Il est symbolique que la crise politique belge et la crise financière européenne ont lieu en même temps. Comme
l’écrit José Ignacio Torreblanca dans « El Pais » cité par l’édition électronique du « Courrier
international » :
« Malgré les mises en garde répétées, l'Union économique et monétaire a heurté un iceberg en pleine nuit.
Comme on ne l'a pas dotée des mécanismes permettant de faire face à des crises comme celle que nous traversons, le navire va faire eau de toutes parts. Toutefois, comme le président du Conseil
européen, Herman Van Rompuy, qui vient de présenter son recueil de haïkus, ces charmants petits poèmes japonais qui parlent de la fugacité de la vie et de la beauté de la nature, nous, les
Européens, préférons la contemplation à l'action. Et ces haïkus de Van Rompuy sont un peu comme l'orchestre du Titanic, qui joua sur le pont jusqu'à la dernière minute. Que ce soit la
Belgique ou l'Union monétaire qui sombre, qu'au moins elle le fasse en beauté. »
Quel est donc le point commun entre ces deux crises ? Il est simple : pour l’Europe comme pour la
Belgique, c’est une crise d’identité. L’Europe n’a pas réussi depuis les cinquante trois années qu’elle existe, à générer un idéal. Il est vrai que le ver était dans le fruit dès le départ.
Lorsqu’on présenta à Mendès France le texte du Traité de Rome, document fondateur de la Communauté économique européenne qui deviendra après le Traité d’Amsterdam, l’Union européenne, après
lecture, l’ancien président du Conseil français le rejeta avec mépris en disant : « Trop libéral ! ». En effet, le Traité était basé sur la libre circulation des personnes et
des biens et sur le principe de libre concurrence. Belles idées à première vue, mais génératrices de la société ultralibérale qui s’est développée petit à petit après la guerre.
Toute tentative de fonder une Europe politique se heurta à l’opposition farouche des souverainistes nationaux comme
de Gaulle ou les Anglais et au veto des partisans du « tout économique ». Et puis, dès les années 1990, l’Europe prit une tournure quasiment ultralibérale, comme si elle s’était
préparée à la chute du mur de Berlin, en fait surtout sur la pression britannique, qui se glorifiait des « années Thatcher ». Le traité de Maastricht fondant l’Euro vient de montrer ses
limites. Il s’en est suivi une série de traités, tous dictés par l’idéologie néo-libérale, qui tentèrent d’organiser les institutions européennes après le trop rapide élargissement à
l’Est.
Massimo Giannini dans le quotidien italien « La Repubblica » cité par l’édition électronique du
« Courrier international » résume bien la situation.
« Les marchés nous montrent du doigt quelque chose, là-haut dans le ciel. Comme toujours, les idiots regardent
le doigt et ne voient pas la lune. Le doigt, c’est la Grèce. Un pays désormais défaillant. Sa dette est rabaissée au rang d'obligations pourries. Selon les banques d’investissement américaines,
c’est le marché le plus risqué au monde sur les titres à court terme. Dans ces conditions, plus la Grèce cherche des ressources sur le marché, plus elle serre la corde autour du cou de ses
finances publiques. Plus elle tente de se sauver, puis elle s’étouffe. Tout cela était prévu. Et ceux qui aujourd’hui font semblant de pleurer versent des larmes de
crocodile. »
« Les marchés sont en train de l’emporter parce que les Etats tirent à hue et à dia, et l'Allemagne plus que
les autres. L'axe franco-allemand qui a mené l’Europe dans les moments cruciaux s’est effondré et la chancelière Angela Merkel est aujourd’hui seule face au reste du continent. La débâcle
grecque, avec les eurodélires déclenchés par le plan de sauvetage que les Allemands ont du mal à digérer et ne digéreront peut-être jamais, montre aujourd’hui l’autre visage de
l’Allemagne. »
Nouvelle offensive bancaire ou la capitulation du
politique
Ce sont les agences de notation, ces organismes privés au service des grandes banques américaines, qui publient
régulièrement les cotes des finances publiques des différents Etats. Ces agences sont en fait des organismes nuisibles car leur fonctionnement est pervers.
