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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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22 mai 2022 7 22 /05 /mai /2022 20:59

 

 

 

Le 24 février 2022 marque le début de la fin du projet « Union européenne ». Une grande et belle idée s’effondre. Celle exprimée il y a longtemps par plusieurs grands esprits comme Victor Hugo, Johann Wolfgang von Goethe, Henri Lafontaine, Jose Ortega y Gasset et bien d’autres qui consistait à unifier les peuples d’Europe afin de bâtir la paix dans la liberté et la prospérité.

 

Victor Hugo avait dit :

 

« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne... Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. »

 

 

 

 

Victor Hugo fut un des premiers promoteurs de l'union des peuples d'Europe au XIXe siècle.

Victor Hugo fut un des premiers promoteurs de l'union des peuples d'Europe au XIXe siècle.

 

 

 

Cet extrait d’un discours du grand écrivain français à l’Assemblée nationale française cité par Gabrielle Lefèvre (https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/quand-sombre-l%E2%80%99europe ) et lu un jour par le dernier secrétaire général de l’Union Soviétique, Michaïl Gorbatchev, qui souhaitait construire une « maison commune » sur le vieux continent, montre combien certains œuvraient pour cette idée grandiose qui a été galvaudée par la cupidité et la lâcheté.

 

 

                                 

Mikhaïl Gorbatchev, le dernier chef d'Etat de l'URSS, avait vu juste et avait un grand projet pour l'unité des peuples d'Europe. Il fut saboté par les dirigeants européens.

Mikhaïl Gorbatchev, le dernier chef d'Etat de l'URSS, avait vu juste et avait un grand projet pour l'unité des peuples d'Europe. Il fut saboté par les dirigeants européens.

 

 

En effet, si les fondateurs de l’Union européenne se sont inspirés de ces grands anciens, ils ont échoué à faire de l’Europe une entité à la fois autonome et universaliste. Ce qu’on appelle la construction européenne s’est élaboré dans le cadre de la rivalité entre les deux grandes puissances impérialistes de l’époque, les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Les institutions européennes se sont dès le début inscrites dans le camp « occidental » et capitaliste. L’affaire était donc viciée au départ : comment construire un édifice pacifique lorsqu’on faut partie d’un des camps antagonistes ?

 

Certes, le continent européen a vécu dans une paix relative pendant près de cinquante ans. Cependant, des guerres se déroulaient dans tous les continents et des pays européens y étaient mêlés directement ou non. Les guerres de décolonisation, la guerre de Corée, les deux guerres du Vietnam, les guérillas en Amérique latine, les guerres au Proche Orient ont eu lieu dans le cadre d’une « drôle de paix » entre les deux « Grands » qu’on a appelé la guerre froide.

 

Et dès la chute du Mur de Berlin et du communisme en Europe de l’Est, les démons de la guerre se sont réveillés en Europe centrale et en premier lieu dans les Balkans. En 1990, la Yougoslavie a éclaté. Et là, l’Union européenne qui s’appelait encore Communauté économique européenne, a raté une occasion unique de s’imposer comme force de paix. Au lieu de se présenter comme une entité neutre capable de faire pression sur les différentes parties en conflit, les Etats-membres sous la pression américaine de l’Allemagne et du… Vatican ont reconnu deux régions séparatistes : la Slovénie et la Croatie qui font aujourd’hui partie de l’Union européenne. Un ennemi était désigné : la Serbie, comme par hasard de culture slave orthodoxe et proche de la Russie. Cela provoqua une guerre atroce où fut pratiquée des deux côtés ce qu’on a appelé « l’épuration ethnique » ! Des troupes de différents Etats-membres au nom de l’ONU et de l’OTAN furent envoyées pour servir d’intermédiaires entre les belligérants sans obtenir un résultat. L’exemple du massacre de Srebrenica en est une tragique preuve, alors que les troupes hollandaises étaient présentes ! En Bosnie, les Occidentaux ont soutenu les musulmans contre les Serbes, les deux s’étant livrés à des atrocités innommables. Résultat : une Yougoslavie démantelée en plusieurs petits Etats avec deux d’entre eux qui demeurent sources de conflits : la Macédoine du Nord et le Kosovo, sans oublier la Bosnie qui connaît à nouveau des tensions. Tout cela fut imposé par la puissance étatsunienne dans le cadre des fameux accords de Dayton qui se montrent aujourd’hui très fragiles. Les armes pourraient à nouveau parler en Bosnie et au Kosovo.

 

 

Le terrible massacre de Srebenica a montré la dramatique faiblesse de l'Union européenne.

Le terrible massacre de Srebenica a montré la dramatique faiblesse de l'Union européenne.

 

 

 

Aujourd’hui, la guerre en Ukraine n’est en définitive que la suite logique et tragique de cette absence de politique stratégique en Europe. On se réfère toujours au même, mais dès 1960, le général de Gaulle avait compris que la France et l’Europe n’avaient aucun intérêt à s’aligner dans ce qu’on appelait à l’époque les « tensions Est-Ouest », c’est-à-dire la rivalité entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Et, malgré la chute du Mur de Berlin suivie de l’effondrement de l’Union Soviétique, l’Union européenne est toujours « scotchée » à la stratégie géopolitique des USA.

 

Les empires blessés

 

On dit qu’un animal blessé est dangereux. C’est le cas aussi des empires. La guerre en Ukraine dite « opération militaire spéciale » en est la tragique illustration. Cette guerre est en réalité l’affrontement par « délégation » entre les Etats-Unis et la Russie.

 

Que l’on condamne sans appel l’agression déclenchée par Poutine est une chose essentielle, mais cela ne doit pas interdire d’analyser les tenants et les aboutissants de cette tragédie qui montre que le continent européen reste toujours un champ de bataille. Celui de l’affrontement entre deux empires blessés. Cela ne doit pas faire oublier les massacres dans le Donbass qui se sont déroulés dès 2014 et qui servirent de prétexte à « l’opération militaire spéciale » décidée par Poutine. Tout n’est ni blanc ni noir en cette tragédie.

 

 

 

Vladimir Poutine s'est lancé dans une aventure criminelle qui peut à terme mettre fin à son empire.

Vladimir Poutine s'est lancé dans une aventure criminelle qui peut à terme mettre fin à son empire.

 

 

 

Oui, nous avons affaire à deux empires en déclin. L’hégémonie mondiale économique et militaire des Etats-Unis d’Amérique s’effrite. La mondialisation prétendument « heureuse » ou néolibérale est un échec colossal. Elle a montré sa fragilité dès le surenchérissement des prix de l’énergie. Elle a créé un déséquilibre industriel, commercial et social en désindustrialisant aux Etats-Unis et en Europe pour délocaliser en Chine et aussi en Russie. La situation économique étatsunienne actuelle est catastrophique : son abyssal endettement et son colossal déséquilibre de la balance des paiements prennent des proportions dangereuses aussi bien pour les USA que pour le reste du monde.

 

Et n’oublions pas ses dramatiques échecs diplomatiques et militaires qui ont entamé sa puissance. La récente débâcle en Afghanistan l’a tragiquement montré. Quel terrible symbole : quelques milliers de talibans fanatiques ont réussi à humilier la plus grande puissance mondiale devant le monde entier ! Quelle confiance, dès lors, peut-on avoir envers la « protection » américaine ?

 

 

 

Le président US Joe Biden s'enferre dans le bellicisme en multipliant les déclarations provocatrices.

Le président US Joe Biden s'enferre dans le bellicisme en multipliant les déclarations provocatrices.

 

 

 

La Russie, quant à elle, composée des territoires de l’ex URSS dépouillés de plusieurs de ses anciens Etats qui, à l’exception d’un seul, la Biélorussie, se sont montrés hostiles à Moscou.

 

Sa grande faiblesse est de ne pas avoir réussi à se débarrasser des oripeaux de l’Union Soviétique. La nomenklatura soviétique a été remplacée par les oligarques dès la fin de l’URSS. L’infrastructure de cet immense pays comme son industrie sont obsolètes, cependant la Russie reste un important exportateur de matières premières dont le gaz, évidemment, le pétrole, le blé, l’aluminium, le lithium, l’uranium. Et, en cela, il est évident que les dirigeants de l’Union européenne n’en ont pas pris la mesure en décrétant les sanctions-embargos contre la Russie.

 

Dépouillée de ses anciennes républiques à l’Ouest et dans le Caucase, la Russie s’est trouvée acculée. Une guerre a déjà eu lieu en Géorgie où les Russes l’ont emporté. Il ne faut pas oublier non plus la guerre en Tchétchénie qui s’est déroulée dans des conditions atroces, dont on ne sait pas très bien qui en est le vainqueur. Quant à l’Ukraine, jusqu’en 2014, elle s’est montrée plutôt proche de Moscou. C’est en 2014, lors du renversement du régime pro-russe que le rapport de forces a changé et l’Union européenne en porte une grande responsabilité. En effet, elle a signé un traité de libre-échange avec l’Ukraine. Aussi, par effet domino, il aurait concerné la Russie puisque celle-ci avait déjà contracté un traité de libre-échange avec l’Ukraine.

 

 

 

La place Maidan en 2014, lieu emblématique de l'insurrection nationaliste ukrainienne. On remarque les drapeaux de l'Union européenne.

La place Maidan en 2014, lieu emblématique de l'insurrection nationaliste ukrainienne. On remarque les drapeaux de l'Union européenne.

 

 

 

C’était évidemment la porte ouverte au conflit. De plus, depuis qu’il est élu, Zelensky s’est montré particulièrement agressif dans le Donbass. Dès lors, la tension n’a cessé de croître jusqu’à ce fatidique 24 février 2022 où Poutine a envoyé ses troupes dans une « opération militaire spéciale » qui s’est transformée en une aventure militaire meurtrière. Il est vrai que, comme l’écrit Natacha Polony dans « Marianne » :

 

« La résistance et même les contre-offensives de l’armée ukrainienne s’expliquent par le fait qu’elle dispose d’un arsenal ultramoderne fourni par les pays de l’OTAN et de l’avantage immense que confère le renseignement américain. La formation de l’armée ukrainienne par des instructeurs occidentaux, bien sûr, à 2014, mais on ignore ce qu’il en est depuis le déclenchement de l’attaque russe le 24 février. Un reportage de Régis Le Soummier, publié au début d’avril dans le Figaro Magazine, décrivait comment les volontaires français rejoignant l’Ukraine étaient très officiellement pris en main, à 60 km à l’ouest de Lviv, par un vétéran de l’armée américaine… »

 

Il est vrai que les Etats-Unis ont fourni des armes à l’Ukraine pour 33 milliards de dollars, ce qui est colossal. Et le 19 mai, le Sénat US a débloqué en plus 40 milliards d’aide à l’Ukraine dont 6 milliards consacrés à l’achat de blindés et d’équipements ultramodernes. Il est dès lors évident que les dirigeants étatsuniens cherchent à acculer la Russie qui se montrera incapable à s’opposer efficacement à une contre-offensive ukrainienne.

 

Ajoutons que les missiles qui ont coulé le croiseur Moskva, fleuron de la flotte militaire russe, en Mer Noire, ont sans doute été tirés par des « conseillers » américains en Ukraine. Et la même Natacha Polony pense que les démocrates étatsuniens qui attribuent à Poutine la responsabilité de la défaite de Hillary Clinton en 2016, sont directement intervenus dans cette guerre d’Ukraine. De toute façon, la résistance ukrainienne qui est apte à vaincre l’armée russe est un élément fondamental qui pourrait profondément changer la donne.

 

 

 

Le croiseur Moskva coulé sans doute par des missiles US tirés du territoire ukrainien. Une terrible humiliation pour Poutine.

Le croiseur Moskva coulé sans doute par des missiles US tirés du territoire ukrainien. Une terrible humiliation pour Poutine.

 

 

 

Cependant, cette guerre est pleine de risques. Le premier d’entre eux est celui de l’extension du conflit. De régional, il pourrait devenir européen, voire mondial. Dans une tribune désormais célèbre, parue dans le « Figaro » du 12 mai 2022, Henri Guaino, ancien conseiller à la présidence de Nicolas Sarkozy, s’inquiète de l’évolution de cette guerre. Se référant à l’historien australien Christopher Clark sur les causes de la Première guerre mondiale, Les Somnambules, été 1914: comment l’Europe a marché vers la guerre, Flammarion, 2013, Guaino intitule sa tribune : « Nous marchons vers la guerre comme des somnambules. » En effet, l’Europe semble subir l’événement, ne prend aucune mesure pour enrayer cette guerre et, bien au contraire, l’Union européenne et particulièrement la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, s’aligne sur les prises de positions les plus radicales, c’est-à-dire celles des dirigeants démocrates étatsuniens. De plus on peut craindre qu’un engrenage infernal se soit mis en route. Henri Guaino le compare aux débuts de la Première guerre mondiale.

 

 

 

Henri Guiano, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, a publié une analyse fouillée et lucide du conflit Russie - Ukraine.

Henri Guiano, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, a publié une analyse fouillée et lucide du conflit Russie - Ukraine.

 

 

 

« En 1914, aucun dirigeant européen n’était dément, aucun ne voulait une guerre mondiale qui ferait vingt millions de morts mais, tous ensemble, ils l’ont déclenchée. Et au moment du traité de Versailles aucun ne voulait une autre guerre mondiale qui ferait soixante millions de morts mais, tous ensemble, ils ont quand même armé la machine infernale qui allait y conduire. »

 

Comment cela ?

Comme l’explique Henri Guiano : « En étendant l’OTAN à tous les anciens pays de l’Est jusqu’aux pays Baltes, en transformant l’Alliance atlantique en alliance anti-Russe, en repoussant les frontières de l’Union européenne jusqu’à celles de la Russie, les États-Unis et l’Union européenne ont réveillé chez les Russes le sentiment d’encerclement qui a été à l’origine de tant de guerres européennes. Le soutien occidental à la révolution de Maïdan, en 2014, contre un gouvernement ukrainien prorusse a été la preuve pour les Russes que leurs craintes étaient fondées. L’annexion de la Crimée par la Russie et son soutien aux séparatistes du Donbass ont à leur tour donné à l’Occident le sentiment que la menace russe était réelle et qu’il fallait armer l’Ukraine, ce qui persuada la Russie un peu plus que l’Occident la menaçait. L’accord de partenariat stratégique conclu entre les États-Unis et l’Ukraine le 10 novembre 2021, scellant une alliance des deux pays, dirigée explicitement contre la Russie et promettant l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, a achevé de convaincre la Russie qu’elle devait attaquer avant que l’adversaire supposé soit en mesure de le faire. C’est l’engrenage de 1914 dans toute son effrayante pureté. »

 

 

Et cela répond à la doctrine des néoconservateurs étatsuniens élaborée en 1998 par l’ancien conseiller stratégique de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, lui-même d’origine polonaise, dans un ouvrage intitulé Le Grand Echiquier. Cet extrait de l’introduction de ce livre est révélateur :

 

 

 

Zbigniew Brzezenski, ancien conseiller de Jimmy Carter, a défini la position stratégique étatsunienne en Europe.

Zbigniew Brzezenski, ancien conseiller de Jimmy Carter, a défini la position stratégique étatsunienne en Europe.

 

« La maîtrise des nouveaux instruments de pouvoir (la technologie, les communications, l'information, aussi bien que le commerce et les finances) est indispensable. Pour autant, la politique étrangère des États-Unis doit aujourd'hui encore prendre en compte la dimension géopolitique el utiliser toute son influence en Eurasie pour créer un équilibre durable sur le continent et y jouer un rôle politique d'arbitre. L'Eurasie reste l'échiquier sur lequel se déroule la lut1e pour la primauté mondiale. Pour y participer, il est nécessaire de se doter d’une ligne géostratégique, c'est-à-dire de définir une gestion stratégique de ses intérêts géopolitiques. Dans un passé récent, en 1940, deux candidats à la suprématie mondiale, Adolf Hitler et Joseph Staline, se sont entendus (lors de négociations secrètes qui ont eu lieu en novembre de cet1e année-là) pour exclure l’Amérique de l'Eurasie.

