La dernière intervention de l’Union Européenne pour « sauver » la Grèce de la faillite – technocratiquement dit « du défaut » - va coûter une fois de plus 110 milliards d’Euros aux contribuables de la zone Euro. Autrement dit, selon une étude britannique citée hier le 23 juin 2011 par le journal économique français Les Echos : grâce aux « plans de sauvetage » de la Grèce et au « mécanisme européen de stabilité » mis en place par la BCE, le FMI et l'Union, « la part de dette hellénique aux mains des contribuables étrangers passera de 26 % à 64 % en 2014. Cela veut dire que l'exposition de chaque foyer de la zone euro va passer de 535 euros aujourd'hui à 1.450 euros ». En clair, chaque foyer européen se voit endetté aujourd’hui de cette somme. Et rien ne dit que cela ne va pas aller crescendo, étant donné les difficultés que connaissent d’autres pays de l’Eurozone : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande – les fameux « PIGS » - et dans un délai plus ou moins rapproché : la France et la Belgique.
La catastrophe est imminente et ce n’est pas un scénario de politique-fiction.
Herman Van Rompuy ou la faiblesse politique de l'Europe
« La crise, chacun le sait, est largement de la faute des banques américaines, qui ont trop prêté et développé des produits spéculatifs. Pour les sauver, le Trésor américain leur a prêté de l'argent sans intérêt. Celles de ces banques qui n'ont pas fait faillite continuent à agir comme avant, inventant de nouveaux produits spéculatifs et ne prêtant, très chers, qu'à celles des entreprises qui n'ont pas vraiment besoin de leur argent.
Elles ont, en plus, aujourd'hui, une raison supplémentaire d'agir ainsi: tous les régulateurs leur enjoignant de reconstituer leurs fonds propres, elles le font, non seulement en utilisant tous les artifices comptables rendus possibles par les réformes d'avril, mais aussi en refusant de prêter aux particuliers et en exigeant des intérêts énormes des grandes entreprises désespérément à la recherche de liquidités.
Comme les intérêts que ces banques versent aux déposants sont proches de zéro, leurs bénéfices sont énormes. Et avec eux, elles peuvent recommencer à développer des produits spéculatifs, avec lesquelles elles comptent refaire les mêmes profits que par le passé, sans que personne ne vienne même, cette fois, leur opposer des réglementations. Et nul ne peut protester: qui pourrait se mettre mal avec son banquier ? » Qui a écrit cette attaque virulente du système bancaire ? Jacques Attali dans le site slate.fr, le 3 août 2009.
Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie !
En réalité, en cette affaire grecque, c’est rebelote ! Remplacez dans le texte d’Attali « Trésor américain » par « Union européenne » et vous aurez une fidèle image de la situation actuelle.
Les indignés espagnols ne désarment pas. Aboutiront-ils ?
Comme l’écrit Attac France (le groupe altermondialiste fondé par Bernard Cassen du
Monde diplomatique) : « Le « sauvetage » de la
Grèce est donc en fait une gigantesque opération de socialisation des pertes du système bancaire. Il s'agit de transférer l'essentiel de la dette grecque – mais aussi espagnole et irlandaise –
des mains des banquiers vers celles des contribuables. Il sera ensuite possible de faire assumer les frais de l'inévitable restructuration de ces dettes par les budgets publics européens.
Les Indignés espagnols disent : « Ce n'est pas une crise, c'est une escroquerie ! ». Le Parlement européen a voté le 23 juin le « paquet gouvernance » qui réforme le pacte de stabilité en
renforçant les contraintes sur les budgets nationaux et les sanctions contre les pays en infraction. Le Conseil européen réuni aujourd'hui et demain va parachever le travail. Et ce n'est pas la
prochaine nomination de Christine Lagarde à la tête du FMI qui réduira l'emprise des banques sur les institutions financières internationales, bien au contraire. »
La complicité (ou la faiblesse ?) des gouvernements de l’Eurozone (les faits exposés et commentés ci-dessous sont inspirés des excellentes analyses publiées sur le site « Mediapart »)
Depuis deux ans, les gouvernements de l’Union européenne s’inclinent devant les exigences des banques. C’est encore le cas, cette fois-ci.
La Grèce n'est pas sortie de la tempête.
Côté cour, le principe d'un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce est acquis. Pour éviter
l'explosion de la Grèce, les responsables européens ne voient comme unique solution que d'apporter de nouvelles aides, selon une recette bien connue désormais: prêts contre renforcement des
programmes d'austérité. Une ligne de crédit de 12 milliards d'euros, relevant du premier plan de sauvetage Europe-FMI, devrait être débloquée rapidement, afin de permettre au gouvernement de
faire face à ses échéances de juillet. Un nouveau plan de 110 milliards d'euros –on parlait de 60 milliards il y a peu – devrait être débloqué par la suite, à la condition qu'Athènes s'engage
dans un plan d'austérité de 28,5 milliards d'euros et réalise 50 milliards de privatisation.