Elles sont trois :Standard & Poor’s, Moody’s, et Fitch. Ce sont des organismes privés, totalement
indépendants des régulateurs et autres gendarmes boursiers : deux groupes américains, Standard & Poor’s et Moody’s, et un acteur à capitaux français, Fitch, filiale du groupe Fimalac. A
elles trois, ces agences contrôlent 90% du marché mondial : 80% pour le duo Standard-Moody’s et 14% pour Fitch.
Le principe est simple : quand un pays ou une entreprise emprunte sur les marchés, il demande à une des agences de noter sa dette,
c’est-à-dire de donner une estimation des risques de non remboursement en fonction de sa solvabilité, ses perspectives etc. En fonction des systèmes de notation des agences, ces dettes se
retrouvent notées entre AAA (risque le plus faible) et CCC, voire D (faillite ou quasi-faillite). Pas moyen d’y échapper: les créanciers, banques, hedge funds, fonds souverains, exigent une
notation des dettes émises, forcément par une des trois grosses agences, avant d’ouvrir le « carnet de chèques ». Selon l’AMF, Moody's France note ainsi plus de 77 entreprises, 124
établissements financiers, 14 collectivités locales, 15 OPCVM. C’est un quasi monopole !
Mais le plus gros problème est ailleurs. Qui rémunère les agences ? Les émetteurs de dette eux-mêmes, entre 25 000 et 125 000 dollars. Il y a donc un risque de conflit d’intérêt
évident, d’autant que la raison d’être de ces agences est l’émission par leurs clients du maximum de produits financiers, puisqu’elles sont sûres de devoir les noter par la suite, et de facturer
leurs honoraires à chaque fois. Les agences de notation ont d’ailleurs largement participé à la montée en puissance des produits financiers ultra-complexes, issus de la titrisation de créances
douteuses, en les notant allégrement AAA ou apparenté, et en poussant leurs clients à en créer toujours plus. Parmi les champions de cette roulette russe financière, Goldman Sachs.
Le bilan des agences est édifiant. Standard & Poor’s notait encore AAA la banque Lehman Brothers quelques jours avant sa faillite. Quelques années auparavant, les trois agences notaient
AAA le courtier en énergie Enron, quatre jours avant sa chute.
Le grave problème que posent ces agences est l’entreprise de destruction des entités déjà affaiblies, elles les
empêchent de se refinancer à bon marché, et aggravent encore un problème qu’elles n’ont pas vu venir. Elles ont commencé par la Grèce, elles poursuivent aujourd’hui par le Portugal et puis l’Espagne. Qui sera le prochain ?
En tout cas, il est intolérable que ces agences qui sont au service des seuls spéculateurs, puissent avoir une
influence sur la politique financière des Etats qu’elles « cotent ». Cela signifie la fin du politique. En plus, leurs seuls critères sont relatifs aux capacités de remboursement dans
l’immédiat des Etats soumis à leurs examens. Elles se moquent des politiques, des décisions prises par l’Eurozone ou les gouvernements. Leur seule raison d’être est le service aux spéculateurs,
c’est-à-dire les grandes banques. Une fois de plus, nous assistons à la capitulation du politique. Celui-ci n’est même pas capable de dénoncer et de combattre les effets pervers provoqués par ces
agences. Lorsqu’on sait que l’Etat dispose des instruments de mesure efficaces et contrôlés pour leurs finances publiques et que la Commission européenne, au lieu d’enfoncer le clou, peut mettre
fin à cette entreprise, on peut se poser des questions sur le rôle des hommes et des femmes politiques actuels. Un exemple : le président de la Commission, le Portugais Jose Manuel Barroso,
qui fut Premier ministre avant d’entrer à la tête de l’Union européenne, mena une politique ultralibérale qui endetta gravement le Portugal. L’actuel gouvernement socialiste a redressé la barre
financièrement, économiquement et socialement. Par la spéculation et l’action perverse des agences de notation, la dette des Lusitaniens s’est envolée. Barroso ne trouve rien de mieux que de
faire pression sur le gouvernement de son pays pour qu’il mène une drastique politique d’austérité. Et c’est sans doute là l’objectif : supprimer le système social européen appelé
« modèle rhénan ».
Barroso au service de la haute finance
Le puissant Barroso, puissant par les appuis de ses maîtres réels, la finance internationale, ferait mieux de gérer
convenablement son organisme de contrôle, Eurostat, qui est étrangement silencieux, ces temps-ci. Le Ministre des Finances belge démissionnaire, Reynders, le fait remarquer dans « le
Soir » du 5 mai. Au passage, il a « oublié » de citer Goldman Sachs les agences de notation qui ont joué un rôle non négligeable dans la crise grecque.