Tous deux avaient compris que la pénétration de la puissance américaine en Eurasie mettrait fin à leurs espoirs de domination, ils partageaient un même postulat : l'Eurasie se situant au centre du monde, quiconque contrôle ce continent, contrôle la planète. Un demi-siècle plus tard, les perspectives ont changé : la primauté américaine en Eurasie sera-t-elle durable et quelles fins peut-elle servir ? La politique américaine doit viser des objectifs généreux et visionnaires. Elle doit favoriser les liens nécessaires à une vraie coopération mondiale en accord avec les tendances à long terme et les intérêts fondamentaux de l'humanité.

 

L'apparition d'un concurrent en Eurasie, capable de dominer ce continent et de LA POLITIQUE D'UNE SUPERPUISSANCE.  Défier l’Amérique, remettrait en cause ces objectifs. »

 

 

 

La tête de pont démocratique de Brzezenski englobe la France, le Bénélux, le Danemark, l'Allemagne, la Pologne et l'Ukraine, noyau critique de la sécurité européenne vis-à-vis de la Russie.

La tête de pont démocratique de Brzezenski englobe la France, le Bénélux, le Danemark, l'Allemagne, la Pologne et l'Ukraine, noyau critique de la sécurité européenne vis-à-vis de la Russie.

 

 

 

L’Union européenne aux abonnés absents

 

Ainsi, les Etats-Unis, via l’OTAN, dominent stratégiquement ce conflit. Ils sont maîtres du jeu. Veulent-ils l’étendre afin de conforter leur domination sur le continent « Eurasie » ? Sans doute. L’avenir nous le dira. En attendant, l’Union européenne est aux abonnés absents. Ses dirigeants se sont impliqués comme s’ils considéraient que l’Union était elle-même agressée. Elle n’a pour riposte que les sanctions et la livraison d’armes aux Ukrainiens.

 

Les sanctions ? On se tire une balle dans le pied. Prenons comme exemple le gaz. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen passe un accord avec les USA pour acheter du GNL (Gaz Naturel Liquéfié) avec les USA. C’est ke fameux gaz de schiste qui est très cher. Pourtant, le gazoduc traversant l’Ukraine pour ravitailler l’Allemagne et d’autres pays de l’UE fonctionne toujours malgré la guerre, l’Ukraine touchant au passage des royalties – business as usual – malgré la guerre.

 

On n’a pas mesuré notre dépendance à la Russie. En coupant tout lien, l’UE ne tiendrait que trois mois, alors que la Russie trois ans. La Russie est le plus grand producteur mondial d’aluminium. Les produits chimiques de gaz viennent de Russie. Les dérivés du pétrole comme le gazole sont raffinés en Russie, etc. En plus, elle est le troisième producteur au monde de pétrole et aussi le premier exportateur mondial.

 

Et n’oublions pas la question du blé. En décrétant un embargo, on risque de provoquer une crise alimentaire mondiale, car la Russie et l’Ukraine sont les principaux exportateurs de blé au monde. Le Maghreb, en plus de l’Europe, pourrait être sérieusement touché.

 

Nul ne sait que sera l’issue de cette guerre. On peut cependant être certain qu’elle aura des conséquences désastreuses pour le continent européen. L’Union européenne s’avère incapable à défendre les intérêts vitaux des Etats-membres. Elle n’est plus que la courroie de transmission des intérêts des multinationales essentiellement américaines via les lobbies qui la gangrènent. Elle n’a pas réussi en soixante-cinq ans d’existence à s’accorder sur l’essentiel ; sa relation avec le monde.

 

La loi du plus fort ?

 

Henri Guiano conclut en citant Henri Kissinger : « “Si l’Ukraine doit survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste de l’une des parties contre l’autre. Elle doit être un pont entre elles. L’Occident doit comprendre que pour la Russie l’Ukraine ne pourra jamais être un simple pays étranger”. C’est par sa neutralisation que la Finlande a pu demeurer libre et souveraine entre les deux blocs pendant la guerre froide. C’est par sa neutralisation que l’Autriche est redevenue en 1955 un pays libre et souverain.

 

 

 

Le patriarche Henry Kissinger est toujours aussi lucide.

Le patriarche Henry Kissinger est toujours aussi lucide.

 

 

 

Faire aujourd’hui des concessions à la Russie, c’est se plier à la loi du plus fort. N’en faire aucune, c’est se plier à la loi du plus fou. Tragique dilemme. Un dilemme comme celui-ci, vécu dans la Résistance par le poète René Char :

 

“J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les hauteurs de Céreste (…) au moins égaux en nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête (…) Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ?» Et nous, que répondrons-nous aux regards qui nous imploreront d’arrêter le malheur quand nous l’aurons fabriqué ? »

 

 

Le drame aujourd’hui : nul ne semble apte à arrêter le malheur !

 

 

 

Pierre Verhas

 

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11 mai 2022 3 11 /05 /mai /2022 19:46

 

 

 

La journaliste palestinienne Shireen Abu Aqleh, éminente reporter pour Al Jazeera, qui est depuis plus de 20 ans l’un des visages les plus connus pour rendre compte de la situation actuelle en Palestine dans les médias en langue arabe, a été abattue aux premières heures du mercredi 11 mai par les forces d’occupation israéliennes qui envahissaient Jénine. Cette journaliste américano-palestinienne née à Jérusalem de parents arabes chrétiens de Bethlehem est célèbre, car elle a effectué des reportages un peu partout en Palestine. Elle a approfondi la question de la vie sous l’occupation israélienne et des prisonniers palestiniens, en interrogeant des familles palestiniennes et des acteurs des deux côtés.

 

 

 

Shirleen Abu Aqleh,la grande journaliste pamestinienne abattue alors qu'elle faisait un reportage sur les attaques israéliennes au camp de réfugiés palestiniens de Jénine.  Ici sur le mont des Oliviers à Jérusalem Est. A l'arrière plan,  l'Esplanade des mosquées avec le d^me du Rocher surmonté par une coupole dorée, lieu de tat d'affrontements entre ¨Palestiniens et Israéliens

Shirleen Abu Aqleh,la grande journaliste pamestinienne abattue alors qu'elle faisait un reportage sur les attaques israéliennes au camp de réfugiés palestiniens de Jénine. Ici sur le mont des Oliviers à Jérusalem Est. A l'arrière plan, l'Esplanade des mosquées avec le d^me du Rocher surmonté par une coupole dorée, lieu de tat d'affrontements entre ¨Palestiniens et Israéliens

 

 

 

Jénine où « on » lui a ôté la vie est un camp de réfugiés palestiniens situé au Nord de la Cisjordanie. Il fait régulièrement l’objet d’attaques de Tsahal qui cherche à neutraliser des dirigeants palestiniens et à traquer la population de ce camp.

 

Shireen Abu Aqleh a été abattue d’une balle dans la tête alors qu’elle portait son gilet « Presse », suscitant l’indignation face à son meurtre et aux attaques systématiques dirigées contre les journalistes palestiniens.

 

 

Shireen Abu Aqleh fut abattue alors qu'elle portait son gilet "Press"

Shireen Abu Aqleh fut abattue alors qu'elle portait son gilet "Press"

 

 

 

L’assassinat de Shireen Abu Aqleh a suscité des comparaisons avec le meurtre du journaliste palestinien Yasser Murtaja et d’Ahmed Abu Hussein à Gaza pendant la Grande Marche du retour en 2018, ainsi qu’avec les 50 journalistes palestiniens tués depuis 2000 par l’occupation israélienne. Il y a aussi des dizaines de journalistes palestiniens détenus derrière les barreaux de l’occupation, dont Bushra al-Tawil, emprisonnée sans inculpation ni procès en détention administrative. Shireen Abu Aqleh était une figure incontournable d’Al Jazeera, célèbre dans toute la région arabe pour ses reportages sur les quatre guerres contre Gaza, la guerre israélienne contre le Liban et la lutte de libération palestinienne en cours. À de nombreuses reprises, elle a couvert les histoires des milliers de prisonniers palestiniens, de leurs familles, de leurs vies et de leur résistance.

 

 

 

Shireen Abu Aqleh fut transportée par ses collègues à la morgue de l'hôpital de Jenine.

Shireen Abu Aqleh fut transportée par ses collègues à la morgue de l'hôpital de Jenine.

 

 

 

Evidemment, l’armée israélienne a réagi. Dans un communiqué, elle a déclaré que ses estimations initiales indiquent que la journaliste palestinienne, Shireen Abu Aqleh, a été tuée par des hommes palestiniens armés.

 

« Les premiers éléments de l'enquête indiquent, contrairement à ce qui a été publié dans les médias arabes, que la correspondante d'Al-Jazeera, Shireen Abu Aqleh, avait été tuée mercredi matin, par des hommes armés dans le camp de Jénine, où elle faisait ses couvertures médiatiques », a déclaré le porte-parole de l'armée, Avichay Adraee, dans un tweet.

 

Et puis, le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, propose aux Palestiniens d’organiser une autopsie commune de la journaliste d’Al-Jazeera pour savoir d’où viennent les balles qui l’on tuées. Si les Israéliens étaient si certains de leurs dénégations, pourquoi proposent-ils cette démarche ? Sans doute pour éviter une campagne d’indignation dans le monde entier… De son côté, l’ONU exige une enquête indépendante. On peut toujours rêver !

 

Va-t-on vivre avec cet assassinat une nouvelle affaire Charles Enderlin ? Rappelez-vous, la traque qu’a subi pendant des années le grand journaliste franco-israélien Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem, qui a été attaqué parce qu’il avait filmé un affrontement entre Israéliens et Palestiniens au milieu duquel se trouvait un père palestinien et son jeune fils qui ont manifestement été abattus par les soldats de Tsahal. Il ne fut réhabilité que plusieurs années après par la Justice française. Les Israéliens auraient-ils l’intention de jouer la même « partition » au sujet de Shireen Abu Aqleh ?

 

 

 

Le père et le fils palestiniens s'abritant entre deux feux à un checkpoint israélien où ils furent finalement abattus par les Israéliens. Charles Enderlin fut méchamment attaqué pendant des années avant d'être réhabilité par un tribunal français.

Le père et le fils palestiniens s'abritant entre deux feux à un checkpoint israélien où ils furent finalement abattus par les Israéliens. Charles Enderlin fut méchamment attaqué pendant des années avant d'être réhabilité par un tribunal français.

 

 

 

Notons aussi que le 27 avril dernier, une plainte officielle a été́ déposée auprès du bureau du procureur de la Cour pénale internationale, à La Haye, au nom du Syndicat des journalistes palestiniens et de la Fédération internationale des journalistes.

 

 

 

Cette plainte concerne des crimes commis contre des journalistes palestiniens par l'occupation israélienne, et a été́ préparée par un avocat britannique au nom du Syndicat et de la Fédération, et comprend tous les dossiers qui ont pris environ deux ans à préparer.

 

 

Au cours de l'année 2021, l'occupation israélienne a commis 368 violations contre des professionnels des médias et des institutions de presse en Palestine, notamment dans la bande de Gaza avec la mort du journaliste Youssef Muhammad Abu Hussein.

 

 

Si une enquête commune des Israéliens et des Palestiniens a lieu sur l’assassinat de Shireen Abu Aqleh, les enquêteurs de la CPI devraient y participer aussi !

 

 

Shireen Abu Aqleh était une journaliste qui dérange. Et elle dérange tellement que dans sa maison de Beit Hanina, quartier de Jérusalem-Est situé à la limite de Ramallah, alors que ses amis s’étaient rassemblés pour le deuil, la police israélienne est entrée pour exiger de couper la musique qui… « perturbait les habitants » ! La limite de l’indécence est largement franchie !

 

Un hommage national palestinien a été rendu à Shireen Abu Aqleh à Ramallah. Au moins, l'honneur est sauf.

 

 

Ceux qui tuent des gens désarmés qui dérangent portent un nom : Assassins !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

 

 

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3 mai 2022 2 03 /05 /mai /2022 10:47

 

 

 

Punta del Este, la capitale de l’Uruguay, petit pays d’Amérique du Sud enclavé entre la vaste Argentine et l’immense Brésil reçoit du 2 au 5 mai les journées mondiales pour la liberté de la Presse organisée par l’UNESCO composées de 47 délégations provenant des Etats-membres.

 

Cet évènement est évoqué dans sa chronique au journal belge « Le Soir » de jeudi 28 avril par le journaliste et professeur à l’ULB, Jean-Paul Marthoz. Celui-ci est une référence dans le monde du journalisme. Marthoz est journaliste et essayiste. Ex-chef du service étranger du Soir, ex-directeur de l’information de Human Rights Watch, il est membre des conseils du Comité de protection des journalistes (New York), d’Index on Censorship et de l’Ethical Journalism Network (Londres).

 

 

Il est auteur et co-auteur de nombreux livres sur les questions internationales, dont La liberté sinon rien (2008), L’éthique de la dissidence (2010), Objectif Bastogne (2014) et Les médias face au terrorisme (2017).

 

 

 

Jean-Paul Marthoz, une référence dans le journalisme

Jean-Paul Marthoz, une référence dans le journalisme

 

 

 

Dans sa chronique, il évoque les difficultés de plus en plus grandes rencontrées par les journalistes en Europe. Il écrit : « Les conditions en Ukraine expriment la dangerosité de l’exercice du journalisme dans des régions en guerre. Mais la violence contre la presse s’exerce aussi de plus en plus en dehors des champs de bataille. Même sur le Vieux Continent, comme le soulignait mercredi à Bruxelles la « Plateforme du Conseil de l’Europe pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes ». En 2021, 82 alertes relatives aux attaques contre la sécurité et l’intégrité physique des journalistes ont été enregistrées, contre 51 en 2020. L’année dernière, six journalistes ont été tués, le chiffre le plus élevé depuis l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo en 2015. »

 

Et dans le reste du monde : « Et que dire du reste du monde ? Du Mexique, où plus de 150 journalistes ont été assassinés au cours des vingt dernières années dans le contexte ultra-violent de la guerre de la drogue ? De la Chine, cadenassée, fliquée ? Ou de l’Arabie saoudite, de moins en moins affectée par l’opprobre international qui avait suivi l’exécution du journaliste Jamal Khashoggi en 2018 dans le consulat saoudien d’Istanbul ? »

 

Une stratégie délibérée

 

Ensuite, Marthoz évoque un ancien film de Costa Gavras paru en 1972, Etat de siège :

 

« On est en 1970, au moment où ce « bout d’Europe » sombre dans le chaos politique et la violence. Trois ans avant un coup d’Etat militaire qui allait convertir ce pays en « chambre de torture des Amériques ». Costa Gavras raconte l’histoire de l’enlèvement et de l’exécution d’un agent du FBI – interprété par Yves Montand – par la guérilla d’extrême gauche des Tupamaros. Mais il fait d’un journaliste le fil conducteur, la boussole éthique, de ce face-à-face. C’est ce dernier, Carlos Quijano, un septuagénaire distingué, qui, dans les conférences de presse pose les bonnes questions, celles qui dérangent les convenances paresseuses et les consensus commodes.

 

 

 

Carlos Quijano, journaliste uruguayen qui lutta pour la liberté d'informer dans son pays.

Carlos Quijano, journaliste uruguayen qui lutta pour la liberté d'informer dans son pays.

 

 

 

Directeur de Marcha, un hebdomadaire dont l’influence politique et intellectuelle débordait largement de l’Uruguay, il représentait une gauche « socialiste libérale », ouvrant ses pages à Pierre Mendès France et Octavio Paz, exprimant un idéal exigeant et universel de la démocratie et du journalisme. Très tôt, alors que beaucoup célébraient l’Uruguay comme la Suisse de l’Amérique latine, il avait mis en garde contre la corruption, les arrangements politiques, les inégalités sociales, les dérives des forces de sécurité, la sclérose d’une démocratie de plus en plus déclamatoire et factice. Citoyen d’un petit pays coincé entre les colosses brésilien et argentin et surveillé par les Etats-Unis, il se méfiait aussi des impérialismes et plaidait pour l’intégration de l’Amérique latine. Il avait conscience « de la fragilité nationale dans un contexte international menaçant », écrivait en 1990 la chercheuse Carmen de Sierra dans la revue America. »

 

Enfin, Jean-Paul Marthoz n’oublie pas, après avoir cité d’autres exemples, d’analyser :

 

« Dans beaucoup de pays, il ne s’agit pas de bavures ou de dérèglements, mais bien plus gravement, comme en Pologne ou en Hongrie, d’une stratégie délibérée, idéologique, de remise en cause des institutions et des principes de la démocratie, dont la liberté de la presse est un élément essentiel. »

 

Et Assange ?

