – le prix en était fixé à 35 pour une once – rompant ainsi les accords de Bretton Woods qui avaient été mis au point par John Maynard Keynes à la fin de la Seconde guerre mondiale et qui assurèrent jusqu’à ce moment la stabilité monétaire dans l’ensemble du monde capitaliste et qui fut aussi un facteur majeur dans la période de relative prospérité qu’on a appelé « les Trente glorieuses ».

 

Richard Nixon fut à l'origine de la crise monétaire mondiale.

Richard Nixon fut à l'origine de la crise monétaire mondiale.

 

En effet, la dette des Etats-Unis était devenue intenable, suite notamment à la guerre du Vietnam et à la course aux armements. L’Allemagne occidentale et le Japon grâce au plan Marshall ont connu un redressement spectaculaire après leur défaite et les destructions subies et sont dès lors devenu les plus grands exportateurs et disposaient d’un excédent considérable dans leur balance commerciale. Comme l’écrit Pierre Sarton de Jonchay : « Accumulant des réserves de change sous forme de titres de créance sur le Trésor Fédéral des États-Unis, l’Allemagne et le Japon s’étaient engagés dans le rachat des réserves d’or de la Réserve Fédérale afin de se débarrasser de la dette publique étatsunienne qui ne leur paraissait pas sûre. »

 

Et voici ce qu’écrit à ce sujet Yanis Varoufakis sur son blog le 15 mars 2015 : « En mars 1971, alors que l’Europe se préparait à faire face au Choc Nixon et commençait à projeter une union monétaire européenne plus proche de l’étalon or que du système de Bretton Woods qui partait en lambeaux, l’économiste de Cambridge, Nicholas Kaldor (2), écrivit la chose suivante dans un article publié dans The New Statesman :

 

« …C’est une dangereuse erreur de croire qu’une union économique et monétaire peut précéder une union politique, ou qu’elle agira (selon les termes du rapport Werner)(3) ‘comme un catalyseur pour l’évolution vers une union politique dont, à long terme, elle ne pourra se passer pour fonctionner.’ Car si la création d’une union monétaire et d’un contrôle communautaire sur les budgets nationaux engendre des pressions qui entraînent l’écroulement du système tout entier, il empêchera le développement d’une union politique, au lieu de la promouvoir. »

 

Malheureusement, l’avertissement prophétique de Kaldor fut ignoré et remplacé par un optimisme touchant selon lequel l’union monétaire forgerait des liens plus forts entre les nations européennes et que, à la suite de grandes crises du secteur financier (comme celle des années 2000), les circonstances forceraient les dirigeants européens à mettre en place l’union politique qui avait toujours été nécessaire.

 

C’est ainsi que, à une époque ou l’Amérique était occupée à recycler les surplus d’autres pays à l’échelon planétaire, une sorte d’étalon or fut créé au sein de l’Europe, et fit couler un mur de capital vers Wall Street, nourrissant la financiarisation et la production privée d’argent à grande échelle à travers le monde – les français et les allemands se précipitant pour prendre part à la chose avec enthousiasme. »

 

Ainsi, on s’est trouvé pour la première fois dans une situation similaire à celle qu’on a connue plus tard lors de la crise financière de 2008. On a commencé à créer de la fausse monnaie : les banques comptabilisent comme dépôts de monnaie les titres de créances à des emprunteurs solvables.

 

Or, qu’est-ce qu’être « solvable » ? Il n’existe aucune définition objective et communément admise de la solvabilité en la matière. Il s’agit donc d’une interprétation absolument libre, donc arbitraire.

 

Résultat : les Etats-Unis continuèrent à émettre et à exporter de la dette fédérale. Et c’est la City londonienne qui participa activement à cette opération : ils émettaient « des titres de dette et des dépôts en dollar sans justifier objectivement de la solvabilité des emprunteurs et des déposants internationaux protégés par le secret bancaire. » En clair, tout le monde s’endettait sans se soucier de l’avenir et particulièrement les pays les plus faibles, comme la Grèce qui, après les colonels, était dirigée en alternance par la famille de « gauche » Papandréou et la famille de « droite » Caramanlis.

 

L’Europe en paya les pots cassés. Elle introduisit le serpent monétaire européen qui échoua lamentablement et puis le système monétaire européen qui est l’ancêtre de l’Euro, mais elle ne parvint pas à négocier un nouvel ordre monétaire international après l’élimination des accords de Bretton Woods.

 

Par après, la chute du mur de Berlin et la réunification allemande permirent à l’Allemagne de se reconstituer comme principale puissance au centre de l’Europe avec la complicité évidente de la France.

 

La chute du Mur de Berlin, à l'origine de la réunification allemande, déséquilibra l'Europe.

La chute du Mur de Berlin, à l'origine de la réunification allemande, déséquilibra l'Europe.

 

Cette réunification à marche forcée provoqua une rupture d’équilibre au sein de l’Europe continentale qui, désormais, compte une seule puissance à même de dicter sa loi aux autres Etats membres. Ainsi, l’idée d’une Europe fédérale dirigée par une démocratie supranationale est morte. C’est désormais un système intergouvernemental régi par le rapport de forces entre les différents Etats-membres. Cela ne résoudra évidemment rien. L’Europe ne parviendra pas à disposer d’un poids réel sur la scène internationale malgré sa richesse, son énorme marché, une puissance militaire non négligeable si on rassemble toutes ses armées. On le voit entre autres au Moyen Orient.

 

Il y a en outre un aspect – et c’est un choc considérable dans l’histoire dont on ne mesure pas encore l’ampleur : pour la première fois, une monnaie a été créée sans autorité étatique.

 

L’Europe sous l’impulsion de François Mitterrand adopta la vision monétariste libérale – en cela, le philosophe Michel Onfray a parfaitement raison quand il dénonce une gauche devenue libérale depuis 1983 – à savoir se financer sur le marché privé extérieur, au lieu d’avoir le courage politique de financer les réformes sociales par la fiscalité. Cela a non seulement paralysé la France, considérablement accru sa dette publique et, on le vit aujourd’hui, abrogé les réformes sociales des années 1980.

 

François Mitterrand imposa le monétarisme libéral à l'Union européenne.

François Mitterrand imposa le monétarisme libéral à l'Union européenne.

 

L’Allemagne, elle, vu ses colossaux excédents de liquidités internationales et son système bancaire similaire à celui des USA pouvait se permettre de laisser la parité extérieure du deutsche mark aux seules banques et grandes transnationales allemandes.

 

Donc, la monnaie allemande n’était plus dirigée par l’Etat, mais en quelque sorte privatisée. Pour la première fois, un Etat renonçait à sa première fonction régalienne : battre monnaie.

 

Et c’est sur cette base que l’Euro a été constitué. Une banque privée indépendante – la Banque centrale européenne – le gère et toutes les banques bénéficient d’une totale indépendance dans l’émission des crédits. Elles sont seules maîtres de leur propre réglementation. Et il n’y a aucune institution politique de contrôle face à la BCE. Jamais, dans l’histoire, le politique n’a fait un tel renoncement ! L’Europe politique tant rêvée par les militants européens n’existera donc jamais. Et les Etats nations membres de l’Eurozone sont réduits à l’impuissance.

 

En outre, le traité de Maastricht interdit désormais tout changement : la BCE ne peut prêter directement aux Etats membres et il est interdit d’aider un Etat membre qui serait en difficulté. Rien que par ces dispositions, l’Europe qui nous fut tant vantée est désormais enterrée.

 

Prenons un exemple : on se souvient de la dénonciation des procédés de la BCE à l’égard des Etats-membres de l’Eurozone par Michel Rocard, ancien Premier ministre de la France et Pierre Larrouturou, économiste à l’époque conseiller au PS français. Le 2 janvier 2012, ils signaient une tribune désormais fameuse intitulée : « Pourquoi faut-il que les Etats paient 600 fois plus que les banques ? » Ils posaient les questions suivantes : « Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains Etats soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ? "Etre gouverné par l'argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé", affirmait Roosevelt. Il avait raison. Nous sommes en train de vivre une crise du capitalisme dérégulé qui peut être suicidaire pour notre civilisation. Comme l'écrivent Edgar Morin et Stéphane Hessel dans Le Chemin de l'espérance (Fayard, 2011), nos sociétés doivent choisir : la métamorphose ou la mort ?

 

Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour ouvrir les yeux ? Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour comprendre la gravité de la crise et choisir ensemble la métamorphose, avant que nos sociétés ne se disloquent ? Nous n'avons pas la possibilité ici de développer les dix ou quinze réformes concrètes qui rendraient possible cette métamorphose. Nous voulons seulement montrer qu'il est possible de donner tort à Paul Krugman quand il explique que l'Europe s'enferme dans une "spirale de la mort". Comment donner de l'oxygène à nos finances publiques ? Comment agir sans modifier les traités, ce qui demandera des mois de travail et deviendra impossible si l'Europe est de plus en plus détestée par les peuples ? »

 

Michel Rocard et Pierre Larrouturou ont signé un ouvrage en commun. Ils ont vainement espéré faire changer le PS français.

Michel Rocard et Pierre Larrouturou ont signé un ouvrage en commun. Ils ont vainement espéré faire changer le PS français.

 

Ces propos pourraient être encore tenus aujourd’hui. Avoir confié la gestion de la monnaie, c’est-à-dire des échanges et du contrôle des richesses, aux seules banques privées relève de la folie. Pourtant, nul ne sait qui sera le psychiatre et encore moins quelle sera sa thérapie. Les banques – et surtout les plus puissantes d’entre elles – sont les seuls maîtres à bord.

 

Et les gouvernements les favorisèrent. Ainsi, Clinton fit supprimer l’obligation de séparation des banques d’affaires et des banques de dépôts qui avait été imposée après la crise de 1929. Les banques américaines disposaient dès lors d’une totale liberté de manœuvre.

 

La crise des subprimes de 2008 n’a fait que confirmer ces aberrations : des banques tout à fait irresponsables prêtaient des sommes colossales à des ménages insolvables en parfaite connaissance de cause et se payaient, une fois les emprunteurs en défaut, sur les immeubles qu’ils avaient achetés grâce à leurs emprunts. Et les mêmes banques, par l’intermédiaire d’agents immobiliers, les revendaient en contractant des emprunts à d’autres ménages tout aussi insolvables. Cela fonctionna tant que le marché immobilier montait aux USA. En outre, les banques « titrisaient » les actifs prêtés qu’elles revendaient à d’autres banques aux Etats-Unis comme à l’étranger. Une fois de plus, la fausse monnaie !

 

Ainsi, quand la « bulle » immobilière éclata, la crise devint mondiale. Un nombre considérable de banques – et non des moindres – furent fragilisées du fait qu’elles avaient acheté ces titres pourris pudiquement appelés « actifs toxiques ». Et les Etats durent intervenir pour renflouer les banques. Résultat : ils s’endettèrent en aidant les mêmes banques auxquelles ils empruntaient !

 

La faillite des Etats de la zone Euro

 

Pierre Sarton du Jonchay qui est loin d’être un gauchiste radical écrit : « La crise des subprimes n’est rien d’autre que l’effondrement d’une civilisation parasitée par les élites qui devaient la servir. Les mécanismes bancaires, juridiques, financiers et politiques sont sciemment utilisés pour enfumer les gens. Dès 2010, les États de la zone euro se sont trouvés en faillite par l’explosion des dettes publiques contractées pour relever les banques. Au lieu de reconnaître qu’il avait perdu par erreur ou négligence, le contrôle de la finance et de la monnaie, le gouvernement français et sa haute administration s’est jeté avec les féodaux d’Allemagne sur la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande pour forcer le remboursement de dettes constitutionnellement et moralement illégales, parce que dépourvues de toute contrepartie économique réelle. »

 

Et d’un autre côté, les Etats durent adopter des drastiques mesures d’austérité pour abaisser la dette contractée envers les banques que l’Etat avait sauvées. Ce n’est d’ailleurs pas terminé, puisque – c’est le cas pour la Belgique – l’Etat a accordé sa garantie pour éviter la faillite de certaines banques dont la plus connue d’entre elles, Dexia.

 

L’Union européenne et ses Etats membres se trouvent dès lors dans un cercle vicieux. C’est un de ces Etats qui pose le plus de soucis au « système » : la Grèce. Si pour la plupart des Etats membres de la zone Euro, furent plus ou moins appliquées les conditions les plus draconiennes prévues par le traité de Maastricht (les 3 % de déficit budgétaire, les 60 % de la dette par rapport au PIB, etc.), on fit exception pour la Grèce, alors qu’elle n’aurait pas dû être admise. Ce sont les milieux d’affaires et les armateurs grecs qui firent pression. Ainsi, ils pouvaient placer leur argent dans les banques françaises et allemandes.

 

Notons au passage qu’on a fait également exception pendant quelques années pour l’Allemagne et la France qui ne parvenaient pas à se conformer aux fameux « critères de Maastricht ».

 

En plus, le rôle de Goldman Sachs, la plus puissante banque du monde, qui a profité de la crise des subprimes pour se positionner en n° 1 est pour le moins étrange : elle a aidé le gouvernement grec à trafiquer ses comptes publics en vue de tromper l’Union européenne. Et, comme par hasard, le n° 2 de cette banque pour l’Europe s’est retrouvé quelques années plus tard à la tête de la BCE. Personne n’était au courant ? « Toute la haute administration française était informée de ces réalités. Le parti socialiste, la droite et les centristes ont célébré l’entrée de la Grèce dans la zone euro alors qu’ils avaient été explicitement avertis de l’anéantissement fiscal qui en résulterait pour l’État grec. » Ainsi parle d’expérience Pierre Sarton de Jonchay puisqu’il était à l’époque consultant pour une institution financière qui a travaillé à l’entrée de la Grèce dans la zone Euro.

 

L’Allemagne et la France ont ainsi détruit la société grecque en proposant aux oligarchies grecques de partager la même monnaie et la même parité de change internationale, sans tenir compte des particularités locales. Par l’euro, la convertibilité extérieure de la monnaie des Grecs n’a plus été fixée en fonction de l’offre et de la demande en travail grec mais en fonction des objectifs de rentabilité du capital industriel allemand et du capital politico-financier français. Par la libre circulation du capital en euro, les recettes fiscales grecques ont été siphonnées au profit de cette oligarchie internationale. « Le financement de la solidarité et des dépenses communes entre les citoyens grecs et entre les citoyens européens a été capturé par la banque libérale hors sol déconnectée du droit concret de la responsabilité personnelle, étatique et politique. » L’explosion des dettes publiques est impossible à maîtriser dans la zone euro à cause de la destruction des États nationaux et à cause de l’inexistence d’une souveraineté politique commune, car on n’a pas remplacé la souveraineté des Etats-membres par une souveraineté supranationale européenne comme le voulait le projet d’Europe fédérale. Ce sont donc les banques qui ont désormais ces pouvoirs et elles ne sont pas prêtes à les partager.

 

Tout cela a totalement désorganisé la société grecque, mais aussi celles d’autres pays du Sud de l’Europe comme l’Espagne et la Portugal et n’oublions pas que l’Italie fut quasi placée sous tutelle de la Commission européenne en ayant imposé un Mario Monti, technocrate européen et ancien commissaire, à la tête du gouvernement. Ce fut un lamentable échec et les électeurs italiens ont envoyé un cinglant désaveu à Monti.

 

Mario Monti fut la marionnette de la Commission européenne et de la BCE.

Mario Monti fut la marionnette de la Commission européenne et de la BCE.

 

Le libéralisme ne cesse d’échouer avec de terribles conséquences sociales et humaines.

 

Le paradoxe libéral

 

Nous sommes ici devant un curieux paradoxe : le libéralisme qui prône l’individualisme quasi absolu par le rejet de toute autorité publique économique et politique – dans le cas des « libéraux libertaires – est en fait le pire des collectivismes.

 

Son « individualisme » ne consiste pas en une pensée prônant l’épanouissement de l’individu dans la société, mais l’atomisation de celui-ci en tuant ainsi toutes les solidarités. Pierre Sarton écrit : « L’idéologie mécaniste libérale méconnaît radicalement la singularité, la responsabilité, la liberté et l’unicité des personnes. Par la propagande consumériste, les puissants et les sachants du nominalisme enferment toute altérité dans leurs représentations et leurs modèles. L’autre qui ne parle pas, ne pense pas et n’agit pas dans la norme de la compétition pour le paraître et l’accumulation est mis au ban des marchés du travail et du capital. Le financiarisme a besoin de dettes nominales pour émettre de la monnaie en dehors de la réalité objective du travail au service des besoins humains. Les gens sont forcés de s’endetter par la dévalorisation de leur travail et la survalorisation des biens et services qu’ils ne produisent pas eux-mêmes. Cette dissociation de la personne entre son offre et sa demande s’opère par la manipulation privée de la convertibilité des monnaies et la destruction des souverainetés sociales et politiques. »

 

Le nominalisme est une pensée qui confond le discours et la réalité. Il fut élaboré par le philosophe économiste Schumpeter (1883 – 1950) qui a largement influencé la pensée libérale. « S’il est nécessaire de nommer la réalité pour lui accorder un prix, le prix ne fait pas la réalité. Le nominalisme financier qui fonde aujourd’hui l’émission monétaire fait croire que la répétition du prix dans plusieurs comptes bancaires augmente d’autant la réalité de l’objet sous-jacent. Cette répétition n’a pas d’autre conséquence que de multiplier les droits sur un même objet à l’insu de son propriétaire légitime. »

 

En clair, on jette de la poudre aux yeux pour mieux nous flouer !

 

En tuant toutes les solidarités, en endettant les Etats et les ménages, la finance assied son pouvoir totalitaire. Et c’est ce qu’il se passe en Grèce.

 

La troïka a contribué à détruire le tissu de la société grecque. Non seulement, par des réductions salariales d’une ampleur exceptionnelle, mais aussi par le démantèlement de tous les services publics, la privatisation des joyaux du pays des Hellènes – c’est-à-dire leur vente au rabais à l’oligarchie financière – comme conditions à octroyer des prêts indispensables pour disposer de liquidités, mais qui seront impossibles à rembourser, la Grèce est totalement entravée et subit en plus la destruction de l’Etat social.

 

Un exemple ? On se rappelle que le gouvernement grec avait fermé de force une chaîne de TV publique où étaient tenus des propos peu « orthodoxes ». Une société s’est constituée pour privatiser l’ensemble de la TV publique. Une des premières mesures qu’elle a prise fut d’abroger la convention collective du secteur audiovisuel pour la remplacer par une convention d’entreprise. Résultat, les salaires ont été diminués de 40 % ! Et cette société n’a fait que suivre une des mesures préconisées par la troïka : remplacer les conventions collectives sectorielles par des conventions d’entreprise.

 

En plus, la troïka prêta à la Grèce des sommes colossales pour se renflouer avec comme résultat un accroissement considérable de la dette grecque depuis 2010.

 

Syriza a compris que pour sortir de ce carcan, il fallait à tout prix mettre fin à cette frénésie de prêts aussi inutiles qu’onéreux en se basant sur l’économie réelle. Par les politiques de restrictions budgétaires imposées par la troïka, les comptes primaires de l’Etat grec retrouvèrent l’équilibre et dégagent même un excédent. Mais à quel prix ! Celui d’une austérité qui a ruiné le peuple grec, jeté des milliers de personnes dans la misère, détruit l’infrastructure publique du pays. Mais, cette dimension là indiffère les tenants de « l’orthodoxie » économique.

 

Les élections de janvier 2015 avec la victoire de Syriza promettaient de changer de cap. Son programme consistait à tenter de sauver l’économie et l’Etat social en se basant sur l’économie réelle. Pour cela, bien sûr, il fallait renégocier la dette.

 

Insupportable pour l’oligarchie européenne ! Aider Syriza à réussir reviendrait à désavouer la politique qu’ils mènent à coups de baguette depuis cinq ans ! Et puis, il y a risque de contagion. Regardez Podemos en Espagne.

 

Aussi, il n’y avait qu’une seule possibilité : comme Carthage en 149 avant notre ère, Syriza doit être détruite.

 

Delenda est Syriza !

 

L’oligarchie ne supporte pas la contestation. Il n’est pas question que le nouveau gouvernement puisse mener la politique pour laquelle il a été largement élu. Dès l’arrivée au pouvoir de Syriza, des blocages ont été mis en place au sein de l’Eurogroupe et à la BCE.

 

Certains vont jusqu’à penser que Samaras, l’ancien Premier ministre, a volontairement sabordé son gouvernement sachant qu’en cas d’élections anticipées, Syriza l’emporterait. Or, la troïka avait établi à peu près en même temps un échéancier de la dette qui rend impossible toute action du nouveau pouvoir.

 

Antonis Samaras (à droite) pratiqua la politique de la terre brûlée.

Antonis Samaras (à droite) pratiqua la politique de la terre brûlée.

 

Syriza a obtenu pratiquement la majorité absolue et a dû s’allier avec un parti de droite nationaliste, ce qui affaiblit son poids politique. Varoufakis a carrément été envoyé en kamikaze auprès de l’Eurogroupe. On connaît la suite : il s’est heurté à son président qui a succédé à Juncker, le social-démocrate hollandais Jeroen Djisselbloem. Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis tentent d’amadouer Berlin en essayant des alliances avec la France, l’Espagne et le Portugal. Rien n’y fit. Hollande – comme à son habitude – ne bougea pas et bien qu’il tente de se faire passer comme arbitre entre Athènes et Berlin, il s’inclinera devant les diktats de Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand. Du côté espagnol et portugais, ces pays se trouvant dans une situation similaire à celle de la Grèce, ce fut une fin de non recevoir. Les conservateurs méditerranéens s’alignent sur l’ordolibéralisme allemand.

 

Pour Pierre Sarton du Jochay : « Le gouvernement Syriza demande à proportionner ses remboursements de dette publique aux rentrées fiscales effectives de l’État grec et à l’excédent primaire après dépenses essentielles du vivre ensemble grec. La Grèce demande le minimum constitutionnel et juridique inscrit dans les traités européens. Après sept ans d’effondrement dans l’anarchie financière, les tergiversations des gouvernements allemand et français sont irrationnelles et criminelles. Un tout petit effort de réalisme financier débouche sur le constat d’impossibilité systémique de la circulation équitable du capital hors du contrôle de l’État de droit commun. La parité de un euro allemand pour un euro grec est parfaitement imbécile : elle incite les Grecs à ne pas investir dans leur propre développement pour que les banques commerciales aient intérêt à spéculer sur la faillite de la BCE et de ses États actionnaires obligés de maintenir la Grèce en survie monétaire artificielle. »

 

Ainsi isolée, la Grèce dispose de très peu de marge de manœuvre.

 

Les échéances sont là. Jusqu’à présent, le gouvernement Tsipras a remboursé au FMI, 365 millions d’Euros, cependant il doit rembourser au même FMI, 2 milliards d’Euros pour la fin mars. Cet échéancier est insupportable, pourtant Varoufakis s’est engagé à honorer prioritairement la dette à l’égard du FMI. Pour quelles raisons ? La première est qu’il estime que la Grèce ne doit pas être le seul pays à ne pas remplir ses engagements vis-à-vis de cette institution. La seconde est que son pays n’a aucun pouvoir sur le Fonds Monétaire International, tandis qu’il dispose du droit de veto dans les institutions européennes et qu’il a même une capacité de chantage : ce n’est pas pour rien qu’Athènes menace de lâcher les immigrés africains et moyen-orientaux qui arrivent en masse. En ce domaine aussi, où se trouve la solidarité européenne ?

 

L'échéancier de la dette grecque montre que le mois de mars est le plus dur ! Est-ce un hasard ? En bleu, les remboursements au FMI, en rouge à l'Eurosystem.

L'échéancier de la dette grecque montre que le mois de mars est le plus dur ! Est-ce un hasard ? En bleu, les remboursements au FMI, en rouge à l'Eurosystem.

 

Le monstre froid de la cupidité

 

Ce fameux échéancier qui a été modifié juste avant les élections de janvier 2015 n’a-t-il pas été élaboré dans le but d’empêcher toute action de la part du nouveau pouvoir ? Et on sait au moins une chose : le gouvernement de droite d’Antonis Samaras a épuisé toutes les réserves budgétaires et les facilités financières du gouvernement avant de quitter le pouvoir, pratiquant une politique de la terre brûlée. Ainsi, alors que le gouvernement grec s’était vu accorder la possibilité de pouvoir émettre 15 milliards d’euros de bons du trésor par la banque centrale européenne, le gouvernement précédent a utilisé toutes ces lignes budgétaires avant de partir, laissant le gouvernement de Syriza sans aucun recours financier.

