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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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19 juillet 2021 1 19 /07 /juillet /2021 10:05

 

 

 

I Du califat à l’Islam contemporain

 

Cela s’agite encore avec le voile et l’Islam. Les rationalistes s’exercent à l’irrationnel ! Ils veulent exclure, interdire, sauver la statue de la laïcité menacée de disparition ! Beau programme ! S’il vous plaît, calmons-nous, discutons à tête reposée et, si c’est encore possible, tentons de raisonner.

 

Tout d’abord, replaçons les choses dans leur contexte historique.

 

Un conflit déchire l’Europe occidentale. Les tensions entre les musulmans européens et les autorités et milieux laïques prennent aujourd’hui d’inquiétantes proportions. Certes, cela ne date pas d’hier. Tout a commencé en Iran en 1979 par le renversement du régime du Shah Rezza Palhavi et le déclenchement de ce qu’on a appelé la révolution islamique. Cet événement régional a rapidement pris une dimension mondiale. La première manifestation visible en Europe et même aux Etats-Unis en fut la multiplication du port du voile par des femmes musulmanes sans que cela n’inquiète trop les autorités. Ensuite, la révolution khomeyniste eut très vite des suites géopolitiques majeures. Elle avait bouleversé le fragile équilibre imposé par les Etats-Unis au Moyen-Orient. C’est la fatwa de Khomeiny condamnant à mort l’écrivain indien Salman Rushdie pour l’écriture d’un ouvrage considéré comme « sacrilège » qui fit prendre conscience de la violence de ce qu’on a appelé depuis l’islamisme. On eut l’impression de revivre les pires moments de l’Inquisition !

 

 

 

 

La Kaaba à La Mecque - lieu le plus sacré de l'Islam

La Kaaba à La Mecque - lieu le plus sacré de l'Islam

 

 

 

Prenons conscience qu’une fois de plus, la religion servit d’instrument à un rapport de forces entre grandes puissances et nations émergentes, rapport de forces qui avait débuté en 1973-74 avec le premier choc pétrolier et qui s’est exacerbé avec le second choc en 1979, la révolution iranienne et l’invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique. Ensuite, on a encouragé un dictateur arabe local à attaquer l’antique Perse considérée comme dangereuse en espérant écraser ce nouveau pouvoir ! Les « méchants » avaient pris les diplomates de l’ambassade US en otage ! Vraiment, cela ne se fait pas ! Aussi, Saddam Hussein, le sunnite irakien a été chargé de punir les vilains chiites de Téhéran. Dix ans d’une guerre atroce qui a abouti à la victoire à la Pyrrhus de l’Iran et l’humiliation des USA. Les otages étatsuniens ont été relâchés le jour de l’élection de Reagan en novembre 1980 qui a succédé au démocrate Carter qui s’est embourbé par le fiasco d’une opération commando destinée à libérer les diplomates otages.

 

Ces événements ont redonné à l’Islam un immense prestige au niveau mondial, particulièrement dans le Tiers-monde et dans les communautés musulmanes en Europe. Cependant, ces guerres sont loin d’être terminées. Dans leur projet fou de « nouvel ordre mondial » ou de « grand Moyen-Orient », les Etats-Unis mènent la guerre sur plusieurs fronts. D’abord, clandestinement en Afghanistan via la CIA en dotant d’armes sophistiquées les moudjahidines qui combattaient pour chasser les Soviétiques et en y entraînant des commandos placés sous le commandement d’un Saoudien, un certain Oussama Ben Laden, qui constitua une organisation particulièrement efficace dénommée « Al Qaeda » - la base, en Arabe.

 

 

 

Oussama Ben Laden commença sa "carrière" au service des Etats-Unis !

Oussama Ben Laden commença sa "carrière" au service des Etats-Unis !

 

 

 

La guerre du Golfe qui s’en suivit dès 1991 permit le renforcement de l’Islam radical – aussi bien chiite que sunnite – au Moyen-Orient mais aussi dans le reste du monde. Ce fut la période du terrorisme islamique qui avait d’ailleurs commencé en Algérie et qui s’est étendu essentiellement en France où vit une importante communauté algérienne dans la décennie 1980-90. Grâce à Al Qaeda et sans doute à une frange du pouvoir saoudien, des attentats de grande ampleur visant avant tout des intérêts étatsuniens se déroulèrent en Afrique et en Europe. Cette vague atteignit son sommet lors des attaques à New York et à Washington du 11 septembre 2001.

 

Ce fut le déclenchement des guerres « contre le terrorisme », « du bien contre le mal » et l’émergence de la pensée du choc des civilisations. Ce furent non seulement des guerres pour bâtir le fameux « grand Moyen-Orient » placé sous le contrôle étatsunien, guerres interminables aux objectifs obscurs et aux issues incertaines avec des bombardements meurtriers associées à un conflit idéologique entre deux conceptions du monde ou plutôt au choc de deux fanatismes.

 

Et vinrent les Frères…

 

Un élément essentiel souvent négligé : l’Islam comme les autres religions dites du Livre est une religion révélée, mais en outre intimement associée à un pouvoir temporel, le califat. Nabil Mouline écrit dans son ouvrage « Le Califat », (Paris, Flammarion, collection Champs histoire, 2016) : « Depuis le VIIe siècle, le califat n’a cessé d’être un mot de ralliement – réel ou symbolique – pour les musulmans à travers le monde. Cette incroyable popularité s’explique sans doute par l’équation quasi systématique qui s’établit entre l’imaginaire collectif entre cette forme de monarchie universelle et l’Âge d’or de la communauté des croyants. ». Il est l’institution politico-religieuse centrale de l’Islam. Le califat est né au VIIe siècle, connut diverses formes et vicissitudes à travers l’histoire et s’acheva en 1917 avec la chute de l’empire ottoman. Depuis, la nostalgie du califat ne cessa de hanter l’âme des musulmans.

 

Cela dit, l’Islam, ni même le radicalisme islamique ne sont des blocs monolithiques. Outre les courants sunnites et chiites, il existe différentes tendances au sein de chacun d’eux. Ainsi, chez les sunnites, le salafisme et le wahhabisme – deux tendances radicales – ainsi que le soufisme plus spirituel, plus ouvert et modéré. A cela, il faut ajouter un mouvement très influent dont on parle beaucoup en ce moment : la Confrérie des Frères musulmans.

 

Cette Confrérie d’obédience sunnite est née à Ismaila dans le Nord de l’Egypte en 1928. Elle a comme objectif d’instaurer une société islamique par l’application de la charia. Elle s’est aussi ralliée au salafisme. La Confrérie est aussi un mouvement anticolonialiste. L’Egypte avait été placée sous mandat britannique après les fameux accords Sikes-Picot qui ont partagé les restes de l’empire ottoman en 1916 entre la France et la Grande Bretagne. Les élites égyptiennes de l’époque s’occidentalisaient et se laïcisaient. Aussi, plusieurs dirigeants musulmans égyptiens s’opposèrent à cette évolution et fondèrent ainsi la Confrérie. Ils rencontrèrent assez vite un important succès auprès d’une partie de l’élite comme dans la population musulmane d’Egypte. Les prêches dans les mosquées et aussi les organisations caritatives mises en place par les Frères exercèrent une influence considérable. La Confrérie ne s’est pas limitée à l’Egypte. Elle cherche à s’étendre dans l’ensemble du monde musulman et plus tard, même, à se mondialiser.

 

 

 

Deux fondateurs des Frères musulmans. A gauche : Hassan El Banna

Deux fondateurs des Frères musulmans. A gauche : Hassan El Banna

 

 

 

Le pouvoir colonial s’en inquiéta et réprima les Frères sans réussir à les éliminer. Au contraire, en 1943, ils comptèrent plus de 280 000 adeptes en Egypte, alors qu’en 1928, ils étaient 2 000 ! Après la Seconde guerre mondiale, Nasser se servit des Frères musulmans pour fomenter en 1952 son coup d’Etat contre le roi Farouk qui était un fantoche des Britanniques. Très vite, il y eut de profondes divergences entre le Raïs et les Frères. Nasser voulait faire de l’Egypte un Etat nation laïque à l’occidentale et après avoir échoué à négocier avec la Confrérie, il la fit interdire et persécuta ses dirigeants. Bon nombre d’entre eux s’exilèrent en Europe. C’est à ce moment que les Frères, paradoxalement, étendirent leur influence en dehors de l’Egypte. Ils devinrent une force spirituelle internationale, ce que par ailleurs ils cherchaient à devenir. Comment procédaient-ils ?

 

« L’appareil secret » des Frères musulmans

 

Les Frères créèrent de complexes réseaux d’associations spirituelles et caritatives au sein des communautés musulmanes d’Europe de plus en plus nombreuses suite d’abord à la décolonisation et par après à l’immigration. En Europe, la Confrérie put agir sans trop d’entraves se plaçant essentiellement sur les plans spirituel et caritatif. Les Frères ne prônent pas la violence mais la conquête par la voie spirituelle. Il existe cependant une exception : ils fondèrent dès 1945 une branche armée en Palestine pour lutter contre le mouvement sioniste et participa à l’offensive des armées arabes lors de la guerre de 1948-49 dite d’indépendance par les Israéliens. Cette armée clandestine dite « l’appareil secret » agit aussi en Egypte. Le 28 décembre 1948, le Premier ministre égyptien fut assassiné. En représailles, le pouvoir égyptien fit exécuter le fondateur de la Confrérie, Hassan-el-Banna. Par après, l’Egypte entre en conflit avec l’occupant anglais. Ceux-ci refusèrent de quitter leur base militaire du canal de Suez. De sanglantes émeutes associant les Frères, les communistes et les nationalistes égyptiens firent des centaines de victimes. Ces escarmouches durèrent jusqu’en 1954.

 

 

 

Gamal Abdel Nasser se servit de la Confrérie pour prendre le pouvoir et après la pourchassa.

Gamal Abdel Nasser se servit de la Confrérie pour prendre le pouvoir et après la pourchassa.

 

 

 

Une affaire de famille

 

Entre temps, et c’est un élément fondamental, au début des années 1950, les Etatsuniens et les Britanniques craignant l’instauration d’un régime communiste en Egypte avec l’arrivée au pouvoir de Nasser, firent appel aux Frères musulmans.  Le Guide Hassan al-Hudaybi, successeur de El-Banna négocia avec le chargé des questions orientales du Royaume-Uni, Trevor Evans et lui demanda des armes pour lutter contre Nasser. L'université de Princeton organisa avec la CIA un colloque sur les musulmans en Union soviétique avec Saïd Ramadan (1926 – 1995), le gendre et l’héritier spirituel du fondateur des Frères musulmans Hassan el-Banna et lui-même fondateur de la branche palestinienne du mouvement. Il a fondé en 1958 la Société islamiste d'Allemagne, puis la Ligue musulmane mondiale. Il est le père de Hani et de Tariq Ramadan. Les Frères sont véritable une affaire de famille !

 

Constante de la politique israélo-étatsunienne

 

On observe que c’est une constante dans la politique étatsunienne comme israélienne : chercher à s’associer un ennemi pour en combattre un autre considéré comme plus dangereux. C’est ainsi, comme nous l’avons vu, les Etatsuniens ont soutenu Oussama Ben Laden dans sa lutte contre les Soviétiques en Afghanistan et après le 11 septembre 2001, se sont servis d’Al Qaeda pour mener des opérations clandestines en Irak et en Syrie. Après la guerre des Six Jours, les Israéliens ont aidé le Sheikh Yassine, membre des Frères musulmans, à fonder le Hamas à Gaza pour contrebalancer l’influence de plus en plus grande de l’OLP de Yasser Arafat, comme l’a révélé le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, bête noire des ultra sionistes, dans son livre « Le Grand Aveuglement » (Paris, Albin Michel, 2009). Le même Charles Enderlin a révélé récemment lors de la récente guerre dite des « treize jours » entre Israël et le Hamas que les Israéliens autorisaient et même aidaient le transfert de fonds destinés au Hamas à Gaza en provenance du Qatar via Lydda Airport (voir : https://uranopole.over-blog.com/2021/05/la-guerre-de-colonisation.html ). Et on peut également se poser la question avec Daesh qui disposa manifestement de puissants appuis extérieurs. Ajoutons que l’ennemi le plus « redoutable » est souvent une organisation arabe laïque ou socialisante… Ce n’est certes pas un hasard.

 

Force et faiblesse des « Frères »

 

Revenons aux Frères musulmans. Nasser fit interdire la Confrérie en 1954 et emprisonna 20 000 adeptes. En 1984, la Confrérie fut à nouveau autorisée mais uniquement comme organisation religieuse, ce qu’elle contourna en présentant des candidats « sans étiquette » aux élections. Lors des élections législatives de 2005, les Frères musulmans deviennent la deuxième force politique, derrière le Parti national démocrate (PND) de Moubarak. Mais les élections de 2010, entachées de forts soupçons de fraude, voient le parti de Moubarak remporter 95 % des suffrages. Les Frères musulmans, qui boycotteront le 2e tour, perdent l'intégralité de leurs sièges lors de ces élections. 

Dès 2010, la chaîne satellitaire qatarie Al Jazeera (en arabe : l’île pour évoquer la péninsule arabique) se fait la caisse de résonance des printemps arabes où les Frères jouèrent un rôle primordial en plusieurs pays arabes : Libye, Syrie, Bahreïn, Yémen. Pays qui, comme par hasard, à l’exception du Bahreïn où le mouvement fut réprimé avec l’aide de l’armée saoudienne, connaissent depuis des guerres abominables. Au départ, la Confrérie se montra discrète lors de la révolution qui renversa Hosni Moubarak. Cependant, elle parvint à imposer un parti – le parti de la justice et de la liberté – qui parvint à faire élire son chef Mohamed Morsi en 2012. Cependant, celui-ci ne parvint pas à réduire l’armée qui est la première force du pays qui fut au pouvoir sans discontinuer depuis 1952 !

 

 

 

 

Mohamed Morsi, éphémère président égyptien renversé par l'armée fut proche des Frères musulmans.

Mohamed Morsi, éphémère président égyptien renversé par l'armée fut proche des Frères musulmans.

 

 

 

D’autre part, des manifestations eurent lieu place Tahrir au Caire contre la « frérisation de l’Etat ». De nombreuses femmes craignent pour leurs droits. Les protestataires, effrayés de voir leur révolution confisquée, accusent la Confrérie de placer ses membres à tous les échelons du pouvoir. La contestation se cristallise également sur le front économique : les Frères musulmans ne parviennent ni à améliorer le quotidien des Egyptiens ni à gommer les difficultés du pays. Le gouvernement Morsi est destitué le 3 juillet 2012 par un coup d’Etat fomenté par l’armée. Le général Al-Sissi est placé à sa tête et instaure un pouvoir fort au départ très populaire. Ce nouveau régime est rapidement adoubé et financé par l'Arabie saoudite, dont les dirigeants ont promis 5 milliards de dollars au nouveau gouvernement. Il est aussi adoubé par les Etats-Unis et Israël. Les choses changent : les trois réelles puissances au Moyen-Orient soutenaient la Confrérie quelques temps auparavant !

 

Malgré des réactions violentes qui firent de nombreuses victimes, les Frères musulmans sont pour le moment neutralisés en Egypte, mais ils exercent une influence considérable dans un pays du Maghreb : la Tunisie. Le parti islamiste Ennahdah (Renaissance en arabe) fondé en 1981 et interdit par le régime Ben Ali à l’époque, fut légalisé en 2011 par le gouvernement d’union nationale issu du printemps arabe qui, rappelons-le, débuta en Tunisie. Ennahda ne souhaite pas d’un califat et prétend ne pas vouloir instaurer une république islamique. Il se base sur le modèle turc d’Erdogan. Il devient le premier parti tunisien après les élections organisées qui ont suivi la révolution de 2011. Il ira au pouvoir, mais le quitta assez vite, la population et surtout la classe moyenne était globalement hostile à l’islamisation de la Tunisie. Ennahda perdra les différents scrutins qui suivirent, mais garde toujours une influence considérable. De plus, il a officiellement pris ses distances avec les Frères musulmans, car il se proclame « musulman et démocrate », c’est-à-dire la séparation de la religion et de la politique. Cependant, ce parti est divisé et son aile radicale est encore très puissante. Il pourrait dès lors profiter de l’instabilité politique qui règne à Tunis.

 

 

 

Mohamed Bouazizi figure emblématique du printemps arabe tunisien. Le régime Ben Ali fut renversé et, depuis, c'est la lutte entre Ennahda proche des Frères et les démocrates tunisiens.

Mohamed Bouazizi figure emblématique du printemps arabe tunisien. Le régime Ben Ali fut renversé et, depuis, c'est la lutte entre Ennahda proche des Frères et les démocrates tunisiens.

 

 

 

Les Frères musulmans sont devenus une internationale islamique dont l’influence varie d’un pays à l’autre. Ils bénéficient de l’appui de la Turquie d’Erdogan, mais sont combattus par la principale puissance islamique, l’Arabie Saoudite qui a aussi son internationale : la Ligue islamique mondiale. Cependant, le poids de la Confrérie est bien plus important.

 

Les Frères ont une influence considérable sur les communautés musulmanes européennes, particulièrement en Belgique et en France. Ce sera l’objet du second volet de cet article.

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

II Les Frères, le Voile et la Laïcité

 

 

 

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23 juin 2021 3 23 /06 /juin /2021 10:26

 

 

 

Le dernier épisode bruxellois de la « guerre du voile » vient de se terminer par un compromis boiteux qui ne satisfait personne. Cette guerre trentenaire née en France et qui s’est étendue à la Belgique n’a comme effet d’attiser les tensions faisant ainsi le jeu des extrémistes de tous bords.

 

Pourquoi ?

