« Nous ne sommes pas à la première fin du monde à Haïti ». Ainsi s’exprime le poète haïtien James Noël. Il est né en 1978
à Hinche, ville située dans les hauts plateaux du pays à la frontière avec Saint-Domingue et habite aujourd’hui Port-au-Prince. Il raconte : « L'année 2004 c'était hier, date marquant
le bicentenaire de la république d'Haïti, mais la fête n'a pas eu lieu. Allez savoir pourquoi ? Une bonne occasion pour réveiller les fantômes parlants et pour ouvrir la boîte de Pandore.
Une bonne occasion aussi pour la presse occidentale d'en finir avec les clichés, de cesser d'être des ruminants d'un bricolage d'histoire, monté de toutes pièces, raconté pour elle et par
elle-même.
Le poète haïtien James Noël
Lors de cette fameuse année 2004, le monde a retenu de nous l'image négative d'un peuple de barbares s'entredéchirant deux cents ans après une révolution. Lors de cette même année, une tempête
surnommée Jeanne la tueuse a fait plus de trois mille morts dans la cité des Gonaïves. Le monde entier a dû retourner les projecteurs sur le pays. Des centaines de millions de dollars ont
été promis. Des dizaines de millions ont été volatilisés avant même d'arriver dans la ville inondée. La presse internationale avait une folle compassion pour nous, mais le coup de théâtre s'est
produit avec le Tsunami, qui nous a volé le rôle de triste vedette sur la scène internationale. Et Haïti s'est remis de plus belle à hurler sans témoins, à pleurer dans sa
solitude.
C'était hier encore, en 2008, on s'en souvient, quatre tempêtes, phénomène rares dans la littérature météorologique haïtienne, ont frappé coup sur coup le pays. Les journalistes de l'univers
s'excitaient pour nous une fois de plus, mais la crise économique mondiale nous a pris par derrière. Dans cet univers en banqueroute, il était devenu presqu'impudique de crier
au-secours.
Maintenant voici qu'arrive un séisme de magnitude 7.3, ce qui ne rentre pas du tout dans les habitudes du sol haïtien. Ce tremblement de notre tiers d'île qui a provoqué un tressaillement mondial
est un test brutal pour nous les Haïtiens et un grand cri d'alerte pour le monde. Au plus fort de ces manifestations de solidarité planétaire, Haïti sera-t-elle encore blackboulée par une autre
catastrophe qui pourrait survenir dans n'importe quel coin du globe, replaçant le pays derrières ses barreaux familiers et l'oubli coutumier ? »
La misère absolue
Alors que les Etats-Unis profitent du chaos consécutif au tremblement de terre pour envahir et occuper Haïti, comme ils le firent de 1915 à 1934, la presse internationale présente la misère qui
frappe ses habitants comme une fatalité due à un séisme majeur. Or, il n’y a ni fatalité, ni hasard. Depuis le XIXe siècle, lorsque les esclaves durent indemniser leurs maîtres, jusqu’aux oukases
du FMI, la pauvreté est le fruit de l’exploitation.
L’une des plus grandes opérations d’aide de l’histoire risque fort de ressembler à celle de l’après tsunami de 2004 sauf si un modèle de reconstruction radicalement différent est adopté. Souvenons-nous : l’élan de solidarité venu d’Europe et des Etats-Unis, a surtout permis de reconstruire les zones détruites dans le plus grand intérêt des multinationales : centres de vacances en lieu et place des villages de pêcheurs détruits, avec, comme conséquence, des déplacements de population, rétablissement du tourisme sexuel en Thaïlande, etc. Bref, on a aidé les multinationales et non les populations sinistrées.
En effet, il est à craindre que l’aide prenne la même forme que celle qui a accompagné le tsunami qui a
frappé, fin décembre 2004, plusieurs pays d’Asie (Sri Lanka, Indonésie, Inde, Bangladesh) ou encore l’après-cyclone Jeanne en Haïti en 2004. Les promesses n’ont pas été tenues et une grande
partie des fonds ont servi à enrichir des compagnies étrangères ou les élites locales. Ces « généreux dons » proviennent pour la majorité des créanciers du pays.
Les secours manquent de tout. Le FMI s'en fout.