 

Les Européens étaient forcément au courant et ont laissé faire. Ainsi, si Syriza échoue, les libéraux monétaristes européens auront tout fait pour qu’il en soit ainsi !

 

Que va-t-il se passer ? On ne peut encore rien prévoir. Mais, en tout cas, rien de bon, parce que les dirigeants de l’Union européenne s’obstinent dans leur politique qu’on peut qualifier de criminelle. Laissons la conclusion à Pierre Sarton du Jonchay : « La faillite des élites gouvernantes est philosophique, intellectuelle et morale. Comme la liquidité de l’euro repose uniquement sur des rapports de force idéologique, la crise des dettes s’est muée en guerre de religion. Ceux qui veulent vivre en paix bienveillante avec leurs concitoyens, leurs contreparties commerciales ou leurs collègues de travail multinationaux n’ont plus d’autre recours que de se coaliser en marge de la loi officielle pour envoyer en prison ou en asile psychiatrique tout ce qui ressemble à un chefaillon pris par la pulsion de l’argent, du pouvoir, ou de la médiacratie. La mort injuste et violente va frapper indifféremment les crapules et les gens honnêtes. Le monstre froid de la cupidité aveugle est parti pour anéantir toutes les relations humaines et sociales jusqu’à ce que les gens de bonne foi ne trouvent le moyen de reconstituer des sociétés solidaires pour protéger leur vivre ensemble, et les règles de respect des personnes qu’il implique. »

 

Dans Mediapart du 14 mars 2015, Martine Orange constate : « Même s’il tente de sauver les apparences, le gouvernement de Syriza a engagé une course effrénée à l’argent pour éviter la faillite. Cette tension extrême se lit dans le rythme des mesures prises en quelques jours. En moins d’une semaine, le gouvernement a émis pour 2 milliards de billets de trésorerie, le seul moyen de financement qui lui est encore ouvert, a différé les paiements de ses fournisseurs et sous-traitants, a approché les filiales grecques des multinationales pour obtenir des crédits à court terme.

 

Jeudi 12 mars, le parlement a adopté une mesure de dernière extrémité : il a autorisé les fonds de pension et les entités publiques, qui ont des comptes à la banque de Grèce, à investir tout leur argent en obligations d’État. En d’autres termes, l’État fait main basse sur les réserves de la sécurité sociale et des caisses de retraite pour honorer ses échéances.

 

Ces mesures désespérées inquiètent de plus en plus, au fur et à mesure que l’Europe durcit sa position. Sans aide financière quasi immédiate, la Grèce peut se retrouver dans l’incapacité d’honorer une de ses échéances, ce qui la précipiterait en situation de faillite. « La Grèce est confrontée à une crise urgente de liquidité et se dirige vers un défaut partiel. Cela pourrait créer un précédent très dangereux », prévient l’économiste Lena Komileva de l’institut G+Economics. « La combinaison d’un trou de financement grandissant avec des obligations de remboursements croissantes fait que le gouvernement se retrouve sur la corde raide en mars. Et ce sera un plus grand défi encore en juillet et en août (la Grèce doit rembourser alors 6,8 milliards de prêts à la BCE - ndlr) », dit de son côté un ancien fonctionnaire européen au Guardian. »

 

Se rend-on compte que Tsipras est contraint d’utiliser les réserves de la sécurité sociale pour en sortir. Au risque de mettre le peuple grec sur la paille pour de bon. Cette situation est intenable. La mèche de la bombe est allumée. Quand va-t-elle exploser ?

 

 

Pierre Verhas

 

 

(1)  Pierre Sarton du Jonchay est consultant en économie de la décision et en organisation financière depuis novembre 2008. Diplômé de l'École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales, il a mené depuis 1987 une carrière bancaire et financière en France. Il a travaillé sur l'analyse du risque financier souverain, la comptabilité financière, le contrôle des risques financiers, la négociation de la liquidité de marché, l'organisation et l'information financières, la prévention des conflits d'intérêt et la réglementation financière. Son expérience a débouché sur une recherche fondamentale sur les causes et les issues de la crise financière en cours. Il propose une reformulation de la théorie politique de l'économie, de la finance et du prix sur le modèle aristotélicien actualisé de la valeur. La thèse est exposée dans un ouvrage paru en février 2011, Capital, crédit et monnaie dans la mondialisation, économie de vérité, L'Harmattan, Paris.

 

 

(2)  Nicholas Kaldor est un économiste britannique, né le 12 mai 1908 à Budapest et décédé le 30 septembre 1986 à Papworth Everard dans le Cambridgeshire. Il a été l'un des principaux auteurs du courant postkeynésien, théoricien des cycles économiques et conseiller de plusieurs gouvernements travaillistes au Royaume-Uni et dans d'autres pays. Polémiste de talent, il s'est également distingué par sa critique virulente de la synthèse néoclassique, puis de la « contre-révolution » monétariste et de son application au Royaume-Uni sous les gouvernements de Margaret Thatcher.

 

 

(3)  Le rapport Werner est un rapport élaboré par Pierre Werner et une commission à la demande des dirigeants des États membres de la CEE réunis lors du sommet de La Haye de 1969. Le rapport, publié le8 octobre 1970 proposait un modèle en trois étapes pour établir l'union économique et monétaire, en essayant de surmonter les différences entre les « monétaristes » et les « économistes » Le rapport proposait, en matière de politique monétaire, d’importants transferts de responsabilités des États membres vers la Communauté européenne.

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 13:57

La Justice entre les mains des grippe-sous

 

Nul n’ignore que la Justice belge fonctionne mal. Manque de magistrats, manque de personnel aux greffes, manque de locaux adéquat, sous-investissement en matière d’informatique, prisons vétustes et insalubres, personnel pénitentiaire sous-payé et j’en passe et des meilleures.

 

Mais, ainsi l’a décidé le gouvernement ultralibéral – extrême-droite flamande de Charles Michel : Il faut-faire-des-économies partout en sans discernement !

 

Ainsi, en octobre 2014, il a été décidé en Conseil des ministres que tous les départements sans exception doivent économiser 4 % en frais de personnel, 20 % en frais de fonctionnement et 22 % en crédits d’investissement.

 

La Justice belge n'est pas en meilleur état que son énorme palais à Bruxelles.

La Justice belge n'est pas en meilleur état que son énorme palais à Bruxelles.

 

Les « hauts » fonctionnaires de l’Inspection des finances ont remis une note cinglante aux ministres de la Justice Koen Geens (CD&V – chrétiens flamands) et du Budget Hervé Jamar (MR – libéraux francophones), où compare la gestion du département de la Justice à la Grèce ! Les méchants fonctionnaires tentent d'échapper aux mesures d'économies décidées par le gouvernement ! C’est ce que rapporte la Libre Belgique de mercredi 11 mars.

 

Dans sa note, l'Inspection des finances relève que le cabinet de la Justice a déposé sa « copie » en retard : après le 13 février. Oh ! Les vilains ! Et horresco referens, le projet déposé suppose une augmentation du budget de la Justice de 9,6%.

 

Alors, il faut se débarrasser de membres de personnels, fermer des services, fermer une prison – alors qu’on est en surpopulation financière –, ne pas payer les arriérés aux avocats pro deo, etc.

 

En clair, on voit où conduit l’orthodoxie budgétaire : à une Justice à deux vitesses, car non seulement les pro deo ne fonctionneront plus, mais l’Inspection des Finances suggère une augmentation des frais de Justice. Autrement dit, les laissés pour compte ne seront plus défendus et seuls les riches pourront ester !

 

Le journalisme cireur de pompes

 

Le quotidien de « référence » bruxellois « Le Soir » fait fort ces temps-ci. Mardi 10 mars, suite au refus du gouvernement de suivre l’accord dit « des dix » (représentants des organisations syndicales et du patronat) sur les prépensions, un certain Bernard Demonty signe l’éditorial du quotidien (anciennement) vespéral du titre : « Prépensions : une réforme équilibrée ». Il commence fort. Il écrit : « Le gouvernement a démontré qu’il pouvait entendre les objections émises par les patrons et les syndicats et en tenir compte. » Ensuite, M. Demonty décrit l’accord des « dix » qui remet en question l’obligation pour les prépensionnés de rechercher un emploi. Et il ajoute : « Le gouvernement, et la NV-A (nationalistes d’extrême-droite) en particulier aurait pu rejeter cet accord d’un revers de la main. Ce n’est pas le cas. » Ah bon ! Première nouvelle ! Mais si, selon le beau Bernard : « Et pour l’avenir, elle (la « suédoise », le surnom donné au gouvernement Michel) met en place un accompagnement personnalisé des prépensionnés ».

 

Cela signifie que le gouvernement n’a rien changé du tout. Il a ajouté une mesure qui ne signifie rien, c’est-à-dire de la poudre aux yeux. Et fort de son enthousiasme, M. Demonty n’a pas noté un élément essentiel : c’est la première fois dans l’histoire sociale de la Belgique qu’un gouvernement réforme un accord patrons – syndicats. C’est une grave atteinte à l’Etat social qui est justement basé sur la concertation entre le travail et le capital.

 

La CIA parle au « Soir ».

 

Mais non, nous n’en voulons pas au « Soir » ! Qu’allez-vous penser là ? Toujours est-il que dans sa livraison de vendredi 13 mars, on y lit l’interview de l’ancien patron de la CIA, David Petraeus qui défend bec et ongle la thèse des va-t-en-guerre néoconservateurs américains : le danger n’est pas Daesh que l’on finira par vaincre ; le danger c’est l’Iran et les milices chiites. Oh ! Il ne souhaite pas attaquer Téhéran tout de suite, mais il faudra un jour résoudre le problème.

 

David Petraeus du temps de sa splendeur

David Petraeus du temps de sa splendeur

 

Après la visite de Netanyahou au Congrès américain où il était aussi question de l’Iran, voici que Petraeus qui, bien que retraité, reste influent, met son grain de sel.

 

Si ce n’est pas affaiblir l’actuel président US en fin de mandat, Barack Obama, qui souhaite un accord avec l’Iran sur le nucléaire, c’est en tout cas bien essayé. Et il est dommage qu’un quotidien comme « Le Soir » qui s’est montré plus avisé dans le temps, participe, sans qu’il ne publie la moindre critique, à cette campagne.

 

Ils n’étaient pas « tous pourris », mais « tous » étaient atteints.

 

Les scandales qui touchent les deux plus grandes formations francophones belges, le MR (libéraux francophones au gouvernement) et le PS (socialistes francophones dans l’opposition) ont fait renaître dans la population, d’après « Le Soir » du 12 mars et la « Libre » du 13, le sentiment des politiciens « tous pourris ». Un peu facile !

 

Les deux bourgmestres et anciens ministres MR, De Decker et Kubla, éclaboussés par des affaires de gros sous.

Les deux bourgmestres et anciens ministres MR, De Decker et Kubla, éclaboussés par des affaires de gros sous.

 

On se retrouve dans la bien-pensance : culpabiliser la population qui considère - trop souvent à juste titre - que la classe politique est largement corrompue. Cela ressemble très fort à la phrase malheureuse de François Hollande qui attribue le succès du Front national à un « échec collectif ».

 

Autrement dit, la classe politique refuse de se remettre en question. Elle est trop souvent liée à de grands intérêts financiers, voire à des tentatives d’escroqueries. Une analyse rigoureuse est à faire : les liens entre le capital et le politique. L’affaire n’est pas seulement juridique, elle est essentiellement politique, en ce sens qu’il faut absolument changer le rapport de forces et rétablir l’indépendance du monde politique par rapport à celui du capital.

 

C’est une question fondamentale pour l’avenir de la démocratie et il est inutile de culpabiliser l’un ou l’autre. Mais, certes, comme disait de Gaulle : « Vaste programme ! ».

 

Une montre qui ne donne pas l’heure.

 

Notre ami Robert Falony dénonçait récemment la création par le capitalisme de besoins inutiles. En voici un : l’Apple watch, la nouvelle montre du géant informatique américain. Une montre, direz-vous ? Il n’y a rien de plus utile !

 

Le problème est que cette nouvelle montre donne tout sauf l’heure. Elle permet de se géolocaliser (bonjour la NSA), d’écouter de la musique, elle contient un ordinateur Apple, de photographier, etc. Bref, toutes les fonctions sauf la mesure du temps !

 

Morceaux d'humeur du 13 mars 2015

 

Et elle vaut 15.000 dollars. Du genre : « Si vous n’avez pas une Apple watch à 25 ans, vous avez raté votre vie ! ».

 

Le néolibéralisme n’est vraiment plus de notre temps !

 

Pierre Verhas

 

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8 mars 2015 7 08 /03 /mars /2015 20:47

Dans un remarquable article paru sur son blog et que nous reproduisons ci-après, notre ami Bernard Gensane qui fut professeur de littérature et de civilisation britanniques dans différentes universités françaises et qui passa une partie de sa carrière en Afrique subsaharienne, raconte ses différentes rencontres avec le monde musulman. Il constate une dangereuse évolution où la religion musulmane devient le véhicule d’une idéologie despotique qui impose à ses adeptes des règles incompatibles avec celles des pays démocratiques, mais aussi qui cherchent à tracer une frontière infranchissable entre l’Oumma (la maison) islamique et le reste du monde qui est à convertir.

 

Il écrit que le port du voile relève du prosélytisme. C’est en partie vrai, mais limiter le foulard à cela est réducteur, à mon sens. Là-dessus, nous divergeons. Je pense au contraire que le foulard relève plus de la tradition et de la culture que du prescrit religieux. Est-il un symbole sexiste ? Dans certains cas, incontestablement, mais comment de nombreuses jeunes filles musulmanes le portent-elles sans contrainte dans les transports, les lieux publics, les universités et ont le comportement de toutes les jeunes filles du monde.

 

Bernard prône l’idéal républicain en réponse. C’est ce qu’on appelle la laïcité. Cela n’empêche qu’il lutte contre le racisme. Il cite la phrase d’un film : « Des Arabes, où as-tu vu des Arabes ? Moi, je vois des prolétaires, des pauvres. »

 

Qu’on le veuille ou non, la religion n’est qu’un aspect dans ce combat gigantesque qui a marqué toute l’histoire, celle de la lutte des classes.

 

PV

 

La coexistence est-elle possible ?

 

Depuis le 7 janvier, le jour des attentats à « Charlie Hebdo », l’ambiance est délétère en France comme en Belgique. La faute : l’ambigüité à l’égard de l’Islam.

 

Un premier exemple : le mot islamophobie qui est un néologisme désignant le rejet de toute personne pratiquant la religion musulmane que d’aucuns assimilent – à juste titre – au racisme. Or, des universitaires, des intellectuels, des politiques et non des moindres, comme Elisabeth Badinter, prétendent que l’islamophobie n’existe pas. Au contraire, selon eux, ce mot sert à empêcher toute critique de la religion islamique et va même jusqu’à tenter de faire interdire le blasphème. Ce serait Tariq Ramadan, le sulfureux intellectuel musulman proche des Frères musulmans, qui serait à l’origine de cette « invention » sémantique.

La philosophe Elisabeth Badinter défend une séparation absolue entre la religion et l'Etat, particulièrement dans le cas de l'Islam.

La philosophe Elisabeth Badinter défend une séparation absolue entre la religion et l'Etat, particulièrement dans le cas de l'Islam.

 

Islamophobie est un mot difficile. Jean-Luc Mélenchon lui-même pose la question : comment faire la part entre la libre critique de la religion et le racisme ?

 

Qui a raison ? Difficile à dire. Sur le fond, les deux parties ont des arguments : l’islamophobie existe bien par des comportements hostiles, voire violents à l’égard des Musulmans en Europe et contre les lieux du culte et même des cimetières. Plus inquiétant, l’extrême-droite exploite l’hostilité latente d’une partie de la population à l’égard des adeptes de la religion islamique. Le phénomène Pegida en Allemagne en est une démonstration. Cela attise une tension qui menace notre tissu social.

 

D’un autre côté, il y a manifestement une tentative d’imposer en douceur certaines règles islamiques soit par des dérogations, soit par des interdits. Et c’est déjà le cas.

 

Ainsi, par exemple, suite à un accord avec le Maroc, la Belgique a accepté d’inscrire sur les cartes d’identité de femmes marocaines à la rubrique état-civil la mention « répudiée ». Or, chacun sait que cet « état-civil » n’existe pas dans le code civil. Il s’agit là d’une dérogation majeure sur le plan des principes à notre droit. En effet, ce statut de « répudiée » ne concerne que les femmes alors que tous les états civils (célibataire, marié(e), veuf(ve), divorcé(e)) s’appliquent aux deux sexes. Ensuite, on tolère ainsi un statut humiliant inexistant dans le droit civil.

 

Quand par « antiracisme », des hommes politiques de gauche acceptent une telle entorse au principe d’égalité, on peut être inquiet.

 

Cela dit, il ne faut pas rejeter a priori toute dérogation. Ainsi, par exemple, l’adaptation des horaires des piscines municipales ne peut être considérée comme une « attaque intolérable contre la mixité ». Ce qu’on nomme des accommodements « raisonnables » peut s’appliquer dans des cas spécifiques. Cela se fait avec des hommes et des femmes d’autres cultures. Il n’y a aucune raison de ne pas agir ainsi à l’égard des musulmans.

 

Prenons un autre exemple : si une cantine scolaire distribue de la nourriture halal, où est le problème s’il y a le choix entre les plats cuisinés à « l’européenne » et le halal ? Il y a problème dès qu’il y a manifestation d’intolérance. Si de jeunes élèves musulmans n’acceptent pas que leurs condisciples consomment des plats « non halal », en ce cas la limite est franchie.

 

De même, le refus d’assister aux cours d’histoire et de biologie sous prétexte qu’ils ne sont pas conformes au Coran ne peut être toléré. L’école n’est pas un lieu d’affrontement idéologique ou religieux. Il y a un programme scolaire dont le suivi est sanctionné par un diplôme. Si, pour une raison ou une autre, on rejette certains cours, il ne peut être question d’accorder un diplôme et ce, au nom de l’égalité.

 

Cela signifie donc qu’il y a des dérogations possibles et non nuisibles, mais dans plusieurs domaines, il n’est pas question de céder à des revendications qui violeraient les principes d’égalité dans l’enseignement et aussi celui de l’égalité hommes femmes.

 

Ces quelques exemples montrent bien cette ambigüité. Aussi, trouver des solutions sérieuses devient très difficile, parce que personne n’ose s’engager à fond.

 

Il y a une position radicale qui consiste à tenter d’éliminer l’influence de la religion musulmane sur les populations issues de l’immigration maghrébine et turque. C’est la politique d’intégration à tout prix. L’intégration a échoué, c’est une évidence. Et vouloir la poursuivre telle quelle au nom de la laïcité est absurde et dangereux.

 

La situation sociale est une cause majeure.

 

Pour le professeur Mark Elchardus de la VUB (Université flamande de Bruxelles, le pendant néerlandophone de l’ULB) qui répond à une interview de l’hebdomadaire « Le Vif » : « Selon les chiffres de l'étude à laquelle je travaille, 84% des non-musulmans âgés de 25 à 35 ans ont un boulot. Parmi les musulmans, le chiffre tombe à 43%. » Cette différence est due selon lui au problème du statut de la femme et à la discrimination qui sévit à l’égard des musulmans. « Il y a deux facteurs qui entrent en ligne de compte. Il y a beaucoup plus de femmes au foyer qui ne vont pas travailler à cause d'un niveau d'éducation peu élevé et les normes de genre qui plaident contre la participation au marché du travail. De plus, si le taux de chômage est particulièrement élevé, c'est probablement suite à la discrimination. »

Mark Elchardus ne pense pas que la cause du développement du radicalisme se trouve dans la question sociale.

Mark Elchardus ne pense pas que la cause du développement du radicalisme se trouve dans la question sociale.

 

Mais, il y a une contradiction dans le raisonnement de cet universitaire. Il ne pense pas que la radicalisation que l’on connaît aujourd’hui est due à des facteurs sociaux et économiques. Il ajoute : « Le radicalisme est influencé par le fondamentalisme religieux, pas par l'exclusion socio-économique. Il est insensé de penser que tous les musulmans deviendront laïques s'ils ne se sentent plus exclus. » Ensuite : « Tout indique effectivement que la discrimination existe. Mais on ne peut jamais mesurer précisément l'importance de ce facteur comparé à d'autres. On a beau tourner le problème dans tous les sens, mais apprendre des textes sacrés par cœur et afficher un comportement ritualiste n'est pas la meilleure préparation à une participation à l'économie moderne. »

 

C’est l’histoire de la poule et de l’œuf : est-ce le radicalisme qui crée l’exclusion, ou l’inverse ? Elchardus lui-même le reconnaît : « On ne s'est jamais adressé aux musulmans de notre société comme à des citoyens à part entière. À l'époque, j'avais réalisé une étude qui démontrait qu'un jeune musulman sur deux est antisémite. Pensez-vous que quelqu'un se soit demandé comment y remédier ? Personne. On pense naïvement que si on intègre ces personnes sur le plan socio-économique, tout rentrera dans l'ordre et on mettra fin au problème de l'exercice du culte radical. C'est particulièrement paternaliste comme approche. »

 

En outre, l’intégration socio-économique est au point mort avec la crise, étant donné que le chômage et la précarité touchent particulièrement cette catégorie de la population. Citer l’exemple de quelques terroristes issus de milieux aisés est absurde. En effet, ces individus sont aussi indignés de la situation des leurs et donc manipulables, en plus leur statut social leur permettent de se rendre en Syrie plus aisément.

 

Le radicalisme a une très importante influence sur la population musulmane en Europe qu’on le veuille ou non. Les mosquées jouent évidemment un rôle majeur en la matière, mais il y a aussi ce profond sentiment d’injustice – par ailleurs justifié – qui s’étend et qui est bien entendu exploité par les propagandistes radicaux.

 

Un exemple ? Après la manifestation du 11 janvier qui a aussi eu lieu à Bruxelles, de nombreux militants de la Fédération socialiste bruxelloise se sont indignés de sa faible participation. Il leur a été répondu d’un air gêné que les « sections locales du Nord de Bruxelles » préféraient ne pas y participer. Or, il faut savoir qu’il s’agit des sections socialistes des communes où il y a une forte population musulmane et elles ont un poids important dans l’ensemble de la Fédération.

 

La manifestation du 11 janvier 2015 à Bruxelles vit très peu de Socialistes.

La manifestation du 11 janvier 2015 à Bruxelles vit très peu de Socialistes.

 

De son côté, le libéral Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, ancien ministre, ancien président et recteur de l’Université Libre de Bruxelles est plus optimiste : « 95% des musulmans qui vivent en Europe ont européanisé leur pratique de l’islam. Ils se sont adaptés au cadre légal et à la Constitution. Mais il reste une minorité qui rejette les principes qui fondent nos démocraties. C’est une évidence. Ceci étant, jusqu’il y a trente ans, nous vivions encore la même chose avec les adeptes de la religion catholique. Je pense, du reste, que le processus de sécularisation des musulmans vivant chez nous s’opère à un rythme bien plus rapide qu’avec les catholiques précédemment. » rappelle-t-il dans une interview au journal l’Echo du 9 janvier 2015, juste après les attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper casher de Vincennes.

 

Quant aux musulmans dits « modérés », Hasquin estime : « Si on les traite en parias, ils risquent fort de se radicaliser. Le développement économique est, selon moi, le meilleur gage d’une sécularisation rapide. » Voilà qui va à l’encontre des tenants de l’origine uniquement religieuse du radicalisme islamique.

 

Il ajoute un point essentiel passé sous silence par les analystes de toutes obédiences : le rôle de la femme.

 

« Je suis par ailleurs convaincu que la sécularisation du monde musulman se fera essentiellement par les femmes. Elles ne demandent qu’à vivre libres. Le processus est déjà à l’œuvre. Les femmes sont majoritaires sur les bancs des universités dans les pays musulmans. C’est un gage de progrès. C’est par le savoir qu’elles accéderont au pouvoir. »

 

Hervé Hasquin est convaincu que la religion joue un rôle secondaire.

Hervé Hasquin est convaincu que la religion joue un rôle secondaire.