 

Ce combat contre le port du voile à l’école officielle et dans les services publics vise évidemment au premier chef, qu’on le veuille ou non, des femmes d’origine arabo-musulmanes et turques alors que cette campagne est dictée par la préservation des idées émancipatrices universalistes et aussi par la résistance à une offensive qualifiée d’obscurantiste. Cependant, elle est plus souvent assimilée à de l’antiféminisme et à du racisme et donc à de la discrimination. Ce que n’ont pas manqué de rappeler – l’occasion étant trop belle – les groupements islamistes, bien sûr, mais aussi plusieurs associations féministes et ligues antiracistes. Et d’un autre côté, l’extrême-droite en tire profit pour se donner une image de défenseuse des principes laïques.  Ainsi, la laïcité s’est retrouvée isolée par ce qu’il faut bien appeler une grave erreur stratégique.

 

 

 

Amis laïques : nous nous gourrons !

 

 

 

La laïcité qui dans son histoire fut à la pointe des grands combats libérateurs et émancipateurs comme l’instruction publique gratuite et obligatoire que prôna déjà au siècle des Lumières l’encyclopédiste Denis Diderot ouvrant ainsi le seuil des écoles au plus grand nombre, comme plus tard la séparation des Eglises et de l’Etat, comme la lutte contre le fascisme et le totalitarisme, comme le combat encore inachevé pour l’égalité des hommes et des femmes, comme les grands combats éthiques, tels la dépénalisation de l’IVG, le mariage homosexuel, l’euthanasie.

 

Aujourd’hui, la laïcité s’attaque au port du voile. Elle, dont la raison d’être est la liberté et l’égalité, prône un interdit et fustige un symbole !

 

Tout symbole, par définition, et bien des amis de la laïcité ne l’ignorent pas, a plusieurs interprétations parfois contradictoires. Les militants de l’interdiction du port du foulard le définissent comme un signe d’oppression de la femme, de prosélytisme religieux, ou encore identitaire pouvant constituer une menace à la neutralité de l’Etat. D’autres ont une vision bien plus large. Si on interroge les femmes qui portent le foulard comme l’a fait le « Soir » des 19 et 20 juin – après tout, elles sont les premières concernées – il y a plusieurs sensibilités allant de la liberté de se vêtir selon la tradition, en passant par le signe religieux sans plus, voire la mode. D’autres en revanche évoquent la pression familiale et sociale au sein de la communauté. Et puis, quels que soient les motifs, le port ou non du voile est avant tout l’affaire de femmes musulmanes qui en ont assez d’être indiquées du doigt !

 

La problématique du port du voile a une histoire complexe comme le rappelle « La Libre Belgique » du 18 juin : « À l’époque, les femmes qui portent le voile le font souvent par habitude, pour un motif davantage culturel que véritablement religieux. (…) Un tournant s’opère à la fin des années 1970, période où le voile islamique devient un porte-étendard religieux. En Belgique, c’est également un moment charnière dans l’histoire de la migration. » La révolution iranienne de 1979 amorce l’expansion mondiale de l’islamisme qui se traduit en Europe occidentale par la massification du port du foulard par les femmes musulmanes. Ensuite, l’histoire va peser de tout son poids : la menace terroriste exacerbée par les attaques du 11 septembre 2001 va changer profondément les relations en Europe avec les communautés arabo-musulmanes. La « Libre » ajoute : « Dans les discours, on ne parlera plus d’immigrés, mais de musulmans, décrypte Madame Corinne Torrekens, politologue et spécialiste de l’Islam à l’ULB. Or, en Belgique, on parle toujours des mêmes personnes. Cette identité basée sur la religion va émerger dans la population, comme en réaction aux différents éléments médiatique, politique et international. »

 

Dans une autre interview à la « Libre Belgique », le 3 juin, Madame Torrekens synthétise la question : « La première chose, c'est l'influence du débat français. La deuxième, c'est l'impact des attentats terroristes car ils jouent un rôle sur la peur que l'islam suscite. Et la troisième est l'orientalisme, c'est-à-dire l'idée que les femmes voilées sont des femmes soumises. » Il faut cependant ne pas oublier le rôle actif des islamistes en l’occurrence.

 

On le voit : une vision réductrice de la question du voile ne mène à rien. On peut dès lors comprendre dans l’affaire de la STIB le juge du Tribunal du Travail qui a refusé de trancher « net » en l’espèce. Il a posé une question : faut-il un régime de neutralité exclusive ou inclusive dans un service public ? Dans le « Soir » Madame Jamila Si M’Hammed présidente du comité belge Ni Pute Ni Soumise répond : « La neutralité, ça nous préserve. Et on commence à la grignoter en essayant de changer ses contours initiaux. Mais la neutralité n’est ni inclusive ni exclusive, elle est indivisible, elle est Une comme la laïcité. »

 

Amis laïques, nous nous gourrons ! La réduction de cette question complexe au port du voile est contreproductive et ne peut mener qu’à encore plus de tensions. Tout d’abord, la laïcité s’accommode mal d’interdits. Ce n’est pas son rôle de mener campagne contre un symbole, aussi dangereux ou non soit-il. Et c’est surtout une erreur stratégique, car cela donne à la laïcité l’image d’une pensée rigoriste comme celle de certaines Eglises. Elle s’est déjà assimilée à un culte, ce serait le comble qu’elle en prenne les aspects les plus rébarbatifs ! D’ailleurs, si elle persiste dans cette voie, on peut craindre qu’elle aille à sa perte.

 

La laïcité peut mettre fin à cette lancinante « guerre du voile » en menant à grande échelle des actions émancipatrices notamment, en collaboration avec les habitants, par exemple dans le domaine de l’enseignement local et de la formation, dans celui de la culture, de l’action sociale, etc. A ces initiatives doivent évidemment être associées les femmes, voilées ou non, car il est bien plus intéressant de savoir ce qu’il y a dans leur tête que de se soucier de ce qu’elles portent au-dessus.

 

Pierre Verhas

 

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8 juin 2021 2 08 /06 /juin /2021 19:29

 

 

 

Il fallait s’y attendre ! L’affaire du voile déclenche les passions, mais aussi provoque des réactions chèvrechoutistes de la part de responsables politiques qui craignent diviser leur propre camp en prenant une position nette sur la question. C’est la pire des choses !

 

Soyons clairs : je n’aime pas le voile comme symbole du religieux et parfois même de l’extrémisme, mais je m’oppose à son interdiction justement parce que je suis un laïque. La laïcité qui défend la liberté et prône tout ce qui unit s’accommode mal d’interdits. De plus, je suis convaincu qu’on ne parlerait plus de cette question lancinante si on n’adoptait pas des réglementations en général inapplicables.

 

Comme nous l’avons évoqué dans l’article précédent d’Uranopole (https://uranopole.over-blog.com/2021/06/le-piege-du-voile.html ) « Le piège du voile », de nombreuses et contradictoires interprétations du droit et des prises de position politiques opposées et cachant mal des arrière-pensées dictées par l’électoralisme, rendent quasi impossibles l’adoption d’une conception claire et majoritaire en la matière. Nous avons évoqué le communautarisme des écologistes, voici que Paul Magnette, le président du PS, nous sert un compromis boiteux sur le port du voile dans les administrations et les services publics. Tout cela, parce qu’il veut éviter une division au sein de son parti, car aucun responsable n’a eu le courage de lancer un débat sur la question. Par exemple, Ahmed Laaouej, président de la Fédération bruxelloise du PS, avait promis d’organiser un congrès sur la question de la laïcité. On attend toujours.

 

 

 

Paul Magnette, président du PS et bourgmestre de Charleroi n'arrive pas à avoir une position claire sur la question du voile, autrement dit de la relation avec la communauté musulmane.

Paul Magnette, président du PS et bourgmestre de Charleroi n'arrive pas à avoir une position claire sur la question du voile, autrement dit de la relation avec la communauté musulmane.

 

 

 

Là où ça débloque…

 

Mais quel est ce compromis proposé par Paul Magnette ? Première réflexion. Il n’est pas issu d’un congrès ni même du bureau du PS. C’est du Po Paul tout craché ! Il l’explique dans une interview au quotidien bruxellois « Le Soir » :

 

« … cela va demander un travail extrêmement fin, structure par structure, comme ça a été fait au Canada, et puis il faudra inscrire les fonctions, très précisément, dans les annexes des textes légaux. Exemple : un chauffeur de métro n’exerce pas de fonction d’autorité, il peut porter un signe convictionnel, mais pas les contrôleurs qui circulent sur le réseau. Un chauffeur de bus des TEC exerce la police sur son bus, c’est dans son mandat, donc c’est une fonction d’autorité donc il doit être neutre. C’est la fonction qui doit déterminer les choses. »

 

En gros, le président du PS rejoint les motifs du jugement du Tribunal de travail de Bruxelles. C’est ce qu’on appelle la « neutralité inclusive », c’est-à-dire celle de la fonction et non de la seule apparence. Motifs qui, d’après moi, peuvent apaiser les choses. Quant à son application, bonjour les embrouilles ! Parce qu’en définitive, le voile à la suite des campagnes islamophobes des extrémistes de droite et de leurs « compagnons de route » comme l’ineffable GLouB, ont porté leurs fruits amers, parce que le traumatisme des attentats de 2015-2016 n’est toujours pas guéri, parce que la cohabitation dans les « quartiers » reste difficile, il sera dès lors très compliqué de trouver une solution acceptable pour tous.

 

 

 

 

Ahmed Laaouej, président de la Fédération bruxelloise du PS semble hésiter à organiser un congrès sur la laïcité.

Ahmed Laaouej, président de la Fédération bruxelloise du PS semble hésiter à organiser un congrès sur la laïcité.

 

 

 

Mais là où ça débloque, c’est lorsque Magnette dit : « En 2015, j’étais partisan d’une interdiction totale et radicale et puis un certain nombre d’expériences comme gestionnaire local me font dire que ce n’est pas la bonne manière de faire, c’est contre-productif. Ce sont aussi des parcours très personnels, très intimes, à la limite je me sens même un peu gêné comme homme blanc de près de 50 ans d’interpréter des choses sur lesquelles par définition je ne peux pas avoir d’avis intime. »

 

Ainsi, le président du PS semble assez proche de ce qu’on appelle les « accommodements raisonnables » qui sont justement originaires du Canada (voir à ce sujet Uranopole, 2009 : https://uranopole.over-blog.com/article-l-affaire-des-minarets-et-le-vivre-ensemble-41383633.html ). Le Canada, cependant, tout en gardant certaines dispositions, a abandonné le principe des accommodements pour éviter justement de verser dans le communautarisme. Certes, ce qu’il dit sur les chauffeurs des TEC (Société des transports en commun de Wallonie) est tout à fait juste et entre dans un système équilibré.

                                                                                                                                       

Bienvenue au club Po Paul !

 

Mais où cela ne va plus, c’est sa gêne d’être un « homme blanc de près de 50 ans » ! Il a oublié de dire « hétérosexuel » … Bienvenue au club Po Paul : je suis aussi un mâle blanc hétéro de largement plus de 50 ans !

 

Alors, Po Paul, on verse ainsi dans la « pensée woke » ? On est complexé par son état ? Vous vous sentez responsable des exactions de vos ancêtres congénères en Afrique et en d’autres lieux ? Eh bien ! Po Paul, je vous fais un aveu : J’ai un aïeul indirect qui fut un assassin au Congo entre les deux guerres. Ce personnage a déshonoré ma famille et je ne rate pas une occasion de dire ce qu’il fut réellement. Cependant, je ne me sens nullement responsable de ses crimes. L’ascendance comme la descendance n’est pas toujours honorable. C’est une loi de la vie.

 

Politiquement, Paul Magnette, vous tombez dans le piège woke de culpabilisation. La réalité est là : tous les peuples furent colonisés à un moment ou à un autre et tous les peuples colonisèrent à un moment ou à un autre. C’est l’histoire et vous le savez bien ! En vous présentant comme les bourgeois de Calais se rendant à l’Anglais, vous affaiblissez votre position politique. Et là, c’est grave ! Cela ne résoudra rien, bien au contraire. D’ailleurs, votre partenaire libéral flamand, Egbert Lachaert, vous appuie. Et c’est sur le plan idéologique, votre plus redoutable adversaire !

 

 

 

 

Egbert Lachaert, président du très néolibéral Open Vld a tendu un piège à Paul Magnette qui est prêt d'y tomber.

Egbert Lachaert, président du très néolibéral Open Vld a tendu un piège à Paul Magnette qui est prêt d'y tomber.

 

 

Voilà où mène le refus du débat, le sempiternel compromis boiteux : on renonce à ses principes fondamentaux. On préfère le consensus mou et on tombe dans le piège de la redoutable pensée « woke » dite décoloniale, intersectionnelle qui a pour conséquence de réveiller la guerre des races. (voir au sujet de la pensée woke Uranopole : https://uranopole.over-blog.com/2020/06/le-debat-oui-mais-pas-le-baillon.html )

 

Président Magnette, s’il vous plaît, n’oubliez pas l’essentiel : combattons la lutte des races, occupez-vous de la lutte des classes !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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7 juin 2021 1 07 /06 /juin /2021 20:01

 

 

 

Cachez ce voile que je ne saurais voir ! Mais le revoilou ! A peine l’accalmie dans la tempête du Coronavirus se présente, voici l’ouragan du voile islamique qui vient tout bousculer ! Un tribunal du travail qui donne tort à la STIB – l’équivalent de la RATP à Bruxelles – parce qu’elle a refusé d’embaucher une femme refusant de retirer son foulard et la contestation de la nomination par le gouvernement belge d’une commissaire de gouvernement destinée à contrôler un organisme public chargé de préserver l’égalité hommes-femmes. Ces deux affaires par ailleurs politiquement liées risquent de provoquer une crise politique majeure.

 

 

 

La plupart des jeunes femmes musulmanes portent le hidjab qui est devenu une sorte d'uniforme.

La plupart des jeunes femmes musulmanes portent le hidjab qui est devenu une sorte d'uniforme.

 

 

 

Les faits. Le tribunal francophone du travail de Bruxelles a prononcé le 3 mai 2021 un jugement en référé condamnant la STIB pour son refus d’engager une candidate musulmane portant le foulard à un poste de responsabilité dans le domaine social. Les faits se sont déroulés entre 2015 et 2016 – la Justice est d’une rapidité exemplaire ! – et concernent une femme qui a été refusée à un poste de cadre moyen sous prétexte qu’elle refusait d’ôter son foulard au travail. Elle prétendait en outre le porter par conviction religieuse. C’est donc interdit par la STIB. Curieux pour une société qui autorise des salles de prières dans ses dépôts !

 

À la lecture des considérants et des motifs du jugement, le tribunal déclare légitime et conforme à la Constitution les objectifs de neutralité dans ses lieux de travail, mais « Pour autant, la mise en œuvre concrète de ces objectifs qui se traduit par une interdiction générale et indifférenciée du port de tout signe convictionnel n’est pas proportionnée… » Le tribunal estime que la neutralité « se rapporte surtout à l’absence de parti pris fondé soit sur une conviction philosophique ou religieuse particulière, soit sur une conviction politique déterminée. » Autrement dit, il distingue une « neutralité inclusive ou neutralité d’agir » qui impose aux agents des services publics de traiter les usagers de façon égale et non discriminatoire et une « neutralité exclusive » ou « neutralité d’apparence ». Celle-ci impose aux agents non seulement la neutralité d’agir, mais aussi d’épargner aux usagers « la crainte de faire l’objet d’une discrimination en raison de la partialité supposée de l’agent. ». Autrement dit, un citoyen non musulman pourrait craindre être défavorisé par un agent affichant ses convictions religieuses, par le port du voile, par exemple.

 

Qu’est-ce que la « neutralité » ?

 

D’ailleurs, comme le relève l’auditorat du travail (c’est-à-dire le Parquet spécialisé en législation du travail qui a été consulté par le tribunal) : « le principe constitutionnel de neutralité n’a jamais été interprété comme prohibant indistinctement pour tous les travailleurs relevant de près ou de loin du secteur public toute manifestation d’une conviction religieuse, philosophique ou politique. » Il faudrait dès lors interdire les signes convictionnels dans l’ensemble du secteur public, ce qui n’est pas le cas en réalité. Enfin, se référant à la jurisprudence européenne, le port des signes convictionnels peut être seulement interdit à tout agent en contact direct avec le public.

 

En clair, le tribunal du travail a cherché l’apaisement en interprétant le principe de neutralité avec une certaine souplesse. C’est exactement le contraire qui s’est produit ! Le jugement du 3 mai a déclenché un tollé ! Il s’est produit une cassure dans les majorités politiques aussi bien à Bruxelles qu’au niveau fédéral. La droite se déchaîne et les milieux laïques expriment leur indignation. Le comité de gestion de la STIB composé de représentants des partis politiques a refusé de faire appel à une faible majorité. La patate chaude est renvoyée au gouvernement de la Région de Bruxelles-capitale qui est lui aussi divisé sur la question. Bien entendu, l’ineffable président du Mouvement Réformateur (MR), le très droitier Georges-Louis Bouchez (dit GLouB) est déchaîné. La gauche est divisée. Le PS comme Ecolo n’arrivent pas à adopter une position claire. Certes, le PS tente de faire adopter une position de compromis, mais ce n’est pas de gaité de cœur ! Et les écologistes de leur côté sont plus ouverts à une liberté du port du voile. Sa co-présidente Rajae Maouane est allée jusqu’à comparer le combat pour le voile à celui pour la dépénalisation de l’avortement !

 

 

 

Le fantasque et très droitier président du MR dit GLouB ne pouvait s'empêcher de jeter de l'huile sur le feu dans l'affaire du voile.

Le fantasque et très droitier président du MR dit GLouB ne pouvait s'empêcher de jeter de l'huile sur le feu dans l'affaire du voile.

 

 

 

À cette affaire, comme si cela ne suffisait pas, s’ajoute une autre : la nomination par la secrétaire d’Etat Groen – écolos flamands – à l’Egalité des chances, d’Ihsane Haouach comme commissaire du gouvernement à l’Institut pour l’égalité hommes-femmes. Aucun problème de compétence – elle est diplômée de la Business School Solvay ULB 2008 – ni de profil, sauf un : elle est… voilée ! Pis : elle est connue pour militer pour la liberté du port du voile et est très active à Molenbeek. Certains la disent proche ou manipulée par les Frères musulmans ! Une fois de plus, ces assertions émises par des militants de droite ne sont pas prouvées. L’affaire a pris une telle ampleur que le Premier ministre Alexander De Croo (libéral flamand) a dû intervenir à la Chambre pour confirmer la nomination de Madame Haouach et calmer le jeu. Rien à faire ! Son « allié » du Sud du pays, GLouB, ne cesse de fustiger cette nomination au nom de la neutralité ! Mais, en l’occurrence, semble-t-il, chien aboie, caravane passe !