Haïti a été partiellement détruit par un séisme de magnitude 7. Chacun y va de sa larme et les médias, en nous abreuvant d’images apocalyptiques, relayent les annonces d’aides financières que les
généreux Etats vont apporter. On entend qu’il faut reconstruire Haïti, ce pays où la pauvreté et « la malédiction » s’abattent.
La dette : le véritable fléau
Or, il n’y a pas de « malédiction ». Cette pauvreté a des causes bien déterminées et qui, bien
entendu, est mise en évidence lors du séisme. Cependant, en dehors de surfer sur l’émotion, aucun média ne se penche sérieusement sur la situation abominable de ce pays.
Haïti est traditionnellement dénigré et souvent dépeint comme un pays violent, pauvre et répressif dans le meilleur des cas. Peu de commentaires rappellent l’indépendance acquise de haute lutte
en 1804 contre les armées françaises de Napoléon. Plutôt que de souligner la démarche humaine et le combat pour les Droits de l’Homme, la sauvagerie et la violence seront les caractéristiques
assimilées aux Haïtiens. Edouardo Galeano parle de la « malédiction blanche » : « A la frontière où finit la République dominicaine et commence Haïti, une grande affiche donne
un avertissement : El mal paso - Le mauvais passage. De l’autre côté, c’est l’enfer noir. Sang et faim, misère, pestes. » Eric Toussaint, le président du Comité pour l’Annulation de la
Dette du Tiers-monde (CADTM) explique : « Il est indispensable de revenir sur la lutte d’émancipation menée par le peuple haïtien, car en représailles à cette double révolution, à la
fois anti-esclavagiste et anticoloniale, le pays a hérité de « la rançon française de l’Indépendance » correspondant à 150 millions de francs or (soit le budget annuel de la France de
l’époque). En 1825, la France décide que « Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse fédérale des dépôts et consignations de France, en cinq termes
égaux, d’année en année, le premier échéant au 31 décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité. » Cela
équivaut à environ 21 milliards de dollars d’aujourd’hui. Dès le départ, Haïti doit payer le prix fort, la dette sera l’instrument néocolonial pour entretenir l’accès aux multiples ressources
naturelles de ce pays.
Le paiement de cette rançon est donc l’élément fondateur de l’Etat haïtien et a débouché sur la constitution d’une dette odieuse. En termes juridiques, cela signifie qu’elle a été contractée par
un régime despotique et utilisée contre les intérêts des populations. La France puis les Etats-Unis, dont la zone d’influence s’élargit à Haïti, occupée par les marines états-uniens dès 1915, en
sont pleinement responsables. Alors qu’il aurait été possible de faire face aux douloureuses responsabilités du passé en 2004, le rapport de la Commission Régis Debray préfère écarter l’idée
d’une restitution de cette somme en prétextant qu’elle n’est pas « fondée juridiquement » et que cela ouvrirait la « boîte de Pandore ». Les requêtes du gouvernement haïtien
en place sont rejetées par la France : pas de réparations qui tiennent. La France ne reconnaît pas non plus son rôle dans l’ignoble cadeau qu’elle fît au dictateur « Baby Doc »
Duvalier en exil en lui offrant le statut de réfugié politique et donc l’immunité. »
Jean-Claude Duvalier dit "Baby doc",
l'inventeur des sinistres "tontons macoutes"
Ajoutons que la restitution de cette somme par la France aurait posé des problèmes financiers sérieux et ouvert la porte à des revendications d’indemnités de la part des pays autrefois
colonisés.
La solution n’est pas dans la réparation du passé mais dans la construction de l’avenir. Indemniser les erreurs, punir les crimes du passé, ne fait que perpétuer les rancœurs et empêche
l’instauration de relations normales entre partenaires égaux. Il y a là une contradiction dans le raisonnement du CADTM : on annule la dette du Tiers-monde, mais on paie celle de l’Occident
contractée il y a bien des générations. Non, on fait un trait sur le passé en annulant les dettes en totalité et en repartant sur de nouvelles bases.