 

C’est évident, mais nous avons ici et maintenant – hic et nunc – un autre exemple probant : celui de Julian Assange. Exemple une fois de plus passé sous silence. Et il y a peu de chances qu’à cette conférence de Punta del Este, l’affaire Assange soit citée par une des 47 délégations présentes. Pourtant, le cas Assange est sans doute le plus emblématique et constitue s’il est finalement extradé la menace la plus grave contre la liberté de la presse. Déjà, les poursuites dont il fait l’objet, son emprisonnement abusif constituent de graves atteintes aux droits humains mais une attaque directe contre un journaliste qui a exercé son métier, c’est-à-dire qui a informé.

 

 

 

Julian Assange et Stella Morris qui viennent de se marier dans la prison de Belmarsh.

Julian Assange et Stella Morris qui viennent de se marier dans la prison de Belmarsh.

 

 

 

Peur ou complicité ?

 

Le rapporteur spécial à l’ONU, Nils Melzer, vient de publier un livre The Trial of Julian Assange - A Story of Persecution qui paraîtra en français en septembre prochain qui expose la situation du fondateur de Wikileaks et raconte l’histoire de sa longue traque.

 

 

 

Le rapporteur spécial de l'ONU, le Suisse Nils Melzer. Un des plus efficaces soutiens de Julian Assange

Le rapporteur spécial de l'ONU, le Suisse Nils Melzer. Un des plus efficaces soutiens de Julian Assange

 

 

 

Melzer résume ainsi son livre :

 

« Bien que les crimes et le comportement arbitraire de tous les gouvernements impliqués soient devenus de plus en plus flagrants et évidents au cours de la dernière décennie, la véritable dimension de son cas a été presque totalement ignorée par les autres gouvernements, par les grands médias et par l’opinion publique.

 

Au contraire, le récit officiel a été docilement intégré, répété et maintenu : Assange, le violeur, le pirate informatique, l’espion et le narcissique lâche, qui a le sang d’innocents sur les mains, comparaît enfin devant un tribunal. Ici aussi, comme dans l’histoire des habits neufs de l’empereur, il fallait que quelqu’un vienne jeter un regard neuf et objectif sur tout cela et rompe le charme : « Regardez, l’empereur est nu ». Ceci, cher lecteur, est le but de ce livre. »

 

Le silence de la presse, des médias et d’un grand nombre de journalistes sur le sort de Julian Assange relève tantôt de la peur de se marginaliser tantôt d’une complicité évidente.

 

Mesdames, Messieurs, un minimum de courage ! C’est de votre avenir qu’il s’agit, c’est notre liberté à tous qui est menacée. Alors, réveillez-vous ! C’est le meilleur moyen de libérer Julian Assange.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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21 avril 2022 4 21 /04 /avril /2022 09:55

 

 

 

Nous vivons pas mal d’horreurs ces temps-ci : l’Ukraine, le Yémen, la Syrie, la Palestine et bien d’autres régions en ce bas monde. Il existe encore pas mal de pays avec lesquels nous entretenons de bonnes relations qui font de la peine de mort une sanction ordinaire. La Chine, l’Arabie Saoudite et plusieurs Etats des Etats-Unis dont le Texas.

 

L’histoire rapportée sur son blog par notre ami Bernard Gensane (http://bernard-gensane.over-blog.com/2022/04/melissa-lucio-va-mourir.html ) que nous reproduisons intégralement ici, raconte le calvaire de Melissa Lucio, une jeune-femme d’origine latino qui va mourir le 27 avril 2022 dans une prison du Texas.

 

Cette jeune femme, Melissa Lucio, a été condamnée dans des circonstances plus que contestables à la peine de mort pour le meurtre d’un de ses enfants. Elle est femme, elle est pauvre, elle est droguée, elle est latino, c’est-à-dire qu’elle possède tous les critères pour passer à la chaise électrique.

 

Si, dans le monde et aussi au Texas, des voix se sont élevées pour que l’Etat du Texas ne procède pas à l’exécution de Melissa. Il y a même un sénateur républicain, chaud partisan de la peine de mort qui a affirmé que Melissa Lucio est victime d’une « erreur judiciaire » et un des jurés a déclaré publiquement regretter d’avoir voté la peine de mort de Melissa Lucio.

 

En dépit de cette levée de boucliers, l’exécution est prévue pour mercredi prochain, 27 avril. Les pressions seront-elles suffisantes pour que le Gouverneur du Texas sursoie à cette exécution ? Il en est encore temps, plus que temps !

 

Au-delà de cette horrible histoire, il est plus que temps de nous poser une question : quand va-t-on cesser les indignations à géométrie variable ? Les indignations qui sont souvent dictées par les intérêts politiques du moment. En Europe, à notre connaissance, seuls Robert Badinter, l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand et l’ancienne Garde des Sceaux de François Hollande, Christine Taubira ont exprimé leur ferme soutien à Melissa Lucio. Le silence des autres « autorités morales » serait-il dû à la situation géopolitique actuelle où il n’est pas de bon ton de critiquer les Etats-Unis ?

 

Si on mettait les principes au-dessus des intérêts politiques, économiques, ou  partisans, bien des drames seraient évités et on empêcherait pas mal d’ injustices qui sont en réalité des crimes.

 

Pierre Verhas

 

 

 

Melissa Lucio attend son exécution dans le couloir de la mort qu'ne prison texane.

Melissa Lucio attend son exécution dans le couloir de la mort qu'ne prison texane.

 

 

par Bernard Gensane

 

Elle est la première femme hispanique au Texas à être condamnée à mort, pour le meurtre de Mariah, sa fille de deux ans. Elle sera exécutée le 27 avril 2022.

 

Son procès a présenté de nombreuses failles de procédure.

 

Dès l’âge de six ans, elle a été victimes d’agressions sexuelles. Après l’avoir régulièrement battue, son mari l’abandonne en la laissant seule avec ses cinq enfants. Elle a d’autres enfants. Au moment des faits, elle vit avec neuf de ses enfants et son compagnon qui l’a violée à plusieurs reprises et a menacé de la tuer.

  

« Je suppose que je l'ai fait ! »

 

Le 17 février 2007, des ambulanciers sont appelés au domicile de Melissa car sa plus jeune enfant, âgée de deux ans, est inconsciente et ne respire plus. Elle présente des ecchymoses, des marques de morsure sur le dos, des touffes de cheveux arrachées et un bras cassé. Quelques jours avant, elle était tombée dans les escaliers mais ce fait n’est pas porté au dossier. L’enfant est déclarée morte après son arrivée à l’hôpital. Une expertise ultérieure permet d’estimer que la fracture au bras a été causée deux à sept semaines avant le décès. Deux jours après la mort de l’enfant, les inspecteurs interrogent Lucio pendant cinq heures en l’intimidant alors qu’elle est enceinte de cinq mois. Elle finit par dire : « Je suppose que je l’ai fait. »

 

 

 

Melissa Lucio avec ses enfants avant la tragédie

Melissa Lucio avec ses enfants avant la tragédie

 

 

 

Le procès a lieu en 2008. Le procureur est alors en période de réélection. Il est aujourd’hui emprisonné pour corruption et extorsion (condamnation des 13 ans). Aucun témoin n’est cité pendant le procès puisque la mort de la petite fille n’a eu aucun témoin. Aucun témoin n'est présent pendant le procès puisque puisqu'il n'y a eu aucun témoin de la mort de la petite fille. L'avocat de Melissa Lucio, commis d'office et ayant travaillé pour le procureur après le procès, ne permet pas à ses proches ni à ses enfants de témoigner en sa faveur, alors que ceux-ci disent tous d'elle que c'est une bonne mère. Les procureurs allèguent que Melissa Lucio a battu sa fille Mariah à mort ; les avocats de Lucio contestent la cause du décès et présentent le témoignage d’expert d’un neurochirurgien selon lequel la mort de Mariah pourrait plutôt résulter d’un traumatisme crânien causé par une chute dans un escalier. Melissa Lucio est néanmoins reconnue coupable de meurtre et condamnée à mort le 12 août.

 

En 2011, un appel est rejeté. En 2019, un groupe de trois juges de la Cour d’appel ; fédérale des États-Unis annule la sentence originelle au motif que la cour n’a pas permis à Melissa Lucio de se défendre correctement. Cette décision est ensuite annulée et Mélissa reste dans le couloir de la mort.

 

80 élus du Texas, dont des Républicains, réclament l’annulation de l’exécution de Mélissa.

 

En mars 2022, elle reçoit le soutien de Christine Taubira. Le mois suivant, celui de Robert Badinter.

 

Les enfants de Melissa ont écrit au gouverneur du Texas de ne pas tuer leur mère.

 

Selon Sabrina Van Tassel, qui a consacré un film à cette affaire, « les policiers ont montré à Melissa comment frapper une poupée violemment afin qu'elle imite leurs gestes et montre comment elle aurait battu sa fille. »

 

Pour Van Tassel, « Melissa Lucio est là où elle est parce qu’elle est femme. Femme, pauvre, hispanique. Elle coche toutes les cases de ce que l’Amérique honnit. Elle a clairement été condamnée pour ce qu’elle représente : une femme latino qui a trop d’enfants, un problème de drogue, et qui vit dans un taudis. A travers l’histoire de Melissa Lucio, c’est l’histoire de toutes les minorités accusées à tort aux Etats-Unis, c’est l’histoire de tout un système.
 
Dès qu’ils la voient, les policiers se disent qu’elle est coupable et qu’elle va payer. Melissa Lucio représente l’erreur judiciaire aux Etats-Unis qui s’abat sur les plus pauvres, les noirs, les latinos et toutes les minorités. Elle est en passe de devenir une icône. A travers son histoire, le gens se révoltent. Se rendre compte que l’on peut exécuter quelqu’un sur un tel manque de preuve, avec un procureur en prison et tout un système qui dysfonctionne a mis les Américains très en colère. Le mouvement a pris un tel essor que le Congrès texan, pourtant en grosse majorité républicain, a exprimé publiquement son opposition à l’exécution.

 

Aujourd’hui, les Américains n’en peuvent plus des erreurs judiciaires. Il ne se passe pas un mois sans que quelqu’un qui a pris vingt ans, trente ans, quarante ans de prison, en sorte, à la faveur des analyses ADN et autres progrès de la science. Hélas, tous les condamnés à mort n’ont pas la chance d’avoir un film.
 
Les Américains se rendent compte que ce sont les plus pauvres et les minorités qui font les frais des dysfonctionnements du système judiciaire. Et ce particulièrement pour la peine de mort, car on ne peut se retrouver dans le couloir de la mort que si on est pauvre, que l’on appartient à une minorité ou que l’on est malade mental. Jamais quelqu’un qui a les moyens de payer une défense ne se retrouve dans le couloir de la mort. »

 

Un correspondant de Bernard Gensane raconte une autre histoire tout aussi atroce et édifiante.

 

 

C'est d'une tristesse infinie, les mots nous manquent comme pour « George Stinney Jr , d’origine africaine, ( qui ) était la plus jeune personne à avoir été condamné à mort aux États-Unis.


Il n’avait que 14 ans lorsqu’il a été exécuté sur une chaise électrique. Au cours de son procès, il portait une bible entre ses mains, affirmant son innocence. Il a été accusé d’avoir tué 2 fillettes blanches Betty 10 ans et Mary, âgée de 7 ans.


Les corps ont été retrouvés près de la maison du garçon dans laquelle il vivait avec ses parents.


A cette époque, tous les membres du jury étaient blancs. Le procès n’a duré que 2 heures et la peine à été dictée 10 minutes plus tard. Les parents du garçon ont été menacés et empêchés d’être présent dans la salle d’audience, avant d’être expulsés de la ville.


Avant l’exécution, George a passé 81 jours en prison sans pouvoir voir ses parents. Il a été maintenu à 80 kilomètres de sa ville, à l’isolement sans personne à qui parler.


Il a été électrocuté avec 5380 volts dans sa tête, imaginez toutes cette tension dans la tête d’un enfant, une mort horrible.


70 ans plus tard en 2014, son innocence a finalement été prouvée par un juge. Le garçon été innocenté, quelqu’un lui a reproché d’être noir. »


Les images de son exécution sont à voir sur internet. C'est une honte pour le genre humain.

 

 

 

 

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7 avril 2022 4 07 /04 /avril /2022 16:55

 

 

 

Nous entendons par démocratie formelle, le système électif au suffrage universel des pouvoirs constitués, c’est-à-dire les parlements dans la plupart des pays dits démocratiques et dans certains d’entre eux du chef de l’Etat.

 

Les élections françaises rassemblent les deux en commençant par celle du chef de l’Etat. Au terme d’une campagne qui a été « percutée » par la guerre d’Ukraine comme l’écrit Serge Halimi dans le « Monde diplomatique » de ce mois, on observe qu’Emmanuel Macron, le président sortant candidat à un deuxième mandat, sera, selon les sondages, pour l’élection au second tour, sans doute opposé soit à la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen ou – c’est moins probable – au candidat de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon.

 

 

 

Emmanuel Macron, le président sortant, Marine Le Pen, RN extrême-droite, Jean Luc Mélenchon, la FI, gauche radicale, sont les trois candidats susceptibles de se trouver au second tout d'après les sondages.

Emmanuel Macron, le président sortant, Marine Le Pen, RN extrême-droite, Jean Luc Mélenchon, la FI, gauche radicale, sont les trois candidats susceptibles de se trouver au second tout d'après les sondages.

 

 

 

Selon les sondages ? Depuis le début de cette campagne électorale qui s’avère d’un niveau lamentable, ce sont les instituts de sondage qui mènent la danse ! Dès le départ, les résultats de leurs enquêtes indiquaient la même tendance à quelques points près : Macron largement en tête au premier tour suivi assez loin de Le Pen et puis de Mélenchon. Le second candidat d’extrême-droite, l’essayiste Éric Zemmour a fait illusion quelques temps et puis est rentré dans le rang du « marais » composé de la candidate de la droite républicaine, Valérie Pécresse, de celle du PS, la maire de Paris Anne Hidalgo, de l’écologiste Yannick Jadot et puis du communiste Roussel, ensuite clôturent la liste : le folklorique Jean Lassalle qui ne dit pas toujours des âneries, le prétendu gaulliste d’extrême-droite Nicolas Dupont-Aignan, les deux trotskystes Nathalie Artaud et Philippe Poutou.

 

Qu’observe-t-on ? Si l’on en croit les sondages les candidates des partis républicains, la PS Anne Hidalgo et la LR Valérie Pécresse n’ont plus aucune chance. Les deux partis qui ont alterné au pouvoir en France depuis 1981 sont laminés aujourd’hui. Macron a d’ailleurs tout fait pour qu’il en soit ainsi. D’ailleurs, bien des mandataires PS et LR se rallient en dernière minute au président sortant espérant encore exister. Même le souverainiste Jean-Pierre Chevènement, 83 ans il est vrai, a rejoint le camp macroniste !

 

 

 

Jean-Pierre Chevènement, champion du souverainisme, se rallie à l'européiste Emmanuel Macron.

Jean-Pierre Chevènement, champion du souverainisme, se rallie à l'européiste Emmanuel Macron.

 

 

 

La fin du centre ?

 

C’est un premier signe important. Les partis « traditionnels » qui ont gouverné sans relâche depuis des décennies sont en pleine déliquescence tant en France qu’en Belgique. Les Républicains, héritiers du parti gaulliste, sont laminés. Il est vrai que leurs deux derniers présidents – et anciens présidents de la République – feu Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ont été sévèrement condamnés par la Justice française pour malversations diverses. Cependant, outre cela, ils ne présentent aucun poids politique, car ce parti navigue à vue. Tantôt, il joue la carte néolibérale, tantôt celle de l’extrême-droite. Et cela continue : le programmes de la candidate de Républicains, Valérie Pécresse, pêche dans le cloaque de l’extrême-droite tout en prônant des mesures ultralibérales et antisociales.