 

 

 

Ihsane Haouach brillante universitaire qui suscite cependant la méfiance.

Ihsane Haouach brillante universitaire qui suscite cependant la méfiance.

 

 

 

La guerre du foulard est déclarée.

 

Cependant, les réactions ne viennent pas que d’un politicien fantasque. Le professeur d’histoire des religions Jean-Philippe Schreiber dont je suis proche a posté sur Facebook une critique sévère des propos de Rajae Maouane :

 

« Affirmer que « défendre le droit de porter le foulard ou défendre le droit à l’avortement rejoint un combat commun en faveur des minorités » constitue en effet une déclaration proprement indigne ~ tout autant pour les femmes qui ont dû subir une interruption volontaire de grossesse que pour les femmes qui, parmi celles qui portent le voile, le font sous la contrainte d’une injonction masculine, ou a contrario subissent une stigmatisation masculine parce qu’elles refusent de le porter. Assimiler à un même combat pour l’émancipation ce qui est vertement prohibé par le conservatisme religieux (l’IVG) et ce qui est activement promu par ce même conservatisme religieux (le foulard), constitue un pied de nez indécent à la cause des droits humains et à l’esprit démocratique ~ ainsi qu’une insulte aux femmes qui dans de nombreux pays n’ont que le foulard pour pleurer le fait de n’avoir pas le choix de leurs grossesses. »

 

 

 

Rajae Maouane, co-présidente d'Ecolo a une curieuse position sur les droits de la femme.

Rajae Maouane, co-présidente d'Ecolo a une curieuse position sur les droits de la femme.

 

 

 

L’assimilation des deux combats – le voile et l’IVG – est en effet absurde ! Cependant, limiter le port du foulard au seul conservatisme religieux est réducteur. La question du port du voile est bien plus complexe et en faire uniquement un signe de domination de la femme et de prosélytisme religieux est justement tomber dans le piège ! Nous verrons pourquoi.

 

En ce qui concerne le procès STIB, dans sa carte blanche au « Soir », Jean-Philippe Schreiber critique les termes du jugement :

 

« Ce qui me préoccupe réside plutôt dans les trois motifs suivants : d’abord, qu’on ne peut raisonnablement fonder une politique sur une ordonnance de justice à ce point contestable juridiquement, et qu’il est un moment où il revient au législateur de prendre ses responsabilités et trancher. On ne peut ainsi laisser évoluer une question tellement sensible sur base d’une décision de justice qui prend la liberté de traiter implicitement la plus grande entreprise bruxelloise de raciste et l’attaque de manière infondée, sans égard pour les arrêts émanant de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État ou de la jurisprudence européenne... Ensuite, il en va de la vulnérabilité démocratique. »

 

 

 

Jean-Philippe Schreiber, professeur d'histoire des religions à l'ULB et directeur de l'Institut d'histoire des religions et de la laïcité se trompe, cette fois-ci.

Jean-Philippe Schreiber, professeur d'histoire des religions à l'ULB et directeur de l'Institut d'histoire des religions et de la laïcité se trompe, cette fois-ci.

 

 

 

Désolé, mais Jean-Philippe Schreiber se laisse emporter : le jugement ne traite pas la STIB de raciste et il se fonde aussi bien sur la jurisprudence belge que sur celles de l’Union européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme ! D’ailleurs, plusieurs éminents juristes ont répliqué à la carte blanche du professeur Schreiber.

 

Et voilà le piège !

 

Le voilà le piège ! Dès qu’il est question du voile, les passions se déchaînent au plus grand profit des fanatiques religieux et de l’extrême-droite raciste. Pour exemple : le député CDH (chrétien humaniste) Georges Dallemagne a été fustigé par plusieurs dirigeants de son propre parti pour ses propos sur le voile. Il a déclaré à la RTBF : « Si le voile n’était que la revendication d’une affirmation ou d’une religion, il ne poserait pas de problèmeÀ travers le voile, il y a aussi une revendication politique, radicale, qui ne veut pas de notre modèle de société, ne veut pas de nos valeurs et les combat. »

 

 

 

Le député Georges Dallemagne, ancien de MSF, grand humaniste, est attaqué pour sa position nuancée sur le voile !

Le député Georges Dallemagne, ancien de MSF, grand humaniste, est attaqué pour sa position nuancée sur le voile !

 

 

 

Ces propos sont nuancés et émanent d’un homme d’expérience et d’un humaniste. M. Dallemagne est un ancien de MSF et depuis qu’il est un représentant politique, il n’hésite pas à parcourir le monde pour apporter une aide efficace aux populations victimes des meurtriers conflits qui ensanglantent la planète. Malgré cela, au sein de son parti, ce sont deux politiciens ne cachant pas leur attirance plus ou moins sincère à ce qu’on appelle le communautarisme, l’ancienne présidente du CDH Joëlle Milquet et l’ancien échevin de Molenbeek Ahmed El Khannouss qui souhaitent « recadrer » le député Dallemagne. Rappelons que Madame Milquet, ancienne ministre de l’Intérieur, organisa il y a onze ans des Assises de l’interculturalité où les projets communautaristes ont été largement évoqués sinon prônés.

 

 

Joëlle Milquet, ancienne présidente du CDH, ancienne ministre de l'Intérieur a toujours montré une position communautariste et ne tolère pas les propos de son collègue Georges Dallemagne.

Joëlle Milquet, ancienne présidente du CDH, ancienne ministre de l'Intérieur a toujours montré une position communautariste et ne tolère pas les propos de son collègue Georges Dallemagne.

 

 

 

Le président du CDH, Maxime Prévot a calmé le jeu. Cependant, la plaie est ouverte. Au PS, il n’y a pas de positionnement clair sur la question, tout simplement parce que ce parti est divisé entre son courant laïque et la tendance communautariste qui se renforce surtout à Bruxelles. Ce manque de courage politique est plus que préjudiciable. Quant à Ecolo, il est dominé manifestement par le communautarisme, tout en n’osant l’affirmer ouvertement. Il y a des raisons profondes à cela que nous exposerons dans un prochain post.

 

En définitive, que représente le voile ?

 

Posons-nous la question. En dehors des clivages, qu’est-ce que le voile et quels sont les enjeux ? La définition de Georges Dallemagne semble être la meilleure et la plus nuancée. Il peut être le symbole de l’affirmation d’une religion, ou être l’étendard d’une revendication politique radicale.

Ne soyons pas naïfs ! A la lecture du jugement du 3 mai 2021 condamnant la STIB, il apparaît clairement que la plaignante, qu’on dénomme M.T., d’après une des firmes sous-traitantes chargées du recrutement pour la STIB, « … M.T. est dotée d’une forte personnalité, reflétant un certain manque de souplesse et de flexibilité, qui ne cadre pas avec l’esprit d’équipe nécessaire pour la fonction… ». D’autre part, le militantisme d’Ihsane Haouach en faveur du port du voile peut être considéré comme contradictoire avec les objectifs de l’Institut pour l’égalité hommes-femmes !

Dans une autre carte blanche au journal « Le Soir », le professeur honoraire à la Business school Solvay de l’ULB – encore elle – Michel Allé publie une lettre ouverte à Rajae Maouane où il évoque le cas d’une jeune et brillante étudiante prénommée Leila issue d’une famille musulmane et qui ne portait pas le voile à l’Université.

« Le jour de la remise des diplômes, j’étais content de proclamer son nom parmi les meilleures. Leila arrosa sa réussite avec du champagne comme ses camarades de promotion. Sa famille avait, comme beaucoup d’autres, tenu à l’accompagner. Leila me dit que son père voulait me remercier : ce qu’il fit, avec, à ses côtés, son épouse voilée qui ne dit mot. Ses deux frères, eux, se tenaient trois pas en arrière.

 

La fête se poursuivit sur les pelouses de l’avenue Roosevelt jusqu’à ce que Leila me demande de pouvoir me parler entre quatre yeux. Les larmes aux yeux elle m’expliqua que, malgré l’amour qu’elle portait à ses parents, elle ne les supportait plus. Elle me raconta le voile enlevé chaque matin dans le tram entre Schaerbeek et Ixelles, et remis chaque soir dans le tram entre Ixelles et Schaerbeek. Ce voile qui, dit-elle en riant un instant, devait, pour ses frères, la protéger du regard des « mécréants ». Elle m’expliqua qu’elle quittait Bruxelles dès le lendemain, ayant trouvé son premier job à Paris, car, voulant s’émanciper, elle ne se voyait pas rester ici. Je lui souhaitai bonne chance… et nos quatre yeux étaient pleins de larmes. »

 

Où est la haine dans ces émouvants propos ? Où est l’égalité hommes-femmes en cette occurrence ? En quoi la définition de Dallemagne est discriminatoire ? En voilà la démonstration !

Que ce soit de la part des milieux laïques ou des obédiences modérées de toutes sortes, il faut analyser cette question du voile dans toute sa complexité. Posons-nous la question : le port du voile résulte de plusieurs facteurs, le premier étant la religion, le second la tradition, le troisième la contrainte imposée par le patriarcat des sociétés arabo-musulmanes et enfin, le militantisme radical. Ses quatre facteurs ne se conjuguent pas ensemble. Ainsi, qui n’a vu dans les transports en commun des jeunes-filles voilées jouer avec leur smartphone, draguer, rire de tout et de n’importe quoi ? Sont-elles de redoutables « islamistes » ? Les femmes âgées portent plutôt un foulard et personne ne trouve rien à redire. Mais, il est indéniable que plusieurs femmes sont contraintes par les maris les « jeunes frères » à porter le voile afin de les préserver de toute « tentation » et de ne pas provoquer ! Comment donc détecter ?

 

Et maintenant ? Décider !

 

Remontons le temps pour conclure. Lors de la grande vague d’immigration des années 1970-1990, on ne s’est guère préoccupé du sort des immigrés et de leurs familles désormais installées dans les pays européens. On a laissé se développer des ghettos. On a parlé d’intégration, mais aucun effort sérieux ne fut accompli pour « intégrer ». Un politicien libéral de droite, Jacques Ducarme, aujourd’hui décédé eut le courage d’affirmer : « L’intégration est un échec ! » Il avait raison. Certes, il y eut de brillants exemples de réussite – surtout de jeunes femmes, comme nous l’avons évoqué plus haut. Mais cette volonté stupide d’imposer à ces gens notre modèle de vie et notre culture fut aussi stupide que criminel. Il fallait faire l’effort de leur procurer des logements décents, des écoles de qualité, de leur permettre de développer leur propre culture avec leur participation, sans décider pour eux. Ainsi, faire comprendre à nos décideurs qu’une société « multiculturelle » n’est pas le melting pot à l’américaine ou le communautarisme, mais la cohabitation harmonieuse entre plusieurs cultures sur un même territoire. Cependant, si on veut que cela soit un jour réalité, il est plus que temps d’agir en donnant tous les moyens nécessaires. Bref, que des responsables décident enfin !

Le voile, en définitive, n’est qu’un aspect du problème. Nous nous braquons sur un détail. C’est donner ainsi des armes à nos adversaires fanatiques de l’islamisme téléguidé par l’Iran et les monarchies pétrolières et à nos adversaires fanatiques de l’extrême-droite qui conquièrent de plus en plus de position en cette Europe déliquescente et affaiblie, parce qu’ils pratiquent la stratégie de la tension à laquelle nous n’osons pas répondre.

Réveillons-nous !

Pierre Verhas

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31 mai 2021 1 31 /05 /mai /2021 21:37

 

 

 

Pour l’ensemble de la gauche, la Commune de Paris qui s’est déroulée du 18 mars au 28 mai 1871 est un événement historique de première importance. Elle a en effet profondément marqué l’histoire du mouvement ouvrier, non seulement français, mais mondial. En effet, elle a inspiré le meilleur et le pire. Karl Marx la prit comme exemple dans son ouvrage « La Guerre civile en France » publié en septembre 1871, quelques semaines à peine après la tragique « Semaine sanglante ». L’analyse qu’en fait l’historien allemand est très fine et a le mérite de placer la Commune dans le contexte de la lutte des classes. Mao Tse Toung, de son côté, en 1966, compara la meurtrière « révolution culturelle » chinoise à la Commune de Paris !

 

Aujourd’hui encore, à l’occasion de son 150e anniversaire, celle-ci suscite débats et polémiques. Chaque chapelle de gauche voulant la récupérer et ses ennemis la vitupérant, la Commune mérite mieux que ces déformations partisanes de l’histoire. C’est justement à un de ses anciens partisans passé au camp adverse que nous nous référons pour entamer le débat. Stéphane Courtois, professeur à l’ICES à Paris et directeur de la revue « Communisme », un ancien soixante-huitard émanant de la nébuleuse maoïste qui, comme tant d’autres, a troqué son col Mao contre la carte du Rotary, a publié dans « le Figaro » du 28 mai une longue analyse sur la Commune de Paris intitulée « au-delà des mythes ». Certes, la Commune a généré une mythologie, mais l’historien qui en est devenu son adversaire, ne doit pas le remplacer par une autre !

 

 

 

Contrairement à ce que l'on pense, il était important de commémorer le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Ce qui fut fait à l'initiative des Amis et Amis de la Commune de Paris accompagnés de sa section belge, le  29 mai pour la montée au Mur des Fédérés au départ de la Place de la République.

Contrairement à ce que l'on pense, il était important de commémorer le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Ce qui fut fait à l'initiative des Amis et Amis de la Commune de Paris accompagnés de sa section belge, le 29 mai pour la montée au Mur des Fédérés au départ de la Place de la République.

 

 

 

Courtois commence fort : « L’histoire de la Commune par les gauches pêche toujours par son point aveugle, l’ignorance volontaire d’une réalité centrale… » Volontaire ? On verra. Mais quelle est cette réalité ? C’est justement par un élan patriotique que la Commune est née ! Le peuple de Paris terrassé par la famine durant l’hiver 1870 et assiégé par les Prussiens s’opposa au gouvernement dit de « Défense nationale » de la IIIe République proclamée le 4 septembre 1870 à l’initiative de Gambetta succédant au IIe empire en déliquescence, signe un armistice où il accepta les exigences de Bismarck : l’Alsace et la Moselle furent cédées à l’Allemagne, une dette de guerre de 5 milliards de francs fut consentie. Une assemblée est élue au suffrage universel (pour les hommes) le 8 février 1871. Elle fut majoritairement composée de monarchistes et de bonapartistes et les députés républicains étaient divisés en plusieurs factions. Les capitulards étaient majoritaires. Aussi, les Parisiens s’emparèrent de canons disposés sur la Butte Montmartre destinés à défendre Paris contre une éventuelle offensive prussienne. L’Assemblée déménagea à Versailles ainsi que le gouvernement issu de ce scrutin dirigé par un vieux politicien bourgeois du nom d’Adolphe Thiers.

 

Thiers est un vieux politicien libéral et anticlérical né en 1797. Il aurait servi de modèle à Balzac pour son personnage Rastignac ! Il fut l’auteur d’une Histoire de la Révolution française. Il œuvra pour un régime stable après la chute de la Restauration en 1830. Il fut partisan d’une monarchie constitutionnelle, puis se rallia à la République après la Révolution de 1848. Il fut opposé au IIe Empire instauré par Napoléon III après le coup d’Etat de 1852. Il fut élu en 1863 à Paris où il fit partie de l’opposition libérale. Lors de la proclamation de la IIIe République, il fut nommé chef du pouvoir exécutif, c’est-à-dire à la fois président de la République et chef du gouvernement – autrement dit dictateur ! C’est lui qui négocia la capitulation avec Bismarck. Courtois dit entre autres de lui qu’il : « avait pour priorité d’affirmer l’autorité de l’Etat et de préserver l’unité nationale. » En clair, asseoir le pouvoir absolu de la bourgeoisie en France. Quant aux communards, il écrit : « A l’inverse, les activistes parisiens – exaltés par les souvenirs révolutionnaires et patriotiques de 1792-1794 (et les précédents de 1830 et 1848) – récusèrent le verdict du suffrage universel. Ils choisirent de combattre le gouvernement et l’Assemblée, jugés défaitistes, au risque de déclencher la guerre civile sous le regard amusé de l’ennemi. » Combattre un gouvernement élu n’ayant comme politique que la capitulation et l’installation d’un pouvoir destiné à écraser le peuple ne semble pas être illégitime. La France a d’ailleurs connu un épisode similaire en 1940 avec un certain Philippe Pétain ! Et la situation actuelle peut faire craindre l’instauration sous peu d’un régime fort à l’intérieur et faible à l’égard des puissances extérieures ! Mais n’épiloguons pas…

 

 

 

Le sinistre Monsieur Thiers, éminent représentant de la bourgeoisie la plus abjecte

Le sinistre Monsieur Thiers, éminent représentant de la bourgeoisie la plus abjecte

 

 

 

Stéphane Courtois présente la Commune comme à la fois isolée et impopulaire auprès des Parisiens. « Les partisans de la Commune la présentent comme l’expression de la volonté. Or, non seulement, Paris n’est pas la France, mais les élections du 26 mars 1871 au Conseil de la Commune ne mobilisèrent que 229 000 électeurs sur 482 000 inscrits, dans une ville qui comptait alors 1,82 millions d’habitants… » Certes, comme le dit l’historien Jacques Rougerie cité par Courtois : « Tout Paris n’était pas rouge ! ». En effet, une grande partie de la ville était constituée de quartiers bourgeois ! Les classes populaires, elles, se sont mobilisées pour la Commune et même une partie significative de la bourgeoisie. L’exemple des francs-maçons parisiens est notoire. Mais, selon Courtois qui se rappelle sans doute son passé maoïste, une grande partie des électeurs étaient « travaillés par la propagande révolutionnaire ». La Commune s’est déclenchée le 18 mars 1871 et les élections eurent lieu le 26 ! Un peu court pour faire une campagne de propagande !