François Hollande : un des seuls hommes
politiques
qui a vu juste.
De même, la dette publique, si on en laisse la gestion aux seules banques qui déterminent entre autres des taux
d’intérêt usuraires qui l’accroissent, fait en sorte que les Etats abdiquent de leur souveraineté et cela pourrait aboutir au renoncement à la liberté des peuples et des individus. Le socialiste
français, François Hollande, a dit : « Là où, il y a un an, on sauvait la Grèce en déboursant 15 milliards d’euros, aujourd’hui il faut en débourser au moins 50 milliards simplement à
cause de la spéculation et des pressions du marché. »
L’Euro cirque
La Banque centrale européenne (BCE) s’est elle-même désarmée en ne
réagissant pas assez vite et en cédant aux pressions de l’Allemagne. En effet, les statuts de la BCE lui interdisent d’accepter des titres dont la note est inférieure à A, note que précisément
vient de perdre la Grèce. Un banquier a déclaré à « Marianne2.fr » : « C’est dingue mais c’est comme ca. La
BCE, une institution souveraine, qui possède toutes les ressources pour apprécier la qualité des titres qui lui sont présentés, se place dans les mains du jugement d’une agence de notation
dont on a pu percevoir les multiples défaillances ». On aurait voulu être dans l’impasse que l’on n’agirait pas
autrement.
Jean-Claude Trichet ou la faiblesse
comme politique
Et puis, la Grèce n’est-elle pas la cible idéale pour les spéculateurs contre l’Euro. On use d’un discours
abominable pour accuser l’économie grecque. En gros, les « Grecs sont des fainéants ». Vraiment ? Lisons l’économiste Jacques Sapir :
« Avec une moyenne de 2,4%, la Grèce a un taux de croissance de la productivité du travail sensiblement égal au double de
l’Allemagne (1,2%). Elle est aussi nettement au-dessus de la moyenne de la zone Euro et de l’UE-25. En fait, et compte tenu de la structure de l’économie grecque, les travailleurs ont consenti
des sacrifices importants.
La Grèce a incontestablement des problèmes, mais ils n’ont rien à voir avec le travail des Grecs. On peut rapidement,
sans prétendre à l’exhaustivité, évoquer :
Une évasion fiscale des hauts revenus, largement rendue possible par la libéralisation financière dans la zone Euro. On
constate d’ailleurs aujourd’hui une baisse des comptes bancaires en Grèce au profit des banques de Chypre…
La surévaluation de l’Euro a des effets dramatiques sur la Grèce se voit concurrencée dans les activités touristiques par des pays
comme la Turquie, la Tunisie ou encore la Jordanie, et qui perd une partie des revenus qu’elle tirait de l’affrètement de la flotte de commerce (revenus en dollars…).
La politique allemande au sein de la zone Euro a d’ailleurs aggravé cette situation dans le domaine commercial. La balance courante de
la Grèce (le déficit commercial) s’est brutalement aggravée depuis 2005 et a atteint en 2007 14% du PIB.
Qu’il y ait eu des scandaleux abus de la part du précédent gouvernement est indéniable. Que ces abus trouvent aussi leurs échos dans
les pratiques des autorités locales avec une corruption et un népotisme endémiques, est aussi indéniable. Mais, ces abus n’expliquent pas tout et de plus, ils ne concernent pas l’immense majorité
des Grecs à qui l’on va demander des sacrifices.