 

Au centre gauche, le PS déjà sous François Mitterrand et par après avec Lionel Jospin et François Hollande ont mené une politique libérale et d’alignement systématique sur l’atlantisme et l’européisme, autrement dit ce qu’on appelle le centre ou le « ni droite ni gauche ». Il faut cependant noter que bon nombre d’entre eux, sans tout à fait rompre, n’ont pas suivi cette ligne. Ce fut le cas de Jean-Pierre Chevènement, de Claude Cheysson et sous Jospin, de Hubert Védrine. Sur le plan social, il y eut une personnalité comme Charasse qui n’acceptait pas le « tournant libéral ». Cependant, cette évolution du PS français vers une social-démocratie à l’allemande n’est pas la seule. Le PS belge francophone et son alter ego flamand ont connu un dilemme semblable. Ce double langage a désorienté l’électorat traditionnel des socialistes, aussi se sont-ils considérablement affaiblis. Et cela au profit du parti de gauche radicale le PTB qui dépasse le PS dans les derniers sondages.  Le parti chrétien a voulu se positionner au centre droit tout en n’affichant plus son engagement philosophique. Aussi, l’électorat catholique s’est-il lui aussi senti désorienté. Une bonne partie des chrétiens et de l’extrême-gauche ont constitué les troupes du parti Ecolo.

 

La radicalisation du paysage politique

 

La droite républicaine en France est laminée. La lamentable campagne de Valérie Pécresse en est une preuve. À quelques exceptions près, les grosses têtes de LR se détournent de « leur » candidate ! En Belgique francophone, depuis la présidence de l’ineffable Georges-Louis Bouchez dit GLOUB, les libéraux du MR entament un virage vers la droite dure. Avez-vous remarqué, par exemple, que les tweets de GLOUB consistent en des attaques vis-à-vis de ses partenaires classés à gauche au gouvernement – le PS et Ecolo – et le PTB. Il ne s’attaque jamais à l’extrême-droite flamande ou francophone…

 

 

 

Georges-Louis Bouchez dit GLOUB, président du MR, ne semble pas craindre la nuisance de l'extrême-droite.

Georges-Louis Bouchez dit GLOUB, président du MR, ne semble pas craindre la nuisance de l'extrême-droite.

 

 

 

Il est donc évident que pour ces deux pays, ce qu’on appelle le centre est en voie de disparition. Cela signifie une radicalisation de la représentation politique. La gauche se radicalise et la droite s’oriente de plus en plus vers l’extrême.

 

Or, si on revient en France, Macron a trouvé la formule. Il prône une politique « ni droite ni gauche » pourtant très dure sur le plan social comme le projet de porter l’âge de la retraite de 62 ans à 65 ans, comme l’obligation pour les « bénéficiaires » du RSA de prester 15h à 20h de travail hebdomadaire, etc. Comme l’écrit le politologue belge Vincent de Coorebyter dans sa chronique du « Soir » du 6 avril : « De longue date, Emmanuel Macron a jugé qu’il n’avait rien à craindre sur sa gauche. Le Parti socialiste est devenu inaudible, l’écologie n’est pas un bon thème pour une présidentielle, l’image de Jean-Luc Mélenchon est abîmée par certains de ses excès et les autres candidats de gauche incarnent des courants marginaux. »

 

De plus, contrairement à 2017, les Verts et les Communistes présentent chacun leur candidat, ce qui fragmente encore plus la gauche française. Si elle veut être présente au second tour, elle devrait se rassembler autour de Mélenchon qui est le seul à avoir une chance de poursuivre la « course » jusqu’à la fin. Cependant, selon les sondages il a environ 5 points de moins que Le Pen. Même s’il grimpe encore, ce sera très difficile d’y arriver en trois jours.

 

Comme l’écrit Serge Halimi dans le « Monde diplomatique » de ce mois : « la gauche est trop faible pour s’imposer, d’autant que depuis cinq ans les partis qui la composaient vaille que vaille ont conforté des analyses de plus en plus éloignées sur des questions aussi capitales que l’âge du départ à la retraite, la planification économique, la place du nucléaire dans le mix énergétique, les institutions de la Ve République, le fédéralisme européen, l’alliance avec les États-Unis, la guerre en Ukraine… De telles fractures ne sont pas susceptibles de se résorber, même si, le 10 avril prochain, M. Jean-Luc Mélenchon accédait au second tour du scrutin présidentiel, une performance à laquelle aucun autre candidat de cette (ex-)famille politique ne peut prétendre. En tout état de cause, la poursuite de la guerre en Ukraine favorise M. Macron en mobilisant l’attention des Français sur les efforts diplomatiques de leur président plutôt que sur le bilan désolant de son quinquennat. »

 

Vers une République autoritaire ?

 

Faisons un peu de politique-fiction. Le scenario le plus probable est à nouveau un duel Macron – Le Pen au second tour. Dans ce cas, il y a deux possibilités.

 

Au cas où Marine Le Pen gagne la présidentielle le 23 avril prochain, des troubles se déclencheront en France. Une partie significative des Français ne tolérera pas que l’extrême-droite même « édulcorée et dédiabolisée » occupe le Palais de l’Elysée. Cela donnera l’occasion à la nouvelle présidente de se livrer à une répression particulièrement sévère pour asseoir son autorité.  

 

Ensuite, il y aura les législatives. C’est le grand point faible du mouvement lepéniste. Il n’est implanté dans aucun département, ni aucune région même s’il dirige quelques villes moyennes comme Béziers ou Hénin Beaumont. Encore que Ménard, le maire de Béziers, a pris ses distances à l’égard de Le Pen et de Zemmour. Il sera donc très difficile à la nouvelle présidente de disposer d’une majorité. Elle devra dès lors museler le Parlement et gouverner par décret. C’est la porte ouverte à la dictature et, dans le pire des cas, à la guerre civile.

 

Si Emanuel Macron l’emporte, mais sans doute de quelques points seulement, les élections législatives lui donneront une majorité avec une « République en marche » hétéroclite composée d’anciens mandataires LREM et de ceux émanant du PS ou de LR qui se sont ralliés en dernière minute lors des élections présidentielles. Et il n’y aura pas d’opposition digne de ce nom. Le PS et LR seront quasi inexistants, les Verts déjà divisés éclateront sans doute et l’extrême-droite, comme on l’a vu, est incapable de former un groupe parlementaire digne de ce nom.

 

Dans ce cas, Macron gouvernera sans opposition.

 

Aussi, gouverner par décret ou sans opposition, cela s’appelle une République autoritaire. Et dans la situation internationale actuelle, cela ne fera que jeter de l’huile sur le feu.

 

Tout va très bien, Madame la Marquise…

 

Enfin, ce n’est que de la prospective. Nous serons fixés le 23 avril au soir et, nul ne le sait, le scenario pourrait être tout autre que ce que les sondages prévoient depuis des mois. C’est déjà arrivé !

 

Alors, comme disent nos amis Britanniques : wait and see.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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4 avril 2022 1 04 /04 /avril /2022 20:12

 

 

 

Les événements graves qui s’accumulent – épidémie de la Covid 19, guerre en Ukraine, tensions avec la Chine – nous font oublier le sort du journaliste australien enfermé depuis trois ans à la prison de Belmarsh – le Guantanamo britannique – à l’Est de Londres.

 

Pourtant, il s’en est passé des choses. En janvier dernier, Julian Assange passait devant la Haute Cour de Justice. Le Lord Chief Justice d’Angleterre et du Pays de Galles, Ian Duncan Burnett, a déclaré du haut de sa tribune que la question est de savoir si les « garanties diplomatiques » qui n’ont pas été soumises lors de l’audience de fond peuvent être soumises au stade de l’appel. La Cour a refusé à Julian Assange de faire appel devant la Cour suprême. En clair, c’est une des nombreuses bizarreries de la Justice britannique, la Haute Cour est habilitée à accepter ou refuser un recours auprès de la Cour suprême.

 

Rappelons la saga judiciaire qu’a vécu Julian Assange. Après avoir été expulsé de l’ambassade d’Equateur à Londres, il a été conduit à la prison de Belmarsch et a été condamné à 50 semaines de prison pour avoir échappé à la Justice britannique. Un procès en premier instance concernant son extradition demandée par les Etats-Unis présidée par la juge Baraitser a conduit à donner raison à la demande étatsunienne sur le fond, mais à refuser l’extradition pour raisons de santé. Le tribunal considérait qu’Assange ne supporterait pas le régime carcéral spécial imposé par les Etats-Unis aux personnes accusées d’espionnage. La partie étatsunienne a fait appel de cette décision. La cour d’appel a donné raison aux Américains. Aussi, Assange a fait un recours devant la Cour suprême britannique. La Haute Cour qui est une instance intermédiaire vient de refuser d’autoriser cet appel de Julian Assange qui croupit toujours à la prison de Belmarsh.

 

Voici ce qu’explique au site du « Grand Soir » Craig Murray, l’ancien diplomate britannique et ami de Julian Assange, qui a assisté à l’audience.

 

« il est habituel que la Haute Cour refuse l’autorisation de faire appel ; avec la certification de l’intérêt public, Julian peut maintenant faire appel directement à la Cour suprême qui décidera ou non de statuer. Le refus d’autorisation par la Haute Cour est un pur signe de déférence envers la Cour suprême, Comme disent les avocats : “la Cour suprême dîne à la carte”.

Certains des points de l’appel que la Haute Cour a refusé de certifier comme défendables et d’intérêt public étaient importants. L’un d’entre eux était que les garanties diplomatiques données par les États-Unis promettaient de ne pas recourir à des pratiques illégales assimilables à de la torture, mais subordonnaient cette promesse au comportement futur d’Assange.

Or, le traitement illégal d’un prisonnier ne devient pas légal au motif que ledit prisonnier s’est mal comporté. Cela aurait dû être un argument irréfutable, sans parler du fait que la stratégie selon le comportement futur d’Assange serait décidée précisément par les mêmes autorités qui ont comploté pour l’enlever ou l’assassiner.

Tout cela n’a pas été certifié comme point de droit défendable d’intérêt public.

Ce qui est certifié et mis en avant est la simple question de savoir si les garanties diplomatiques ont été reçues trop tard. Etrangement, le jugement de Burnett et Holroyde reproche à la magistrate chargée de l’extradition, Vanessa Baraitser, de ne pas avoir demandé aux États-Unis des garanties diplomatiques à un stade plus précoce.

La doctrine selon laquelle un juge devrait suggérer aux avocats d’une des parties des points utiles pour renforcer leur dossier contre l’autre partie est entièrement nouvelle en droit anglais. Les États-Unis auraient pu soumettre leur note diplomatique à n’importe quelle étape de la procédure, mais ont choisi de ne pas le faire, afin de voir s’ils pouvaient s’en tirer sans prendre d’engagement quant au traitement d’Assange. Ils n’ont soumis une note diplomatique qu’après avoir perdu l’affaire initiale. Ce n’était pas à Baraitser de leur demander de le faire plus tôt, et cette suggestion est un ridicule plaidoyer de la part de Burnett.

C’est plus qu’un simple point de procédure. Si les garanties avaient été soumises au tribunal de première instance, leur valeur aurait pu être contestée par la défense d’Assange. Les conditionnalités auto-annulantes contenues dans les garanties elles-mêmes auraient pu être examinées, et le long passé des États-Unis en matière de rupture de telles garanties aurait pu être discuté.

En les introduisant seulement au stade de l’appel, les États-Unis ont échappé à tout examen de leur validité.

Cela a été confirmé par le jugement d’aujourd’hui. La question de l’acceptabilité de e n’étant pas un point d’appel défendable.

Ainsi, le point certifié, celui de savoir si les garanties peuvent être présentées au stade de l’appel, n’est pas seulement une question de calendrier et de délais, il s’agit de savoir si les garanties doivent être examinées ou non. »

 

L’establishment britannique veut se sortir de l’affaire Assange.

 

D’après Murray, l’establishment britannique tente par cette procédure de sortir de cette affaire. En attendant, Julian Assange a pris un billet pour une année de prison supplémentaire à Belsmarsh. En effet, en mars, la Cour suprême a refusé l’appel qui était fondé sur la santé de Julian Assange. Cela signifie que l’extradition est maintenant confiée au ministre de l’Intérieur du gouvernement conservateur de Boris Johnson. Si le ministre décrète l’extradition, l’affaire retourne au tribunal d’origine et à la juge Baraister. Alors, Assange, lui-même, pourra faire appel devant la Haute Cour et son appel portera sur les questions de fond pour lesquelles Baraister a initialement donné raison aux Etats-Unis. Et ces questions ne sont pas de la petite bière :

 

- l’utilisation abusive du traité d’extradition qui interdit spécifiquement l’extradition politique ;


- la violation de l’article 10 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’homme relatif à la liberté d’expression ;


- l’utilisation abusive de la loi américaine sur l’espionnage ;


- l’utilisation de preuves corrompues, payées par un fraudeur condamné qui a depuis reconnu publiquement que son témoignage était faux ;


- l’absence de fondement de l’accusation de piratage.

 

Cela signifie que pour la première fois, devant une instance supérieure, les questions de fond seront soulevées. Alors, on verra si la Haute Cour en tiendra compte sans céder aux pressions de la partie étatsunienne.

 

Voilà où on en est.

 

Le mariage de deux résistants

 

Il s’est passé une autre chose à la fois plus émouvante pour le journaliste et abominable par l’attitude de la Justice britannique. Julian Assange a convolé ! Une de ses avocates pendant son « exil » à l’ambassade d’Equateur, Stella Morris, est devenue sa compagne et a donné naissance à deux garçons. Depuis, elle mène une campagne sans relâche pour la libération de son compagnon. Ils ont décidé de se marier. Assange a dû demander l’autorisation des autorités pénitentiaires pour ce faire qui l’ont accordée mais sous des conditions drastiques. La cérémonie qui se déroulait dans la prison eut lieu le 24 mars dernier.

 

 

 

Stella Morris en robe de mariée aux bras de John Shifton, le père de Julian Assange avec ses deux fils Max et Gabriel et le frère d'Assange (en kilt) Gabriel Shefton.

Stella Morris en robe de mariée aux bras de John Shifton, le père de Julian Assange avec ses deux fils Max et Gabriel et le frère d'Assange (en kilt) Gabriel Shefton.

 

 

 

Ainsi, une liste de six invités en plus de la famille a été soumise à la direction pénitentiaire qui a refusé l’entrée de l’ancien diplomate Craig Murray pourtant un des témoins du mariage et du journaliste, lauréat du Prix Pulitzer, Chris Hedges. Craig Murray a récemment purgé une peine de huit mois de prison pour « outrage à magistrat » (voir Uranopole https://uranopole.over-blog.com/2021/08/assange-n-est-pas-big-brother-qui-veut.html )

 

La censure des GAFAM a frappé !

 

Ajoutons que, à son tour, comme par hasard, il est arrivé une mésaventure à Chris Hedges. Youtube a effacé toutes ses publications vidéo. Il écrit :

 

 

 

Craig Murray a purgé huit mois de prison pour un motif ridicule et Chris Hedges s'est vu effacer toutes ses vidéos sur Youtube. Ils n'ont pu entrer dans la prison de Belmarsh pour assister à la cérémonie de mariage de Julian Assange avec Stella Morris.

Craig Murray a purgé huit mois de prison pour un motif ridicule et Chris Hedges s'est vu effacer toutes ses vidéos sur Youtube. Ils n'ont pu entrer dans la prison de Belmarsh pour assister à la cérémonie de mariage de Julian Assange avec Stella Morris.