 

Et puis, Stéphane Courtois oublie un épisode essentiel évoqué par Friedrich Engels dans son introduction au petit ouvrage de Karl Marx La guerre civile en France.

 

« Le 28 janvier 1871, Paris affamé capitulait. Mais avec des honneurs inconnus jusque-là dans l'histoire de la guerre. Les forts furent abandonnés, les fortifications désarmées, les armes de la ligne et de la garde mobile livrées, leurs soldats considérés comme prisonniers de guerre. Mais la garde nationale conserva ses armes et ses canons et ne se mit que sur un pied d'armistice avec les vainqueurs. Et ceux-ci même n'osèrent pas faire dans Paris une entrée triomphale. Ils ne se risquèrent à occuper qu'un petit coin de Paris, et encore un coin plein de parcs publics, et cela pour quelques jours seulement ! Et pendant ce temps, ces vainqueurs qui durant 131 jours avaient assiégé Paris, furent assiégés eux-mêmes par les ouvriers parisiens en armes qui veillaient avec soin à ce qu'aucun « Prussien » ne dépassât les étroites limites du coin abandonné à l'envahisseur. Tant était grand le respect qu'inspiraient les ouvriers parisiens à l'armée devant laquelle toutes les troupes de l'empire avaient déposé les armes ; et les Junkers prussiens, qui étaient venus assouvir leur vengeance au foyer de la révolution, durent s'arrêter avec déférence devant cette même révolution armée et lui présenter les armes ! »

 

 

 

Les canons de la Butte Montmartre saisis par la Garde Nationale le 18 mars 1871. Le signal du déclenchement de la Commune de Paris.

Les canons de la Butte Montmartre saisis par la Garde Nationale le 18 mars 1871. Le signal du déclenchement de la Commune de Paris.

 

 

 

Non. Stéphane Courtois ne note pas que la Commune fut un soulèvement populaire spontané face au déshonneur imposé par le gouvernement de Monsieur Thiers et les perspectives d’un avenir encore plus sombre après la capitulation. Quant à la France, certes Paris n’est pas la France comme il écrit, mais il y eut des Communes dans d’autres villes comme Narbonne, par exemple, qui n’était pas menacée par les Prussiens, mais dont la population était scandaleusement exploitée par les grands propriétaires viticoles.

 

Il est vrai aussi que tout le monde du progrès en France et à Paris en particulier – on dirait aujourd’hui les « bobos » - n’était pas favorable à la Commune, notamment de grands écrivains comme Emile Zola et Georges Sand. Courtois cite cette dernière qui écrivit dans le journal Le Temps – l’ancêtre du journal « Le Monde » - le 3 octobre 1871 : « Le mouvement a été organisé par des hommes déjà inscrits dans les rangs de la bourgeoisie et n’appartenant plus aux habitudes et aux nécessités du prolétariat. Ces hommes ont été mus par la haine, l’ambition déçue, le patriotisme mal entendu, le fanatisme sans idéal, la niaiserie du sentiment ou même la méchanceté naturelle – il y a eu de tout cela chez eux, et même certains points d’honneur de doctrine qui n’ont pas voulu reculer devant le danger. » Que dire ? Sinon que la peur sue de ce texte ! Il est bien plus aisé d’écrire des idées révolutionnaires dans le confort de son salon que de monter aux barricades pour les défendre ! Car, Georges Sand le reconnaît, certains « bourgeois » sont allés jusqu’au bout de leur engagement !

 

 

 

 

Georges Sand, républicaine convaincue, haïssait la Commune de Paris.

Georges Sand, républicaine convaincue, haïssait la Commune de Paris.

 

 

 

Il n’empêche que la Garde nationale fut renforcée – certes, mal organisée et indisciplinée – mais le sentiment patriotique fut incontestable. Courtois le reconnaît, mais il est par ailleurs mesquin en affirmant que « nombre d’autres [volontaires] n’avaient rejoint la Garde nationale que pour toucher la solde de 1,50 franc par jour. ». Et alors ? Allier patriotisme et intérêt légitime en une période de grave disette, est-ce interdit ?

 

Cependant, l’originalité de la Commune est la combinaison entre la défense de Paris et l’introduction de profondes réformes sociales et institutionnelles. Mais tout cela se déroula dans la confusion. On instaura l’instruction pour tous les enfants, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Comme l’écrit Jacques Rougerie dans « La Commune et les Communards » : « Le communard est un citoyen, citoyen de la bonne, de la vraie République qui est inséparablement démocratique et sociale. » Certes, mais toutes ces réformes furent impossibles à mettre en œuvre tant le désordre régnait. Un haut fonctionnaire de la Commune, Jules Andrieu écrivit : « Si le mouvement a été si mal conduit du 18 mars au 28 mai, c’est qu’il eut pour chefs des hommes qui, sauf de rares exceptions, n’ont jamais rêvé semblable situation ; ils ont été pour la plupart ahuris ou affolés. (…) La Commune avait besoin d’administrateurs ; elle regorgeait de gouvernants. (…) La Commune a été violente et faible. Elle devait être radicale et forte. »

 

Rougerie ajoute : « Les hommes de 1871 eurent, pour quelques-uns, l’immense ambition – ou l’extraordinaire illusion – d’en finir avec le vieux monde, de réaliser enfin le rêve d’une humanité réconciliée. »

 

Cependant, il ne faut pas oublier le rôle majeur de quelques vrais révolutionnaires de la Commune dont Louise Michel. Comme l’écrit Rougerie : « En 1871, les femmes ont été spécialement actives, cantinières, ambulancières. Il y avait plusieurs clubs féminins ou à majorité féminine… » Louise Michel, institutrice, ne fréquentait pas les clubs. Elle agissait pour instaurer l’égalité entre les femmes et les hommes. Son destin fut exceptionnel. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Notons que, grâce à elle, la Commune joua un rôle fondamental dans le mouvement d’émancipation des femmes.

 

 

 

Louise Michel joua un rôle fondamental pour l'émancipation des femmes pendant la Commune de Paris et par après.

Louise Michel joua un rôle fondamental pour l'émancipation des femmes pendant la Commune de Paris et par après.

 

 

 

Le rêve ne dura pas et se transforma en un épouvantable cauchemar. La Garde nationale avait tenté de marcher sur Versailles les 2 et 3 avril 1871. Ce fut une humiliante défaite. Il est vrai que Thiers avait imploré Bismarck pour qu’il libère des centaines de prisonniers français pour rejoindre les unités de l’armée postées à Versailles. Il lui fallait aussi se procurer les armes et les équipements nécessaires qui furent financés avec une partie de l’or de la Banque de France à Paris que les communards avaient laissé transférer à Versailles !

 

La fin était donc programmée. Ce fut la Semaine sanglante où la répression fut impitoyable à l’égard des Communards qui résistèrent héroïquement mais en vain. Il y eut des milliers de morts fusillés sommairement sans jugement. Les Communards aussi avaient tué des otages, mais ce n’est pas en proportion avec les massacres perpétrés avec les Versaillais. Mais, peu importe ! Comme l’écrit Michèle Rudin dans son ouvrage la « Semaine sanglante » (Libertalia, Paris, 2021) : « Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, il ne faut pas les laisser disparaître encore une fois. »

 

 

 

Les massacres de la Semaine sanglante du 21 mai au 28 mai 1871 restent une tache indélébile dans l'histoire de la IIIe République bourgeoise.

Les massacres de la Semaine sanglante du 21 mai au 28 mai 1871 restent une tache indélébile dans l'histoire de la IIIe République bourgeoise.

 

 

 

« Non, non, Nicolas, la Commune n’est pas morte ! » dit une chanson. Contrairement à ce que Stéphane Courtois affirme, si la Commune fut un échec sanglant – il est vrai que la gauche a un art consommé de commémorer ses défaites – elle laisse une trace indélébile dans les mémoires. Bon nombre des réformes proclamées par les Communards entre le 18 mars et le 28 mai 1871 à Paris ont été mises en œuvre par après, bien que certaines soient aujourd’hui menacées. Cependant, qu’on le veuille ou non, l’esprit de la Commue de Paris demeure à travers le monde. C’est en cela qu’elle est toujours vivante !

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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24 mai 2021 1 24 /05 /mai /2021 21:31

 

 

 

La cause des derniers affrontements israélo-palestiniens est une opération de colonisation : celle du quartier Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, au Nord de la Vieille Ville. Il s’agit d’ailleurs d’un vieux contentieux (voir « Uranopole » : https://uranopole.over-blog.com/2021/05/le-feu-couvait-a-jerusalem.html ) qui s’est réveillé comme par hasard à un moment opportun.

 

Le journaliste franco-israélien Charles Enderlin qui vient de publier un ouvrage de mémoires intitule « De notre correspondant à Jérusalem », éditions Don Quichotte, Seuil, Paris, 2021, en rappelle les tenants et aboutissants dans « l’Echo » du 22 mai 2021. « Sur le fond, il faut distinguer le droit et la morale. D’un point de vue strictement juridique, les expulsions ont un fondement, il ne s’agit pas d’un coup de force. Les familles concernées sont des réfugiées de la Vieille ville, qui en avaient été chassées lors du conflit de 1967, voire avant, en 1948, et qui ont occupé des terrains sous contrôle jordanien, ayant un statut public vacant. De fait, elles ne sont pas propriétaires du sol. Elles font face à des promoteurs religieux qui ont demandé la régularisation de ces terres, en invoquant des titres de propriété juive datant du XIXe siècle – régularisation qui a été obtenue, d’autant que se trouve dans ce quartier le tombeau du rabbin Tshadik. Ces groupes utilisent le droit pour monter des projets de colonisation religieuse et d’« israélisation » de Jérusalem-Est.

 

Cette situation juridique, si elle est légale, doit donc être mise en balance avec la situation des réfugiés présents sur place, victimes de secousses historiques sur lesquelles ils n’avaient aucune prise. ».

 

 

 

 

Charles Enderlin un des journalistes les plus attaqués parce qu'il garde son esprit critique envers et contre tout.

Charles Enderlin un des journalistes les plus attaqués parce qu'il garde son esprit critique envers et contre tout.

 

 

Il y a également une cause politique. La crise qui empêche la formation d’un gouvernement en Israël depuis deux ans semblait connaître une issue. Le « bloc du changement » composé des leaders politiques israéliens opposés à Netanyahu aurait été proche d’un accord, ce qui aurait permis de se débarrasser de ce personnage qui sévit depuis quinze ans. Et, encore une hypothèse, une des formations dudit bloc se serait retirée et le déclenchement du conflit de Sheikh Jarrah représentait une belle opportunité pour le Premier ministre sortant.

 

Une opportunité politique de part et d’autre

 

Une belle opportunité aussi pour le Hamas, car les choses ne vont guère mieux du côté palestinien. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne a une fois de plus reporté sine die les élections qui devaient avoir lieu le 21 mai, par crainte d’une victoire écrasante du Hamas. Là aussi, cela fait quinze ans de paralysie. Les jeunes Palestiniens sont excédés par cet immobilisme et exigent que des élections se déroulent le plus tôt possible.

 

Comme on le sait, l’embrasement eut lieu à la suite de l’offensive des colons à Sheikh Jarrah et aussi à l’Esplanade des mosquées par invasion de la mosquée Al Aqsa le vendredi 14 mai, jour de prière de la fin du Ramadan. C’est de la pure provocation dictée par une évidente stratégie de la tension de la part des extrémistes religieux israéliens. Le Hamas, de son côté, en a profité en lançant des roquettes à partir de la bande de Gaza sur plusieurs villes israéliennes dont Tel Aviv. Riposte de l’aviation israélienne qui a bombardé des objectifs civils à Gaza dont des immeubles où habitent des chefs du Hamas et un building nommé Jaala qui abritait les bureaux de la chaîne TV satellitaire qatarie Al Jazeera et ceux l’agence de presse étatsunienne Associated Press. Cette attaque contre la presse qui a « étonnamment » suscité très peu de réactions est symptomatique de la volonté israélienne d’opérer à « huis clos » comme le fit l’Armée US en Irak et en Afghanistan ! Ce petit jeu a duré une dizaine de jours jusqu’à l’accord sur un cessez-le-feu bien précaire. Résultat : jusqu’à présent, 12 morts du côté israélien, plus de 200 morts du côté de Gaza. Une fois de plus, la disproportion ! Et évidemment, des victimes civiles de part et d’autre. Alors, pourquoi ? Tout simplement parce que les enjeux sont politiques pour les deux parties.

 

 

 

 

 

Le bombardement de l'immeuble abritant l'agence de presse US Associated Press et les bureaux de la chaîne TV satellitaire qatarie Al Jazirra n'a suscité que très peu de réactions.

Le bombardement de l'immeuble abritant l'agence de presse US Associated Press et les bureaux de la chaîne TV satellitaire qatarie Al Jazirra n'a suscité que très peu de réactions.

 

 

 

Alors, quels sont ces enjeux et les conséquences politiques de ces affrontements ?

 

Le Hamas, quant à lui, a engrangé une évidente victoire politique au sein du peuple palestinien. Il fut le premier à réagir à la suite de la profanation de l’Esplanade des mosquées et des violences des colons sur les habitants palestiniens de Sheikh Jarrah. L’Autorité palestinienne a montré son impuissance en émettant de vagues protestations. Certes, des éléments du Fatah se sont attaqués à des postes de Tsahal un peu partout en Cisjordanie, mais sans conséquences et surtout sans couverture médiatique. Aussi, auprès de l’opinion palestinienne et surtout de la jeunesse, le Hamas est la seule organisation apte à attaquer efficacement l’occupant israélien ! Si les élections ont finalement lieu, il est certain qu’il en recueillera les fruits.

 

Du côté israélien, la droite et Netanyahu l’ont emporté. Les colons n’ont pas dû reculer dans leur offensive même s’ils sont loin d’avoir l’aval de l’opinion israélienne et Netanyahu a pu prouver que même en tant que Premier ministre des « affaires courantes », il peut s’opposer efficacement à une offensive du Hamas qui est bien plus dangereux pour Israël que l’Autorité palestinienne. Cependant, comme d’habitude en la région, ce n’est pas si simple.

 

 

 

Benyamin Netanyahu masque mal son jeu !

Benyamin Netanyahu masque mal son jeu !

 

 

 

Revenons à Charles Enderlin qui considère que le Hamas est indirectement une « invention » d’Israël. Les chefs de l’Etat hébreu considéraient dans les années 1980-1990 que l’ennemi à abattre était l’OLP dirigée alors par Yasser Arafat. Ce fut la raison de l’offensive militaire au Liban en 1982, Sharon qui était à l’époque ministre israélien de la Défense, tenta d’éliminer son état-major, Arafat en tête qui se trouvait à Beyrouth. Ce fut un échec. Les dirigeants palestiniens se réfugièrent en Tunisie et rien n’était résolu du côté d’Israël Aussi, pour pratiquer la classique politique du « diviser pour régner », il leur fallait trouver un opposant à l’OLP au sein du peuple palestinien. Ils s’orientèrent vers les religieux en finançant des mosquées à Gaza. En effet, les Frères musulmans qui étaient bien implantés à Gaza refusait de s’orienter vers la lutte armée. Ils privilégiaient l’action sociale auprès des Palestiniens de Gaza. L’autorité occupante israélienne voit en cette mouvance un contrepoids à l’OLP. Un centre islamique est fondé par le cheikh Ahmed Yassine. Il est autorisé et même fiancé par l’occupant israélien. Le Hamas, quant à lui, fut fondé en 1987. Il fut longtemps encouragé par Israël qui y voyait un rempart contre l’OLP. Ce n’est qu’en 1991 que le Hamas s’est doté d’une branche armée qui, pendant des années, n’a tué que des Palestiniens accusés de « collaboration » avec l’ennemi, mais ne s’attaquaient pas encore aux Israéliens. Une dissidence naquit cependant, le Djihad islamique qui provoqua plusieurs attentats meurtriers en Israël et à Gaza. Dès lors, le Hamas s’orienta lui aussi vers la lutte armée et le terrorisme.

 

Quiconque oublie la Nakba n’arrivera jamais à obtenir une paix juste avec les Palestiniens.

 

L’historien israélien Shlomo Sand a écrit, il y a longtemps, à propos du Hamas.

 

Le Hamas n'est pas une armée, c'est un mouvement de résistance terroriste qui agit comme tous ceux qui l'ont précédé, Viêt-Cong ou FLN. C'est justement parce que nos dirigeants savaient cela qu'ils avaient le devoir de privilégier la diplomatie, pour ne pas commettre ce massacre de civils. Nous avons fait la preuve que nous n'avons aucune retenue morale, pas plus que la France en 1957 en Algérie qui a détruit des villages entiers. » Plus loin, il ajoute : « Le Hamas, ce mouvement bête, pas diplomate, avait proposé une « oudna », une trêve de longue durée à Gaza et en Cisjordanie. Israël a refusé parce qu'il veut continuer de tuer les militants du Hamas en Cisjordanie, soit une quinzaine en octobre-novembre après des mois de calme. Israël a donc eu sa part de responsabilité dans la reprise des tirs de roquettes. Au lieu de renforcer le courant modéré du Hamas, Israël pousse les Palestiniens au désespoir. Nous avons ghettoïsé une population entière et refusons de lui accorder sa souveraineté depuis quarante-deux ans. Comme je suis indulgent envers Israël, je dirai seulement depuis vingt ans, 1988, date à laquelle Arafat et l'Autorité palestinienne ont reconnu l'Etat d'Israël, sans rien avoir gagné en échange.

 

 

Qu'on comprenne bien : je n'accepte pas les positions du Hamas et surtout pas son idéologie religieuse, parce que je suis un homme laïc, démocrate, et assez modéré. Comme Israélien et comme être humain, je n'aime pas les roquettes. Mais comme Israélien et historien, je n'oublie pas que ceux qui les lancent sont les enfants et petits-enfants de ceux qui ont été chassés de Jaffa et d'Ashkelon en 1948. Ce peuple de réfugiés, moi, Shlomo Sand, je vis sur la terre qui était la sienne. Je ne dis pas que je peux leur rendre cette terre. Mais que chaque offre de paix doit partir de ce constat. Quiconque oublie cela n'arrivera jamais à offrir une paix juste aux Palestiniens. » (Voir Uranopole : https://uranopole.over-blog.com/2014/08/gaza-mon-amour-2eme-partie.html )

 

 

 

L'historien israélien Shlomo Sand, bête noire de la droite sioniste est en réalité un homme de paix.