Lisons la suite du raisonnement d’Eric Toussaint : « Entre 1957 et 1986, la dette extérieure a été multipliée par 17,5. Au moment de la fuite de Duvalier, cela représentait 750 millions
de dollars. Ensuite elle monte, avec le jeu des intérêts et des pénalités, à plus de 1 884 millions de dollars. Cet endettement, loin de servir à la population qui s’est appauvrie, était destiné
à enrichir le régime mis en place : il constitue donc également une dette odieuse. Une enquête récente a démontré que la fortune personnelle de la famille Duvalier (bien à l’abri sur les
comptes des banques occidentales) représentait 900 millions de dollars, soit une somme plus élevée que la dette totale du pays au moment de la fuite de « Baby Doc ». Un procès est en
cours devant la justice suisse pour la restitution à l’Etat haïtien des avoirs et des biens mal acquis de la dictature Duvalier. Ces avoirs sont pour l’instant gelés par la banque suisse UBS qui
avance des conditions intolérables quant à la restitution de ces fonds . Jean-Bertrand Aristide, élu dans l’enthousiasme populaire puis accusé de corruption avant d’être rétabli au pouvoir
comme marionnette de Washington [en 1999 par Clinton] et finalement d’en être chassé par l’armée états-unienne, n’est malheureusement pas innocent en ce qui concerne l’endettement et les
détournements de fonds. Par ailleurs, selon la Banque mondiale, entre 1995 et 2001, le service de la dette, à savoir le capital et les intérêts remboursés, a atteint la somme considérable de 321
millions de dollars.
Toute l’aide financière annoncée actuellement suite au tremblement de terre est déjà perdue dans le remboursement de la
dette ! »
Jean-Bertrand Aristide : une marionnette ?
Donc, il est clair que l’argent de l’aide à la reconstruction doit être redistribué après annulation de la dette (sinon, il reviendra dans les coffres des banques !) et sur des bases fixées
par un accord politique clair avec la participation des Haïtiens et des pays voisins comme Cuba, le Venezuela, Saint Domingue. Là aussi, il faut mettre un terme aux exclusives des Etats-Unis à
l’égard de plusieurs pays latino-américains.
Le rôle des Etats-Unis
Tout le monde a été surpris par la rapidité et l’ampleur de l’aide des USA après la catastrophe du 11 janvier.
Avec le « déferlement » des militaires US à Haïti, qui prévoit 20 000 hommes sur terre et dans les navires ancrés à proximité, un officiel US a indiqué que Washington prépare une
occupation de longue durée de la nation caribéenne pauvre et dévastée par le tremblement de terre.
« Nous sommes ici à long terme, ce n’est pas quelque chose qui va se résoudre rapidement
et facilement, » a déclaré l’Ambassadeur Alejandro Wolff, le représentant permanent des US aux Nations-Unies à propos d’Haïti, suite à une réunion sur l’aide à la nation sinistrée. En plus
des Etats-Unis, des représentants du Brésil, du Canada, de France, d’Haïti et d’Uruguay ont participé aux discussions. Le Canada et la France sont les principaux donateurs à Haïti, et le Brésil et l’Uruguay ont chacun plus de mille hommes sur place dans le cadre de la mission de paix des Nations Unies qui a constitué la principale
force d’occupation avant le tremblement de terre.
Les US Marines débarquent devant les ruines
du palais présidentiel haïtien : symbole d'une longue occupation
?
Dans une déclaration précédente aux Nations Unies, Wolff a dénoncé les gouvernements du Nicaragua, de Bolivie et du Venezuela pour avoir accusé Washington d’exploiter la tragédie d’Haïti pour imposer une occupation militaire du pays.
D’ailleurs, le gouvernement haïtien, du moins ce qu’il en reste, approuve cette présence US.
« Il est clair que les Américains sont ici à notre demande et qu'ils ne sont ici que pour nous assister dans nos besoins humanitaires ou sécuritaires dans le cadre par exemple de transport
de fonds », a déclaré le Premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, interrogé à Port-au-Prince par
RTL Radio.
« Tout le monde s'est entendu pour dire que l'aide des différentes armées dans un cadre contrôlé,
concerté et dans le cadre d'un dialogue est la bienvenue en Haïti », a-t-il ajouté.
« Haïti n'est pas sous tutelle », a affirmé de son côté le président René Préval dans une interview au quotidien français
Libération. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton « est venue cette semaine et m'a demandé si j'étais d'accord pour que les militaires américains (...) puissent venir
aider. Je lui ai dit oui. C'est dans ce cadre que cela s'est fait », a-t-il déclaré. Les Etats-Unis ont prévu d'envoyer 4.000 soldats supplémentaires en Haïti, pour porter à 15.000 leurs
effectifs participant aux opérations de secours aux victimes du séisme du 12 janvier.