 

 

 

« L’intégralité des archives d’On Contact, l’émission nominée aux Emmy Awards que j’ai animée pendant six ans pour RT America et RT International, a disparu de YouTube. L’interview avec Nathaniel Philbrick sur son livre sur George Washington a disparu. Disparue, la discussion avec Kai Bird sur sa biographie de J. Robert Oppenheimer. Disparue, mon exploration avec le professeur Sam Slote du Trinity College de Dublin sur "Ulysse" de James Joyce. Disparue, l’émission avec Benjamin Moser sur sa biographie de Susan Sontag. Disparue, l’émission avec Stephen Kinzer sur son livre sur John Foster Dulles et Allen Dulles. Disparus, les entretiens avec les critiques sociaux Cornel West, Tariq Ali, Noam Chomsky, Gerald Horne, Wendy Brown, Paul Street, Gabriel Rockwell, Naomi Wolff et Slavoj Zizek. Disparus, les entretiens avec les romanciers Russell Banks et Salar Abdoh. Disparue, l’interview de Kevin Sharp, ancien juge fédéral, sur le cas de Leonard Peltier. Disparus, les entretiens avec les économistes David Harvey et Richard Wolff. Disparus, les entretiens avec les vétérans et diplômés de West Point Danny Sjursen et Eric Edstrom sur nos guerres au Moyen-Orient. Disparues, les discussions avec les journalistes Glenn Greenwald et Matt Taibbi. Disparues, les voix de ceux qui sont persécutés et marginalisés, notamment l’avocat des droits de l’homme Steven Donziger et le prisonnier politique Mumia Abu Jamal. Aucune des émissions que j’ai réalisées sur l’incarcération de masse, où j’interviewais des personnes libérées de nos prisons, n’est plus présente sur YouTube. Les émissions avec les caricaturistes Joe Sacco et Dwayne Booth ont disparu. Ils ont fondu dans l’air, sans laisser un seul support derrière eux. »

 

C’est une œuvre de premier ordre qui, soudain, n’est plus accessible au public ! Bien entendu, Hedges n’a reçu aucune notification de cette censure. En colère, le grand journaliste ajoute :

 

« Quels étaient mes péchés ? À la différence de mon ancien employeur, le New York Times, je ne vous ai pas vendu le mensonge des armes de destruction massive en Irak, je n’ai pas colporté de théories du complot selon lesquelles Donald Trump serait un agent russe, je n’ai pas diffusé un podcast en dix parties intitulé "Le Califat", qui était un canular, et je ne vous ai pas dit que le contenu de l’ordinateur portable de Hunter Biden était de la "désinformation". Je n’ai pas prophétisé que Joe Biden était le prochain Roosevelt ou qu’Hillary Clinton allait gagner les élections.

 

Cette censure consiste à soutenir ce que, comme nous l’a rappelé I.F Stone, les gouvernements font toujours : mentir. Contestez le mensonge officiel, comme je l’ai souvent fait, et vous deviendrez rapidement invisibles sur les médias numériques. Julian Assange et Edward Snowden ont exposé la vérité sur les rouages criminels du pouvoir. Regardez où ils sont maintenant. Entre l’aérographe de Joseph Staline - qui effaçait des photographies officielles les personnes qui n’en faisaient pas partie, comme Léon Trotski - et cette censure il n’y a plus qu’un pas. C’est une destruction de notre mémoire collective. Elle supprime les efforts pour examiner notre réalité d’une manière que la classe dirigeante n’apprécie pas. Le but est d’encourager l’amnésie historique. Si nous ne connaissons pas le passé, nous ne pouvons comprendre le présent.

 

"A partir du moment où nous n’avons plus de presse libre, tout peut arriver", avait prévenu Hannah Arendt. "Ce qui rend possible le règne d’une dictature totalitaire ou de toute autre dictature, c’est que les gens ne sont pas informés ; comment pouvez-vous avoir une opinion si vous n’êtes pas informé ? Si tout le monde vous ment en permanence, la conséquence n’est pas que vous croyez les mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus rien. En effet, les mensonges, par leur nature même, doivent être modifiés, et un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. Le destinataire ne se contente pas d’un seul mensonge - un mensonge qui pourrait durer jusqu’à la fin de ses jours - mais il reçoit un grand nombre de mensonges, selon la direction du vent politique. Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se décider. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez. (…)

 

La guerre en Ukraine, que j’ai dénoncée comme une "guerre d’agression criminelle" dès son début dans le billet "War is the Greatest Evil" sur ScheerPost, en est un exemple frappant. Tout effort pour la replacer dans un contexte historique, pour suggérer que la trahison des accords entre l’Occident et Moscou, que j’ai couverte en tant que reporter en Europe de l’Est lors de l’effondrement de l’Union soviétique, ainsi que l’expansion de l’OTAN pourraient avoir attiré la Russie dans le conflit, est rejeté. Nuance. Complexité. Ambiguïté. Contexte historique. L’autocritique. Tous sont rejetés. »

 

Qui contrôle le présent contrôle le passé…

 

Rappelons-nous George Orwell : « Qui contrôle le présent, contrôle le passé, qui contrôle le passé contrôle l’avenir ». Tout peut arriver disait Hannah Arendt. Oui, l’Occident, c’est-à-dire les Etats-Unis et son vassal l’Union européenne, évolue de plus en plus vers un régime totalitaire. Le drame de l’Ukraine nous le montre. Des actes comme la censure de Chris Hedges et d’autres sont non seulement inadmissibles, mais aussi inquiétants. N’oublions pas que Madame von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, vient d’autoriser les Etats-Unis d’avoir le contrôle sur les données relatives à chaque citoyen d’un pays européen qui pourrait être soupçonné de terrorisme ou d’éloge d’actions terroristes. Question subsidiaire : Madame Ursula von der Leyen n’outrepasse-t-elle pas ses compétences ?

 

 

 

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen outrepasse ses pouvoirs pendant cette guerre en Ukraine.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen outrepasse ses pouvoirs pendant cette guerre en Ukraine.

 

 

 

Ainsi, le mariage de Julian Assange avec Stella Morris montre que l’amour est une arme qui peut être redoutable, même s’il fut saboté par ses géôliers. Il est un acte de résistance et plus que probablement, Chris Hedges a subi cette censure et Craig Murray huit mois d’emprisonnement parce qu’ils participent à la même résistance pour la liberté et la solidarité.

 

Le combat continue !

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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28 mars 2022 1 28 /03 /mars /2022 15:26

 

Dans cette guerre atroce où les bombardements détruisent des villes entières, jettent sur les routes des millions d’Ukrainiens, où les principales victimes sont les femmes, les enfants, les vieillards, on a tendance en Europe à ne désigner qu’un coupable : Vladimir Poutine.

 

Le maître du Kremlin a attaqué l’Ukraine avec un brutalité inouïe, cela en violant la Charte des Nations Unies et le droit international. Cela est indiscutable. Cependant, le Président russe est-il le seul responsable de ces tensions entre Moscou et Kiev qui ont mené à l’offensive déclenchée le 24 février dernier ? Est-il aussi le premier à avoir sciemment piétiné les règles internationales ?

 

 

Vladimir Poutine est-il le seul responsable de cette guerre ?

Vladimir Poutine est-il le seul responsable de cette guerre ?

 

 

 

Toute guerre, on le sait, engendre dans l’un et l’autre camp la propagande, la désinformation, les « fake news », ce qui rend très difficile toute analyse objective.

 

Le droit international n’est pas le même pour tous.

 

Premier point : la question du droit. Si l’action de Poutine relève d’infractions graves au droit international, condamnables ainsi par la Cour Pénale Internationale, il est clair que depuis la chute de l’URSS, d’autres crimes du genre ont été commis depuis longtemps par les Américains et les Européens. Cité par la journaliste australienne Caitlin Johnstone, un de ses compatriotes, le lanceur d’alerte David Mc Bride expose :

 

« On m’a demandé si je pensais que l’invasion de l’Ukraine était illégale.
Ma réponse est la suivante : si nous ne demandons pas des comptes à nos propres dirigeants, nous ne pouvons pas demander des comptes aux autres dirigeants. Si la loi n’est pas appliquée de manière cohérente, ce n’est pas la loi. C’est simplement une excuse que nous utilisons pour cibler nos ennemis. Nous paierons un lourd tribut à notre arrogance de 2003 à l’avenir. Nous n’avons pas seulement omis de punir Bush et Blair : nous les avons récompensés. Nous les avons réélus. Nous les avons adoubés. Si vous voulez voir Poutine sous son vrai jour, imaginez-le atterrir en avion à réaction et ensuite déclarer ’Mission accomplie’
 »

 

Cela n’est pas nouveau : Thucydide, l’historien grec de la guerre du Péloponnèse écrivait :

 

« La justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d’autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder. »

 

Comme le commente Caitlin Johnstone dans « le Grand Soir » : « Le droit international est un concept vide de sens lorsqu’il ne s’applique qu’aux personnes que l’alliance de puissance américaine n’aime pas. Ce point est renforcé par la vie de McBride lui-même, dont le propre gouvernement a réagi à sa publication d’informations occultées sur les crimes de guerre commis par les forces australiennes en Afghanistan en l’inculpant comme criminel. »

 

Notons que David Mc Bride est une sorte de Julian Assange bis, parce qu’il est poursuivi pour sa dénonciation des crimes de guerre commis par l’armée australienne en Afghanistan, en publiant des documents classifiés.

                                                               ,

George W Bush et Tony Blair ont, eux, commis un crime de guerre en envahissant illégalement l’Irak en 2003 en avançant le prétexte des « armes de destruction massive ». Ils n’ont pas été poursuivis et sont au contraire adulés. Or, en envahissant l’Ukraine en 2022, Poutine commet le même crime qui est largement dénoncé par les dirigeants occidentaux, le président US en tête. C’est à nouveau le « deux poids deux mesures ». Caitlin Johnstone ajoute :

 

 

 

Tony Blair, premier ministre de Grande Bretagne  et George W Bush, président US ont tous deux déclenché la guerre illégale contre l'Irak en 2003.

Tony Blair, premier ministre de Grande Bretagne et George W Bush, président US ont tous deux déclenché la guerre illégale contre l'Irak en 2003.

 

 

 

« Ni George W Bush ni Tony Blair ne sont dans les cellules de la prison de La Haye où selon le droit international ils devraient se trouver. Bush peint toujours depuis le confort de sa maison, émettant des proclamations comparant Poutine à Hitler et présentant des arguments en faveur d’un plus grand interventionnisme en Ukraine. Blair, quant à lui, continue de faire son bellicisme en déclarant que l’OTAN ne devrait pas exclure d’attaquer directement les forces russes, ce qui équivaut à un appel à une guerre mondiale thermonucléaire. » N’oublions pas non plus l’actuel président étatsunien, Joe Biden, qui ne cesse de jeter de l’huile sur le feu en traitant Poutine de « criminel de guerre » ou de « boucher » au point que Macron et quelques autres se sentent contraints de calmer le jeu !

 

Dans tout ce dramatique imbroglio, on peut légitimement se poser la question : le droit international est-il une réalité ou un vœu pieux ?

 

Le système mondial est-il obsolète ?

 

Dans un texte récemment rédigé par Madame Monique Chemillier-Gendreau, juriste française et professeur émérite de droit public et de sciences politiques à l’Université Paris-Diderot plaide pour une réforme fondamentale du système des relations internationales.

 

 

 

Monique Chemillier- Gendreau éminente juriste française pense qu'il faut réformer en profondeur les institutions internationales.

Monique Chemillier- Gendreau éminente juriste française pense qu'il faut réformer en profondeur les institutions internationales.

 

 

 

« Le choc créé par la guerre de la Russie contre l’Ukraine sert de révélateur au caractère obsolète du système mondial. Elle donne aussi à voir la crise des systèmes politiques nationaux dominants, qu’il s’agisse de ceux dits démocratiques ou de ceux qui s’affichent comme autocratiques. Analyser la situation dans toutes ses dimensions, pointer les reniements de valeurs qu’elle révèle et esquisser un autre modèle de société internationale, telles sont les exigences du moment. »

 

Elle dresse un constat sans complaisance :

 

« La guerre en Ukraine succède en réalité à deux autres séquences et se cumulant tragiquement avec elles, elle acte l’impuissance définitive des Nations Unies. La crise écologique est perceptible depuis des années. Et la crise sanitaire ouverte il y a deux ans, a confirmé l’insuffisance des solutions nationales. Il a été clair à l’occasion de ces crises que la société internationale ne disposait pas des institutions et des outils capables d’affronter ces menaces. L’instrument juridique qui domine le droit international et qui est le traité est inadapté à des avancées efficaces. Étant de la nature du contrat, il est de portée relative. Son contenu ne s’impose qu’à ceux qui y ont adhéré et pas aux autres. On a un droit à géométrie variable alors que la situation requiert des normes à portée universelle. »

 

L’impuissance des Nations Unies

 

Madame Chemillier-Gendreau rappelle que l’ONU a été fondée dans l’esprit du multilatéralisme.

 

« L’idée centrale avait été en 1945 de mettre en place un mécanisme de nature à jouer le rôle de tiers impartial et cela, à l’échelle universelle. Au lieu d’être réglés de manière bilatérale sur la base des rapports de force, les différends devaient l’être dans une enceinte publique et sous l’autorité d’un organe disposant de moyens adaptés à trouver une issue aux conflits. Le premier de ces moyens était dans l’interdiction faite aux États de recourir à la force. Mais toutefois, si se produisait une rupture de la paix, le Conseil de sécurité, chargé de qualifier la situation et de prendre les mesures adaptées, devait jouer le rôle de tiers impartial. »

 

On sait très bien ce qu’il se passe avec le Conseil de sécurité qui, au contraire, se place dans le bilatéralisme avec le statut des membres permanents, c’est-à-dire les cinq vainqueurs de 1945 : Etats-Unis, URSS puis Russie, Chine, Royaume Uni et France. Le droit de véto interdit donc tout débat, tout accord négocié. Cela rend caduque la Charte des Nations Unies qui dispose de l’interdiction de l’usage de la force dans les conflits entre nations.

 

 

 

Le siège de l'ONU à New York : une institution sans réelle influence

Le siège de l'ONU à New York : une institution sans réelle influence

 

 

 

La juriste rappelle les principes fondateurs de l’ONU, principes qui n’ont jamais été respectés.

 

« L’ONU avait été créée (…) pour être un tiers objectif mandaté par toute la communauté internationale pour intervenir dans les conflits et les régler en ramenant la paix. Pour fonder sa légitimité la Charte affirmait le principe d’égalité des États entre eux, espérance d’une sorte de démocratie mondiale. Et le régime juridique alors esquissé était un régime à vocation universelle. Il ne s’agissait pas d’une alliance entre quelques pays pour sauvegarder leurs intérêts propres, mais d’un nouveau système de sécurité collective destiné à protéger les peuples du monde entier d’un retour de la guerre. Le but était donc bien de mettre en place des procédures de nature à arbitrer les disputes entre États, quelque soient ces États. »

 

 

Le rôle ambigu de l’OTAN

 

 

 Il y a un autre aspect qui est mis en avant par Madame Chemillier-Gendreau, c’est le rôle de l’OTAN. Rappelons que lors de la crise en Libye en 2017 qui vit la chute de Khadafi, l’ONU avait fait appel à l’OTAN. Or, comme elle l’explique :

 

« Car il n’est pas possible d’effacer la nature originelle de l’OTAN. Il s’agit d’une alliance militaire entre les Etats-Unis et l’Europe occidentale, conçue comme un instrument de défense collective orienté à faire face à ce qui était perçu comme la menace militaire soviétique. Comme toutes les alliances, elle est le signe d’un clivage entre ceux qui en font partie et les autres. La chute du mur de Berlin en 1989 aurait dû entraîner sa disparition. Elle s’est au contraire étendue à des pays de l’ancien bloc socialiste, même s’il fut promis aux Russes en 1990 que les forces de l’OTAN ne stationneraient pas dans les Länder allemands de l’ancienne Allemagne de l’Est. Il y eut un court moment où il fut question d’une coopération étroite avec la Russie. Ce fut en 1997 avec l’Acte fondateur OTAN-Russie signé entre les dirigeants des pays de l’OTAN et Boris Elstine. Il ouvrait la voie à une coopération entre la Russie et l’OTAN qui commença à se concrétiser au début des années 2000. Mais la crise ouverte par l’intervention russe en Géorgie en 2008 a marqué un coup d’arrêt. Et l’OTAN reste ce qu’elle est, une alliance restreinte à certains États appartenant à un camp, destinée à la défense militaire de ce camp et ne pouvant en aucun cas agir au nom de l’ensemble de la communauté mondiale. »

 

 

 

Joe Biden à l'OTAN : l'instrument de domination des Etats-Unis en Europe.