L'historien israélien Shlomo Sand, bête noire de la droite sioniste est en réalité un homme de paix.

 

 

 

Le Hamas meilleur ennemi d’Israël

 

 

Cependant, la réalité est encore plus surprenante. Charles Enderlin révèle dans son interview à « l’Echo » citée plus haut :

 

« Les responsables de la sécurité israélienne, militaire ou renseignement, considéraient qu'il s'agissait de braves religieux jusqu'à ce qu'ils découvrent en 1988 que ces gentils islamistes avaient en fait mis en place un commando, une branche armée extrêmement violente.

 

Appartenant à la Confrérie des Frères musulmans, le Hamas a pour but la destruction de l’État d’Israël. Mais, c’est en fait le meilleur ennemi d’Israël qui autorise le Qatar à lui transférer régulièrement des millions de dollars en liquide. Les valises de billets arrivent par l’aéroport de Tel-Aviv et sont conduites sous escorte policière jusqu’au barrage à l’entrée de Gaza. Cette politique est destinée à maintenir un Hamas fort tout en affaiblissant l’Autorité autonome de Mahmoud Abbas. »

 

C’est énorme ! Si cette information est exacte, toute la propagande sioniste n’est dès lors que mensonge ! N’oublions pas qu’elle émane d’un des meilleurs journalistes contemporains, Charles Enderlin, de nationalité franco-israélienne qui a consacré quasi toute sa carrière à l’observation du conflit israélo-palestinien. Il a pris d’énormes risques et a été traqué durant plusieurs années par les extrémistes juifs. Il est cependant resté sur la même voie : celle de l’information étayée à plusieurs sources.

 

Les Israéliens ont donc appuyé le Hamas pour combattre l’OLP puis l’Autorité Palestinienne qu’ils ont cependant reconnue lors des accords d’Oslo en 1993. Reconnaissance qui a coûté la vie à son signataire israélien, Itzhak Rabin en 1995. Accords qui ont été par après vidés de leur substance sous les gouvernements de Sharon et de Netanyahu. C’est aussi le double langage : Israël a fait pression sur la communauté internationale et particulièrement sur les Etats-Unis pour que le Hamas soit décrété organisation terroriste. Autrement dit, toute négociation côté cour devient impossible ! Et, côté jardin, on assure son financement provenant d’un Etat arabe proche de l’Iran considéré par Netanyahu comme le plus dangereux ennemi d’Israël ! Tsahal bombarde les populations civiles de Gaza ou fait tirer à bout portant sur des Palestiniens exprimant leur révolte en face de la frontière. Israël.  La « prison à ciel ouvert » comme l’écrivait feu Stéphane Hessel subit un blocus des plus rudes sous la chape de plomb des Israéliens avec la complicité des Egyptiens. Et on aide indirectement une organisation islamiste proche des Frères musulmans tout en bloquant le financement de l’Autorité palestinienne !  L’essentiel est en réalité pour le lobby religieux israélien de mener à son terme la colonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie sans devoir se soucier de Gaza.

 

 

 

Photographie nocturne de Gaza. A droite, les roquettes tirées vers le territoire israélien, à gauche les tirs des batteries anti-missiles qui interceptent quelque 80 % des roquettes du Hamas. Un jeu diabolique qui n'a pour résultat de provoquer des victimes civiles et qui est en fait une sinistre opération de propagande.

Photographie nocturne de Gaza. A droite, les roquettes tirées vers le territoire israélien, à gauche les tirs des batteries anti-missiles qui interceptent quelque 80 % des roquettes du Hamas. Un jeu diabolique qui n'a pour résultat de provoquer des victimes civiles et qui est en fait une sinistre opération de propagande.

 

 

 

Une des conséquences majeures de cette politique quasi suicidaire est la transformation profonde de la société israélienne. Prenons l’exemple de Jérusalem. Voici ce qu’expose pour « Mediapart » la sociologue française Sylvie Bulle, spécialiste de Jérusalem.

 

« Les Palestiniens de Jérusalem-Est n’ont pas la nationalité israélienne. Pour une grande partie, ils ont des passeports jordaniens, ce qui fait qu’ils ont des problèmes de citoyenneté et de nationalité, contrairement aux Palestiniens d’Israël qui ont la nationalité israélienne, bien que le sentiment d’appartenance soit problématique. Effectivement, ceux-ci se sont rebellés de façon impressionnante dans différentes villes, en général des villes pauvres au centre du pays, caractérisées par une mixité de façade. Il y a une dimension populaire très importante à prendre en compte.

 

Concernant l’aspect générationnel, je dirais ensuite que les Palestiniens d’Israël de plus de 40 ans sont restés dans un modèle intégratif dont ils ont objectivement profité, à travers des avancées en termes d’éducation ou de pouvoir d’achat. Ils sont aussi les plus attachés à une représentation politique par les partis dits « arabes ». Les plus jeunes générations, en revanche, ne partagent guère cette culture. Elles se sentent de moins en moins liées à Israël, et n’ont pas ce même attachement à la représentation arabe.

 

Cette rébellion s’inscrit dans un climat de racisme intérieur que j’ai vu s’aggraver de façon très nette ces cinq dernières années, en raison d’une hostilité croissante et réciproque des populations, et en grande partie en raison de la droitisation du gouvernement. Ce dernier a suscité une libération de l’invective raciste. Ceux qui s’y adonnent le plus proviennent également de classes populaires juives orientales, défavorisés et longtemps délaissées par le gouvernement. Elles se sont tournées vers la pratique observante ou le nationalisme religieux (représenté par des partis politiques, comme Shas, le Foyer juif), en souhaitant que le judaïsme religieux s’inscrive davantage dans l’espace public. »

 

Ainsi, Israël se transforme en une société religieuse. Fini le sionisme progressiste et laïque. Et fini aussi la relative mixité entre Palestiniens et Juifs. Tout est fait pour séparer les deux peuples. Après la guerre des Six Jours de 1967 et la conquête de Jérusalem-Est, « La vieille ville a été vidée des Palestiniens qui ont dû trouver refuge ailleurs, et la planification de la ceinture des colonies a commencé. Les Palestiniens de Jérusalem-Ouest ont gardé la nationalité israélienne, alors que ceux de Jérusalem-Est ont obtenu le statut de résidents de Jérusalem. La « réunification » a paradoxalement consolidé la séparation entre Jérusalem-Est et la nouvelle ville (juive israélienne). La construction des implantations au-delà de Jérusalem-Est et aux confins des territoires palestiniens a conforté le poids de la population juive.

 

En 2004 enfin, la construction du mur de séparation a empêché une mobilité quotidienne entre Palestiniens des territoires et Palestiniens de Jérusalem. Cela a suscité une nouvelle fracture, avec une partie de Jérusalem-Est isolée de l’autre côté du mur, et certaines personnes se retrouvant dans un véritable no man’s land. On peut dire que Jérusalem n’est qu’une longue succession de fractures et de séparations. »

 

 

 

Le mur de séparation ou d'apartheid entre Jérusalem Est et la Cisjordanie. Encore un obstacle à une solution pacifique !

Le mur de séparation ou d'apartheid entre Jérusalem Est et la Cisjordanie. Encore un obstacle à une solution pacifique !

 

 

 

On est en train de théocratiser Jérusalem et Israël.

 

Sylvie Bulle constate en outre :

« La question religieuse dépasse celle du sort des Palestiniens, car le devenir de la ville séculière est en jeu. Jérusalem appartient aussi aux juifs, dont la plupart, attachés au pluralisme et à l’égalité, demeurent préoccupés par ces divisions, par ces évolutions, d’autant qu’ils peuvent être la cible de différentes hostilités.

 

On est en train de « théocratiser » Jérusalem, ce qui redouble la séparation avec les Palestiniens. Et la situation s’aggrave. Depuis cinq ou six ans, les parcs sont de plus en plus sujets à affrontements, alors qu’avant il y avait encore une forme de partage à peu près maîtrisé de ces espaces entre familles palestiniennes et familles nationalistes religieuses. Les premières sont maintenant chassées de ces espaces, ce qui entraîne une partition des espaces publics de plus en plus tranchée. Au milieu de tout cela, les laïques israéliens souvent troublés par cette transformation ont tendance à quitter la ville. »

 

La société palestinienne s’islamisant de son côté avec le regain d’influence du Hamas et de l’autre, la société israélienne autrefois relativement laïque se transforme petit à petit en une ethnocratie, c’est-à-dire en une entité uniquement juive, suite à la loi état-nation adoptée en juillet 2018 à la Knesset qui crée une citoyenneté juive à part entière et réduit les autres habitants, comme les Arabes israéliens et les Druzes en des citoyens de seconde zone Et, peu à peu s’installe une théocratie avec le fort regain d’influence des Juifs religieux

 

Comme le dit Sylvie Bulle, Israël demos se mue en Israël ethnos. C’est le pire destin que cet Etat peut connaître ! Quant aux Palestiniens, ils risquent de tomber sous la coupe des islamistes, ce qui peut signifier la fin de la Palestine. Et, en définitive, ce sont les deux peuples qui seront colonisés !

 

Quelle tragédie pour cette terre qui fut si diverse et si plurielle à travers l’histoire ! Mais, gardons espoir : sans doute de part et d’autre, les consciences s’éveilleront un jour. Il existe des deux côtés, nous le savons, des femmes et des hommes aptes à changer les choses. Mais espérons qu'on les laissera agir...

 

 

Pierre Verhas

 

 

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13 mai 2021 4 13 /05 /mai /2021 15:05

 

 

 

« La première chose qu’on ne fait pas, c’est de montrer du doigt. (…) On essaie toujours de dire qui est responsable de quoi quand on a envie d’être un honest broker dans la résolution d’un conflit. » a déclaré la ministre des Affaires étrangères belge Sophie Wilmès à propos de l’embrasement à Jérusalem-Est et des tirs de rockets du Hamas sur le territoire israélien. Elle a raison. Les parties dans cet interminable conflit du Proche Orient se renvoient la balle à chaque tir de rocket du Hamas, à chaque agression des colons israéliens, à chaque jet de pierre des Palestiniens, à toutes les représailles israéliennes. Aussi, tentons de sortir de la propagande de guerre pour tenter de comprendre cette situation dramatique qui dure depuis des décennies et dont on ne voit pas l’issue. Madame Wilmès a raison, mais la neutralité quelque peu orientée de l’Union européenne doit aussi aboutir à une position claire si elle veut peser dans cet inextricable conflit.

 

 

 

Révolte des jeunes Palestiniens devant la Porte de Damas à l'entrée de la Vieille Ville de Jérusalem-Est. Un danger ou un espoir ?

Révolte des jeunes Palestiniens devant la Porte de Damas à l'entrée de la Vieille Ville de Jérusalem-Est. Un danger ou un espoir ?

 

 

 

Cette fois-ci, le feu a été allumé dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est situé à 2 kilomètres au nord de la Vieille Ville. Proche du carrefour de la route nord-sud n° 60, qui relie Hébron au Sud à Jénine au Nord et de la route est-ouest n° 1 entre Tel Aviv et la mer Morte. Il abrite plusieurs consulats ou résidences diplomatiques. Lors de la Nakba – la catastrophe en Arabe, c’est-à-dire l’expulsion des Arabes palestiniens par les Juifs en 1947-48 - 28 familles réfugiées palestiniennes qui, au fil du temps, sont devenues 38, se sont installées dans le quartier de Sheikh Jarrah, Elles espéraient, comme tous les réfugiés, que ce séjour serait temporaire avant un hypothétique retour à leurs domiciles situés dans les territoires devenus israéliens. En 1956, ces familles palestiniennes, toutes réfugiées, ont conclu un accord avec le Ministère jordanien de la Construction et l'Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, la fameuse UNRWA, pour leur fournir un logement dans le quartier de Sheikh Jarrah. À cette époque, la Cisjordanie ou la rive Ouest était rattachée à la Jordanie. Le gouvernement jordanien a fourni le terrain et l’UNRWA a fait don du coût de construction de 28 maisons.

 

 

 

L'entrée du quartier de Sheikh Jarrah où tout a commencé.

L'entrée du quartier de Sheikh Jarrah où tout a commencé.

 

 

 

Discrimination ethnique

 

 

En 1956, le contrat conclu entre le Ministère de la Construction et les familles palestiniennes prévoyait que les résidents paient une redevance symbolique, à condition que la propriété leur soit déléguée au bout de trois ans et ce, dès l'achèvement des travaux de construction. Cependant, en 1967, après la guerre des six jours qui a débouché sur l'occupation israélienne de Jérusalem et de la Cisjordanie, les Israéliens ont rayé l’enregistrement de ces maisons au nom des familles palestiniennes réfugiées.

 

L’affaire resta en l’état jusqu’en 1997. Un habitant palestinien de Sheikh Jarrah, Suleiman Darwish Hegazy, déposa un recours auprès du tribunal central israélien, pour que lui soit reconnu la propriété du terrain, sur lequel sa maison a été érigée. Il produisit son titre de propriété, basé sur les documents du Tabbu, le registre des titres de propriétés Ottomans. Ajoutons qu’il n’y a pas de cadastre en Palestine et la preuve de la propriété est basée sur ce fameux Tabbu datant d’avant 1917 ! En 2005, le tribunal rejeta la demande de Suleiman Darwish Hegazy prétextant que les documents produits n’apportaient pas la preuve de son titre de propriété.

 

Dans la plupart des cas, les tribunaux israéliens ont pris des décisions similaires. Comme le disent les Palestiniens, ces jugements constituent en réalité un « permis d’expulser ». Il s’ensuit des conséquences dramatiques : les colons israéliens se livrent alors à des expropriations forcées. L’armée israélienne d’occupation ferme les yeux dans la plupart des cas. Les Palestiniens victimes de ces exactions ont très peu de chances d’obtenir réparation devant les tribunaux israéliens – il y eut cependant quelques recours qui ont abouti, mais ils se comptent sur les doigts de la main – et sont donc contraints de s’exiler.

 

En l’occurrence, c’est un promoteur-colonisateur qui est à l’origine de l’affaire, la compagnie américaine Nahalat Shimon, basée aux Etats-Unis dans le Delaware, où la législation « souple » permet de dissimuler les actionnaires d’une entreprise, qui a acquis les terrains et les bâtiments des réfugiés de Sheikh Jarrah. En plus, Nahalat Shimon a lancé une action judiciaire devant les tribunaux israéliens pour obtenir l’éviction des familles de réfugiés de ces maisonnettes qu’elle entend démolir pour les remplacer par 200 logements destinés à des colons juifs.

 

À ce jour, quatre familles ont été expulsées - près de 300 personnes sont sur le point de l’être. L’une des familles qui sera expulsée ces jours-ci est la famille Al-Sabbagh, originaire de Jaffa et se compose de 32 membres dont 10 enfants. Depuis de nombreuses années, cette famille craint de redevenir réfugiée pour la seconde fois depuis 1948. La Cour suprême israélienne doit se prononcer incessamment, mais le juge Yitzhak Amit a décidé de retarder sa décision de trente jours en raison de la tension qui règne dans le quartier et dans la ville. Et il ne faut se faire aucune illusion : la Cour suprême israélienne qui manifestait une réelle objectivité est aujourd’hui composée de magistrats proches des extrémistes nationalistes et religieux, grâce à Netanyahu !

 

Cependant, le camp nationaliste et religieux est sur la défensive. Les colons déjà installés dans le quartier et les conseillers de Netanyahou tentent de présenter le conflit comme un contentieux immobilier. Les défenseurs des droits de l’homme venus manifester leur solidarité dénoncent, eux, la « judaisation forcée » et la « discrimination ethnique » pratiquées par le pouvoir au bénéfice des organisations de colons. Cependant, par cette abomination, ils ont mis le feu aux poudres.

 

 

 

Scène d'émeute à Sheikh Jarrah après la provocation des extrémistes israéliens

Scène d'émeute à Sheikh Jarrah après la provocation des extrémistes israéliens

 

 

 

Netanyahu et les fractions religieuses et nationalistes ne voient qu’une chose : installer dans la ville une majorité juive, avant qu’elle ne le devienne totalement. Près de 60 000 colons juifs supplémentaires ont ainsi été installés depuis vingt ans à Jérusalem-Est, où leur nombre dépasse aujourd’hui 225 000, alors qu’il y a encore 300 000 Arabes qui y vivent. Cette stratégie passe notamment par l’expulsion des habitants et la démolition de leurs maisons, remplacées par des constructions neuves, destinées aux colons. Et cela même s’il s’agit des maisons familiales ou natales des Palestiniens. En 2019, un rapport de l’ONG israélienne B’Tselem constatait que 16 796 ordres de démolition ont ainsi été émis entre 1988 et 2017.

 

Les « événements » ont commencé la semaine dernière. Comme par hasard, Itamar Ben Gvir, député du parti suprémaciste juif  religieux et nouvel allié de Netanyahou, est venu avec une forte protection policière apporter son soutien aux colons déjà installés à Sheikh. La nuit tombée, les Palestiniens du quartier partageaient le repas de rupture du jeûne avec leurs amis et leurs partisans autour de longues tables installées dans la rue face aux bâtiments occupés par les colons.

 

 

 

Le député d'extrême-droite israélien Itamar Ben Gvir a mené les colons émeutiers à Sheikh Jarrah.

Le député d'extrême-droite israélien Itamar Ben Gvir a mené les colons émeutiers à Sheikh Jarrah.

 

 

 

L’arrivée, en forme de défi, de Ben Gvir et de son escorte armée a transformé le face-à-face en émeute, avec incendies de voitures, charges de police et arrosage des manifestants à l’eau putride, selon la technique utilisée habituellement par la police antiémeute israélienne.