 

En outre, on observe que la radicalisation dans le monde musulman entraîne une radicalisation du monde de la laïcité. Hervé Hasquin avertit : « Cela ne sert a à rien en effet, au nom d’une laïcité radicale, de brûler les étapes. On oublie que si nos sociétés sont ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est le fruit d’une longue évolution entamée voici 500 ans, au début du XVIe siècle.

 

Suite à l’attitude intransigeante de certains, la laïcité a pu apparaître comme un instrument de propagande de l’athéisme. Ce qui ne peut que contribuer à entretenir des ghettos religieux. »

 

Le militantisme de provocation

 

On peut mettre dans cette intransigeance l’interdiction du port du voile islamique dans les écoles. Certes, comme l’écrit notre ami Bernard Gensane dans l’article ci-après : « … le voile intégral, les burqas de Londres – et parfois de Lyon, les tentes Trigano noires qui rasent les murs, ne sont pas tombées du ciel, ni même du Coran. Elles relèvent du monde séculier, du prosélytisme, du militantisme, de la provocation. Le Pen père les adore car, comme il l’a exprimé à plusieurs reprises, « comme ça, on peut les compter ». Les extrémistes de droite de tout pays, comme les extrémistes religieux, ont un point commun : ils savent admirablement jouer avec – et se jouer de – la République qu’ils vomissent. Et plus cette République n’a à offrir qu’un ventre mou, plus ils savent s’en servir, la manipuler et la retourner comme une crêpe. » Nier la provocation dans la prolifération du voile, serait faire preuve de naïveté.

 

Cependant, que faire ? La méthode forte est inefficace et fait le jeu de l’extrême-droite. La tolérance totale est tout aussi inefficace et est signe de faiblesse.

 

En l’espèce, on s’attaque aux effets et non aux causes. Le voile (ou plus exactement le foulard) fait partie de la culture des femmes musulmanes, car la religion – qu’on le veuille ou non – véhicule une culture, même si certaines intellectuelles qui ont rompu avec l’Islam considèrent que le voile comme Chahla Charif que « le voile marque le corps comme un lieu de péché. » Et nous nous trouvons encore une fois dans l’ambigüité : foulard expression d’une culture et d’une tradition, ou symbole de l’infériorité de la femme ? Il n’y a pas ici non plus de réponse claire.

Les femmes voilées ne sont pas toujours des esclaves soumises. Qui est la plus soumise des deux ? Cette femme au foulard ou cette fille dévêtue posant pour la pub d'une voiture ?

Les femmes voilées ne sont pas toujours des esclaves soumises. Qui est la plus soumise des deux ? Cette femme au foulard ou cette fille dévêtue posant pour la pub d'une voiture ?

 

Ce foulard a été effectivement brandi par les zélateurs de l’islamisme. En 1989, en France, Jospin était ministre de l’Education nationale, plusieurs intellectuels laïques dont Elisabeth Badinter se sont inquiétés de l’extension du port du voile et de tenues musulmanes dans les écoles de la République. Jospin craignit provoquer l’affrontement et renvoya la patate chaude au Conseil d’Etat français. Le même phénomène s’est produit en Belgique et les autorités ont également fait preuve de pusillanimité, c’est-à-dire la pire des réponses.

 

En France, une loi interdisant le port de signes religieux « ostensibles » a été votée en 2004. Certes, le voile a disparu des lycées et collèges, mais le problème reste entier. On s’est attaqué à un symbole et non au fond des choses. On a voulu préserver un semblant de laïcité alors que l’on est incapable de maintenir les bases mêmes d’un enseignement laïque.

 

L’islam, la deuxième religion

 

D’aucuns pensent que les principes de la laïcité peuvent s’appliquer partout. C’est une erreur. En France, nous ne sommes plus à l’époque de la fameuse loi de 1905 qui a fixé les limites de l’influence de l’Eglise et imposé la priorité de l’Etat. En 1905, il y avait en France une religion dominante – la catholique – et une population homogène, ou plutôt homogénéisée jusque dans les années 1960. Aussi, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat fonctionnait sans trop de problèmes.

 

Par après, suite à la guerre d’Algérie et surtout à cause de l’immigration massive de gens issus essentiellement de l’ancienne Afrique du Nord française, la religion musulmane a pris une extension considérable au point qu’elle est devenue la deuxième religion en France, comme en Belgique. Rien n’a été prévu pour assurer une vie décente aux immigrés. Au début, on eut l’illusion de penser qu’ils rentreraient chez eux. Ensuite, on a procédé au regroupement familial et la situation devint désormais incontrôlable. En dépit des promesses électorales et de mesures légales qui ont montré leur inefficacité, l’immigration s’est poursuivie et elle est devenue clandestine. Ce qui est évidemment le terreau de la délinquance et de l’islamisme.

 

Les gouvernements, selon leurs tendances, procèdent soit à des régularisations massives, soit à une répression dont le caractère odieux n’échappe à quiconque attaché au respect des droits fondamentaux. Résultat : tensions accrues, ghettoïsation, désocialisation des personnes et particulièrement des jeunes issus de l’immigration.

 

Aussi, s’ils cherchent refuge dans la religion et sa branche la plus radicale, il n’est dès lors pas étonnant que les groupes salafistes se meuvent dans cette population comme un poisson dans l’eau, pour reprendre la célèbre expression de Mao Tse Toung.

 

Comment dès lors appliquer les principes de la laïcité dans les écoles où les jeunes musulmans sont majoritaires ? On a créé des gadgets comme les ZEP (zones d’éducation prioritaires), on a tenté toute une série d’expériences pédagogiques, rien n’y fit.

 

Si on veut s’en sortir, si on veut ne pas gaspiller une génération il faudra mettre les moyens – des moyens considérables – et accepter les différences. On est loin d’être prêts. Cette période d’austérité qui cache mal une volonté de destruction de la puissance publique dans laquelle il faut compter l’enseignement, est nuisible et ne contribuera qu’à exacerber les différences que l’on prétend vouloir effacer.

 

On prétend également lutter contre le communautarisme. Il existe et il ne gêne en rien les néolibéraux qui rêvent de casser le modèle républicain. Cela n’empêche que l’on prône des politiques répressives qui sont non seulement inefficace et qui restreignent les libertés. De plus en plus, on pratique la répression préventive, c’est-à-dire que l’on réprime des intentions plutôt que des actes.

 

Certains journaux dont l’hebdo bruxellois « Le Vif » lancent des accusations à l’égard d’associations dirigées par des intellectuels et des personnalités honorablement connues. C’est le cas de Tayush à Bruxelles qui est accusé d’être une officine des Frères musulmans.

L'image symbole de Tayush considéré par le "Vif" et le CCLJ comme une officine secrète des Frères musulmans. Il y a certaines théories du complot qui conviennent parfaitement aux milieux bien-pensants.

L'image symbole de Tayush considéré par le "Vif" et le CCLJ comme une officine secrète des Frères musulmans. Il y a certaines théories du complot qui conviennent parfaitement aux milieux bien-pensants.

 

Tayush (« coexistence » en arabe classique) est né en 2010 d’une association où se rencontrent des personnes issues de l’immigration et de la société d’accueil. « Tayush est une association de fait. Elle rassemble ses membres sur une base individuelle, en veillant à la pluralité de leurs orientations religieuses ou philosophiques et à une présence équilibrée des femmes et des hommes en son sein. » Elle a ce qu’elle appelle une « carte de visite » et a comme projet une société « inclusive » pratiquant le pluralisme actif et prône le respect des droits fondamentaux, l’égalité hommes-femmes et la neutralité-laïcité. Pas exactement l’idéologie des Frères musulmans !

 

Tayush se positionne à gauche et compte en son sein des personnalités comme Henri Goldman, Mateo Alaluf, de nombreux musulmans progressistes, des femmes et des hommes du monde progressiste et de toutes origines. Il y a là une manipulation d’une certaine presse conservatrice qui entretient la tension et c’est insupportable.

 

Le choc des civilisations

 

Ces tensions exacerbées par les attentats des 7 et 9 janvier provoquent la résurgence de la théorie du « choc des civilisations ». En plus, les crimes abominables de Daesh ainsi que le saccage des sites archéologiques les plus vénérables d’Irak entraînent une indignation bien justifiée en Europe comme dans certains pays musulmans. Mais ces atrocités ne font-elles pas partie d’une stratégie bien établie ?

 

Daesh est très bien équipé et armé. Avec quels moyens ? Qui se cache derrière ces assassins ?

Daesh est très bien équipé et armé. Avec quels moyens ? Qui se cache derrière ces assassins ?

 

On peut se poser des questions sur le phénomène Etat islamique : n’est-il comme Al Qaïda la créature des Occidentaux eux-mêmes ? Al Qaïda fut fondée par les Américains dans les années 1980 pour lutter contre les Soviétiques en Afghanistan. Daesh est issu de la guerre en Syrie et les Américains, les Français, les Israéliens et les Saoudiens ont vu dans la résistance syrienne sunnite contre le régime chiite de Bachar El Assad une possibilité d’éliminer le Hezbollah libanais qui soutient Assad et qui est financé par l’Iran. On s’inscrit là dans une perspective géopolitique où l’islamisme n’est qu’un instrument : la lutte entre l’Arabie Saoudite et les Emirats gaziers et pétroliers d’une part, contre l’Iran et la Syrie d’autre part, pour le contrôle des gisements et des sources d’approvisionnement en pétrole et en gaz.

 

Mais, comme avec Al Qaïda, les Occidentaux ont généré un monstre sur lequel ils n’exercent plus le contrôle.

 

La page littéraire du « Monde » du vendredi 6 mars donne une très bonne définition sous la plume d’Etienne Anheim : « L’islamisme et l’extrême-droite ont en commun la croyance en une essence éternelle de la religion musulmane. Elle se caractériserait en particulier de tout temps et en tout lieu par une hégémonie religieuse absolue, réduisant la vie sociale et politique aux prescriptions coraniques. »

 

Beaucoup pensent qu’il existe les musulmans « modérés » et les islamistes. La réalité est plus complexe. L’islamisme qui est très bien défini ici, agit sur les peuples musulmans comme le firent le nazisme et le stalinisme sur les peuples européens. Ils imposèrent leurs idées par les techniques de propagande et par la terreur. Et, contrairement aux affirmations de certains observateurs et penseurs, ces courants s’épanouissent sur le limon de la misère, de la dictature et de la déculturation. Et pourtant, l’Islam aujourd’hui détourné et mal connu est le vecteur d’une grande civilisation.

 

Or, « de même que la chrétienté du Moyen-âge ne se réduit pas au christianisme, l’ « islam », comme religion, ne résume pas tout l’ « islam » qui a aussi une histoire sociale, économique ou politique.

 

Il faut donc renoncer à la caricature d’un monde emprisonné à cause de sa religion, dans l’alternative entre théocratie et despotisme. »

 

Nous devons revoir nos schémas sans pour autant transiger.

 

Il ne s’agit donc pas entre le monde chrétien et le monde musulman d’un choc de civilisation avec pour base la religion, mais de relations parfois guerrières entre les peuples. La fameuse bataille de Poitiers en 732 ne fut pas la victoire de la chrétienté sur l’islam, mais une victoire franque sur des conquérants arabes où ni la chrétienté, ni l’islam en furent les enjeux. C’est ce que démontrent des historiens contemporains comme Philippe Sénac et Christophe Picard.

 

Nous devons – surtout en cette période difficile – revoir nos schémas. Il y a des limites à ne pas franchir : on ne peut transiger sur l’égalité hommes femmes, sur la liberté d’expression, sur l’école laïque et républicaine, car ils forment le fondement de notre société. Mais de l’autre côté, nous devons accepter les différences à partir du moment où elles ne veulent pas s’imposer aux autres. Et surtout considérer que les populations laissées pour compte en nos contrées méritent la plus grande attention, si on veut éviter un affrontement majeur. C’est cela la condition d’une vraie coexistence.

 

Pierre Verhas

 

Le voile islamique à l’université n’est pas une mode vestimentaire. Ni religieuse...

 

Mon âge fait que j’ai connu des contextes multiples et variés. Je vais en décrire trois, en remontant dans le temps.

 

Il y a une vingtaine d’années, j’étais responsable d’un DEA à l’université de Poitiers. Je reçois un jour une demande de rendez-vous de la part d’une étudiante égyptienne qui souhaite poursuivre ses études en Poitou. À l’heure convenue, elle entre dans mon bureau, précédée par un homme très élégant, habillé à l’occidentale, la barbe bien taillée, qui se présente comme son mari. L’étudiante, quant à elle, est habillée à l’orientale, presque entièrement voilée : je distingue ses yeux, son nez et sa bouche. Ses mains sont gantées. Sous sa robe aux couleurs sobres, je devine un pantalon. Lorsqu’elle s'installe sur le siège que je lui offre, je découvre de grosses chaussettes grises. Nous sommes en juin, il fait bien chaud.

 

Je lui pose les questions d’usages dans ce type d’entretien : quel a été son cursus jusqu’alors, sur quel auteur envisage-t-elle de travailler, pourquoi, selon quelle problématique, etc. ? À chaque fois, c’est le mari qui me répond. À aucun moment, je n’entendrai le son de la voix de cette dame qui m’avait salué d’un rapide signe de tête en entrant dans mon bureau. In pectore, je me demande ce qu’elle est venue faire dans une université française. Je suis hors de moi car – je vais y revenir – j’ai vécu et travaillé précédemment en pays musulman. Je lui dis calmement qu’il est exclu de poursuivre notre collaboration tant que je ne l’entendrai pas s’exprimer en français, éventuellement en anglais. Je la salue donc. Je ne l’ai jamais revue.

 

Dans les années 1980, j’ai vécu en Côte d’Ivoire et au Sénégal. À l’époque, la population ivoirienne était musulmane à 30-40%. Au Sénégal, les musulmans étaient très largement majoritaires (environ 90%). Dans ces deux pays, je n’ai jamais vu une seule femme intégralement voilée. Y compris dans des villes comme Odienné et son immense mosquée, ou encore Touba, en pays mouride, où l’islam est vécu de manière très intense. Je pourrais ajouter que je n’ai jamais rencontré de femmes intégralement voilées au Burkina Faso, au Mali (qui souffre beaucoup ces temps-ci) ou au Niger (85% de la population est musulmane). Dans les universités d’Abidjan et de Dakar où j’ai enseigné, les collègues et les étudiantes musulmanes étaient vêtues à l’occidentale ou à l’africaine (soit de manière permanente, soit en alternant), leurs cheveux étant couverts, ou pas (les tresses et autres parures capillaires n'étaient pas élaborées pour les chiens !). Les hommes étaient le plus souvent vêtus à l'occidentale, parfois d'un boubou africain. En plus des congés et fêtes « chrétiennes », ces deux pays célébraient le ramadan, l’Aïd el Kebir (dénommé Tabaski – mot wolof – dans cette partie de l’Afrique) étant chômé. Il n’y avait strictement aucun problème, aucune tension, aucun prosélytisme déplacé. Je me souviens qu’un adventiste du septième jour, qui nous avait dit ne pas vouloir composer le samedi, s’était fait rembarrer par le doyen (musulman pratiquant) pour qui aucune dérogation n’était prévue pour les adventistes, les mormons, les Témoins de Jéhovah, etc.

 

Je remonte jusqu’à ma prime enfance, dans la première moitié des années cinquante. Mes grands-parents habitent un village du Lot-et-Garonne où résident, depuis un bon moment, une petite dizaine de familles d’origine maghrébine, de nationalité française. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elles sont bien intégrées au reste de la population, composée, pour un quart, d’immigrés européens. Les femmes sont vêtues de manière « mixte », un peu à l’algérienne, un peu à la française. Le boucher est juif, fort peu pratiquant. De toute façon, il n’y a pas de synagogue à des lieues à la ronde. Je ne l'ai jamais vu coiffé d'une kippa. Il fête la pâque juive en famille, en compagnie de sa femme et de ses beaux-parents (non juifs). Il a un nom allemand. Né vers 1925, il est le seul rescapé de sa famille. Il ne vend rien de halal ou de casher. Toute la population du village, lot-et-garonnais de souche (« comme on dit »), immigrés européens ou maghrébins, se fournit chez lui, au même étal. La viande est découpée avec le même couteau, le même hachoir. Il n’y a strictement aucun problème identitaire. Les enfants maghrébins, les enfants d’origine italienne ou espagnole parlent la même langue : le français du Lot-et-Garonne, pas cette construction complètement artificielle qu’on appellera le français des banlieues. D’ailleurs, ces gosses ne savent même pas ce qu’est une banlieue. Il y a trois familles originaires du nord de la France, dont mes grands-parents. Ils sont agnostiques et mangent de tout. Dans quelques mois débutera la Guerre d’Algérie. Cela ne changera strictement rien à rien.

 

Tout cela pour dire que le voile intégral, les burqas de Londres – et parfois de Lyon, les tentes Trigano noires qui rasent les murs, ne sont pas tombées du ciel, ni même du Coran. Elles relèvent du monde séculier, du prosélytisme, du militantisme, de la provocation. Le Pen père les adore car, comme il l’a exprimé à plusieurs reprises, « comme ça, on peut les compter ». Les extrémistes de droite de tout pays, comme les extrémistes religieux, ont un point commun : ils savent admirablement jouer avec – et se jouer de – la République qu’ils vomissent. Et plus cette République n’a à offrir qu’un ventre mou, plus ils savent s’en servir, la manipuler et la retourner comme une crêpe.

 

Etudiantes voilées tunisiennes

Etudiantes voilées tunisiennes

 

Se pose aujourd’hui le problème du port du voile intégral dans les universités. Lorsqu’il avait fait légiférer (à reculons), Lionel Jospin, par mollesse et paresse intellectuelle, avait écarté l’université du champ de la loi au motif que les étudiants étaient majeurs et qu’il ne fallait pas jeter de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, on ne sait plus comment se saisir des patates chaudes et des bombes métaphoriques qui surgissent à tous les coins de rue. On se souvient de ce très bon film de Bertrand Tavernier L 627. Un flic de terrain (Didier Besace) est chargé de lutter contre un réseau de revendeurs de stupéfiants. Le film est moins un polar que la description réaliste du travail des policiers dans les quartiers délabrés, relégués hors du champ social. Alors que Besace est dans son bureau avec quelques revendeurs qu’il a coincés, un collègue entre sur un : « Il y en a marre de tous ces Arabes ! ». Besace lui répond : « Des Arabes, où as-tu vu des Arabes ? Moi, je vois des prolétaires, des pauvres. »

 

Les récentes et dérisoires incantations au « vivre ensemble » dans la « société commune » laissent soigneusement de côté la seule question qui vaille : un Arabe qui voile sa femme ou sa fille est, neuf fois sur dix, un prolétaire ségrégué (oui, l'apartheid social existe depuis longtemps !), même s’il est un monstre comme Coulibaly, notre symptôme, notre créature, la face cachée de notre société. Voiler les femmes ne contribuera certainement pas à les émanciper intellectuellement et socialement.

 

Jean-Loup Salzmann, le président de la Conférence des Présidents d’Université s’est déclaré totalement opposé à l’interdiction du voile, dont il estime qu’elle violerait la loi de 1905 sur la laïcité : « Cette loi, à laquelle je suis particulièrement attaché, impose la tolérance, la liberté de pensée et d’expression. Pas seulement la liberté d’exprimer ses idées dans la presse satirique, mais aussi la liberté de culte, qui est tout aussi importante. Respecter la religion de l’autre, qu’elle s’accompagne ou non de signes ostensibles, fait partie intégrante de l’obligation de tolérance imposée par cette loi. » Salzmann ajoute par ailleurs qu’il ne sait pas « s’il y a aujourd’hui plus d’étudiantes qui portent le voile qu’il y a dix ans ». Cet universitaire à la vue basse en France devrait tenter sa chance outre-Manche. Dans Oxford Street, à Londres, il croiserait l'été des princesses saoudiennes légères et court vêtues. Preuve que, même chez les plus purs, des accommodements sont possibles. Mais c’est le mot « culte » qui me gêne surtout dans son propos : en quoi l’Université d’État devrait-elle être un lieu de culte ? Le problème est qu’elle le devient chaque jour davantage, avec des demandes de certains étudiants (pas les adventistes du septième jour, pour le moment) pour pouvoir prier dans des lieux consacrés aux dévotions, avec le refus d’amphithéâtres mixtes, d’interrogateurs du sexe opposé, des exigences de repas hallal au restaurant universitaire, etc. Il faut s’attendre à ce que, pour ne donner qu'un exemple, on trouve, à côté des meilleurs travaux scientifiques sur l’origine des langues, une version « coranique » du langage transmis aux hommes (aux femmes, peut-être) par Seth, le fils d’Adam. Vous savez, celui qui vécut plus de 900 ans. Interdire le voile, ajoute Salzmann, « aurait un côté sexiste ». Bêtement, j’avais toujours pensé que le sexisme était du côté de ceux qui l’imposaient. Vouloir le retrait du voile, estime également Salzmann, c’est saboter le rôle d’ascenseur social de l’Université pour les jeunes musulmanes. Je ne dirais pas que celle-là, c’est la meilleure, mais, venant d’un universitaire favorable à la LRU, loi dont l’un des objectifs est, justement, de détruire l’Université en tant que bastion de la République, cette appréciation est douloureusement amusante.

 

Le port du voile dans les enceintes universitaires, comme d’autres exigences mentionnées plus haut, relèvent du prosélytisme politique, d’une propagande oppressante qui laisse de nombreux enseignants désemparés. À titre personnel, j’avoue que, de manière pragmatique, je suis mal à l’aise face à une femme en burqa. Cela m’est arrivé à plusieurs reprises dans les couloirs d’une piscine lyonnaise où elle et moi (et d’autres) attendions nos enfants. Je ne savais que lui dire, ne serait-ce que pour tuer le temps, mais surtout je ne savais pas quel code utiliser. Pour nous séparer physiquement et mentalement, cette tente de camping noire était plus efficace que le Mur de Berlin. Une étudiante lourdement voilée, un étudiant arborant une barbe non taillée, infligent aux autres – sans dire un mot, sans échanges, ce qui est tout à fait glaçant – une conception violente de leur utilisation politique et religieuse des institutions de la République.

 

Le « Rapport Tuot », remis en 2013 à Jean-Marc Ayrault, solférinien encore plus mollasson que Lionel Jospin, semble avoir été remisé. Ce qu’il proposait ne sera vraisemblablement pas mis en œuvre à terme. Mais que le brillant haut fonctionnaire Thierry Tuot, pur produit de l’École de la République (petit-fils d’agriculteur, fils d’instituteur) ait pu proposer, au prix d’un anglicisme hideux, une société « inclusive », c’est renverser les perspectives. Ainsi, chaque service public eût été soumis à une obligation de repérage des discriminations qu’il produit. C’est bien connu : ce ne sont pas les jeunes femmes voilées qui se discriminent elles-mêmes, c’est l’université qui les discrimine.

 

Sourions un peu. Les 2 000 policiers sikhs britanniques sont autorisés à porter le turban et à rouler en moto sans casque. Le gouvernement fédéral canadien permet aux sikhs de conserver leur poignard (avec lame à double tranchant) à l’intérieur des ambassades et autres missions étrangères (les Québécois sont opposés à ce qui est pour eux une atteinte à la Charte de la laïcité).

Les policiers sikhs britanniques sont autorisés à porter le turban.

Les policiers sikhs britanniques sont autorisés à porter le turban.

 

Suivons les exemples anglo-saxons et laissons la République céder à toutes les pressions. Au nom des cultures et du respect pour les différences.

 

PS : Petite question pour le président Salzmann. En septembre dernier, vous accueillez une étudiante de première année. Voilée. Où était cette étudiante trois mois auparavant ? Elle était en terminale, au lycée. Non voilée, forcément.

Des hommes afghans ont défilé à Kaboul en portant des burqas afin de dénoncer le sort des femmes afghanes.

Des hommes afghans ont défilé à Kaboul en portant des burqas afin de dénoncer le sort des femmes afghanes.

 

Heureusement, il semble que, loin du président Salzmann, les choses bougent. Des hommes afghans ont défilé dans les rue de Kaboul en burqa jeudi 5 mars 2015. En solidarité avec les femmes qui ont eu l'obligation de porter ce vêtement à la fin des années 1990. Cette action rappelle celle de Turcs qui, au mois de février, avaient enfilé des jupes pour soutenir des femmes.