Revenons sur les déclarations de Wolff. Il a accuse les trois gouvernements d’Amérique Latine de vouloir « politiser le sujet avec des affirmations tendancieuses et non fondées » et d’avoir « ridiculement supposé une conspiration et une occupation». Si ce n’est pas une occupation, c’est en tout cas bien imité !
Cependant, sur place, la colère et les protestations commencent contre la militarisation par les US de la réponse à une catastrophe dont le bilan estimé se monte à 200 000 morts, sans compter 250 000 blessés et des millions de sans-abris.
Les équipes d’aide humanitaire et médicale ont accusé les militaires US – qui ont pris unilatéralement le contrôle de l’aéroport international et des équipements portuaires – d’avoir pour premières priorités le déploiement des troupes US et l’évacuation de leurs ressortissants. L’acheminement du matériel médical vital et des équipements ont été relégués au second plan. Les agences de secours médical ont déploré que des dizaines de milliers de personnes meurent de leurs blessures dues au tremblement de terre par manque de fournitures médicales et médicaments.
Le clivage classique resurgit : la Bolivie, le Venezuela, le Nicaragua, sans compter Cuba, constituent les pays hostiles (on n’utilise plus la formule « bushienne » de « forces du mal »… les temps changent). D’autre part, il est clair que les Etatsuniens sont venus pour rester. Quelle en est la raison profonde ?
Une autre preuve d’une occupation militaire américaine est l’opposition des autorités US à accueillir
d’éventuels réfugiés haïtiens. L’administration Obama a pris des mesures extraordinaires pour empêcher les
Haïtiens désespérés d’entrer aux Etats-Unis. L’effort pour empêcher les Haïtiens d’entrer au pays — incluant les blessés qui recherchent un traitement médical — illustre que la priorité de
l’intervention menée par les Etats-Unis n’est pas de sauver es vies, mais d’établir un contrôle militaire sur la population.
Les Américano - haïtiens peuvent être évacués
vers les USA. Pas les Haïtiens !
Cinq navires de la garde côtière américaine ont rejoint des navires de la marine américaine déployés sur les côtes haïtiennes — pas pour livrer de la nourriture, de l’eau ou des médicaments aux
malades et aux mourants, mais pour arrêter les Haïtiens qui pourraient tenter de s’échapper. Le commandant de la garde côtière, Chris O’Neil, a dit au New York Times que tous ceux qui tentent de
fuir Haïti seraient capturés et retournés, mais que, jusqu’à maintenant, son unité n’a pas été témoin d’une tentative. « Rien, zéro, a dit O’Neil, et pas d’indice qui nous montre que
quelqu’un est en train de faire des préparations pour faire une telle tentative. »
Les responsables américains ont dit qu’il y a peu de chance que les Haïtiens quittent les Etats-Unis, mais « ils s’inquiètent que dans les prochaines semaines, les conditions de vie qui
iront en se dégradant en Haïti pourraient encourager un exode. » Le fait que les responsables américains planifient des « conditions qui iront en se dégradant » en Haïti lors des
« prochaines semaines » — au-delà de la situation désespérée qui règne là-bas maintenant — est une preuve que Washington n’a pas l’intention de rendre les secours disponibles au plus
grand nombre, encore moins de rebâtir Haïti.
L’administration Obama élabore aussi des plans pour incarcérer les Haïtiens qui pourraient risquer le dangereux voyage en mer jusqu’aux Etats-Unis, qui, à chaque année, coûte la vie de centaines
de personnes. Des responsables ont dit au Times qu’ils « ébauchent des plans pour ramasser tout bateau qui transporte des immigrants illégaux et les envoyer à Guantanamo Bay » — la
célèbre base militaire américaine à Cuba. Le département de la sécurité intérieure a annoncé qu’il allait vider des espaces dans sa prison de déportés du sud de la Floride, le Krome Service
Processing Center, au cas où un flot d’Haïtiens arriverait.
Le chaos
En attendant, la situation est catastrophique et le chaos est en train de s’installer, sans doute pour une longue durée, tant qu’il n’y a pas une coordination des secours et de
l’aide.