La solution la meilleure pour la Grèce serait de pouvoir dévaluer (ce qu’elle ne peut faire bien entendu tant qu’elle reste dans la
zone Euro) et de faire défaut sur une partie de sa dette dont les intérêts représenteront 93 milliards d’Euros d’ici fin 2012. Si l’on additionne les intérêts à payer, la dette à faire rouler (ou
dette de court terme arrivant à échéance et qu’il faut renouveler faute de pouvoir la rembourser) et la nouvelle dette qu’il faudra de toute manière placer, on arrive à un total de près de 150
milliards d’Euros qui seront nécessaires (au minimum) d’ici fin 2012. »
La solution proposée par l’Eurozone est sans doute pire que le mal – ce qui expliquerait la chute des marchés – car, toujours d’après
Sapir :
« En fait, cette estimation ne tient pas compte de la contraction du PIB que le plan d’ajustement qui est actuellement proposé à
la Grèce va provoquer. Or, toute contraction du PIB provoque une contraction des recettes fiscales…
Le déficit est ainsi amené à se perpétuer, engendrant un nouveau plan d’ajustement, qui lui-même provoquera une nouvelle baisse du
PIB, et des recettes fiscales. C’est une situation absolument intenable pour un pays de la taille de la Grèce, et ce d’autant plus que l’estimation de 150 milliards correspond à des hypothèses de
recettes publiques qui ne sont pas réalistes. Un chiffre compris entre 180 et 200 milliards apparaît comme beaucoup plus probable.
Dans ces conditions, l’aide promise le dimanche 2 mai (et qui est de l’ordre de 110 milliards d’Euros sur 3 ans) serait certainement
bien plus efficace si elle venait après une sortie de la zone Euro et une dévaluation, sous la forme d’une annulation de certaines créances ou de leur rachat. Ainsi, la Grèce pourrait
retrouver rapidement le chemin de la croissance.
Il faut ici se souvenir du défaut russe de 1998. C’est bien de ce défaut que date le redémarrage de l’économie russe. Les prix du
pétrole n’ont joué aucun rôle jusqu’en 2001/2002.
Une dévaluation et un défaut ne sont donc pas la fin du monde et peuvent, au contraire, être l’occasion d’un nouveau
départ. » (Source : Marianne2.fr)
Une résistance sommes toutes assez faible
Ce type de raisonnement ne se retrouve pas dans la « grande » presse. Un
oubli, sans doute…
En dehors de quelques économistes, quelques journalistes, quelques syndicalistes et de rares hommes politiques, il
n’y a aucune réaction massive à cette abomination. Les manifestations des fonctionnaires et des travailleurs grecs sont bien modérées, il n’y a pas de réels mouvements sociaux au point que cela
surprend certains dirigeants qui s’attendaient à des situations insurrectionnelles. Certes, il y a des manifestations violentes à Athènes, mais cela n’a rien à voir avec une guerre civile. Tout
se passe comme si les masses se laissent mener à l’abattoir avec fatalisme. Il est vrai qu’il n’y a pas de mouvement d’opposition structuré. Ce ne sont pas les quelques « autonomes » et
une poignée d’anarchistes qui vont déclencher un séisme révolutionnaire.
Comme ils sont solidaires !
Quant à l’Allemagne, elle n’est pas si « vertueuse » qu’on le dit. D’ailleurs où est la
« vertu » dans une politique économique ? Toujours d’après Sapir : « Les données pour des comparaisons internationales sont relativement fragmentaires. D’après un travail
réalisé à l’OCDE en 2008, on peut cependant constater que, en longue période, la part des 1% les plus riches dans le revenu national est en Allemagne sensiblement supérieure de ce qu’elle est en
France. Ainsi, le mythe d’une Allemagne « vertueuse » ne ferait que masquer une réalité plus triviale : les rapports de forces bien plus favorables au capital qu’au travail. Les
Allemands ne sont pas vertueux, ils sont plus exploités. » L’économiste ajoute : « On retrouve ici l’inanité qu’il y a à
parler de « vertu » en économie. La vérité est que les politiques ne sont ni « vertueuses » ni « non vertueuses ». Au mieux peut-on s’interroger
sur leur durabilité, que ce soit dans le cadre national ou international. Il est ici clair que l’Allemagne a une politique de répartition, qui engendre le reste de sa politique, qui n’est pas
durable ou « soutenable » dans le cadre de la zone Euro.
Certes, la situation n’y atteint pas les extrêmes des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Mais l’écart de répartition est très significatif. Rappelons enfin que, depuis l’après-guerre, la
croissance allemande a été plutôt inférieure à la croissance en France et en Italie. En fait, ce sont bien des pays qui ont été systématiquement présentés comme « non-vertueux » (la
France et l’Italie) qui ont obtenu les meilleurs résultats sur longue période. Le niveau de la productivité en France le montre. »
Ainsi, et c’est vrai à chaque fois, on ne tient compte que d’un paramètre : la solvabilité dans l’immédiat,
autrement dit du diktat des marchés, ou encore du seul intérêt des banques.