 

Bernard Gensane

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4 mars 2015 3 04 /03 /mars /2015 11:01

 

Dans une interview exclusive au quotidien économique français « hétérodoxe » en ligne « Le Contrarien » dirigé par l’économiste Charles Sannat, le célèbre ministre des Finances grec Yanis Varoufakis fait le point sur sa vision des choses et sur les négociations entre la Grèce et l’Union européenne sur la question lancinante et dramatique de la dette.

 

Il dénonce une Europe qui « place les règles au-dessus de la logique macroéconomique ». En clair, il montre qu’il ne s’agit pas de trouver une solution pour sauver la Grèce et rééquilibrer la zone Euro, mais qu’il s’agit en fait d’un affrontement idéologique. Yanis Varoufakis démontre d’ailleurs que toutes les propositions qu’il a mises sur la table – notamment émettre des obligations indexées sur le PIB – ont été balayées. Il a une explication : « Se retourner vers les stéréotypes comme explication ne peut que nous empêcher de comprendre les causes de notre crise commune. »

 

Varoufakis explique que tous sont d’accord pour envisager le « défaut », c’est-à-dire l’annulation d’une partie de la dette, mais selon la position occupée on use de termes différents pour dire la même chose. C’est une querelle de novlangue !

 

Le ministre des Finances hellène se montre optimiste tout en restant lucide. Il appelle les Européens à prendre aussi leurs responsabilités notamment dans la lutte contre la fraude fiscale. En effet, sans une collaboration étroite entre les Etats membres de l’Union, il sera impossible d’être efficace en la matière. Quand on voit les récents scandales qui ont éclaté en France et en Belgique, les (vrais) responsables feraient bien de se secouer !

 

Les politiques mortifères qui ruinent l’Europe depuis la crise financière de 2008 ont provoqué un choc considérable. Un contrechoc peut se produire. Et il viendra sans doute d’Athènes.

 

 

Pierre Verhas

 

 

Yanis Varoufakis est déterminé dans sa ligne politique et sait comment négocier à long terme.

Yanis Varoufakis est déterminé dans sa ligne politique et sait comment négocier à long terme.

 

Charles Sannat : Vous vous définissez vous-même comme un «contrarien». Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Yanis Varoufakis : Dans un monde où le paradigme dominant fait obstacle au partage de la prospérité, à la justice et à la liberté, il incombe à ceux qui tiennent ces principes pour fondamentaux de s’opposer au prêt-à-penser. S’opposer aux opinions et aux règles juste pour le principe de s’opposer ne rime à rien et est dangereux. Mais s’opposer à ce qui sape systématiquement les valeurs sur lesquelles repose une société civilisée est un devoir moral.

 

CS : Vu de France, on a l’impression que dans les négociations en cours entre l’Europe et la Grèce on n’est d’accord sur rien et que les institutions européennes sont intraitables. Est-ce une impression ou la réalité ?

 

YF : Il y a forcément des points sur lesquels nous sommes d’accord. En effet, il est dans l’intérêt de tous en Europe, y compris de celui de nos créanciers, que la Grèce retrouve une croissance nette. A mes yeux, le problème semble être que l’inflexibilité de l’Europe quant à la politique qu’elle mène vient de ce qu’elle est résolue, ce que l’on peut comprendre, sans pour autant trouver cela judicieux, à ne pas admettre que le « remède » appliqué depuis cinq ans n’a fait qu’aggraver une situation déjà très mauvaise.

 

CS : L’Europe est-elle devenue une entreprise punitive, une Europe père-fouettard, non seulement pour la Grèce mais par voie d’extension, à terme, pour tous les pays de la zone euro qui sont dans la difficulté.

 

YF : Actuellement, mon travail consiste à établir des relations au sein d’une Europe qui place les règles au-dessus de la logique macroéconomique et qui considère l’arrangement actuel comme bien plus important que d’imaginer comment l’Europe et la zone euro devraient être conçues pour bien fonctionner. Ces efforts de rapprochement sont importants parce que sans eux des millions d’Européens souffrent inutilement tandis que « l’Europe » devient impopulaire parmi les Européens, ce qui ne profite qu’aux ultranationalistes et aux sectaires.

 

L'objectif réel : maximiser l'autorité politique sur les nations déficitaires - en clair, les mettre sous la tutelle de la «Troika».

 

CS : Lorsque j’analyse la situation économique de la Grèce (et je ne suis pas le seul à penser ainsi), la dette grecque n’est tout simplement pas remboursable. La notion de remboursement de la dette semble être un point d’achoppement dans les négociations en cours. Pourtant, nous savons tous qu’elle n’est pas remboursable. Qu’est-ce que cela cache, alors que la priorité devrait être de résoudre d’urgence la crise humanitaire que connaît votre pays ?

 

YF : Ce qui est peut-être le plus triste dans tout ceci est que, en fait, tout le monde est d’accord. On me dit constamment que le mot « décote » [en anglais, haircut, c.-à-d. l’annulation pure et simple d’une partie de la dette - NdT] est politiquement toxique mais, en même temps, on me dit que nos créanciers seraient prêts à discuter d’un allongement substantiel de la maturité de la dette avec une réduction concomitante des taux d’intérêt – ce qui revient en fait à une… décote substantielle. Il est étrange que lorsque nous faisons une contre-proposition consistant à émettre des obligations indexées sur le PIB nominal, qui offriraient à nos créanciers un rendement potentiellement supérieur, celle-ci soit rejetée. La seule explication à ce mystère est que la question de la dette n’a pas grand-chose à voir avec… la dette elle-même, que notre dette est une « variable de contrôle », comme disent les mathématiciens, dans le contexte d’un exercice de « planification » dont l’objectif est de maximiser l’autorité politique sur les nations déficitaires. S’il y a une autre explication, je serais ravi de l’entendre.

 

CS : Vous défendez aujourd’hui l’idée de maintenir la Grèce dans la zone euro. Nos économies étant hétérogènes, en l’absence d’un mécanisme d’harmonisation, je pense pour ma part que l’euro est condamné. Alors, pourquoi faut-il selon vous rester dans la zone euro ?

 

YF : Parce que je ne peux pas imaginer un mécanisme par lequel nous pouvons dissoudre la zone euro sans que cela déclenche une crise massive qui écrasera encore un peu plus les dépossédés et tous ceux qui ont supporté le plus lourd fardeau de la crise de l’euro. La zone euro peut-elle être stabilisée sans infliger de souffrance supplémentaire pour cause d’austérité ? Je le pense, et c’est pourquoi, avec Stuart Holland (1) et James Galbraith (2), nous nous sommes tellement investis dans notre Modeste proposition pour résoudre la crise de l’euro.

 

Stuart Holland économiste et ami de Yanis Varoufakis

Stuart Holland économiste et ami de Yanis Varoufakis

James Galbraith, un des chefs de file des «hétérodoxes»

James Galbraith, un des chefs de file des «hétérodoxes»

 

CS : Personne ne veut être le fossoyeur de l’euro. Pourtant, la Grèce pourrait être la première à en sortir. Que pensez-vous de cette hypothèse ?

 

YF: En novembre dernier, Mario Draghi a dit que pour que l’euro soit un succès dans quelque pays que ce soit il doit être un succès dans tous les pays. Je pense qu’il a raison. Dans ce contexte, toute tentative de se servir du « Grexit » comme d’une menace ne fait que déstabiliser une zone euro déjà fragile, et constitue par conséquent une manœuvre d’une effrayante irresponsabilité.

 

CS : Selon vous, en cas de rupture entre les pays faibles et les pays forts de la zone, ne pensez-vous vous pas que la sortie de l’Allemagne serait plus efficace, les autres pays conservant alors l’euro sans l’Allemagne ?

 

YF : Dans le cas hypothétique d’une fragmentation de la Zone euro, il ne fait aucun doute que la sortie d’un pays excédentaire est de loin préférable à celle d’une nation déficitaire. Lorsqu’un pays jouissant d’un excédent de sa balance des opérations courantes quitte une union monétaire, sa monnaie s’apprécie alors que les capitaux affluent vers son économie. Ce rééquilibrage compense les pertes encourues par la dépréciation des actifs dans les pays qui restent dans l’union. Bien qu’il existe un risque de récession, à cause de l’augmentation du taux de change et de la perte résultante de marchés, la situation qui en résulte est acceptable en comparaison à l’implosion qu’engendrerait la sortie de l’union des pays déficitaires, leur monnaies se dévaluant massivement et eux étant poussés au défaut sur les dettes privées et publiques libellées en euro.

 

Ceci dit, toute sortie de nations excédentaires ou déficitaires, en particulier à un moment où l’Europe est en déflation et que les investissements sont historiquement bas, provoquerait partout de très graves problèmes. Voilà pourquoi je dis que nous avons l’obligation de réparer l’euro, en particulier ceux d’entre nous qui critiquent sa conception !

 

CS : L’un des points essentiels de l’accord intérimaire signé avec l’Eurogroupe est la lutte contre l’évasion fiscale. Pensez-vous vraiment être en mesure de faire rentrer l’impôt ?

 

YF : Oui. Nous manquons peut-être d’expérience gouvernementale mais, croyez-moi, nous sommes déterminés. Notre grande force est que nous ne sommes les obligés de personne. Aucun d’entre nous, pour financer sa campagne électorale, n’a reçu le moindre euro de la part des intérêts particuliers auxquels nous allons nous attaquer. Cependant, ce qui est crucial pour régler ce problème est que nos partenaires européens nous offrent du temps et de l’espace pour mener à bien cet objectif en relative tranquillité.

 

L'effroyable logique de la punition collective

 

CS : Vu de France, pour beaucoup, la Grèce l’a bien cherché. Personnellement, je considère que l’on peut tous être grecs et que ce qui arrive à votre peuple pourrait arriver au nôtre.

 

YF : La logique de la punition collective est absolument effroyable. Elle est bannie en temps de guerre et devrait être bannie en temps de paix. A moins que le peuple français ne comprenne qu’il n’y a rien de tel qu’un Grec « typique », penser de cette manière ne peut que nourrir les stéréotypes visant les Français, les Allemands ou les Italiens – autant d’idées reçues qui nous empêchent de penser intelligemment, en tant qu’Européens, quant aux véritables causes de la crise. Avant 2008, l’argent s’écoulait en quantités phénoménales des pays excédentaires vers les pays déficitaires. Cet afflux d’argent provoqua des bulles qui ont ensuite éclaté. Et lorsque celles-ci ont éclaté, les pays déficitaires se sont retrouvés engloutis sous des montagnes de dettes impossibles à servir, avec un PIB nominal en réduction et des politiques d’austérité qui ont encore un peu plus réduit les revenus avec lesquels ces dettes, anciennes ou nouvelles, auraient pu être remboursées. C’est pourquoi la Grèce se trouve là où elle en est actuellement et c’est aussi pourquoi la France est à la peine. Se retourner vers les stéréotypes comme explication ne peut que nous empêcher de comprendre les causes de notre crise commune.

 

CS : Quelle est la véritable situation sociale en Grèce et pensez-vous que nous pourrions faire partie des prochains sur la liste ?

 

YF : Privation et pauvreté absolue, ce qui est très difficile à mesurer pour qui habite en Europe du Nord ou en Europe centrale. En outre, la classe moyenne est en état d’asphyxie économique totale. Je vous donne un seul exemple : sur les 5 millions de Grecs actifs, 3,5 millions ont des arriérés vis-à-vis de l’Etat pour des sommes inférieures à 3000 euros – et ils ne peuvent pas les rembourser.

 

La grossière violation des principes démocratiques

 

CS : Depuis plusieurs semaines, des dizaines de milliards d’euros quittent la Grèce. D’importantes quantités d’or physique sont achetées par les Grecs. Cela est-il le présage d’une sortie ordonnée de la Grèce de la zone euro, au moment où Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph, rapporte que certaines personnes dans « les milieux artistiques » font circuler des ébauches de nouveaux billets libellés en drachmes (et pas uniquement pour épater la galerie) ? Doit-on s’attendre à une sortie de la zone euro dans les prochains mois ?

 

YF : Le gouvernement précédent a mené sa campagne en utilisant la tactique de la peur qui consiste à « promettre » que s’ils devaient perdre les élections, les banques fermeraient une semaine plus tard et la sortie de la Grèce de l’euro s’ensuivrait. Faut-il s’étonner que lorsqu’un gouvernement en place brandit un tel épouvantail les gens aient peur ? Et lorsqu’en outre des voix similaires s’élèvent en Europe – certaines d’entre elles parmi les autorités constituées – il est aisé de faire en sorte que cette peur grandisse et grandisse encore. Mais faites une pause un moment et pensez au coût immense d’un « Grexit », non seulement pour nous les Grecs, mais pour tous ceux qui sont impliqués dans l’aventure. Cela vaut-il la peine juste pour empêcher notre gouvernement d’avoir la chance d’éliminer les oligarques et les corrompus ? Je ne le pense pas. C’est pourquoi j’en appelle à mes amis français pour qu’ils résistent à cette grossière violation de la logique et des principes démocratiques.

 

CS : On voit bien année après année l’incapacité de la France à respecter les objectifs budgétaires et de dette fixés par l’UE. Vous avez rencontré Michel Sapin. Que faudrait-il pour qu’un axe majeur Paris-Athènes puisse émerger ?

 

YF : Une France plus forte.

 

CS : Enfin, Avez-vous un message particulier à adresser au peuple français?

 

YF : Je pense en avoir un : il est temps que l’on se remette à rêver d’Europe comme d’un lieu où la prospérité se partage, plutôt que d’une cage de fer dans laquelle une majorité d’Européens se sentent étouffés et trahis. Si notre nouveau gouvernement est liquidé, la France ne parviendra pas à sauver l’idée d’une Europe qui concorde avec le triptyque «Liberté – Egalité – Fraternité».

 

(1) Stuart Holland est un économiste britannique né en 1940. Il a participé entre autres à l’élaboration de l’Acte unique européen de 1992 à la demande de François Mitterrand. Il y prônait une révision du Traité de Rome afin d’assurer une meilleure cohésion économique et social au sein de l’Union européenne. Il a collaboré avec le Premier ministre portugais pour le compte de la Banque européenne d’Investissement où il prôna d’investir d’abord dans l’éducation, la rénovation urbaine et les hautes technologies. En 2010, Stuart Holland a publié un livre « pensées pour le monde de l’après 2008 » avec Yanis Varoufakis.

 

(2) James Galbraith est né en 1952 dans l’Arizona. Il est le fils de John Kenneth Galbraith. Il est économiste diplômé de l’université de Harvard.

 

Il a écrit : « De nos jours, la marque de fabrique du capitalisme américain moderne n’est ni une compétition bénigne, ni la lutte des classes, ni l’utopie d’une classe moyenne inclusive. À la place, la prédation en est devenue la caractéristique dominante — un système dans lequel les riches en sont arrivés à festoyer sur des systèmes en déchéance conçus pour la classe moyenne. La classe prédatrice ne contient pas tous les gens aisés ; elle peut être combattue par beaucoup d’autres personnes du même niveau de richesse. Mais c’est là sa propriété caractéristique, sa force motrice. Et ses agents sont en plein pouvoir du gouvernement sous lequel nous vivons. »

 

Il ajoute en ce qui concerne sa profession : « Les figures dominantes contemporaines de l’économie, à savoir la génération des quadragénaires et des quinquagénaires, se sont réunies pour former une sorte de politburo de la pensée économiquement correcte. »

 

Les revendications exprimées ce 3 mars par les étudiants en économie des Universités de Louvain et de Bruxelles pour que les cours ne soient pas orientés uniquement vers l’économie de l’offre prennent dès lors une tout autre dimension à lire les propos de James Galbraith.

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2 mars 2015 1 02 /03 /mars /2015 22:53

 

Le bruit de la guerre se fait de plus en plus entendre en Europe et au Moyen Orient. L’Ukraine est le champ clos d’un affrontement stratégique pour le contrôle des gazoducs et aussi dans le but d’affaiblir la Russie en étendant le champ d’influence de l’OTAN. Les voix les plus alarmistes laissent entendre qu’un affrontement majeur entre les forces occidentales et les restes de l’ancienne Union Soviétique est imminent.

 

 

Au Proche Orient, un Etat islamique né semble-t-il de la guerre civile en Syrie sème la terreur entre le Tigre et l’Euphrate jusqu’aux frontières de la Turquie et a installé une « filiale » en Libye. Et on passe sous silence que les Islamistes radicaux contrôlent aussi une grande partie du Sinaï. Cette entité s’affublant le titre de califat, dotée de moyens considérables, répand une terreur sanguinaire dans tout le Moyen Orient et on la soupçonne d’être à la base des attentats meurtriers en Belgique et en France.

 

 

Netanyahou, le Premier israélien, qui est candidat à sa succession aux toutes prochaines élections législatives israéliennes, semble plus mener campagne aux Etats-Unis qu’en Israël. Son objectif est de torpiller avec l’accord des républicains et des néoconservateurs US, les négociations américano-iraniennes sur l’armement nucléaire qui semblent s’approcher d’une solution honorable pour les deux parties.

 

 

La coïncidence de ces foyers de tensions est frappante. Daesh semble être une créature des pétromonarchies qui elles-mêmes se radicalisent sur le plan religieux. On s’en aperçoit avec le calvaire de Raif Badawi condamné à mille coups de fouet et en outre risquant la peine de mort.

 

Certains soupçonnent même que la droite israélienne ne verrait pas d’un mauvais œil une progression du califat sunnite dans l’ensemble du Proche Orient non seulement pour affaiblir ce qu’il reste des Etats arabes et surtout pour contrer l’Iran chiite que l’Arabie Saoudite souhaite aussi voir neutralisé. La tension ne cesse de croître en Ukraine et l’on risque de se retrouver devant un scénario à la Yougoslave des années 1990 avec une balkanisation du deuxième Etat du continent européen par sa superficie. Enfin, entre Palestiniens et Israéliens, le conflit s’envenime dangereusement au point qu’une nouvelle offensive sur Gaza est probable, avec la participation de l’Egypte, elle-même en proie à une guerre civile.

 

 

Dans son édition du 1er mars 2015, le quotidien israélien « Haaretz », sous la plume d’un de ses principaux rédacteurs, Gideon Lévy, prévoit le déclenchement d’un conflit ouvert entre Israéliens et Palestiniens qui aura une fois de plus pour théâtre Gaza déjà profondément meurtrie par l’opération plomb durci. Il a été traduit et publié par le site « Le Grand Soir ». Les lecteurs d’Uranopole peuvent en prendre connaissance ci-après.

 

 

Tout cela résulterait-il d’une stratégie bien déterminée ? Il est difficile de répondre pour le moment, mais cette multiplication de graves menaces de guerre n’est certainement pas le fait du hasard.

 

Pierre Verhas

 

 

Va-t-on revivre l'horreur à Gaza ?

Va-t-on revivre l'horreur à Gaza ?

 

Israël se précipite vers la prochaine guerre à Gaza (Haaretz)

 

Gideon LEVY 1er mars 2015

 

Israël se dirige vers la prochaine éruption de violence avec les Palestiniens comme s’il s’agissait d’une sorte de catastrophe naturelle qui ne peut pas être évitée. La prochaine guerre éclatera cet été. Israël lui donnera un autre nom puéril et elle aura lieu à Gaza. Il y a déjà un plan pour évacuer les communautés israéliennes le long de la frontière de la bande de Gaza.

 

Israël sait que cette guerre va éclater, et Israël sait aussi pourquoi – et il s’y précipite au grand galop les yeux bandés, comme si c’était un rituel cyclique, une cérémonie périodique ou une catastrophe naturelle qui ne peut être évitée. Ici et là, on perçoit même de l’enthousiasme.

 

Peu importe l’identité du Premier ministre et du ministre de la Défense – il n’y a aucune différence entre les candidats en ce qui concerne Gaza. Isaac Herzog et Amos Yadlin ne disent bien évidemment rien, et Tzipi Livni se vante du fait que grâce à elle, aucun port n’a été ouvert à Gaza. Le reste des Israéliens ne sont pas non plus intéressés par le sort de Gaza et bientôt, Gaza sera obligée de leur rappeler à nouveau sa situation tragique de la seule manière qui lui est laissée, les roquettes.

 

La situation de Gaza est désastreuse, épouvantable. Aucune mention n’en est faite dans le discours israélien, et certainement pas dans la campagne électorale la plus minable, la plus creuse qui ne se soit jamais tenue ici. Il est difficile de le croire, mais les Israéliens ont inventé une réalité parallèle, coupée du monde réel, une réalité cynique, insensible, enfouie dans le déni, alors que tous ces malheurs, la plus grande partie étant de leur propre fait, se déroulent à une courte distance de leurs maisons. Les nourrissons gèlent à mort sous les décombres de leurs maisons, les jeunes risquent leur vie et franchissent la clôture frontalière juste pour obtenir une portion de nourriture dans une cellule israélienne. Quelqu’un a-t-il entendu parler de cela ? Est-ce que quiconque s’en préoccupe ? Quelqu’un comprend-il que cela conduit à la prochaine guerre ?

 

Salma n’a vécu que 40 jours, comme l’éternité d’un papillon. C’était un bébé de Beit Hanoun, au nord-est de la bande de Gaza, qui est décédé le mois dernier d’hypothermie, après que son corps frêle ait gelé sous le vent et la pluie qui ont pénétré dans la hutte de contreplaqué et de plastique où elle vivait avec sa famille, depuis que leur maison a été bombardée.

 

« Elle a été gelée comme de la crème glacée », a déclaré sa mère au sujet de la dernière nuit de la vie de son nourrisson. Le porte-parole de l’UNRWA, Chris Gunness, a raconté l’histoire de Salma la semaine dernière dans le journal britannique The Guardian. Mirwat, sa mère, lui a dit que quand elle est née, elle pesait 3,1 kg. Sa sœur Ma’ez, âgée de trois ans, est hospitalisée pour des gelures.

 

Ibrahim Awarda, 15 ans, qui a perdu son père dans un bombardement israélien en 2002, fut plus chanceux. Il a décidé de traverser la barrière entre Gaza et Israël. « Je savais que je serais arrêté », a-t-il déclaré au journaliste du New York Times à Gaza la semaine dernière. « Je me suis dit, peut-être que je vais trouver une vie meilleure. Ils m’ont donné de la nourriture décente et m’ont renvoyé à Gaza. »

 

Ibrahim a été détenu pendant environ un mois dans deux prisons en Israël avant d’être rejeté vers la destruction, la misère, la faim et la mort. Trois cents habitants de Gaza se sont noyés dans la mer en Septembre dernier, dans une tentative désespérée de quitter la prison de Gaza. Quatre-vingt-quatre habitants de Gaza ont été arrêtés par les Forces de défense israéliennes dans les six derniers mois après avoir tenté d’entrer en Israël, la plupart d’entre eux seulement pour fuir l’enfer dans lequel ils vivaient. Neuf autres ont été arrêtés ce mois-ci.

 

Atiya al-Navhin, 15 ans, a également tenté d’entrer en Israël en Novembre, juste pour échapper à son sort. Des soldats de Tsahal ont ouvert le feu sur lui, il a été traité dans deux hôpitaux israéliens et est retourné à Gaza en Janvier. Maintenant, il est couché dans son domicile, paralysé et incapable de parler.

 

Quelques 150 000 personnes sans-abris vivent dans la bande de Gaza et environ 10 000 réfugiés sont dans les abris de l’UNRWA. Le budget de l’organisation a été dépensé après que le monde ait totalement ignoré son engagement à contribuer à hauteur de 5,4 milliards de dollars à la reconstruction de Gaza. L’engagement à négocier la levée du blocus sur Gaza – la seule façon d’éviter la prochaine guerre et celle d’après – a également été rompu. Personne n’en parle. Ce n’est pas intéressant. Il y a eu une guerre, des Israéliens et des Palestiniens y ont été tués pour rien, passons donc à la prochaine guerre.

 

Israël fera de nouveau semblant d’être surpris et offensé – les cruels Arabes l’attaquent à nouveau avec des roquettes, sans raison.

 

Gideon LEVY

 

http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.644219

 

Traduction : http://sayed7asan.blogspot.fr/2015/02/guerre-sans-merci-israel-se-precipite.html

 

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26 février 2015 4 26 /02 /février /2015 21:45

Dans une tribune au « Monde » du 26 février 2015, le célèbre écrivain italien Umberto Eco dénonce la menace pour le monde de l’édition que constitue le projet de fusion entre le consortium d’édition Mondadori appartenant à la famille Berlusconi et le groupe RCI – Rizzioli Corriere della Sera qui publie le journal éponyme.