 

Lorsque la nouvelle s’est répandue que les policiers déployés près de la Vieille Ville avaient reçu l’ordre d’installer des barrières et d’interdire l’accès à la porte de Damas, où les Palestiniens ont l’habitude de se réunir, après le jeûne, et aussi dresser des barrages sur les routes conduisant à Jérusalem pour empêcher les fidèles de se rendre à la mosquée Al-Aqsa, il était trop tard pour contenir l’escalade ! Et n’oublions pas l’invasion de Haram-al-Sharif – l’Esplanade des Mosquées – par une bande de colons déchaînés qui ont empêché la prière du vendredi à la Mosquée d’Al Aqsa.

 

 

 

L'Esplanade des Mosquées à Jérusalem fait régulièrement l'objet de graves provocations des colons juifs extrémistes : la stratégie de la tension dans toute son horreur.

L'Esplanade des Mosquées à Jérusalem fait régulièrement l'objet de graves provocations des colons juifs extrémistes : la stratégie de la tension dans toute son horreur.

 

 

 

La provocation est évidente ! Une stratégie de la tension a été mise en place et elle n’est pas loin de s’arrêter.

 

 

La révolte « géographique »

 

 

On appelle ces événements la révolte géographique, car ce sont trois lieux importants et symboliques de Jérusalem qui se sont embrasés : le quartier Sheikh Jarrah, la Porte de Damas et Haram al Sharif. En l’occurrence, et c’est le plus important : le mouvement actuel est profondément distinct des précédents. On parle d’une troisième Intifada. Si elle a lieu, elle ne ressemblera pas aux précédentes.

 

Dans une interview à Orient XXI, un site politique arabe, Inès Abdel Razek, directrice du plaidoyer pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, une organisation non gouvernementale palestinienne de plaidoyer et diplomatie citoyenne, analyse cette révolte de la jeunesse palestinienne de Jérusalem.

 

 

 

Inès Abdel Razek, une brillante analyste palestinienne

Inès Abdel Razek, une brillante analyste palestinienne

 

 

 

« La géographie joue en effet un rôle important, car elle reflète tout ce qui ne va pas dans le système de contrôle israélien. Comment se traduit-elle ? En 1948, beaucoup de Palestiniens ont été chassés de leurs maisons et ils se sont réfugiés à Jérusalem-Est. C’est le cas des familles de Sheikh Jarrah. Depuis 1967 et l’annexion de la totalité de la ville par Israël, tout est mis au service d’une « ingénierie » destinée à régler ce que les Israéliens considèrent comme un « problème » palestinien, vu à la fois comme démographique et sécuritaire. Ce que veulent les autorités israéliennes, c’est avoir une ville pour les Juifs, dotée d’une identité juive, et effacer l’identité palestinienne de la ville, tout en cantonnant les Palestiniens dans des zones limitées et enclavées. Officiellement, il s’agit de maintenir 70 % de Juifs et 30 % de Palestiniens.

 

Et cela se traduit par des lois discriminatoires qui permettent l’expropriation de terres et la prise de quartiers par des colons juifs ou la municipalité, ou la destruction d’habitations, car les Palestiniens ne peuvent obtenir de permis pour construire. Mais aussi dans les infrastructures – en particulier le mur de huit mètres derrière lequel s’est retrouvé un tiers de la population palestinienne (120 000 personnes) –, les dépenses budgétaires municipales, qui ont totalement négligé les quartiers palestiniens… La loi dite du « retour » permet à n’importe quel juif du monde entier de s’installer en Israël, alors que les réfugiés palestiniens qui ont fui en 1948 n’ont pas ce droit. Il existe une loi qui permet à des Juifs de pouvoir récupérer des maisons où des Juifs habitaient avant 1948. Cette loi ne s’applique pas uniquement aux anciens propriétaires (qui souvent ont vendu de plein gré ou sont partis ailleurs volontairement), mais plus largement aux associations de colons qui depuis les années 1970, saisissent la justice israélienne pour s’approprier des maisons à Jérusalem-Est.

 

Il faut aussi souligner qu’en ce qui concerne la Vieille Ville, la Porte de Damas et l’Esplanade des Mosquées sont les rares espaces publics que les Palestiniens peuvent encore s’approprier. Enfin, pour aggraver la situation, il n’existe pas de leadership palestinien à Jérusalem, car l’Autorité palestinienne n’y a jamais été autorisée. »

 

Tout d’abord, les formations politiques palestiniennes sont démonétisées auprès de la jeunesse. L’Autorité palestinienne est corrompue et soupçonnée servir l’occupant israélien. Le Fatah qui domine en Cisjordanie est en pleine déliquescence et le Hamas a perdu toute crédibilité. Si la religion musulmane s’étend en Palestine et même dans le Nord d’Israël, l’islamisme extrémiste n’a toujours pas réussi à s’y installer. Comme l’écrit René Backmann dans Mediapart du 11 mai 2021 :

 

« Ulcérés depuis longtemps par la passivité et l’immobilisme de leurs dirigeants, qui se sont révélés incapables de trouver une réponse à la politique du fait accompli de Netanyahou, révoltés par l’apartheid de fait auquel ils sont condamnés, les jeunes palestiniens ont épousé cette nouvelle révolte sans projet politique précis. Simplement pour affirmer au pouvoir israélien qu’ils existent et que l’impunité internationale n’autorise pas tout.

 

Et pour dire aux dirigeants de l’Autorité palestinienne qui viennent d’annuler les élections législatives prévues pour le 22 – en saisissant le prétexte du refus israélien de laisser le scrutin se dérouler à Jérusalem-Est – que leur légitimité démocratique et leur représentativité, vieilles de quinze ans, sont nulles. Le problème est qu’apparemment aucune relève crédible ne se profile. »

 

Quant à la jeunesse palestinienne, Madame Abdel Razek estime :

 

« C’est une jeunesse en colère qui a grandi sous le régime d’Oslo et de la seconde Intifada, une période où on leur a dit qu’elle pourrait vivre dans un État séparé dans les frontières de 1967, un compromis déjà mal vécu par les réfugiés et les Palestiniens citoyens d’Israël. Mais ce qu’elle a vu sur le terrain, c’est plus de colonisation, plus d’annexion, plus de contrôle et de violence de l’État d’Israël. Ainsi que l’impunité d’Israël, qui viole pourtant le droit international et les droits humains depuis des décennies.

 

Elle a vu aussi s’accroître le népotisme de l’Autorité palestinienne, devenue un sous-traitant des Israéliens plutôt qu’une force de résistance à l’occupation. Elle est arrivée à la conclusion que les Palestiniens ne peuvent désormais compter que sur eux-mêmes, faute de réaction de la communauté internationale. Pendant longtemps, les Palestiniens avaient également accepté de suivre la voie de la négociation, mais négocier est vain dans un tel rapport de force où Israël n’a jamais accepté l’idée même d’un État palestinien dans les frontières de 1967.

 

Beaucoup de jeunes sont également au chômage et, à Gaza, c’est pire, car ils sont soumis au blocus depuis 13 ans. Il y a donc une jeunesse palestinienne clairement frustrée, confrontée à l’absence d’horizon mais qui a soif de liberté et veut pouvoir être maître de son destin. Et c’est le cas aussi dans certaines villes israéliennes, où les Palestiniens devenus citoyens d’Israël se soulèvent et manifestent contre le projet suprémaciste et ethno-nationaliste de l’État israélien, notamment à Nazareth, Haïfa ou Umm El Fahm. C’est important, car pour les Palestiniens, cette « ligne verte » ne représente pas grand-chose et le cœur du problème reste 1948 et la « Nakba ». L’identité palestinienne repose de la rivière Jourdain à la mer Méditerranée.

 

Ce qui a aggravé la situation, c’est la décision du leadership palestinien de repousser indéfiniment les élections prévues fin mai, au motif que la tenue du scrutin n’était pas « garantie » à Jérusalem-Est, annexée par Israël. Ce qui a conforté l’idée que ces dirigeants sont plus complices de l’occupant que décidés à s’y opposer, décrédibilisant encore plus le président Mahmoud Abbas. »

 

 

 

Mahmoud Abbas, 88 ans, le Président de l'Autorité palestinienne qui a succédé à Yasser Arafat est accusé de corruption et est complètement dépassé

Mahmoud Abbas, 88 ans, le Président de l'Autorité palestinienne qui a succédé à Yasser Arafat est accusé de corruption et est complètement dépassé

 

 

 

Ce constat représente à la fois un danger et un espoir. Un danger parce qu’on peut penser que les jeunes Palestiniens de Jérusalem-Est risquent d’être attirés par les sirènes de l’Islamisme extrémiste ; un espoir parce qu’ils font preuve d’une grande maturité politique, contrairement – il faut bien le dire – à leurs aînés, en ne se livrant pas au terrorisme, mais en exigeant avec fermeté des changements radicaux, car le statu quo de l’injustice ne peut plus durer !

 

 

Sortir du statu quo.

 

 

Israël ne se trouve pas dans une brillante position, en dépit de sa puissance. Cela fait deux ans et quatre scrutins que le pays n’est plus gouverné, qu’il n’y a pas de budget. Benyamin Netanyahu reste le Premier ministre en « affaires courantes », malgré les graves accusations de corruption qui l’accablent. Des manifestations populaires ont eu lieu à Tel Aviv pour exiger son départ. Le « Bloc pour le changement » composé des dirigeants politiques opposés à Netanyahu ne parvient pas à trouve un accord pour constituer un rassemblement afin de le renverser.

 

 

 

Benyamin Netanyahou est en définitive plus dangereux pour Israël que pour le Palestiniens.

Benyamin Netanyahou est en définitive plus dangereux pour Israël que pour le Palestiniens.

 

 

 

Enfin, le Hamas attise le feu – il n'est capable que de cela ! – en envoyant des rockets qui peuvent atteindre Tel Aviv et qui provoquent mort et destruction en Israël avec pour conséquence de radicaliser encore plus à droite une population juive excédée et devenue prête à céder à d’autres sirènes, celle du messianisme.

 

 

 

Les rockets lancés par le Hamas provoquent des morts et des dégâts surtout au Sud d'Israël et les représailles israéliennes qui sont bien plus meurtrières pour les Gazaouis.

Les rockets lancés par le Hamas provoquent des morts et des dégâts surtout au Sud d'Israël et les représailles israéliennes qui sont bien plus meurtrières pour les Gazaouis.

 

 

 

Cependant, blocus, répression, colonisation, occupation militaire, représailles et terrorisme ne mèneront à rien. Nulle paix dans l’histoire ne s’est réalisée dans le sang. Il faudra bien que les dirigeants dans les deux camps et dans les puissances qui profitent du conflit, le comprennent un jour. Et s’ils en sont incapables, qu’ils s’en aillent !

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

Post scriptum

 

 

Une pétition circule pour demander l'arrêt de l'expulsion des habitants palestiniens de Sheikh Jarrah. à l'initiative de

 

Anne Vanesse, échevine socialiste honoraire, auteure de deux livres sur Rosa Luxemburg, psychologue interculturelle ;

 

Thérèse Liebman, historienne, membre de l'Union des Juifs Progressistes de Belgique ;

 

Sonia Dayan - Herzbrun, Professeure Emérite à l'Université de Paris ;

 

Marina Nebliolo, Anthropologue ;

 

Pierre Paduart, Médecin - Psychanalyste, membre de la Société Belge de Psychanalyse ;

 

Agnès Pavlowski, Docteure en Sciences Sociales :

 

Pierre Van Dooren, Economiste -, Chef d'Entreprise ;

 

et de nombreuses autres personnes de professions et d'horizons divers.

 

 

 

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5 mai 2021 3 05 /05 /mai /2021 08:55

 

 

 

« En 20 ans de travail avec les victimes de guerre, de violence et de persécution politique, je n'ai jamais vu un groupe d'États démocratiques s'unir pour isoler, diaboliser et maltraiter délibérément un seul individu... »

 

 

 

Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture vient de publier un livre pour attirer l'attention sur le cas de Julian Assange.

Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture vient de publier un livre pour attirer l'attention sur le cas de Julian Assange.

 

 

 

Voilà ce qu’a écrit le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, l’éminent juriste suisse Nils Melzer dans le rapport qu’il a présenté à l’ONU sur l’affaire Assange. Il vient de publier un livre à ce sujet « The Julian Assange case » aux éditions suisses Piper Verlag. On ignore s’il sera traduit en français. L’auteur a décidé de publier cet ouvrage pour alerter l’opinion publique sur ce qui peut être considéré comme la plus grande injustice à l’égard d’un journaliste, injustice à laquelle participent bien des pays occidentaux. Il montre aussi que les Etats-Unis ne pardonnent pas et s’obstinent à persécuter l’Australien emprisonné à Londres.

 

« L’affaire Assange est l’histoire d’un homme qui subit des tortures psychologiques pour avoir révélé au public, via la plateforme Wikileaks, les secrets les plus sombres des puissants, en révélant des crimes de guerre, des actes de torture et de corruption. C’est l’histoire de l’arbitraire extrêmement grave de la justice dans les démocraties occidentales, qui aiment par ailleurs se présenter comme des États modèles en matière de protection des droits de l’homme. »

 

Voici, décrite toute l’affaire Assange en quelques mots par Nils Melzer. Le drame est qu’alors que toutes les règles fondamentales ont été bafouées, il est impossible de mettre fin à cette persécution dont le journaliste australien est victime. Que lui reproche-t-on ? Tout simplement d’avoir eu le courage de faire son métier et de bien le faire en usant des technologies sophistiquées de l’information qu’il a apprises sur le tas. En réalité, ce n’est pas tellement cela qui lui est reproché par la plus grande puissance du monde actuel. Son crime est de l’avoir dérangée.

 

L’homme qui dérange « nous a compliqué la tâche ».

 

Si on se réfère à une conférence de presse donnée par Joe Biden alors vice-président des Etats-Unis sous la présidence de Barak Obama rapportée par le journal londonien « The Guardian » du 19 décembre 2010, on constate un acharnement des hautes autorités étatsuniennes à poursuivre et condamner Julian Assange.

 

 

 

Joes Biden, alors vice-président des Etats-Unis, donna une conférence de presse où il accusa durement Julian Assange.

Joes Biden, alors vice-président des Etats-Unis, donna une conférence de presse où il accusa durement Julian Assange.

 

 

 

Le vice-président américain, Joe Biden, a comparé aujourd'hui le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, à un "terroriste de haute technologie", la plus vive critique à ce jour de l'administration Obama.

 

Biden a affirmé qu'en fuyant des câbles diplomatiques, Assange avait mis des vies en danger et rendu plus difficile pour les États-Unis de mener leurs activités dans le monde entier.

 

Sa description d'Assange montre un niveau d'irritation qui contraste avec les commentaires plus optimistes d'autres personnalités de la Maison Blanche, qui ont déclaré que la fuite n'avait pas fait de graves dommages.

 

Interrogé sur Meet the Press de NBC, on a demandé à Biden si l'administration pouvait empêcher de nouvelles fuites, comme l'a averti Assange la semaine dernière. "Nous examinons cela en ce moment. Le ministère de la Justice examine cela", a déclaré Biden, sans donner plus de détails.

 

Lorsqu'on lui a demandé si ce qu'Assange avait fait était criminel, Biden a semblé suggérer que cela serait considéré comme criminel s'il pouvait être établi que le fondateur de WikiLeaks avait encouragé ou aidé Bradley Manning, l'analyste du renseignement américain soupçonné d'être à l'origine de la fuite. Biden a affirmé que c'était différent d'un journaliste recevant des informations divulguées.

 

"S'il a conspiré pour obtenir ces documents classifiés avec un membre de l'armée américaine, ce qui est fondamentalement différent de ce que quelqu'un tombe sur vos genoux ... vous êtes un journaliste, voici du matériel classifié."

 

Lorsqu'on lui a demandé s'il considérait Assange comme plus proche d'un terroriste de haute technologie que le lanceur d'alerte qui a publié les journaux du Pentagone dans les années 1970, qui révélaient le mensonge sur lequel était basée l'implication américaine au Vietnam, Biden a répondu : Je dirais qu'il est plus proche d’un terroriste de haute technologie que les journalistes du Pentagone.

 

Il nous a compliqué la tâche de mener nos affaires avec nos alliés et nos amis. Par exemple, lors de mes réunions - vous savez que je rencontre la plupart de ces dirigeants mondiaux - il y a maintenant un désir de me rencontrer seul, plutôt que d’avoir du personnel dans la chambre. Cela rend les choses plus encombrantes - donc cela a fait des dégâts. »

 

Il est cependant surprenant que la veille de cette conférence de presse, Biden avait déclaré à propos de WikiLeaks : « Je ne pense pas qu'il y ait de dommages substantiels. »

 

 

 

Est-ce Hillary Clinton, ici en campagne électorale avec son mari contre Trump, qui est la vraie responsable de l'acharnement des autorités US contre Julian Assange ?

Est-ce Hillary Clinton, ici en campagne électorale avec son mari contre Trump, qui est la vraie responsable de l'acharnement des autorités US contre Julian Assange ?

 

 

 

Fin novembre, Hillary Clinton alors secrétaire d’État a durement critiqué les révélations de WikiLeaks fin novembre 2010 lorsqu'elle a accusé le site Web de monter une « attaque » sur le monde ! Aurait-elle fait pression sur Biden pour qu’il change d’avis et l’exprime le lendemain ? Ce serait une explication à cet acharnement tout à fait inédit de la part du gouvernement US à l’égard d’un journaliste. Il est vrai que WikiLeaks a publié de très gênantes révélations sur les fameux e-mails de l’ancienne Secrétaire d’Etat.