Joe Biden à l'OTAN : l'instrument de domination des Etats-Unis en Europe.

 

 

 

La guerre en Ukraine marque la fin de la domination occidentale.

 

 

Enfin, la guerre en Ukraine est un révélateur, car elle met en avant la division du monde.

 

« La guerre en Ukraine ne permet plus de s’aveugler. Les votes intervenus à l’occasion de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 1er mars 2022 montrent que 5 États ont voté contre et 35 se sont abstenus. Comptant de très grands pays comme la Chine et l’Inde, le groupe de ceux qui ont refusé de condamner expressément la Russie correspond à plus de la moitié des habitants de la planète. Et pourtant, la cause ukrainienne est juste car la Russie s’est livrée à une agression caractérisée et les appuis fournis à l’Ukraine dont les habitants meurent sous les bombes russes, sont indispensables, et pour le moment insuffisants. Cela nous oblige à une analyse aussi juste que possible de la situation. »

 

 

Cela démontre que la domination occidentale est fondamentalement remise en cause. La Russie de Poutine qui n’hésite plus à défier les occidentaux, la Chine qui remet en question le leadership commercial des occidentaux – la fameuse mondialisation néolibérale – avec la route de la soie, l’Arabie Saoudite et les Emirats qui songent à vendre leurs hydrocarbures non plus en dollars, mais en yuan, bon nombre de pays africains se détournent des Européens pour regarder vers la Russie et la Chine, le Mexique et les pays d’Amérique centrale et du Sud tournent le dos aux Etats-Unis. Comme le note Madame Chemillier-Gendreau, tous ces pays représentent plus de la moitié de la population mondiale.

 

 

Un autre monde se construit. Il est temps, si on veut préserver le multilatéralisme, c’est-à-dire dans la mesure du possible, la paix et la liberté dans le monde de revoir fondamentalement les institutions internationales et de les adapter au monde à venir sans blocs dominants.

 

 

Laissons la conclusion à l’éminente juriste : « Pour contrer la domination et ouvrir la voie à une démocratie internationale, c’est-à-dire à la garantie que le système protège les plus faibles contre les forts, il faut ouvrir la page d’une autre approche des groupes humains, débarrassée de la concurrence sur la souveraineté et sur l’homogénéité des sociétés. Les outils conceptuels pour cela ont été développés par bien des penseurs. Ils se nomment le pluralisme juridique, la possibilité d’appartenances multiples, le respect d’un droit commun, avec des possibilités d’application en prenant en compte la marge nationale d’appréciation. Alors, à partir de valeurs communes actées dans des textes de liaison, les applications sur le terrain se font en fonction des cultures singulières. Nous ne partons pas de rien à cet égard. La jurisprudence de certaines juridictions comme la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour interaméricaine des droits de l’homme sont des expériences positives. »

 

 

Cependant, cela n’est réalisable qu’à l’échelle mondiale, cette utopie nécessite un gigantesque rassemblement des forces diverses sur cette Terre.

 

 

Un autre monde est possible, disent les altermondialistes. Oui, si tout-le-monde s’y met sérieusement. Il n’est plus temps de rêver, mais d’agir.

 

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

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17 mars 2022 4 17 /03 /mars /2022 09:57

 

 

 

Le penseur de référence de la gauche radicale, l’Américain Noam Chomsky n’y va pas par quatre chemins.

 

« … l’invasion russe de l’Ukraine est un crime de guerre majeur, au même titre que l’invasion américaine de l’Irak et l’invasion de la Pologne par Hitler et Staline en septembre 1939 — pour ne prendre que deux exemples marquants. Il est toujours judicieux de chercher des explications mais il n’y a aucune justification, aucune circonstance atténuante. Et, pour en venir à la question : il y a énormément d’affirmations très assurées quant à l’état d’esprit de Poutine. Le récit habituel, c’est qu’il est pris dans des fantasmes paranoïaques, qu’il agit seul, entouré de courtisans rampants — du genre de ceux qu’on connaît ici dans ce qui reste du Parti républicain, se rendant à Mar-a-Lago [villa de Donald Trump] pour obtenir la bénédiction du leader. Il se peut que ce flot d’invectives soit exact, mais on pourrait envisager d’autres possibilités : peut-être que Poutine pensait ce que lui et ses associés ont dit haut et fort durant des années. ».

 

 

 

Noam Chomsky voit clairement les tenants et aboutissants de cette guerre d'Ukraine.

Noam Chomsky voit clairement les tenants et aboutissants de cette guerre d'Ukraine.

 

 

 

De son côté, l’écrivain académicien franco-russe Andreï Makine, Prix Goncourt 1995, déclare dans une interview au Figaro du 10 mars 2022 : « Pour moi, elle [cette guerre] était impensable. J’ai en tête les visages de mes amis ukrainiens à Moscou, que je voyais avant tout comme des amis, pas comme des Ukrainiens. Le visage de leurs enfants et de leurs petits-enfants, qui sont dans ce chaudron guerrier. Je plains les Ukrainiens qui meurent sous les bombes, tout comme les jeunes soldats russes engagés dans cette guerre fratricide. Le sort du peuple qui souffre m’importe davantage que celui des élites. Comme le disait Paul Valéry, «la guerre, ce sont des hommes qui ne se connaissant pas et qui se massacrent au profit d’hommes qui se connaissent et ne se massacrent pas ».

 

 

 

L'écrivain franco-russe Andreï Makine a lui aussi une vue claire sur la guerre en Ukraine.

L'écrivain franco-russe Andreï Makine a lui aussi une vue claire sur la guerre en Ukraine.

 

 

 

En troisième lieu, le président mexicain Amlo qui a reçu le 2 mars le brésilien Lula qui sera sans doute le prochain président du Brésil, déclare : « Il est inacceptable qu’un pays se sente autorisé à installer des bases militaires autour d’un pays ; il est inacceptable qu’un pays réagisse en envahissant un autre pays. »

 

 

 

Le président mexicain Amlo et le Brésilien Lula, deux grands figures des "non alignés"

Le président mexicain Amlo et le Brésilien Lula, deux grands figures des "non alignés"

 

 

 

Une vision manichéenne

 

Ces trois déclarations résument très bien la réalité de cet atroce conflit qui semble, au moment où nous écrivons, s’enliser. Andreï Makine explique :

 

« À force de répéter des évidences, on ne propose absolument rien et on en reste à une vision manichéenne qui empêche tout débat et toute compréhension de cette tragédie. On peut dénoncer la décision de Vladimir Poutine, cracher sur la Russie, mais cela ne résoudra rien, n’aidera pas les Ukrainiens. Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l’ont rendue possible. La guerre dans le Donbass dure depuis huit ans et a fait 13.000 morts, et autant de blessés, y compris des enfants. Je regrette le silence politique et médiatique qui l’entoure, l’indifférence à l’égard des morts dès lors qu’ils sont russophones. Dire cela, ne signifie pas justifier la politique de Vladimir Poutine. De même que s’interroger sur le rôle belliciste des États-Unis, présents à tous les étages de la gouvernance ukrainienne avant et pendant la « révolution du Maïdan », n’équivaut pas à dédouaner le maître du Kremlin. Enfin, il faut garder à l’esprit le précédent constitué par le bombardement de Belgrade et la destruction de la Serbie par l’Otan en 1999 sans avoir obtenu l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour la Russie, cela a été vécu comme une humiliation et un exemple à retenir. La guerre du Kosovo a marqué la mémoire nationale russe et ses dirigeants. Lorsque Vladimir Poutine affirme que la Russie est menacée, ce n’est pas un « prétexte » : à tort ou à raison, les Russes se sentent réellement assiégés, et cela découle de cette histoire, ainsi que des interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Libye. »

 

Noam Chomsky, de son côté, précise : « On pourrait dire, par exemple, que « puisque la principale exigence de Poutine est l’assurance que l’OTAN ne prendra pas de nouveaux membres, et en particulier pas l’Ukraine ni la Géorgie, il est évident que la crise actuelle n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu d’expansion de l’Alliance après la fin de la guerre froide, ou si l’expansion s’était faite en harmonie avec la construction d’une structure de sécurité en Europe qui incluait la Russie ».

 

L’auteur de ces mots est l’ancien ambassadeur des États-Unis en RussieJack Matlock, l’un des rares spécialistes sérieux de la Russie dans le corps diplomatique américain. Il a écrit ça peu avant l’invasion. Et il poursuivait, concluant que la crise « peut être facilement résolue par l’application du bon sens… Selon toute norme de bon sens, il est dans l’intérêt des États-Unis de promouvoir la paix et non le conflit. Essayer de détacher l’Ukraine de l’influence russe — le but avoué de ceux qui ont agité les révolutions de couleur — était une course folle et dangereuse. Avons-nous si vite oublié la leçon de la crise des missiles de Cuba ? »

Matlock n’est guère seul. Les Mémoires du chef de la CIA William Burns, un autre des rares authentiques spécialistes de la Russie, aboutissent à peu près aux mêmes conclusions sur les questions de fond1. La position encore plus ferme [du diplomate] George Kennan a été tardivement et largement citée2. Elle est également soutenue par l’ancien secrétaire à la Défense William Perry3 et, hors les rangs diplomatiques, par le célèbre spécialiste des relations internationales John Mearsheimer4 ainsi que par de nombreuses autres personnalités, difficilement plus « mainstream ».

 

Rien de tout cela n’est donc obscur. Des documents internes américains, publiés par WikiLeaks, révèlent que l’imprudente proposition de Bush II faite à l’Ukraine de rejoindre l’OTAN a immédiatement suscité de vives mises en garde de la part de la Russie, laquelle a déclaré que l’expansion de la menace militaire ne pouvait être tolérée. C’est compréhensible. Nous pourrions relever au passage la curieuse apparition du concept « gauche » lorsqu’il s’agit de condamner régulièrement « la gauche » pour son scepticisme insuffisant à l’endroit de « la ligne du Kremlin ».

 

 

 

Vladimir Poutine reste figé dans sa position et "on" l'a un peu poussé !

Vladimir Poutine reste figé dans sa position et "on" l'a un peu poussé !

 

 

 

Deux poids deux mesures

 

Cependant, Chomsky est très clair quant à la situation générale du monde depuis 1989 et l’action des deux puissances impérialistes que sont les Etats-Unis et la Russie. C’est une preuve nouvelle que la guerre froide ne s’est pas achevée en 1991 lors de la chute de l’URSS, mais qu’elle a repris sous d’autres formes. Il cite l’exemple de l’Irak, de la Libye et du Kosovo qui sont en définitive des agressions similaires à celle que Poutine mène en Ukraine.

 

« Il n’y a rien à dire sur la tentative de Poutine d’offrir une justification légale à son agression, sinon qu’elle ne vaut rien.

 

Il est vrai, bien sûr, que les États-Unis et leurs alliés violent le droit international sans sourciller, mais cela n’apporte pas la moindre justification aux crimes de Poutine. Le Kosovo, l’Irak et la Libye ont toutefois eu des répercussions directes sur le conflit en Ukraine. L’invasion de l’Irak était un exemple typique des crimes pour lesquels les nazis ont été pendus à Nuremberg, à savoir une agression pure et simple, sans provocation. Et un coup de poing dans la figure de la Russie.

 

 

Dans le cas du Kosovo, l’agression de l’OTAN (c’est-à-dire l’agression des États-Unis) a été déclarée « illégale mais justifiée » (par exemple, par la Commission internationale sur le Kosovo présidée par Richard Goldstone) au motif que le bombardement avait été entrepris pour mettre fin à des atrocités en cours.

 

 

Ce jugement a nécessité une inversion de la chronologie. Les preuves sont accablantes quant au fait que le déluge d’atrocités a été la conséquence de l’invasion : prévisible, prédite, anticipée. En outre, des options diplomatiques étaient disponibles. Mais, comme d’habitude, elles ont été ignorées au profit de la violence. De hauts responsables américains confirment que c’est principalement le bombardement de la Serbie, alliée de la Russie — et sans même l’en informer à l’avance —, qui a renversé les efforts de la Russie pour collaborer avec les États-Unis à la construction, d’une manière ou d’une autre, d’un ordre sécuritaire européen post-guerre froide.

 

 

Un renversement accéléré par l’invasion de l’Irak et le bombardement de la Libye, après que la Russie a accepté de ne pas opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies que l’OTAN a immédiatement violée. Les événements ont des conséquences ; les faits peuvent toutefois être dissimulés au sein d’un système doctrinal. »

 

 

Et, en dépit de ces invasions illégales, aucune sanction n’a été prise contre les Etats-Unis. Deux poids, deux mesures… Selon que vous soyez puissant ou misérable !

 

 

Une évolution inéluctable

 

 

C’est donc, dans le cadre de ces conflits qui ont ensanglanté le Moyen-Orient et l’Europe, la vision impériale du monde des Etats-Unis comme de la Russie de Poutine qui en est la première responsable. Mais, comme l’explique Andreï Makine, ce qu’il se passe aujourd’hui est le terme d’un long processus de dégradation depuis la prise de pouvoir de Poutine en 1999.

 

 

« J’ai vu Vladimir Poutine en 2001, peu après sa première élection. C’était un autre homme avec une voix presque timide. Il cherchait la compréhension des pays démocratiques. Je ne crois pas du tout qu’il ait eu déjà en tête un projet impérialiste, comme on le prétend aujourd’hui. Je le vois davantage comme un réactif que comme un idéologue. À cette époque-là, le but du gouvernement russe était de s’arrimer au monde occidental. Il est idiot de croire que les Russes ont une nostalgie démesurée du goulag et du Politburo. Ils ont peut-être la nostalgie de la sécurité économique, de l’absence de chômage. De l’entente entre les peuples aussi : à l’université de Moscou, personne ne faisait la différence entre les étudiants russes, ukrainiens et ceux des autres républiques soviétiques… Il y a eu une lune de miel entre la Russie et l’Europe, entre Poutine et l’Europe avant que le président russe ne prenne la posture de l’amant trahi. En 2001, Poutine est le premier chef d’État à proposer son aide à George W. Bush après les attentats du 11 septembre. Via ses bases en Asie centrale, la Russie facilite alors les opérations américaines dans cette région. Mais, en 2002, les États-Unis sortent du traité ABM, qui limitait l’installation de boucliers antimissiles. La Russie proteste contre cette décision qui ne peut, d’après elle, que relancer la course aux armements. En 2003, les Américains annoncent une réorganisation de leurs forces, en direction de l’Est européen. Poutine s’est durci à partir de 2004 lorsque les pays anciennement socialistes ont intégré l’Otan avant même d’intégrer l’Union européenne, comme s’il fallait devenir antirusse pour être Européen. Il a compris que l’Europe était vassalisée par les États-Unis. Puis il y a eu un véritable tournant en 2007 lorsqu’il a prononcé un discours à Munich en accusant les Américains de conserver les structures de l’Otan qui n’avaient plus lieu d’être et de vouloir un monde unipolaire. »

 

Comme si la catastrophe ukrainienne ne suffisait pas, les Etats-Unis forts de leur hégémonie en rajoutent :

 

« Or, en 2021, lorsqu’il arrive au pouvoir, Joe Biden ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que « l’Amérique va de nouveau régir le monde ». On a le sentiment que vous renvoyez dos à dos les Occidentaux et les Russes. Dans cette guerre, c’est bien la Russie l’agresseur… Je ne les renvoie pas dos à dos. Mais je regrette que l’on oppose une propagande européenne à une propagande russe. »

 

Et quelles vont être les conséquences de cette guerre qui s’avère de plus en plus dangereuse, tant on sent que les deux « empires » veulent s’affronter directement, ce qui serait une catastrophe pour l’humanité.