 

 

Eco voit dans cet ensemble monstrueux une menace pour la liberté d’expression, l’accroissement de la puissance déjà excessive des Berlusconi qui possèdent déjà tout le secteur audiovisuel, et aussi la mise en place d’un consortium qui posséderait 40 % du marché de l’édition, ce qui serait unique en Europe.

 

Umberto Eco : un des plus grands écrivains contemporain

Umberto Eco : un des plus grands écrivains contemporain

 

« Le nouveau géant n’aurait plus en face que deux groupes de dimensions moyennes et une quantité de petites maisons d’édition (indispensables à la découverte de nouveaux auteurs) (…). De plus, un tel groupe (…) aurait une influence déterminante sur les librairies. »

 

 

Les menaces dénoncées par l’auteur du « pendule de Foucault » sont réelles. Ajoutons qu’elles touchent non seulement le secteur de l’édition, mais aussi tous les autres secteurs d’activité économique. Ajoutons que Berlusconi a acquis Mondadori en 1991 par la corruption. Il avait corrompu un magistrat pour avoir gain de cause devant la Justice en lui versant un pot de vin de 2,6 millions d’euros. D’après le « Monde », suite à cette affaire, le Premier ministre italien a été condamné en 2009 à une amende de près de 750 millions d’euros pour dédommager le groupe CIR de Carlo de Benedetti, amende qui a été ramenée à 560 millions par la Cour d’appel.

 

Le clan fondé par Silvio Berlusconi a gardé son appétit de requin.

Le clan fondé par Silvio Berlusconi a gardé son appétit de requin.

 

 

En attendant, il est bon qu’un intellectuel de l’envergure d’Umberto Eco dénonce ce fléau de la concentration capitaliste qui ronge l’économie de l’ensemble de l’Union européenne.

 

 

Mais, pour la suite, les bras en tombent ! Eco prône comme solution : la concurrence !

 

 

Il écrit : « Dans un marché ouvert, il est vrai que la concentration est économiquement inévitable. » C’est évident !

 

 

Ensuite, il ajoute : « … pour que le système reste sain, la concurrence doit continuer à s’exercer entre différentes entreprises. Dès lors que l’une d’elles est plus puissante que les autres réunies, rien de tel n’est possible. Selon le même principe d’une économie libre, réduire la concurrence revient à réduire la qualité. »

 

 

Ici, Umberto Eco ne se rend pas compte que c’est justement la sacro-sainte concurrence qui est la cause de la concentration capitaliste. La concurrence est une guerre entre entreprises où le vainqueur finit par absorber son concurrent parfois en utilisant les moyens les plus illicites et ensuite part renforcée à la conquête d’autres firmes plus faibles également. C’est ainsi que se construisent les monopoles au nom du dogme de l’Union européenne : « La concurrence libre et non faussée ». En d’autres termes la liberté qu’a le plus fort de dévorer le plus faible. Cela n’a rien à voir avec la concurrence – émulation prônée par Eco.

 

 

Aussi, pour garantir la qualité, la liberté d’expression en matière d’éditions, la liberté d’entreprendre n’est possible que si elle est encadrée de protections des entreprises et accessoirement de l’emploi.

 

 

Cela s’appelle l’économie dirigée. Mais, chut ! C’est un gros mot.

 

 

Pierre Verhas

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15 février 2015 7 15 /02 /février /2015 16:13

Pour commencer, voici deux anecdotes significatives qui m’ont été rapportées par un haut fonctionnaire européen. En 2010, sous la pression d’Angela Merkel, la Troïka a été mise en place pour imposer les « réformes » afin de résorber la dette de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Une délégation de dirigeants de « haut niveau » s’est rendue un soir à Athènes. Le voyage, le gîte et le couvert de ces messieurs dames étaient assurés par le gouvernement grec de Papandréou.

 

Le soir de leur arrivée, cette brillante équipe n’a rien trouvé de mieux que de se remplir la panse dans un des luxueux restaurants situés le long de la plage, non loin d’Athènes. Pendant ce temps, d’immenses rassemblements populaires avaient lieu dans la capitale grecque. Les manifestants furent informés de cette sauterie. Aussitôt, des centaines de protestataires se rendirent au restaurant en question, l’envahirent. Les distingués délégués durent décamper vers la plage toute proche, poursuivis par la foule en furie. Ces dames en robe longue et ces messieurs en smoking avaient déjà les pieds dans l’eau lorsque la police vint les tirer de cette fâcheuse situation.

 

La seconde se passe dans les bureaux de la Commission. Une négociation impliquant une délégation du Parlement européen, des lobbies et des délégués de ladite Commission est très difficile et n’aboutit à aucun résultat. Le président de séance, un fonctionnaire de la Commission, furieux de cet échec, toise les membres du Parlement en criant : « Il faut en finir avec la démocratie ! ».

 

Ce serait risible si ces incidents n’étaient le signe d’une dégradation du processus démocratique en Union européenne. Ils révèlent une caste qui s’affuble du titre d’élite composée de technocrates, de banquiers, de politiciens aux ordres et qui cherchent à imposer aux peuples européens une vision des choses qu’ils pensent conforme à leurs seuls intérêts.

 

Le président Jean-Claude Juncker : la démocratie en Europe est un mot vide !

Le président Jean-Claude Juncker : la démocratie en Europe est un mot vide !

 

UE et démocratie ne font pas bon ménage.

 

La déclaration la plus révélatrice sortit de la bouche de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Il a déclaré au « Figaro » du 29 janvier 2015 : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » C’est révélateur parce qu’en se basant sur les traités et notamment le fameux TSCG mieux connu sous le nom de « traité budgétaire », nul n’a le droit de s’élever contre une décision prise par le Conseil européen – c’est-à-dire l’Allemagne – qui serait conforme à ces fameux traités.

 

Il faut cependant remettre les montres à l’heure. Les eurosceptiques dont la plupart sont loin d’être des démocrates, n’arrêtent pas d’attaquer la Commission qui représente pour eux la quintessence de l’Europe ultralibérale et antinationale. S’il est vrai que la Commission est imprégnée de l’idéologie néolibérale, qu’elle considère le processus démocratique comme une entrave à la construction d’une Europe à leur image et les nations comme des entités obsolètes, ce n’est pas la Commission qui prend les grandes décisions. Elle est chargée de les appliquer et a la capacité de faire des propositions.

 

L’organe de décision est et reste le Conseil européen. Il est basé sur le principe de l’intergouvernementalité. Il est en effet composé des chefs d’Etats et de gouvernements et de leurs ministres pour les matières spécifiques. Autrement dit – et c’est là l’essentiel – les décisions résultent d’un rapport de force entre les vingt-huit gouvernements de l’Union. Et dans cette partie, deux pays émergent : l’Allemagne et la Grande Bretagne. Ce sont les deux puissances les plus importantes de l’Union. En dehors des questions relatives à l’Euro, elles sont donc les deux meneurs de la politique européenne, les autres pays étant priés de se plier aux diktats germano-britanniques, même si l’Angleterre de Cameron se trouve en porte à faux étant donné la montée de l’euroscepticisme.

 

En ce qui concerne l’Euro, on s’aperçoit bien qu’il y a deux décideurs : toujours l’Allemagne et aussi la Banque Centrale Européenne (BCE). Là aussi, les autres Etats membres n’ont qu’à s’incliner alors qu’il s’agit de leur économie. Or, l’Allemagne impose ses propres règles basées sur l’ordolibéralisme qui consiste à imposer une rigueur très forte à une économie forte (réduction des salaires, flexibilité, etc. ; politique budgétaire équilibrée, autrement dit austérité et politique monétaire sous la responsabilité d’une banque centrale, en l’occurrence la BCE).

 

Si cette politique a pu renforcer l’économie allemande au prix – ne l’oublions pas – d’une terrible régression sociale, l’imposer aux pays périphériques et du Sud de l’Europe revient à leur mettre la tête sous l’eau. Et nul n’est autorisé à contester cela. Pourtant, c’est ce qu’il se passe.

 

Un peu d’histoire

 

Il faut relire l’histoire. L’euro est né du calamiteux Traité de Maastricht. La monnaie unique est issue de la volonté de François Mitterrand qui, en 1992, était en fin de parcours, avait déjà trahi ses engagements auprès du peuple français et de la gauche en général et s’est en outre trompé sur la réunification allemande. Le chancelier Kohl disposait dès lors tous les atouts et a pu imposer l’ordolibéralisme à l’allemande qui est fondamentalement contraire à l’idée d’une fédération européenne qui est sensée être la doctrine de base de l’Union européenne. En effet, en interdisant l’aide à un Etat membre en difficulté, il rendait ainsi caduque la solidarité qui est la base même de l’idée fédérale.

 

Mitterrand et Kohl main dans la main pour le passé mais pour l'avenir...

Mitterrand et Kohl main dans la main pour le passé mais pour l'avenir...

 

Tout part de là ! Et la scandaleuse hypocrisie des propagandistes de l’Union européenne qui n’arrêtent pas de se réclamer du fédéralisme – nous songeons entre autres à l’ineffable Jean Quatremer – œuvrant à imposer la pensée unique européiste, est une abomination. Ils nous mentent, car nous ne vivons pas dans un système fédéral qui implique par définition un système démocratique. En effet, un régime totalitaire ne peut exister que dans une structure centralisée. Nous vivons dans un système qui allie à la fois une dictature supranationale et une compétition aussi stérile que dangereuse entre Etats où le plus fort l’emporte au détriment des autres.

Jean Quatremer, correspondant permanent de "Libération" auprès de l'Union européenne, le donneur de leçons prêchant la pensée unique européenne

Jean Quatremer, correspondant permanent de "Libération" auprès de l'Union européenne, le donneur de leçons prêchant la pensée unique européenne

 

Le fédéralisme a été trahi.

 

Il faut, pour bien comprendre, revenir à l’idée de base constitutive de l’actuelle Union européenne. À la fin de la Deuxième guerre mondiale, sous l’impulsion, entre autres du militant communiste italien Altiero Spinelli qui avait connu les geôles de Mussolini de 1927 à 1943, fut fondé le Mouvement fédéraliste européen. Ce mouvement connut un grand succès auprès des intellectuels démocrates et de gauche d’Europe occidentale parmi lesquels on compte entre autres Albert Camus et George Orwell. L’objectif de ce mouvement était de construire une fédération européenne dépassant l’Etat nation jugé responsable – à juste titre – des abominables boucheries qui par deux fois ont ensanglanté et détruit le continent. Cependant, cette fédération ne pouvait se construire que sur des bases démocratiques. Autrement dit, une structure démocratique supranationale succéderait progressivement aux Etats nations par l’ouverture des frontières et la mise en commun des ressources.

 

Altiero Spinelli, le fondateur du fédéralisme européen

Altiero Spinelli, le fondateur du fédéralisme européen

 

Cependant, la Communauté européenne – ancêtre de l’actuelle Union – s’est élaborée pendant la guerre froide. Dès lors, elle s’inscrivit dans le cadre de l’Alliance atlantique, au lieu d’avoir une autonomie politique à l’égard des Etats-Unis. Ensuite, sous l’impulsion de ses protagonistes dont l’homme d’affaires Jean Monnet, elle s’inscrivit dans une optique résolument libérale en opposition aux systèmes d’économie mixte qui avaient été mis en place dans les différents Etats après la guerre par les mouvements issus de la Résistance. Sans doute, est-ce également pour cela que les membres des institutions européennes ont toujours exprimé leur hostilité à l’égard de tout ce qui rappelle ou évoque l’Etat.

 

Aussi, dès le départ, les institutions européennes œuvrèrent au développement du capitalisme et dans l’optique géopolitique atlantiste. Elles ont ainsi contribué à entretenir la guerre froide et même si elles adoptèrent une structure de type fédéral par le sommet, elles ne facilitèrent en rien l’élaboration d’une fédération européenne qui, elle, aurait représenté les peuples. En effet, une structure fédérale ne peut se construire qu’au départ de la base.

 

Il était donc question de dépasser les nations composant la Communauté européenne par une instance supranationale de décision. Mais cette instance a toujours été loin d’être démocratique. En effet, si l’Union européenne a été structurée sur la base de trois pouvoirs séparés : la Commission dépendant comme on l’a vu du Conseil, le Parlement européen et la Cour de Justice européenne, ils ont loin d’avoir le même poids.

 

Un Parlement sans réels pouvoirs

 

Ainsi, le Parlement européen n’a pratiquement pas de capacité législative. Il a une capacité de contrôle qui s’est certes accrue depuis le Traité de Lisbonne, mais qui est loin d’être coercitive. On l’a vu par deux fois : le Parlement a renversé en 1999 la Commission du Luxembourgeois Jacques Santer pour une question de corruption. Cette Commission a poursuivi ses travaux jusqu’à son terme comme si de rien n’était. Récemment, lors de la présentation des commissaires proposés par Jacques Juncker devant le Parlement européen, le commissaire hongrois était contesté parce qu’il était loin de présenter des garanties démocratiques. On l’a simplement changé de compétence en lui attribuant la culture ! De même, le commissaire espagnol était lui aussi critiqué pour ses liens avec l’industrie pétrolière. On n’en a pas tenu compte ! Seule, la commissaire slovène a été recalée pour incompétence… En effet, un accord s’est établi entre les deux groupes les plus importants du Parlement européen : les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates et on est passé à l’ordre du jour !

 

L'hémicycle du Parlement européen : une institution sans réels pouvoirs et manquant d'efficacité en dépit du courage et de la volonté de plusieurs parlementaires.

L'hémicycle du Parlement européen : une institution sans réels pouvoirs et manquant d'efficacité en dépit du courage et de la volonté de plusieurs parlementaires.

 

La Cour de Justice, elle, est sans instance d’appel alors qu’elle prend souvent des arrêts ayant d’importantes conséquences politiques. On l’accuse souvent et à juste titre d’instaurer une sorte de « gouvernement des juges ».

 

Il y a une véritable tromperie. L’Europe supranationale n’est pas destinée à se substituer aux Etats nations pour instaurer la paix et la prospérité des peuples, mais pour museler les Etats qui entravent la marche vers un capitalisme sans contrôle ni frontières. Ne comprend-on pas que l’invective systématique contre l’Etat ou contre la nation qui est, jusqu’à présent, le seul espace où existe la démocratie, c’est-à-dire un contrôle plus ou moins efficace du peuple sur le pouvoir et l’existence de réels contrepouvoirs, a pour objet réel de museler la démocratie ?

 

Une dictature supranationale

 

Si on peut souhaiter que sur un continent qui durant son histoire a été déchiré par des guerres de plus en plus meurtrières et destructrices, les décisions politiques se prennent sur un plan supranational, ce ne doit pas être aux prix du renoncement aux libertés et aux pouvoirs des peuples. En outre, cela déclenchera – et on s’en aperçoit – des conflits entre l’instance supranationale qui impose ses diktats et les Etats ou les peuples qui les subissent. Le cas de la Grèce est exemplaire en l’occurrence : ce pays se heurte depuis l’arrivée de Syriza à une dictature supranationale.

 

Jacques Delors a construit le grand marché européen et l'union monétaire qui ont consacré l'Europe ultralibérale.

Jacques Delors a construit le grand marché européen et l'union monétaire qui ont consacré l'Europe ultralibérale.

 

Une dictature supranationale ? La zone euro, tout comme le marché unique instauré en 1992 à l’initiative de Jacques Delors, puis concrétisés par le traité de Maastricht, ont été élaborés à l'échelle de l'Europe, en lien avec trois institutions « indépendantes », auxquelles on a jusqu’ici confié la protection du soi-disant intérêt général européen : la Banque centrale européenne, la Commission et la Cour de justice de l'UE. Ces institutions s'estiment dépositaires d'un projet européen qui ne peut être lesté par les conjonctures politiques nationales. Leur mandat est supranational et ne dispose d’aucune légitimité électorale. Aussi, l'arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce provoque un conflit entre la légitimité du projet européen incarné par les « indépendantes » et les mandats électoraux nationaux.

 

La BCE marque son autonomie politique. Elle arrache son autonomie à l'encontre des Grecs en fermant les lignes de crédit à leurs banques, comme elle l'a enlevée quelques jours avant aux Allemands en rachetant des titres de la dette des Etats.

 

Depuis le début de la crise de la zone euro, la BCE s'est vue accorder de nouveaux pouvoirs. Son leadership s'est renforcé, à travers la mise en place de l'union bancaire, ou encore sa participation à la troïka qui ne s’occupe pas que de la Grèce. Elle a progressivement assumé un rôle politique qui n'était pas le sien au moment de sa création. En imposant aux Etats des « réformes » (privatisation, déréglementation, démantèlement de l’Etat social) en échange de son soutien, ses pouvoirs sont devenus considérables. Tout cela se heurte à la nouvelle donne électorale en Grèce.

 

La Commission est dans son rôle traditionnel de gardienne des traités, et d'un projet européen indépendant des conjonctures nationales. Mais ce que Juncker ne dit pas, c'est qu'il est évident que les traités sont susceptibles d'interprétation. Les traités européens sont quelque chose de vivant, ils sont une création permanente. L'évolution du rôle de la BCE pendant la crise a montré les marges de manœuvre considérables qu'offrent les traités. Toute l'histoire de l'Union européenne prouve la grande malléabilité des traités. Les traités sont même devenus le terrain de la lutte politique en Europe. Il faut en permanence se demander quelles sont les marges d'interprétation.

 

Accepter d’effacer une partie de la dette les condamnerait à avouer ce qu’ils ont réellement fait depuis six ans : toute leur gestion de la crise grecque, de la crise de l’euro a consisté à socialiser les pertes du système bancaire, à reporter sur les populations les risques inconsidérés pris par les banques. Ce serait reconnaître aussi que leur politique d’austérité est un échec patent. Ce serait enfin devoir accorder à d’autres pays européens, en commençant par l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, une remise de peine et une renégociation de leurs dettes. Autant dire que tout changement leur semble impossible. Même si cela peut conduire à l’explosion de la Grèce.

 

Et c’était prévu. Si on lit ce qu’écrit Martine Orange dans Mediapart du 5 février dernier, on est édifié.

 

« Nul doute que l’ancien premier ministre grec, Antonis Samaras, en provoquant des élections législatives précipitées dès fin janvier, avait aussi ce calendrier en tête. Il savait que la Grèce était dans une impasse, dans l’incapacité d’honorer ces échéances. Les responsables européens, le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker et Angela Merkel en tête, le savaient parfaitement aussi. En acceptant des élections législatives qui ne pouvaient que placer Syriza au pouvoir, leur calcul n’était-il pas d’imposer au nouveau pouvoir de gauche la froide réalité de la situation financière de la Grèce et de l’obliger à plier et endosser à son tour l’austérité ?

 

Dès son arrivée au pouvoir, Alexis Tsipras, a annoncé qu’il renonçait à la ligne de crédit de 7 milliards d’euros versée par la Troïka. L’accepter aurait été d’emblée se soumettre à toutes les conditions imposées par la Troïka. C’est-à-dire faire l’inverse de ce qu’il a promis à ses électeurs. Le gouvernement grec a expliqué qu’il pouvait s’en passer car les comptes étaient à l’équilibre. Dans les faits, la situation est beaucoup moins tranquille que le soutient Syriza. Les comptes sont repassés dans le rouge à la fin de l’année. Les rentrées fiscales se sont asséchées depuis l’annonce des élections législatives. Le gouvernement d’Antonis Samaras a utilisé tous les expédients. Il a quitté le pouvoir en laissant derrière lui un désert : toutes les lignes et les facilités financières qui ont été consenties à la Grèce dans le cadre du plan de sauvetage ont déjà été épuisées. »

 

Cependant, quoiqu’il arrive, c’est la première fois que se produit un rapport de force entre les institutions européennes et les dirigeants d’un Etat-membre remettant en cause les canons ultralibéraux qui ont jusqu’à présent prévalu dans l’Union européenne.

 

Un fascisme nouveau

 

Mais cette situation est révélatrice d’un phénomène particulièrement inquiétant. Il a été dénoncé par le professeur de la VUB (l’Université flamande de Bruxelles, pendant de l’ULB) Louis De Sutter, dans « Libération » du 11 février 2015 : « Il est temps d’ouvrir les yeux : les autorités qui se trouvent à la tête de l’Europe incarnent un fascisme nouveau. Ce fascisme, ce n’est plus celui, manifeste et assumé, qui a fait du XXe siècle l’un des grands siècles de la laideur politique ; il s’agit plutôt d’un fascisme mou et retors, dissimulant ses intentions mauvaises derrière un langage qui se voudrait de raison. »

 

M. De Sutter voit trois raisons qu’il qualifie de « délirantes » dans la politique européenne. La première : « Chaque nouveau geste posé par les autorités de l’Europe (ainsi, en dernier lieu, celui du directeur de la Banque centrale, Mario Draghi) affiche davantage le mépris des principes sur lesquels elle se prétend fondée par ailleurs. En proclamant que les traités européens sont soustraits à tout vote démocratique, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne l’avait pas caché : la démocratie, en Europe, n’est qu’un mot vide. »

 

Rappelons-nous que les règles européennes sont définies par des traités qui sont négociés entre Etats et sans la participation des peuples. Ainsi, même si, comme on l’a vu plus haut, les traités sont malléables, ils restent en vigueur et donc malaisément modifiables ou abrogeables.

 

La seconde est d’ordre économique : « Ce que les autorités européennes sont en train de réaliser, c’est tout simplement la ruine d’un continent entier. Ou, plutôt : la ruine de la population d’un continent entier - à l’heure où la richesse globale de l’Europe, en tant qu’entité économique, ne cesse de croître. Les autorités économiques européennes, en tentant de tuer dans l’œuf le programme grec, pourtant d’une impeccable rationalité économique, de Yánis Varoufákis, le disent là aussi sans ambages. Ce qui les intéresse, c’est la perpétuation d’un statu quo financier permettant au capitalisme, dans son caractère le plus désincarné et le plus maniaque, de continuer à produire une richesse abstraite. Il n’est pas important que la richesse en Europe profite aux personnes ; en revanche, il est d’une importance croissante qu’elle puisse continuer à circuler - et toujours davantage. »

 

En outre, cette politique est suicidaire. Les économistes les plus réputés et les plus écoutés comme Stiglitz, Krugman, Galbraith junior, Jorion et d’autres ne cessent de le proclamer haut et fort. Mais les institutions européennes restent sourdes, comme elles sont aveugles devant la dégradation dramatique de l’économie européenne avec les terribles conséquences sociales et humaines qui en résultent.

 

Le délire de la pensée unique européenne

 

Enfin, on ne peut que se poser la question du délire de la pensée unique européenne.

 

« Troisièmement, la raison européenne est délirante du point de vue de la raison elle-même. Derrière les différents appels au «raisonnable», que le nouveau gouvernement grec devrait adopter, se dissimule en réalité la soumission à la folie la plus complète. Car la raison à laquelle se réfèrent les politiciens européens (par exemple, pour justifier les mesures d’austérité débiles qu’ils imposent à leur population) repose sur un ensemble d’axiomes pouvant tout aussi bien définir la folie. Ces axiomes sont, tout d’abord, le refus du principe de réalité - le fait que la raison des autorités européennes tourne dans le vide, sans contact aucun avec ce qui peut se produire dans le monde concret. C’est, ensuite, le refus du principe de consistance - le fait que les arguments utilisés pour fonder leurs décisions sont toujours des arguments qui ne tiennent pas debout, et sont précisément avancées pour cela (voir, à nouveau, l’exemple de l’austérité, présentée comme rationnelle du point de vue économique alors que tout le monde sait que ce n’est pas le cas). C’est, enfin, le refus du principe de contradiction - le fait que l’on puisse remonter aux fondements mêmes des décisions qui sont prises, et les discuter, possibilité suscitant aussitôt des réactions hystériques de la part des autorités. »

 

L'Américain Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie 2002, ne cesse de tirer la sonnette d'alarme pour les Européens.

L'Américain Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie 2002, ne cesse de tirer la sonnette d'alarme pour les Européens.