 

D’ailleurs, Nils Melzer, lui non plus, ne se fait aucune illusion :

 

« L’administration Biden ne voudra pas jouer avec la CIA et la NSA. Même sous le prix Nobel de la paix Barack Obama, les préoccupations de "sécurité nationale" avaient la plus haute priorité, les meurtres par drones ont été institutionnalisés et les lanceurs d’alerte ont été sévèrement punis, tandis que les criminels de guerre et les tortionnaires jouissaient de l’impunité. Rien ne changera sous Biden à cet égard. »

 

En outre, à propos de cet acharnement, Nils Melzer ajoute :

 

« … en tant que rapporteur spécial des Nations Unies, j’ai demandé à plusieurs reprises à tous les pays directement impliqués dans cette affaire - la Grande-Bretagne, la Suède, l’Équateur et les États-Unis - des éclaircissements et recommandé des mesures concrètes. Aucun des quatre gouvernements n’était prêt à engager un dialogue constructif. Pire encore, la persécution et les mauvais traitements infligés à Assange se sont intensifiés au cours de mon enquête. Les violations de ses droits procéduraux en Angleterre sont devenues plus évidentes et même mes appels publics aux autorités pour qu’ils respectent les droits de l’homme ont été ignorés. » Ainsi, les trois pays ont plié devant le diktat US.

 

 

Le Guantanamo britannique

 

Nils Melzer rappelle :

 

« Julian Assange a été accusé d’avoir violé deux femmes en Suède, mais les procès ont été abandonnés après neuf ans, faute de preuves. De 2012 à 2019, il était en asile à l’ambassade d’Équateur à Londres. Aujourd’hui, il attend - dans le "Guantánamo britannique", la tristement célèbre prison de haute sécurité de Belmarsh - une audience en appel devant la Haute Cour, qui décidera de son extradition vers les États-Unis. À quel moment de cette évolution peut-on parler de torture, selon vos connaissances ?

 

L’évolution déterminante a commencé en mai 2017, après le changement de gouvernement en faveur d’un président favorable aux États-Unis, à Quito. Désormais, le refuge initial de l’ambassade devenait un piège pour Assange. L’hospitalité originelle s’est transformée en un quotidien de plus en plus hostile, arbitrairement réglementé, sous la surveillance constante de caméras et de mouchards espions. L’accès des visiteurs bien intentionnés est devenu de plus en plus difficile et fastidieux, et ses possibilités de communication ont été restreintes, jusqu’à l’interdiction complète de son accès à Internet et de ses contacts sociaux après l’inculpation secrète par le grand jury américain en mars 2018.

 

 

 

La prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres, le Guantanamo britannique

La prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres, le Guantanamo britannique

 

 

 

L’isolement d’Assange était délibéré, intentionnel et coordonné. Son univers est devenu de plus en plus étroit, jusqu’à ce qu’il n’y ait pratiquement plus d’endroit où se retirer et qu’il soit complètement sans défense face à la poursuite de ces abus. Il s’agit d’une forme secrète d’abus, mais qui s’intensifie progressivement et de manière cumulative, très bien connue comme de l’intimidation et qui, à long terme, provoque de graves traumatismes. En fin de compte, on lui a retiré l’asile sans aucune procédure officielle, allant jusqu’à lui retirer son rasoir trois mois plus tôt afin qu’il paraisse délibérément pouilleux comme un sale gosse, lors de son arrestation par la police britannique - pour une violation relativement mineure des conditions de libération sous caution. »

 

On connaît la suite : le procès en extradition présidé par la juge Baraister qui a en l’occurrence confondu siège et ministère public. Ce fut un procès truqué indigne d’une nation démocratique comme le Royaume Uni (nous invitons nos lecteurs à se reporter sur les analyses de ce procès postées sur Uranopole – voir les URL en fin de document) qui déboucha sur un jugement pour le moins étonnant. Assange ne peut être extradé pour des raisons médicales arguant que les conditions dans lesquelles il serait incarcéré dans une prison étatsunienne de haute sécurité seraient trop dures.

 

Victoire donc pour les partisans du journaliste australien : Assange n’est pas extradé ! Eh bien, non ! Melzer ajoute :

 

« Dans la foulée, elle [la juge Baraitser] a balayé d’un revers de main toutes les autres objections juridiques ainsi que les rapports et témoignages à décharge de la défense. La procédure d’extradition engagée par les États-Unis n’est pas motivée par des raisons politiques, Assange est une menace pour la sécurité des États-Unis, etc. L’interdiction d’extradition pour des délits politiques dans le traité d’extradition anglo-américain : non applicable. La surveillance d’Assange à l’ambassade d’Équateur et la mise sur écoute de ses conversations avec son médecin et son avocat : non répréhensible. Les effets de la menace d’extradition sur la compagne d’Assange et leurs deux enfants : rien d’inhabituel. Et le travail d’Assange au sein de WikiLeaks, la publication de matériel explosif, n’était en aucun cas couvert par la liberté de la presse. Au contraire, il a activement soutenu Chelsea Manning dans l’obtention de documents secrets, et a ainsi dépassé de loin les limites du journalisme d’investigation. »

 

Les Etats-Unis et Assange ont fait appel de la décision du tribunal de 1ère instance britannique. On verra. En attendant, Assange a été reconduit à Belmarsh où il croupit en état d’isolement. Alors, que pourrait-il se passer ?

 

Assange aura tout le temps de mourir !

 

Selon Nils Melzer :

 

« Les États-Unis ne sont pas tant préoccupés par le fait de punir personnellement Assange que par l’effet dissuasif global pour les autres journalistes, publicistes et activistes. Une procédure longue et tortueuse les arrangerait bien. Alors peut-être que la Haute Cour britannique leur renverra à nouveau l’affaire en raison des nombreuses erreurs de la première instance. Et puis, dans quelques années, l’affaire ira devant la Cour suprême. »

 

Autrement dit, Julian Assange aura tout le temps de mourir dans sa prison pourrie de Belmarsh !

 

 

 

Julian Assange isolé dans la prison de Belmarsh aura tout le temps de mourir si on ne se moblise pas sérieusement.

Julian Assange isolé dans la prison de Belmarsh aura tout le temps de mourir si on ne se moblise pas sérieusement.

 

 

 

En réalité, le jugement de Baraitser est très subtil. Il interdit l’extradition. C’était la principale revendication des militants de plus en plus nombreux en Grande Bretagne, en Europe et même aux Etats-Unis. Ainsi, le mouvement est dans une large mesure, démobilisé.  

 

 

Un honteux silence

 

 

Le journaliste indépendant Vladimir Caller I Salas, ancien membre du Parti communiste belge dont il a été exclu, fait état dans un « papier » au site Le Grand Soir de la passivité de l’ensemble de journalistes mainstream :

 

« Il est donc désolant de devoir constater le silence criant de ses collègues journalistes et des partis politiques qui s’autoproclament démocrates, écolos, socialistes et progressistes et qui, face au crime en continu qui se déroule à Londres, optent pour la pusillanimité du silence. Car ce silence contribue, discrètement mais très efficacement, à faciliter l’ignominie qui se prépare. « Il y a des circonstances, disait Miguel de Unamuno face au général franquiste Millan Astray, dans lesquelles se taire c’est mentir ». Il y en a d’autres dans lesquelles se taire c’est cautionner. En l’occurrence, la condamnation à mort que l’on mijote contre Julian et sa parole. »

 

 

Il faut mobiliser !

 

 

L’affaire est-elle donc pliée ? On peut le penser. Pourtant, la lutte continue ! Nous ne pouvons baisser les bras. Il faut mobiliser. Il faut surtout faire prendre conscience, car la propagande – il n’y a pas d’autres mots – de la presse mainstream tente à endormir l’opinion sur le scandale de la persécution de Julian Assange.

 

Il faut prendre conscience de la catastrophe que présenterait une possible disparition d’Assange. Ce serait la fin de la liberté de la presse et de la liberté d’expression déjà attaquées de toutes parts !

 

Nom de Dieu ! Journalistes, intellectuels, travailleurs, militants de tous les pays, réveillez-vous !

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 13:27

 

 

 

Le grotesque incident d’Ankara qui a vu Charles Michel, ancien Premier ministre belge et actuel Président du Conseil européen, s’asseoir à côté du Président turc Recep Tayyip Erdogan, laissant de côté la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclenché une vague d’indignations. La presse et l’opinion ont condamné à juste titre la goujaterie de Charles Michel, au point qu’il a été attribué le nom de « Sofagate » à cette affaire. Quant à Charles Michel, il s’est vu affubler le surnom de « Monsieur Patate » …

 

 

 

Charles Michel dit depuis Monsieur Patate s'asseoit délibérément à côté de Recep Tayyip Erdogan laissant carrément en plan Ursula von der Leyen.

Charles Michel dit depuis Monsieur Patate s'asseoit délibérément à côté de Recep Tayyip Erdogan laissant carrément en plan Ursula von der Leyen.

 

 

 

Au départ, on a pensé qu’Erdogan avait tendu un piège aux deux leaders de l’Union européenne en créant un lien de subordination de la Présidente de la Commission au Président du Conseil. Il aurait joué sur le point faible de l’Union européenne : sa direction bicéphale. De plus, le dirigeant turc qui ne cache pas son ambition de devenir le meneur de l’Islam sunnite radical aurait ainsi signifié le rôle secondaire de la femme dans les enjeux politiques. Ce simple fauteuil manquant a cependant ranimé un ancien contentieux que les deux dirigeants européens venaient tenter d’aplanir !

 

 

Les relations entre la Turquie et l’Union européenne sont complexes, voire exécrables, surtout depuis l’arrivée d’Erdogan au pouvoir. Auparavant, des négociations avaient été entamées en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Devant les réticences de certains Etats-membres de l’Union et les exigences d’Erdogan, sans compter de nombreux incidents et de flagrantes violations des Droits humains, les négociations sont au point mort. Cependant, les Etats-Unis pour des raisons géopolitiques font pression sur les Européens pour accélérer le processus d’adhésion.

 

Depuis l’élection de Joe Biden, cette pression s’est accentuée. Ainsi, lors du dernier Conseil européen, le 23 mars dernier, en vidéoconférence, le président US était invité ! A quel titre et pour quelles raisons ? On n’en sait rien. En revanche, l’ordre du jour du Conseil est fixé par le président du Conseil, à savoir Charles Michel. Aurait-il pris l’initiative ? Certainement pas sans le feu vert d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron. En tout cas, on peut être certain qu’il a été question de la Turquie lors de cette réunion, puisque le voyage des deux dirigeants de l’Union se déroulait quelques jours après. Dès lors, on peut se poser la question : est-ce à la suite de ce Sommet euro-états-unien qu’Erdogan aurait décidé de donner la préséance au Conseil européen pour signaler qu’il ne négocierait pas avec la Commission ?

 

 

 

 

Sommet européen du 23 mars 2021 en vidéo conférence présidé par Charles Michel. Que vient y faire Joe Biden ?

Sommet européen du 23 mars 2021 en vidéo conférence présidé par Charles Michel. Que vient y faire Joe Biden ?

 

 

 

On peut le penser, car outre le caractère grotesque de l’incident, les entretiens entre les dirigeants européens et le Président turc ont des suites géopolitiques. Ainsi, le Premier ministre italien, Mario Draghi a exprimé sa colère. Il n’a pas hésité à traiter Erdogan de « dictateur » ! Il est en effet très inquiet de la situation en Libye où l’Italie a d’importants intérêts. L’intervention d’Erdogan en ce pays qui a été détruit par la calamiteuse intervention occidentale en 2011 à l’initiative de l’ancien président français Sarkozy, ne fait qu’accroître des tensions déjà exacerbées par la rivalité entre deux chefs de guerre de la région. Aussi, le « couac » d’Ankara n’a rien arrangé.

 

 

 

Mario Draghi le nouveau Premier ministre italien est furieux de l'incident entre les dirigeants européens et Erdogan.

Mario Draghi le nouveau Premier ministre italien est furieux de l'incident entre les dirigeants européens et Erdogan.

 

 

 

Que conclure ? Une fois de plus, l’Union européenne est affaiblie. Mais affaiblie par sa faute. L’analyste de droite français, Nicolas Baverez écrit dans « le Figaro » du 12 avril : « Cette mise en scène indigne, dont il reste incompréhensible que les deux plus hauts dirigeants de l’Union s’y soient soumis, souligne l’inconséquence de la politique d’apaisement poursuivie vis-à-vis de la démocrature islamique de Recep Tayyip Erdogan. Elle illustre le fossé entre les ambitions de l’Union et son incapacité à défendre ses intérêts comme ses principes. »

 

 

En effet, les fameux traités sans lesquels il n’y aurait pas de démocratie selon l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, comportent et organisent le point faible des institutions européennes : sa direction bicéphale. Quant à la préséance, le journaliste Jean Quatremer (« Libération » 10 avril 2021) considère qu’elle revient au Conseil. Il se réfère aux articles 15 et 17 du Traité de fonctionnement de l’UE. À leur lecture – l’article 15 dispose du rôle et de l’organisation du Conseil et l’article 17 de ceux de la Commission – il n’est nullement question de préséance.

 

 

La construction européenne qui a débuté juste après la Seconde guerre mondiale est le fruit d’un compromis entre deux visions contradictoires de l’organisation du continent. La première, la fédéraliste, prône une intégration des Etats-membres en une seule entité qui regrouperait les compétences économiques et financières et les relations internationales. Cette entité aurait priorité sur les Etats-membres, dans laquelle il y a libre circulation des personnes, des biens et des capitaux. L’autre conception prône une confédération d’Etats indépendants qui négocient entre gouvernements une politique commune. C’est ce qu’on appelle l’Europe des nations prônée par de Gaulle dès la fondation de la Communauté économique européenne en 1957 devenue Union européenne en 1992 à Maastricht.

 

 

C’est ainsi que l’Union dispose de deux organes exécutifs : le Conseil qui comporte les chefs d’Etats et de gouvernements des Etats-membres et la Commission qui est un organe supranational composé d’un commissaire par Etat-membre désigné pour cinq années. Pour sa composition, la Commission dépend des Etats-membres, ainsi que pour la répartition des compétences. Dès lors, c’est l’Allemagne et la France, les deux plus puissants Etats-membres de l’Union, qui sont les maîtres du jeu. Mais pour son mandat, la Commission est indépendante des Etats et rend compte au Parlement européen.

 

 

 

Charles Michel et Ursula von der Leyen n'ont pas beaucoup d'atomes crochus en dépit des apparences depuis le début de leurs mandats.

Charles Michel et Ursula von der Leyen n'ont pas beaucoup d'atomes crochus en dépit des apparences depuis le début de leurs mandats.

 

 

 

Ainsi, les décisions politiques sont établies par le Conseil et la Commission a pour rôle d’être « gardienne des traités » et d’appliquer les décisions du Conseil qu’elle impose aux Etats-membres sous forme de directives qui sont examinées par le Parlement européen. Il est donc clair que pour l’extérieur, le véritable organe de décision de l’Union est le Conseil. Et c’est évidemment la source des conflits récurrents entre les deux organes. L’incident d’Ankara en est le dernier épisode, mais il prend des proportions considérables. Au lieu de calmer le jeu, Ursula von der Leyen, le lundi 12 avril, lors de la réunion hebdomadaire entre la Commission et le Conseil a carrément engueulé Charles Michel en exigeant que pareil incident ne se reproduise plus ! Bien sûr, elle est forte de l’appui de l’opinion publique qui est choquée par l’attitude grotesque de Monsieur Patate et aussi d’une pétition – signée entre autres par votre serviteur – qui demande la démission de l’ancien Premier ministre belge.

 

Que conclure de tout cela ?

 

L’Union européenne est dans l’incapacité d’avoir une politique étrangère. Elle ne parvient pas à imposer son point de vue et, dans le cas présent, à résoudre le contentieux avec la Turquie qui concerne la situation en Méditerranée orientale, la présence turque en Libye, la question des réfugiés et celle des Droits de l’Homme.

 

Une des principales causes est l’alignement systématique de l’UE sur la politique US. De plus, sa subordination à l’OTAN, son incapacité à définir une politique commune de défense et surtout l’impossibilité de définir le rôle de l’Union européenne dans le monde en font une entité hybride et impuissante. « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » disait le secrétaire d’Etat US Henry Kissinger dans les années 1970-80. On se demande aujourd’hui si elle a ne fût-ce qu’une adresse courriel. Et on peut craindre que cette subordination s’accroisse depuis l’arrivée de Joe Biden et du clan belliciste démocrate à la Maison Blanche.

 

Ursula von der Leyen se faisait fort avec le commissaire européen à l’industrie, le français Thierry Breton, d’organiser une efficace campagne de vaccinations dans tout le territoire de l’Union. C’est un terrible fiasco. Rappelons-nous les contrats secrets, les carences en approvisionnement, etc. La Commission a confondu Santé publique et commerce.

 

Apparaît là un élément inquiétant : les institutions européennes sont gangrénées par les lobbies de toutes sortes qui rendent impossible toute ligne politique. Et dans le même ordre d’idée, l’Union s’est enferrée dans ces accords de libre-échange imposés par les lobbies des entreprises transnationales. Le dernier en date avec le Mercosur inquiète particulièrement les agriculteurs et les éleveurs européens.

 

Le couac d’Ankara montre la médiocrité des dirigeants européens. L’affaire des vaccins montre la médiocrité des institutions européennes.

 

À votre avis, l’Europe ne mérite-t-elle pas mieux que cette lamentable image qu’on lui donne ?

 

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

 

 

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6 avril 2021 2 06 /04 /avril /2021 19:30

 

 

 

Ce qu’on a coutume d’appeler le « conflit israélo-palestinien » est enlisé depuis des décennies. Il se traduit par une occupation militaire de la région de la rive Ouest du Jourdain appelée Judée – Samarie par les Israéliens et Palestine par les Palestiniens, tout en étant connue sous le nom de Cisjordanie, de Jérusalem – Est, sans compter le blocus interminable de Gaza. À cela, il faut ajouter un mur qui serpente tout au long de la Ligne verte (ligne séparant l’Israël de 1949 des territoires occupés par l’armée israélienne depuis juin 1967) et une colonisation de plus en plus importante de la rive Ouest qui transforme la Palestine en Bantoustan, avant une annexion pure et simple. On ne voit poindre à terme aucune solution à ce conflit et la situation devient de plus en plus tragique pour la population palestinienne à Gaza comme en Cisjordanie. Le professeur palestinien Naji El Khatib s’est penché de manière approfondie sur la question et sa fine analyse laisse entrevoir des solutions.