 

Noam Chomsky met en garde :

 

« L’Ukraine n’a peut-être pas fait les choix les plus judicieux, mais elle n’avait pour elle rien de comparable aux options dont disposaient les États impériaux. Je suppose que les sanctions vont conduire la Russie à une dépendance encore plus grande vis-à-vis de la Chine. À moins d’un changement de cap important, la Russie est un État pétrolier kleptocratique qui dépend d’une ressource qui se doit de décliner fortement, sinon nous sommes tous finis. Il n’est pas certain que son système financier puisse résister à une attaque brutale, par le biais de sanctions ou d’autres moyens. »

 

En outre, et Chomsky ne le note pas, nous sommes aussi confrontés à une crise alimentaire mondiale, car l’Ukraine comme la Russie sont de grands exportateurs agricoles, notamment de céréales. Le secrétaire général de l’ONU avertit que cette guerre pourrait déclencher la famine dans plusieurs pays africains et l’Europe pourrait manquer de denrées alimentaires comme les céréales et l’huile de tournesol.

 

Ces perspectives ne sont guère réjouissantes. Cependant, elles font prendre conscience de la nécessité vitale d’assurer l’indépendance politique, économique et militaire de l’Europe en ayant une tout autre conception de la structure du continent.

 

 

 

Pierre Verhas

 

(à suivre)

 

Prochain article : Ukraine : Comment en sortir ? (II)

 

 

 

 

 

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9 mars 2022 3 09 /03 /mars /2022 11:17

 

 

Les lecteurs assidus d’Uranopole savent que j’appartiens à la mouvance de gauche socialiste, internationaliste, libertaire et antiimpérialiste. Or, il faut bien constater que depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, bon nombre de celles et de ceux qui se réclament de cette tendance ont des restrictions mentales à critiquer sévèrement l’agression de Poutine.

 

Certes, les dirigeants ukrainiens, les Occidentaux – et particulièrement les Américains – ont de lourdes responsabilités dans le processus qui a amené à ce conflit armé, la réalité est que l’agresseur est le président russe : c’est l’armée russe qui a jeté sur les routes plus d’un million de femmes, d’enfants, de vieillards. C’est son armée qui a bombardé des villes et leurs quartiers résidentiels, attaqué une centrale nucléaire. C’est son armée qui tente d’occuper l’Ukraine en violation flagrante de la Charte des Nations Unies et du droit international.

 

Une histoire remontant au XVIIIe siècle

 

Cette guerre, comme la plupart des guerres, est impérialiste. Dans La Libre Belgique du 7 mars, Nina Krushcheva, professeur de politique internationale, arrière-petite-fille de Nikita Khrouchtchev qui fut Premier secrétaire du Parti communiste de l’Union Soviétique, après Staline, dénonce dans un long article intitulé « Les Ukrainiens ne nous pardonneront jamais une telle barbarie », la politique coloniale de Vladimir Poutine qui n’est que la prolongation de l’attitude coloniale entamée sous l’impératrice Catherine II de Russie (1728-1796) et poursuivie par le pouvoir communiste dès 1917. Elle écrit : « … la pluie de missiles qui s’abat sur la capitale ukrainienne s’apparente aussi à une sinistre plaisanterie de l’Histoire : les Russes sont occupés à dévaster la cité que mon arrière-grand-père, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, s’employa à reconstruire avec amour après les destructions perpétrées par l’occupant nazi durant la Seconde Guerre mondiale. »

 

 

 

 

Nina Krushcheva, arrièe-petite-fille de Nikita Khrouchtchev s'insurge contre l'agression de Poutine et s'en réfère à l'histoire.

Nina Krushcheva, arrièe-petite-fille de Nikita Khrouchtchev s'insurge contre l'agression de Poutine et s'en réfère à l'histoire.

 

 

 

Elle se réfère à l’histoire. Avant Catherine II, l’Ukraine était indépendante. « Placée entre l’Occident et l’Orient, la Kiev des origines a maintenu un certain degré d’indépendance durant les années 1300 sous la dynastie princière russe des Riourik. Dans les années 1600, le territoire connu alors sous le nom de Sitch zaporogue, une entité guerrière semi-autonome cosaque, conclut une sorte d’accord "d’association" avec l’Empire russe. »

 

Ensuite, l’impératrice « estima qu’elle en avait assez de la turbulente désobéissance et de la fière indépendance des cosaques zaporogues. En 1775, la Tsarine ordonna la liquidation de la Sitch, déclarant que la région faisait désormais officiellement partie de la Novorossiya ("les territoires de l’Occident russe"). – Une fois de plus cette notion de « nouvelles frontières comme au Xing Jiang chinois -  C’est cette Novorossiya que Poutine cherche à recréer aujourd’hui - en assumant l’héritage de Catherine. » Depuis, l’Ukraine fut exploitée comme une colonie par Moscou avec pillage des ressources. Cependant, les Ukrainiens de l’Ouest gardèrent jalousement leur langue, alors qu’à l’Est le russe s’imposa progressivement. Mais, c’est sous Staline en 1932 qui avait été « commissaire » aux nationalités sous Lénine que la domination russe de l’Ukraine prit un tour dramatique.

 

Comme l’a écrit Josy Dubié : « Sous prétexte de lutte contre les “koulaks” (moyens et riches propriétaires terriens) Staline imposa à l’Ukraine, entièrement bouclée et cadenassée, une famine épouvantable qui fit de 3 à 6 millions de morts, certaines sources parlant même de 10 millions de victimes !

 

 

 

Les crimes contre l'humanité de Joseph Staline en Ukraine sont une des causes majeures du conflit actuel.

Les crimes contre l'humanité de Joseph Staline en Ukraine sont une des causes majeures du conflit actuel.

 

 

Le 7 août 1932 le gouvernement soviétique promulgue, ainsi, la “loi des épis” qui punit de déportation ou même de mort, tout qui, en Ukraine, dérobe quelques épis de blé !

 

On ne peut pas comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine si on ignore l’impact que “l’Holodomor” (le génocide par la faim en ukrainien), a encore sur la mémoire collective de nombreux ukrainiens. »

 

C’est la mémoire de cet holocauste qui est la base de l’intransigeance nationaliste de plusieurs factions ukrainiennes dont certaines sont carrément néonazies, comme le fameux bataillon Azov qui a sévi en 2014 lors des événements de Maidan.

 

Le « campisme » ou la politique des blocs

 

Si les Ukrainiens se défendent avec entre autres ces voyous nostalgiques des SS et nazis ukrainiens de 1941, si Zelensky qui est présenté comme le héros de l’Ukraine, fut triomphalement élu en 2019 pour apaiser les relations avec la Russie et qu’il n’a en fait rien fait pour détendre les relations russo-ukrainiennes et qu’il n’a pas calmé les tensions avec la région autonomiste du Donbass,  la guerre menée par Poutine, sous prétexte de lutter contre lesdits néonazis, est avant tout une guerre impérialiste. Et ce sont des millions d’Ukrainiens qui en sont victimes. L’autre argument du maître du Kremlin est relatif à l’élargissement de l’OTAN vers l’Est qui constituerait une menace contre l’indépendance de la Russie et, enfin, c’est la question de l’accès à la mer qui est sans nul doute une des causes, sinon la principale, de cette guerre. L’annexion de la Crimée en 2014 et l’attaque actuelle de la ville portuaire d’Odessa en sont des éléments probants.

 

Il y a évidemment un choc de deux impérialismes comme nous l’avons écrit précédemment. L’arrogance de l’OTAN et de l’UE à l’égard de la Russie, surtout depuis l’annexion de la Crimée, la menace bien réelle de batteries de missiles nucléaires déployées à la frontière occidentale de la Russie n’ont pu qu’accroître les tensions et réveiller le « campisme » ou la politique des blocs. C’est évidemment une des causes majeures de ce conflit. La guerre froide, chaude en Ukraine et susceptible d’extension, entre un « camp » occidental dominé par les Etats-Unis et un « camp » russe sans oublier un troisième chinois, augure de graves tensions dans les décennies à venir et ce, au détriment de tous.

 

 

 

Les conséquences : des dizaines de milliers d'Ukrainiens, hommes, femmes, enfants prennent d'assaut un train pour fuir Kharkiv bombardée par les Russes.

Les conséquences : des dizaines de milliers d'Ukrainiens, hommes, femmes, enfants prennent d'assaut un train pour fuir Kharkiv bombardée par les Russes.

 

 

 

Des sanctions inefficaces et nuisibles

 

Ainsi, les sanctions d’une ampleur jamais atteinte jusqu’ici, décidées par les USA et l’UE ont bien sûr des conséquences pour l’économie russe, pour les populations russes, mais aussi ukrainiennes et même européennes. Ces sanctions ont provoqué une hausse jamais atteinte des coûts de l’énergie au détriment de tous les peuples d’Europe, du pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux. Elles ne font qu’accroître les tensions et on peut même douter de leur efficacité, car les Russes semblent avoir trouvé des ripostes.

 

Une autre réflexion

 

Alors, il faut être clair : tous les impérialismes sont à combattre, toute guerre est condamnable. Il n’est pas question de faire deux poids deux mesures dans un sens ou dans l’autre. Pour terminer, voici une réflexion de Viktor Dedaj du site « Le Grand Soir » :

 

« Une guerre ne devient pas une guerre le jour où les médias décident de vous la montrer.

Être anti-guerre, ce n'est pas être simplement contre "la" guerre. Être anti-guerre, ce n'est pas exprimer des positions (plutôt futiles à notre humble niveau) une fois qu'elle a éclaté. Être anti-guerre, c'est vouloir comprendre l'enchaînement des décisions prises par chacun des acteurs qui ont mené à un tel dénouement. Être anti-guerre, ce n'est pas déclarer son opposition à sa forme la plus concrète, évidente, et spectaculaire, mais d'être aussi archi-critique des actions et des logiques économiques et politiques qui l'ont alimenté. C'est tenter d'évaluer la culpabilité respective des acteurs.

 

Rejeter une telle démarche intellectuelle montre que l'on n'est nullement "anti-guerre", seulement anti cette guerre-là, en particulier. C'est aussi exposer un "angle mort" sur les causes et les autres formes de guerre, économiques, tels que les embargos et blocus, qui peuvent faire, et font souvent, autant de victimes, mais silencieuses (silencieuses, parce que les grands médias en ont décidé). Les centaines de milliers de victimes des sanctions contre l'Irak, pour ne prendre qu'un exemple - et pas des plus récents - en sont la preuve.

Être anti-guerre, c'est s'opposer à toutes les guerres, y compris économiques.

Etre anti-guerre, c'est s'opposer à son expression concrète et aussi aux politiques qui y ont mené.

 

Le premier responsable d'une guerre est évidemment celui qui l'a déclenché. Le deuxième est celui qui l'a sciemment provoqué, ou manœuvré pour, en créant les conditions qu'il savait seraient perçues comme un casus belli. Avec - et c'est important - une hiérarchisation des "légitimités" invoquées. Car non, tous les casi bellorum ne se valent pas.

 

Que les gigantesques États-Unis considèrent comme casus belli l'instauration dans la minuscule Cuba d'un système socio-économique inconvenable n'est pas la même chose que l'installation de missiles nucléaires sous le nez de votre adversaire. Et l'installation de missiles nucléaires sous son nez n'est pas la même chose si lui-même a commencé par en installer sous le vôtre. (…). »

 

 

Tout est à refaire !

 

 

Et Viktor Dedaj ajoute mieux comprendre la position russe que la position occidentale. Si ce raisonnement tient la route, notons bien que l’on ne peut tolérer en aucune manière l’agression de Poutine, les bombardements des villes, les millions de réfugiés jetés sur les routes – les fameux « couloirs humanitaires » - qu’il va falloir accueillir en Europe et ailleurs.

 

En plus de l’horreur de cette guerre, comme de toute guerre, les médias « mainstream » s’en donnent à cœur joie dans leur matraquage, ce qui renforce la « thèse » occidentale auprès de l’opinion publique européenne qui commençait auparavant à manifester un certain scepticisme envers l’atlantisme et l’utilité d’un organisme comme l’OTAN. Et cela, c’est un considérable retour en arrière. Tout est à refaire !

 

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

Post scriptum

 

 

Censure et manque d’esprit critique à la RTBF sur la guerre d’Ukraine

 

 

Notre ami Josy Dubié, ancien grand reporter à la RTBF, sénateur honoraire, vient d’envoyer une lettre ouverte à son ancien collègue, Jean Pierre Jacqmin, actuel directeur de l’information à la RTBF (radio-télévision de service public belge francophone). Il y dénonce l’interview sans commentaires critiques d’un personnage « volontaire » pour combattre en Ukraine et qui est manifestement un néo-nazi.

 

D’autre part, il dénonce la censure dont a été victime Pierre Galand, lui aussi ancien sénateur, et surtout une des figures majeures du Mouvement de la Paix en Belgique, qui manifeste à l’égard de la guerre en Ukraine une position différente de celle des organes de presse « mainstream ».

 

Cet incident est inquiétant. Petit à petit, ne risque-t-on pas de voir s’imposer une pensée unique ne souffrant aucune critique en la matière ? La lettre de Josy est utile, car elle consiste en une mise en garde indispensable.

 

Ce n’est pas parce qu’il y a une guerre en Ukraine que tout le monde est tenu de penser la même chose et de suivre les « autorités » comme un troupeau de moutons !

 

 

P.V.

 

 

Lettre ouverte de Josy Dubié à Jean Pierre Jacqmin directeur de l’Info RTBF 

 

 

Mercredi 9 mars 2022

 

Bonjour Jean Pierre, 

 

 

Nous nous connaissons bien. Fin des années 80 tu as été un de ceux qui a lancé, avec succès, merci à toi, « l’opération Village Roumain » (OPR), formidable mouvement de solidarité avec ce peuple des Balkans suscité en réaction à mon reportage clandestin « Roumanie : Le désastre rouge ». Il montrait la réalité tragique du régime du « Conducator », le « Danube de la pensée » le « Génie des Carpates » le dictateur roumain Nicolaë Ceaucescu. 

 

Aujourd’hui tu es, depuis plus de dix ans directeur de l’info RTBF. 

 

C’est à ce titre que je m’adresse à toi. 

 

J’ai vu hier soir, au JT de la RTBF, un « reportage » (sic) consacré a un personnage, présenté comme un héros, partant « défendre la liberté en Ukraine ». Je t’avoue ma surprise et même ma sidération ! A l’évidence tout démontre, en effet, dans l’environnement de ce sympathique paroissien, qu’il est un partisan proche de l’extrême droite néo nazie. 

 

Te rends-tu compte qu’en exhibant, sans nuances, ce personnage de soi-disant « freedom fighter » vous renforcez la thèse du dictateur du Kremlin qui affirme que le régime en place à Kiev est aux mains de néo nazis ?  Il y a, malheureusement, effectivement, toujours en Ukraine des nostalgiques des ultranationalistes ukrainiens qui ont, durant la 2 ème guerre mondiale, alliés aux hitlériens, commis des crimes épouvantables notamment en participant activement à la chasse aux juifs dont des centaines de milliers ont alors été massacrés. Ces nostalgiques du 3ème Reich, très actifs, sont cependant aujourd’hui, ultra minoritaire en Ukraine. J’ai surveillé pour l’OSCE des élections présidentielles en Ukraine où le candidat d’extrême droite, clairement néo nazi, avait recueilli, alors, le score fabuleux de 0,70% des suffrages à l’échelon national !  J'apprends que vous reconnaissez une erreur et que vous allez y répondre. Bravo !  