Mais c'est surtout côté jardin que la partie la plus intéressante se joue. Elle oppose banquiers et
responsables politiques. Officiellement, il s'agit de trouver un accord entre les positions a priori irréconciliables de la Banque centrale européenne et de l'Allemagne. La BCE s'oppose
à tout réaménagement de la dette ou à toute autre mesure qui pourrait s'apparenter à un défaut ou un «événement de crédit».
L'Allemagne, elle, exige une participation des banques au nouveau plan de sauvetage grec, estimant que les contribuables européens n'ont pas à assumer seuls le fardeau de la crise grecque et de la crise de l'euro.
Siège de la Banque centrale européenne à Francfort
On se trouve là devant les faiblesses du traité de Maastricht. L’indépendance de la BCE en a fait l’instrument des banques. La Banque centrale n’agit pas comme un institut d’émission mais comme le gendarme de l'Europe au service des banques. Elle dicte les exigences bancaires aux Etats. Et la nomination toute récente de l’Italien Mario Draghi, ancien Président de Goldman Sachs Europe, à la tête de la Banque centrale européenne est symptomatique. Il présidait la banque d'affaires américaine au moment où celle-ci, dans les années 2000, aidait la Grèce à maquiller ses comptes publics.
Mario Draghi, nouveau président de la BCE, ancien président
pour l'Europe de Goldman Sachs prétend devant les parlementaires
européens qu'il n'a en rien participé au "deal" de sa banque avec la Grèce.
Quand on vous dit que ce n’était pas une crise, mais une escroquerie…
De renoncements en renoncements
Ce renoncement des gouvernements à leur position de créancier privilégié n’est que le premier d’une longue série. Les banques sont en position de force, d'autant que les agences de notation ont volé à leur secours. Avant même que le moindre accord ne soit signé, celles-ci ont fait savoir que la moindre réorganisation qui pourrait apparaître contrainte ou forcée de la dette grecque serait assimilée à une rupture de contrat, le fameux «événement de crédit» redouté par la BCE.
Fortes du soutien des agences de notation et des marchés financiers, semant volontairement la panique –
regardez les menaces régulières sur la Belgique -, les banques sont en situation privilégiée pour faire monter les enchères. Chaque gouvernement européen a engagé des discussions avec ses banques
pour arracher leur engagement au plan de soutien de la Grèce. Leur participation éventuelle au sauvetage de la Grèce va se payer au prix fort.
Cela ne suffit pas. Pour éviter que ce troc obligataire ne soit assimilé à un «événement de crédit» par les agences de notation –en clair; qu'elles considèrent qu'il s'agisse d'une
restructuration masquée de la dette grecque–, les banques insistent pour que les nouvelles obligations soient des produits nouveaux. Le mécanisme qu'elles préconisent est une garantie par le
biais du Fonds européen de stabilité. Ainsi, elles obtiendraient une assurance tout risque en qualité de créancier privilégié, statut qu'elles refusent aux Etats.
Un pouvoir absolu
Cette élimination du politique par le système bancaire change fondamentalement les règles, sans pour autant être une garantie du sauvetage de la Grèce et dans quelques mois des autres pays. Nous assistons à une révolution qui est destinée à imposer un système fou. Les plans d’austérité accompagnés de privatisations massives auront pour conséquences la destruction des systèmes de sécurité sociale et l’appropriation massive par les banques des entreprises publiques privatisées. Et n’oublions pas que depuis la crise financière de 2008, les banques pratiquent des taux d’intérêts usuraires empêchant tout redressement économique.
L’oligarchie aura atteint son but : la fin des Etats à son seul profit. Pour ce faire, elle procède, comme l’a magistralement expliqué Naomi Klein dans son livre « La stratégie du choc » (Actes Sud, 2008) : l’élimination de la sphère publique – les privatisations des entreprises et services publics et de la sécurité sociale – réduction draconienne des dépenses publiques et déréglementation totale de l’économie. La critique que l’on peut faire à l’analyse de Naomi Klein est qu’elle n’a pas pris en compte la socialisation de la dette publique, autrement dit l’appauvrissement généralisé des peuples. Cela ne change cependant rien à son constat : une oligarchie financière et économique prend le pouvoir absolu sur le monde entier.
Comment lutter ? Dans la crise de la dette souveraine européenne, on s’aperçoit que l’Union européenne est impuissante en tant qu’organe politique. Les banques ont le pouvoir d’agir sur la totalité du globe et rien n’est à même de les arrêter.
Les indignés ? Un peu partout en Europe, inspirés par les révoltes arabes, des mouvements qui s’appellent « indignés » manifestent, mais quelle influence ont-ils ?
Quant aux révoltes arabes, on s’aperçoit que ce qu’on a appelé le « printemps arabe », s’il a réussi à renverser trois dictateurs, il n’y a guère de changements fondamentaux.
A l’heure actuelle, nous sommes astreints à poser des diagnostics, on nous permet – encore – d’exprimer notre « indignation ». Mais où sont les remèdes ?
Nous devrions aussi faire nos think tanks !
Pierre Verhas