 

Tout est dit et les exemples du refus du débat se multiplient. Ainsi, concernant le TTIP (le projet de traité de libre échange transatlantique), si, comme signalé plus haut, la Commission n’entre pas dans le processus de décision exécutive, elle peut – si elle en est déléguée par le Conseil – mener des négociations sur le plan international, surtout en matière de commerce. Ce fut le cas pour le traité GATT qui est à la base de la calamiteuse OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et ce l’est aujourd’hui avec le TTIP. La délégation européenne est dirigée par le Commissaire au Commerce extérieur : l’ancien ministre libéral belge Karel De Gucht pour la commission Barroso II et Cecilia Malmström, ancienne ministre suédoise sous l’actuelle commission Juncker.

 

Une initiative citoyenne européenne, c’est-à-dire une pétition à l’échelle de l’Union européenne prévue par le Traité de Lisbonne, intitulée « Stop TTIP » a été refusée par la Commission européenne sous prétexte qu’elle ne demandait pas l’adoption d’une nouvelle règle. Cette argutie juridique dont la Commission est coutumière n’a évidemment pas plu aux initiateurs de cette pétition qui ont déposé un recours auprès de la Cour de Justice européenne.

 

Oser moins de démocratie.

 

Une pensée se développe en Europe, notamment en Allemagne. Un livre a beaucoup de succès dans les milieux dirigeants germaniques. Ce livre intitulé « Oser moins de démocratie » a été publié en août 2011 par la maison d’édition du Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’un des quotidiens les plus influents d’Allemagne. L’auteur, Laszlo Trankovits est le chef du bureau et le correspondant de la Deutsche Presse Agentur (DPA) en Afrique du Sud. Il a précédemment travaillé pour la DPA à Washington, en tant que correspondant à la Maison Blanche ». Pour appuyer sa thèse, l’auteur évoque l’exemple de la Chine : « Les grand industriels allemands (...) sont souvent admiratifs lorsqu’ils évoquent les immenses progrès du développement chinois ». Et ces succès économiques soulèvent « des doutes sur la supériorité de la démocratie ».

 

Willy Brandt, combattant de la guerre d'Espagne, résistant anti-nazi, chancelier SPD d'Allemagne fédérale, souhaitait plus de démocratie. Ses lointains successeurs souhaitent le contraire !

Willy Brandt, combattant de la guerre d'Espagne, résistant anti-nazi, chancelier SPD d'Allemagne fédérale, souhaitait plus de démocratie. Ses lointains successeurs souhaitent le contraire !

 

Le titre de l'ouvrage s’appuie sur la formule utilisée par le premier chancelier allemand de social démocrate (SPD) Willy Brandt, Oser, plus de démocratie, lors de sa déclaration de politique générale en octobre 1969. Le chancelier avait à l'époque provoqué l'ire de l'opposition (CSU), qui réfutait le sous-entendu induit par la formule suggérée à l’époque par l'écrivain Günter Grass. Aujourd’hui, la publication de l’ouvrage de Laszlo Trankovits n’a pas suscité de grande controverse. Sans doute, parce que le contrat social n’est plus la priorité dans les grandes démocraties… Ou parce que l’on souhaite à terme en finir avec la démocratie comme le fonctionnaire européen cité plus haut.

 

L’espoir n’est jamais vain.

 

Yanis Varoufakis parfaitement à l'aise entre Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe et Christine Lagarde, directrice générale du FMI

Yanis Varoufakis parfaitement à l'aise entre Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe et Christine Lagarde, directrice générale du FMI

 

On saura à la fin du mois si Tsipras et Varoufakis auront ou non réussi. Cependant, quoiqu’il arrive, ils auront eu le mérite historique d’affronter pour la première fois la pensée unique européenne, de défier cette machine infernale qui a transformé le rêve d’union des peuples d’Europe en un cauchemar menant à un nouvel asservissement. Ils auront montré que l’espoir n’est jamais vain. C’est déjà beaucoup !

 

Veuillez m’excuser d’avoir un point commun avec Herman Van Rompuy, l’ancien président du Conseil européen : aimer et rédiger des Haïku, ces petits poèmes japonais. Voici un des miens :

 

Une goutte se noie dans l’océan.

L’ouragan se lève.

 

 

Pierre Verhas

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1 février 2015 7 01 /02 /février /2015 23:50

Le « Canard enchaîné » de ce mercredi 28 janvier 2015 a sorti des oubliettes une ancienne missive signé d’Alexis Tsipras et adressée à François Hollande à suite de son élection à la présidence de la République française en mai 2012. Il y était écrit : « Permettez-moi de vous féliciter pour votre succès aux élections présidentielles françaises ainsi que pour votre prise de fonction.

 

Nous souhaitons partager avec vous votre joie, car nous espérons que le résultat électoral obtenu par votre parti en France et celui réussi par la gauche en Grèce nous entraîneront vers une Europe sociale exempte des mesures d’austérité rigoureuses et des exigences strictes du pacte financier, dont la réponse se trouve au cœur de votre programme et dans celui des forces de gauche.

 

Monsieur le Président de la République, vous êtes bien entendu informé du fait qu’actuellement le peuple grec vit ce que nous pouvons communément appeler un « holocauste social ». Cependant, le résultat électoral fait par notre parti Syriza et la gauche grecque plus généralement, prouve que le peuple grec est déterminé à prendre da vie en main et à changer son destin (…).

 

Monsieur le Président, après avoir observé de près votre campagne électorale, permettez-moi de vous déclarer que nous comptons sur votre solidarité et votre soutien au peuple grec.

 

Par conséquent, je souhaite organiser une rencontre à Paris le plus rapidement possible afin d’échanger nos points de vue sur la manière la plus efficace qu’a l’Europe de faire face à cette crise dont la Grèce est – jusqu’à présent – l’un des fronts les plus critiques. »

 

Cette missive est restée sans réponse et aujourd’hui, Hollande invite (convoque ?) Tsipras à se rendre à Paris le plus rapidement possible ! Il est vrai que celui qu’on surnomme « Flamby » doit éventuellement songer, à appliquer après les élections grecques – ne fût-ce qu’une petite partie – de la politique pour laquelle il a sollicité les suffrages des Français, en plus de sa visite au gotha financier – ses soi-disant ennemis – à Davos !

 

Alexis Tsipras va bientôt se rendre à Paris. Il avait demandé de rencontrer François Hollande dès mai 2012. Il n'eut pas de réponse.

Alexis Tsipras va bientôt se rendre à Paris. Il avait demandé de rencontrer François Hollande dès mai 2012. Il n'eut pas de réponse.

 

Ces contradictions présentées par les médias comme les meilleures méthodes pour défendre et illustrer une politique à long terme finissent par lasser et contribuent à attiser le feu de la révolte devant la seule croissance réelle : celle de la misère.

 

La misère est le fléau que l’on cherche à cacher par tous les moyens. Cette misère que l’on cherche même à nier. Et elle n’est la cause de rien, puisqu’elle n’existe pas !

 

La haine et la misère

 

Dans la livraison de « Libération » du 28 janvier, Laurent Joffrin conclut son éditorial consacré au parcours du terroriste Amedy Coulibaly – l’assassin de la policière à Montrouge et des clients de l’hypercasher de la Porte de Vincennes : « La bataille contre le terrorisme est donc politique, religieuse, théologique même, au sein d’un islam partagé entre les lectures modernes et rigoristes, entre ceux qui acceptent l’adaptation à la vie démocratique – la grande majorité fort heureusement – et les autres qui la refusent. En un mot, la misère compte. Mais l’idéologie beaucoup plus. »

 

Le terroriste Amedy Coulibaly a eu le parcours classique de l'habitant des "quartiers" : misère, décrochage scolaire, délinquance, radicalisation...

Le terroriste Amedy Coulibaly a eu le parcours classique de l'habitant des "quartiers" : misère, décrochage scolaire, délinquance, radicalisation...

 

Donc, la misère sociale n’est plus qu’un facteur secondaire dans la dérive terroriste. Voilà ce que nous enseigne un des champions de la pensée unique.

 

On considère qu’elle est un facteur secondaire dans la situation catastrophique de la Grèce qui est devenu le pays le plus pauvre de l’Union européenne par la volonté de la fameuse Troïka.

 

Eh bien ! C’est en cela que la tragédie de Charlie Hebdo et le bouleversement politique en Grèce sont liés.

 

Affirmer que la misère n’est pas une des causes majeures du terrorisme est absurde. La misère dans laquelle les peuples arabes sont plongés avec en plus la guerre permanente menée par les « puissances » depuis des lustres forment le terreau du terrorisme bien plus que la religion. Le terrorisme est une arme utilisée par les dictatures pétrolières dont les soldats sont recrutés sous la bannière de l’Islam dans les populations miséreuses du monde arabe. En l’occurrence, la religion est instrumentalisée.

 

Quant à la Grèce, les médias ont d’abord présenté Syriza comme un parti irresponsable. Ils disent : vous verrez : Alexis Tsipras sera de toute façon obligé de s’aligner ; Christine Lagarde, la spécialiste du féminisme discret d’Arabie saoudite et accessoirement directrice générale du FMI, déclare du haut de la station de Davos : « Une dette, cela se rembourse ! ». Juncker, lui, menace les Grecs mais aussi les Français. En effet, François Hollande semble commencer à comprendre qu’il devra changer son fusil d’épaule et reconsidérer ses relations d’amour-haine avec la finance.

 

Christine Lagarde, la spécialiste du discret féminisme saoudien, du haut de sa suffisance : la dette doit être remboursée !

Christine Lagarde, la spécialiste du discret féminisme saoudien, du haut de sa suffisance : la dette doit être remboursée !

 

Paul Jorion : on savait très bien que la Grèce ne respecterait pas les conditions pour rentrer dans la zone euro.

 

Devant cette confusion savamment entretenue par les grands médias, il vaut mieux se référer à des spécialistes à l’esprit indépendant comme Paul Jorion qui, dans un entretien avec l’économiste Roland Gillet paru dans la Libre Belgique du 3 janvier 2015 , fait l’historique de la catastrophe annoncée de la Grèce : « On a fait entrer la Grèce en sachant très bien qu’elle ne respectait pas les conditions pour entrer dans la zone euro. On l’a fait pour des raisons politiques en laissant la Grèce faire un arrangement avec Goldman Sachs via un faux ‘swap’ de changes, ce qui a permis à la Grèce de cacher la situation dans laquelle elle était. On continue de payer les conséquences de cela. Ceci dit, la Grèce n’est pas particulièrement responsable de la situation dans laquelle on est. On a une zone euro, une monnaie, fondée sur un système fédéral et ce système fédéral n’a jamais existé car nous sommes dans un système semi-fédéral en l’absence d’unification fiscale, d’autorités pour décider ce qu’il faut faire. Dès lors, c’est M. Draghi qui intervient de temps en temps, qui s’impose comme un pseudo-président de l’Europe, ce qui met le président de la Bundesbank de mauvaise humeur. On a une structure qui ne correspond pas à ce qu’il fallait faire et un système qui marche à moitié, car il n’a été construit qu’à moitié. […] Le système reste d’une grande fragilité. Et le moindre éternuement - une élection ici ou là - peut conduire cette structure européenne au bord du précipice. »

 

Paul Jorion remet les montres à l'heure : la tricherie à l'origine de la crise grecque arrangeait tout le monde à l'époque.

Paul Jorion remet les montres à l'heure : la tricherie à l'origine de la crise grecque arrangeait tout le monde à l'époque.

 

En résumé :

 

1) « on » a accepté pour des raisons politiques que la Grèce triche avec la complicité de Goldman Sachs – qui n’ pas fait cela pour rien – du temps du gouvernement de droite, le gouvernement socialiste de George Papandréou n’a fait que suivre.

2) « On » fait porter le chapeau à la Grèce qui n’est pas spécialement responsable de la situation.

3) « On » a fait une zone euro basée sur un système fédéral qui n’existe pas : il n’y a pas d’harmonisation fiscale et il n’y a pas une autorité politique pour avoir une politique monétaire, comme cela se passe dans n’importe quel Etat indépendant.

4) Le seul « patron » de l’Europe est donc Draghi, le président de la BCE qui ne rend des comptes à personne, puisque son institution est non seulement indépendante, mais aussi privée.

 

Résultat : le système ne fonctionne pas et la Grèce est devenue le laboratoire des remèdes de choc de la très ultralibérale Troïka qui n’a fait qu’aggraver dramatiquement la situation.

 

Aussi, il n’est pas étonnant que malgré les campagnes de dénigrement menées à partir de Berlin et de Bruxelles, Syriza l’ait emporté. Et ce n’est pas « un transfert de voix au sein de la gauche » comme l’a affirmé le très libéral Didier Reynders dimanche midi sur RTL-TVI qui devient de plus en plus « Radio Télé Didier Reynders ». C’est une lame de fond qui a touché toutes les classes sociales en Grèce. Et ce mouvement pourrait s’étendre dans d’autres pays européens, comme l’Espagne.

 

Alexis Tsipras s’adresse aux Allemands.

 

Pour suivre, lisons ce qu’écrit Alexis Tsipras lui-même dans un courrier daté du 25 janvier, jour des élections grecques, adressé aux lecteurs du magazine économique allemand « Handelsblatt ».

 

« Chers lecteurs de Handelsblatt,

 

Je sais d’avance que la plupart d’entre vous ont probablement une opinion déjà formée sur le contenu de cette lettre. Je vous invite, cependant, à la lire sans préjugés. Les préjugés n’ont jamais été un bon conseiller, et encore moins à un moment où la crise économique les renforce, en entretenant l’intolérance, le nationalisme, l’obscurantisme, et même la violence.

 

Avec cette lettre ouverte, je souhaite vous exposer un récit différent de celui qui vous a été fait au sujet de la Grèce depuis 2010. Et je tiens aussi et surtout à exposer avec franchise les projets et les objectifs de SYRIZA, si le 26 Janvier par le choix des électeurs devient le nouveau gouvernement grec.

 

Un grand prêt nuisible et inutile : vers une tragédie

 

En 2010, l’État grec a cessé d’être en mesure de servir sa dette. Malheureusement, les dirigeants européens ont décidé de faire croire que ce problème pourrait être surmonté par l’octroi du plus grand prêt jamais consenti à un état, sous condition que certaines mesures budgétaires seraient appliquées, alors que celles ci, manifestement, ne pouvaient que diminuer le revenu national destiné au remboursement des nouveaux et anciens prêts. Un problème de faillite a été donc traité comme s’il s’agissait d’un problème de liquidité. En d’autres termes, l’attitude adoptée, était celle du mauvais banquier qui, au lieu d’admettre que le prêt accordé à la société en faillite a « sauté », il lui accorde des prêts supplémentaires, prétextant que les anciennes dettes restent servies et prolonge ainsi la faillite à perpétuité.

 

Il s’agissait pourtant d’une question de bon sens de voir que l’application de la doctrine «extend and pretend» [étendre les maturités de la dette et prétendre que payer les intérêts ne pose aucun problème] dans le cas de mon pays aboutirait à une tragédie. Qu’au lieu de stabiliser la Grèce, l’application de ce dogme installerait une crise auto-alimentée qui sape les fondations de l’UE.

 

Nos partenaires nous ont donné beaucoup plus d’argent qu'il ne fallait !

 

Notre parti, et moi-même, nous nous sommes opposés à l’accord de prêt de mai 2010, non pas parce que l’Allemagne et nos autres partenaires ne nous ont pas donné assez d’argent, mais parce que vous nous avez donné beaucoup plus d’argent que ce qu’il fallait et que nous pouvions accepter. De l’argent qui par ailleurs ne pouvait ni aider le peuple grec puisqu’il disparaissait aussitôt dans le trou noir du service de la dette ni arrêter l’alourdissement continu de celle-ci, obligeant de la sorte nos partenaires prolonger ce fardeau à perpétuité aux frais des citoyens.

 

Et cette vérité était bien connue par les gouvernants allemands, mais ils n’ont jamais voulu vous la dévoiler.

 

Résultats : la dette et la réduction drastique des dépenses ont conduit le peuple grec vers la misère.

 

Et en effet, et avant même que la première année ne se soit écoulée et depuis 2011, nos prévisions ont été vérifiées. L’enchaînement des nouveaux prêts aux réductions drastiques des dépenses a non seulement échoué à dompter la dette, mais il a par surcroît puni les citoyens les plus faibles, en transformant les citoyens ordinaires qui avaient un emploi et un toit à des chômeurs sans-abri qui ont tout perdu, de plus, leur dignité.

 

L’effondrement des revenus a conduit à la faillite de milliers d’entreprises, augmentant ainsi le pouvoir oligopolistique des entreprises qui ont survécu. De ce fait, les prix diminuaient moins que les revenus tandis que les dettes, publiques et privées, ne cessaient de s’alourdir. Dans ce contexte, où le déficit d’espoir a dépassé tous les autres déficits «l’œuf du serpent » n’a pas mis longtemps pour éclore – et les néo-nazis ont commencé à patrouiller les quartiers en semant la haine.

 

On a financé une nouvelle « kleptocratie » !

 

Malgré son échec manifeste, la logique de «extend and pretend» continue à s’appliquer systématiquement encore aujourd’hui. Le deuxième accord de prêt de 2012, a ajouté une charge supplémentaire sur les épaules affaiblies de l’état grec, en réduisant les fonds de pension, en donnant un nouvel élan à la récession, en finançant aussi une nouvelle kleptocratie avec l’argent de nos partenaires.

 

La récession est loin d’être finie.

 

Des commentateurs sérieux ont parlé récemment de stabilité et même de croissance à propos de mon pays pour « prouver » que les politiques appliquées ont été efficaces. Aucune analyse sérieuse ne soutient cette «réalité» virtuelle. L’augmentation récente de 0,7% du revenu national réel ne marque pas la fin de la récession mais sa poursuite, puisqu’elle a été réalisée dans une période d’inflation de 1,8%, ce qui signifie que (en euros) le revenu national a continué de baisser. Simplement, il diminue moins que la moyenne des prix – tandis que les dettes augmentent.

 

Cet effort de mobilisation des «statistiques grecques», pour démontrer que l’application de la politique de la troïka est efficace en Grèce, est outrageant pour tous les européens qui ont enfin le droit de connaître la vérité.

 

Et la vérité est que la dette publique grecque ne peut pas être honorée tant que l’économie sociale grecque se trouve en situation de simulation de noyade budgétaire (fiscal waterboarding).

 

En outre, persévérer dans ces politiques misanthropes et sans issue, dans le refus de reconnaître une simple question d’arithmétique, coûte au contribuable allemand et condamne en même temps un peuple fier à l’indignité. Et le pire: de cet fait, les Grecs se retournent contre les Allemands, les Allemands contre les Grecs, et l’idée d’une Europe Unie Démocratique est offensée cruellement.

 

Nous exigeons la fin du dogme « extend and pretend ».

 

L’Allemagne, et plus particulièrement le contribuable allemand qui travaille dur n’a rien à craindre d’un gouvernement SYRIZA. Au contraire. Notre objectif n’est pas d’entrer en conflit avec nos partenaires. Notre objectif n’est pas d’obtenir des prêts supplémentaires ou un blanc-seing pour de nouveaux déficits. Notre objectif est la stabilité économique, des budgets primaires équilibrés et, bien sûr, la cessation des saignées fiscales opérées sur les contribuables depuis quatre ans par un accord de prêt inadéquat aussi bien pour la Grèce que pour l’Allemagne. Nous exigerons la fin de l’application du dogme «extend and pretend» non pas contre le peuple allemand, mais pour le bénéfice de nous tous.

 

Je sais, chers lecteurs, que derrière les demandes d’une «stricte application des accords» se cache la peur que « si nous laissons les Grecs de faire ce qu’ils veulent, ils vont refaire le même coup». Je comprends cette inquiétude. Mais ce n’était pas SYRIZA qui a érigé en institutions dans mon pays la collusion des intérêts privés et la kleptocratie qui feignent de se soucier de l’observation «des accords» et des réformes puisque celles ci ne les affectent pas, comme le démontrent les quatre dernières années des réformes engagées par le gouvernement Samaras sous la direction de la troïka. Nous, nous sommes prêts à entrer en conflit avec ce système afin de promouvoir des réformes radicales au niveau du fonctionnement de l’état, en établissant la transparence de l’administration publique, la méritocratie, la justice fiscale, la lutte contre le blanchissement d’argent. Ce sont ces réformes que nous soumettons à l’appréciation des nos citoyens aux prochaines élections.

 

Vers un « New Deal »

 

Notre objectif est la mise en place d’un New Deal pour l’ensemble de la zone euro qui permettra aux grecs comme à l’ensemble des peuples européens de respirer, de créer, de vivre avec dignité. Avec une dette publique socialement viable. Avec une croissance qui est stimulée par des investissements publics financés – seul moyen de sortir de la crise – et non pas par la recette échouée de l’austérité qui ne fait que recycler la récession. En renforçant la cohésion sociale, la Solidarité et la Démocratie.

 

Le 25 Janvier en Grèce, une nouvelle opportunité surgit pour l’Europe. Ne ratons pas cette chance ».

 

Yanis Varoufakis : le ministre de l'économie et des finances du gouvernement Tsipras. Une personnalité atypique.

Yanis Varoufakis : le ministre de l'économie et des finances du gouvernement Tsipras. Une personnalité atypique.

 

Ainsi, Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis son ministre des finances et de l’économie n’ont pas tardé. Ils ont pris contact avec les autorités européennes et ont été très clairs : selon « Mediapart »,

 

1) La Grèce doit obtenir, auprès des Européens et du FMI, un moratoire sur le paiement de ces intérêts, pour pouvoir se passer des dernières tranches d'aide de la Troïka. Et qu'elle lance très vite, dans la foulée, des négociations pour étaler, ou annuler, une partie de sa dette, pour faire face au mieux aux remboursements à effectuer tout au long de 2015 (la première échéance intervient dès la mi-mars, pour 4,5 milliards d'euros auprès du FMI).

2) D'après Gabriel Colletis, un professeur d'économie à Toulouse-1, partisan de Syriza, « le paiement des intérêts de la dette constitue le premier poste budgétaire, cela représente 20 à 25 % des dépenses de l'État aujourd'hui ». Autant d'argent qui, dans l'hypothèse – loin d'être acquise – d'un moratoire, pourrait servir à financer les mesures du « programme de développement » promis aux Grecs – et notamment les premières annonces de mercredi (hausse du salaire minimum, suspension de certains programmes de privatisation, aide aux plus démunis, etc.). Etant donné les échéances, il faudra élaborer un accord entre l’UE et la Grèce très rapidement.

 

Cela dit, le gouvernement Tsipras est loin de plaire à Bruxelles : il s’est opposé à des nouvelles sanctions contre la Russie et le nouveau Premier ministre laisse entendre qu’il appliquera son programme avec les premières mesures qu’il a prises : relèvement du SMIC et réembauche de 6.000 fonctionnaires licenciés sous la Troïka. D’ailleurs, cette volonté apparaît nettement dans la lettre aux lecteurs du « Handelsblatt ».

 

Du côté de Bruxelles, Juncker ne veut en aucune façon parler d’un effacement de la dette grecque. Ce n’est pas ce que les Grecs demandent : ils veulent un moratoire sur le paiement des intérêts de la dette, c’est donc un délai et non une annulation.

Jean-Claude Juncker joue le père fouettard. il se trompe : Alexis Tsipras n'est pas Saint-Nicolas !

Jean-Claude Juncker joue le père fouettard. il se trompe : Alexis Tsipras n'est pas Saint-Nicolas !

 

Les sociaux-démocrates se cherchent une nouvelle virginité.

 

Une autre pièce du dossier doit être mise en avant : c’est l’attitude des sociaux-démocrates. En France, François Hollande veut servir d’intermédiaire entre Merkel et Tsipras et invite ce dernier à se rendre à Paris. Au Parlement européen, son président, le social-démocrate Martin Schultz est le premier dirigeant européen à s’être rendu à Athènes. Enfin, Gianni Pitella, membre du parti démocrate du Premier ministre italien Matteo Renzi et chef du groupe social-démocrate au Parlement européen a publiquement marqué son enthousiasme pour Syriza.

 

Il est clair que les sociaux-démocrates constatant le grand succès des formations comme Syriza cherchent à se refaire une virginité à gauche. Néanmoins, iront-ils jusqu’à accepter de mettre un peu de souplesse dans l’application du TSCG, on est encore loin de la coupe aux lèvres, d’autant plus que Juncker a menacé de sanctions la France et l’Italie pour non respect des normes budgétaires.