 

 

Par ailleurs je découvre, que ce samedi 5 mars, la RTBF devait diffuser dans son émission “ Retour aux sources” un reportage suivi d’un débat préenregistré le 1er février sur les militantes pacifistes de Greenham Common, auquel participais mon ancien collègue, l’ex sénateur socialiste Pierre Galand, figure majeure du mouvement pacifiste en Belgique. La réalisatrice, très gênée lui aurait téléphoné pour lui dire que, vu les circonstances, les "hautes autorités de la RTBF" (sic), avaient décidé de supprimer ce débat ! Qu’est-ce que c’est que cette censure ? Les militants de la paix aujourd'hui n’auraient-ils plus le droit de s’exprimer ?  On a bien sûr, le droit de ne pas être d’accord avec la position de Pierre Galand mais pas de l’empêcher de s’exprimer ce qui revient à avoir la même attitude que celle de Poutine interdisant toute forme de contestation en Russie de la guerre d’agression scandaleuse et inacceptable qu’il mène contre l’Ukraine.

 

  

Tu sais que j’ai été correspondant de guerre pour la RTBF pendant quelques 20 ans. Je peux témoigner, d’expérience, que du Vietnam à l’Iran, à l’Irak, au Liban, à la Palestine, à l’Afghanistan et dans bien d’autres endroits où j’ai, avec mes équipes (merci à eux), risqué ma peau, la première victime de la guerre c’est la vérité ! Il n’y a PAS de guerre propre ou chirurgicale ! Toutes sont monstrueuses et amènent, dans TOUS les camps, des individus poussés par un nationalisme imbécile, (qui leur fait préférer un salaud de leur camp plutôt qu’un type bien du camp d’en face) à commettre des crimes abominables. 

 

 

C’est le propre de la guerre, de toutes les guerres.  

 

 

Il est dès lors inacceptable de vouloir museler tout qui combat la guerre en essayant d’en comprendre les causes pour éviter qu’il ne s’en passe pas de nouvelles ! 

 

 

Je te signale, en passant, que contrairement à ce qui est dit à longueur d’antenne, la guerre de Poutine n’est pas la première qui dévaste notre continent depuis la 2ème guerre mondiale. Les guerres cruelles et sanglantes qui ont dévasté les Balkans à la dislocation de la Yougoslavie, ont-elles aussi été commencées pour les mêmes raisons de nationalismes imbéciles.  

 

Bonne journée 

 

Josy    

 

« Ni dieu ni maitre ! »   

 

 

 

 

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27 février 2022 7 27 /02 /février /2022 09:44

 

 

 

Nous nous sommes trompés. Il l’a donc fait ! Poutine s’est sciemment mis au ban de la communauté internationale et a violé la Charte des Nations Unies en décidant de pénétrer militairement dans le territoire de l’Ukraine, Etat indépendant membre de l’ONU. Avec toutes les conséquences afférentes : destructions, morts de femmes, d’enfants et d’hommes, chaos.

 

 

 

L'armée russe avance en Ukraine, mais rencontre une forte résistance.

L'armée russe avance en Ukraine, mais rencontre une forte résistance.

 

 

 

Le joueur d’échec Vladimir Poutine a pris un énorme risque : faire pat au lieu d’échec et mat, c’est-à-dire se retrouver dans une situation inextricable dont ni lui, ni les Occidentaux ne pourront se dépêtrer. Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères français, déclare au « Figaro » du 25 février : « Poutine commet une erreur historique ». C’est ainsi que l’affaire peut très mal tourner.

 

 

 

Le discours de Vladimir Poutine annonçant l'invasion de l'Ukraine expose son intention de construire une "grande" Russie impériale.

Le discours de Vladimir Poutine annonçant l'invasion de l'Ukraine expose son intention de construire une "grande" Russie impériale.

 

 

 

La question des nationalités et le choc des empires

 

Dans le discours télévisé où il annonce le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, le Président russe expose son objectif. Reconstruire la Russie comme elle le fut sous les tsars : un grand empire « sur une base multi ethnique comme il l’a toujours été », mais un empire centralisé. Mediapart rapporte les propos d’un historien et ancien ministre polonais des Affaires étrangères décédé en 2008, Boris Geremek : « Le rêve joue un rôle très important en politique, car il organise l’imagination et donne sens à l’action. Dans le rêve européen, il y a l’intégration économique et politique mais aussi l’ouverture à l’Est, y compris aux anciennes républiques européennes de l’ex-Union soviétique. La frontière de l’Europe n’a été construite ni par l’histoire, ni par la géographie, ni par la culture. C’est une frontière à l'américaine, une frontière mouvante et qui l’a toujours été. Il faut que la Russie accepte l’idée qu’une frontière n’est pas un mur, une barrière hermétique entre deux civilisations. Mais il faut aussi que nous-mêmes soyons réalistes. La Russie est quelque chose d’autre, la Russie est un empire. »

 

En plus, n’oublions pas que la question des nationalités a toujours été en débat en Russie, notamment après la prise de pouvoir des Bolchéviks en octobre 1917. Lénine était partisan d’une fédération avec une très large autonomie aux entités diverses aussi bien en Russie d’Europe qu’en Russie d’Asie, tandis que Staline qui était ministre des Nationalités voulait une fédération centralisée. Rosa Luxemburg qui était internationaliste avait averti Lénine que cette question le détournait de la lutte des classes. Et c’est finalement Staline qui a gagné. En URSS, le problème des nationalités a été mis brutalement sous le boisseau pendant la période stalinienne et poststalinienne et s’est exacerbée après la chute de l’Union Soviétique en 1991. Elle ne concerne d’ailleurs pas que la Russie. Rappelons-nous la guerre en ex-Yougoslavie en 1990 et des tensions se font jour à nouveau en Bosnie. Elle est source de tensions en Espagne, en Grèce, en Hongrie, en Roumanie et même… en Belgique !

 

 

 

Lénine et Staline étaient en désaccord sur la question des nationalités.

Lénine et Staline étaient en désaccord sur la question des nationalités.

 

 

 

Ainsi, ce mélange détonant entre l’impérialisme et les nationalismes va sans doute empoisonner l’histoire européenne pendant plusieurs années ! Cependant, il y a un principe essentiel qu’on oublie dans ce conflit entre « grandes puissances » par peuples interposés : c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à l’autodétermination.

 

Aussi, on peut se poser une question. L’Ukraine, nation indépendante, acceptera-t-elle d’être multiethnique ? Ce n’est certes pas le cas pour le moment et les événements récents le prouvent. Le 17 février, les forces ukrainiennes et le fameux bataillon Azov ont tenté d’occuper le Donbass. Le 18 février, les rapports de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe indiquaient clairement que le bombardement du Donbass s’intensifiait. Les banlieues de Donetsk sont aussi bombardées. Un raid de commando des forces spéciales ukrainiennes dans la province russe voisine de Rostov a été neutralisé. Cela a donné le prétexte à Poutine de lancer son offensive qui était préparée depuis longtemps.

 

Les chancelleries et la presse mainstream s’interrogent : Poutine se limitera-t-il à l’Ukraine ? Notez au passage qu’au deuxième jour de l’attaque russe, on a l’air de considérer que les Ukrainiens ont perdu ! Quand on voit les appels angoissés du président ukrainien Zelensky à l’aide occidentale et sa détermination à se battre jusqu’au bout, cette manière de considérer les choses est indigne, d’autant plus que la résistance ukrainienne est plus coriace que prévu ! On ne connaît évidemment pas la réponse, mais on peut être sûr que quelle que soit l’issue de cette guerre, il y aura de profonds changements en Russie, car d’autres questions de nationalités ne sont toujours pas résolues, notamment en Tchétchénie et dans les républiques indépendantes voisines de la Russie dans le Caucase comme le Kazakhstan.

 

 

L'appel du président ukrainien Zelensky à résister et à l'aide de l'Europe montre qu'il est déterminé à combattre l'invasion russe.

L'appel du président ukrainien Zelensky à résister et à l'aide de l'Europe montre qu'il est déterminé à combattre l'invasion russe.

 

 

 

Les Etats-Unis, de leur côté, sont aussi un « empire » bien plus puissant que la Russie et sont aussi imprégné de cette idée de « nouvelle frontière », c’est-à-dire d’une expansion sans fin. Et n’oublions pas la Chine dont la province occidentale le Xin Jiang où les Ouighours sont traqués, passage obligé de la fameuse « route de la soie », signifie « nouvelle frontière ». Quant à l’Europe, l’UE s’aligne systématiquement sur la position étatsunienne. Il suffit de relire les déclarations et discours des responsables de l’Union européenne, Emmanuel Macron, Charles Michel et Ursula von der Leyen. Même le chancelier allemand Olaf Scholz qui avait exprimé quelques réticences à s’aligner, est rentré dans le rang. Donc, l’Europe n’existe pas. Elle n’est que le théâtre de l’affrontement entre les empires US et russe qui se déroule pour le moment en Ukraine. Elle est « l’arrière-cour » des Etats-Unis.

 

 

 

Emmanuel Macron, Charles Michel, Ursula von der Leyen, le triumvirat dirigeant d'une Union européenne impuissante

Emmanuel Macron, Charles Michel, Ursula von der Leyen, le triumvirat dirigeant d'une Union européenne impuissante

 

 

 

Dans ce choc des empires, il n’y a pas que l’Ukraine.

 

 

Le rapport de force dans le monde est en pleine mutation et pas seulement dans « l’arrière-cour » des États-Unis. La crise du Donbass, ce n’est qu’un élément dans une crise globale des rapports entre le bloc EU/OTAN et les puissances émergentes auxquelles s’associent les pays résolument indépendants, en particulier les 19 pays qui ont adhéré au Groupe des États défendant la Charte des Nations Unies. Ainsi, le Mexique, le grand voisin méridional des USA affiche en cette affaire une neutralité volontaire. D’ailleurs, n’oublions pas que le président mexicain a promis de donner le statut de réfugié politique à Julian Assange emprisonné à Londres et menacé d’extradition vers les Etats-Unis. De plus en plus de pays sans s’aligner sur Moscou ou Beijing s’éloignent de « l’Occident » …

 

 

 

 

Le Président du Mexique Andrés Manuel Lopez Obrador s'oriente vers le non alignement.

Le Président du Mexique Andrés Manuel Lopez Obrador s'oriente vers le non alignement.

 

 

 

La stratégie du mensonge

 

Védrine précise : « Le Poutine de 2022 est largement le résultat, tel un monstre à la Frankenstein, de la désinvolture et des erreurs occidentales depuis trente ans. »

 

La guerre froide terminée, les puissances auraient dû modifier profondément les relations internationales. Cela ne s’est pas passé ainsi : le « camp » occidental s’est considéré comme le « vainqueur » de la guerre froide et a maintenu la logique des blocs. C’est une des causes profondes de cette guerre.

 

Cette tragédie part de mensonges depuis le départ, c’est-à-dire depuis la chute de l’URSS. Le premier : la fausse promesse des « occidentaux » de ne pas étendre l’OTAN au-delà de l’Elbe, c’est-à-dire de la frontière qui séparait les deux Allemagnes jusqu’en 1989. Et ce n’est pas une « fake news » comme on tente de le faire accroire ces temps-ci : Un document émanant des archives britanniques, révélé par le magazine allemand Der Spiegel, souligne que des accords écrits ont bien été passés avec Moscou pour ne pas étendre la sphère d’influence et d’action de l’Alliance atlantique au-delà de l’Elbe.

 

Un autre document émanant des archives nationales britanniques corrobore la thèse avancée par Moscou de l’existence d’un engagement de Washington et des puissances occidentales à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est. Der Spiegel en révèle l’existence. Ce texte, longtemps classé secret défense, a été remonté des profondeurs des archives par le chercheur états-unien Joshua Shifrinson, professeur à l’université de Boston. Il y est question du procès-verbal d’une réunion des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, tenue à Bonn le 6 mars 1991. Le thème était la sécurité en Europe centrale et orientale. Une telle expansion serait « inacceptable » Le document fait part sans la moindre ambiguïté d’un engagement de Washington, Londres, Paris et Bonn à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est.

 

Hubert Védrine rappelle dans son interview au Figaro  : « Henry Kissinger, qui a passé sa vie à combattre les Soviétiques, déplorait il y a une dizaine d’années qu’on n’ait fait aucun effort après la fin de l’URSS pour associer la Russie à un ensemble de sécurité en Europe. Brzezinski, polonais d’origine, très antirusse, considérait que c’était une provocation contre-productive d’annoncer l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN en 2004 et qu’il fallait au contraire bâtir un statut de neutralité, de finlandisation, avec une double garantie pour l’Ukraine et pour la Russie. Ça n’a pas été fait. »

 

Peut-être, n’a-t-on pas « voulu » le faire ?

 

 

 

L'ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement Jospin faut souvent des analyses pertinentes et sans concessions.

L'ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement Jospin faut souvent des analyses pertinentes et sans concessions.

 

 

 

La riposte lâche : les « sanctions »

 

Biden a bien précisé que les Etats-Unis prendront de « sévères » sanctions à l’égard de Moscou et n’interviendraient militairement que si un pays membre de l’OTAN était attaqué par la Russie.

 

Les Etats-membres de l’Union européenne se sont réunis et ont décidé aussi d’une liste de sanctions les plus dures les unes que les autres. Hubert Védrine, de son côté, précise : « Des sanctions sont nécessaires, mais n’oublions pas qu’elles sont un aveu d’impuissance. Le recours par les Etats-Unis à des sanctions extraterritoriales sous des motifs honorables mais pour servir leurs intérêts devrait être un scandale depuis plusieurs décennies. Ce n’est pas une panacée mais malheureusement, à chaud, elles sont inévitables. Elles doivent être intelligentes et ciblées : il faut faire attention à ne pas sanctionner les peuples ni à nous sanctionner. »

 

Les conséquences de ces sanctions pourraient provoquer pour l’Europe un bouleversement des échanges intra-européens, voire mondiaux qui ne feraient qu’accroître les tensions par une crise économique de grande ampleur. Ainsi, il est question de couper le réseau SWIFT d’échanges financiers à la Russie. Celle-ci a déjà une riposte et plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie s’y opposent. Interdire l’importation de céréales d’Ukraine grèverait sérieusement l’agriculture européenne. Bien des entreprises en Europe ont des contrats avec des entreprises russes, leur rupture pourrait entraîner faillites et chômage. Sur le plan énergétique, la coupure des gazoducs avec la Russie entraînerait une hausse insupportable des prix des hydrocarbures et du gaz en Europe. En dehors des peuples aussi bien russe qu’européens, cela entraînerait une crise sans précédent.

 

L’humiliation génère les guerres.

 

 

Une frange de la gauche a plus tendance à soutenir la partie russe et cautionner Poutine, alors qu’il ne faut pas oublier qu’il est le dirigeant d’une grande partie de l’oligarchie russe qui a remplacé la « nomenklatura » soviétique après 1991. L’autre tendance est de s’aligner sur la politique occidentale au nom de la démocratie et des droits humains. Cependant, il y a un élément fondamental que nul n’a pris en compte.

 

 

Montesquieu a dit, il y a bien longtemps : « Les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, mais ceux qui les ont rendues inévitables. » Dès 1990, les Occidentaux se prenant pour les vainqueurs de la guerre froide ont humilié la Russie, lui ont imposé des mesures drastiques, lui ont menti sur leurs objectifs réels. Ils ont fait de même en 1919 à Versailles où ils ont humilié le vaincu, l’Allemagne. Cela a donné Hitler en 1933 et Poutine en 1999. Cela a déclenché deux guerres, la première en 1939 et celle-ci en 2022. Les « grands » de ce monde sont décidément incapables de tirer les leçons de l’histoire.

 

 

 

L'humiliation subie par la Russie d'après la guerre froide est à l'origine de cette offensive.

L'humiliation subie par la Russie d'après la guerre froide est à l'origine de cette offensive.

 

 

 

Enfin, au-delà de ces froides analyses, n’oublions jamais qu’il y a nombre de femmes, d’hommes, d’enfants dont l’avenir est écrasé, dont la liberté est éradiquée, qui doivent s’enterrer pour échapper aux bombes, qui n’ont plus que l’exil pour échapper à la mort et à la destruction. C’est le lot de la guerre et comme toujours, on se demande si cela était nécessaire et surtout si on ne pouvait l’éviter.

 

 

 

Une famille ukrainienne fuyant la guerre entre en Slovaquie. L'atroce lot des guerres...

Une famille ukrainienne fuyant la guerre entre en Slovaquie. L'atroce lot des guerres...

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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