La recherche pour des survivants dans les décombres des immeubles qui se sont écroulés n’a sauvé qu’une centaine de personnes selon les chiffres de l’ONU. Les équipes (dont l’équipe belge Bfast)
sont parties trop tôt sous la pression des autorités US.
Malgré le fait que des experts affirment que des victimes sont toujours en vie sous les ruines des villes d’Haïti, l’armée américaine a dit qu’il était de mettre un terme aux opérations de
recherche et de sauvetage. « Nous nous attendons à passer très bientôt de la phase de recherche à une phase de reconstruction », a dit le général de la marine Daniel Allyn, l’adjoint au
commandant des forces américaines en Haïti.
Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), une agence de l’ONU basée à Rome, seulement 250.000 rations alimentaires quotidiennes auraient été distribuées à ce jour, la moitié de ce nombre par
l’armée américaine. Le PAM a réussi a distribué environ 50.000 rations en un jour, soit la moitié du nombre requis. Les Etats-Unis ont commencé mardi à parachuter de la nourriture et de l’eau. La
première semaine de la crise, le Pentagone a refusé de considérer cette méthode de distribution en disant que cela finirait en émeutes.
Des journalistes ont rapporté des scènes d’horreur et de peur à Port-au-Prince. Des dizaines de milliers de Haïtiens quittent la capitale pour la campagne, soit à pied, soit en s’entassant dans
des autobus et des bateaux. Des camions servant habituellement à la collecte des ordures viennent déposés des centaines de corps dans des fosses communes.
Scène de pillage à Port-au-Prince
A cause du manque d’antibiotiques et d’autres médicaments, beaucoup d’amputations sont réalisées d’une façon sommaire, souvent sans morphine ou autre antidouleur, dont on manque partout. Des
docteurs et des infirmières au comble du désespoir continuent à demander des anesthésiants, des scalpels et des scies pour amputer les membres écrasés, selon Associated Press. Un représentant de
Médecins sans frontières a dit que les chirurgiens de son hôpital de première ligne à Cité Soleil ont été forcés d’acheter une scie au marché local pour pouvoir réaliser des amputations après
qu’un autre de ses avions s’est vu refuser la permission par l’armée américaine d’atterrir à Port-au-Prince.
« C’était l’amputation ou la mort », a dit à NBC le Dr Nancy Snyderman, travaillant pour l’aide humanitaire. « Il y a beaucoup d’infections secondaires. C’est la principale cause
de mort actuellement. »
« Dans un pays où il est si difficile de survivre en temps normal, cela devient presque impossible pour un amputé. Cela soulève immédiatement la question de ce qui viendra ensuite », a
déclaré Snyderman. « On ne trouve pas de prothèses dans ce pays qui sera bientôt un pays d’orphelins et d’amputés. » « J’ai vu des bébés dont le crâne était fendu comme un melon d’eau », a-t-elle continué. « Les
médecins ne pouvaient rien faire que de leur bander la tête, les couvrir et les laisser mourir. »
Au-delà de ces horreurs, on se pose la question : où est l’aide américaine ? Pourquoi tout cela est-il aussi inefficace ?
Cela n’empêche pas de voir débarquer toute une série de gens qu’on n’a pas l’habitude de voir participer à des opérations de sauvetage. Ainsi, que font de nombreux « employés » de la
firme « Blackwater » qui envoie des mercenaires en Irak ?
Dans une interview au quotidien suisse « Le Courrier », l’ancien ministre des affaires
étrangères d’Haïti, Philippe Joseph Antonio, militant de gauche, exprime sa crainte de voir Haïti perdre sa souveraineté sous prétexte de la catastrophe.
« Je suis radicalement contre la
présence étrangère en Haïti. Mais, de fait, il y a longtemps que nous sommes déjà sous tutelle! La dernière en date est celle de l'ONU et, à travers elle, d'autres puissances comme les Etats-Unis
ou la France. Mais je pose la question: dans quelle situation serions-nous si, aujourd'hui, les Etats-Unis ne prenaient pas la situation en mains? La mobilisation internationale nous rend un
immense service. Je le dis d'autant plus librement que, naguère, j'ai été interdit de séjour aux Etats-Unis! Où en serons-nous dans un an? Serons-nous capable de gérer la reconstruction? Pour
cela, il faudrait qu'un processus électoral ouvert se mette en place et qu'on exorcise nos vieux démons. Déjà les querelles entre BCBG ressurgissent. Le peuple lui s'en fiche, il demande des
bouteilles d'eau!