 

Du côté des pays du Sud, Syriza ne doit pas attendre trop de soutien étant donné que l’Espagne et le Portugal sont dirigés par des conservateurs. Et la gauche n’est pas prête de revenir au pouvoir à Lisbonne, étant donné que son leader, Socrates, est en prison ! En Espagne, Podemos pourra-t-il emporter une victoire de l’ampleur de Syriza ? C’est loin d’être acquis. Podemos est issu du mouvement des Indignés et ne compte pas en son sein des politiques et des économistes aguerris et le PSOE (sociaux-démocrates) n’est pas laminé comme le PASOK.

 

Merkel déforcée

 

Pour la première fois, Angela Merkel est déforcée. La victoire de Syriza ébranle son système ordolibéral. La grande coalition a beau répéter que la Grèce doit rembourser sa dette – ce que ne conteste pas Tsipras – la crainte de Merkel est de voir à terme des formations comme Syriza apparaître un peu partout en Europe et les deux pays dirigés par les sociaux-démocrates – la France et l’Italie – donnent des signes de changement d’attitude et les menaces de Juncker n’arrangent certainement pas les choses.

Rencontre à Strasbourg entre François Hollande, Martin Schultz et Angela Merkel. Entre sociaux-démocrates et CDU, ce n'est plus la grande entente.

Rencontre à Strasbourg entre François Hollande, Martin Schultz et Angela Merkel. Entre sociaux-démocrates et CDU, ce n'est plus la grande entente.

 

Même l’hebdomadaire ultralibéral britannique The Economist marque son inquiétude : « La déflation s'installe, ce qui alourdit encore le fardeau de la dette, malgré l'austérité budgétaire. (…) Si Madame Merkel continue de s'opposer aux efforts pour relancer la croissance, et pour freiner la déflation dans la zone euro, elle condamnera l'Europe à une décennie perdue, plus grave encore que celle qu'a traversée le Japon dans les années 1990. Cela ne manquerait pas de provoquer des sursauts populistes bien plus plus massifs, à travers toute l'Europe. Il est difficile de voir comment la monnaie unique pourrait alors survivre dans de telles circonstances. L'Allemagne elle-même en serait le grand perdant. »

 

Syriza : ça passe ou ça casse !

 

Ces propos sont nouveaux pour l’hebdo de la City. Angela ferait bien d’en tenir compte. Elle a toutes les cartes en main.

 

Dès lors, Tsipras doit franchir l’obstacle des autres pays européens endettés (Espagne, Portugal, Irlande) qui vont tout faire pour ne pas appuyer Syriza. Il doit rassurer Merkel, Hollande, Renzi, Michel dont les pays sont les principaux créanciers de la Grèce.

 

A l’intérieur, il a aussi des échéances : si les Grecs ne voient pas un changement rapide, Syriza pourrait mordre la poussière. Donc, Syriza, ça passe ou ça casse.

 

Mais, Alexis Tsipras en est parfaitement conscient. Ses adversaires croient qu’il est joueur de poker. Non, il montre qu’il est un joueur d’échecs.

 

Pierre Verhas

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24 janvier 2015 6 24 /01 /janvier /2015 22:11

Toute la classe politique européenne a les yeux fixés sur la Grèce. Demain soir, ou lundi matin au plus tard, on saura si les rapports de forces politiques auront été bouleversé dans le pays des Hellènes qui a été progressivement gangréné par la fausse alternance Nouvelle Démocratie, libérale / PASOK, social-démocrate. Deux grandes familles se partageaient successivement le pouvoir : les Caramanlis à droite et les Papandréou à gauche.

 

La crise de la dette souveraine volontairement provoquée avec la complicité de la plus puissante banque au monde, Goldman Sachs, a entraîné le pays dans une spirale infernale sous la pression de l’Allemagne et avec l’intervention totalitaire de la fameuse Troïka (Fonds Monétaire International, Banque Centrale Européenne et Commission européenne) qui a imposé depuis 2011 au peuple grec une overdose du triptyque ultralibéral : dérégulation, privatisations, démolition de l’Etat social.

 

Les conséquences en sont catastrophiques : diminution substantielle du PIB, appauvrissement généralisé au point que des milliers de Grecs ont difficile à se nourrir, règne de mafias diverses, augmentation considérable de la dette, braderie des propriétés publiques au plus grand profit des entreprises transnationales, et surtout une austérité sans égal dans l’histoire économique contemporaine de l’Europe.

 

Cette situation ne pouvait plus durer. Le déséquilibre était trop grand et ne cessait de s’accentuer. L’obstination de l’Allemagne et celle de la Troïka finirent par relever de l’absurde, de l’aveuglement. Depuis cinq années de ce traitement de choc, on ne voit guère d’amélioration, sinon celle du niveau de vie déjà très élevé des classes supérieures.

 

On ne s’est pas attaqué aux deux faiblesses majeures de la Grèce : les dépenses militaires disproportionnées et la paralysie économique provoquée par l’Eglise orthodoxe qui est le principal propriétaire foncier grec et qui ne paye pas d’impôts. Et on oublie que les sommes considérables prêtées à la Grèce dans des conditions épouvantables ont surtout profité aux banques et n’ont en rien aidé à diminuer l’énorme dette grecque.

 

Face à ce déséquilibre dramatique, la crise politique était inéluctable. Les gouvernements successifs depuis George Papandréou furent les marionnettes de la Troïka. Quoiqu’il arrive dimanche 25 janvier, ce ne sera plus le cas, au grand dam de l’Union européenne et du FMI. Ce dernier a d’ailleurs exercé un chantage inadmissible à l’encontre du peuple grec : la tranche d’aide de 110 milliards d’Euros sera conditionnée aux résultats des élections ! Une telle atteinte à la souveraineté d’un Etat est du jamais vu.

 

Le nouveau président de la Commission européenne, quand il a appris la tenue d’élections anticipées en Grèce, n’a pu s’empêcher de dire : « J’espère que j’aurai le plaisir de revoir ceux que je connais bien ! ». Très diplomate Jean-Claude Juncker ! Il est vrai qu’il est plus adroit pour organiser des systèmes de fraude fiscale à grande échelle dans son splendide Duché.

 

Nous reproduisons ici des extraits de deux articles parus sur le site « Le Grand Soir » bien connu des lecteurs d’Uranopole. Le premier décrit la situation catastrophique dans laquelle se trouve la Grèce, le second est composé de déclarations de dirigeants de Syriza et de la gauche grecque. Au moins, grâce à eux, on sait ce qu’ils veulent en dehors du flou (volontaire ?) entretenu par les médias européens.

 

Syriza l’emportera-t-il ? Si on le souhaite ardemment, ce n’est pas certain. Il ne faut jamais préjuger d’une élection, surtout avec les énormes pressions exercées par les institutions européennes et les médias internationaux sur les électeurs grecs. Et il ne faut pas oublier le danger représenté par les néo-nazis d’Aube dorée. Le rapport de forces sera-t-il profondément modifié ? Sans doute, mais nous en aurons la certitude soit ce soir, soit demain.

 

Cependant, point n’est besoin d’espérer pour entreprendre…

 

Pierre Verhas

 

 

Alexis Tsipras représente un espoir pour la Grèce et aussi pour l'Europe entière. L'emportera-t-il et aura-t-il le pouvoir de changer les choses ?

Alexis Tsipras représente un espoir pour la Grèce et aussi pour l'Europe entière. L'emportera-t-il et aura-t-il le pouvoir de changer les choses ?

 

Grèce : l’ennemi de l’intérieur

 

Anastase ADONIS

23 janvier 2015

 

Retour en arrière, le 23/4/2010, lorsque le premier ministre grec George Papandreou, annonce lors d’un discours monté « en toute urgence », l’inévitable intervention de l’Europe dans les affaires économiques helléniques. La suite on la connaît : Troïka, Mnimonion, emprunts à taux élevé, braderies des entreprises d’Etat, mise aux enchères des bijoux de la Grèce (littoral, forêts, terres, bâtiments, mines, entreprises d’Etat, etc.).

 

Le premier ministre mentait lorsqu’il disait que « les marchés n’ont pas répondu favorablement à prêter à notre pays, et au risque de perdre tout, du fait de la difficulté d’emprunter, il est grand besoin de demander à nos partenaires européens l’activation du mécanisme de stabilité ». La veille bien sûr, des données ont été publiées, données relatives à la santé financière du pays.

 

Sur le coup, les Grecs découvrent « l’abysse », et ils ne savaient pas que ces données ont été falsifiées sur demande gouvernementale (pourquoi ?). En effet, une des falsifications était de comptabiliser les dépenses des entreprises d’Etat, bien rentables, sans compter leurs recettes. Une autre était de comptabiliser les dépenses de ces entreprises jusqu’en 2024 ! Par ailleurs, une plainte en Justice d’une employée du Service Hellénique des Statistiques, sur le maquillage des données d’Etat, montre que le déficit réel en 2009 était de 3,9%, un des plus faibles en Europe.

 

Mais quelle était la réalité ? Lorsque la Grèce introduisait un appel à emprunt dans les marchés de la finance, elle recevait des offres. Les documents officiels montrent que, par exemple, le 13/10/2009, la Grèce demandait 0,8 Mrds et les marchés lui en proposaient 4,795 à un taux de 0,59%. Le 20/10/2009, elle demandait 1,5 Mrds et les marchés lui offraient 7,040 Mrds à 0,35%. Du 12/1/2010 jusqu’au 13/4/2010 la Grèce a demandé 16,404 Mrds et les marchés lui en ont proposé 55,280 Mrds. Etc. Des dizaines de documents montrent une situation bien différente à celle qui a été dépeinte.

 

Tous les montants étaient sans aucune garantie assortie à l’emprunt. La situation selon laquelle la Grèce pouvait emprunter sans risques et sans taux usurier était bien réelle. Ces mêmes documents sont la preuve du mensonge du Premier Ministre grec George Papandreou. Mais pourquoi mentir ? Mentir c’était « convaincre » de la nécessité de l’arrivée de la Troïka. Strauss-Khan à la télévision française a reconnu que depuis Novembre 2009 Georges Papandreou discutait avec lui pour la mise sous tutelle de la Grèce par le FMI, et il le cachait au peuple grec. En fait, le moyen, ici la faillite de l’Etat grec, permettrait les taux d’intérêt de 0,35% à 6,5% et progressivement jusqu’ à 24%, 26% ou 28%. La suite était le but suprême, la cession des richesses privées et publiques.

 

Tous les Grecs savent ce qu’est le Mnimonion, utilisé par la Troïka. Un Mémorandum, qui accompagne souvent les contrats et les traités ou conventions, contient des clauses et des détails. Un de ces détails qui font très mal aux Grecs est la cession de la souveraineté nationale.

 

George Papandréou a menti aux Grecs.

George Papandréou a menti aux Grecs.

 

Si on ne peut affirmer que l’Europe était au courant en avril 2009 du mensonge d’Etat de Georges Papandreou, il est incontestable que depuis la mise sous tutelle de la Grèce en 2012 elle ne peut prétexter son ignorance.

 

Entre 2012 et Janvier 2014, la Grèce a payé plus de 220 Mrds d’euros en intérêt pendant que sa dette continuait à augmenter

 

Dimanche 25 Janvier, auront lieu les élections législatives grecques. Tous les partis sont présents, y compris ceux qui ont œuvré en faveur des politiques de destruction de l’Etat et de ses institutions. La commission européenne montre qu’elle suit de très près l’événement. Elle est même intervenue pour mettre en garde la population.

 

Elle a été même jusqu'à menacer de ne pas verser la 3e tranche d’aide,  environ 110 Mrds, en cas de victoire de SYRIZA, montant qu’il devait être versé il y a déjà quelque temps et qui est utilisé sous forme de pression sur les affaires et processus politiques de la Grèce.

 

Comment donc l’Europe peut inverser une tendance, à savoir celle de tester une autre politique, un autre parti, même s’il est de l’extrême gauche, ce qui déplaît beaucoup semble-t-il ? La communication n’a pas suffi. De toute façon qu’ont à perdre les Grecs dans la situation où ils se trouvent ? Il reste donc la mobilisation, voire la recherche de nouveaux clients, prêts à assumer les missions de la continuité selon l’évangile de la Troïka.

 

La précipitation donc de la Grèce dans une situation de « crise grecque » ou « crise de l’euro », crise qui a occupé, occupe et continuera à occuper pendant longtemps, mérite un peu plus d’attention.

 

Des études ont été faites, a posteriori, lorsque les Grecs ont commencé à comprendre que quelque chose ne tournait pas rond, ni en Grèce mais ni à l’Europe non plus. La corrélation entre les faits, les communications des uns et des autres, ont permis de repérer les fautes et les crimes contre le peuple grec. L’impact de ces communications sur les spreads montre la pression par coups de discours catastrophique aussi bien sur la préparation psychologique de la population et des milieux financiers. (…)

 

Pour rendre l’Etat grec insolvable pour permettre l’intervention de sauvetage, on doit mentionner deux actions, la première consistait à sous-évaluer les richesses publiques. Et la seconde fut l’élimination des deux banques publiques, bien rentables, à savoir la banque postale et la banque agricole. Ceci enlevait la possibilité pour l’Etat d’emprunter à taux très bas à travers ces banques. En effet, en accord avec le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, le gouvernement pouvait donner des garanties aux Banques d’Etat pour qu’elles puissent emprunter auprès de la BCE, comme il le faisait avec les banques privées, et par la suite emprunter auprès de ces banques selon les pratiques courantes, avec un taux jusqu’ à 1%, couvrant ainsi tout besoin de liquidité. La privatisation préalable immédiate de ces deux banques d’Etat, a affaibli l’Etat dans le domaine de sa propre survie. C’est ici, que l’appréciation des juristes et autres constitutionnalistes est sévère : « Un gouvernement qui ne respecte pas la constitution, une gestion déloyale contre l’Etat, complicité avecl’ennemi, manipulation des marchés moyennant fausses déclarations, etc. »

 

Trois ans se sont écoulés depuis le début des faits. Trois ans de « crise grecque », de « crise de l’euro », et de « mauvais élève » jusqu’au mois de Mai 2012, date à laquelle les premières publications officielles démontrent les mécanismes du hold-up à l’Etat, aux richesses nationales et à l’exploitation fiscale sauvage d’un peuple. D’abord ALPHA Bank, sur la méthodologie de calcul des dépenses d’Etat, puis ELSTAT (Service des Statistiques d’Etat) sur la falsification des données démontrant dans le rapport sur le déficit réel pour 2009 que celui-ci était de 3,9 % , un des plus bas en Europe. Pendant ces trois ans les spreads ne cessent de monter et la spéculation atteint des limites inimaginables. Trois ans, pendant lesquels, le faux prétexte de la faillite d’Etat a permis de dégraisser les salaires, de vider les caisses de retraite, d’anéantir la sécurité sociale et de créer un chômage sans précédent.

 

Trop tard, le Mnimonion est signé et l’effet de boule de neige est clair : le PIB chute sans les entreprises d’Etat, l’initiative privé est quasi-nulle par manque de support, d’infrastructures et de structures à économie de réseaux. En même temps la Grèce emprunte, car la Troïka impose, exige, la présence du FMI dont les taux dépassent les 20%. Comment dans une Europe où l’Allemagne emprunte à 0% cette même Europe peut-elle exiger que la Grèce emprunte à plus de 20% ? Quelle structure économique peut rémunérer le capital à ce taux ? Surtout pas la Grèce, qui jusque-là a toujours honoré ses dettes.

 

La suite n’est qu’un mauvais film : La troïka décide pour les ventes aux enchères, pour les cessions d’entreprises publiques, pour le bradage des meubles et immeubles…. La conséquence sur le PIB est inévitable. La sous-estimation de la valeur des biens vendus n’a pas apporté suffisamment, d’où des nouveaux prêts à des taux exorbitants ayant pour conséquence l’augmentation de la Dette.

 

Le premier sentiment, tout recul pris, vient de l’appréciation de la compétence de la Troïka en matière de gestion. Imaginons alors comment l’Europe est gérée…

 

Et si ce n’était pas une question d’Europe ? Et s’il n’y avait pas d’Europe du tout, comme celle qu’on nous la fait miroiter ? Et si l’Europe n’était pas responsable, ou plutôt si ces missions étaient autres ? Une étude plus approfondie sur la nature de ses institutions, qui devient cruciale, nous éclairerait mieux. Bien sûr, on s’affrontera au problème connu : comment est-ce possible qu’une forme de pouvoir se laisse contrôler ?

 

Entre 2012, début de la mission de la Troïka et Janvier 2014, la Grèce a payé plus de 220 Mrds en intérêt, pendant que sa Dette officielle continue à augmenter. C’est pendant cette période que nous avons eu les mesures fiscales qui n’ont rien à avoir avec les possibilités de paiement ou avec le niveau de production. C’est pendant cette période que les suicides ont commencé à apparaître pour dépasser les 4000 officiellement. Quelle différence avec le génocide ?

 

Il est évident que pour conduire la Grèce en faillite il fallait s’assurer de sa gestion, éloigner des fonctionnaires d’Etat, puisque tous ne pourraient pas être corrompus, pour la confier à un nombre de personnes contrôlables. Par la loi 3965 de 2011, une seule personne avait le pouvoir, excepté le ministre, de collecter les recettes venant des impôts, des douanes, des tribunaux, etc., de les gérer, et de savoir où cet argent se trouvait. Cette même personne, cadre chez Goldman Sachs, fut nommée auparavant, en 1998, par le Premier Ministre de l’époque pour gérer les dettes de l’Etat. Il semble facile dans un tel contexte de transparence de dire qu’il n’y a pas d’argent et qu’il faut emprunter, le paiement de l’emprunt se ferait par la vente des richesses et autres bien publics. Il y a eu quelques échos dans la presse internationale qui montre plus l’ampleur du rôle joué par cette banque dans l’administration financière de la Grèce.

Syriza sera-t-il le grand vainqueur ?

Syriza sera-t-il le grand vainqueur ?

 

Comment le peuple est-il en train de reprendre le pouvoir en Grèce ?

Dimitris Stratoulis, Theano Fotiou23 janvier 2015 Dimitris Stratoulis est syndicaliste et député Syriza, responsable de la commission Emploi, Theano Fotiou est députée Syriza.

 

Une majorité, un gouvernement et un plan d’action immédiat

Par Dimitris Stratoulis Syndicaliste, député Syriza, responsable de la commission Emploi

 

La coalition gouvernementale de Samaras-Venizelos, qui, après avoir pillé la société pendant deux ans et demi, a consenti récemment à des nouveaux engagements envers la troïka des créanciers pour l’imposition de mesures antisociales supplémentaires, appartient désormais au passé. Syriza a atteint l’objectif de son renversement. Le peuple grec a maintenant la parole. C’est lui qui imposera son choix avec son vote le 25 janvier 2015. Devant les urnes, deux options s’ouvrent à lui. La première est celle de la continuation des politiques désastreuses de l’austérité. La seconde est leur renversement et leur remplacement par un plan de développement qui vise le redressement productif et social effectif du pays.

 

Le gouvernement et ses amis en Grèce et à l’étranger tentent, avec la diffusion de la peur et d’un discours alarmiste autour de Syriza et de la perspective d’un gouvernement de gauche, d’intimider un peuple exsangue après cinq ans d’application des mémorandums antisociaux. Des mesures qui ont ruiné ses salaires, ses retraites, ses droits acquis et ont propulsé la récession, le chômage et la pauvreté à des niveaux stratosphériques.

 

L’alarmisme du gouvernement grec, des cercles dirigeants du FMI, de la zone euro et de l’Allemagne avec le chantage des hypothétiques attaques des marchés ne fait pas peur à Syriza. Au contraire, cela renforce notre détermination en tant que futur gouvernement de gauche soutenu par les combats et le vote du peuple grec à promouvoir et à appliquer à la lettre les dispositions de notre programme, sans succomber ni aux menaces, ni aux chantages, ni aux pressions de l’establishment national et international relayées à profusion par les médias dévoués à leur cause.

 

Les critères de nos décisions, en tant que gouvernement progressiste de la gauche, ne seront pas les exigences brutales et humiliantes des créanciers et des fonds spéculatifs, mais la survie du peuple, la dignité de notre pays, l’avenir de la jeune génération et aussi le besoin de frayer des nouvelles voies prometteuses pour tous les peuples de l’Europe, en renversant les politiques destructrices d’une austérité sans fin.

 

L’objectif de Syriza est d’obtenir une majorité parlementaire aux élections et la formation d’une alliance – indépendamment du résultat électoral – avec d’autres forces de la gauche et de l’écologie radicale pour former un gouvernement.

 

Ce gouvernement de gauche aura comme priorités essentielles l’annulation des mémorandums de rigueur et leur remplacement par un plan de développement qui favorisera la restructuration productive. Il s’attaquera immédiatement aux problèmes urgents du chômage, du rétablissement des revenus de la classe ouvrière, des droits sociaux, de la protection législative du travail et de tous les droits démocratiques qui ont été abrogés les dernières années. Dans ce but, la renégociation des accords de prêt avec les créanciers afin d’annuler les clauses abusives, les clauses « coloniales » qui étranglent la population et d’effacer une grande partie de la dette publique, est nécessaire et primordiale.

 

Pour faire face aux problèmes sociaux immédiats des victimes de la crise économique et pour relancer l’économie, un plan d’action sera présenté immédiatement au Parlement.

 

Les projets de loi qui seront soumis en priorité au vote des députés concernent :

– le rétablissement du salaire minimum à 751 euros (celui-ci ayant été réduit à 586 par les lois mémorandaires) et du treizième mois pour les retraites inférieures à 700 euros ;

– la suppression des mesures législatives qui ont permis les licenciements abusifs dans la fonction publique et la réembauche des victimes concernés ;

– le rétablissement des lois de travail qui protègent les salariés du privé contre les licenciements abusifs et la suppression des mesures antidémocratiques qui permettent au gouvernement de réquisitionner abusivement et autoritairement les grévistes ;

– la mise en œuvre des mesures qui facilitent le remboursement des dettes des personnes physiques et des PME envers les caisses de l’État ou des assurances, des dettes des foyers surendettés envers les banques, en prévoyant même la possibilité de l’effacement d’une partie de leur dette égale à la perte des revenus liée à l’application des mesures mémorandaires.

 

En même temps, le gouvernement prendra une série des mesures pour remédier aux problèmes liés à la crise humanitaire : accès au courant électrique pour les ménages pauvres, des coupons alimentaires pour les personnes démunies, la mise à disposition des logements pour les sans-abri, l’accès aux services de santé pour les personnes sans couverture sociale, l’accès gratuit aux moyens de transport publics pour les chômeurs et les pauvres et la réduction de la taxe appliquée sur le fioul de chauffage.

 

Ces mesures constitueront le premier pas de l’application de notre plan de développement antimémorandaire. Son application présuppose la mobilisation et le soutien du peuple grec, la solidarité des peuples européens, l’alliance avec toutes les forces syndicales progressistes de la gauche européenne et aussi avec les gouvernements du Sud frappés par la pauvreté.

 

La coalition gouvernementale de Samaras-Venizelos et l’élite politique et économique qui dirige actuellement l’Europe utilisent la peur comme arme. Syriza et le Parti de la gauche européenne représentent l’espoir de notre peuple et de tous les peuples européens pour un meilleur avenir. Optimistes, nous croyons que nous pouvons changer la situation en Grèce et en Europe. L’avenir est en marche.

 

Un avenir commun contre l’austérité et la déflation

Par Theano Fotiou Députée Syriza

 

La Grèce a été le pays d’Europe où les classes populaires ont subi la plus violente politique néolibérale d’austérité décidée par la troïka, par le biais des mémorandums. Les objectifs étaient évidents : suppression des conventions collectives et des droits acquis, abandon de l’État social (éducation, santé, sécurité) au privé, privatisations et liquidation du patrimoine public grec et des richesses naturelles du pays, confiscation des patrimoines privés grecs par la surimposition au profit des vautours étrangers des marchés. Dans un laps de temps de cinq ans, l’économie a été détruite, le chômage a atteint 27 % et 62 % pour les jeunes, les revenus ont été réduits de 50 %, les retraités ont été anéantis, 3,5 millions de citoyens se sont retrouvés en dessous du seuil de pauvreté. Les jeunes émigrent massivement et la dette publique est passée de 120 % en 2009 à 175 % du PIB. Et naturellement, elle ne peut pas être remboursée. Le peuple grec devait être puni de façon exemplaire, à titre d’avertissement pour le reste des peuples européens. L’économie et la société ont subi des dommages d’une guerre non déclarée. Le peuple souffre. La Grèce, un pays de l’UE en temps de paix, se trouve face à une crise -humanitaire : suicides, enfants qui s’évanouissent de faim à l’école, propagation des maladies infantiles puisque les enfants ne sont plus vaccinés et 35 % des familles se trouvent en dessous du seuil de pauvreté.