 

 

 

Naji El Khatib professeur de sociologie à l'université de Naplouse en Palestine, par sa fine analyse, laisse entrevoir une solution à cet interminable conflit.

Naji El Khatib professeur de sociologie à l'université de Naplouse en Palestine, par sa fine analyse, laisse entrevoir une solution à cet interminable conflit.

 

 

 

Dès 1967, des Palestiniens se sont penchés sur leur avenir après un des chocs les plus terribles qu’ils ont subi. 1967, c’était une seconde Nakba dont on est loin d’en connaître le terme. Suite à ce terrible traumatisme, les Palestiniens ont voulu s’organiser pour faire face à l’envahisseur israélien. L’Organisation de Libération de la Palestine a été fondée en 1964 à Jérusalem et mise sous la direction de Yasser Arafat. L’OLP rassemblait plusieurs mouvements palestiniens dont le Fatah, le Front populaire de Libération de la Palestine et le Front Démocratique de Libération de la Palestine. Après la guerre des Six jours, sous l’impulsion d’Arafat, elle s’organisa en mouvements de guérilla opérant depuis la Jordanie. En 1970, au terme d’un spectaculaire détournement d’avions civils, les Bédouins fidèles au roi Hussein persécutèrent les militants de l’OLP. Ce fut ce qu’on appela le septembre noir. Arafat et ses hommes se réfugièrent au Liban et l’OLP entama une réflexion sur l’avenir de la Palestine. L’idée d’un Etat palestinien séculier germa. En 1974, le programme en dix points de l’OLP prône la création d’un Etat démocratique recouvrant toute la Palestine.

 

 

 

Yasser Arafat savourant sa victoire à Gaza en 1994, au fond, a dramatiquement échoué.

Yasser Arafat savourant sa victoire à Gaza en 1994, au fond, a dramatiquement échoué.

 

 

 

Les Israéliens prirent prétexte de ce programme pour tenter d’éliminer l’OLP. Ils considéraient que la formation d’un Etat sur toute la Palestine impliquait la suppression de l’Etat d’Israël. Il est vrai que le libellé de ce point du programme palestinien est assez équivoque et maladroit. Dès lors, les services secrets et l’armée israélienne traquèrent l’OLP sans relâche. De son côté, l’organisation palestinienne et plusieurs groupuscules accentuèrent les actions terroristes. C’était des deux côtés la stratégie de la tension. Cela a abouti à la guerre civile au Liban, entamée en 1976 à la fois contre les Palestiniens et entre factions libanaises. Les deux puissances régionales intervinrent : la Syrie et Israël. En 1982, Tsahal envahit le Liban au Sud jusqu’à Beyrouth. Arafat et ses proches durent fuir pour s’installer en Tunisie. Il n’était dès lors plus possible de trouver une quelconque solution négociée au conflit.

 

La situation se débloqua peu à peu dès 1990. Sous la pression des Américains qui souhaitaient asseoir leur influence sur l’ensemble du Moyen-Orient, après la guerre du Golfe, des négociations furent entamées entre Israéliens et Palestiniens. Elles aboutirent aux accords d’Oslo de 1993 avec en vue la fameuse solution à « deux Etats ». En réalité, ces accords étaient léonins : Israël, par le partage de la Cisjordanie en trois zones, poursuivait en réalité son occupation en zones B et C et s’octroyait le droit d’intervenir en zone A. L’Autorité palestinienne ainsi instaurée à Gaza et en Cisjordanie était un embryon d’Etat : elle ne pouvait disposer ni d’une armée, ni d’une police en armes, ni d’une monnaie.

 

 

 

La célèbre poignée de main entre Ihtzak Rabin et Yassert Arafat à Washington après la signature des accords dits d'Oslo, aura couté la vie aux deux hommes.

La célèbre poignée de main entre Ihtzak Rabin et Yassert Arafat à Washington après la signature des accords dits d'Oslo, aura couté la vie aux deux hommes.

 

 

 

Après l’assassinat d’Itzhak Rabin en 1995, les accords d’Oslo furent vidés de leur substance. La colonisation reprit de plus belle. Le droit de circulation des Palestiniens fut réduit au strict minimum. La seconde Intifada en 2000 déclenchée par les provocations d’Ariel Sharon en 2000 ne fit qu’accroître les tensions. La répression israélienne fut terrible en Cisjordanie. Arafat décède en 2004. En 2005, le Hamas chassa le Fatah de Gaza. La même année, Sharon décida d’évacuer le bande Gaza en la transformant en une « prison à ciel ouvert » comme l’écrivit Stéphane Hessel. La situation est figée depuis : le mur dit de séparation, appelé d’apartheid s’étend et se renforce, la colonisation se poursuit, le sort des Palestiniens est de plus en plus précaire, La solution « à deux Etats » devient une sinistre mascarade, bien qu’elle soit officiellement prônée par toutes chancelleries.

 

Il faut en sortir ! De plus en plus de Palestiniens, mais aussi des Israéliens penchent sur ce qui semble être aujourd’hui une utopie : la fondation d’un seul Etat séculier et démocratique sur toute la Palestine avec les Israéliens et les Palestiniens. Des Israéliens militent pour l’Etat nation du peuple juif tel qu’il a été adopté par la Knesset en juillet 2018, Etat où seuls les Juifs disposeraient de la citoyenneté. Etat juif, Etat palestinien, Etat binational sont-ils vraiment le Sésame qui ouvrirait la porte à une paix véritable, à une entente entre les deux peuples ? Va-t-il réellement libérer les deux peuples de leurs carcans politiques, stratégiques, religieux, culturels ? Rien n’est moins sûr. La « solution » simplement « étatique » fait partie du vocabulaire diplomatique ou géopolitique, mais pas de la réalité vécue par les hommes et les femmes vivant sur la terre de Palestine.

 

Oui, si les Palestiniens subissent une occupation intolérable, s’ils sont à la merci des Juifs fanatiques qui colonisent leurs territoires, si le Mur d’apartheid les enferme dans un Bantoustan où les seules perspectives sont l’oppression et la misère, les Israéliens se sont enfermés eux-mêmes avec ce Mur destiné à « protéger » leur Etat. Rien de bon n’est généré par l’enfermement, sinon un destin menant au néant.

 

Pour le professeur palestinien Naji El Khatib, ces solutions « étatiques » éloignent de l’objectif initial de la lutte palestinienne : la libération. « Libération socio-culturelle pour les Palestiniens, libérations des Juifs israélisés de l’emprise de l’idéologie sioniste, libération des femmes palestiniennes et juives de la domination masculine, de la misogynie ancestrale et de la violence sexuelle, réelle et symbolique. »

 

 

 

Le Mur d'apartheid à Bethlehem. Cet édifice, en définitive, enferme les deux peuples de Palestine.

Le Mur d'apartheid à Bethlehem. Cet édifice, en définitive, enferme les deux peuples de Palestine.

 

 

 

Naji El Khatib est professeur de sociologie à Naplouse et à Paris. Il milite pour la fondation d’un seul Etat en Palestine pour tous les citoyens juifs comme arabes ou autres.

 

Cela implique évidemment énormément de renoncements de part et d’autre ! Un mouvement est né en dehors de l’OLP, du Fatah et du Hamas, essentiellement constitué d’intellectuels palestiniens qui constate l’échec de la « solution à deux Etats ». Il est en gestation et s’appelle ODS (One Democratic State).

 

Il part d’un principe considéré comme essentiel. La solution à deux Etats est partielle et « raciste ». Partielle, parce qu’elle se réfère à une seule des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, la 242 qui exige qu’Israël se retire des territoires occupés. Raciste, parce que la solution à deux Etats implique la constitution de deux Etats ethniquement « purs » : un Etat juif et un Etat arabe.

 

Le raisonnement d’ODS est tout autre. Elle se réfère d’abord à la résolution 194 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui décrète le droit au retour des Arabes expulsés par les Israéliens en 1948 et, bien entendu, à la 242.

 

« Prétendre à une recherche de la paix sans justice est le maître mot de ces « solutions » dites de « paix ». Et si une partie minime des palestiniens adhère à ce genre d’initiative en imaginant pouvoir se débarrasser des forces Israéliennes d’occupation, cela dénote d’une illusion qui s’opère au détriment de droits de deux autres tiers restants, alors il est difficile de parler d’une paix durable.

 

Or, la sécurité, la stabilité et la paix ont besoin d’une justice véritable qui manque visiblement à cette initiative comme il a manqué à tous les autres efforts américains pendant ces 23 années de comédie de négociations-tromperies, absurdes et inutiles. »

 

Aussi, conclut l’ODS :

 

« Ainsi, sur le terrain en Palestine, émerge du chaos et du désespoir une force de résistance pacifique avec une capacité de résilience incroyable : une capacité à se réinventer, produire une nouvelle pensée politique vivante, progressiste, non ethnique et hautement éthique. Pas de cris de guerre ou de vengeance aveugle mais une lutte pacifique et déterminée.

 

L’État Démocratique Unique que cette initiative promeut est un État pour tous ses citoyens, juifs, palestiniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur (DR pour tous les réfugiés et l’obtention de leurs droits spoliés depuis 1948 et leurs droits du moment, droits politiques et civiques à la fois).

 

Il insiste sur le fait que la lutte palestinienne en ce moment n’a aucune hostilité envers la population juive de l’État actuel d’Israël, ces populations juives seront les partenaires futurs d’une citoyenneté partagée. Une citoyenneté en-devenir à construire ensemble.

 

Dans cet État unique pour un seul pays pour tous les citoyens, la paix durable sera possible, une paix basée sur la justice, le respect de la différence, et ainsi, la stabilité régionale et une garantie pour la paix mondiale.

 

Cette initiative civique palestinienne est la seule alternative à l’Initiative Française qui restera une lettre morte dans les archives poussiéreuses des chancelleries lointaines. »

 

Une telle solution qui mènerait incontestablement vers une paix réelle entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens qui disposeraient ainsi d’une citoyenneté commune avec des droits égaux. Depuis les accords de Sikes Picot de 1916 entre l’Angleterre et la France qui, après le démantèlement de l’empire ottoman, ont organisé l’occupation coloniale de l’ensemble du Croissant fertile et divisé la Palestine, toutes les « solutions », tous les « partages » se basaient sur ces funestes accords. Avec les conséquences tragiques qui ensanglantent cette région pendant plus d’un siècle. L’ODS réussira-t-elle ? Le poids de l’histoire et la réalité des rapports de forces est telle que l’on peut en douter. Mais point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, car un Etat unique démocratique est la solution qui s’approche le plus de la Justice.

 

Le professeur Naji El Khatib garde lui la tête froide tout en étant convaincu que la solution de l’Etat unique est la seule. Il livre ici son analyse dans un texte où il définit les véritables enjeux en se référant à l’histoire politique palestinienne.

 

 

Pierre Verhas

 

 

 

Le drapeau palestinien a beau flotter auprès du siège de l'ONU à New York, l'Etat palestinien ne sera jamais reconnu.

Le drapeau palestinien a beau flotter auprès du siège de l'ONU à New York, l'Etat palestinien ne sera jamais reconnu.

 

 

 

Archéologie de la mémoire politique palestinienne – la libération et / ou l’Etat

 

Les faits de la Nakba, du déracinement et du déplacement qui ont accompagné la création de l‘ « État d’Israël » sur les ruines de la Palestine ont été les conditions dans lesquelles les slogans de libération et de retour ont été produits en tant que slogans programmatiques d’un mouvement de libération nationale.

 

Ces faits, avant d'être traduits politiquement et militairement, exprimaient anthropologiquement une vie collective marquée par la souffrance et la prévalence de sentiments de perte et d'éloignement.

 

La politisation ultérieure de ces expériences collectives traumatiques de la conscience individuelle et collective était une tentative d’intervertir ces effets « post-traumatiques » afin de s'élever à des niveaux qui les transcendent afin de « résister » à leurs horreurs. Ici, les slogans de « libération » et de « retour » étaient les clés de la résilience, alimentant ainsi l'action de résistance et le refus d’admettre la défaite, ou ce que nous pourrions appeler dans le langage de la psychologie un acte vif pour surmonter les effets du traumatisme par la résilience.

 

Ainsi, les questions de « libération » et de « retour » ont dominé la vie politique palestinienne, laissant peu de place pour la question de l’État qui été faiblement posée pendant cette époque (1948-1967). A-t-elle été latente, attendant un changement de l’environnement stratégique ?

 

Dans le début des années 70, le slogan programmatique de l’OLP évoque la création d’un État démocratique et séculier pour toute la Palestine comme le but ultime de la lutte nationale.

 

À cette même époque, nous avons assisté à l’apparition de quelques propositions émanant des chancelleries occidentales pour résoudre le conflit, y compris un éventuel retrait des territoires occupées de la Cisjordanie et Gaza. Ces propositions ont produit un changement d’approche au sein des cercles dirigeants de l’OLP :  pour couper courts à un retour de ces territoires sous les autorités jordaniennes et égyptiennes, la question refoulée de l’État sur ces territoires refait surface dans le discours politique palestinien.

 

Ce retour fort du refoulé étatique se transforme progressivement en obsession aggravée par les défaites militaires et les échecs de la lutte menée de l’extérieur de la Palestine. L’OLP, avec ses structures semi-étatique dans une situation d’extra-territorialité a besoin vital d’un État et des territoires, à n’importe quel prix.  

 

Le « programme en dix points » de l'OLP de 1974 a inauguré une nouvelle ère de l'histoire palestinienne, une ère dans laquelle la lutte palestinienne a dévié de ses objectifs nationaux : objets du consensus général palestinien, ouvrant ainsi la voie à l'adoption de la solution dite de  « Deux-États », à l'engagement plus tard dans les « Accords d'Oslo de 1993 », et au marathon des négociations futiles qui se sont poursuivis depuis 1993 jusqu'à « le Deal du Siècle » de Trump.

 

La série de ces développements dramatiques a conduit à la distorsion de la conscience nationale palestinienne et au début de la création de conflits d’intérêts entre les composantes centrales du peuple palestinien en séparant les Palestiniens de Cisjordanie et Gaza des masses de réfugiés du Liban, de la Syrie et de la Jordanie, et en plus l'abandon des Palestiniens de 1948 en les considérant comme « Une affaire purement israélienne ».

 

L’abandon de la revendication de la libération et du droit au retour, la reconnaissance de-facto de la légitimité de l'État sioniste et de la validité de son récit fondateur, aurait enfoncé les premiers clous dans le cercueil de la cause nationale contemporaine en créant des illusions d'une solution négociée menant à la création d'un État palestinien sur 22% de la Palestine historique.

 

Les illusions de la "solution négociée à deux États" ont abouti concrètement à l'expansion des colonies et au plus de déracinement des Palestiniens de leurs terres, ce qui a conduit à un retour en force à la proposition d'un État unique démocratique et laïque pour toute la Palestine comme la seule solution. L'émergence de nombreux courants autour du slogan de « l’État démocratique unique » n'était rien d'autre que le retour à l'expression authentique, enracinée dans la pensée politique palestinienne, qui dans le passé - avant - Oslo a accompagné un mouvement national dynamique et combatif.

 

Ce que nous pouvons remarquer dans ce retour au programme de l’État unique, c'est qu'il y a une forte proéminence du terme de « l’État » comme s'il s’agissait d’un attachement obsessionnel qui occulte toutes les autres questions qui sont devenues secondaires.

 

Or, nous avons assisté à l’absence d’un approfondissement de la recherche et de l'analyse de la structure politique de cet État, de son système démocratique, de ses structures sociaux, culturels et économiques, en relation avec les questions de modernité et de la laïcité.

 

Le seul slogan d’« un État unique » a été lancé sans accompagner cette proposition d'une lourde batterie de réflexion politique et d'une analyse critique.

 

Ainsi, les courants de l'État unique ont rétabli la fixation et la sacralisation de la question de l'État que nous avons déjà observé chez les porteurs de la « solution à deux États ». Cette obsession chez ces derniers de « l’État-national indépendant et Jérusalem pour capitale »( à coté de l’État d’Israël) a été une idée qui dominait la conscience politique occultant d'autres faits, en particulier les changements provoqués par la colonisation rampante sur le terrain, ramenant les 22% théoriquement alloués à l'établissement de l'État à 10% au maximum.

 

Dans ces conditions, et pour que les courants de l'État unique ne tombent pas dans l'écueil du penchant « sacralisant » l'«État », des autres paradigmes doivent être abordés et approfondies afin d'éviter de tomber dans la vénération de cette question au détriment des autres discussions nécessaires avant, et non après, la discussion sur le lointain «État à venir».

 

Dans ce contexte, il faut réhabiliter les paradigmes de la "libération" et du "retour" en tant buts politiques unificateurs pour tous les Palestiniens, ce que nous amène aux questions relatives au démantèlement de l'État sioniste comme une tâche qui incombe aux partisans de l’«État unique ». Il faut également, réhabiliter la discussion autour des questions sociétales pour une culture démocratiques sécularisant et inclusive, l'interrogation de la démocratie comme système et la laïcité comme modèle, etc.

 

Le paradigme de « Libération » dans ce contexte, aura la tâche d’inclure la libération de la terre de la Palestine comme faisant partie d’un large mouvement de libération à diverses facettes : libération socio-culturelle pour les palestiniens, libération des juifs israélisés de l’emprise de l’idéologie sioniste, libération des femmes palestiniennes et juives israélisées de la domination masculine, de la misogynie ancestrale et de la violence sexuelle réelle et symbolique.

 

Ainsi, il est nécessaire d'organiser les axiomes du discours palestinien pour une sécularisation et démocratisation accrue de la culture politique palestinienne, d’approfondir les discussions autour de  « l’État unique » en mettant en avant la priorité de la libération de la Palestine des sionistes, libérer la Palestine de l’État raciste d’Israël, c'est-à-dire le démantèlement de l'État sioniste comme objectif stratégique dans un long processus de la création d’un État démocratique et séculier pour tous les habitants de la Palestine juifs et palestiniens y compris  les réfugiés Palestiniens. Ainsi nous mettons le cheval devant la charrette, pas derrière.

 

 

Naji El Khatib

 

 

 

 

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