Et l’Euro dans tout cela ? Malgré les discours « rassurants » de l’establishment européen, on voit
difficilement comment la Grèce se maintiendra dans l’Eurozone. L’économiste français Jean-Jacques Rosa expose, dans une interview au « Monde » du 5 mai 2010 : « La zone Euro
n’était pas une zone monétaire optimale. Pour que des pays puissent partager avantageusement une même monnaie, il faut – entre autres – une similitude des structures économiques, des taux
d’inflation, un parallélisme des conjonctures, etc. Mais dès le début, ces conditions n’étaient pas réunies. » Rosa rejoint l’analyse de Sapir sur la situation grecque. Il pense que la
sortie de la Grèce de l’Eurozone est inéluctable. Elle devra dévaluer et l’argent qui lui est prêté par l’accord du 2 mai en échange d’une sévère politique de restriction « est de l’argent
perdu ». Les Grecs devront procéder à une restructuration de leur dette par un défaut partiel.
Sapir ajoute : « Si, à la Grèce, nous ajoutons le coût probable d’un sauvetage du Portugal, de l’Espagne
et peut-être de l’Italie, ce sont des montants compris entre 500 et 600 milliards d’Euros qu’il faudra débourser, et ce sans garantie de succès. Une chose en tout cas est claire : les 110
milliards d’Euros de l’accord de dimanche 2 mai ne sont qu’une petite fraction des sommes qu’il faudra débourser.
On peut ajouter à cela que l’Euro compromet la sortie de crise pour les pays membres de la zone Euro, à la fois en raison de sa surévaluation (on est toujours à 1, 29 Dollars pour 1 Euro) et des
politiques d’ajustement budgétaire auquel nous allons être contraints tant que nous resteront dans la zone Euro (du moins dans sa forme actuelle). Ce n’est pas un hasard si les perspectives de
croissance de la zone Euro sont particulièrement mauvaises. »
Jean-Jacques Rosa conclut de son côté : « Le pacte de stabilité avait été présenté comme une solution
[aux divergences des économies], une garantie de stabilité. Or, il est mort, plus personne ne le respecte. Et l’Euro allait apporter de la croissance. Ce n’est pas vrai. Il est temps de
reconnaître un échec patent. » Ce n’est plus l’Eurozone, c’est l’Euro cirque !
Notre système de solidarité sociale en
danger !
Et si tout cela était intentionnel ? Ce n’est pas de la parano. Bon nombre le pensent. Ainsi, Georges Sidéris,
maître de conférence à la Sorbonne écrit dans « Le Monde » du 1er février 2010 : « Pourtant ce n'est qu'aujourd'hui que la Grèce est victime d'une campagne de
certains milieux financiers et de médias liés à ces milieux comme le Financial Times. On argue que la cause de la violence des attaques serait que la Grèce avait dissimulé la réalité de
ses comptes publics. Il aurait donc fallu une année entière pour que les milieux financiers, si bien informés au jour le jour, se rendent compte de la gravité de la situation socio-économique, de
la dégradation des finances publiques, de l'incapacité du gouvernement de droite à s'attaquer aux causes structurelles, alors que c'était le sujet de conversation de tout le pays l' année
dernière. Et, comme par hasard, à peine le nouveau gouvernement de gauche installé ces mêmes milieux financiers se seraient réveillés.
Il y a clairement une autre logique à l'œuvre, visant à déstabiliser le pouvoir de gauche et à briser le mouvement
syndical en Grèce, car c'est ce mouvement syndical qui est visé lorsqu'est invoquée la peur des milieux financiers que le gouvernement ne cède aux pressions sociales. Au-delà de la Grèce, c'est
l'Espagne avec son gouvernement socialiste, le fameux "socialisme méditerranéen" accusé par les libéraux d'être trop sensible aux revendications des syndicats, et toutes les politiques
sociales en Europe qui sont visées. Ces mêmes libéraux peuvent compter sur la bienveillance de certains gouvernements européens acquis à leurs idées et pas mécontents de voir le gouvernement
socialiste grec en difficulté. Ceci leur permet de maintenir les revendications sociales dans leur propre pays sous pression. Ne serait la question d'une déstabilisation de l'euro, on voit bien
que la Grèce serait complètement abandonnée à ces attaques spéculatives.