 

Le peuple grec n’a pas plié. Des vagues de grèves et des manifestations massives ont mobilisé le pays, tandis que les citoyens se sont retournés pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale vers la gauche radicale, vers Syriza. En même temps le peuple grec a commencé à s’auto-organiser en créant des structures de solidarité sociale sur tout le pays afin de survivre et de résister. Personne ne reste seul face à la crise. Solidarité et résistance ont été les mots d’ordre. Des centres de santé et des pharmacies solidaires, des cantines sociales, des distributions de colis alimentaires, des nouveaux marchés sans intermédiaires de distribution, des écoles solidaires pour les Grecs et les étrangers, et tous les jours nous voyons apparaître de nouvelles formes de collaboration sociale. Suivant les règles de la démocratie participative, les décisions sont prises en assemblées générales ouvertes garantissant la participation égalitaire de tous, solidaires et bénéficiaires, Grecs et étrangers. Par leur action, ces cellules d’autogestion renversent le modèle idéologique du néolibéralisme (concurrence, personnalisation et privatisation).

 

La crise transforme les identités. Les structures de solidarité sociale accélèrent les transmutations identitaires et politiques. Les structures de la solidarité révèlent le caractère politique de la crise. Parallèlement, le besoin de survie devient créateur des nouveaux savoir-faire de la pauvreté. Il démontre l’effet multiplicateur de la participation citoyenne. Les structures alimentaires qui se développent sur l’étendue du territoire grec se sont très rapidement intéressées aux surplus, au gaspillage, aux produits terrés par les producteurs ou détruits par les usines, aux aliments jetés par les restaurants et les magasins, aux médicaments et aux habits dont les familles ne se servent plus. Des produits qui sauvent des vies alors que le capitalisme préfère détruire pour accroître la valeur ajoutée du capital.

 

Cette Europe-là doit changer. Un cordon ombilical lie les structures de solidarité avec la gauche radicale. Leurs pratiques journalières ont enrichi le discours et le programme de Syriza. La lutte contre la crise humanitaire constitue un des grands axes du programme politique de Syriza et englobe les mesures immédiates qui vont être prises afin que personne ne se trouve plus sans toit, sans médicaments, sans chauffage, sans courant électrique. Syriza désire devenir le porte-parole de tous ceux qui ont nourri sa réflexion, qui ont amplifié sa force et sa voix pour revendiquer aujourd’hui la gouvernance du pays, pour supprimer les mémorandums et l’austérité, pour négocier l’effacement de la plus grande partie de la dette, non seulement pour le peuple grec mais pour le bien de toute l’Europe. Pour devenir l’initiateur d’un changement historique qui aura comme devise : « Cette Europe-là, elle se change ou elle s’autodétruit. »

 

C’est pour cela que nous demandons aujourd’hui la solidarité de tous les peuples de l’Europe pour un avenir commun contre l’austérité et la déflation, contre l’expansion du fascisme et du racisme.

 

Sur le terrain économique, le traitement austéritaire a eu l’effet d’un poison. Le petit capital a été broyé (90 000 PME grecques ont disparu entre 2008 et 2011). Le fragile appareil productif grec est brisé, tandis que les entreprises publiques sont bradées au profit des multinationales, des fonds de pension et de l’élite financière grecque. Pour Yannis Eustathopoulos, économiste travaillant pour l’institut du travail de la Confédération générale des travailleurs grecs, les politiques conduites depuis cinq ans « participent à la formation d’un modèle de croissance économique par dégradation du travail, des droits sociaux, de l’environnement et de la cohésion territoriale ». Ces mutations n’ont pas pour autant permis à la Grèce de réduire le fardeau de la dette. Son ratio par rapport au produit intérieur brut (PIB) était de 113 % en 2009, avant la crise. Il atteint aujourd’hui 175 %. Quant aux 226,7 milliards « d’aides » octroyées par la troïka depuis 2010, en contrepartie d’un sévère programme d’ajustement structurel, ils ont pour l’essentiel bénéficié directement ou indirectement au secteur de la finance.

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 09:49

Il y a une chose dont il faut se méfier par dessus tout : c’est l’unanimisme. Les médias ont fait en sorte que toutes et tous réagissent de la même manière en affichant le slogan « Je suis Charlie », quelques heures à peine après l’attentat. C’est Orwellien ! La pression médiatique joue une fois de plus, mais dans des proportions inégalées, son rôle de « police de la pensée » traquant la moindre objection qui vaudra l’opprobre à son auteur.

 

En plus, ce « tous unis contre la terreur » tue tout esprit critique : tout le monde est invité à penser la même chose. On veut faire croire à l’unité de tous, classes sociales confondues, sensibilités politiques apaisées, convictions philosophiques et religieuses mises de côté. Comme l’explique la philosophe Marie-José Mondzain dans « Mediapart » : « … c’est une fausse universalité qui opère comme slogan de communication massifiante.

 

Nous ne sommes pas tous pareils face à cet événement. Certains vont tenter d’en tirer parti politiquement ; d’autres le vivront d’une façon purement primaire et affective, haineuse parfois ; enfin une minorité, que je souhaite voir devenir majoritaire, entend donc réfléchir aux causes véritables et profondes de cette situation. »

 

Espérons-le aussi !

 

Et les journaux établis entretiennent cette unanimiste émotion : quand Béatrice Delvaux, l’éditorialiste « en chef » du quotidien bruxellois « Le Soir » - un peu l’équivalent belge du « Monde » - écrit ce 8 janvier : « Des kalachnikovs contre des crayons. Faut-il que certains soient devenus fous pour tuer des hommes qui, pour dénoncer la connerie universelle, de tous bords, ont choisi de la moquer d’un trait sur une feuille de papier ? ». Elle n’a rien compris ! Ou plutôt, elle sait très bien ce qu’elle écrit : elle use de ce qu’on appelle désormais l’émocratie (1) qui exploite et attise la légitime émotion causée par l’assassinat de douze personnes à l’hebdomadaire satirique parisien « Charlie Hebdo ». Et cette émotion ne permet pas de comprendre ce qui pour la plupart est indicible. En outre, elle est accompagnée de propos mensongers : ce ne sont pas des fous qui ont tué les gens de « Charlie » et – ne les oublions pas – les deux policiers qui étaient chargés de les protéger. Ce sont des djihadistes bien entraînés et qui savaient ce qu’ils faisaient.

 

Qu'on le veuille ou non, ce sera un autre «Charlie» après le 7 janvier.

Qu'on le veuille ou non, ce sera un autre «Charlie» après le 7 janvier.

 

« De plus en plus, dans un contexte économique difficile et dans des conditions de concurrence exacerbées, les choix rédactionnels des grands médias sont dictés davantage par le "marketing éditorial" que par le souci de forger l'opinion sur des bases rationnelles. La valeur d'échange de l'information l'emporte sur sa valeur d'usage. Cela n'est pas sans conséquences parfois inquiétantes pour la démocratie même. » écrit Jean-Jacques Jespers.

 

L’exploitation médiatique de la tragédie de Charlie Hebdo illustre parfaitement cette thèse. Mais en plus de cette marchandisation, il y a l’exploitation politique.

 

Nous vivons dans le contexte économique de concurrence meurtrière qui oblige la presse à se marchandiser, en perdant ainsi son indépendance. En plus, les organes de presse majeurs sont tombés entre les mains des holdings, des fonds d’investissements, voire même des banques. Comment veut-on faire une presse d’opinion dans ces conditions ?

 

Jean-Jacques Jespers : un des meilleurs spécialistes des médias

Jean-Jacques Jespers : un des meilleurs spécialistes des médias

 

Les sondages plus importants que douze morts

 

L’exploitation politique a été poussée à son paroxysme par François Hollande qui, au lieu de s’occuper d’organiser la traque des frères Kouachi et de diligenter l’enquête, a préféré courir vers les lieux de l’attentat avec son conseiller en communication et face aux caméras. Quelle occasion unique de redorer son blason terni par sa politique désastreuse ! Les sondages sont bien plus importants que douze morts ! Et puis, il saute sur l’occasion de la « manifestation républicaine » de ce dimanche 11 janvier pour inviter la plupart des chefs d’Etat à participer. Ainsi, il sera au moins pour quelques heures, le président du monde…

 

Flamby a décidément la poisse. on voitr Luz, un des dessinateurs de Charlie Hebdo, qui ne peut s'empêcher d'éclater de rire, car le Président a été atteint par la fiente d'un pigeon lors de la marche du 11 janvier. Un des nombreux dégâts collatéraux...

Flamby a décidément la poisse. on voitr Luz, un des dessinateurs de Charlie Hebdo, qui ne peut s'empêcher d'éclater de rire, car le Président a été atteint par la fiente d'un pigeon lors de la marche du 11 janvier. Un des nombreux dégâts collatéraux...

 

Quand on voit défiler pour la « liberté d’expression » et « contre le terrorisme » des chefs d’Etat et de gouvernement, notamment une Merkel, un Rajoy, un Netanyahou et « son » ministre des affaires étrangères Lieberman, Bongo, Orban, Abadallah II de Jordanie, sans oublier Juncker, le président de la Commission européenne, c’est d’une indécence sans nom. Les dérives des pouvoirs « démocratiques » sont légion ces temps-ci : la participation évidente à la « surveillance globale » (2), le scandale financier de luxleaks, le dumping fiscal, les atteintes à la vie privée, les restrictions à la liberté de la presse et bien d’autres dérives sont monnaie courante.

 

La palme revient à Antonis Samaras, le Premier ministre conservateur renversé par le Parlement grec, qui a dit dans un discours à Chalkida: « Aujourd’hui à Paris, un massacre s’est produit avec au moins douze morts. Et ici certains encouragent encore davantage l’immigration illégale et promettent la naturalisation ». Et il attaque son adversaire Syriza sur la politique migratoire : « Le Syriza est sur une autre planète, il veut accorder massivement la nationalité, l’accès aux soins et à la couverture sociale à tous les immigrés illégaux. » Donc, il fait l’amalgame entre les attentats de Paris et l’immigration ! Cela n’a pas empêché Hollande de l’inviter à défendre les « valeurs républicaines ».

 

La marche des hypocrites !

La marche des hypocrites !

 

En cette période de désenchantement, l’occasion était bien sûr trop belle de provoquer un électrochoc dans la population non seulement en France, mais dans toute l’Europe et même aux Etats-Unis. En plus de l’unité « retrouvée » des Français, c’est « l’Occident » avec la présence des « grands » de ce monde, qui se dresse à l’unisson contre l’obscurantisme islamique.

 

La colère populaire

 

Et il y a sans doute autre chose : l’horreur suscitée par cet attentat a provoqué un haut le cœur de dégoût au sein du peuple de France. La colère populaire est dangereuse pour le régime. Elle pourrait se muer en révolte non seulement contre les assassins, mais aussi contre la politique de régression sociale du pouvoir.

 

Aussi, alors que l’appel à manifester le 11 janvier a été initié dans ce qu’on appelle les réseaux sociaux, Hollande a eu l’astuce de le reprendre à son compte en y invitant aussi les chefs d’Etat et de gouvernement d’autres pays. Double objectif atteint : il a réussi à canaliser le mouvement populaire spontané – ainsi, ce mouvement ne représente plus, du moins pour le moment, un danger pour le régime – et à redorer son blason sur le plan international.

 

Quelle indécence ! Charlie Hebdo qui n’était plus lu que par quelques milliers de personnes, qui était en grande difficulté, s’affiche comme « le » journal « antisystème » avec des textes et des caricatures d’un esprit critique tel qu’ils ne laissaient aucune place à l’adhésion à un quelconque pouvoir. Enfin, pas tout à fait ! Tout n’a pas été rose chez Charlie dans le meilleur des mondes libertaires. Souvenons-nous du licenciement abusif de Siné par Philippe Val, alors directeur de Charlie Hebdo, parce qu’il aurait critiqué en termes « antisémites » le fils de Sarkozy. Val a été récompensé : il a intégré la direction de France Inter. Il s’est rapproché du pouvoir ! Cela a été fatal pour la crédibilité de Charlie Hebdo.

 

Et maintenant, le pouvoir exploite l’émotion légitime et suscite la peur. Cabu, Maris, Wolinski, Charb et les autres n’auraient certainement pas voulu ça – bien qu’il soit facile de faire parler les morts !

 

La manifestation républicaine qui a rassemblé près de quatre millions de personnes dans toute la France a été canalisée par le pouvoir. Pour combien de temps ?

La manifestation républicaine qui a rassemblé près de quatre millions de personnes dans toute la France a été canalisée par le pouvoir. Pour combien de temps ?

 

Au secours, les fachos !

 

Aujourd’hui, toutes les bonnes âmes et Dieu sait si elles sont nombreuses, pleurent la liberté d’expression perdue. La veille, cependant, à Bruxelles, ces mêmes champions de cette liberté sacrée débattaient pour savoir s’il fallait ou non interdire Eric Zemmour de s’exprimer. Ah ! Je les entends parler ces beaux esprits : il n’y a aucune mesure entre le carnage de Charlie Hebdo et les élucubrations réactionnaires et racistoïdes de Zemmour ! Ah bon ! Donc, la liberté pour les uns et non pour les autres. Désolé, Messieurs Dames, la liberté d’expression est indivisible, ou elle n’est pas. De même, le fameux grand rassemblement « d’union nationale » n’a plus de sens au moment où les politiques – à qui la population n’a rien demandé – au lieu de la fermer, interdisent la présence de Marine Le Pen et de ses troupes du Front national, devenu suite à leur indécrottable stupidité, premier parti de France, et puis qui, devant l’énormité de leur démarche, font marche arrière, puis, rebelote ! lui signifient qu’elle n’est pas la bienvenue. Une telle valse hésitation est pathétique ! Et puis, quelle absurdité ! Marine Le Pen qui a lancé une dizaine de procès contre Charlie avec la ferme volonté de lui faire mordre la poussière, pleure la liberté d’expression perdue ! Au secours, les fachos ! Venez défendre les Lumières !

 

Marine Le Pen et l'ineffable Gilbert Collard manifestent dans le Gard le 11 janvier : Au secours, les fachos !

Marine Le Pen et l'ineffable Gilbert Collard manifestent dans le Gard le 11 janvier : Au secours, les fachos !

 

Et ce n’est pas tout. Derrière cette agitation médiatique, nous retrouvons aussi le fameux « choc des civilisations ». Qu’on le veuille ou non, les musulmans sont visés. On les appelle en des termes doucereux à se mobiliser contre le djihadisme.

 

Bien sûr, les musulmans ne sont pas responsables ! Qu’allez-vous chercher, là ? Mais ils sont un peu coupables. Et de tels propos s’appellent stigmatisation.

 

Le retour de Monsieur « Choc »

 

C’est évidemment le soi-disant « choc » entre le monde musulman et « l’Occident » qui est mis en avant, mais de manière hypocrite, afin de ne pas provoquer de heurts, du moins pour le moment. Ainsi, lisons le monument de duplicité de notre ami Bernard-Henri Lévy paru dans le « Monde » du 9 janvier sous le titre ronflant : « Le moment churchillien de la Ve République » : « A ceux d’entre nous, enfin, qui ont pour foi l’islam, il revient de clamer très haut, et en très grand nombre, leur refus de cette forme dévoyée de la passion théologico-politique. Les musulmans de France ne sont pas, comme on le dit trop, sommés de se justifier : ils sont – et c’est, là aussi, l’exact contraire – appelés à manifester leur fraternité avec leurs concitoyens massacrés et, ce faisant, à éradiquer une fois pour toutes le mensonge d’une communauté d’esprit entre leur dévotion et celle des massacreurs.

 

Ils ont la belle responsabilité, devant l’Histoire et devant eux-mêmes, de crier, à leur tour, le « not in our name » des musulmans britanniques conjurant l’amalgame avec les égorgeurs de James Foley : mais ils ont également celle, plus impérieuse encore, de décliner leur nom, leur vrai nom, de fils d’un islam de tolérance, de paix et de douceur. Il faut libérer l’islam de l’islamisme. Il faut dire et répéter qu’assassiner au nom de Dieu c’est faire de Dieu un assassin par procuration. Et l’on espère, non seulement des savants en religion tel l’imam de Drancy Chalghoumi, mais de l’immense foule de leurs fidèles, le courageux aggiornamento qui permettra d’énoncer enfin que le culte du sacré est, en démocratie, une atteinte à la liberté de pensée ; que les religions y sont, aux yeux de la loi, des régimes de croyance ni plus ni moins respectables que les idéologies profanes ; et que le droit d’en rire et d’en débattre est un droit de tous les hommes. »

 

Haro sur les musulmans

 

Donc, les musulmans de France et d’ailleurs sont invités à clamer leur rejet de l’islamisme radical et à manifester « leur fraternité » au nom d’une kyrielle de principes aussi confus que dénués de sens du genre « islam de tolérance, de paix et de douceur » - ce qui implique qu’il existe un islam intolérant et guerrier -. On se demande : pourquoi spécifiquement les musulmans ? Sont-ils implicitement solidaires des terroristes ? Après, il ne faudra pas pleurer si les frères Kouachi font des émules…

 

D’ailleurs, Mediapart observe ce 14 janvier : « Injonction leur [aux musulmans] a été faite soit de s’excuser, soit de se démarquer de l’horreur commise au nom de l’islam. Plusieurs lieux de culte ont été attaqués – des coups de feu ont été tirés contre une salle de prière à Port-la-Nouvelle dans l’Aude et à Saint-Juéry dans le Tarn, des grenades ont été lancées dans la cour de la mosquée des Sablons au Mans. Une explosion a eu lieu dans un snack près d’une mosquée à Villefranche-sur-Saône dans le Rhône. Plus d'une cinquantaine d'incidents au total ont été signalés selon l'Observatoire contre l'islamophobie du Conseil français du culte musulman (CFCM). »

 

Lisons ce qu’écrivait feu Cavanna, le fondateur de Charlie Hebdo dans un message testament intitulé « Lettre aux culs bénits » paru chez Albin Michel.

 

« Simplement, en cette veille d’un siècle que les ressasseurs de mots d’auteur pour salons et vernissages se plaisent à prédire « mystique », je m’adresse à vous, incroyants, et surtout à vous, enfants d’incroyants élevés à l’écart de ces mômeries et qui ne soupçonnez pas ce que peuvent être le frisson religieux, la tentation de la réponse automatique à tout, le délicieux abandon du doute inconfortable pour la certitude assénée, et, par-dessus tout, le rassurant conformisme. Dieu est à la mode. Raison de plus pour le laisser aux abrutis qui la suivent. […]

 

Un climat d'intolérance, de fanatisme, de dictature théocratique s'installe et fait tache d'huile. L'intégrisme musulman a donné le « la », mais d'autres extrémismes religieux piaffent et brûlent de suivre son exemple. Demain, catholiques, orthodoxes et autres variétés chrétiennes instaureront la terreur pieuse partout où ils dominent. Les Juifs en feront autant en Israël.

 

Il suffit pour cela que des groupes ultra-nationalistes, et donc s'appuyant sur les ultra-croyants, accèdent au pouvoir. Ce qui n'est nullement improbable, étant donné l'état de déliquescence accélérée des démocraties. Le vingt et unième siècle sera un siècle de persécutions et de bûchers. »

 

Cabu et François Cavanna à une époque où il était indispensable de se faire des illusions.

Cabu et François Cavanna à une époque où il était indispensable de se faire des illusions.

 

Ce texte me rappelle la discussion que j'ai eue avec Michel Warschawski en octobre dernier à Jérusalem. Je lui parlais du poids de plus en plus grand du religieux dans le conflit israélo-palestinien. Il me rétorqua qu'il pensait au contraire que le religieux est instrumentalisé dans les objectifs politiques des nationalistes des deux bords et particulièrement ceux des "colons" israéliens. A la réflexion, je pense qu'il avait raison. L'attentat du 7 janvier et le carnage de l’épicerie casher de la Porte de Vincennes n’ont la religion que comme prétexte. Elle est en fait un instrument de division des hommes et d'accomplissement d'objectifs politiques.

 

Karl Marx avait vu juste.

 

Cependant, le message religieux joue un rôle fondamental. On attribue à Karl Marx la fameuse sentence : « La religion est l’opium du peuple ». Il faut lire intégralement ce qu’il entend par là : « La misère religieuse est… l’expression de la misère réelle et aussi la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une situation sans esprit. C’est l’opium du peuple.

 

 

De temps à autre, il est bon de se rappeler ce que Karl Marx a exactement écrit

De temps à autre, il est bon de se rappeler ce que Karl Marx a exactement écrit

 

Pour que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple, il faut exiger le bonheur réel du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. » (Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel)

 

Karl Marx avait vu juste. La religion est « l’expression de la misère réelle et aussi la protestation contre la misère réelle ». Et c’est cela qui guide les tueurs en plus, bien entendu, de la manipulation dont ils font l’objet. La religion est en effet un instrument idéal pour asseoir un pouvoir totalitaire : elle ne supporte aucune critique et elle promet aux plus démunis un sort meilleur, bien entendu ailleurs dans le temps et dans l’espace. Et cela n’a rien à voir avec le fantasme débile des vierges qui attendent les djihadistes au paradis !

 

Dominique de Villepin, progressiste ?

 

Nous laisserons la conclusion à Dominique de Villepin qui analyse ces tragiques événements dans le « Monde » du 9 janvier. Il distingue trois ennemis à éliminer : le terrorisme, la peur et le rejet de l’autre.

 

Dominique de Villepin a souvent une vision progressiste du monde.

Dominique de Villepin a souvent une vision progressiste du monde.

 

« Nous avons trois adversaires redoutables à affronter.

 

Il y a d’abord, le plus évident, les terroristes. Nous ne pouvons tolérer que des assassins de masse circulent encore dans le pays et que les apôtres de la haine sèment leurs paroles impunément. Tous les moyens de l’Etat de droit doivent être mis en œuvre pour les appréhender et les traduire en justice. (…)

 

Il y a un second ennemi, c’est la peur. Le sentiment d’une violence imprévisible, omniprésente et soudaine suscite un désir de sécurité qu’il sera impossible de combler. L’expérience nous l’enseigne, les attaques terroristes favorisent le renoncement aux valeurs démocratiques, le souci de notre sécurité nous disposant à sacrifier les libertés de tiers, chez nous ou à l’étranger. La spirale de défiance créée aux Etats-Unis par le Patriot Act et la légitimation durable de la torture ou des détentions illégales a aujourd’hui plongé ce pays dans la perte de repères moraux. (…)

 

Il y a un troisième ennemi aujourd’hui, c’est le rejet. Notre pays se crispe de jour en jour. Ses élites se tournent chaque jour davantage vers des discours de division et d’exclusion permettant tous les amalgames. L’Histoire nous enseigne que lorsque les digues sautent, le pays risque l’effondrement. Si nous aimantons la violence, c’est parce que nous sommes divisés, faibles, repliés sur nous-mêmes ; un pays blessé qui perd son sang. Les polémiques littéraires, les démagogies partisanes, nous montrent que l’enjeu n’est pas tant de nous sauver des autres, d’invasions ou de remplacements supposés, mais de nous sauver de nous-mêmes, de notre renoncement, de notre narcissisme du déclin, de notre tentation occidentaliste et suicidaire. »

 

On n’entend pas souvent ce genre de propos dans le monde progressiste.

 

 

Pierre Verhas

 

Notes

 

(1)  Le néologisme « émocratie » a été inventé par Jean-Jacques Jespers, l’ancien journaliste de la RTBF et professeur à l’ULB. Il part du constat que le discours actuel est guidé par l’émotion au détriment de l’analyse des faits.

 

(2)  On prétextera que cette surveillance « globale » est indispensable pour prévenir les actes terroristes. Souvenons-nous cependant les mises en garde d’Edward Snowden. En tout cas, elle n’a pas joué en ce qui concerne « Charlie Hebdo » et les attentats neutralisés l’ont été le plus souvent par des méthodes de surveillances classiques.

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