Longtemps oublié, Haïti peut-il profiter de l'émotion suscitée par le tremblement de terre pour se relever plus fort?
Combien de temps pensera-t-on encore à ces
dizaines de milliers de sinistrés ?
C'est l'enjeu principal! Selon un premier état des lieux, au moins 50% de Port-au-Prince est détruit. Tout le sud est dévasté! On parle de 10 milliards de dollars sur cinq ans pour reconstruire
Haïti, soit 2 milliards par an. En fait, ce n'est pas tant que ça: cela représente deux fois moins que les bénéfices d'une entreprise comme France Telecom! Il faut placer les choses dans leur
contexte: le gouvernement d'Aristide avait un budget moindre que celui d'une telle société. Personnellement, je ne crois pas à un pays ressuscité en deux-trois ans. Il faudra au moins dix ans
pour reconstruire les villes. »
Renoncer à la souveraineté ?
La question se pose et les Haïtiens se la posent. Il leur sera impossible de procéder à la reconstruction avec leurs propres moyens. Ils auront besoin d’une aide extérieure massive. Ici se pose
la question de la souveraineté : qui coordonnera cette aide, qui la contrôlera ? Où se trouve le pouvoir de décision en la matière ? Ce renoncement se fera, s’il y a lieu, au profit des Etats-Unis. Mais quels sont leurs intérêts en
l’espèce ?
D’après Jean Lavalasse, photographe et documentariste :
« Les intérêts des Américains de faire main basse sur Haïti sont nombreux. D’une part, la main d’œuvre est très bon marché en Haïti et l’île n’est située qu’à 30 minutes de la Floride, y faire transiter des cargaisons serait rapide depuis ce nouveau Taïwan.
Ensuite, il y a Cité Soleil, cette zone est convoitée par les Etats-Unis en accord avec la grande
bourgeoisie commerçante d’Haïti, pour la convertir en un grand port : un port franc et une zone industrielle.
Adossée à la République dominicaine et proche de
Cuba, Ha¨ti est un lieu stratégique.
Puis, c’est le moment idéal pour se servir du territoire comme base arrière pour contrôler et contrecarrer Cuba puisqu’Obama a promis de libérer Guantanamo. Depuis Cité Soleil et au dessus de
Gonave, il y a une vue appréciable sur Cuba.
Et enfin, le sous-sol haïtien est bourré de pétrole. Apparemment les gisements vénézuéliens prendraient
leur source sous l’île. Port-au-Prince est assis sur un gigantesque puits de pétrole qui ne pouvait être jusque là exploité. En effet, depuis les années 50, Jean Dumarsais Estimé, le président de
l’époque, avait déplacé la capitale anciennement située à Marchand-Dessalines vers l’actuel Port-au-Prince. Cette transition ne permettait pas d’exploiter le pétrole mais Mère Nature aidant,
aujourd’hui tout est possible. De plus, le séisme a provoqué un exode rural volontaire des habitants de Port-au-Prince, laissant le champ libre à la destruction des ruines de la capitale et
pourquoi pas le forage des sols… Dans d’autres circonstances, s’ils avaient demandé aux habitants de partir vers les campagnes cela aurait été considéré comme un génocide. La catastrophe apparait
comme une aubaine pour les impérialistes car elle permet de déplacer à nouveau la capitale. Tout n’est qu’enjeux géopolitiques et économiques. »
Cette idée de l’exploitation géopolitique et pétrolière d’Haïti est reprise dans toute la presse du Tiers-monde. Ainsi, Katia Sabet, journaliste au journal francophone égyptien « Le progrès
égyptien » rapporte des idées similaires. Non seulement, les Américains ne reconstruiront pas Port-au-Prince et encourageront ainsi un exode rural, pour pouvoir exploiter les éventuels
gisements pétroliers à Port-au-Prince, mais le FMI a accordé un prêt de 100 millions de dollars assorti des conditions habituelles comme la non augmentation des salaires et l’augmentation du prix
de l’électricité. On est loin des rêves d’annulation de la dette d’Haïti.
Le pétrole et le pouvoir des multinationales a bien plus de poids que la vie et la misère pour des centaines de milliers d’Haïtiens. Qui a dit que l’histoire n’était pas un éternel
recommencement ?