Le résultat ne s'est hélas pas fait attendre car comme le titre Le Monde (daté du 31/1/2010) :
"L'Espagne songe à repousser l'âge de la retraite à 67 ans. Le gouvernement espagnol veut rassurer ses partenaires européens sur l'état des finances du pays" On peut dire que cette
campagne de déstabilisation a déjà marqué ses premiers points. Mais la "crise" ne s'arrêtera pas à la Grèce aujourd'hui et à l'Espagne ou le Portugal demain si on laisse les milieux
financiers poursuivre librement leurs attaques. En regardant vers la Grèce et l'Espagne on voit bien que les "réformes" que l'on veut imposer en France sont un volet d'une politique
globale d'attaque des droits de tous les salariés. La Grèce est la victime d'une véritable machine de guerre des milieux financiers contre les politiques sociales en Europe. Il est temps que les
partis de gauche et les syndicats en France et en Europe saisissent le véritable sens de ce qui se passe en ce moment.
Il faut soutenir la Grèce car elle est le banc d'essai de ceux qui veulent briser les politiques sociales en
Europe. » Oui, mais pas comme le fait l’Eurozone qui enfonce encore plus la Grèce !
Nous laisserons la conclusion de l’Euro cirque à Jean-Paul Fitoussi : « La zone euro est déjà en retard
de croissance sur les autres grandes régions du monde, par manque de cohésion, par excès de croyance doctrinale. Plutôt que de tirer parti de finances publiques plus saines qu'ailleurs, elle met
toute son énergie au service de l'apurement du passé plutôt qu'à celui de la construction du futur. Cela ressemble à s'y méprendre à une "conjuration des imbéciles" pour reprendre le
titre du beau roman de John Kennedy Toole. »
Après la chute du communisme, la déliquescence de la social-démocratie, nous assistons à la fin de la démocratie
libérale au profit d’une jungle financière détruisant le tissu social et écrasant les libertés.
Il n’y a pas de réponse globale aux défis de notre temps. Le communisme qui fut un système trahissant la pensée de
Marx a échoué lamentablement après avoir régné dans le sang et par les chaînes. Le libéralisme en renonçant très vite à sa raison d’être, la défense des libertés individuelles et sociales, s’est
enlisé dans la seule dogmatique de la liberté des acteurs économiques. Aujourd’hui, le capitalisme a remplacé le communisme en plus efficace dans son règne tout aussi sanguinaire et totalitaire.
On a mal lu Orwell : Big Brother n’était pas seulement Staline. Il grandissait aussi dans le fumeux « Occident démocratique ».
La Belgique ou la fin de l’Etat-nation
Et la petite Belgique dans tout cela ? Dans « Le Soir » du 5 mai, Jacques Attali nous fait la leçon.
Au regard des défis actuels, détruire un pays pour un conflit anecdotique sur quelques villages est aberrant. Oui, Monsieur l’ancien Conseiller du Président de la République, dans l’apparence,
vous avez raison. Cependant, vous ne tenez pas compte d’un phénomène que l’on constate un peu partout en Europe : le démantèlement du modèle de l’Etat-nation. Celui-ci s’effrite par la
conjonction de forces centripètes comme la volonté autonomiste des régions « riches » comme la Flandre, le Nord de l’Italie, l’Ecosse et de forces centrifuges comme la mondialisation et
la perte de souveraineté comme on vient de le voir avec la crise grecque.
Jacques Attali a été mieux inspiré en
d'autres circonstances.
Michel Konen dans La Libre Belgique du 26 avril 2010 rappelait les écrits d’Hendrik Conscience, écrivain flamand du
XIXe siècle : « La Belgique se trouve dans une situation artificielle qui, sans aucun doute, constitue une menace pour l'existence même de la patrie »
Jamais ce texte n'a autant été d'actualité. On le croirait écrit par un éditorialiste d'aujourd'hui à propos du
débat animé autour de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Il n'en est rien !
Cette phrase est celle qui ouvre le "Manifeste du mouvement flamand". Elle date du 6 novembre 1847.
Elle est prémonitoire.
Plus loin, après avoir décrit les menaces qui pèsent sur la culture flamande le "Manifeste" poursuit : "... avec l'espoir
qu'un jour, la haute administration sera suffisamment équitable et courageuse pour détruire toutes les raisons justifiées de haine et de discorde qui séparent nos deux peuples".
Inspiré par Henri Conscience, l'homme qui révéla la Flandre à elle-même, ce texte n'a cessé d'être la pierre angulaire du Mouvement
flamand tout au long de son histoire. Un texte fort qui dénonce avec véhémence - et avec raison à l'époque - les humiliations que devaient subir les habitants d'une Flandre dominée et méprisée
par les francophones.
161 ans ont passé. Et le temps ne semble toujours pas venu "pour que nous (les flamands) puissions vivre dans la concorde et avec
des sentiments d'amitié et de fraternité affectueuse envers nos compatriotes wallons; car ce n'est qu'à partir de ce moment-là que le pays des Belges sera établi sur des bases solides".
»
Jules Destrée, l’intellectuel carolorégien, avertissait dans une lettre ouverte au Roi, juste avant la Première guerre mondiale : « Sire, il n’y a plus de Belges ». A cette époque, on
aurait pu raisonnablement trouver une solution juste pour les Wallons comme pour les Flamands. Non, on a maintenu l’illusion d’un Etat unitaire qui a commencé à se démanteler avec l’affaire
royale en 1950 et qui, aujourd’hui, est au bord de l’éclatement au sujet de « quelques villages ».
Ici aussi, avec cette crise surréaliste, on est passé de la politique belge au Belgique circus. Un exemple : Les députés Vlaams
Belang entonnant le « Vlaams Leeuw » dans l’hémicycle de la Chambre, par pur souci de provocation et de propagande, tout odieux que ce fut, cela avait de la gueule. Les SS avaient aussi
de la gueule. On sait ce qu’il s’est passé.
Dees néo-nazis à même de déstabiliser un Etat
Bon nombre pense que le nationalisme est une libération alors qu’il engendre l’oppression. Le nationalisme ne
résout pas la question de la souveraineté. La Flandre s’en apercevra à son détriment et l’Allemagne se retrouvera isolée. On dit que l’histoire ne repasse jamais les plats…
Edgar Morin : un regard lucide
Laissons la conclusion à Edgar Morin qui a déclaré récemment : « Nous sommes dans le paradoxe de la gestation d'une société
monde où l'économie et les territoires sont reliés entre eux, mais pour qu'il y ait au-dessus de cela une autorité légitime, il faudrait qu'il y ait le sentiment d'une communauté de destin
partagé. Pour des problèmes vitaux comme la biosphère, la prolifération des armes nucléaires ou l'économie, il n'y a pas de véritable régulation mondiale. Ce qui se passe dans l'économie est à
l'image des autres débordements, des autres crises du monde. La crise économique n'est pas un phénomène isolé. Elle éclate au moment où nous vivons une crise écologique.
C'est une crise des civilisation traditionnelles, mais aussi de la civilisation occidentale. Les civilisations
traditionnelles sont attaquées par le développement, la mondialisation et l'occidentalisation, qui sont les trois faces d'une même réalité : le développement détruit leurs solidarités, leurs
structures politiques, produit une nouvelle classe moyenne qui s'occidentalise, mais aussi en même temps un gigantesque accroissement de la misère. Le développement à l'occidentale est un
standard qui ne tient pas compte des singularités culturelles. Le paradoxe c'est que nous donnons comme modèle aux autres ce qui est en crise chez nous. Partout où règne le bien être matériel, la
civilisation apporte un mal être psychologique et moral dont témoignent l'usage des tranquillisants.
L'individualisme n'a pas apporté seulement des autonomies individuelles et un sens de la responsabilité, mais
aussi des égoïsmes. La famille traditionnelle, les solidarités de travail, de quartier se désintègrent et la compartimentation de chacun dans son petit cercle lui fait perdre de vue l'ensemble
dont il fait partie. Il y a les stress de la vie urbaine, la désertification des campagnes, toutes les dégradation écologiques, la crise de l'agriculture industrialisée. C'est pour cela que j'ai
écrit un livre qui s'appelle "politique de civilisation", pour exprimer l'urgence et l'importance des problèmes que les politiques ne traitent pas.»
« België barst ! » (Que le Belgique crève !)
éructent les néo-nazis flamingants. Craignons aussi que « Europa barst ».